Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de dirigeants de l’entreprise La Maison Bleue : Mme Claire Laot, directrice générale, et M. Riad Bouchekioua, directeur régional Île-de-France Est 2
Mercredi 20 mars 2024
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 24
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Anne Bergantz,
Vice-Présidente
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La séance est ouverte à 17 heures 30.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des dirigeants de La Maison Bleue : Mme Claire Laot, directrice générale, et M. Riad Bouchekioua, directeur régional Île-de-France Est.
Mme Anne Bergantz, présidente. Pour notre quatrième audition nous accueillons Mme Claire Laot, directrice générale de La Maison Bleue, et M. Riad Bouchekioua, directeur régional Île-de-France Est.
La Maison bleue est dirigée par Sylvain Forestier, fondateur et actionnaire majoritaire de l’entreprise depuis sa création il y a une vingtaine d’années. Mme Laot a été nommée directrice générale en 2022, un poste nouvellement créé. Vous affichez un réseau de 500 crèches installées partout en France et en Europe – Suisse, Luxembourg et Royaume-Uni – qui accueille 20 000 enfants chaque jour.
Nous comptons sur vous pour nous exposer rapidement l’organisation de votre entreprise. Par organisation, j’entends aussi bien la façon dont l’entreprise se déploie sur nos territoires que le fonctionnement du groupe lui-même, en France et à l’étranger.
Mme la rapporteure vous a adressé, comme à l’ensemble des personnes que nous auditionnons, un questionnaire préparatoire.
Cette audition, je le précise, est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Je rappelle enfin que nous avons tenu à recevoir le même jour les quatre grandes entreprises du secteur dit des crèches privées, qui ont été récemment placées sous le feu des projecteurs à l’occasion de la parution d’ouvrages et la publication de rapports, mais qu’il n’y a pas eu d’ordre prédéterminé de passage. Nous sommes soucieux de vous entendre dans le cadre du périmètre de notre commission d’enquête qui concerne l’ensemble du secteur des crèches, les auditions ayant jusqu’à présent montré que la distinction entre public, privé et associatif recouvrait une réalité parfois plus complexe.
Il me reste à vous rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Claire Laot et M. Riad Bouchekioua prêtent successivement serment.)
Mme Claire Laot. Merci de nous auditionner dans le cadre de cette commission d’enquête : l’accueil des jeunes enfants en crèche est un sujet grave qui mérite toute l’attention de la représentation nationale. Nous sommes heureux de pouvoir contribuer à cette réflexion afin de donner à la petite enfance toute la place qu’elle mérite dans notre société.
Je vais présenter rapidement La Maison Bleue et la façon dont nous envisageons notre métier.
La Maison Bleue est un groupe privé spécialisé dans l’accueil du jeune enfant. Il a été cofondé en 2004 par Sylvain Forestier et Antonia Ryckbosch, infirmière puéricultrice, retraitée depuis. Cela fait donc vingt ans que nous accompagnons les collectivités locales, les entreprises, les parents.
Nous gérons environ 380 crèches en France, le reste étant à l’étranger –quatre‑vingt‑dix à peu près au Royaume-Uni, une cinquantaine en Suisse et une vingtaine au Luxembourg. Notre groupe compte plus de 6 000 collaborateurs, dont 4 000 en France, et plus de 25 000 enfants sont accueillis chaque jour dans nos crèches, dont 20 000 en France.
Nous sommes un opérateur privé, mais nous répondons à un besoin de service public. C’est ce qui nous a déterminés à faire le choix de devenir une entreprise à mission, processus qui s’achèvera à l’été 2024. Cette mission et le sens du service, c’est ce qui anime au quotidien un grand nombre de nos collaborateurs, et c’est ce qui m’a personnellement poussée à rejoindre La Maison Bleue il y a treize ans. Devenir entreprise à mission est une transformation fondamentale pour une entreprise : nous nous dotons d’une nouvelle gouvernance qui analysera la façon dont nous répondons à cette mission et qui rendra des comptes aux parties prenantes – le conseil d’administration, moi-même, les salariés. C’est un projet que j’avais depuis longtemps, mais le besoin de transparence dans notre activité qui s’exprime depuis quelques mois m’a convaincue qu’il fallait agir rapidement.
Notre cœur de mission, c’est d’abord de garantir la sécurité affective et physique des enfants que nous accueillons, mais aussi de contribuer pleinement à leur éducation, de les aider à grandir et à devenir les adultes de demain. C’est également, bien sûr, de soutenir les parents dans cette responsabilité immense qu’est la parentalité.
Pour remplir cette mission, nous avons à cœur de nous interroger en permanence sur nos pratiques afin d’améliorer la qualité de notre accompagnement. C’est dans cet esprit que nous avons fait le choix, bien avant la sortie du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en mars 2023, de faire certifier nos pratiques par un audit indépendant, neutre et exigeant : depuis 2022, nous sommes certifiés VeriSelect petite enfance par Bureau Veritas. C’est cette même exigence de qualité qui nous a fait mettre en place la ligne d’alerte Tous attentifs, qui vise à prévenir la maltraitance et qui a été saluée par l’équipe de Florence Dabin, dans le cadre de la mission confiée à cette dernière. La compétence de nos professionnels est au cœur de notre qualité de service, et c’est pourquoi nous avons fait le choix, dès janvier 2023, de renforcer significativement les binômes de direction dans nos crèches ; nous sommes ainsi bien mieux-disants que la réglementation.
L’année 2023 pourra être considérée, je pense, comme une année charnière pour le secteur de la petite enfance. À titre personnel, je m’en réjouis. Le secteur a besoin d’une réforme massive qui maintienne l’intérêt de l’enfant et des familles en son cœur. Si nous voulons renforcer et améliorer la mission d’accueil des jeunes enfants, il faut un électrochoc : une refonte majeure est nécessaire – sans opposer public et privé, ce qui n’aurait pas de sens. Nous pensons qu’il faut en priorité se doter des moyens de former les 10 000 professionnels qui nous manquent aujourd’hui ; et ce nombre ne fera qu’augmenter. Il faut des moyens financiers, bien sûr, mais aussi une prise de conscience par la société tout entière que notre métier est bien plus que de la garde qui doit se facturer à l’heure, et qu’il est absolument nécessaire pour les familles et pour la préservation de notre modèle social.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. On peut regretter l’absence de M. Sylvain Forestier, fondateur et toujours président de La Maison Bleue. Nous ne nous interdirons pas de l’interroger à un autre moment.
Quelle est la répartition de vos établissements selon leurs statuts – crèches ou micro-crèches – et selon leur financement, par la prestation de service unique (PSU) ou par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) ? Au sein des crèches financées par la PSU, quelle est la part des délégations de service public (DSP) et quelle est celle des entreprises ?
Mme Claire Laot. S’agissant de l’absence de M. Forestier, c’est à moi que la convocation a été adressée. On m’a proposé de venir avec la personne de mon choix, c’est pourquoi j’ai demandé à M. Bouchekioua de m’accompagner. Il n’y avait aucune volonté, de la part de Sylvain Forestier, de ne pas se présenter à cette audition.
Parmi nos 380 crèches en France, nous avons aujourd’hui précisément 136 multi-accueils en propre, c’est-à-dire que nous sommes locataires des locaux et que nous les exploitons en propre, sous format PSU. Nous avons 115 multi-accueils en délégation de service public sous format PSU. Nous avons 111 micro-crèches sous format Paje et nous avons 14 micro-crèches PSU, également en délégation de service public.
Elles sont réparties sur l’ensemble du territoire français, métropoles ou territoires ruraux, pas de façon homogène naturellement. Tout dépend de nos délégants, notamment dans les délégations de service public.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Qu’entendez-vous par « crèches PSU en propre » ?
Mme Claire Laot. Nous sommes locataires des murs, nous avons aménagé les locaux et nous commerçons avec des réservataires publics ou privés : des administrations, des collectivités, des entreprises. Ce sont des multi-accueils classiques.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Dans la mesure où le président Bazin a indiqué qu’une prochaine convocation partira à la destination du président du groupe Grandir, qui n’était pas non plus présent, je pense que vous pouvez indiquer à M. Forestier qu’il sera lui aussi prochainement convoqué.
Mes premières questions porteront sur l’actionnariat et le fonctionnement de votre groupe.
Pourriez-vous décrire, de façon précise et exhaustive, l’architecture globale de votre groupe, les multiples entreprises et sociétés qui le composent, le cas échéant, en nous détaillant leurs objets ?
Pourriez-vous aussi présenter la structure actionnariale et l’historique des mouvements en son sein ? Des fonds d’investissement sont présents dans votre capital. Comment expliquez-vous leur participation, dans la mesure où vous ne faites pas état de résultats financiers très importants ? Comment ces fonds y trouvent-ils leur compte ? Quels sont pour vous les avantages d’un adossement à des fonds d’investissement solides financièrement ? A contrario, quelles contraintes ces fonds font-ils peser sur le fonctionnement et le développement de votre entreprise ? En quoi ces contraintes diffèrent-elles des contraintes qui pourraient être imposées par un organisme de financement bancaire classique ?
Mme Claire Laot. Je commencerai par la structure actionnariale.
Le groupe La Maison Bleue est détenue par trois groupes de personnes : deux fonds d’investissement, le fonds TowerBrook et Bpifrance, et les actionnaires historiques, dont majoritairement Sylvain Forestier. TowerBrook et Bpifrance détiennent chacun 20 % des droits de vote ; ils sont minoritaires. Sylvain Forestier détient la majorité des droits de vote – pas celle des parts économiques, en revanche. Il est donc considéré comme actionnaire majoritaire de la société.
En ce qui concerne l’architecture globale de notre groupe, je me concentrerai sur la France, où se situe la très grande majorité de notre activité. Nous avons une structure un peu complexe, à propos de laquelle d’ailleurs j’ai eu l’occasion d’échanger avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) récemment.
Une société holding détient toutes nos activités de siège ; nous avons ensuite une multitude de sociétés juridiques pour nos crèches. En général, nous avons une société juridique par crèche ; ce n’est pas systématique : il arrive que, pour des raisons historiques, par exemple si nous avons acheté des sociétés, ou pour des raisons pratiques, nous ayons une société juridique pour deux ou trois crèches.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Avez-vous également une société juridique par micro-crèche ?
Vous avez décrit un capital détenu à 40 % par les fonds d’investissement et à 60 % par les autres actionnaires, dont Sylvain Forestier. Quelles sont les autres personnes ou entités présentes au capital ?
Mme Claire Laot. Nous avons en général deux à trois micro-crèches par société juridique, quand c’est pertinent d’un point de vue territorial, notamment si elles se situent dans le même département.
Tout à l’heure je parlais en droits de vote ; du point de vue économique, c’est différent. Sylvain Forestier détient 28 % du capital, TowerBrook en détient 27 % et Bpifrance 27 %. Mais, par le biais d’une holding qui détient la majorité des droits de vote, Sylvain Forestier contrôle le groupe.
S’agissant de la participation des fonds d’investissement, ils sont rentrés au capital de La Maison Bleue en 2016. Nous étions alors significativement plus petits. Ils ont acquis des parts sociales de la société, à un certain prix, à des actionnaires qui eux ont souhaité céder leurs parts. Je précise qu’aucun dividende n’a été versé par La Maison Bleue depuis sa création : les actionnaires n’ont jamais touché de dividende, ils ne se rémunèrent pas. C’est l’un des intérêts majeurs d’avoir des fonds d’investissement au capital : ils se rémunèrent non pas en touchant des dividendes, mais sur la croissance de la société. Nous avions 150 crèches quand ils ont investi, nous en avons aujourd’hui 500 : la part sociale prend de la valeur par la croissance. Ce mécanisme me semble vertueux, étant donné notamment la pénurie de places de crèches en France. Les fonds d’investissement ne captent aucune marge, mais il est dans l’intérêt de la société, au sens large, de créer ces places de crèches. C’est là que les fonds d’investissement trouvent leur compte.
Vous m’interrogiez aussi sur les contraintes que leur présence peut représenter pour nous. Elles sont très distinctes d’un groupe à l’autre, selon que les fonds détiennent ou non la majorité des droits de vote, selon la taille des fonds, selon leurs intérêts propres… Je ne saurais pas expliquer, d’une façon générale, quel est l’intérêt d’un fonds d’investissement ni décrire comment il se comporte avec les sociétés dans lesquelles il a investi. Mais, au sein de La Maison Bleue, les fonds sont minoritaires et leur impact est très faible. Ils m’imposent peu de contraintes. Ils demandent par exemple des évaluations claires de certaines décisions. J’ai évoqué tout à l’heure la mise en place dès janvier 2023 des binômes de direction : dans toutes nos crèches, quelle que soit leur taille, il y a un directeur ou une directrice de crèche à plein temps, sans présence auprès des enfants ; de même, dès quarante-cinq berceaux, nos crèches sont dotées d’adjoints de direction – là encore, nous allons au-delà de la réglementation. Ce sont des mesures extrêmement coûteuses – à peu près 4 millions d’euros par an – et j’ai évidemment dû les faire voter par mes actionnaires.
Plutôt que de nous financer exclusivement par la dette, nous avons préféré avoir des fonds d’investissement dans le capital. J’y vois deux intérêts : le premier est qu’ils ne rémunèrent pas le risque qu’ils prennent – au même titre que les fondateurs ou tout entrepreneur – au fur et à mesure sur les profits dégagés par l’activité de l’entreprise, ce qui est appréciable pour une structure en croissance comme la nôtre ; le second est qu’ils apportent des exigences, relatives aux finances comme à la réputation – la nôtre et la leur –, et des contraintes et nous demandent de rendre des comptes sur nos opérations.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. L’architecture du groupe est donc articulée autour d’une structure qui assume l’intégralité des frais de siège et de sociétés chargées de l'exploitation d’une ou plusieurs crèches. Cette architecture est-elle complétée par des structures de formation ou des sociétés civiles immobilières ?
Mme Claire Laot. Le groupe comprend également une société civile immobilière pour quatre établissements financés par un crédit-bail, et qui l’ont été à la demande des collectivités pour lesquelles nous opérons des crèches sous la forme d’une délégation de service public (DSP) concessive. Ces crèches devront donc être rétrocédées à l’issue du crédit-bail.
Sur d’éventuelles structures dédiées à la formation, je vous transmettrai l'information après vérification.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour la précision de votre réponse. Je souhaite maintenant vous interroger sur le modèle économique.
Pouvez-vous détailler le prix moyen d’un berceau au sein de votre réseau, en distinguant les berceaux en PSU et ceux en Paje ? Je pensais que ce distinguo correspondait à celui entre les crèches et les micro-crèches, mais je constate que vous opérez des micro-crèches en PSU. Pouvez-vous expliquer ce mécanisme ? Comment expliquez-vous les éventuels écarts de prix entre les crèches en Paje et les crèches en PSU ? Comment appréhendez-vous ces deux mécanismes de financement ?
Quel pourcentage le coût de commercialisation représente-t-il dans le prix du berceau ? Lorsqu’un enfant doit être accueilli dans une crèche de votre réseau partenaire, quelle est la part du prix du berceau qui est conservée par votre entreprise au titre de la commercialisation et quelle part est reversée à la structure gestionnaire de la crèche ? Je vous pose cette question car des responsables de crèches associatives que nous avons auditionnés nous ont indiqué que le prix facturé au tiers réservataire était le double du prix versé à la structure gestionnaire, ce qui me paraît totalement inacceptable. Confirmez-vous ou infirmez‑vous ces chiffres pour ce qui vous concerne ? Que pensez-vous par principe de ce dispositif de réservation ?
Bénéficiez-vous du crédit d’impôt famille (Cifam) en tant qu'entreprise réservataire pour les enfants des personnels de votre groupe ? Dans l’affirmative, quel est son montant et comment établissez-vous le prix du berceau sur la base duquel est établi le crédit d'impôt – sur la base du prix de revient du berceau ou sur celle du prix de commercialisation aux tiers ?
Au cas où vous seriez propriétaire des murs de crèches que vous gérez, qui détient la propriété : la société d’exploitation ou la holding ? Dans le cas contraire, comment fonctionnent vos baux ? Les loyers sont-ils validés au sein du groupe selon un mécanisme particulier ?
Le rapport l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la qualité de l’accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches constate, pour les établissements du secteur marchand dont le tiers financeur est une entreprise, une augmentation de 51,8 % du compte « autres charges », dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes. Comment expliquez-vous ces chiffres ?
Je constate que vous détenez un nombre conséquent de délégations de service public. Des rapports et ouvrages récents font état d’une tendance pour les grands groupes à proposer des prix cassés, ou en tout cas très en dessous du prix réel du berceau. J’imagine que vous candidatez vous-même à l’attribution de délégations de service public. Comment établissez‑vous votre prix et, le cas échéant, comment justifiez-vous l’écart avec les prix moyens que vous nous avez communiqués ?
La question de la maîtrise des coûts de fonctionnement se pose de façon particulière quand il s’agit de l’accueil et du bon développement des enfants. Comment y répondez-vous dans les crèches de votre groupe ?
Mme Claire Laot. Le coût de revient moyen d’un berceau se situe autour de 20 000 euros dans une crèche en PSU et autour de 25 000 euros dans une micro-crèche, qu’elle soit en PSU ou en Paje. La différence provient majoritairement de l’effet du loyer sur la répartition du nombre de berceaux, car toute structure doit accueillir des surfaces incompressibles, comme le bureau de la direction ou les locaux techniques.
Ces coûts de revient recouvrent des réalités très différentes, principalement dans le cadre de délégations de service public. En effet, dans ce cas, nous répondons à un cahier des charges établi par la collectivité, qui définit notamment les charges financières que nous devrons supporter. Dans la majorité des délégations de service public, un local est mis à disposition contre le versement d’une redevance qui peut, dans certains cas, être minime. Cette redevance n’est pas négociable et son montant vient en déduction du prix et donc du chiffre d’affaires. Elle n’apparaît donc pas dans le coût de revient. Nous souhaiterions pouvoir, d’une façon ou d’une autre, valoriser ce coût du loyer qui, dans le cadre d’une délégation de service public, est soit inexistant soit très éloigné de la réalité du marché. La question se pose également pour les collectivités et les associations et c’est une discussion que nous avons de façon récurrente avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)
Le chiffre de 20 000 euros correspond à la réalité de nos comptes de charge, mais il ne veut pas dire grand-chose.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Ce chiffre est proche de ceux des autres groupes que nous avons auditionnés, pour lesquels il varie entre 21 000 et 24 000 euros. Votre choix d’un binôme de direction pour des crèches de quarante-cinq berceaux et plus doit alourdir votre coût de revient. Le coût de ce binôme est-il inclus dans votre coût de revient moyen de 20 000 euros ?
Mme Claire Laot. Il est inclus, mais nous détenons beaucoup plus de délégations de service public que nos concurrents et, grâce à l’effet loyer que je viens de décrire, notre coût de revient moyen baisse.
J’ai prêté serment et je tiens à ce que mes réponses soient très claires : je ne connais pas notre coût de commercialisation. Je connais le coût des équipes en charge des partenariats, mais il existe de nombreux autres coûts associés à la commercialisation – coût du recrutement, coût de la gestion de la paye… Or je n’ai pas fait d’étude pour chaque service du temps consacré par chacun à la commercialisation.
Mme Anne Bergantz, présidente. Vous ne connaissez pas la charge salariale ?
Mme Claire Laot. Je peux obtenir ce chiffre et vous le communiquer, mais c’est quelque chose que je ne suis pas. De toute façon, il ne reflète pas à lui seul le coût de la commercialisation, car de nombreux autres coûts viennent s’y ajouter. Par exemple, nous gagnons la moitié des marchés de délégations de service public auxquels nous candidatons. Comment allouer les coûts afférents au temps passé à la moitié des candidatures perdues ?
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Dans le cadre d’une commercialisation à des entreprises par l’intermédiaire d’un partenaire, quel est le prix de vente à l’entreprise et quelle part de ce prix revient à votre partenaire ? Cette information est très importante et nous avons obtenu plusieurs réponses. Le rapport peut-il être du simple au double ? Concrètement, si vous vendez un berceau 12 000 euros à une entreprise, la crèche associative peut-elle compter sur 6 000 euros ?
Mme Claire Laot. Le coût de commercialisation dont je parlais représente le coût de négociation des partenariats et de vente des berceaux.
Avant de répondre à votre question sur le prix, je voudrais revenir sur le fonctionnement de notre réseau de partenaires.
Nous répondons aux marchés privés passés par des entreprises qui veulent réserver un nombre significatif de berceaux – cinquante ou soixante – pour leurs salariés. Une fois un marché gagné, nous étudions chacune des demandes des familles ayant droit à une place. Un des critères des demandes des familles est la proximité du domicile, qui évite des temps de trajet aux enfants et qui favorise l’égalité dans les ménages, car je constate que, le plus souvent, c’est la mère qui accompagne l’enfant. Nous poussons d’ailleurs les familles à choisir la proximité. Si nous n’avons pas de crèche à proximité, nous cherchons une crèche partenaire. Nous définissons alors le prix dans le cadre d’un contrat.
Mme Anne Bergantz, présidente. Vous imposez un prix ?
Mme Claire Laot. Non, le prix est toujours négocié dans le cadre de conventions de partenariat – je pourrai revenir sur le processus de construction de ces partenariats. Notre réseau compte aujourd’hui 95 % de crèches privées à but lucratif et 5 % de crèches associatives.
Une fois que la famille a choisi une crèche, nous mettons un prix en place. Si le partenaire ne peut pas ou ne veut pas accueillir l’enfant parce que le prix ne lui convient pas, il n’a aucune obligation d’accepter. Il nous arrive donc régulièrement d’avoir vendu une place à un certain prix mais de devoir l'acheter plus cher, mais le contrat, dans sa globalité, reste intéressant pour nous.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Quelle est votre marge par berceau ?
Mme Claire Laot. Je ne la connais pas.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Merci de nous communiquer cette information ultérieurement.
Mme Claire Laot. La vente de berceaux par les partenaires n’est pas une activité rémunératrice pour nous. Je préfère vendre les berceaux de nos crèches et, quand nous ne le faisons pas, c’est parce qu'aucune de nos crèches ne correspond aux souhaits de la famille. La vente par les partenaires ne répond pas à un souci lucratif : elle permet de répondre aux besoins d’une entreprise qui a réservé plusieurs dizaines de berceaux.
Mme Anne Bergantz, présidente. L’activité que vous réalisez avec vos partenaires est donc à la marge.
Mme Claire Laot. Oui, très clairement : sur les 16 000 berceaux que nous commercialisons aujourd’hui, seuls 1 000 sont réservés à des partenaires.
Nous bénéficions du Cifam, pour un montant d’environ 300 000 euros au bénéfice de nos salariés. Dans ce cadre, le prix du berceau est calculé sur la base du coût de revient, ce qu’aucun des contrôles fiscaux dont nous avons fait l’objet n’a remis en cause.
Pour répondre à la question de Mme la rapporteure sur notre modèle de portage immobilier, je rappelle que seules quatre crèches sont détenues par La Maison Bleue sous forme d’un crédit-bail dans le cadre d’une DSP concessive. La totalité de nos autres crèches – 136 multi-accueils en propre plus les micro-crèches en Paje – sont louées à des bailleurs de tout type de taille et de statut. Si le type de bailleur n’est pas un critère de choix, le coût du loyer l’est, bien entendu. Nous comparons la valeur locative de marché au loyer proposé avant de signer le bail.
Historiquement, le groupe a détenu une quinzaine de crèches en propre. Celles-ci n’appartiennent plus au groupe, mais à Sylvain Forestier lui-même. La cession de ces baux a été faite, je retrouverai la date exacte, en 2018 ou en 2019. Il a alors été fait appel, à la demande de nos fonds d’investissement, à une société externe spécialisée pour évaluer ces biens immobiliers afin d’éviter qu’ils ne soient cédés à un prix inférieur au marché. Ils ont donc été cédés sur la base de cette évaluation et les loyers ont été évalués par le même expert.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Aucun mur des bâtiments que vous louez ne peut appartenir à une société civile immobilière (SCI) possédée par Sylvain Forestier ?
Mme Claire Laot. Si, quinze bâtiments appartiennent à Sylvain Forestier.
Je ne comprends pas l’augmentation de 51 % du compte regroupant les « autres charges », pointée par l’Igas dans son rapport. Un tel compte englobe des éléments divers, comme les loyers, et pas uniquement les frais de siège. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a mené cette année un travail de clarification destiné à mieux identifier les différentes charges ; le compte d’exploitation que nous transmettons aux CAF est désormais plus précis. Je vous confirme que les frais de siège n’ont pas crû de 51 %. J’ai rencontré, à ma demande, des représentants de la Cnaf en janvier et je leur ai soumis notre méthode d’allocation des frais de siège et de répartition entre les crèches : j’attends leur retour sur une note portant sur la répartition des frais de siège que je leur ai transmise.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Pourriez-vous nous fournir des précisions sur l’évolution de ce compte depuis cinq ans ?
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La transmission d’éléments sur la ventilation de vos frais de siège serait en effet très précieuse pour nous.
Quelles sont les modalités de calcul du Cifam ? Vous avez affirmé que l’entreprise réservataire le calculait sur la base du prix de revient : cela signifie que vous fondez votre calcul sur la part normalement versée par le tiers financeur, qui n’existe pas puisque vous occupez vous-même ce rôle, que vous établissez en prenant compte le coût de revient puisque le reste est versé par la famille et la PSU. La part des familles et celle de la PSU représentent-elles 66 % ou moins ? Depuis le début des travaux de notre commission d’enquête, nous n’avons jamais rencontré de cas dans lequel cette somme atteignait 66 %.
Mme Claire Laot. Je vous transmettrai le détail du calcul du Cifam, que j’ignore. Le versement du réservataire ne couvre pas forcément le montant exact du coût de revient : il peut lui être supérieur ou inférieur, selon la nature de la structure réservataire. En effet, le prix moyen d’un berceau est plus élevé pour une entreprise que pour une collectivité territoriale. Il faut donc adopter une vision globale.
Dans la ventilation de la PSU, la part familiale et celle de la caisse d’allocations familiales (CAF) couvrent 63 % du coût de revient – environ 21 % pour la première et 42 % pour la seconde. J’ai cherché cette répartition dont nous ne suivons pas l’évolution ; en effet, le tarif horaire est le même, qu’il soit financé par la CAF ou par la famille. Je ne veux pas commencer à mener ce genre de réflexion, parce que nous accueillons toutes les familles, quelle que soit leur participation au financement. Je ne distingue donc pas la part acquittée par les familles de celle versée par la CAF : à la fin, il ne reste que le tarif horaire.
Une délégation de service public répond à un cahier des charges, dans lequel figurent les exigences de la collectivité locale. Le prix variera beaucoup selon la nature des demandes de la collectivité. Le loyer est l’élément principal du prix – ce dernier sera bien moins élevé en l’absence de loyer ; s’il y en a un, il y aura un effet de vase communiquant entre le chiffre d’affaires et les charges. Les requêtes des collectivités sont diverses : certaines exigent une alimentation intégralement issue de l’agriculture biologique, d’autres souhaitent des activités particulières ou imposent à la crèche de se fournir auprès de la cuisine centrale de la mairie qui impose son prix. Toutes ces charges constituent le prix final. Je pourrais le savoir très facilement, mais j’ignore le prix moyen dans le cadre d’une délégation de service public, tout simplement parce qu’un tel chiffre n’a aucun sens.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Nous serions tout de même intéressés de connaître ce prix moyen, une fois neutralisé le loyer, poste de dépense qui fait une grande différence.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Dans la phase de négociation avec les collectivités, jusqu’à quel prix avez-vous pu descendre ? Si le critère de la qualité est fortement pondéré, on se bat moins sur le prix ; quel niveau de prix dégrade la qualité de service et de prise en charge des enfants selon vous ?
M. Riad Bouchekioua. En tant que directeur régional, je veille à l’application du cahier des charges que la collectivité nous soumet dans le cadre d’une délégation de service public. Dès que nous recevons un cahier des charges, nous consultons notre direction des marchés publics pour connaître précisément le projet et les attentes de la collectivité. Lorsque le prix est élevé, nous nous demandons si nous parviendrons à déployer notre projet pédagogique. L’emplacement de la structure est également important : si elle se trouve dans une zone tendue, nous appliquons une grille salariale spécifique – par exemple à Paris, où recruter est très compliqué. Dans certains endroits, nous savons que nous perdrons l’appel d’offres car l’application de toutes nos mesures salariales gonflera excessivement le prix ; nous préférons, dans ce cas, nous concentrer sur d’autres projets.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. À quel niveau se situe en moyenne le critère du prix ? Atteint-il 60 ou 50 points ?
Mme Claire Laot. Je ne peux pas vous donner de moyenne, mais le critère du prix a longtemps été prépondérant : nous nous battons contre cette situation et nous refusons, en effet, de répondre à certaines offres de délégation de service public, même quand nous les avons déjà en gestion, car nous savons que nous ne serons pas capables d’opérer correctement. Pour répondre à une délégation de service public, il faut évidemment que nous puissions répondre au cahier des charges de la ville, mais également que nous rentrions dans nos coûts – charges salariales et ensemble des coûts associés à la gestion de la crèche, que l’on appelle les frais de siège et qui rémunèrent notamment les responsables de secteur et les directeurs régionaux : si tel n’est pas le cas, nous n’avons aucun intérêt à répondre à l’appel d’offres ; nous faisons de plus en plus souvent ce choix, notamment en Île-de-France, où la pénurie de personnels est la plus criante.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. La répartition entre les délégations de service public et les réservations pour les entreprises évolue-t-elle au détriment des premières ?
Mme Claire Laot. Il n’y a jamais eu autant d’appels d’offres de délégation de service public que depuis deux ans, car les mairies préfèrent s’en remettre à un prestataire pour faire ce métier qui n’est pas le leur ; en outre, elles ont davantage de visibilité sur le coût dans cette configuration, puisque le prix est fixe.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Vous vous abstenez donc parfois de répondre aux appels d’offres au motif que l’on vous demande l’impossible, à savoir des prix bas et une qualité élevée. Dès lors, la montée en puissance des demandes de délégation de service public a-t-elle une incidence sur la répartition de vos berceaux ?
Mme Claire Laot. Non, car nous avons continué à signer des baux et à aménager des crèches nous-mêmes ; nous avons toujours veillé à maintenir un équilibre : ainsi, un tiers de nos établissements assument une délégation de service public, un tiers font du multi-accueil en propre et un tiers sont des micro-crèches.
Votre question sur la maîtrise des coûts de fonctionnement me tient à cœur car on a beaucoup glosé sur le sujet. Par rapport aux loyers et à la masse salariale, le poids des dépenses de fonctionnement est assez mineur dans le coût total d’une crèche, donc nous n’avons aucun intérêt à le réduire. En outre, si nous tentions de le faire, nous mécontenterions les familles et nos professionnels. Une telle politique n’est absolument pas dans notre intérêt. Nous construisons ce poste de dépenses en partant du montant de l’année précédente que nous corrigeons de l’inflation et de l’évolution du nombre d’enfants. Nos directeurs et directrices de crèche effectuent leurs commandes d’alimentation, de matériel ou de couches de manière totalement libre : il n’y a aucun contrôle a priori, seulement une analyse a posteriori. Les directeurs ont d’ailleurs à leur disposition une carte bleue pour subvenir à des besoins urgents. Ils ne reçoivent aucune consigne non plus sur le nombre de couches ou de compotes par enfant.
M. Riad Bouchekioua. Nous accompagnons et nous formons les directrices de crèche, mais elles sont ensuite totalement autonomes, notamment pour les commandes et la gestion des stocks. La Maison Bleue ne donne aucune directive pour réduire les coûts de fonctionnement, et cela ne changera pas.
Dans ma région, qui regroupe 120 crèches et 3 300 berceaux, nous avons jeté 14,5 % des repas commandés en janvier à cause d’un plus grand nombre d’absences. Nous souhaitons néanmoins responsabiliser nos directrices pour que les parents nous préviennent des absences de leurs enfants et que nous puissions ajuster les stocks ; il n’y a aucune honte à gérer les stocks et à refuser de nourrir les poubelles, comme je le dis souvent aux directrices. Notre objectif est que les directions gèrent leur structure en bons parents.
Les directrices possèdent en effet une carte de paiement pour corriger d’éventuelles erreurs de commande, des reports de livraisons ou des présences d’enfants annoncés absents, dans un plafond de 500 euros par mois. Elles gèrent ainsi de manière autonome les stocks, mais elles peuvent également utiliser cet argent pour organiser des animations ou décorer la crèche.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Les délégations de service public augmentent au détriment des crèches gérées en régie publique directe. Ce n’est pas une critique à votre endroit, car cette évolution n’a pas de rapport avec les acteurs du secteur privé.
Nous allons maintenant aborder le chapitre dédié à la qualité de l’accueil.
Tout d’abord, je souhaite vous lire un extrait de l’un des ouvrages parus l’automne dernier : « Non, le secteur privé n’a pas le monopole des drames et des maltraitances graves sur enfant, mais les centaines d’entretiens que nous avons menés nous ont en revanche confortés sur un point : ces dix dernières années, les principales alertes pour des suspicions de maltraitance, pour des accidents, pour des dysfonctionnements importants dans les crèches proviennent principalement du secteur privé lucratif. » Quelle est votre réaction à ce constat ?
Quels mécanismes de contrôle interne avez-vous déployés pour vous assurer de la qualité de l’accueil des jeunes enfants dans vos établissements ? Vos procédures et vos pratiques ont-elles évolué après le drame intervenu dans une crèche de Lyon en juin 2022 ?
Je voudrais également savoir la fréquence à laquelle la PMI (protection maternelle et infantile) exerce ses contrôles au sein des établissements de votre groupe, et si les crèches de votre réseau font l’objet de contrôles inopinés. Vous êtes répartis sur tout le territoire : observez-vous sur ce point des différences selon les départements ?
Les établissements accueillant de jeunes enfants ont une obligation de déclarer auprès des PMI tout changement de personnel. Or certaines PMI nous indiquent que cette obligation n’est pas respectée, ce qui est pour elles une vraie difficulté. Avez-vous instauré, dans vos établissements, une procédure pour respecter cette obligation, et êtes-vous en mesure de vérifier que c’est effectivement le cas ?
Ma dernière question a trait à votre politique de management. Vous conviendrez que la qualité de l’accueil des jeunes enfants passe avant tout par des employés bien formés et qui se sentent bien dans leur travail. Je voudrais que vous détailliez le dispositif de binôme de direction que vous avez évoqué pour les crèches de plus de quarante-cinq berceaux. Comment financez-vous ce coût supplémentaire en ressources humaines ?
Il y a environ deux ans, dans une commune de ma circonscription, une structure a été reprise par La Maison Bleue dans le cadre d’une délégation de service public. De nombreuses salariées – car ce sont essentiellement des femmes qui travaillent dans les crèches – y font état d’une situation sociale alarmante, d’un management brutal, de discours humiliants, de pressions à la baisse sur leurs droits et sur leurs revenus ; tout cela dans le but, semble-t-il, de pousser l’équipe historique vers la sortie – puisque, lorsqu’on reprend une délégation de service public, on reprend le personnel. Si le but était bien celui-ci, ces pratiques semblent porter leurs fruits, et ont en tout cas des conséquences sur la santé physique et mentale des employées. Avez-vous connaissance de cette situation, et s’agit-il de pratiques courantes dans votre groupe ? Si vous n’en aviez pas connaissance, cela ne laisserait pas de poser problème. Je serai très attentive aux mécanismes de contrôle que vous avez instaurés.
Mme Claire Laot. Je vais répondre à vos questions dans l’ordre, même si la dernière me désole.
L’extrait que vous avez lu me conduit nécessairement à m’interroger sur nos pratiques. La maltraitance n’est pas l’apanage des crèches privées, mais cela ne doit pas nous empêcher d’entendre ce genre de message. J’interroge, nous interrogeons nos pratiques en permanence, parce qu’il n’est pas admissible qu’un enfant qui nous est confié puisse subir dans nos structures une situation de maltraitance. J’entends la citation que vous avez faite, mais je ne peux pas l’accepter.
Chaque cas de maltraitance qui m’est remonté est traité avec une fermeté sans égale. C’est aussi pour cela que nous avons ouvert, en mai 2023, la ligne Tous attentifs dont je vous ai déjà parlé. C’est une ligne directe, par e-mail, entre tous nos collaborateurs et notre référent éthique. Un collaborateur témoin d’une situation de maltraitance a la possibilité d’en parler avec ses supérieurs, le directeur de la crèche ou au-dessus, ou bien au département des ressources humaines. Mais il existe des appréhensions : le collaborateur peut craindre des représailles de la part du manager, ou penser, par méconnaissance, que cette intervention se trouvera inscrite dans son dossier.
La ligne directe, elle, est totalement anonymisée. Je ne sais pas qui a donné l’alerte, et je ne l’apprends jamais. L’alerte est communiquée à notre référent éthique et une enquête interne a lieu dans la crèche concernée, ainsi qu’auprès du département des ressources humaines. Si la maltraitance est avérée, nous prenons des mesures en fonction des cas, dont des sanctions disciplinaires ou le licenciement du salarié.
Cette ligne d’alerte peut également servir pour signaler une situation de harcèlement par un manager ou un collaborateur.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Avez-vous dû travailler à définir cette notion de maltraitance ? Et si vous identifiez un cas, avez-vous l’obligation de faire remonter l’information à la PMI ? Combien de cas de maltraitance avez-vous à traiter chaque année ?
Mme Claire Laot. Nous remontons bien sûr systématiquement l’information à la PMI. Nous demandons d’ailleurs qu’il existe un accès élargi aux fichiers, alors qu’à l’heure actuelle, une personne signalée dans un département pour des faits de maltraitance peut aller travailler dans le département d’à-côté. Il y a des progrès à faire en la matière pour nous éviter de recruter des employés maltraitants, ou qui ont été maltraitants.
En 2023, sauf erreur de ma part, j’ai eu connaissance de vingt-trois alertes. Six d’entre elles ont conduit au départ du salarié impliqué. Nous avons, depuis longtemps déjà, instauré dans nos structures des procédures d’audit : autocontrôles par les directeurs de crèche, contrôles par les supérieurs hiérarchiques que sont les responsables de secteur, et contrôles par un tiers indépendant, le Bureau Veritas. Le but est de couvrir le fonctionnement de la crèche dans son ensemble. À chaque non-conformité relevée par un audit, le directeur de la crèche concernée doit proposer un plan d’action correctif. Le niveau régional a une vision des plans d’action correctifs de chaque crèche. Je dispose pour ma part de mesures globales d’évolution me permettant de savoir si les non-conformités tendent à se réduire avec le temps sur un territoire donné, ou au contraire à augmenter. C’est ce qu’on appelle l’amélioration continue de la qualité : je suis en continu l’évolution de ces non-conformités, par les audits internes ou les audits externes.
Ces audits qualité – je laisserai M. Bouchekioua vous parler des audits pédagogiques – comptent 150 points de contrôle. Si nous constatons que des points de non-conformité reviennent entre plusieurs crèches, ou dans une région en particulier, nous faisons des rappels et nous proposons des modules de formation, y compris en en créant de nouveaux si nous nous rendons compte que nous étions passés à côté d’un sujet.
M. Riad Bouchekioua. La première chose que nous faisons, quand un cas de maltraitance nous est remonté, c’est de prendre des nouvelles de l’enfant. C’est le plus important. Nous prenons également des nouvelles des parents, et leur donnons les informations dont nous disposons. Cela se fait en toute transparence. Toute information précise est immédiatement transmise à la PMI ; si la situation est un peu compliquée et que nous n’arrivons pas à comprendre ce qui s’est produit, nous lui envoyons les informations en précisant qu’elles ne sont que partielles. Nous faisons également remonter l’information jusqu’à Mme Laot pour qu’une cellule de crise puisse être installée, si nécessaire. Nous nous penchons ensuite sur l’accompagnement des familles.
La ou les personnes responsables de l’acte de maltraitance font immédiatement l’objet de mesures disciplinaires, en fonction de la gravité de l’acte. Cela peut aller jusqu’au licenciement. Mais si nous nous arrêtons là, nous n’aurons fait qu’évacuer le problème sans identifier son origine. Nous procédons donc à une enquête interne afin de savoir comment cela a pu se produire. C’est très important pour nous, car les conséquences de ces situations ne s’arrêtent pas à l’enfant et à sa famille : il n’est pas facile, pour l’équipe restante, de faire face à un cas de maltraitance dans la structure. Nous les accompagnons au moyen d’une cellule psychologique, et nous entreprenons des plans d’action : formation, accompagnement, actions managériales.
Nous avons tout récemment décidé, et c’est un vrai défi, de déclarer tous les événements indésirables qui peuvent survenir dans une structure : une morsure, un enfant qui tombe, etc. On ne pourra pas tout recenser, mais cela a déjà produit une nette amélioration, toujours dans un souci de transparence. Ces informations sont communiquées aux parents tous les jours, et nous en gardons également la trace.
Au-delà des contrôles auxquels nous sommes soumis comme toutes les entreprises – Urssaf, inspection du travail, répression des fraudes – nous avons également des contrôles de la CAF et de la PMI. Ces derniers se sont multipliés ces derniers mois : c’est pour nous une bonne chose, car cela nous permet de remettre en question nos pratiques et de discuter avec la PMI – avec laquelle nous avons de très bonnes relations, nourries d’échanges réguliers et transparents, dans ma région en tout cas.
Des laboratoires viennent également contrôler l’hygiène…
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Pardon de vous interrompre : les contrôles dont vous parlez sont-ils inopinés ?
M. Riad Bouchekioua. Il arrive que les visites soient prévues, mais beaucoup de contrôles de la PMI – j’ignore la proportion – sont inopinés : nous sommes informés de sa venue quand la personne est devant l’établissement.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Et ces pratiques de contrôle varient-elles selon les départements ?
Mme Claire Laot. En 2023, nous avons fait l’objet de 259 contrôles de la PMI, dont 124 inopinés, soit donc à peu près la moitié. Ce sont les chiffres pour l’ensemble de la France, mais il existe en effet une forte disparité territoriale. Les contrôles sont évidemment plus fréquents, et c’est bien légitime, dans les crèches où nous avons le plus de difficultés à fidéliser le personnel, ou qui donnent lieu à des alertes de la part des familles. Là où les crèches ne présentent pas de difficultés majeures, les PMI sont moins présentes. Nous travaillons main dans la main avec elles.
Pour répondre rapidement à votre question sur les changements de personnel, sauf erreur de ma part, ce sont seulement les changements de direction qui doivent être déclarés aux PMI. C’est en effet le nom du directeur qui figure sur l’agrément, et pas la totalité du personnel.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il existe pourtant bien, me semble-t-il, une obligation de déclarer tout changement de personnel, en lien avec l’obligation de vérifier le casier judiciaire. Et il me semble qu’il revient à la PMI de se charger de cette vérification. Les PMI que nous avons rencontrées demandent en tout cas à disposer de ces informations.
Mme Claire Laot. Nous prévenons la PMI du changement de direction d’une crèche. Ensuite, quand la PMI vient dans une structure, elle contrôle l’identité de toutes les personnes qui y travaillent, mais c’est à nous qu’il revient, à l’embauche, de vérifier l’honorabilité de nos collaborateurs. Je laisse mon collègue terminer sur les audits, car nous appliquons des procédures très pointues en la matière.
M. Riad Bouchekioua. La Maison Bleue diligente neuf audits par structure et par an. Ils sont menés par les responsables de secteur, avec, chaque mois, des thématiques différentes. Les directeurs et les directrices ont aussi l’obligation de mener des autoaudits, en préparation de l’audit du responsable du secteur. Nous évaluons ensuite le plan d’action mis en place, pour l’améliorer et le corriger.
Nous conduisons aussi des audits pédagogiques. Chaque crèche a son référent ou sa référente pédagogique, qui vient voir comment les enfants sont accueillis. L’équipe des référents dépend du siège de La Maison Bleue.
Les responsables régionaux ne sont pas du tout impliqués dans le dispositif Tous attentifs dont il a été question, afin que nous ne soyons pas juge et partie. Nous préférons que la question soit directement gérée par un référent éthique.
Nous sommes, enfin, la première entreprise de crèches à avoir la certification « VeriSelect petite enfance », qui engage la vérification par le Bureau Veritas de 150 points de contrôle. Quatre-vingts crèches seront ainsi certifiées cette année. Il s’agit certes d’un organisme de certification indépendant, mais nous accordons une grande importance à ce processus : il suffit qu’une seule crèche ne soit pas certifiée pour que La Maison Bleue perde la certification.
Il faut aussi parler du contrôle quotidien qu’exercent les parents, qui entrent dans nos crèches deux fois par jour. Ils voient ce qui s’y passe, comment nous accueillons leurs enfants, et ne manquent pas de nous faire remonter ce qui fonctionne bien, ou au contraire de donner l’alerte.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je me permets de vous relancer sur la question de votre politique de management : j’aimerais vraiment que vous répondiez sur ce point. Sachez que je resterai très attentive à la situation de l’établissement que j’ai mentionné tout à l’heure.
Mme Claire Laot. Je le dis sous serment, aucune consigne n’est donnée à nos managers, les directeurs de crèches, pour qu’ils adoptent un tel comportement auprès de nos collaborateurs : ce serait suicidaire dans le contexte de pénurie de personnels que nous connaissons. Étant donné le nombre de nos structures, nous ne sommes toutefois pas à l’abri de managers défaillants.
Nous avons récemment mené une enquête auprès des 1 000 derniers collaborateurs uayant quitté l’entreprise. Parmi les 447 ayant répond, 15 % ont cité leur manager comme première raison de leur départ. Cela est difficilement entendable pour moi, directrice générale du groupe, mais c’est une réalité. Environ 125 personnes ont exprimé le souhait de retravailler au sein de La Maison Bleue, mais dans une crèche différente.
Mon propos n’est pas de jeter le discrédit sur nos directeurs de crèches – je le dis pour tous ceux qui nous regardent. Toutefois, nous exerçons un métier de l’humain – où beaucoup repose sur l’humain. C’est ce qui nous a conduits à mettre l’accent sur la fonction de direction, qui est essentielle dans la relation avec la famille, dans la réalisation de projets au sein des sections et dans le management de l’équipe. Dans toutes nos crèches, quelle qu’en soit la taille, le directeur ou la directrice occupe son poste de direction à temps plein, alors qu’il peut légalement travailler auprès des enfants dans les structures de moins de trente berceaux. Dans les crèches de plus de quarante-cinq berceaux, il dispose d’un adjoint à mi-temps, qui travaille sur les projets des sections, et d’un adjoint à temps plein au-delà de cinquante berceaux. Cela va plus loin que la réglementation.
Par ailleurs, hormis des cas exceptionnels liés à des difficultés de recrutement, chaque micro-crèche dispose d’un poste de directeur.
M. Riad Bouchekioua. Nous prenons très au sérieux votre alerte concernant le management. La reprise d’une délégation de service public est toujours un moment très délicat pour les équipes. Nous examinerons le cas que vous avez évoqué.
M. Philippe Lottiaux (RN). Vous avez bien expliqué le modèle financier des crèches que vous gérez en propre mais, dans le cas des délégations de service public, où les prix sont moindres, l’équilibre est moins clair. Comment a évolué le résultat de votre société ces dernières années ?
Je peux comprendre que la part des DSP augmente, car les crèches sont difficiles à gérer pour les collectivités, notamment en matière d’investissement. Constatez-vous que le nombre de DSP concessives augmente ?
En cas d’absentéisme, la taille du groupe vous permet-elle de disposer d’agents volants qui tournent d’une structure à l’autre ?
Enfin, comment concevez-vous la formation initiale de vos salariés ? Agissez-vous différemment en matière de formation selon les régions ? Quelle place accordez-vous à la validation des acquis de l’expérience (VAE) ?
Mme Claire Laot. Ces dernières années, la rentabilité du groupe La Maison Beue était de 1 % en moyenne – 0 % en 2023.
Je l’ai dit, le cahier des charges détermine notre prix. Évidemment, nous ne déposons pas de candidature pour les délégations de service public où nous aurions à payer pour travailler.
Nous ne constatons pas d’augmentation du nombre de DSP concessives. Nous en remportons une à deux par an. Je rejoins Mme la présidente pour dire que l’augmentation des DSP sur le marché s’explique non par des créations de crèches mais par des reprises de régies.
Pour gérer l’absentéisme, nous avons constitué des équipes volantes régionalisées, qui interviennent lorsque certains professionnels sont empêchés de travailler, pour une raison ou une autre. Nous faisons aussi appel à l’intérim, qui n’est pas une bonne solution pour la qualité d’accueil. Nous essayons autant que possible d’embaucher les intérimaires.
S’agissant de la formation initiale, je regrette que les professionnels en reconversion soient systématiquement orientés vers un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) au lieu du diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture, qui, lui, leur permet d’évoluer. J’ai déjà pu échanger à ce sujet avec la direction générale de Pôle emploi.
Nous organisons naturellement un parcours interne de formation, avec deux promotions de VAE par an pour les auxiliaires de puériculture et une promotion d’éducateurs de jeunes enfants. Deux nouvelles promotions d’auxiliaires de puériculture en VAE ouvriront cette année. Nous accompagnons donc nos salariés : nous proposons même un parcours interne de préparation à la VAE d’auxiliaire de puériculture, pour leur donner le maximum de chances de réussir.
Depuis 2012, nous avons également conclu un partenariat avec un institut de formation d’auxiliaire de puériculture de la région parisienne, dans lequel nous assurons des formations. Nous contribuons à diplômer une cinquantaine de personnes par an.
M. Riad Bouchekioua. Il faut distinguer l’absentéisme prévu et l’absentéisme inopiné. Dans le premier cas, nous avons recours aux équipes volantes ainsi qu’à l’intérim et aux CDD. Dans le second, nos crèches fonctionnent selon un mode dégradé, en organisant la journée différemment et en réduisant le nombre d’enfants accueillis ou en fermant des sections, conformément à la réglementation.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Les fonds d’investissement qui entrent au capital de vos concurrents semblent trouver la rentabilité non à travers les dividendes mais plutôt grâce à la croissance de l’entreprise. Quelles étaient les attentes de TowerBrook en la matière lorsqu’ils sont entrés au capital de La Maison Bleue ? Comment vos actionnaires échangent-ils avec le management de votre groupe pour s’assurer que cette croissance est au rendez-vous ? Avez-vous ressenti une forme de pression financière ?
Mme Claire Laot. TowerBrook est présent au capital de La Maison Bleue depuis 2016, avec Bpifrance – cette dernière y était déjà entrée en 2011, et est revenue. N’ayant pas du tout participé à ce processus, je ne peux pas vous dire quelles étaient leurs attentes en matière de croissance à ce moment. Je pourrai toutefois trouver des éléments de réponse.
En moyenne, un fonds d’investissement conserve une participation pendant cinq à six ans. TowerBrook et Bpifrance sont présents depuis huit ans, mais je ne sais pas si cela était leur intention initiale – c’est à eux qu’il faut poser la question.
Leurs représentants sont exclusivement en relation avec la direction financière et moi‑même : aucun opérationnel ne les a rencontrés.
Je ne ressens pas de pression s’agissant de la croissance. Depuis l’année dernière, TowerBrook et Bpifrance nous ont même demandé de la ralentir, afin que nous nous concentrions sur la qualité d’accueil dans le moment charnière que nous vivons.
Pour ce qui me concerne, je trouve regrettable que l’on ne puisse pas créer autant de places de crèches que ce dont notre pays a besoin, mais c’est une autre question.
M. William Martinet. Merci de votre franchise concernant les réponses que vous n’avez pas. Elles confortent l’idée que notre commission d’enquête doit entendre les représentants des fonds d’investissement, notamment TowerBrook, Antin Infrastructure et InfraVia, pour leur poser ces questions.
En décembre 2023, dans une crèche La Maison Bleue de Montrouge, un bébé de 2 ans a eu un doigt sectionné lors d’un exercice d’évacuation incendie, à cause d’un chariot inadapté, originellement destiné à des activités de jardinage. D’après ce que j’ai lu dans la presse, la Maison Bleue a pris la décision de retirer le chariot et de pointer la responsabilité de la directrice de l’établissement, qui l’aurait acheté directement. Si j’ai bien compris, la directrice a été licenciée. Sauf que vous avez eu la prudence d’alerter l’ensemble du réseau, et qu’il apparaît que vingt et une de vos crèches s’étaient procuré le même chariot inadapté et dangereux pour les enfants. Comment un groupe de votre taille, avec ses moyens, ses services support et tout ce que vous nous avez raconté sur ses procédures de contrôle peut-il se retrouver dans une telle situation ?
Mme Claire Laot. C’est le pire accident que nous ayons connu depuis que je travaille pour La Maison Bleue, soit treize ans. Je suis très régulièrement en contact avec la famille, pour les accompagner. Cet événement est véritablement terrible.
Quand le drame est arrivé, nous avons d’abord mené une enquête interne pour comprendre comment l’accident était arrivé, et nous avons préparé le retour du petit garçon et de son frère dans la crèche, conformément au choix des parents – ils y sont toujours accueillis. Nous avons également effectué des rappels de sécurité auprès de toutes nos crèches et, c’est la moindre des mesures, retiré le chariot non adapté des structures concernées.
Il n’est pas question, y compris dans ce que vous avez lu dans la presse, de pointer la responsabilité exclusive de nos directeurs et directrices de crèche. Ceux-ci sont autonomes dans leurs achats et libres de mettre en place le projet pédagogique de la crèche. Mais un tel chariot n’aurait pas dû être acheté, et nous avons fait retirer tous ceux qui l’avaient été. Des mesures disciplinaires fortes ont été prises à l’encontre de la directrice de la crèche. Vous le savez, une plainte est en cours d’instruction. Les salariés de la crèche qui étaient présents ont été entendus ou sont en cours d’audition.
Je l’ai dit, nous interrogeons nos pratiques. À la suite de l’accident, je me suis demandé si nous devions contrôler tout ce que faisaient nos directeurs ou leur laisser une liberté. Ce n’est pas une question simple.
Par ailleurs, sans que cela enlève rien à notre responsabilité, le chariot avait été vu par des agents de la PMI, qui n’ont pas demandé à le retirer. Il y a là quelque chose à travailler collectivement, pour éviter qu’un tel drame se renouvelle.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Le chariot a donc été acheté individuellement par plusieurs crèches. Comment cela s’est-il déroulé, le chariot était-il référencé dans un catalogue ? Il est souvent dit que vous croulez sous les normes : que faudrait-il changer pour qu’un tel accident ne se reproduise pas ?
Mme Claire Laot. Le chariot n’a pas été acheté auprès d’un fournisseur référencé mais avec la carte bleue de la directrice, dans vingt-deux crèches dont les directrices s’étaient passé le mot. Le fait est que nos lits d’évacuation habituels ont de petites roues, qui ne conviennent pas lorsqu’il y a des marches. Ce n’est en aucune façon une excuse ni une raison, j’explique simplement pourquoi ces directeurs ont acheté ce chariot, qui est doté de grosses roues.
J’ai fait retirer ces chariots, et nous sommes en train de préciser ce à quoi la carte bleue de la direction peut servir : conçue pour des situations d’urgence ou pour financer des activités, elle ne devrait pas être utilisée pour acheter du matériel, a fortiori non homologué.
M. William Martinet. Le secteur des crèches privées lucratives est sous le feu des projecteurs, notamment du fait de ces incidents dramatiques. Des enquêtes journalistiques sont sorties et d’autres sont en cours, qui portent sur de grands groupes comme le vôtre, et les journalistes parviennent à se procurer certains documents. Je profite du fait que vous ayez prêté serment devant notre commission pour vous poser cette question très précise, à laquelle j’aimerais que vous répondiez l’un et l’autre : avez-vous eu connaissance de mails de la direction du groupe La Maison Bleue à destination des directeurs et coordinateurs du secteur Île-de-France, dans lesquels il est dit explicitement qu’il faut mentir, ou en tout cas modifier les taux d’encadrement qui sont remontés à la CAF et à la PMI ?
Mme Claire Laot. Absolument pas.
M. Riad Bouchekioua. Je confirme, je n’ai jamais vu ce genre de mail ou ce genre de communication.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Avez-vous des informations sur le profil des personnes responsables des dysfonctionnements et des cas de maltraitance qui vous ont été remontés ? S’agissait-il majoritairement d’intérimaires par exemple, qui n’avaient peut-être pas la formation requise ? Confirmez-vous qu’à part les intérimaires, chez vous, tout le monde a une formation de base ?
Ma deuxième question est plus technique. Me confirmez-vous que la holding est une société par actions simplifiée (SAS) et que vos autres structures sont majoritairement des sociétés à responsabilité limitée (SARL) ?
Enfin, vous avez indiqué que sur les 1 000 collaborateurs qui sont partis, la plupart ont dit que c’était à cause de leur manager. Cela me ramène à ma première question : étaient-ce des personnes qui avaient vraiment le souhait de travailler dans la petite enfance, ou bien qui ont fait ce métier parce qu’elles n’avaient pas d’autre choix ?
Mme Claire Laot. Vingt-quatre alertes sont remontées sur notre ligne Tous attentifs ; après enquête, six ont été considérées comme des cas de maltraitance et ont été traitées comme telles. Elles n’étaient pas spécialement le fait de personnes intérimaires. Je précise qu’il existe un autre système de remontée des incidents, qu’a évoqué tout à l’heure M. Bouchekioua : le moindre événement indésirable survenu dans l’une de nos structures fait l’objet d’une fiche, dans un logiciel auquel j’ai accès. Je reçois d’ailleurs en direct les fiches les plus graves : c’est une chose à laquelle je tenais beaucoup, pour me tenir parfaitement informée de ce qui se passe dans nos structures.
Je n’ai pas fait de typologie des personnes à qui ces événements indésirables sont arrivés, mais nous essayons de déterminer si le nombre d’accidents peut être mis en lien entre des moments de la journée ou des âges. Nous analysons ces données et organisons des formations pour aider nos professionnels à gérer ces situations. Par exemple, on sait que les morsures arrivent surtout dans les groupes de « moyens », c’est-à-dire parmi les enfants qui n’ont pas encore la parole, et nous formons nos collaborateurs pour y faire face.
Je vous confirme que les structures de crèches sont des SARL et la holding une SAS.
Sur les 1 000 collaborateurs qui sont partis, 447 nous ont répondu et, parmi eux, 148 ont dit que c’était à cause de leur manager. Cela ne fait d’ailleurs pas 15 %, contrairement à ce que j’ai dit tout à l’heure – ou alors 15 % sur 1 000. Quoi qu’il en soit, c’est une proportion importante, mais pas une majorité. Nous avons essayé de voir ce que les collaborateurs qui étaient partis faisaient ensuite, s’ils avaient ou non quitté le secteur. Une partie d’entre eux ont effectivement changé de voie. Je pourrai vous transmettre les chiffres à ma disposition.
Mme Béatrice Roullaud. Vous avez parlé des contrôles inopinés de la PMI. J’aimerais donc vous poser une question que je pose à de nombreux intervenants : pensez-vous qu’un contrôle inopiné des députés pourrait aider à lutter contre la maltraitance ? Y verriez-vous un inconvénient ? Quel est votre point de vue là-dessus ?
Mme Claire Laot. Nos crèches sont ouvertes et j’ai déjà proposé à plusieurs députés de venir les visiter. Ce sera avec grand plaisir.
Nous faisons déjà l’objet de nombreux contrôles, je vous l’ai dit, et je ne vois pas d’inconvénient à ce que nous en ayons d’autres. Dans presque toutes mes crèches, à part les micro-crèches en Paje, j’ai une collectivité réservataire, soit par marché public, soit en délégation de service public. Les élus, les responsables petite enfance se rendent donc dans la structure, et c’est bien normal. Les parents aussi font ce contrôle quotidien. Je ne suis pas opposée à la venue de parlementaires mais je ne sais pas dans quelle mesure cela pourrait améliorer la qualité d’accueil. Ce qui est sûr, c’est que cela pourrait contribuer à la reconnaissance du travail de nos professionnels, qui en ont bien besoin.
Mme Anne Bergantz, vice-présidente. Je vous remercie et vous invite à nous envoyer des réponses précises sur les points que nous avons relevés.
La séance est levée à 19 heures 20.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 17 h 30
Présents. - Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, M. Thierry Frappé, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli
Excusé. - M. Thibault Bazin