Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de dirigeants du groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges : M. Sacha Tikhomiroff, directeur général France, et Mme Élodie Colas, directrice régionale Île-de-France Nord              2

 


Mercredi 20 mars 2024

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à 11 heures 50.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des dirigeants du groupe Grandir – Les Petits Chaperons rouges : M. Sacha Tikhomiroff, directeur général France, et Mme Élodie Colas, directrice régionale Île-de-France Nord.

M. le président Thibault Bazin. Mes chers collègues, nous recevons maintennant M. Sacha Tikhomiroff, directeur général France, et Mme Élodie Colas, directrice régionale Île-de-France Nord, pour le groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges

Votre réseau est particulièrement bien implanté. Les enseignes “Petits Chaperons Rouges” sont apparues en 2000, année de création par Jean‑Emmanuel Rodocanachi de l’entreprise qui est devenue ensuite le groupe Grandir.

Nous comptons sur vous pour nous exposer dans votre propos liminaire les étapes de votre développement, qui ont abouti à votre organisation actuelle. Par « organisation », j’entends aussi bien la manière dont votre entreprise se déploie sur notre territoire que le fonctionnement du groupe lui-même, en France et à l’international.

Sur votre site Internet www.lpcr.fr, Les Petits Chaperons Rouges est présenté comme le pionnier des crèches privées en France depuis plus de vingt ans. Chaque année, votre réseau accueille plus de 20 000 familles.

Je précise que nous avons tenu à recevoir le même jour les grandes entreprises du secteur des crèches privées, qui se sont retrouvées récemment sous le feu des projecteurs. J’ajoute qu’il n’y a pas eu d’ordre de passage prédéterminé.

Nous sommes soucieux de vous entendre dans le cadre du périmètre de notre commission d’enquête, qui concerne l’ensemble du secteur des crèches. Jusqu’à présent, les auditions ont montré que la distinction entre public, privé et associatif recouvrait parfois une réalité plus complexe.

Je vous rappelle enfin que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Sacha Tikhomiroff et Mme Élodie Colas prêtent serment.)

Mme Élodie Colas. Je suis infirmière puéricultrice et directrice régionale Île-de-France chez Les Petits Chaperons Rouges. J’ai une expérience de vingt ans auprès des enfants et de leurs familles dans la fonction publique hospitalière, puis au sein des Petits Chaperons Rouges, depuis quatorze ans, où j’ai notamment été directrice de crèche. Je suis maman de trois garçons, qui ont été accueillis pendant leurs trois premières années au sein de crèches publiques et privées.

M. Sacha Tikhomiroff. Je suis directeur général France des Petits Chaperons Rouges. Nous vous remercions pour cette invitation et pour cette opportunité de nous exprimer.

Je tiens à saluer toutes les collaboratrices et les collaborateurs des Petits Chaperons Rouges, qui participent chaque jour, avec professionnalisme et engagement, à l’éveil des enfants que nous accueillons. Je les représente aujourd’hui.

Les Petits Chaperons Rouges ont effectivement vingt-trois ans d’existence. Nous sommes l’une des premières structures du secteur. Trois convictions fortes ont guidé le développement de notre entreprise tout au long de notre histoire : Tout d’abord, la petite enfance est un bien commun. Ensuite, il existe un juste équilibre entre les aspects économiques, sociaux, pédagogiques et sociétaux. Enfin, la complémentarité entre le public, l’associatif et le privé est la clé.

Aujourd’hui, Les Petits Chaperons Rouges gèrent 800 établissements, où sont accueillis chaque jour plus de 20 000 enfants par 8 000 collaborateurs diplômés de la petite enfance. Plus de 150 villes nous font confiance et plus de 1 000 employeurs privés ou publics sont nos partenaires. En vingt-trois ans, nous avons permis l’ouverture et le maintien de 13 000 places de crèche en France.

Dès 2010, nous avons mis en place dans nos crèches une charte de bientraitance et de protection de l’enfance. Cela fait quatorze ans que nous sommes à la pointe pour défendre cette cause. En 2013, nous avons été le premier acteur à créer une certification qualité (138 points de contrôle sur l’ensemble de nos crèches) contrôlée par un auditeur externe.

En 2020, nous avons lancé une innovation pédagogique, avec l’instauration d’un cadre pédagogique favorisant les cinq compétences clés du XXIe siècle pour l’éveil de nos enfants. Le 11 mars 2024, nous avons ouvert notre institut de formation aux auxiliaires de puériculture.

Chez Les Petits Chaperons Rouges, nous sommes tous profondément guidés par notre mission d’intérêt général et notre raison d’être statutaire : contribuer, pas à pas, à l’éveil des générations. La satisfaction des parents et du personnel est essentielle. De fait, une mauvaise qualité de service met à mal la réputation d’un établissement et dissuade les parents d’y placer leurs enfants. L’entreprise se trouve alors en difficulté et ne peut investir dans l’avenir.

Le secteur de la petite enfance rencontre trois difficultés majeures : un manque de professionnels (estimé à 10 000 diplômés), une insuffisance de places d’accueil (200 000 places manquantes en France), et enfin un tarif de la prestation de service unique (PSU) en décalage par rapport au coût de la vie.

Face à ces difficultés, nous apportons des solutions. En réponse au manque de professionnels, nous investissons très fortement dans la formation. Notre académie Grandir, ouverte depuis treize ans, offre plus de 170 formations. Nous avons financé 200 validations des acquis de l'expérience (VAE) en 2023, et nous espérons porter ce nombre à 350 cette année. Chaque salarié bénéficie d’un parcours de formation, et nous venons d’ouvrir à Clichy notre institut habilité à délivrer des diplômes d’Etat.

Nous investissons également beaucoup dans l’attractivité des métiers, en proposant un socle social attractif : tickets-restaurants, sixième semaine de congés payés, maintien du salaire net pendant les congés maternité, plus de 300 promotions et plus de 110 mutations en 2023.

En ce qui concerne les places manquantes, nous continuons d’ouvrir des places dans les zones où le déficit de professionnels n’est pas trop important. Il y a néanmoins des zones où nous n’envisageons même plus cette possibilité.

Enfin, s’agissant de la PSU, nous nous conformons bien entendu à la réglementation, tout en prônant une simplification drastique du système. Celle-ci nous paraît indispensable pour redonner du temps aux équipes de crèche ainsi que du sens à leur mission.

Le manque de places ou de professionnels en France n’a rien d’une fatalité. La mission flash et le rapport 2023 de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont posé les bons diagnostics : si les règles et les normes sont simplifiées et clarifiées, tous les acteurs de la petite enfance, qu’ils soient publics, privés ou associatifs, seront en mesure de relever le défi du sens, de la qualité et de l’attractivité du secteur, ainsi que celui de la capacité d’accueil.

Les 8 000 collaborateurs des Petits Chaperons Rouges sont pleinement engagés pour l’épanouissement et l’éveil des enfants que nous accueillons. Ils ont à cœur de se montrer à la hauteur de la confiance accordée par les parents, et les très nombreux témoignages des familles que nous recevons tous les jours sont les plus beaux hommages à leur professionnalisme. Ils attendent tous beaucoup des conclusions de cette commission.

M. le président Thibault Bazin. Monsieur Tikhomiroff, j’aimerais savoir pour quelles raisons votre entreprise n’est pas représentée ici par votre président. Par ailleurs, quel est le rôle actuel de votre fondateur, M. Rodocanachi ? En fonction de vos réponses, nous ne manquerons pas d’envisager d’autres auditions.

M. Sacha Tikhomiroff. Étant directeur général des Petits Chaperons Rouges pour la France, j’ai la responsabilité opérationnelle des activités sur ce périmètre. Il nous a semblé que l’objet de cette commission d’enquête était le secteur de la petite enfance en France. C’est la raison pour laquelle Élodie Colas et moi-même sommes présents pour cette audition.

M. le président Thibault Bazin. Devons-nous comprendre que le président n’a pas de rôle au niveau de la France ?

M. Sacha Tikhomiroff. Mon patron, le président du groupe, supervise la France et les autres pays. Il exerce un rôle de présidence, qui n’est pas directement opérationnel.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je déplore à mon tour que le président et fondateur de votre groupe ne soit pas présent aujourd’hui. Comme vous le constaterez, nos questions ne portent pas exclusivement sur l’activité des crèches, mais concernent également le modèle économique des crèches et l’actionnariat. À cet égard, la présence de votre président à cette audition était non seulement légitime, mais aussi utile. Nous serons donc amenés à nous interroger sur l’opportunité d’une audition complémentaire.

Mes questions se rapporteront aux trois axes suivants : l’actionnariat, le modèle économique, la qualité d’accueil dans vos établissements.

Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter la structure de votre actionnariat et l’historique de ses mouvements ? Pouvez-vous nous décrire sommairement l’architecture globale de votre groupe, en indiquant les objets et missions des sociétés qui le composent ? Par ailleurs, comment expliquez-vous la participation de fonds d’investissement au capital de votre entreprise, dans la mesure où vos résultats financiers ne sont pas très importants ? Je vous remercie d’ailleurs de nous apporter quelques précisions sur vos résultats financiers des trois dernières années. Quelles contraintes ces fonds d’investissement font-ils peser sur les modalités de fonctionnement et de gestion de votre entreprise ? Dans quelle mesure ces contraintes diffèrent-elles des contraintes imposées par un organisme de financement bancaire classique ? A contrario, quels avantages votre entreprise trouve-t-elle à être adossée à des fonds d’investissement solides sur le plan financier ?

M. Sacha Tikhomiroff. Le groupe a été fondé par Jean-Emmanuel Rodocanachi et s’est développé au fil des années. Notre activité nécessitant des investissements relativement importants, le groupe s’est adossé à différents fonds d’investissement. Aujourd’hui, notre partenaire est le fonds InfraVia.

M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous nous préciser les parts respectives détenues par les différents actionnaires du groupe ?

M. Sacha Tikhomiroff. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je préfère vous adresser ces chiffres à l’issue de l’audition.

M. le président Thibault Bazin. Je présume que vous êtes en mesure de nous communiquer des estimations approximatives.

M. Sacha Tikhomiroff. Sodexho détient environ 20 % des parts du groupe. Le fonds InfraVia doit être majoritaire. Les capitaux restants appartiennent au fondateur et aux collaborateurs.

Au sein du groupe, une société chapeaute l’ensemble de l’activité France, dont je suis responsable. Les autres sociétés couvrent les différents pays où nous sommes présents.

Notre approche n’est pas comparable à celle adoptée par des groupes comme L’Oréal ou Carrefour, qui versent des dividendes aux fonds d’investissement. Dans notre cas, notre partenaire InfraVia apporte des capitaux et se rémunèrera à terme à partir de la croissance de la société. Prenez un groupe avec dix crèches. La valeur du même groupe, doté de quinze crèches, quelques années plus tard, sera supérieure pour peu que les prestations offertes soient de qualité. Nos résultats sont relativement faibles car, chaque année, nous engageons des investissements massifs dans les crèches, dans les rénovations, dans les formations et dans l’innovation. Nous privilégions donc une logique de croissance, et non une logique de dividende.

Notre résultat net s’échelonne entre - 2 % et + 2 % sur les dernières années. En 2022, nous avons dégagé un résultat net de 0,5 %. Notre résultat 2023 sera connu en avril, après certification des comptes.

Le fonds d’investissement trouve son intérêt dans la croissance du groupe. Une moitié de l’activité est réalisée en France, tandis que la part restante dépend de crèches et d’écoles maternelles à l’international. Les capitaux apportés par le fonds servent à financer le développement de l’entreprise en France et à l’international.

La présence d’un fonds d’investissement parmi nos actionnaires constitue un atout important, en dehors des seuls aspects financiers. Il en résulte des contraintes de gouvernance extrêmement fortes. Notre groupe est ainsi soumis à des exigences réglementaires liées à la loi « Sapin 2 » ainsi qu’en matière de règlement général sur la protection des données, de cybersécurité ou encore de gouvernance.

Vous nous avez posé une question, dans le questionnaire que vous nous avez adressé en amont de l’audition, sur la gestion de nos baux. En l’espèce, un investisseur financier va s’assurer que les baux respectent les prix du marché et qu’ils sont bien gérés. Il ne s’occupe pas de l’activité opérationnelle, mais pose un cadre de gouvernance et de contraintes.

Toute entreprise qui perçoit des financements bancaires doit s’acquitter d’intérêts chaque année. À l’inverse, nos actionnaires n’exigent pas d’intérêts, mais escomptent des gains tirés de la croissance du groupe.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Si je comprends bien, le groupe LPCR est constitué d’une société pour chaque pays où il est implanté, et ne comprend pas de structure dédiée au portage de l’immobilier.

M. Sacha Tikhomiroff. Je vous le confirme.

Nous avons plus de 600 baux, pour 550 bailleurs. Seuls treize de nos bailleurs ont plus de trois baux. Le plus important possède trente-cinq baux. En résumé, le groupe LPCR n’a pas d’ambitions immobilières et n’a rien d’une foncière de gestion.

M. le président Thibault Bazin. Le fondateur du groupe est-il propriétaire de murs ? Vous-même, n’êtes-vous pas propriétaire de locaux ?

M. Sacha Tikhomiroff. Absolument pas.

M. le président Thibault Bazin. Certains de vos actionnaires sont-ils propriétaires de murs de crèche ? Le fondateur du groupe est-il propriétaire de murs ?

M. Sacha Tikhomiroff. Il me semble qu’il possède une foncière avec quelques baux, mais, encore une fois, la foncière la plus importante détient trente-huit baux. Npus vous transmettrons les détails.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Quel est le prix moyen d’un berceau dans votre réseau, en prestation de service unique (PSU) et en prestation d’accueil de jeune enfant (PAJE) ? Comment expliquez-vous, le cas échéant, l’écart entre ces deux modèles de financement ? Comment appréhendez-vous ces deux modèles ?

À quel pourcentage s’élève le coût de la commercialisation dans ce prix ? Lorsque vous « placez » des enfants dans une crèche de votre réseau partenaire, quelle part du prix du berceau est conservée par votre entreprise au titre de la commercialisation, et quelle part est reversée à la structure gestionnaire de la crèche ? D’après certains témoignages que nous avons recueillis, le prix facturé au tiers réservataire dans certaines crèches équivaudrait parfois au double du prix versé à la structure gestionnaire. Cette pratique paraît inacceptable. Pouvez-vous infirmer ou confirmer ces chiffres ? Que pensez-vous par principe de ce dispositif ?

D’autre part, pouvez-vous nous indiquer si vous bénéficiez du crédit d’impôt famille (Cifam) en tant qu’entreprise réservataire ? Si oui, pour quel montant ? Dans cette hypothèse, comment établissez-vous le prix du berceau sur la base duquel est calculé le crédit d’impôt ? Ce mode de calcul est-il fixé sur la base du prix de revient du berceau ou du prix auquel vous le commercialisez à un tiers ?

S’agissant du portage immobilier, je souhaiterais des compléments sur les arbitrages opérés pour retenir un local plutôt qu’un autre, notamment au regard du coût de la location.

Je voudrais, ensuite, vous interpeller sur une information relative à la qualité de l’accueil extraite du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) : « Pour les établissements du secteur marchand dont le tiers financeur est une entreprise, on constate une augmentation de 51,8 % du compte “autres charges”, dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes ». Comment expliquez-vous une telle augmentation ?

Les différents ouvrages et rapports consacrés à la gestion des crèches font état de procédures de délégation de service public (DSP) pour lesquelles les grands groupes tels que LPCR proposent des prix cassés. Candidatez-vous vous-même à l’attribution de DSP ? Si oui, à quel prix pouvez-vous promettre des solutions ? Comment justifiez-vous, le cas échéant, les écarts constatés entre le prix du berceau appliqué dans le cadre d’une DSP et le prix du berceau pratiqué dans le cadre d’une réservation par un tiers (entreprise ou service public) ?

J’en viens, enfin, à la problématique de la maîtrise des coûts de fonctionnement. Comment celle-ci se traduit-elle, en pratique, dans les crèches de votre groupe ?

M. Sacha Tikhomiroff. Le coût de revient en PSU ou en PAJE avoisine les 20 000 euros. Il est légèrement supérieur en PAJE. Les structures en PAJE étant plus petites, et souvent installées en centre-ville, les coûts de l’immobilier sont aussi plus élevés dans cette configuration : d’où cette différence de prix.

Notre groupe dispose d’équipes commerciales qui analysent les appels d’offres, préparent les réponses et assurent le suivi demandé par les clients et les villes. Notre coût de commercialisation s’élève approximativement à 500 euros par berceau.

Les crèches partenaires ne font pas partie de notre cœur de métier. Nous ne favorisons donc pas cette activité. Nous préférons que les familles restent dans nos crèches. Nous leur proposons donc toujours une solution dans l’un de nos établissements. Néanmoins, le premier critère de choix pour les familles étant la proximité de la crèche avec le domicile, certaines préfèrent opter pour une autre solution que celle que nous leur proposons. Nous l’acceptons et nous pouvons nous inscrire dans ce dispositif.

Je précise que ces situations ne représentent que 4,7 % de notre chiffre d’affaires. Dans ce cas, nous prenons une commission de réservation, qui est en moyenne inférieure à 3 000 euros. Elle ne représente jamais le double du prix versé à la structure gestionnaire, contrairement à l’information qui vous a été donnée.

M. le président Thibault Bazin. Que recouvrent les 3 000 euros ?

M. Sacha Tikhomiroff. Ce montant inclut les frais de commercialisation, les frais de suivi et les frais de facturation, c’est-à-dire les frais de gestion globaux pour ce type d’activité.

Pour ce qui est du Cifam, nous proposons bien évidemment des places de crèche à nos professionnels, qui peuvent en bénéficier. Nous faisons l’objet de contrôles réguliers de l’administration fiscale sur les montants de Cifam. J’ajoute que ces derniers sont plutôt calculés sur le prix de commercialisation du berceau que sur le coût de revient.

En ce qui concerne les arbitrages immobiliers, lorsque nous recherchons des sites, notre premier critère est le manque de places de crèche dans un secteur. D’ailleurs, pour être validés par les services de protection maternelle et infantile (PMI) et les caisses d’allocation familiale (CAF), tous les dossiers immobiliers soumis doivent concerner une zone en tension, présentant un déficit de places.

Le local doit répondre aux contraintes bâtimentaires permettant de construire une crèche et d’y aménager, par exemple, une biberonnerie ainsi qu’un dortoir. Nous discutons ensuite avec le bailleur pour obtenir un prix raisonnable. Si celui-ci est trop élevé, nous ne prenons pas le bien en location. D’ailleurs, nous ne sommes pas en capacité d’ouvrir des crèches dans les régions où les prix de l’immobilier sont trop élevés.

En valeur absolue, les frais de siège sont en hausse, mais en pourcentage du chiffre d’affaires, ils diminuent. Ils représentent environ 10 % pour l’ensemble du groupe, pour la France. Ces frais de siège comprennent tout le support apporté aux crèches : notre département pédagogique « petite enfance » d’une vingtaine de personnes, les services de comptabilité, d’informatique, de cybersécurité, le suivi des familles, les reportings CAF, etc.

M. le président Thibault Bazin. Pouvez-vous nous préciser l’évolution du pourcentage des frais de siège dans les comptes de chacune des structures ?

M. Sacha Tikhomiroff. Les frais de siège ont globalement augmenté puisque l’entreprise s’est agrandie. En revanche, en pourcentage du chiffre d’affaires, ils sont en baisse.

M. le président Thibault Bazin. Quelle a été l’évolution du pourcentage demandé à chaque structure au titre des frais de siège ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je dirais que ce pourcentage est passé de 11 à 10 % en trois ans. La variation est modérée, car nous avons renforcé les services centraux. Nous avons fait appel à des médecins et nos dépenses et investissements en informatique se sont accrus, pour améliorer notre cybersécurité. En tout état de cause, le pourcentage des frais de siège a bien diminué.

M. le président Thibault Bazin. Je comprends que le montant global des frais de siège a augmenté, en raison de l’effet volume. En revanche, rapporté à chaque structure, ce pourcentage a diminué.

M. Sacha Tikhomiroff. C’est bien cela.

M. le président Thibault Bazin. Pourrez-vous nous transmettre des documents à l’appui de ces affirmations ?

M. Sacha Tikhomiroff. Oui.

Vous nous avez questionnés également sur les délégations de service public. Il faut savoir qu’environ 150 DSP sont ouvertes chaque année. Nous ne répondons qu’à 30 % de ces marchés. Nous refusons de candidater aux 70 % restants, parce que nous jugeons les prix exigés trop bas pour remplir nos engagements de qualité et tenir nos contraintes. LPCR ne sera jamais l’acteur le moins cher du marché, et les villes avec lesquelles nous travaillons savent que nous visons un juste équilibre entre la qualité et le prix.

À titre d’exemple, nous sommes arrivés cinquième sur les prix au contrat des préfectures d’Île-de-France. Suite à cette décision, nous avons perdu cent cinquante berceaux que nous opérions avec succès, et six crèches dans le Var dont notre gestion depuis dix ans donnait pourtant satisfaction. Le marché a été attribué à un acteur associatif pratiquant des prix moins chers que les nôtres.

En DSP, le prix de revient est de 20 000 euros environ. Or, la part de la PSU prise en charge par la CAF et la famille s’élève à près de 6 euros, ce qui représente une somme de 12 000 euros pour un enfant accueilli en crèche à temps complet, soit 2 000 heures dans l’année. Il reste donc à trouver 8 000 euros pour atteindre le prix de revient. En DSP, le modèle économique dépend aussi d’autres paramètres tels que la prise en charge du loyer, qui peut être supporté ou non par la ville.

En DSP, l’entreprise délégataire doit remettre chaque année ses comptes d’exploitation à la ville. Elle les présente habituellement au conseil municipal. La transparence est donc totale.

Mme Élodie Colas. En complément de ces propos, je tiens à souligner qu’il est de notre responsabilité sociale de proposer l’ensemble des places disponibles au sein de nos crèches, en lien avec l’agrément des établissements. Notre objectif consiste à dimensionner l’équipe en fonction du nombre d’enfants accueillis, pour respecter le taux d’encadrement réglementaire. Les directrices disposent d’un budget pour l’acquisition du matériel nécessaire aux besoins des enfants. Les demandes exceptionnelles sont validées avec l’aide de leur responsable de secteur.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez déclaré que votre réseau de partenaires ne représentait que 4,7 % de votre chiffre d’affaires. Combien de crèches font partie de ce réseau ?

Au regard des 500 euros relatifs aux frais de commercialisation par berceau, la commission de 3 000 euros que vous appliquez paraît très élevée. Nous ne pouvons qu’être interpellés par ce montant, puisque même dans le cas où le tiers réservataire est une entreprise, entre 50 et 60 % du prix du berceau sont assumés par la dépense publique.

M. Sacha Tikhomiroff. Je voudrais préciser que la simple émission d’une facture à l’intention d’une crèche partenaire coûte environ 40 euros, soit une dépense totale de 500 euros pour les douze factures annuelles. S’y ajoutent des coûts de gestion et de suivi, de service informatique et de reporting. En réalité, la commission est destinée à couvrir ces coûts. D’ailleurs, nous préférons toujours accueillir les enfants dans nos propres crèches.

Nous avons à peu près 1 800 partenaires, mais tous n’ont pas des berceaux en permanence.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Sans être une professionnelle du monde de l’entreprise, il m’est déjà arrivé d’avoir des salariés sous mon autorité. La simple émission d’une facture, fût-ce avec l’aide d’un comptable extérieur, ne m’a jamais coûté 40 euros. Je ne vous cache pas mon étonnement en entendant un tel chiffre.

Je vous propose d’en venir aux questions relatives à la qualité de l’accueil. À ce sujet, voici un extrait d’un ouvrage paru cet automne, consacré aux conditions d’accueil des très jeunes enfants en crèche : « Non, le secteur privé n’a pas le monopole des drames et des maltraitances graves sur les enfants. Mais les centaines d’entretiens que nous avons menés nous ont en revanche confortés sur un point : ces dix dernières années, les principales alertes pour des suspicions de maltraitance, pour des accidents, pour des dysfonctionnements importants dans les crèches, proviennent principalement du secteur privé lucratif ». Quelles réactions cette affirmation suscite-t-elle chez vous ? Avez-vous mis en place des procédures de contrôle interne pour vous assurer de la qualité de l’accueil dans les établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) de votre groupe ? À cet égard, le drame survenu à Lyon en juin 2022 a-t-il constitué un tournant ?

Les rapports et les ouvrages parus l’automne dernier font état d’un glissement d’une politique centrée vers la pédagogie à une politique privilégiant la commercialisation des places et soumettant les directeurs d’EAJE à une pression constante pour réduire les coûts et remplir les berceaux. Pouvez-vous nous décrire votre politique de pilotage des EAJE du groupe et votre management des personnels de direction ? Pouvez-vous également nous indiquer la durée moyenne qu’une directrice ou un directeur de crèche passe au sein de votre groupe ? À quelle fréquence êtes-vous contrôlés par la PMI ? Les crèches de votre réseau font-elles l’objet de contrôles inopinés ? Observez-vous des différences de pratiques entre les départements ?

Par ailleurs, certaines PMI nous indiquent que les EAJE ne respectent pas toutes l’obligation de déclarer tout changement de personnel. Avez-vous institué dans vos établissements une procédure de respect de cette obligation ? Êtes-vous en mesure de vérifier qu’elle est respectée dans vos établissements ?

Mme Élodie Colas. Je viens à vous assurer que la sécurité et le bien-être des enfants sont au cœur de nos préoccupations et de celles de l’ensemble de nos équipes.

Nous avons créé en 2013 notre certification qualité, qui comporte 138 points de contrôle. Elle permet d’auditer l’ensemble des crèches une fois par an par leur responsable de secteur et de réaliser un audit externe annuel.

En ce qui concerne notre politique de management à l’égard de nos directrices de crèche, je précise que toutes bénéficient d’un parcours d’intégration et d’un parcours de formation. L’entreprise permet aux nouvelles directrices de se former au management des équipes et d’apprendre à animer une réunion d’équipe, à animer des entretiens annuels d’évaluation, à recadrer des professionnels, voire à déclencher des procédures disciplinaires.

Il existe aussi un parcours de formation sur les aspects pédagogiques et sur les thématiques hygiène et sécurité. À cet effet, le groupe Les Petits Chaperons Rouges peut s’appuyer sur une direction qualité et petite enfance dotée de vingt experts de la pédagogie ou des procédures d’hygiène et sécurité, à même de former l’ensemble de nos équipes.

À titre d’illustration, nous avons dispensé 50 000 heures de formation en 2023, et nous proposons aujourd’hui 170 formations externes ou internes à l’ensemble de nos collaborateurs.

Les directrices connaissent bien évidemment leurs missions, qui consistent à assurer la qualité de l’éveil des enfants, dans une démarche de coéducation avec les familles. Elles doivent aussi proposer des places aux familles qui en ont besoin, en accueil régulier ou occasionnel. Leurs missions sont encadrées par des objectifs de qualité, notamment sur la satisfaction des familles, sur la satisfaction des équipes, sur le déploiement de la certification de service et de notre label qualité. J’ajoute que cette année, nous allons engager une démarche RSE.

Pour ce qui est du temps consacré par les directrices à leurs missions de direction, il est à noter que nous allons bien au-delà de nos obligations réglementaires. En micro-crèche, la direction doit être assurée par l’équivalent de 0,2 ETP. Notre groupe a fait le choix d’affecter une directrice sur deux micro-crèches, soit 0,5 ETP de direction pour chaque crèche. Nous garantissons ainsi une présence renforcée de la directrice auprès des équipes et des familles.

Il va de soi que nos établissements sont fréquemment contrôlés, et cela a toujours été le cas. Nos équipes sont formées aux process et préparées à ces contrôles. Nous recevons un rapport de la PMI suite à ses visites de contrôle, et nous devons lui apporter des réponses dans le délai imparti.

Les éventuelles différences de pratiques d’un département à l’autre sont essentiellement liées à la pénurie de personnels de catégorie 1. Les grandes métropoles sont beaucoup plus touchées que les villes de province. Dans ce contexte, l’accompagnement et la formation des équipes constituent un enjeu majeur. Depuis toujours, nous nous engageons à former ces professionnels afin qu’ils puissent obtenir un diplôme d’auxiliaire de puériculture ou d’éducateur de jeunes enfants. À cet effet, 350 VAE sont prévues cette année. Des professionnels travaillant dans nos structures depuis une dizaine d’années pourront ainsi bénéficier d’évolutions professionnelles et de revalorisations salariales.

Nous informons systématiquement la PMI des changements de direction du personnel. Par la même occasion, nous leur transmettons la liste du personnel des crèches.

M. le président Thibault Bazin. Notre question portait sur les différences entre départements dans les modalités des contrôles.

Mme Élodie Colas. La fréquence des contrôles varie en effet d’un département à l’autre, en fonction des moyens alloués par les départements. Certaines structures sont visitées chaque année par les services de PMI, et d’autres moins souvent. En 2023, la moitié de nos crèches ont fait l’objet d’un contrôle PMI.

M. Sacha Tikhomiroff. Je dispose de données chiffrées à ce propos. 330 contrôles PMI, 90 contrôles externes CAF, 15 commissions de sécurité et 40 contrôles de la direction départementale de la protection des populations ont été comptabilisés en 2023, sur près de 800 structures. Ces chiffres se rapportent uniquement aux contrôles externes des autorités de tutelle. Il faut aussi mentionner les contrôles externes de notre organisme certificateur et les contrôles internes.

Pour répondre à votre question sur le drame de Lyon, sachez que nous avions déjà pour objectif d’affecter deux personnels le matin et le soir sur nos micro-crèches. Nous avons ensuite accéléré cette démarche et renforcé les procédures de contrôle des produits référencés chez nous, qui doivent tous respecter les normes applicables à la petite enfance.

Je tiens à souligner que la pédagogie ne nuit pas à la commercialisation, bien au contraire : c’est justement parce que nous assurons un service de qualité que nous parvenons à attirer des parents et à convaincre des villes et des entreprises de contractualiser avec nous. La pédagogie et la qualité priment sur les considérations commerciales.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez fait état de 330 contrôles PMI sur 800 crèches. Avez-vous une estimation de la part des contrôles inopinés, sur ce total ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je pourrai vous transmettre cette information ultérieurement.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les contrôles CAF auxquels vous avez fait référence sont-ils des contrôles budgétaires sur pièces ?

Par ailleurs, il me semble que vous n’avez pas répondu à ma question sur la durée moyenne passée par une directrice ou un directeur de crèche dans votre groupe.

J’en profite pour vous interroger sur le turnover parmi votre personnel : combien de temps, en moyenne, une auxiliaire de puériculture ou une éducatrice de jeunes enfants restent-elles au sein du groupe ?

Je tiens également à vous rappeler que l’obligation légale d’information sur les changements de personnel ne porte pas uniquement sur les directrices ou directeurs, mais bien sur la totalité des personnels. C’est une information importante pour les PMI et les CAF.

M. Sacha Tikhomiroff. Je vous confirme que les contrôles CAF sont, en règle générale, des contrôles sur pièces.

Je ne connais pas la durée moyenne de service des directrices de crèche, mais je pourrai vous fournir cette information après l’audition.

Quant au turnover dans nos structures, il présente de fortes disparités d’une région à l’autre. En province, les personnels sont très stables. Dans les centres-villes, en revanche, le taux de rotation est plus élevé, du fait de l’éloignement entre le lieu d’habitation et le lieu de travail du personnel. En moyenne, le taux de turnover s’élève à 20 % environ.

M. le président Thibault Bazin. Quelle est l’ancienneté moyenne dans votre entreprise ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je n’ai pas cette information en tête, mais je vous la transmettrai également à l’issue de cette audition.

M. le président Thibault Bazin. Je cède la parole aux orateurs de groupe.

Mme Alexandra Martin (RE). Madame et monsieur, vous savez que le fonctionnement et le financement des crèches privées en France sont particuliers. À travers la CAF, le conventionnement et les déductions d’impôts, vos établissements sont en partie financés par le public.

Nous avons découvert qu’il existait une pratique consistant à ouvrir deux micro-crèches adjacentes au lieu d’une crèche collective de plus grande capacité. Cette pratique permet de bénéficier de dispositifs plus souples concernant les micro-crèches, afin notamment de mutualiser les taux d’encadrement. Votre entreprise est-elle concernée par ces pratiques ?

Par ailleurs, j’ai pu observer que Les Petits Chaperons Rouges – Grandir fait partie d’un groupe international présent en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis et au Canada. Cette expertise est très intéressante pour nous, afin de comparer les mécanismes de financement dans les différents pays. Disposez-vous d’éléments de comparaison sur le modèle de financement des établissements, sur le reste à charge pour les parents avant et après déduction fiscale ? Ces éléments ont-ils une incidence sur la sociologie des enfants que vous accueillez ?

M. Sacha Tikhomiroff. S’agissant de votre question sur les micro-crèches, nous ne nous plaçons clairement pas dans cette logique, car nous préférons toujours le multi-accueil.

Les modalités de financement en usage dans les autres pays sont très diversifiées. Je ne suis pas suffisamment expert de ce sujet pour vous répondre immédiatement, mais nous pourrons vous apporter des informations par écrit.

En France, 20 % des enfants que nous accueillons sont concernés par le tarif CAF, inférieur à 1 euro de l’heure. Sur le plan sociologique, nos établissements accueillent donc un pourcentage d’enfants de familles en condition économique difficile supérieur à la moyenne nationale.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Merci pour votre propos initial, assez pédagogique. Il nous aide à comprendre, avec l’audition précédente, la logique financière des grands groupes de crèche. Je vais tâcher de résumer vos explications pour m’assurer de la bonne compréhension de la structure actionnariale de votre entreprise.

InfraVia, fonds d’investissement, est un actionnaire de votre entreprise. D’après la presse spécialisée, InfraVia a constitué une holding qui s’est endettée auprès de banques pour acquérir les actions de votre entreprise. Pouvez-vous me préciser si InfraVia est actionnaire majoritaire au capital de votre entreprise ?

M. Sacha Tikhomiroff. Il me semble que oui. Je vous préciserai le chiffre exact.

M. le président Thibault Bazin. Je vous rappelle que vous vous exprimez sous serment.

M. Sacha Tikhomiroff. En effet. La question est de savoir si InfraVia est majoritaire en droit de vote ou en droit économique. C’est ce point que je voudrais vérifier.

M. le président Thibault Bazin. Il me paraît important de préciser que si l’une de vos affirmations s’avérait inexacte, vous devez nous transmettre les corrections.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je retiens de votre intervention, monsieur Tikhomiroff, que le fonds InfraVia ne recherche pas la rentabilité à travers la remontée des dividendes, mais à travers la croissance de l’entreprise. Il n’en reste pas moins que votre entreprise est soumise à une pression financière, quand bien même celle-ci prend la forme d’un impératif de croissance. D’ailleurs, en lisant la presse spécialisée, j’ai appris qu’au moment où InfraVia est entré au capital des Petits Chaperons Rouges, il avait annoncé son ambition de doubler la taille de l’entreprise en cinq ans. Si cet objectif n’est pas atteint, InfraVia risque de ne pas gagner d’argent, voire d’essuyer des pertes puisqu’il s’est endetté pour créer la holding. Je présume donc que votre actionnaire exerce une pression importante pour assurer la croissance de votre entreprise. Comment cette pression se répercute-t-elle de manière opérationnelle ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je ne parlerais pas de pression à la croissance. InfraVia a aussi pour objectif de tirer profit du potentiel de croissance à l’international du groupe. Il s’agit d’examiner les opportunités d’ouverture de crèches en dehors de la France. Compte tenu de notre maillage, des prix de l’immobilier et des difficultés de recrutement, nous sommes extrêmement vigilants sur les nouvelles ouvertures de crèches en France. Notre potentiel de croissance en France est donc beaucoup plus limité. En 2023, nous avons ouvert une quinzaine d’établissements.

M. le président Thibault Bazin. Ces chiffres correspondent-ils aux objectifs qui vous ont été assignés ?

M. Sacha Tikhomiroff. Oui.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Les objectifs de croissance ont des implications opérationnelles, car pour se développer, il faut dégager des marges. Personnellement, j’ai été particulièrement interpellé par une information mentionnée dans une enquête journalistique publiée l’automne dernier : votre groupe aurait créé une prime destinée aux directrices d’EAJE reposant sur les économies sur les repas servis aux enfants. Dans cette logique, le nombre de repas commandés doit être aussi proche que possible du nombre d’enfants présents. Cette prime, d’un montant de 300 euros, incite par conséquent les directrices à limiter les commandes de repas. D’après les témoignages recueillis par les journalistes, cette mesure aurait conduit certaines directrices à commander un nombre insuffisant de repas par rapport au nombre d’enfants. Pouvez-vous nous confirmer l’existence de cette prime ? Si tel est le cas, quel dirigeant de votre entreprise a pu avoir l’idée d’instaurer une prime visant à réaliser des économies sur l’alimentation des bébés ? Comment ce processus a-t-il été élaboré et validé ?

Mme Élodie Colas. Je vais répondre en premier lieu sur la question des repas, qui me semble fondamentale. Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de rationnement des repas des enfants. La consigne est bien de commander au moins 100 % des repas par rapport au nombre d’enfants prévus. En 2023, nous avons reçu 150 % de repas, ce qui représente un excédent de 250 000 repas environ : l’équivalent d’un déjeuner pour la ville de Bordeaux. Étant une entreprise engagée dans une démarche RSE, nous avons à cœur de sensibiliser nos équipes à la problématique du gaspillage alimentaire.

La prime est corrélée avec des indicateurs majeurs sur la qualité de service, à commencer par la satisfaction des familles, la satisfaction des équipes, le déploiement de notre label qualité, le chiffre d’affaires PSU et le taux d’encadrement.

En 2021, les commandes de repas non servis avaient atteint un taux important, et c’est pourquoi nous avions décidé de sensibiliser nos directrices de crèche sur ce sujet. Nous avions alors introduit un critère de prime relatif à cet indicateur, mais il a été supprimé en 2022.

S’agissant des conditions de travail, sachez que nous questionnons chaque année nos équipes sur leur bien-être au travail. Les personnels sont accompagnés au quotidien par les directrices de crèche, et des temps de réunion d’équipe sont prévus. Les responsables de secteur sont présents sur les sites au moins une fois par mois, et les chargés de mission RH interviennent dans les crèches. En complément, des psychologues viennent animer des sessions de pratiques entre professionnels. Autant de mesures qui nous permettent d’échanger librement sur les conditions de travail des collaborateurs et de définir des actions adaptées à chaque structure.

J’ajoute que nos équipes sont pleinement mobilisées sur notre projet pédagogique, surnommé « 5 C ». Cette semaine est d’ailleurs consacrée à la petite enfance, et nos équipes font preuve de beaucoup de créativité à cette occasion. Je vous invite à visiter nos établissements pour prendre connaissance de leur travail.

M. le president Thibault Bazin. Vous n’avez pas répondu à une question de notre collègue : qui a eu l’idée de ce critère de prime ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je voudrais rappeler qu’il y a toujours eu assez de repas pour les enfants accueillis dans les crèches, et qu’il en sera toujours ainsi. Toute crèche dispose d’un stock de sécurité de plusieurs jours, qui permet de pallier d’éventuels retards de livraison ou autres dysfonctionnements. Je le répète : tous les enfants ont toujours eu suffisamment à manger, et il serait absurde de croire que des infirmières ou des puéricultrices puissent chercher à rationner les enfants. Cette allégation est contraire à la réalité.

La démarche initiée autour de la prime sur les objectifs de commande de repas s’inscrit dans le contexte de la loi Egalim, qui visait à inciter les opérateurs à limiter le gaspillage alimentaire.

M. le président Thibault Bazin. Je me permets d’insister : qui avait imaginé cette prime ? Est-ce l’actionnaire ? Est-ce vous-même, en tant que directeur général ?

M. Sacha Tikhomiroff. Non, je n’étais pas là à l’époque.

M. le président Thibault Bazin. Madame Colas, étiez-vous déjà en poste dans l’entreprise à cette époque ?

Mme Élodie Colas. Oui. Je faisais partie de la direction des opérations, qui avait effectivement décidé de créer cet indicateur.

M. le président Thibault Bazin. Comment s’appelle la directrice des opérations ?

Mme Élodie Colas. Elle se nomme Clémence Duchesne. Je précise que tous les directeurs régionaux travaillent avec elle pour définir les objectifs des directrices de crèche. Encore une fois, notre objectif est d’assurer l’accueil des enfants, leur éveil, leur sécurité et leur bien-être.

Mme Anne Bergantz (Dem). Aujourd’hui, 80 % des places en crèche sont créées par des opérateurs privés. D’après les estimations de l’Igas, le coût d’investissement par berceau varie du simple à plus du double entre le privé et le public, allant de 20 410 euros dans le privé à 47 908 euros dans le public.

Quel est le montant des investissements engagés par votre groupe pour la création de berceaux ? Comment expliquez-vous cette différence de coût entre le privé et le public ? Est-elle due à une stratégie immobilière différente ?

Par ailleurs, quel est le montant moyen de l’aide à l’investissement par berceau versée par la CAF ? Cette administration réalise-t-elle des contrôles sur le devenir de ces subventions, au-delà de la première année ? Je crois savoir que les structures bénéficiant de cette aide à l’investissement sont tenues de rester ouvertes pendant dix ans.

J’aimerais également connaître la durée de vie de vos structures. Enfin, existe-t-il un effet d’aubaine lié à l’aide à l’investissement de la CAF ? En d’autres termes, le système n’incite-t-il pas les entreprises à fermer une crèche au bout de dix ans pour en rouvrir une autre afin d’obtenir une nouvelle subvention ?

M. Sacha Tikhomiroff. Le coût d’investissement par berceau, avant réception des aides de la CAF, s’échelonne entre 25 000 et 30 000 euros par berceau. C’est la dépense que nous devons engager pour l’ouverture d’un berceau. Ce coût varie en fonction de l’état du bâtiment et des travaux à réaliser.

La CAF propose différentes aides à l’investissement, qui sont versées en contrepartie d’une exploitation de la structure pendant dix ans. Les aides de la CAF vont de 6 000 à 8 000 euros, mais certaines structures, notamment les micro-crèches ne peuvent pas en bénéficier.

En tant qu’opérateurs privés, nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes que les opérateurs publics. Cette flexibilité nous permet d’aller plus vite qu’avec des marchés publics.

La CAF contrôle les investissements la première année. Si la crèche est arrêtée avant l’expiration du délai de dix ans, nous sommes tenus de rembourser l’aide au prorata.

La durée de vie d’une crèche est extrêmement variable. Un établissement peut nécessiter une rénovation complète après dix ans d’exploitation, ou simplement une rénovation partielle.

Quant à « l’effet d’aubaine » que vous avez évoqué, il ne correspond pas du tout à notre pratique. Il faut compter deux à trois ans pour installer une crèche et asseoir sa réputation. Il ne serait donc pas envisageable de la fermer au bout de dix ans aux seules fins de percevoir une nouvelle subvention.

M. Joël Aviragnet (SOC). Alors que plusieurs enquêtes et livres ont révélé des dysfonctionnements parfois graves au sein d’entreprises de crèches, cette commission d’enquête a été constituée. Le rapport de nos collègues Isabelle Santiago et Michèle Peyron avait déjà émis de nombreuses recommandations intéressantes, notamment concernant le taux d’encadrement. Celui-ci est aujourd’hui largement insuffisant et peut ouvrir la porte à des pratiques négligentes, voire maltraitantes.

Je sais bien qu’il existe une crise des vocations dans le secteur de la petite enfance, mais je demeure persuadé qu’avec des salaires plus élevés et des conditions de travail améliorées, les entreprises de crèches auraient moins de difficultés à recruter.

Ce rapport nous enjoignait aussi de construire une politique collective d’accueil de la petite enfance centrée autour des besoins fondamentaux de l’enfant, à l’exclusion de logiques financières. Or les entreprises de crèches privées à but lucratif sont par essence dans une logique de profit financier. 5 % d’entre elles atteignent un taux de rentabilité de 25 %, tandis que 1 % affichent une rentabilité de 65 %, ce qui est colossal.

Les entreprises de crèches sont très largement subventionnées par l’État. Comment expliquez-vous un taux de profitabilité aussi élevé, qui est ahurissant pour des entreprises bénéficiant de subventions publiques ?

S’agissant des contrôles, vous avez fait allusion à des contrôles inopinés, notamment de la PMI. En quoi consistent-ils ? À mon sens, les contrôles sur pièces sont clairement insuffisants. Les salariés sont-ils auditionnés dans le cadre de ces contrôles ? Seules les personnes comptables de la réalité du terrain sont en mesure de décrire la situation concrète.

Vous avez également mentionné des évaluations externes. Qui rémunère ces évaluateurs ?

Enfin, je m’interroge sur le rôle des fonds dans les crèches privées à but lucratif. Pour tenir leurs objectifs de croissance et continuer de se développer, les entreprises de crèches recherchent des partenariats avec des fonds d’investissement. Ces derniers sont réputés pour leur quête de rentabilité, souvent au détriment des aspects humains. Or, dans la mesure où l’accueil des jeunes enfants est centré sur la dimension humaine, comment entendez-vous garantir la bientraitance des jeunes enfants tout en soutenant une logique de rentabilité financière ? Ces deux exigences paraissent difficilement compatibles.

Mme Élodie Colas. Je vous confirme que nous respectons toujours les taux d’encadrement, fixés aujourd’hui à un encadrant pour cinq non marcheurs et un encadrant pour huit marcheurs. Nous sommes favorables à une diminution de ces taux, mais cela implique une formation complémentaire des personnels de catégorie 1, dans laquelle nous sommes résolument engagés. D’ailleurs, nous sommes parfois amenés à réduire l’amplitude horaire de nos crèches ou à limiter l’accueil des enfants, notamment en cas d’absentéisme, pour respecter les taux d’encadrement.

Concernant les salaires et les avantages, notre entreprise se situe dans la moyenne haute du secteur. Chaque année, nous tenons des négociations annuelles avec nos représentants du personnel. Comme je l’ai signalé, nous avons mis en place le maintien du salaire net pendant le congé maternité. C’est une avancée majeure, d’autant plus que les femmes sont très majoritaires dans nos effectifs.

En outre, notre entreprise offre un solide socle de formations et un parcours de carrière intéressant, et j’en suis l’exemple. Grâce à ce dispositif, nous pouvons assurer la montée en compétences de titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) petite enfance vers un poste de direction de crèche.

Les contrôles des services de la PMI ne se limitent pas aux aspects administratifs et documentaires : la PMI se déplace dans les crèches, visite tous les espaces des établissements et contrôle de nombreux points : les protocoles de surveillance de sommeil ou d’entretien des locaux, les normes réglementaires, le taux d’encadrement, les dossiers du personnel (extraits de casier judiciaire et diplômes). La PMI observe aussi les pratiques pédagogiques des équipes. Il s’agit donc de contrôles assez complets.

M. Sacha Tikhomiroff. Les évaluateurs externes de la société de certification SGS sont rémunérés par nos soins.

Pour ce qui est des contrôles PMI, nous serions favorables à ce que les résultats soient rendus publics, ce qui garantirait une transparence totale.

En ce qui concerne la profitabilité, je vous ai apporté des précisions sur les chiffres de notre groupe. Je ne peux vous répondre au nom des autres entreprises.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Je tiens à préciser que Mme Clémence Duchesne, dont le nom a été cité par Mme Colas en réponse à la question de William Martinet, est une ancienne collaboratrice du cabinet McKinsey. C’est avec elle, madame Colas, que vous avez eu l’idée d’une prime de 10 % pour les directrices et directeurs de crèche atteignant les objectifs de réduction de gaspillage des repas.

Il existe bien en France une loi anti-gaspillage que votre groupe peut librement s’appliquer à lui-même mais, en tout état de cause, cette loi n’a jamais eu pour objectif le rationnement des repas des enfants accueillis en crèche. Vous avez beau réfuter catégoriquement cette affirmation, de nombreux témoignages de parents contredisent vos propos. J’en veux pour preuve un témoignage en date de décembre 2023, qui confirme des restrictions sur les repas dans une crèche tenue par Les Petits Chaperons Rouges.

Monsieur Tikhomiroff, vous avez déclaré, au début de cette audition, que vous étiez fier de représenter les salariés et les employés de votre entreprise. Je tiens à vous rappeler que vous ne les représentez pas : les salariés sont représentés par les syndicats, et certainement pas par la direction de l’entreprise.

En décembre 2020, France 3 avait diffusé un documentaire consacré à votre groupe. À cette époque, un rapport du CHSCT dénonçait des sections en sous-effectif, des situations de grande souffrance, des professionnels très souvent en dessous du taux d’encadrement, des situations de maltraitance, des enfants bousculés pour les forcer à se déplacer, des cris sur des enfants qui ne voulaient pas se taire et des humiliations. Le rapport estimait que « la maltraitance pourrait être issue, pour une large part, de déterminants organisationnels ».

Je suppose que le documentaire diffusé par France 3 a été un traumatisme pour votre groupe. En dehors de la volonté de la direction de licencier les deux syndicalistes accusés d’avoir diffusé ce rapport, une enquête interne a-t-elle été diligentée ? Quelles mesures d’encadrement, d’amélioration des formations ou de suppression des objectifs inadéquats avez-vous mises en œuvre suite à ce documentaire ?

Enfin, dans la mesure où les derniers témoignages sur le rationnement des repas datent de décembre 2023, pouvez-vous nous faire part des actions déployées pour éviter la répétition de ces problèmes ?

Mme Élodie Colas. Je précise que le montant de la prime peut aller jusqu’à 10 % de la rémunération annuelle brute. Toutefois, le critère relatif à la commande de repas représentait un infime pourcentage du total.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Cet « infime pourcentage » représentait entre 10 et 11 % du montant total de la prime.

Mme Élodie Colas. En d’autres termes, ce critère pouvait atteindre 10 % d’une bonification équivalente à 10 % de la rémunération annuelle brute.

En tout état de cause, je tiens à réaffirmer que tous les enfants ont toujours eu un repas. Je peux le confirmer puisque je travaille dans l’entreprise depuis quatorze ans. D’ailleurs, comme cela a été précisé, les crèches disposent d’un stock de sécurité.

En 2023, nous avons connu un dysfonctionnement sur la crèche de Vitrolles. Il s’agit d’un cas isolé, imputable à une erreur individuelle qui a été sanctionnée par le licenciement de la directrice. Cette dernière n’avait pas respecté les règles de commande, puisqu’elle commandait parfois moins de repas que le nombre d’enfants présents. Malheureusement, nous avons découvert cet incident tardivement. Il n’en reste pas moins que tous les enfants ont pu recevoir leurs repas quotidiens, grâce au stock de sécurité. Cette situation nous a conduits à réfléchir à nos pratiques, et nous avons renforcé les contrôles sur les commandes de repas pour prévenir de nouveaux dysfonctionnements.

Concernant le rapport du CHSCT, je connais bien le sujet puisque j’ai moi-même été responsable de la crèche d’Enghien-les-Bains, qui est gérée depuis quatorze ans par Les Petits Chaperons Rouges pour le compte de la ville. De mémoire, cette enquête avait été diligentée par un représentant de la CGT. Elle ne reflétait absolument pas les conditions de travail des équipes ni les conditions d’accueil des enfants. Les familles étaient très satisfaites de cet accueil, et c’est encore le cas aujourd’hui.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Vous nous assurez que la situation est pleinement satisfaisante. Pourtant, force est de constater que de nombreux témoignages des organisations syndicales démentent vos affirmations.

Je vous demande de nouveau de nous expliquer ce que vous avez fait depuis la parution de ce rapport, en 2020. Je répète que dans un article paru en 2023, des parents ont dénoncé des manques dans les repas servis à leur enfant. Nous avons besoin de comprendre si la logique de rentabilité et d’économies aboutit à une dégradation des conditions de travail et des conditions d’accueil.

M. Sacha Tikhomiroff. Je pense que c’est tout le contraire. Les standards de qualité se renforcent.

Pour répondre à votre question, madame la députée, sachez qu’à chaque incident, nous lançons une enquête interne. Nous l’avons fait en 2020 comme à chaque fois que nous avons eu à traiter un témoignage de parents. Nous menons une enquête interne pour qualifier les faits, déterminer s’ils sont de nature individuelle ou systémique et s’il convient de revoir les process.

D’autre part, nous avons mis en place deux enquêtes annuelles de satisfaction destinées aux parents. Les résultats, anonymes, nous permettent d’évaluer la satisfaction des parents pour chaque crèche. Nous avons aussi désigné un « référent parents » par crèche, avec qui nous sommes en contact. Nous sommes donc pleinement informés de la situation de chaque crèche.

M. le président Thibault Bazin. La question de Mme Chikirou est très précise : quelles actions avez-vous mises en œuvre suite au rapport du CHSCT ?

Mme Élodie Colas. Nous avons vraiment renforcé les échanges avec les représentants du personnel. Il est bien évident que ce type de remontées dénote un climat peu favorable. Les nouveaux avantages sociaux instaurés ont aussi contribué à l’amélioration des conditions de travail.

Les équipes sont focalisées sur la qualité de l’accueil des enfants. Les conditions de travail dépendent du temps accordé aux équipes et du sens donné à leurs pratiques.

Je ne prétends pas que tout est parfait, mais j’insiste sur le fait que nous nous inscrivons dans une démarche d’amélioration continue.

Lorsque nous avons connaissance d’un incident, nous nous interrogeons sur nos pratiques et nous nous efforçons de les adapter au mieux.

Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). L’ouvrage Babyzness révèle qu’en décembre 2018, dans la banlieue de Toulouse, la direction d’une crèche de votre groupe a renvoyé sans préambule une vingtaine d’enfants. Dans un délai de deux semaines, leurs parents ont dû trouver un autre mode de garde. Ce revirement faisait suite à un contrat important de réservation de berceaux que la crèche en question venait de signer avec l’entreprise Airbus, l’un des plus gros pourvoyeurs d’emplois à Toulouse.

« J’ai eu l’impression d’être un numéro. Mon fils était traité comme un morceau de viande. C’était le pot de terre contre le pot de fer. Nous, on ne faisait pas le poids face à Airbus, et c’était à qui allait pouvoir recaser son enfant à droite ou à gauche en deux semaines », déclare l’un des pères dont les propos sont rapportés dans ce livre.

On imagine aisément le désarroi des parents, les conséquences de cette décision pour l’équilibre de l’enfant et de la famille et pour la situation professionnelle des parents. On comprend aussi que l’objectif de la crèche était de conserver les vingt berceaux remplis jusqu’à fin décembre, avant l’arrivée des salariés d’Airbus. C’est probablement pour cette raison que les parents n’ont pas été prévenus plus tôt.

Pour couronner le tout, le père qui a témoigné envisageait de faire une pétition avec d’autres parents. Il a reçu un appel du service juridique des Petits Chaperons Rouges lui intimant de cesser de parler à la presse s’il ne souhaitait pas être attaqué en diffamation. « Ils voulaient me faire taire, ils ont réussi », conclut-il, en précisant qu’il n’a pas souhaité engager de procédure juridique.

La pratique consistant à interrompre brutalement l’accueil d’un enfant pour favoriser une réservation d’entreprise plus rentable est-elle toujours d’actualité ? À quelle fréquence survient-elle ? Est-il courant, dans la pratique de votre groupe, de menacer des parents de plainte en diffamation ? Y a-t-il eu d’autres cas de ce type ?

M. Sacha Tikhomiroff. Pour répondre à votre dernière question, cette pratique n’est absolument pas courante, et à ma connaissance, nous n’y avons pas eu recours.

Comme nous l’avons vu, le coût de la place ne peut être couvert sans avoir de réservataire. La structure actuelle de la PSU nous impose d’avoir un réservataire public ou privé, qui complémente la part supportée par la CAF et la part prise en charge par les parents.

Lorsque nous disposons de places non attribuées à des entreprises ou à des réservataires publics, nous les proposons à des parents pour leur rendre service. Ces derniers sont informés très clairement que leur enfant peut être accueilli à titre temporaire, et qu’un préavis de deux mois est observé si l’accueil doit être arrêté. Les parents signent donc le contrat en connaissance de cause. Cette pratique est marginale, mais elle a encore cours.

Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). En l’occurrence, le préavis de deux mois n’a pas été respecté. Comment justifiez-vous cela ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je ne connais pas les détails de ce cas. Le préavis de deux mois est fixé contractuellement, et il est respecté par notre entreprise. Cela ne fait aucun doute.

Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). Dans le cas évoqué, une vingtaine de parents disent avoir été prévenus très tardivement.

Je reviens sur les menaces mentionnées précédemment. Pouvez-vous nous assurer que votre entreprise n’a pas eu recours à cette pratique ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je vous confirme que nous n’avons pas adressé de menaces à un parent.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. D’après vous, les informations avancées dans l’ouvrage Babyzness sont fausses. Dès lors, prévoyez-vous d’engager une procédure pour diffamation ?

Vous prétendez également que les éléments mis en avant dans le rapport du CHSCT de votre entreprise sont faux. Permettez-moi de vous faire part de ma surprise. J’aimerais entendre votre réponse sur ce point.

S’agissant de la structure capitalistique de votre groupe, nous avons appris que le groupe Arkéa ferait partie de vos actionnaires. Est-ce le cas, et si oui, quelle part de votre capital détient-il ?

En ce qui concerne les micro-crèches, vous avez déclaré que vous avez fait le choix, avant même la survenue du drame de Lyon, d’affecter deux professionnels pour l’ouverture et la fermeture des micro-crèches. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette information. Néanmoins, dans nos échanges sur le terrain, il nous a été expliqué qu’une organisation de ce type n’est pas viable sur le plan financier. Pouvez-vous donc nous préciser comment vous parvenez à couvrir financièrement la présence de deux professionnels à l’ouverture et à la fermeture des micro-crèches ? Si la facturation n’a pas été revue en conséquence, faut-il comprendre que vous exploitez ces micro-crèches à perte ou que vous disposez d’une marge suffisante pour financer ces deux postes ?

Mme Élodie Colas. J’ai affirmé que les propos figurant dans l’enquête du CHSCT étaient exagérés. Cette enquête avait été diligentée par le représentant CGT, avec qui nos échanges étaient difficiles. D’ailleurs, nous n’avons connu aucun mouvement social sur cette structure depuis trois ans, alors que les mouvements nationaux de grève sont récurrents dans notre secteur. Cet exemple montre bien que le climat social dans notre entreprise est très bon.

M. Sacha Tikhomiroff. Madame la rapporteure, je vous confirme que nous avons déposé une plainte en diffamation contre l’éditeur et contre la journaliste auteure du livre Babyzness, en réponse à certaines allégations que nous jugeons incorrectes et diffamatoires.

M. le président Thibault Bazin. Lorsque nous les avons auditionnées, ces personnes n’avaient pas connaissance de votre plainte.

M. Sacha Tikhomiroff. Nous avons bien porté plainte auprès du procureur, il y a quelques mois.

M. le président Thibault Bazin. Avez-vous entrepris la même démarche envers l’éditeur et l’auteur du livre Le prix du berceau ?

M. Sacha Tikhomiroff. Oui.

M. le président Thibault Bazin. Pourrez-vous nous préciser les dates de ces procédures ?

M. Sacha Tikhomiroff. Oui.

Pour répondre à votre question sur les micro-crèches, madame la rapporteure, il est certain que l’affectation de deux professionnels à l’ouverture et à la fermeture de la structure a un impact financier. Cette décision n’a pas été répercutée sur la facturation, et c’est l’une des raisons pour lesquelles le résultat enregistré en 2023 s’établit à + 0,5 %.

Par ailleurs, je précise que le groupe Arkéa n’est pas présent à notre capital.

M. le président Thibault Bazin. Ce groupe n’a-t-il jamais été présent à votre capital ?

M. Sacha Tikhomiroff. Je préciserai cette information après l’audition.

M. le président Thibault Bazin. Merci. Monsieur Tikhomiroff, madame Colas, j’ai bien noté que vous devez nous fournir un certain nombre d’éléments à l’issue de cette audition. Nous les attendons. Je vous remercie.

 

La séance est levée à 13 heures 25.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 11 h 50

 

Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Émilie Bonnivard, Mme Sophia Chikirou, M. Thierry Frappé, Mme Élise Leboucher, Mme Alexandra Martin (Gironde), M. William Martinet, Mme Anne Stambach-Terrenoir