Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Philippe Vinçon, inspecteur général des finances et de Mme Véronique Guillermo, inspectrice générale des affaires sociales au titre de l’évaluation du crédit d’impôt famille, réalisée conjointement en juillet 2021, par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales 2
– Présences en réunion..............................15
Mardi 2 avril 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 34
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 17 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Philippe Vinçon, inspecteur général des finances et Mme Véronique Guillermo, inspectrice générale des affaires sociales, au titre de l’évaluation du crédit d’impôt famille réalisée conjointement, en juillet 2021, par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).
M. le président Thibault Bazin. Bonjour à tous, chers collègues, nous démarrons aujourd’hui nos auditions de la semaine, avec un programme dense.
M. Vinçon et Mme Guillermo ont réalisé, en 2021, une évaluation du crédit d'impôt famille (CIFAM), au sujet duquel Mme la rapporteure pose régulièrement des questions. Trois ans après la publication de cette étude, il sera intéressant d'échanger avec vous à son sujet, au regard notamment des réflexions qui se sont poursuivies depuis lors. À cet égard, je précise que nous devrions recevoir à nouveau des représentants de vos deux inspections générales mardi 9 avril, pour évoquer avec eux le rapport sur les micro-crèches qui vient d'être rendu public. Il y a trois ans, votre mission considérait qu'une refondation ambitieuse de la politique d'accueil du jeune enfant devait être engagée, afin « d’augmenter l'offre de garde individuelle et collective, réduire les inégalités sociales et territoriales d’accès aux modes de garde formels, simplifier les règles de financement pour réduire les coûts de gestion et mobiliser l'ensemble des acteurs, assistants maternels et crèches, qu'ils soient publics, associatifs ou privés. Dans ce contexte, le crédit impôt famille n’aurait plus lieu d’être, car il serait remplacé par un dispositif plus efficace ». Je vous invite à nous faire état de la situation actuelle au cours d’un rapide propos liminaire.
Je précise que notre audition est publique et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Madame, monsieur, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « je le jure ».
(Mme Véronique Guillermo et M. Philippe Vinçon prêtent serment.)
M. Philippe Vinçon. Le rapport date en effet de 2021, époque à laquelle j'avais également participé à la Revue de dépenses socio-fiscales en faveur de la politique familiale, dont le champ était plus vaste. Ayant en outre été réviseur sur le dernier rapport consacré aux micro-crèches, ma vision de ces sujets est large.
Le système de l'accueil du jeune enfant, extrêmement complexe du fait de ses multiples acteurs et dispositifs, est également un dispositif assez inégalitaire en termes sociologiques et géographiques. Seuls 20 % des enfants d’une classe d’âge peuvent ainsi bénéficier d’une place en crèche, et on observe donc une forte sélectivité malgré l’augmentation de ce taux. Plus les enfants proviennent de familles métropolitaines favorisées, plus leurs chances d'être accueillis dans une crèche sont importantes. Ces écarts sont renforcés par des subventions publiques importantes pour les crèches, faibles pour les assistants maternels, et très faibles pour les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants à domicile. Les différenciations sociales introduites sont donc notables, compte tenu de l'importance des mille premiers jours d'un enfant en termes d'acquisition de connaissances et de socialisation.
D’autre part, bien que le crédit d’impôt famille soit relativement limité en montant financier, il ajoute un élément de distorsion et se conjugue aux dérogations dont bénéficient les micro-crèches en termes d'encadrement.
Il est également nécessaire, afin de permettre aux familles qui veulent des enfants d'en avoir, de lever les freins qui existent sur l'accueil du jeune enfant. À cet égard, le modèle de certains pays dans lesquels il existe des services publics d’accueil du jeune enfant, au moins à partir d'un an et au moins pour une partie du temps, nous paraît relativement efficace. Il s’agit là d’éléments qui ont cheminé dans les propositions du Gouvernement au cours des dernières années, en particulier à travers la volonté de renforcer les pouvoirs des communes en la matière.
Mme Véronique Guillermo. Nous cherchons, depuis plusieurs années maintenant, à développer les modes d'accueil pour les jeunes enfants et à favoriser à la fois l'accessibilité et l’égalité entre les familles et entre les territoires. Nous verrons par la suite si ces objectifs ont été atteints.
M. le président Thibault Bazin. Je souhaite tout d’abord revenir sur les difficultés que vous mentionnez au sujet de l'absence de pilotage et du système d'information. Quelle part de vos estimatifs est une extrapolation ? J’ai en effet été surpris par l'augmentation, de 110 à 130 millions d'euros, soit 20 millions de plus en une année, ce qui semble important.
Si vous évoquez, d’autre part, le développement du secteur marchand, qui doit beaucoup au CIFAM, j'ai été surpris d'apprendre, au cours de nos auditions, que le secteur non marchand, qu’il soit associatif ou public, recevait également des fonds liés aux réservations de places. Le CIFAM vient donc également soutenir des entreprises qui réservent des places auprès de collectivités ou d'associations. Avez-vous estimé, sur le total du CIFAM, combien sont des places gérées par une entreprise privée de crèche, combien par une association, et combien par une collectivité ?
Pour terminer, vous évoquiez, en 2021, le bonus mixité et territoire, présenté par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) comme un absolu visant à améliorer les dispositifs, notamment grâce à un bonus territorial. Que s’est-il donc passé pour que ce bonus, déjà opérant il y a trois ans, ne le soit pas sur le CIFAM et quelle est votre analyse sur ce sujet ?
M. Philippe Vinçon. Si nous connaissons les volumes du CIFAM, il est en revanche complexe d’obtenir des données concernant les entreprises bénéficiaires, et nous avons donc dû procéder par sondages, enquêtes et recoupements. Notre rapport a été commandé par le ministère des finances qui, constatant une croissance substantielle du CIFAM, souhaitait en connaître les raisons et les bénéficiaires.
Sur la question des réservations, il existe effectivement, dans le secteur des crèches, une forte tension, c'est-à-dire qu'il existe beaucoup moins de places que d'enfants qui souhaiteraient en bénéficier. Il peut, en revanche, y avoir des enfants malades, gardés par leurs grands-parents pendant les vacances, ou d’autres configurations dans lesquelles des berceaux sont libres pour des périodes plus ou moins longues. Un dispositif de réservation a donc été créé, encore débutant au moment de la rédaction de notre rapport en 2021, et que nous avions donc simplement signalé. Or le rapport sur les micro-crèches indique que ce système représente aujourd’hui quasiment le tiers du chiffre.
M. le président Thibault Bazin. Je pense que nous devons nous concentrer sur le crédit d’impôt famille, qui est l'objet de cette audition.
M. Philippe Vinçon. Concernant le développement rapide du secteur marchand, aussi bien en France qu’à l'étranger, deux éléments me semblent se conjuguer. Il s’agit à la fois du CIFAM, dont la dépense augmente, et des dérogations mises en place en 2010 qui assouplissent les normes dans le secteur des micro-crèches, permettant ainsi des coûts inférieurs.
M. le président Thibault Bazin. Pour revenir à ma question concrète, pouvez-vous indiquer, derrière ce crédit d’impôt famille, au sujet des entreprises qui reçoivent et gèrent les berceaux, quelle est la part des entreprises privées de crèches et la part gérée par des collectivités ? Des associations auditionnées nous ont en effet indiqué être financées par des réservations de berceaux et donc, indirectement, par le CIFAM.
M. Philippe Vinçon. Ce chiffre n’est pas mentionné dans notre rapport.
M. le président Thibault Bazin. Vous n’avez donc pas étudié la liaison entre les gestionnaires ?
M. Philippe Vinçon. J’estime que la majorité sont des entreprises privées, mais nous vérifierons si ce point peut être précisé.
Le bonus mixité territoire me semble quant à lui être l’un des problèmes typiques des dispositifs français, liés à la volonté de corriger les problèmes rencontrés par des adjonctions multiples de nouveaux dispositifs. Ici, face au constat de crèches de plus en plus situées en métropoles, en zones urbaines, et au profit des parents les plus aisés, il a été décidé de mettre en place un bonus pour corriger cette tendance, et cela rajoute finalement de la complexité, voire des antagonismes. C'est pour cela qu’au sein des propositions de notre rapport, se trouve logiquement celle d’une simplification, à travers l’élimination des outils de politique publique qui visent à corriger le défaut d’une autre, mais induisent des effets importants sur la dépense.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Si nous vous auditionnons aujourd'hui au titre du rapport que vous avez publié en 2021, objet d’une grande attention de la part des administrations, j’ajoute que vos administrations respectives ont publié la semaine dernière un nouveau rapport, relatif à la qualité d'accueil et au modèle de financement des micro-crèches. Si vous n'êtes pas les auteurs de ce dernier rapport, j'ai pu constater que certaines de vos recommandations étaient communes, en particulier concernant l’avenir du CIFAM. Cette question m'intéresse énormément, dans la mesure où le CIFAM est un outil fiscal particulièrement incitatif pour pousser les entreprises à se constituer tiers-financeur d'une place en crèche pour les enfants de leur personnel. Il s’agit donc d’un élément majeur du modèle économique des crèches, que nous examinons dans le cadre de cette commission d'enquête. En préambule de nos échanges sur le CIFAM, je souhaitais vous interroger sur un point précis de votre rapport. Vous y indiquez avoir rencontré des difficultés dans la collecte des chiffres consolidés et ventilés concernant le CIFAM, révélant ainsi une carence qui affaiblit les capacités de pilotage de ce dispositif.
À titre personnel, je constate également, sur le plan national, de réelles difficultés à disposer de données consolidées sur l'ensemble des dépenses publiques et privées liées à la politique d'accueil du jeune enfant. Aussi, faites-vous toujours, deux ans et demi après ce rapport, le même constat ? Et êtes-vous en mesure de proposer des pistes d'évolution pour remédier à cette difficulté ?
M. Philippe Vinçon. Cette audition est pour nous l’occasion de replonger dans nos travaux, et de constater que la situation a peu évolué. Ce crédit d'impôt, qui est par nature un outil difficile à piloter, est en outre entre les mains de deux administrations. L'ampleur des crédits de la politique de la famille et de l’accueil du jeune enfant se situait d’autre part autour de 15 milliards en 2018, soit environ 1 %, ce qui peut expliquer la faible attention portée à ce sujet. Obtenir des informations nécessiterait de demander aux entreprises bénéficiaires de renseigner un ensemble de documents par voie numérique afin de pouvoir, avec le concours de fonctionnaires publics, les exploiter correctement.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous indiquez un chiffre de 15 milliards d'euros sur la politique d’accueil du jeune enfant. Afin que nous soyons d’accord sur les missions correspondantes, pouvez-vous confirmer qu’il s'agit de l'accueil en crèche, mais également de l'accueil auprès des assistants maternels ? Englobe-t-il l'intégralité de la dépense publique, à savoir non seulement celle de la branche famille, celle de l'État mais également celle des départements et des communes ?
M. Philippe Vinçon. Ce chiffre se trouve au sein de l’annexe 8 de notre rapport, à la page 27. Il s’agit effectivement du complément du mode de garde, qui représentait environ 5 milliards d’euros en 2018, les établissements d'accueil du jeune enfant à hauteur d’environ 7 milliards, la préscolarisation pour environ 500 millions d’euros, les mesures fiscales correspondant aux crédits d'impôts frais de garde, qui s’élèvent à 1,5 milliard d’euros, et enfin le congé parental.
M. le président Thibault Bazin. Il s’agit donc du champ de l’État, c’est-à-dire la branche famille et les dépenses fiscales ?
M. Philippe Vinçon. Le tableau que j’ai sous les yeux mentionne également, au sein de ces 15 milliards, les collectivités locales, avec les dépenses de fonctionnement et d’investissement pour les établissements d'accueil du jeune enfant (EAJE). Vous trouverez l’ensemble de ces éléments, émanant de la Cour des comptes et de la Cnaf, à l’annexe 8 page 27.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La Cnaf nous indique que la participation des employeurs s'élevait à 295 millions d'euros en 2019, et qu’elle avoisine les 328 millions d'euros en 2022. Il s’agit toutefois de données brutes des mécanismes de défiscalisation, aussi ma première question sera-t-elle de nature chiffrée. Pour un euro de dépenses fiscales à travers le CIFAM, combien d'euros d'argent privé sont récoltés pour l'accueil du jeune enfant ? Cela correspond-il au montant espéré lors de sa mise en place ? Qu'en est-il lorsque l'analyse inclut le mécanisme de déduction fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés ? Sur ce dernier point, avez-vous été en mesure d'évaluer le coût de cette dépense fiscale ? Pourriez-vous nous détailler la typologie des entreprises qui bénéficient du CIFAM, mais également quelles entreprises et quels territoires ont pu bénéficier de la façon la plus importante de ce dispositif ? Le CIFAM a-t-il accru les inégalités d'accès aux crèches ou les a-t-il, au contraire, corrigées ? Le CIFAM a-t-il réellement permis la création de places en crèche ? Si oui, est-ce vérifiable ?
M. Philippe Vinçon. L'objectif premier du crédit d'impôt famille était que les entreprises s'impliquent davantage dans le mode de garde des enfants de leurs salariés. Il visait également à créer des places de crèche supplémentaires et à faire émerger un dispositif de crèches privées à une époque où il n’existait que des crèches associatives ou publiques. Ces éléments, qui figurent au sein du programme de campagne du candidat Jacques Chirac aux élections de 2002, ont conduit à une mise en place du CIFAM en 2004, après la conférence sur la famille.
Concernant les résultats de ce dispositif, la moitié des places en crèche créées en France aujourd’hui est le fait d'entreprises privées. Un véritable dispositif de crèches privées a en outre émergé, avec un chiffre d'affaires situé entre 1,1 et 1,4 milliard d'euros en 2018, et qui employait à l’époque entre 24 et 26 000 personnes. Ce secteur privé s’est également développé à l'international, notamment en Europe et au Canada.
Il est toutefois nécessaire de s’interroger sur le véritable impact de ce dispositif sur l’amélioration de l'offre de garde. Environ 1 % des entreprises françaises bénéficient aujourd’hui du crédit d'impôt famille, ce qui est peu. En termes de types d'entreprise, il concerne globalement les plus grandes, qui dégagent davantage de valeur ajoutée et sont les plus profitables. Il s’agit donc d’une typologie assez resserrée. Quant aux secteurs, 68 % des créances du CIFAM relèvent de cinq secteurs qui sont essentiellement celui des services à très haute valeur ajoutée : activités juridiques, comptables, d’ingénierie, commerce, finance et assurance, informatique et transport. La répartition régionale démontre quant à elle que la créance est à 63 % sur la région Île-de-France, la deuxième étant la région Rhône-Alpes à hauteur de 7 %, puis le Pays de la Loire à 3 %. Ces chiffres doivent cependant être analysés avec prudence, puisqu’une entreprise dont le siège est à Paris entrera dans le calcul de l’Île-de-France. Si l’on détaille le calcul entre les régions métropolitaines, l’Île-de-France est à quasiment 70 euros par enfant de moins de trois ans, tandis que les régions en bas de classement, qui sont la Nouvelle-Aquitaine, le Centre et la Bourgogne-Franche-Comté, sont autour de 5 euros par enfant de moins de trois ans, soit un rapport de 1 à 13 qui traduit de réelles disparités territoriales. Le CIFAM est donc important dans les entreprises où travaillent de jeunes salariés, qui sont également de jeunes parents, et pour lesquels la ressource est trop rare, à l’image des sociétés informatiques et des sociétés de services. Le crédit d'impôt famille permet essentiellement, pour ces familles, de substituer une place en crèche, qui est leur premier choix, à une garde à domicile. Si le CIFAM ne nous paraît donc pas réellement améliorer le nombre de places dans un mode de garde formel, il permet de passer d'un accueil individuel à un accueil collectif, qui est en général le premier choix des familles.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je reviens sur une question à laquelle vous n'avez pas répondu, mais qui se situe peut-être hors du champ du rapport : pour un euro de dépenses fiscales via le CIFAM, combien d'argent privé est affecté à cette politique publique, dans la mesure où existe également, à côté, le dispositif de défiscalisation classique au titre de l'impôt sur les sociétés ? Et comment ces deux dispositifs se conjuguent-ils ?
M. Philippe Vinçon. Nous avions effectué ce calcul en 2018 dans le cadre du rapport. L’impôt sur les sociétés était à 33 %, ce qui signifie qu’une entreprise qui investit 100 euros pour l'accueil du jeune enfant d'un de ses salariés bénéficie d’un crédit d'impôt famille à hauteur de 50 euros, et comme il dépense 100 euros qui vont venir en déduction de son profit, il bénéficie d’une réduction au titre de l'impôt sur les sociétés qui s’élevait à l'époque à 33 euros, soit un total de 83 % de réductions d'impôts sur la dépense. Le taux marginal de l’impôt sur les sociétés étant passé à 28 %, ce total s’est réduit et s’élève aujourd’hui à 78 %.
Nous avons également calculé l’effet levier, que nous avons évalué à 0,44, puisque lorsque l'État dépense 182 millions d'euros, les entreprises apportent 80 millions d'euros supplémentaires.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma prochaine question porte sur les entreprises qui commercialisent des places en crèche auprès de tiers financeurs en les accueillant dans un réseau de crèches partenaires, que ces entreprises gèrent parfois directement. Lorsque ces clients sont des entreprises, elles sont bénéficiaires du CIFAM qui finance donc indirectement l'activité de ces structures de commercialisation de places en crèche. Avez-vous pu, dans le cadre de votre rapport, évaluer l'utilité de ces entreprises, leur niveau de rentabilité et leur marge par rapport au prix de revient du berceau ? Le service apporté par ces entreprises vous paraît-il être en adéquation avec les sommes d'argent public dépensées ?
M. Philippe Vinçon. À un moment où les places en crèche sont rares et où leur nombre ne permet pas de répondre complètement aux besoins des familles, il est intéressant de disposer d’un dispositif d'optimisation. Cela permet de réduire le nombre de berceaux vides, qui peuvent être nombreux compte tenu des fluctuations de la présence de très jeunes enfants en crèche. Les berceaux peuvent ainsi être libérés pendant une période limitée.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous avons pu constater, au cours de nos différentes auditions et en particulier en échangeant avec des gestionnaires de crèches associatives qui bénéficient de ce dispositif, qu’ils ne disposent pas des ressources suffisantes pour employer des commerciaux qui leur permettraient de remplir leurs places. Nous avons en revanche cru comprendre que ces services ont évolué pour ne plus concerner uniquement l'accueil occasionnel en période d'absence d'un enfant normalement accueilli au sein de la crèche, mais plutôt des berceaux classiquement ouverts au sein d'un établissement, avec pour effet de pousser vers la sortie un enfant moins rentable qu'un autre. Nous nous questionnons singulièrement sur l’opacité qui entoure la nature de la transaction financière entre l'opérateur qui commercialise et la structure qui accueille l'enfant. Nous ne disposons donc, sur la part payée par l'entreprise, que de peu de visibilité sur la partie qui reste à l'entreprise de commercialisation et celle qui redescend à la structure gestionnaire. Cela nous interroge d'autant plus qu’il existe un mécanisme de défiscalisation particulièrement efficace, qui a donc pour effet que la somme payée par l'entreprise soit en réalité payée par nos finances publiques. Aussi, avez-vous pu, dans le cadre de vos travaux, examiner et étudier ces entreprises de commercialisation, analyser le niveau de rentabilité de cette activité, et suivre le parcours des deniers publics dans ces échanges ?
M. Philippe Vinçon. Si nous avons effectivement été destinataires d’informations comparables, nous n'avons pas réussi à objectiver ce point, notamment car le secteur n’en était qu’à ses débuts. Certains groupes de crèches sont effectivement spécialisés dans le démarchage, et s’emploient à communiquer sur le CIFAM, qui reste une mesure très mal connue. Ils proposent ensuite le service en offrant de trouver des places pour d’éventuels autres salariés. Ce dispositif, qui a pris de l'importance, peut ainsi représenter des parts de chiffre d'affaires significatives, et le dernier rapport en date sur ce sujet apportera certainement davantage d’éléments de précisions.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma dernière série de questions portera sur la préconisation que vous aviez établie dans le cadre de votre rapport sur l'éventuelle suppression du CIFAM, et qui figure également au sein du rapport rendu la semaine dernière. Pouvez-vous détailler les motifs de cette préconisation ? Nous avons reçu, la semaine dernière, les fondateurs de Babilou, qui nous ont indiqué que l’abandon du CIFAM entraînerait la suppression de près de 100 000 places en crèche. Cela vous paraît-il crédible ? En cas de suppression, quels effets de bord identifiez-vous ? Comment les éviter et, surtout, comment réallouer les ressources non-dépensées ? Dans votre rapport de 2021, vous préconisez une refonte ambitieuse de la politique d'accueil du jeune enfant et indiquez : « Dans ce contexte, le CIF n'aura plus lieu d'être car il sera remplacé par un dispositif plus efficace. » Pourriez-vous nous préciser cette proposition ? Vous ajoutez : « La mission considère que la complexité du système actuel de financement de l'accueil du jeune enfant et l'absence de chef de file au niveau local conduisent à des frais de gestion importants, supportés notamment par les établissements d'accueil de jeunes enfants du secteur marchand. La simplification des modalités de financement pourrait permettre la diminution de ces coûts et l’accroissement de l'offre pour un même montant de dépenses publiques. » Pouvez-vous, de la même façon, nous détailler cette affirmation, et nous préciser vos propositions d'évolution ?
M. Philippe Vinçon. Le secteur des crèches privées, effectivement très dynamique, mène de puissantes actions de lobbying. Ils avaient notamment publié, au moment de notre rapport, avec l’appui du cabinet Ernst & Young, un document démontrant l’indéniable efficacité du dispositif de crédit d’impôt, et affirmé qu’il représentait la meilleure utilisation possible de l'argent public. Ils avaient également manifesté une volonté d'extension du dispositif aux indépendants, et notamment au secteur des avocats, des médecins, des notaires et autres professions libérales. Notre proposition, sur laquelle nous avons été suivis par le Gouvernement, était au contraire de conserver le dispositif en l’état, pour justement ne pas donner suite à cette demande, dans un contexte d’emballement de la dépense publique.
L’idée contenue dans notre note était de proposer un dispositif d'accueil du jeune enfant, de façon collective ou individuelle. L’affirmation selon laquelle le système des crèches est fondamentalement meilleur que celui des assistants maternels reste en effet encore à démontrer, même si les familles recherchent spontanément des crèches et doivent donc être entendues. Nous proposions ainsi que les communes aient la charge de l’accueil du jeune enfant, à partir d'un an ou à partir d'une durée minimale, avec un dispositif progressif permettant de mettre en extinction le crédit d'impôt famille sans déséquilibrer le modèle économique des entreprises de crèches. Cette idée est d’ailleurs présente et explicitée au sein de la Revue des dépenses socio-fiscales en faveur de la politique familiale datant également de 2021.
Mme Véronique Guillermo. Je souhaite apporter une précision concernant les assistants maternels. Dans le domaine de la petite enfance, une importante tension existe sur le marché du travail, et il est ardu de recruter non seulement des effectifs, mais surtout des effectifs formés et compétents. La profession d’assistants maternels connaît malheureusement un phénomène de départs en retraite massifs, face auquel nous disposons de peu de moyens d’action et qui s’ajoute encore aux difficultés que connaît le secteur.
M. Philippe Vinçon. Nous avions effectué un benchmark international sur les mesures fiscales utilisées par d'autres pays européens, qui nous avait appris que des dispositifs analogues avaient été mis en place en Espagne et au Royaume-Uni, beaucoup moins généreux que le système français, et par la suite supprimés. Au Royaume-Uni, le dispositif avait été immédiatement supprimé en raison de sa concentration, du fait qu’il ne prenait pas en compte les enfants dont les parents exerçaient des professions libérales, et de son caractère limité, puisque seules 5 % des entreprises en bénéficiaient, alors que nous sommes à 1 % en France. Ce dispositif a été remplacé par un système qui s'appliquait à tous les enfants et était davantage équitable. Au sein du rapport, nous avions ainsi indiqué que certains États membres ont mis en place des dispositifs analogues et les ont tous supprimés.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je me permets vous rappeler la question sur les conséquences d'une éventuelle suppression du CIFAM, et de la possible suppression de 100 000 places en crèches évoquée la semaine dernière en audition. Que pensez-vous de ces affirmations ?
Vous indiquez que l'Espagne et le Royaume-Uni, qui disposaient de dispositifs d'incitation fiscale équivalents, les ont supprimés. Pourriez-vous préciser par quoi ils ont été remplacés, notamment au Royaume-Uni ? Le cas échéant, pouvez-vous indiquer si d'autres pays européens disposent de mécanismes qui permettent d'engager les entreprises dans l'accueil des jeunes enfants de leur personnel ?
M. Philippe Vinçon. Le dispositif britannique avait une couverture limitée à 5 % des entreprises, n'était pas accessible aux parents ayant le statut de travailleurs indépendants, bénéficiait peu aux salariés proches du salaire minimum, et ne tenait pas compte du nombre d'enfants par famille. Il a donc été décidé de l'éteindre, et de le remplacer par une contribution publique à hauteur de 20 % des frais de garde d'enfants, jusqu'à un minimum de 2 000 livres par an et 4 000 livres pour un enfant en situation de handicap. Le programme est par ailleurs ouvert à tous les parents d'enfants de moins de douze ans.
Je trouve intéressant, à titre personnel, le dispositif mis en place en Suède et au Danemark, où les communes ont la charge de l'accueil du jeune enfant entre un et trois ans, et doivent obligatoirement proposer un mode de garde pour une durée de vingt ou trente heures par semaine, ce qui est relativement important. Cela permet une meilleure égalité, alors que nous constatons, en France, que les enfants de cadres bénéficient souvent d'une crèche tandis que les mères aux salaires modestes s'arrêtent de travailler pendant un, deux ou trois ans et peinent ensuite à reprendre. Cela crée des spirales ou des trajectoires très différentes pour les familles, et pour les enfants qui, lorsqu’ils rentrent en école maternelle, peuvent disposer d’une moindre socialisation ou de moindres connaissances en vocabulaire. Nous devons favoriser les conditions d’une meilleure équité, notamment territoriale, puisque d’importants écarts existent entre les métropoles, les zones rurales et les quartiers populaires. Une attention particulière doit également être portée à l’intégration des jeunes enfants en termes d'acquisition d'une langue qui n'est pas nécessairement celle parlée au sein du foyer.
M. le président Thibault Bazin. Je rappelle la question de Mme la rapporteure sur les conséquences, en termes de suppressions de places de crèches, d’un potentiel abandon du CIFAM, à laquelle vous n’avez pas répondu.
M. Philippe Vinçon. Nous avons indiqué que le chiffre d'affaires des entreprises privées de crèches était de l’ordre de 1,5 milliard, avec un excédent brut d'exploitation d’environ de 5 à 6 %, soit des ordres de grandeur de 50 à 60 millions d'euros. Le CIFAM à 110 millions d'euros représente donc deux fois l'excédent brut d'exploitation.
M. le président Thibault Bazin. Certaines entreprises bénéficiaires ne sont pas nécessairement les entreprises de crèches elles-mêmes.
M. Philippe Vinçon. Je les mets en regard de manière rustique, à dessein.
Nous avons toujours préconisé un abandon progressif, avec une mise en perspective et une analyse précise du sujet, afin de passer d'un système à un autre avec des entreprises privées. Il ne s’agit pas uniquement de revenir au système antérieur au CIFAM, avec uniquement des crèches publiques.
M. le président Thibault Bazin. La question, très claire, est la suivante : une suppression du CIFAM entraînerait-elle une destruction de 100 000 places de crèches ? Vous répondez, si je comprends bien, que la suppression doit se faire à l’aide d’un mécanisme transitoire, en maintenant l'offre de places.
M. Philippe Vinçon. Vous m’avez effectivement bien compris. L'État a investi pour créer un secteur de crèches privées et, s’il est indispensable d’améliorer le système pour créer un dispositif plus équitable, il faut également le préserver en le faisant évoluer pour qu’il réponde mieux aux objectifs de la nation.
M. le président Thibault Bazin. Votre réponse se base-t-elle sur votre seul rapport, ou sur la somme des conclusions des rapports sur lesquels vous avez été amenés à travailler ?
M. Philippe Vinçon. Un peu les deux. Lorsque nous avons produit ce rapport sur le CIFAM, nous avions en tête la Revue de dépenses et avons donc bien intégré cet élément-là.
Mme Véronique Guillermo. Certains résultats du CIFAM apparaissent en contradiction avec l’un de ses objectifs de 2004, qui était de compenser les difficultés que rencontrait le monde rural dans l'offre de modes d’accueil du jeune enfant.
Si le dispositif de réservations des berceaux dans les entreprises a été mis en place, c’est également en raison de préoccupations liées à la qualité de vie au travail et à l'égalité hommes/femmes, ainsi qu’à une volonté des entreprises de fidéliser leurs salariés. Le CIFAM semblait ainsi apporter une réponse à ces problématiques spécifiques.
M. Philippe Vinçon. Les entreprises de crèches privées sont nombreuses à avoir souligné, au cours de nos échanges, la complexité du système français et les coûts qui en découlent. Elles avaient également cité certains pays tels que l'Allemagne, qui dispose d’un dispositif proche de celui des pays scandinaves, qui permet, grâce à sa grande simplicité, une action plus efficace. Ce type de dispositif, qui prévoit une responsabilité des communes sur les places d'accueil du jeune enfant de moins de trois ans, peut également être intéressant pour ces entreprises. Aussi, bien qu’elles aient été créées avec le CIFAM, un autre système équilibré et simplifié pourrait bénéficier à l’ensemble des acteurs, à l’image de l’Allemagne où l’absence de CIFAM n’entrave pas la bonne santé des entreprises privées.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Bien que la politique française de la petite enfance ne se résume pas au crédit d'impôt famille, il en reste un élément clé, qui a notamment permis le développement d'un secteur privé lucratif. Nous avons récemment auditionné des actionnaires de grands groupes de crèches privées, qui ont évoqué le temps passé dans les ministères au début de leur projet entrepreneurial afin de créer un environnement réglementaire favorable pour que leur entreprise puisse dégager des bénéfices. Or, au sein de cet environnement favorable, se trouve le crédit d'impôt famille, et je vous remercie donc d’être présents aujourd’hui afin de partager votre expertise sur le sujet.
Je constate, à la lecture de votre rapport et à l’écoute de vos propos, les nombreux arguments critiques qui existent contre ce crédit d'impôt famille, à commencer par la comparaison internationale. Il s’agit effectivement d’un dispositif qui existe peu ailleurs, ou de façon moins généreuse, et qui a souvent été supprimé.
Un autre argument, que nous avons peu évoqué, consiste à affirmer que ce dispositif bénéficie aux familles les plus aisées, et votre rapport indique ainsi que les crèches qui fonctionnent grâce au CIFAM se situent plutôt dans des zones urbaines favorisées.
Vous démontrez en outre qu’une place qui ouvre avec le crédit d'impôt famille donne lieu à un phénomène de concurrence entre les gestionnaires pour attirer les professionnels de la petite enfance. En raison du manque de personnels sur ce marché, un professionnel embauché par une entreprise privée lucrative sera ainsi susceptible de manquer dans une crèche associative ou publique, rendant discutable l'intérêt de cette ouverture.
Vous évoquez également un phénomène de « captation de la valeur ajoutée par des plateformes d'intermédiation », à l’image d’un Uber de la crèche, c'est-à-dire des plateformes intermédiaires entre l'entreprise qui achète un berceau et la crèche qui le gère, qui captent de la valeur et notamment de l'argent public grâce à ce crédit d'impôts.
Vous évoquez, enfin, « la complexité de ce système qui se répercute sur des coûts commerciaux supplémentaires », qui représentent selon vos calculs 20 à 25 % du prix de chaque place, soit 50 à 60 millions d'euros.
Le crédit d'impôt famille représente un total de 182 millions d'euros dépensés par la puissance publique, dont l'effet levier des entreprises qui dépensent 80 millions d'euros. S’ajoutent à cela 60 millions d’euros de coûts commerciaux, qui ne bénéficient concrètement ni aux crèches, ni aux professionnels, ni aux enfants. L’utilité de ce système, dont les résultats sont faibles en comparaison des coûts générés, peut donc être questionnée.
Pouvez-vous développer, ou nuancer si nécessaire, ces différents arguments en faveur d’une suppression du CIFAM ?
Nous avons besoin de vos éclairages car il existe, au sein de l'Assemblée nationale, un lobbying très fort des crèches privées lucratives pour maintenir et même développer le CIFAM. Je me permets, à cet égard, d'interpeller Mme la rapporteure, qui a elle-même déposé, il y a quelques mois, un amendement suggéré par la Fédération française des entreprises de crèches pour développer et élargir le crédit d'impôt famille. Si les crèches privées exercent donc une influence considérable à l'Assemblée nationale, je souhaiterais, et je ne doute pas que Mme la rapporteure s’y emploiera, que les recommandations du rapport final soient d'intérêt général.
M. le président Thibault Bazin. Avant de laisser la parole aux auditionnés, je précise que mon sentiment concernant Mme la rapporteure est plutôt celui d’un scepticisme sur le CIFAM.
M. Philippe Vinçon. Vous avez correctement résumé les points essentiels de notre réflexion. Ce système a été mis en place pour créer, ainsi que je l’ai indiqué, un secteur privé qui n'existait pas et a donc, de ce point de vue, donné satisfaction. Il a, en revanche, permis plutôt à des enfants de cadres, qui étaient auparavant majoritairement gardés à domicile, de bénéficier de places en crèche.
Il me semble avant tout nécessaire de redéfinir clairement nos objectifs, ainsi que les enjeux d’un dispositif d'accueil du jeune enfant. Cette profonde refonte, si elle est nécessaire, est également complexe à imaginer en raison de son importance et des ambitions qui lui sont attachées. Il convient donc, à moyen terme, de définir cet objectif, avant de lancer concrètement les travaux tout en conservant un dispositif qui laisse aux familles le choix entre les modes de gardes.
Si j’estime, tout comme vous, que le système actuel n'est pas satisfaisant, il apparaît néanmoins que le nombre de places en crèche a augmenté au cours des dernières années. Compte tenu du contexte démographique peu dynamique, cela permet à davantage de jeunes enfants d’avoir accès à ce mode de garde.
Mme Véronique Guillermo. Nous avons, concomitamment à la remise de notre rapport, suggéré la mise en place d’un service destiné à l'enfance qui soit à la fois plus ambitieux et plus efficace, et qui réponde véritablement à l’ensemble des défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Dans l’attente, il a été décidé de créer un service public de la petite enfance qui sera confié à chaque commune, et qui permettra d'avoir à la fois un management plus cohérent et davantage de transparence. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de la création de ce service public qui verra le jour au 1er janvier 2025.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Monsieur le député, les amendements issus de la Fédération française des entreprises de crèches ont été signés par de nombreux groupes parlementaires, y compris par le groupe communiste qui fait, me semble-t-il, partie de votre intergroupe. À la lumière des nombreuses heures d’audition que nous avons partagées, vous avez certainement pu constater que j'étais extrêmement circonspecte quant aux mécanismes du crédit d'impôt famille, et en particulier quant à la question de la destination de cet argent public. Je serai particulièrement attentive à ce que nous puissions effectivement formuler des propositions visant à aboutir à un mécanisme qui permette à l'argent public de financer l'accueil des jeunes enfants, et non des stratégies de commercialisation.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je partage l’espoir de Mme la rapporteure quant aux préconisations issues de cette commission.
Mme Anne Bergantz (Dem). Si j’entends les questionnements liés au CIFAM, à la stratégie de commercialisation, et aux crédits qui bénéficient réellement à l'établissement qui accueille l'enfant, j’entends également la grande complexité de ce sujet.
Nous ne pouvons pas évoquer la suppression du CIFAM sans aborder la question du montant de la prestation de service unique (PSU). En effet, les crèches privées fonctionnent, parfois avec des délégations de service public (DSP), avec des prix de berceaux extrêmement bas, qu'elles compensent avec le prix plus élevé des berceaux d’entreprises. Cela signifie également, pour la collectivité, des coûts de berceaux moins élevés que si elle les finançait elle-même ou si le CIFAM n’existait pas. Quelle est donc votre réflexion sur ce sujet ? Car, même si le chiffre de 100 000 places supprimées me semble excessif dans la mesure où environ 120 000 enfants sont accueillis en crèches privées, en cas de suppression du CIFAM, peu d'entreprises investiront dans les crèches. Le coût du berceau, lorsqu’il est financé par une collectivité, varie du simple au double, de 20 000 à 47 000 euros lorsque le secteur privé finance. Or comment retrouver cette dynamique de création en cas de diminution des investissements privés ?
M. Philippe Vinçon. Si je partage entièrement votre point de vue sur la grande complexité du sujet, il faut souligner que le crédit d'impôt est un outil insatisfaisant et complexe à piloter. Or, en dépit des nombreuses difficultés constatées, il est politiquement compliqué de le faire évoluer, car certaines entreprises mettent en avant le développement qu’elles lui doivent. J’ajoute qu’en plus du crédit d'impôt, les dérogations micro-crèches bénéficient aux mêmes entreprises, ce qui vient encore freiner les volontés de transformation. Il est donc nécessaire de redéfinir totalement un nouveau cadre, qui va d’ailleurs commencer, ainsi que l’évoquait Mme Guillermo, à se mettre en place dans les mois à venir. Nous devrons ensuite tracer le chemin pour permettre de passer de l’état actuel à un état futur sans perdre de places en crèches. Cela nécessite à la fois d’établir le diagnostic de la situation actuelle, de définir les projections futures, et de fixer les moyens pour y parvenir. Une vision globale des politiques publiques d’accueil du jeune enfant et des problèmes auxquels nous sommes confrontés est indispensable.
Mme Anne Bergantz (Dem). Bien que les coûts liés au CIFAM soient importants, avez-vous chiffré, en termes d’investissement public, ce que coûterait à la collectivité le remplacement d’une place en crèche privée ?
M. Philippe Vinçon. Les coûts liés au remplacement d’une place en crèche privée par une place en crèche municipale seraient effectivement élevés. Mais cela permettrait-il d'accueillir une population différente, avec de réels effets dans la durée ?
M. le président Thibault Bazin. Pouvez-vous partager votre analyse du coût à la place ? Car il nous a été indiqué, au cours des auditions conjointes Igas/IGF du mois de janvier, un coût moyen de 20 000 euros pour un coût public de l’ordre de 17 000 euros. Existe-t-il donc des coûts cachés ?
M. Philippe Vinçon. Si notre rapport fait état du coût très élevé des places d'accueil du jeune enfant, en comparaison notamment avec les coûts d’accueil en école primaire, les différences sont en revanche limitées entre crèches publiques et crèches privées. Nous observons toutefois un désengagement des collectivités locales sur les créations de crèches, puisqu’elles choisissent, afin de limiter les coûts, de faire supporter le risque à des sociétés privées.
Mme Véronique Guillermo. Il existe deux types de coûts qu’une commune peut évaluer : le coût financier pur, mais également les coûts de gestion. Ces derniers, qui représentent une charge importante, notamment pour les plus petites communes, s’ils sont difficilement évaluables en termes financiers, doivent néanmoins être pris en compte. Ils expliquent pour partie le manque d’appétence des collectivités territoriales pour le développement de places de crèches.
M. William Martinet (LFI-NUPES). La difficulté, pour les collectivités territoriales, est le tiers financeur. Si elles n'ouvrent pas de place, c’est en raison de ce système qui implique un tiers financeur, dont elles jouent le rôle en cas de gestion publique. Dans le système du privé lucratif en revanche, le tiers financeur émerge à travers les entreprises et le crédit d'impôt famille. L'annexe 3 de votre rapport mentionne clairement que, sitôt que l’on parle de niveaux de subventionnement des EAJE, le secteur public est le moins subventionné, après l’associatif et le secteur marchand. L’écart est également significatif en termes de berceaux, puisqu’il s’élève quasiment à 2 000 euros. Il se réduit cependant concernant les heures d'accueil, puisque les crèches privées remplissent davantage que les crèches publiques. En tout état de cause, les heures d'accueil du secteur marchand sont davantage subventionnées que celles des secteurs associatifs et publics.
M. Philippe Vinçon. Ceci est tout à fait juste.
M. le président Thibault Bazin. Je déplore le fait que nous ne disposions pas de données sur le nombre de places qui peuvent être financées par un tiers réservataire privé auprès de structures publiques, et sur cet entremêlement source de complexité. Je souhaiterais, d'ici lundi et la prochaine audition de vos collègues, pouvoir disposer d’éléments sur ce sujet. Combien de places sont davantage aidées dans le public et dans le privé non lucratif à travers ces mécanismes ? J’ai en effet été surpris de constater les croisements, car des communes réservent des places au sein de crèches privées sans bénéficier du CIFAM, tandis que des crèches publiques ou associatives disposent de tiers réservataires privés, qui bénéficient du CIFAM. Nous avons de même été interpellés par le fait que certaines administrations et collectivités font appel à des commercialisateurs.
Vous avez, d’autre part, mentionné de très grande entreprise dans des secteurs bien particuliers, et indiqué que le système de commercialisation était lié à la complexité de recruter du personnel chargé de cette mission. Il semble donc que les très grandes entreprises soient justement les mieux armées pour prendre en charge cette recherche, et non les TPE qui recherchent auprès des commercialisateurs.
Mme Véronique Guillermo. Si nous ne disposons pas de données précises, nous avons en revanche constaté qu’un grand nombre d'entreprises de petite et moyenne envergure se lancent désormais dans la réservation de berceaux, alors que ces missions étaient auparavant réservées aux grandes entreprises au sein des métropoles. Plusieurs politiques se rejoignent aujourd’hui, dont celles liées à la qualité de vie au travail, à l’égalité homme-femme, et à la facilitation de l'exercice d'une activité professionnelle, et cela peut donc contribuer à expliquer que les petites entreprises souhaitent aujourd’hui fidéliser leurs salariés de cette façon.
M. Philippe Vinçon. Le CIFAM était, au départ, réservé aux grandes entreprises, qui pouvaient à la fois maîtriser ce dispositif et assumer le risque d'une suppression de ce crédit d'impôt. Vis-à-vis de ses salariés, l’entreprise se doit en effet, si elle choisit de lancer ce dispositif, de le pérenniser, y compris dans une situation de mauvaise conjoncture qui impliquerait d’assumer l’intégralité des coûts. Au fur et à mesure, des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) se sont lancées dans le dispositif, dans des secteurs compétitifs où les jeunes salariés peuvent être fidélisés grâce à cet outil.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie. Nous auditionnerons demain 3 avril à onze heures trente M. Sylvain Forestier, co-fondateur du réseau de crèches La Maison Bleue, puis, à seize heures, M. Tanguy Desandre, président fondateur de Les Parents Zens, et M. Bertrand Dubois, directeur des opérations, à dix-sept heures trente, les représentants du cabinet Horizon Crèche et enfin, à dix-huit heures trente, M. Jean-Emmanuel Rodocanachi, président fondateur de Grandir-Les Petits Chaperons rouges.
La séance est levée à 18 heures 20.
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mardi 2 avril 2024 à 17 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli