Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de représentants de la Fédération du service aux particuliers (FESP) : MM. Brice Alzon, président de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP), Hacène Habi, président de la commission accueil collectif de la Fédération, et Mehdi Tibourtine, directeur général adjoint de la Fédération              2

 


Mercredi 27 mars 2024

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 27

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


  1 

La séance est ouverte à 10 heures 30.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de la Fédération du service aux particuliers (FESP) : MM. Brice Alzon, président de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP), Hacène Habi, président de la commission accueil collectif de la Fédération, et Mehdi Tibourtine, directeur général adjoint de la Fédération.

M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous démarrons une nouvelle journée d’auditions, qui s’annonce dense, en recevant les représentants de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP) : M. Brice Alzon, son président, M. Hacène Habi, président de la commission Accueil collectif de la Fédération, et M. Mehdi Tibourtine, son directeur général adjoint.

La FESP a été créée en 2006. « Fille du Medef », comme elle se désigne elle-même, elle poursuit le but de fédérer et structurer l’activité des services à la personne. Elle compte 3 600 entreprises adhérentes, qui emploient plus de 135 000 salariés.

Afin d’éclairer parfaitement les membres de notre commission, Messieurs, il sera important que vous précisiez dans votre court propos liminaire, les liens que vous avez avec certaines entreprises de crèches ou avec d’autres organismes que nous avons déjà auditionnés.

Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

Je précise que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Brice Alzon, Hacène Habi et Medhi Tibourtine prêtent serment.)

M. Brice Alzon, président de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP). En tant que président de la FESP, je tiens à saluer la création de cette commission d’enquête et à vous remercier de nous auditionner dans ce cadre.

En effet, il est indispensable de s’interroger dès lors que la parole d’une famille, d’un père et d’une mère, dénonce un acte de maltraitance sur un enfant, qui est inacceptable par nature. En tant que responsables politiques, associatifs ou professionnels, nous ne pouvons pas laisser planer un doute sur la prise au sérieux de ce sujet, tant vis-à-vis des familles que des professionnels du secteur. C’est une question de respect pour nos concitoyens, et pour l’ensemble des femmes et des hommes engagés, qui veillent à proposer chaque jour un accompagnement de qualité à nos familles.

Je veux prendre le temps de saluer tous les acteurs de la petite enfance, publics, associatifs ou entrepreneuriaux, ainsi que leurs collaborateurs. Ils accomplissent un travail formidable au quotidien, en accueillant ce que les familles ont de plus précieux : leurs enfants. Ils permettent aux enfants de s’épanouir dans un cadre sécurisé et collectif. Ils sont ces acteurs majeurs des 1 000 premiers jours, dont on sait l’importance pour l’évolution des enfants, tout au long de leur vie. Ils offrent aux familles la possibilité de disposer de solutions d’accueil sur l’ensemble du territoire, et ainsi de concilier vie professionnelle et familiale.

Les professionnels de la petite enfance, les gestionnaires d’établissement, ont vécu des moments difficiles ces derniers mois, notamment en voyant dans la presse leur travail remis en cause. Or, la majorité d’entre eux travaillent dans ce secteur par conviction et professionnalisme.

Le rapport que votre commission établira, sans préjuger de son contenu, a donc vocation à apporter des éclairages objectifs et des propositions d’actions. Celles-ci devront nous permettre collectivement d’avancer, de corriger, et de répondre demain, avec encore plus d’exigence, de qualité et de sécurité, aux besoins des familles.

En ce sens, le fait que cette commission d’enquête ait pour objet l’évaluation du modèle économique de toutes les crèches, et de la qualité d’accueil des jeunes enfants, permet d’aborder l’ensemble du secteur. C’est un point important, car c’est effectivement l’ensemble du secteur qu’il nous faut prendre en compte.

C’est dans cette posture que je me présente aujourd’hui en tant que président de la Fédération pour cette audition. La FESP est la première fédération du secteur du service à la personne. Elle a été créée dans les années 2000, au moment de l’émergence des acteurs entrepreneuriaux. Le secteur était alors dans une démarche visant à structurer, à professionnaliser et à rendre cohérent, pour répondre aux nombreux enjeux d’accompagnement des personnes, de la petite enfance au maintien à domicile. Ce sont les principes directeurs qui animent encore aujourd’hui le fonctionnement de notre fédération.

Elle représente aujourd’hui plus de 3 600 entreprises de services à la personne, qui emploient 140 000 salariés intervenant quotidiennement sur l’ensemble du champ des services à la personne, allant de la petite enfance à la dépendance. La FESP est donc représentative du secteur.

Dans le champ de la petite enfance, la FESP représente l’ensemble des modes d’accueil, collectifs comme individuels, dont 1 200 entreprises de crèches et micro-crèches et 850 entreprises de garde d’enfant à domicile. Les 1 200 entreprises de crèches et micro-crèches représentent plus de 30 000 places d’accueil sur l’ensemble du territoire national, sans exception. Je précise « sans exception » car nos adhérents sont présents sur tout le territoire : dans les zones urbaines, en milieu rural, dans les quartiers prioritaires de la ville ainsi que dans les territoires ultramarins, où la Fédération est fortement représentée (notamment à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, et plus récemment en Guyane et à Mayotte).

La FESP représente les acteurs de toute taille : de grands groupes de gestionnaires, des réseaux constitués de centaines d’établissement ou de dizaines d’établissements, des indépendants, ou encore des gestionnaires disposant de petites structures. C’est ce qui fait la force et la richesse de notre fédération.

Sa force tient aussi à son mode de fonctionnement. Notre action principale, comme je l’ai dit, consiste à structurer et professionnaliser. Concrètement, cela signifie que l’ensemble de nos adhérents, des structures les plus importantes jusqu’aux plus petites, se réunit dans des commissions métiers pour travailler sur les pratiques et sur la qualité. Ce travail repose sur la mutualisation des pratiques, des analyses et par la compréhension des besoins. Cette mutualisation permet à la fédération d’agir collectivement pour mettre en place des dispositifs de formation, pour construire des parcours professionnels en vue de bâtir des formations pour nos dirigeants et pour les salariés des différentes structures. Cette mutualisation apporte de la cohérence et donne les moyens d’agir pour construire collectivement et plus qualitativement. C’est ce travail que la fédération met au service de ses adhérents.

Ce n’est donc pas un travail d’inspection ni de contrôle. Nous sommes une fédération professionnelle, et non un ordre professionnel. À ce titre, nous portons une ambition pour notre secteur, qui se traduit par des propositions concrètes. Nous les relayons auprès des acteurs institutionnels, en leur exposant notre vision et la réalité du terrain vécue par ces acteurs.

C’est cette parole que j’ai portée récemment auprès de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pour l’élaboration de son rapport en 2022, devant la délégation des droits de l’enfant de votre assemblée, dans le cadre des travaux sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches menés par Mmes les députées Isabelle Santiago et Michèle Peyron, devant la Cour des comptes, dans le cadre de son évaluation des politiques publiques de la petite enfance, et enfin à nouveau devant l’Igas et l’Inspection générale des finances (IGF) lors de leurs travaux sur les micro-crèches ayant conduit à la publication de leur rapport.

En tant qu’acteur majeur de la petite enfance, la FESP est membre du comité de filière petite enfance, qui réunit les principaux acteurs du secteur et permet de travailler sur tous les sujets impactants. Elle est également membre du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, ainsi que du comité partenarial petite enfance de la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf). Elle œuvre, tant auprès des pouvoirs publics que de la branche professionnelle, pour l’amélioration de la qualité, de la professionnalisation et de l’attractivité des métiers.

Nous portons donc cette vision au nom des acteurs que nous représentons, à savoir les entreprises de crèches et de micro-crèches. Je suis très fier de les représenter, parce que nous apportons une réponse complémentaire à celle du secteur associatif, qui ne peut à lui seul répondre à toutes les demandes. En outre, nous contribuons, aux côtés des autres acteurs, à apporter une solution aux familles qui souhaitent majoritairement un accueil collectif. Les établissements entrepreneuriaux d’accueil du jeune enfant que nous représentons ont ainsi permis, au cours des dix dernières années, la création de dizaines de milliers de places sur tout le territoire. L’emploi de dizaines de milliers de professionnels de la petite enfance constitue aussi pour nous une autre source de fierté. Autant d’acteurs qui portent une dynamique absolument indispensable, d’autant plus qu’il manque encore 200 000 solutions d’accueil dans notre pays.

Le secteur des services à la personne a pris d’ailleurs toute sa place face à ce défi. La FESP a d’ailleurs apporté récemment, au sein de la convention collective des entreprises de services à la personne, un avenant visant à intégrer les personnels des crèches et micro-crèches et leur offrir un nouveau cadre conventionnel dont ils ne disposaient pas jusqu’alors.

Cette dynamique de création est malheureusement fortement ralentie depuis plusieurs mois, le contexte étant très difficile pour l’ensemble des acteurs. Ces difficultés résultent tout d’abord d’une forte pénurie de professionnels. Dans sa dernière enquête, la Cnaf évalue à 10 000 le nombre de professionnels manquant dans les établissements d’accueil pour répondre aux besoins des familles. Cette pénurie pousse certains établissements à fermer des sections, voire des structures. Il nous faut recruter près de 30 000 professionnels d’ici 2030, ce qui constitue un défi colossal.

Les difficultés s’expliquent aussi par une augmentation significative du coût de la vie et du travail, sous l’effet de l’inflation, qui touche de plein fouet les structures et les familles. Ces augmentations incessantes ne sont absolument pas prises en compte et ne donnent lieu à aucune compensation des politiques publiques familiales portées par le gouvernement.

Dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2023/2027, les prestations de service unique (PSU) et prestations d’accueil du jeune enfant (Paje), qui permettent aujourd’hui le financement des structures crèches PSU ainsi que la solvabilité des familles pour les micro-crèches Paje, ne suffisent pas à pallier le surcoût impactant les gestionnaires et les familles – sans oublier les collectivités locales. Il s’agit d’un problème majeur, a fortiori au regard du besoin essentiel de revalorisation des salaires.

Autant d’enjeux pour lesquels les acteurs du secteur de la petite enfance espèrent des mesures fortes, immédiates et homogènes. Ces mesures doivent porter sur :

- le renforcement de la qualité ;

- l’attractivité des métiers, notamment à travers l’accompagnement de la valorisation salariale, pour tous les professionnels de la petite enfance ;

- une meilleure solvabilisation des familles ;

- le fonctionnement des structures ;

- le développement de nouveaux modes d’accueil.

Il n’existe pas de réponse unique à ces défis, mais des réponses à engager en urgence. La Caisse nationale d’allocations familiales dispose de faibles marges, car elle est l’une des seules caisses à présenter un excédent, de l’ordre de deux milliards d’euros. Mais cette réserve est malheureusement utilisée pour compenser le déficit d’autres caisses de la Sécurité sociale, au détriment de la petite enfance. Nous dénonçons fermement cet état de fait.

En résumé, nous avons besoin d’un plan d’action assorti de financements dimensionnés à hauteur des enjeux, si nous voulons offrir des solutions d’accueil et améliorer le quotidien des professionnels, avec un mot-clé : au cœur de ces deux réalités, un accompagnement de qualité.

Le renforcement continue avec la qualité, c’est la priorité qu’il faut porter pour aboutir à l’élaboration de normes nationales et opposables de la même manière à l’ensemble des acteurs, quels que soient leur lieu d’implantation et leur type de structure.

Il est important de rappeler, ainsi que le précise l’Igas, que la maltraitance n’a pas de nature juridique et qu’elle est le fruit d’un acteur en particulier. La réponse passe par la création du service public de la petite enfance qui, dans le cadre de la loi sur le plein emploi, permettra de renforcer ces objectifs. En ce sens, le renforcement du rôle des communes est central. Il est nécessaire d’attribuer des moyens supplémentaires aux services de protection maternelle et infantile (PMI) et aux caisses d’allocations familiales (CAF).

Nous devons lever les freins à la natalité, comme l’a appelé de ses vœux le Président de la République, mais nous devons aussi garder à l’esprit que la liberté est au cœur de nos politiques familiales. Pour les familles, le libre choix du mode de garde doit aller de pair avec la confiance que nous devons impérativement préserver. Il appartient à chacun de pouvoir suivre librement sa vocation, qu’elle soit entrepreneuriale, associative ou publique, sans exclusion. Nos enfants doivent être libres de pouvoir grandir dans des structures d’accueil et de s’épanouir.

Vous l’aurez compris, mesdames et messieurs les députés, il y a urgence à construire dès aujourd’hui l’avenir de nos enfants pour demain, avec ambition et avec conviction. Voici le court message que je souhaitais porter en préambule de cette audition. Nous nous tenons désormais à votre entière disposition.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie. J’ai bien l’impression que nous ne partageons pas la même définition du mot « court ».

Je vous avais invité, dans votre préambule, à nous décrire les liens précis que vous entretenez avec les entreprises de crèches. Je vous invite à détailler ce point.

Avez-vous eu connaissance, parmi vos adhérents, d’abus, de déviances ou de problèmes de qualité majeure engageant leur responsabilité ? Le cas échéant, avez-vous lancé des procédures d’exclusion de votre fédération ?

M. Brice Alzon. Parmi les principaux acteurs qui ont été auditionnés par votre commission d’enquête et par l’IGAS, People & Baby fait partie des adhérents de notre fédération. C’est un acteur majeur du secteur des crèches.

M. le président Thibault Bazin. Quelle part représente-t-il par rapport à l’ensemble de vos adhérents ?

M. Mehdi Tibourtine, directeur général adjoint de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP). People & Baby représente un tiers des places proposées par les adhérents de la fédération, et moins d’un cinquième des établissements adhérents.

M. le président Thibault Bazin. Qu’en est-il des problèmes de qualité et des abus ?

M. Brice Alzon. Comme je l’ai précisé dans mon propos liminaire, la FESP n’est pas un ordre professionnel. Nous n’avons donc pas vocation à juger les pratiques de nos adhérents. Notre mission consiste à faire grandir le secteur. Il n’y a donc eu aucune exclusion de notre part de People & Baby.

M. le président Thibault Bazin. Je n’ai pas cité spécifiquement le cas de People & Baby. Je vous ai demandé si vous avez eu connaissance, au sein de la Fédération, d’abus ou d’autres pratiques appelant des réponses. Le cas échéant, avez-vous pris des mesures ?

M. Brice Alzon. Nous avons effectivement été auditionnés à de multiples reprises, et nous avons eu connaissance, par voie de presse, de faits survenus dans des crèches ou des micro-crèches qui nous ont alertés. Nous en sommes informés comme vous, bien évidemment.

M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, vous avez été informés par la presse.

M. Mehdi Tibourtine. Nous n’avons réalisé aucune exclusion de nos membres. Il existe des instances en charge des contrôles, à savoir les conseils départementaux et les services de PMI.

Nous avons effectivement pris connaissance de manquements à travers la presse, mais ceux-ci n’ont pas entraîné des décisions de la PMI, pour autant que nous sachions.

S’agissant des actions de la FESP envers ces agissements, je précise que nous disposons d’une commission métier qui se réunit chaque mois. Elle a pour mission de fixer les règles qualitatives et d’élaborer des process à destination de nos adhérents, en vue de les dupliquer dans leur réseau. Nous encourageons également les acteurs à passer des certifications ou obtenir des labels qualitatifs, qui prévoient des contrôles réguliers. Nous travaillons également avec eux pour construire des référentiels qualité à porter auprès des pouvoirs publics.

Ce sujet est donc primordial pour notre fédération.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements. Vous avez rappelé que vous représentez 1 200 entreprises de crèches et de micro-crèches. Vous comprendrez donc que votre audition était une étape attendue des travaux de notre commission d’enquête.

En ce qui concerne le modèle économique, quel est le prix de revient moyen annuel d’un berceau dans les crèches de votre réseau ? Pouvez-nous fournir ces données selon les statuts des adhérents ? Quelle est la rentabilité moyenne des entreprises de crèches de votre réseau ?

Dans votre propos liminaire, vous avez déploré que les surcoûts dus à l’inflation n’aient pas été compensés par l’État. Or, je constate que le rapport de l’Igas et l’IGF pointe « un surcalibrage des financements publics à destination du secteur privé, conduisant à surfinancer des places de crèche au-delà de leur coût de revient réel ».

Par ailleurs, ce rapport fait la lumière sur le mode d’accueil dans les micro-crèches, en affirmant qu’il s’agit du mode d’accueil le plus coûteux. Quel regard portez-vous sur ce constat ?

D’autre part, il a été porté à la connaissance de la commission d’enquête que les grandes entreprises de crèches pratiquent une activité annexe à la gestion d’établissements d’accueil du jeune enfant, qui consiste à commercialiser des places au sein d’entreprises de crèches dites « partenaires » (en réalité, des tiers) tout en prélevant une commission sur la participation de l’entreprise réservataire. Confirmez-vous que cette activité est exercée par des entreprises adhérentes à votre fédération ? Quel volume financier cette activité représente-t-elle pour ces entreprises ? Savez-vous comment est réparti le prix payé par le tiers financeur entre le gestionnaire de crèche et l’entreprise de commercialisation ?

Je souhaitais également vous interroger sur la question des frais de siège. Le rapport de l’Igas sur la qualité de l’accueil dans les crèches soulignait que pour les établissements du secteur marchand dont le tiers financeur est une entreprise, le compte « autres charges » (dans lequel sont notamment imputés les frais de siège des groupes) a augmenté de 51,8 %. Ce rapport affirme également que les flux financiers entre les sièges des groupes et leurs établissements restent opaques pour la branche famille. La clé d’imputation des frais de siège peut ne pas être communiquée aux financeurs, en dépit des demandes répétées de la branche famille.

Enfin, je voudrais vous interroger sur une dernière affirmation avancée dans le rapport remis lundi. Ses auteurs mettent en évidence « un effet d’éviction entre micro-crèches Paje et autres crèches qu’aucun pilotage national ou local ne contrebalance à l’heure actuelle ». Comment réagissez-vous à cette affirmation ?

M. Mehdi Tibourtine. Le coût annuel de revient moyen du berceau pour nos adhérents est évalué entre 16 000 et 22 000 euros. Il dépend de plusieurs facteurs, dont le nombre de places, le nombre de professionnels au sein de la structure, le lieu d’implantation (la part du loyer a un impact très élevé) et les charges courantes pesant sur la structure. C’est pourquoi le prix varie sensiblement en fonction du type de structure et de sa localisation.

Les résultats des structures sont, eux aussi, très variables. Ils dépendent notamment du lieu d’implantation, des capacités d’accueil et des charges des structures, mais aussi du fait qu’elles soient adossées ou non à des places réservataires. Au sein de notre fédération, plus de 50 % des adhérents ont moins de deux places réservataires dans les structures. Leurs résultats sont soit négatifs, soit atteignent au mieux 1,5 %.

Les adhérents ayant entre trois et cinq places réservataires ont des résultats proches de 3 %. C’est seulement au-delà des cinq places réservataires que les résultats dépassent la barre des 5 %.

Pour les crèches, l’impact de la PSU contraint les structures à s’adosser à des tiers réservataires. Dans le cas contraire, elles enregistrent des déficits. C’est pourquoi les résultats moyens des groupes adhérents sont assez faibles, en deçà de 3 %.

Hacène Habi, président de la commission accueil collectif de la Fédération des entreprises de services à la personne (FESP). J’ai lu cette nuit très attentivement le rapport Igas, qui est sorti lundi. Je note qu’il s’appuie principalement sur des données anciennes, datant de 2019. Entre-temps, nous avons connu la pandémie de Covid-19, à partir de 2020, la réforme Norma, en 2021, et le conflit en Ukraine. Ces aléas sont venus alourdir les charges des structures, et cet effet n’est pas pris en compte dans le rapport de l’Igas.

Je me suis efforcé de chiffrer une partie de cet accroissement des charges. À titre d’exemple, de nouveaux services sont devenus obligatoires dans les crèches. Ce sont des services utiles, et nous y sommes tout à fait favorables. Je pense notamment à la désignation d’un référent santé et accueil inclusif, à la création de groupes d’analyse des pratiques, ou encore à l’instauration de dispositifs d’analyse de la qualité de l’air dans toutes les crèches, qui deviendra obligatoire cette année.

J’ai évalué à environ 1 500 euros environ la mise en place du référent santé, à 1 000 euros la création des groupes d’analyse des pratiques, à 1 000 euros la location de matériel pour l’analyse de la qualité de l’air. À cela s’ajoute la hausse du SMIC, qui entraîne une revalorisation de plus de 250 euros par mois par poste. Dans ce contexte, l’équilibre économique des structures a évolué.

En tant que gestionnaire de micro-crèches, je constate que les surcharges supportées par mes structures équivalent à 20 000 euros par an environ. Ces augmentations ne sont pas compensées, puisque les plafonds Paje n’ont pas été revalorisés et les aides de la CAF ont très peu évolué. D’après mes calculs, le reste à charge pour les familles n’a pas évolué depuis 2018.

S’agissant des ventes de berceaux dans les grandes entreprises au profit de structures partenaires, ce système est développé principalement par les grands groupes. Seuls ces acteurs possèdent les moyens humains, financiers et logistiques de mettre en place ce type de services. En revanche, dans de petites structures comme les miennes et des milliers d’autres, le gestionnaire ne peut s’improviser commercial et rechercher des places auprès des entreprises ou même des mairies. Le service proposé par les grands groupes contribue à aider financièrement toutes les petites structures. On peut considérer cela comme une forme de solidarité, car les petites structures ont des moyens financiers très limités. Elles sont donc satisfaites de bénéficier d’une ou deux places en entreprise.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je retiens que vous contestez le surcalibrage pointé dans le rapport de l’Igas et de l’IGF publié il y a deux jours. Je vous invite à me confirmer ce point.

Par ailleurs, vous évoquez une solidarité entre les structures. Je voudrais rappeler que cette solidarité s’exerce au détriment des finances publiques. En réservant des berceaux, une entreprise bénéficie de dispositifs fiscaux très avantageux : le crédit d’impôt famille (Cifam), d’une part, et les déductions de charges sur l’impôt sur les sociétés, d’autre part. En pratique, une part conséquente du montant réglé par l’entreprise est donc prise en charge par les finances publiques. Vous conviendrez que les fonds destinés à la politique publique de la petite enfance n’ont pas vocation à financer de la commercialisation de berceaux.

C’est pourquoi je vous ai interrogé sur la répartition des sommes versées par l’entreprise réservataire entre la structure assurant la commercialisation et le gestionnaire de crèche. De fait, ces fonds sont supposés bénéficier au gestionnaire de crèche, pour financer la qualité de l’accueil du jeune enfant – et en aucun cas la commercialisation de berceaux.

M. Mehdi Tibourtine. Les entreprises réservataires de berceaux peuvent effectivement bénéficier d’un crédit d’impôt famille. Ce mécanisme est vertueux, car il permet un engagement des entreprises dans la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale de leurs salariés. En outre, il permet d’offrir aux familles une solution d’accueil. Enfin, il aide les gestionnaires à remplir leurs structures.

Les modes de tarification actuels nécessitent la présence d’un tiers réservataire. Or, le crédit d’impôt famille a une incidence majeure sur l’implication des entreprises dans la réservation de berceaux. Malgré son coût, nous considérons que cette mesure est vertueuse.

La Fédération ne connaît pas les modalités contractuelles appliquées entre l’entreprise réservataire et la structure accueillante. Nous ne possédons pas d’informations à ce sujet.

Hacène Habi. Le rapport de l’Igas paru ce lundi avance un chiffre de 75 %. Je tiens à préciser que le crédit d’impôt est de 50 %. La déduction de l’impôt sur les sociétés (IS) ne s’applique qu’aux entreprises qui y sont assujetties. J’ajoute qu’en réalité, cet impôt est neutralisé par le fait que la charge imputée sur une entreprise est contrebalancée par la recette sur l’autre entreprise.

M. le président Thibault Bazin. L’entreprise réservataire peut être soumise à l’IS, mais il en est de même pour l’entreprise commercialisant les berceaux et pour l’entreprise gestionnaire. Il est parfaitement légitime de questionner le modèle et les éléments d’optimisation.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il est fort dommage que nous ne puissions engager une discussion sur la ventilation du tarif payé par l’entreprise en tant que tiers réservataire, car c’est je crois le cœur du sujet. Du reste, je ne suis pas seule à m’interroger sur la pertinence du crédit impôt famille. La question est la suivante : cette dépense publique est-elle correctement pilotée et affectée à l’usage prévu, à savoir l’accueil du jeune enfant ? Force est de constater qu’une certaine opacité entoure ce dispositif, et qu’il reste difficile, à ce stade, de comprendre les méthodes exactes de facturation.

En tout état de cause, nous sommes entièrement fondés à nous interroger sur ce dispositif, particulièrement généreux et coûteux. Il faut reconnaître que ces fonds publics sont très significatifs. Je suis aussi interpellée par la distorsion pratiquée entre la personne publique et les entreprises, en tant que tiers réservataire. Les premières ont accès à ce soutien, contrairement à la seconde.

Nous sommes tous d’accord sur le fait que cette politique publique soulève des questions relatives aux taux d’encadrement, à la formation et à l’attractivité des postes. L’objectif n’est pas de retirer cette dépense publique, mais de l’affecter là où elle est utile. Je ne vous cache pas mes doutes quant à l’utilité réelle du dispositif en place.

Hacène Habi. La PSU est structurellement déficitaire : sans un tiers payeur, deux tiers seulement des dépenses peuvent être couverts. Si la PSU est identique pour tous les gestionnaires (publics, privés, associatifs), la viabilisation de la structure dépend de la nature juridique du gestionnaire. En règle générale, la municipalité finance la crèche sur ses fonds propres. En revanche, une entreprise assure le financement de l’établissement par le biais de réservations de berceaux à des entreprises ou à des collectivités locales. Enfin, les associations ont peu l’habitude de vendre des places en crèches, et recourent donc plutôt à des subventions des collectivités territoriales. En tout état de cause, ces explications montrent bien qu’il est indispensable de pouvoir s’adosser à un tiers financeur. En résumé, si le financement des tiers payeurs devait être supprimé, le système ne serait plus viable.

M. Mehdi Tibourtine. Je voudrais préciser que plus de 12 517 entreprises engagées dans la réservation de berceaux pour leurs salariés bénéficient du crédit d’impôt. Le coût pour la puissance publique se chiffre à 170 millions d’euros. Sans cette aide, les structures relevant de la PSU, ou même des Paje, ne seraient pas viables.

Pour notre part, nous n’estimons pas que les finances publiques sont surcalibrées. La PSU supporte 66 % du coût de revient, évalué à 10,05 € de l’heure. L’engagement des finances publiques permet de trouver des tiers réservataires.

La Paje, quant à elle, ne repose pas sur la tarification des structures mais sur la solvabilisation des familles. Son montant, qui est calculé en fonction des ressources des familles, s’échelonne entre 925 et 699,99 euros par mois. Il vise à couvrir une partie du coût facturé par les micro-crèches, mais ne compense pas l’intégralité de la dépense. Le reste à charge est donc supporté par les familles.

Vous avez également remarqué que les micro-crèches sont réputées plus coûteuses. Elles sont effectivement plus coûteuses pour les familles, mais pas pour l’État, car la Paje est moins accompagnée par la puissance publique. C’est pourquoi l’écart de coût est pour partie répercuté sur les familles, et pour partie compensé par le recours à des tiers réservataires. Ce levier permet de réduire la part supportée par les familles de près de 2 400 euros par an.

Ensuite, je soulignerai que l’éviction des structures PSU n’est pas due à l’émergence des acteurs Paje : cet effet est intrinsèque à la PSU. La majorité des établissements d’accueil de jeunes enfants sont portés par des communes et par des associations. Ces communes sont obligées de puiser dans leurs dépenses de fonctionnement pour exploiter ces établissements. Cependant, conformément aux contrats Cahors, elles sont tenues de s’inscrire dans une trajectoire d’économies budgétaires. Elles risquent donc d’être confrontées à des difficultés pour maintenir les structures d’accueil. Quant aux associations, elles ont besoin de subventions. L’émergence des acteurs Paje n’est donc pas responsable de la décroissance des structures PSU.

Le dispositif Paje présente justement l’avantage de pouvoir répercuter le prix du berceau sur la famille, ce qui n’est pas le cas pour une structure PSU.

Hacène Habi. Selon le rapport public de la Cnaf, les structures Paje représentent 3 % des enfants accueillis et 3 % des places. Le nombre de places en établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) s’élevait à 18,4 % en 2019, 18,8 % en 2020 et 19,1 % en 2021.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, mais nous avons connaissance des rapports. C’est bien vous qui êtes auditionnés. Nous vous avons posé une question sur les frais de siège, et nous attendons votre réponse.

Hacène Habi. Je n’ai pas accès à ces chiffres, qu’il faut demander aux quatre grands groupes.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mes interrogations portent sur l’opacité du dispositif. Il est problématique de rencontrer autant de difficultés pour obtenir les clés d’imputation des frais de siège, sur des structures financées en grande partie par l’argent public.

M. Mehdi Tibourtine. Nous souscrivons entièrement à ces propos. La Cnaf et les CAF ont pour mission de contrôler les acteurs dans les territoires et de leur demander des informations. Nous ne pouvons qu’inviter ces organismes à exercer leur rôle et les structures adhérentes à transmettre les documents exigés.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Dans votre introduction, vous avez relevé les difficultés du secteur de la petite enfance et pointé la pénurie de professionnels. Vous avez aussi évoqué l’enjeu des revalorisations salariales pour répondre à cette situation.

En toute franchise, votre discours me paraît quelque peu provocateur. Dans la mesure où vous représentez une fédération d’employeurs majoritaires dans la convention collective, vous avez la main sur les questions de salaire. J’ai bien compris que vous exercez dans un contexte économique contraint – vous avez rappelé la crise sanitaire et le conflit en Ukraine.

Sur les huit conventions collectives applicables aux professionnels de la petite enfance hors du secteur privé, vos structures appliquent les dispositions conventionnelles les plus faibles. Par ailleurs, je dispose d’une étude de la CFDT qui s’appuie sur la base « Tous salariés » de l’Insee pour comparer le secteur privé lucratif et le secteur privé non lucratif dans les crèches. Selon les catégories d’emploi, les écarts de rémunération atteignent 25 ou 33 % au détriment de vos adhérents.

Pourtant, la plupart de vos adhérents vendent des berceaux aux entreprises et bénéficient donc du Cifam. Votre modèle économique est donc plus favorable que celui des associations, contrairement à ce que vous affirmez. Malgré le surcalibrage des aides publiques, les chiffres que nous possédons montrent que vos salariés sont moins bien rémunérés que dans d’autres structures. Or, vous affirmez qu’il faudrait augmenter les salaires pour renforcer l’attractivité de la profession et remédier à la pénurie de personnel. J’aimerais connaître votre réaction sur ce constat.

M. Mehdi Tibourtine. Je tiens à rappeler que les salariés des entreprises de crèches et micro-crèches ne sont pour l’instant couverts par aucune convention collective. Tous les travaux impulsés et conduits par la Fédération depuis plusieurs mois visent justement à leur permettre de faire partie d’une branche professionnelle et de bénéficier de dispositifs de professionnalisation et d’amélioration de l’attractivité des métiers. Il est difficile de comparer notre fédération à d’autres branches conventionnelles plus anciennes, qui disposent de classifications et de minima.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je voudrais vous citer pour la clarté de nos échanges un article des Pros de la petite enfance : « La Fédération du service aux particuliers, qui représente 1 200 entreprises de crèches et de micro-crèches et 800 entreprises de garde d’enfants, annonce la signature d’un avenant à la convention collective nationale des entreprises des services à la personne qui étend son champ d’application aux entreprises de crèches et de micro-crèches ». Expliquez-moi.

M. Mehdi Tibourtine. Vous avez entièrement raison. Jusqu’en janvier 2024, les entreprises de crèches et de micro-crèches relevaient du droit conventionnel. Elles n’étaient donc pas tenues d’appliquer une convention collective, même si certaines le faisaient volontairement.

Les grands travaux lancés depuis plusieurs mois sinon années avec le gouvernement, notamment sur le sujet de l’attractivité et des conditions salariales des professionnels de la petite enfance, ont été décidés à la condition d’intégrer ces acteurs au sein d’une branche professionnelle. L’accord visant à réaliser cette intégration a été signé. Il a été transmis à la Direction générale du travail (DGT), qui doit l’analyser et l’étendre. C’est à ce moment seulement qu’il deviendra opposable. Pour l’instant, il n’est donc pas encore opposable aux entreprises de crèches et de micro-crèches, qui ne relèvent pas obligatoirement d’une convention collective.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je comprends qu’il manque la décision du ministère du travail pour étendre cet accord. Cependant, toutes les fédérations d’employeurs qui ont signé l’avenant ont de facto rejoint la convention collective.

M. Brice Alzon. Cet accord, signé par les organisations patronales et syndicales, est historique. Il a pour finalité de retirer les entreprises de crèches et de micro-crèches du champ commun historique. Nous l’avons signé en janvier. Dès lors qu’il sera validé par la DGT, il sera opposable à toutes les crèches et micro-crèches du secteur entrepreneurial. Il devrait entrer en vigueur en juin 2024. J’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une avancée majeure.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Vos explications ne remettent pas en cause mon propos initial, à savoir que votre convention collective est moins-disante que toutes les autres conventions collectives du secteur de la petite enfance. Dès lors, comment justifiez-vous le fait que les adhérents de votre fédération sont ceux qui appliquent les niveaux de rémunération les plus faibles ?

M. Mehdi Tibourtine. Puisqu’il n’existe pas encore de convention collective opposable aux crèches et micro-crèches, ces établissements n’ont donc pas de classification de branche. Pour des raisons historiques, les autres branches disposent de minima, construits au fil des ans. Si l’accord est étendu, nous pourrons justement établir des minima conventionnels plus attractifs.

Néanmoins, il est indéniable que certaines structures ont des modèles économiques plus contraints. Les minima hiérarchiques conventionnels doivent permettre à toutes les structures de s’engager en faveur de la revalorisation salariale de leurs métiers. Pour autant, en tant que fédération professionnelle, nous sommes tenus de prendre en compte les répercussions des revalorisations sur ces structures.

Aujourd’hui, les micro-crèches Paje sont assujetties à un plafond tarifaire de 10 euros par heure.

M. le président Thibault Bazin. Le complément de libre choix du mode de garde (CMG) est tout de même versé par la CAF.

M. Mehdi Tibourtine. Le rapport publié lundi dernier par l’Igas montre que le coût facturé avoisine 9 euros, pour un plafond à 10 euros. Si les charges s’alourdissent, les structures risquent d’être exposées à de sérieuses difficultés, car elles ne seront pas en mesure de répercuter ces hausses sur le prix de vente.

M. le président Thibault Bazin. Si je vous comprends bien, c’est le modèle de financement par la CAF via les familles qui contraint vos entreprises à appliquer de tels niveaux de salaire.

M. Mehdi Tibourtine. Pour l’instant, chaque entreprise adhérente est libre de sa politique salariale. Si la convention collective est étendue, des minima seront instaurés, qui s’imposeront à toutes les entreprises.

Hacène Habi. Aujourd’hui, il n’existe pas de grille salariale spécifique aux personnels des crèches dans la convention collective des services à la personne. J’ajoute que l’extension de la convention collective est un travail collectif, mené en concertation avec les autres partenaires sociaux.

Enfin, je souhaiterais préciser que notre fédération a été l’initiatrice de la demande d’organiser un Ségur de la petite enfance.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je n’ai toujours pas reçu de réponse à ma question sur votre position par rapport aux autres acteurs de votre secteur, qui connaissent le même contexte économique que vous. Les différentes sources évoquées ici montrent clairement que les acteurs privés lucratifs appliquent des salaires plus bas que les acteurs associatifs, alors que leur modèle économique est identique.

J’ai en ma possession le document d’engagement pour la création d’un socle social commun en faveur des professionnels de l’accueil des jeunes enfants. C’est le point de départ des évolutions conventionnelles visant à instaurer le bonus attractivité au bénéfice des salariés.

Par ailleurs, vous avez fait référence aux autres partenaires, mais les différentes fédérations se renvoient la responsabilité. Nous avons auditionné la semaine dernière Mme Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Elle a déclaré que les entreprises de crèches étaient peu représentées dans la convention collective des services à la personne, et n’avaient donc pas de poids. Elle conclut que le bonus attractivité doit pouvoir être versé à partir d’un accord d’entreprise. D’après Mme Hervy, c’est donc votre fédération qui bloque l’évolution de la convention collective et la mise en place de minima conventionnels satisfaisants.

M. Brice Alzon. Je peux vous assurer que toutes les organisations patronales, y compris la FFEC, partagent la même volonté de structurer, de professionnaliser et de rendre attractif le secteur, pour favoriser l’épanouissement et le bien-être des salariés des crèches et micro-crèches. Nous échangeons quotidiennement avec la FFEC sur ce sujet.

Les polémiques et différends entre les acteurs privés, publics et associatifs ne sont pas propres au secteur des crèches et micro-crèches : nous les retrouvons aussi dans le secteur de l’aide à domicile. J’ajoute que les entreprises sont soumises à l’impôt sur les sociétés et à des taxes sur les salaires que les associations ne connaissent pas. Nous n’avons pas non plus de bénévoles, et nous sommes privés des aides ou subventions versées aux associations. Il me paraît donc préférable de ne pas approfondir ces sujets clivants.

M. le président Thibault Bazin. Les membres de la commission d’enquête sont parfaitement libres d’aborder les sujets de leur choix.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je ne crois pas que le régime fiscal propre aux associations, et encore moins le recours au bénévolat, soient des arguments recevables pour justifier que les salariés d’entreprises privées soient moins bien payés.

Nous nous réjouissons de savoir que vos propositions sont alignées avec celles de Mme Hervy, mais nous avons besoin de comprendre ce qui bloque réellement les négociations entre partenaires sociaux. La convention collective des acteurs du lien social et familial (Alisfa) a été mise à jour au 1er janvier 2024, ce qui permet de débloquer le bonus attractivité. Comment expliquer qu’une nouvelle convention collective des professionnels de la petite enfance fixant des minima convenables ne soit pas encore en place ? Pouvez-vous m’indiquer clairement où en sont les négociations ?

M. Mehdi Tibourtine. Il n’y a pas de blocage. La situation avance, puisque nous avons signé un avenant visant à intégrer les crèches et micro-crèches. Cette première étape, complexe, est franchie. Désormais, il nous faut attendre l’extension de la convention collective pour engager un travail sur les classifications et les niveaux de salaire. Cette démarche doit être corrélée avec les travaux sur le socle commun, conduits avec les membres du Gouvernement. Dans ce cadre, le Gouvernement a pris l’engagement d’accompagner la revalorisation salariale de tous les personnels. Or, pour l’instant, 60 % des acteurs du secteur sont exclus de cette revalorisation, notamment les salariés des micro-crèches, les salariés des structures de garde d’enfant à domicile, et enfin les salariés des crèches PSU. Même si nous parvenions à signer un accord sur une classification et sur des salaires minima, dès lors que l’accord est étendu après juillet 2024 – ce qui paraît fort probable –, les revalorisations ne pourront être appliquées qu’en 2025. Nous sommes donc contraints par l’agenda des pouvoirs publics.

Nous avons déjà commencé à travailler sur la classification, mais il est certain que les délais de fixation des minima salariaux dépendent de ce calendrier, dont nous ne sommes pas décisionnaires.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je retiens de vos précisions que vous êtes engagés dans un rapport de force avec le Gouvernement sur l’inclusion des micro-crèches dans les bénéficiaires du bonus d’attractivité. C’est bien cela ?

M. Mehdi Tibourtine. C’est en partie le cas. Nous avancerons, indépendamment des arbitrages de l’État dans tous les cas. Dès l’instant où nous avons signé la convention collective, c’est parce que nous sommes déterminés à aller de l’avant. Nous nous doterons donc de classifications et de salaires minima, pour autant que nous trouvions un accord avec les partenaires sociaux.

À côté des salariés des micro-crèches, nous demandons que les salariés des structures de garde d’enfant à domicile et les assistantes maternelles soient éligibles au bonus d’attractivité.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’accompagnement mis en œuvre sur la branche de l’Alisfa. C’est une excellente nouvelle pour les salariés. Pour autant, il ne faudrait pas créer des déséquilibres comparables à ceux que nous avons connus dans le secteur de l’aide à domicile, suite au Ségur.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. J’ai bien compris votre point de vue. Il n’en reste pas moins que l’opacité sur la situation financière des micro-crèches, sur les équilibres économiques, sur la rentabilité du secteur et sur les clés de répartition des frais de siège complique l’action de la puissance publique. D’ailleurs, plusieurs rapports pointent un surcalibrage des financements publics. Vous comprendrez que la transparence sur l’emploi des financements publics est un prérequis pour avancer. Or, en dépit des nombreux rapports livrés sur ce sujet depuis quelques années, cette condition n’est pas remplie.

M. Brice Alzon. Ne nous méprenons pas sur le combat à mener pour la société. Notre fédération a pour mission d’affiner, de mieux comprendre et de structurer. C’est la raison pour laquelle nous avons constitué des commissions internes crèches et micro-crèches, qui ont pour objectif de faire avancer le secteur. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas de déviance.

M. le président Thibault Bazin. Nous ne vous demandons pas de nous l’assurer, nous voulons simplement de la transparence.

M. Brice Alzon. En 2023, le secteur des services à la personne a enregistré un taux historique de dépôts de bilan, de l’ordre de 25 %. Les entreprises de crèches et micro-crèches dégagent une marge moyenne comprise entre 0,5 et 1,5 %. N’oublions pas non plus que certains parents sont contraints de rester à leur domicile pour garder leurs enfants, parce qu’elles n’ont pas trouvé de berceau.

M. le président Thibault Bazin. Je vous invite à répondre précisément aux questions transmises par Mme la rapporteure, de manière à ce nous puissions comprendre le modèle et ses contraintes. C’est l’objet de cette commission d’enquête.

La séance est levée à 11 heures 45.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 10 h 30

 

Présents. - M. Thibault Bazin, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli

 

Excusé. - Mme Isabelle Santiago