Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de M. Sylvain Forestier, président fondateur de La Maison Bleue et de Mme Claire Laot-Billet, directrice générale du groupe La Maison Bleue 2
Mercredi 3 avril 2024
Séance de 11 heures 30
Compte rendu n° 35
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 11 heures 30.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Sylvain Forestier, président fondateur de La Maison Bleue et Mme Claire Laot-Billet, directrice générale du groupe La Maison Bleue.
M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous avons auditionné le 20 mars dernier les dirigeants des quatre grands groupes privés gestionnaires de crèches. Nous avons souhaité approfondir ces échanges en recevant les fondateurs de ces groupes. Dès le 20 mars, nous avons pu échanger avec monsieur Durieux et madame Broglin, fondateurs de People&Baby. Jeudi 28 mars, nous rencontrions messieurs Rodolphe et Édouard Carle, fondateurs de Babilou. Ce soir, à 18 heures 30, nous auditionnerons monsieur Jean-Emmanuel Rodocanachi, fondateur de Grandir-Les Petits Chaperons Rouges. Ce matin, pour obtenir une vision complète, nous auditionnons monsieur Sylvain Forestier, fondateur de La Maison Bleue, qui a souhaité être accompagné de madame Claire Laot-Billet que nous avions déjà reçue le 20 mars en sa qualité de directrice générale.
Je vous remercie, monsieur Forestier de vous être rapidement rendu disponible. Je vous inviterai à concentrer votre bref propos liminaire sur votre parcours et sur la place que vous occupez encore au sein de l’entreprise que vous avez fondée. Des questions viendront ensuite enrichir nos échanges.
Cette audition, je le précise, est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. J’invite d’ores et déjà les collègues qui souhaiteront intervenir et poser des questions à la suite de madame la rapporteure à se manifester.
Il me reste à vous rappeler, madame, monsieur, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, madame, monsieur, à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Sylvain Forestier et Mme Claire Laot-Billet prêtent successivement serment.)
M. Sylvain Forestier, président fondateur de La Maison Bleue. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j’ai créé, après d’autres entreprises, La Maison Bleue en 2004 avec Anthonia Rickbosch, infirmière puéricultrice. J’en suis le président et Claire Laot-Billet en est la directrice générale.
J’ai toujours été entrepreneur, et j’ai eu le sentiment, confirmé par la suite, que les crèches constituaient un investissement de long terme qui s’inscrivait dans un paysage social et humain et sur lequel une construction solide pouvait se développer.
J’ai également été très intéressé par les différentes dimensions de cet investissement : pédagogique, sociale, internationale, celle dont je m’occupe le plus aujourd’hui, immobilière et d’aménagement.
J’avais pressenti, au moment de créer La Maison Bleue, qu’il s’agissait d’un sujet crucial dans l’évolution des sociétés occidentales, à la fois parce que les crèches sont un facteur essentiel de lutte contre la baisse démographique et parce qu’elles sont un grand facteur d’intégration, notamment pour des populations défavorisées.
J’avais également pressenti que les crèches, qui étaient déjà importantes, allaient le devenir davantage et que leur nombre allait devoir augmenter. Enfin, j’ai pressenti, ce qui s’est confirmé tant en France qu’à l’étranger, que l’État allait avoir besoin du privé pour soutenir cet effort de création. Ce sont les raisons pour lesquelles j’ai investi dans ce domaine.
La Maison Bleue compte aujourd’hui près de 400 crèches en France et 200 à l’étranger. Il est intéressant de noter que les sociétés intermédiaires disparaissent et qu’une dizaine de groupes, dans le monde, gèrent aujourd’hui des crèches. Parmi ces dix groupes, quatre sont français, ce qui constitue une réussite notable.
Claire Laot-Billet, en tant que directrice générale, gère les aspects opérationnels, tandis que je m’occupe, en tant que président, de la stratégie, des aspects financiers et des aspects internationaux.
M. le président Thibault Bazin. Merci monsieur Forestier. Avant de céder la parole à la rapporteure, je souhaiterais que vous clarifiiez votre rôle. Vous êtes le président de La Maison Bleue, mais occupez-vous d’autres fonctions dans d’autres sociétés ou structures juridiques liées à La Maison Bleue, notamment des structures immobilières ?
Quels sont les objectifs que vous fixez à votre directrice générale, notamment en termes de qualité et de modèle ?
M. Sylvain Forestier. J’ai, en tant que président exécutif, la charge de conduire la société, de déterminer sa stratégie et de vérifier la manière dont elle est appliquée. Je suis également mandataire social et j’en assume la responsabilité afférente vis-à-vis de l’environnement de la société.
Cette activité m’occupe à plein temps, même si nous nous partageons le travail avec Claire Laot-Billet, et je n’ai pas d’autres fonctions ou rôles, rémunérés ou non rémunérés.
M. le président Thibault Bazin. Vous percevez par conséquent une rémunération en tant que mandataire de La Maison Bleue.
M. Sylvain Forestier. Oui.
Concernant la partie immobilière, nous avons créé il y a trois ans, avec les actionnaires historiques qui sont des personnes physiques, une société immobilière qui détient une quinzaine de crèches. Nous avons racheté ces crèches à La Maison Bleue, en contractant d’ailleurs une dette relativement importante. L’objectif est que La Maison Bleue ne détienne aucun bien en propre compte tenu des capacités de financement élevées nécessaires. La dette et la capacité de financement sont en effet au cœur du modèle et des problématiques des entreprises de crèches, y compris de La Maison Bleue. Mieux vaut, pour pouvoir emprunter, ne pas afficher d’immobilier dans son bilan et externaliser cette partie.
Nous privilégions la location des locaux, mais il arrive que nous soyons obligés de les acheter, par exemple lorsqu’un maire aménage un écoquartier et installe une crèche dans un immeuble que le promoteur veut vendre et non louer.
Dans ce cas, nous pouvons faire appel à des investisseurs qui achètent le local pour nous le louer. Plus d’une centaine de nos crèches s’inscrivent dans ce modèle. Une quinzaine de crèches étaient, pour des raisons historiques, détenues par La Maison Bleue, généralement car nous n’avions pas trouvé d’investisseurs. Je pense par exemple à la crèche de Bailleul, dans le Nord, ville dans laquelle l’immobilier est compliqué.
L’externalisation de ces biens immobiliers, effectuée au travers du rachat par une SCI, a été menée afin d’améliorer le bilan de la société et de pouvoir emprunter davantage.
Les subventions de la CAF peuvent financer un certain pourcentage de l’aménagement, qui varie selon les CAF, mais jamais l’achat du local, sachant que transformer un local tertiaire en crèche est souvent considéré comme un inconvénient par le propriétaire. J’ai l’exemple d’une crèche à Meaux que nous avions aménagée, que nous avons dû fermer car la mairie s’est retirée de la réservation, et que la SCI est en train, à ses frais, de reconvertir en local d’activité.
M. le président Thibault Bazin. Les financements de la CAF sont cependant conditionnés à une destination et à une durée de destination.
M. Sylvain Forestier. Tout à fait. Si nous modifions la destination du local aménagé avec les financements de la CAF avant un laps de temps de dix ans, me semble-t-il, nous devons rembourser au prorata les subventions reçues.
M. le président Thibault Bazin. Cette situation s’est-elle déjà produite ?
M. Sylvain Forestier. Non, je ne pense pas. Nous avons systématiquement conservé la destination du local le temps nécessaire. Nous fermons très rarement des crèches, même si nous ne pouvons pas l’exclure dans les années à venir.
M. le président Thibault Bazin. Je résume : vous êtes le président exécutif de la société La Maison Bleue, vous avez une fonction dans la société civile immobilière, créée avec des actionnaires historiques qui sont des personnes physiques, et vous possédez seulement 15 crèches. Est-ce exact ?
M. Sylvain Forestier. C’est exact.
M. le président Thibault Bazin. En dehors de ces rôles, vous n’avez pas d’autres fonctions ou d’autres structures.
M. Sylvain Forestier. Non, aucune.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mes questions s’articuleront autour de trois axes : votre modèle économique, que nous avons déjà abordé par l’intermédiaire des questions posées par le Président, la représentation d’intérêts et la qualité d’accueil dans vos établissements.
Quel est votre niveau actuel de rentabilité ? Existe-t-il une disparité importante entre votre rentabilité en France et à l’étranger ? S’il existe une disparité, comment expliquez-vous ces écarts de rentabilité ? Quelle est la structure actuelle de votre actionnariat ? Pourquoi avez-vous choisi, en 2012, de faire appel à des fonds d’investissement, peut-être en substitution de crédits bancaires ? Pourquoi vous êtes-vous tournés vers la BPI en 2016 ? Pourquoi a-t-elle décidé de vous soutenir ?
Vous avez déjà répondu à une partie de mes questions sur votre modèle immobilier. Néanmoins, je souhaiterais vous interroger sur la façon dont vous établissez les conditions de la prise à bail, et notamment le montant des loyers.
Concernant votre activité d’allocation des places en crèche, quel volume financé représente-t-elle par rapport à votre activité traditionnelle d’accueil du jeune enfant ? Quelle est la différence de rentabilité entre ces deux activités et comment définissez-vous la part du prix de commercialisation qui reste au bénéfice du groupe et la part de la commercialisation qui revient aux gestionnaires de crèches pour l’accueil du jeune enfant ?
Quels sont, en volume annuel, vos frais de siège ? Comment sont-ils ventilés ? Comment se fait-il que des rapports fassent état de difficultés persistantes de la part des administrations compétentes pour obtenir la clé de répartition de vos frais de siège, alors que votre activité d’accueil de jeunes enfants en crèche est largement financée par de l’argent public ?
Enfin, je souhaite vous interroger sur la suppression du Cifam. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un certain nombre de rapports ont été publiés et préconisent cette suppression. Quelles seraient, selon vous, les conséquences de cette suppression sur votre activité, mais aussi sur l’ensemble du secteur ?
M. Sylvain Forestier. La rentabilité se situe actuellement entre 0 % et 1 %, en France comme à l’étranger. Les deux groupes d’entreprises de crèches les plus importants ne sont pas français, mais américain et scandinave. Ils sont cotés en Bourse et toutes leurs données sont publiques et disponibles. Le groupe scandinave est financé en grande partie par des fonds publics alors que l’activité des crèches, en Suède, est essentiellement privée.
Ces groupes sont implantés dans les pays européens tels que les Pays-Bas, la Grande‑Bretagne ou l’Allemagne, mais aucun d’entre eux n’est présent en France en raison d’une rentabilité bien trop faible.
J’attire cependant votre attention sur la différence entre la rentabilité nette et la marge. La marge de l’entreprise lui permet de rembourser ses dettes et ses emprunts. Notre très faible rentabilité nette s’explique par le montant très important de nos dettes. La Maison Bleue est endettée à hauteur de 270 millions d’euros, ce qui est considérable par rapport à notre chiffre d’affaires qui devrait s’élever, en 2024, à environ 350 millions d’euros. Cet endettement important concerne toutes les entreprises de crèches car les financements nécessaires à la création sont très élevés.
La marge des entreprises de crèches permet donc de financer les intérêts des emprunts, qui augmentent en raison de la hausse des taux d’intérêt, et de subvenir aux dépenses de maintenance, auxquelles nous consacrons plusieurs millions d’euros par an.
La rentabilité nette est par conséquent quasiment nulle. Elle peut être un peu meilleure dans d’autres pays, mais elle reste modeste, notamment dans les pays dans lesquels nous sommes installés depuis peu, où nous ne sommes pas encore en phase de montée en puissance.
Par ailleurs, le cœur du modèle économique des entreprises de crèches est basé sur l’investissement. Une mairie ou une collectivité publique, après avoir investi dans l’achat ou dans la construction de ses locaux, n’a plus à financer que les coûts de fonctionnement, alors que le compte de charge des entreprises de crèches comprend les coûts de fonctionnement et le remboursement de la dette. Les entreprises de crèches sont aujourd’hui excessivement endettées, notamment car elles ont réalisé des investissements à la place du public, que j’estime à plus de 1 milliard d’euros.
J’ai omis de préciser, lors de votre question sur l’immobilier, que La Maison Bleue possède quatre biens sous le statut d’une DSP concessive et vient d’en gagner une pour la mairie de Bordeaux. Ces biens, à l’issue de la DSP, reviendront pour un euro à la mairie et ne peuvent être externalisés car aucun investisseur n’est intéressé par l’acquisition d’un bien dont la valeur sera nulle au bout de huit ans.
M. le président Thibault Bazin. Les communes assurent également une partie de la maintenance des locaux achetés ou construits.
Nous vous écoutons sur la structure de l’actionnariat.
M. Sylvain Forestier. J’ai créé La Maison Bleue avec quelques amis, qui sont toujours au capital. La structure de l’actionnariat est très éclatée, pour deux raisons. La première raison est que, jusqu’en 2012, soit pendant huit ans après sa création, j’ai financé La Maison Bleue grâce à l’apport privé, grâce à la dette et grâce au concours obligataire de la Banque publique d’investissement (BPI), qui nous soutient depuis très longtemps.
La seconde raison est l’importance de l’actionnariat salarié, auquel je suis très attaché. Un grand nombre de managers sont intéressés au capital. Certains sont toujours salariés de l’entreprise, mais d’autres l’ont quitté et ont conservé leurs actions. Ce modèle a fonctionné jusqu’en 2012, mais les banques ont exigé, pour accepter de financer notre développement, que nous renforcions notre structure de bilan et nos capitaux propres au travers de l’entrée d’un actionnaire de référence. Nous avons dû ouvrir notre capital et trouver des fonds d’investissement afin de rassurer les financiers. Sans actionnaire de référence, La Maison Bleue ne pourrait pas assumer une dette de 270 millions d’euros. Un premier petit fonds d’investissement est entré au capital en 2012 et nous a accompagnés pendant quatre ans. Deux autres fonds d’investissement nous ont rejoints en 2016, la BPI et TowerBrook, très implanté en Angleterre et qui nous a aidés à nous développer sur le marché anglais.
Je possède aujourd’hui 28 % des actions, en valeur, et chacun des fonds d’investissement en possède 27 %. J’ai gardé toutefois le contrôle de la société car je détiens 60 % d’une société qui possède 51 % du reste de l’actionnariat. Concernant les droits de vote, mes amis fondateurs et moi restons majoritaires.
M. le président Thibault Bazin. Quel est le nombre d’actionnaires fondateurs ?
M. Sylvain Forestier. Nous sommes une dizaine.
M. le président Thibault Bazin. Qui détient le reste de l’actionnariat ?
M. Sylvain Forestier. Je détiens personnellement 28 % des actions, les deux fonds d’investissement en détiennent chacun 27 % et le reste de l’actionnariat se partage entre les autres actionnaires et les salariés.
M. le président Thibault Bazin. Les deux fonds sont majoritaires en valeur, mais pas en droit de vote.
M. Sylvain Forestier. Tout à fait.
M. le président Thibault Bazin. Je vous propose de répondre à la question de madame la rapporteure relative aux prix à bail.
M. Sylvain Forestier. La question porte-t-elle uniquement sur les loyers des biens détenus par la SCI ?
M. le président Thibault Bazin. Non, elle porte sur tous les loyers.
M. Sylvain Forestier. Lorsque nous créons une crèche, nous privilégions la location, que le bien soit déjà détenu par un propriétaire ou qu’il soit acheté par un investisseur. Les loyers font l’objet d’âpres négociations et nous sommes, dans la quasi-totalité des cas, en dessous des loyers de marché déterminés par notre comité d’investissement interne. Ils représentent en effet, avec les salaires, un élément important de notre compte de charges.
Concernant les loyers de la SCI, plusieurs expertises, réalisées à la demande de la BPI et de TowerBrook, ont validé le fait que les loyers étaient conformes aux prix de marché.
M. le président Thibault Bazin. Je vous invite maintenant à répondre à la question de madame la rapporteure concernant la rentabilité de l’activité de réservation.
Mme Claire Laot-Billet, directrice générale de La Maison Bleue. Nous disposons, en 2023, de 1 105 berceaux réservés à des partenaires de notre réseau, qui représentent un chiffre d’affaires d’un peu plus de 1 million d’euros. La marge brute s’élève à 17 %, sachant qu’elle peut être plus importante sur certains berceaux, mais négative sur d’autres lorsque nous vendons à notre client réservataire un berceau à 10 000 euros alors que nous l’avons acheté à 14 000 euros à nos partenaires. Quant à la marge nette, nous considérons qu’elle est nulle.
Cette activité de réservation de places en réseau est intéressante parce qu’elle permet de servir le contrat principal avec notre réservataire multiberceaux, qui porte sur 50 à 100 berceaux, mais elle ne dégage pas de marge. Commercialiser un berceau nécessite en effet de disposer d’une équipe dédiée à la mise en place des contrats avec les réservataires, qu’ils soient publics ou privés. Seuls les plus grands groupes peuvent aujourd’hui supporter un tel coût, auquel nous ne pouvons échapper puisque la PSU exige d’avoir un tiers réservataire. La France est d’ailleurs le seul pays au monde où est imposé ce tiers réservataire.
Cette activité reste relativement marginale, avec 1 105 berceaux sur 16 000, mais elle ne sert pas nos intérêts et rend le travail administratif plus complexe. Si nous le pouvions, nous l’éviterions.
M. le président Thibault Bazin. Autant je comprends la différence entre la marge et la rentabilité, liée à l’endettement, autant je pensais que sur l’activité de commercialisation, pour laquelle l’endettement est nul, la marge brute devait être proche de la rentabilité.
Mme Claire Laot-Billet. Ma réponse porte sur la marge brute de l’activité de commercialisation, qui s’entend comme la différence entre le prix de vente et le prix d’achat en tenant compte des coûts associés à la commercialisation. Elle ne concerne pas la rentabilité de l’entreprise.
M. le président Thibault Bazin. La définition de la marge brute est par conséquent différente de celle d’une entreprise.
Mme Claire Laot-Billet. Tout à fait.
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Forestier, souhaitez-vous apporter des compléments à la réponse de madame Laot-Billet ?
M. Sylvain Forestier. J’aurais deux remarques complémentaires. La première remarque est que l’arrêt du système de réservation, tout en maintenant le système de la PSU, mettrait en très grande difficulté, voire ferait disparaître, un grand nombre d’acteurs qui n’ont pas les moyens financiers et humains de s’adresser aux grands réservataires. Il ne suffit pas, en effet, de vendre des places. Il faut également gérer pour le client la répartition des berceaux, créer des extranets et instaurer des commissions d’attribution, en liaison avec la direction des ressources humaines du client.
Ma seconde remarque porte sur le tiers financeur, modalité spécifique à la France et qui est, au même titre que la dette, un élément central de notre modèle économique. Dans tous les autres pays, le tarif est libre et se régule en fonction de l’offre et de la demande. Ce tarif libre est parfois complété par un abondement du système public.
M. le président Thibault Bazin. Vous parlez du tiers réservataire comme s’il n’était que privé, mais il existe des tiers réservataires publics.
M. Sylvain Forestier. Je décrivais le système en cours à l’étranger, où le financement est assuré par les parents et par le système public. Le reste à charge pour les parents est d’ailleurs parfois plus faible qu’en France, voire nul.
Le tiers réservataire n’est présent dans aucun des pays de l’OCDE, alors qu’il concerne la majorité des crèches des collectivités. J’en profite pour rappeler que la part du privé dans la gestion des crèches est bien plus faible en France que dans les autres pays européens, où elle atteint 50 % à 60 %.
Ce tiers réservataire est financé par le budget des communes lorsqu’il s’agit de crèches en régie. Les crèches privées doivent trouver une administration, une ville ou une entreprise qui lui achètera des berceaux. L’entreprise va financer – ce qui est une particularité française – une minoration du reste à charge, que ce dernier soit payé par les parents ou par la collectivité. Dans tous les autres pays, le financement est uniquement assuré par les parents et le public.
M. le président Thibault Bazin. Je vous propose de répondre à la question de madame la rapporteure relative aux frais de siège.
M. Sylvain Forestier. Les frais de siège, pour les collectivités comme pour les entreprises de crèches privées, permettent par exemple de financer le personnel chargé de l’entretien, des ressources humaines ou de la comptabilité.
Au niveau international, les frais de siège des entreprises de crèches, quelle que soit leur taille, tournent autour de 10 %. Ils sont supérieurs en France, en raison de l’importance des frais de recherche et de gestion du tiers réservataire, ainsi que du travail de reporting et de contact avec les administrations.
Mme Claire Laot-Billet. Nos frais de siège, en pourcentage de notre chiffre d’affaires, baissent d’une année sur l’autre. Ils atteignent 11,5 % cette année, alors qu’ils étaient de 12 % l’année dernière et de 13 % il y a trois ans.
La complexité de leur ventilation est liée à la multitude de sociétés juridiques qui composent La Maison Bleue. J’ai transmis le 19 février dernier à la Cnaf une note extrêmement claire exposant la répartition des frais de siège, note que je présenterai également à l’Igas.
M. le président Thibault Bazin. Monsieur Forestier, vous avez la parole à propos du Cifam.
M. Sylvain Forestier. Sans le Cifam, qui finance les places à hauteur de 50 %, un grand nombre d’entreprises ne réserveraient pas autant de places en crèches. Les toutes petites entreprises ne pourraient pas prendre en charge le coût réel d’un berceau. Les grandes entreprises continueraient probablement à octroyer le même budget à la réservation de places en crèche, mais le nombre de berceaux serait divisé par deux.
La suppression du Cifam va se traduire par une chute drastique des réservations, par la fermeture d’un certain nombre de structures détenues par des groupes, et par de nombreuses faillites de petits acteurs. Le montant du Cifam reste faible par rapport à celui du budget Familles ou Crèches, mais son effet de levier est important puisque 1 euro d’argent public génère 1 euro d’argent privé dans le système.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous avons reçu hier l’IGF et l’Igas pour leur rapport rendu en 2021 qui faisait état de 0,44 euro d’argent privé pour 1 euro d’argent public investi en raison du mécanisme de défiscalisation au titre de l’impôt sur les sociétés qui permet d’atteindre une prise en charge de la dépense de l’entreprise de 75 %.
Avec une moyenne de 17 % de marge brute et des berceaux vendus à perte, la rentabilité des autres berceaux est bien plus élevée et prise en réalité en charge par de l’argent public.
Je comprends tout à fait que la logique de la commercialisation est la conséquence du modèle du tiers financement, mais nous nous interrogeons justement, au sein de cette commission d’enquête, sur le modèle lui-même. Ce modèle finance aujourd’hui la commercialisation de berceaux alors que l’argent public a vocation à financer l’accueil du jeune enfant.
Vous indiquez par ailleurs que vous êtes défavorisés par rapport au public lorsque vous réalisez les investissements à sa place, mais le public s’endette également lorsqu’il investit. Je ne vois pas de différence entre l’acquisition par une SCI ou par un tiers et l’acquisition par une personne publique. Vous indiquez également que le secteur privé porte les aménagements, mais d’après votre propos introductif, ces aménagements sont financés jusqu’à 80 % par les CAF. Si je comprends l’enjeu de trésorerie que ces investissements représentent, je ne comprends pas que vous considériez les réaliser à la place du public. Ces investissements sont financés par de l’argent public, via la PSU et les dispositifs de défiscalisation qui bénéficient aux entreprises, et par les familles.
Je souhaiterais enfin des éléments de réponse sur les subventions d’investissement de la CAF.
M. Sylvain Forestier. Les subventions d’investissement de la CAF peuvent s’élever à 80 %, mais il s’agit d’un maximum rarement atteint. Le reste à charge, pour une entreprise qui ouvre une nouvelle crèche, peut facilement représenter 400 000, 500 000, voire 700 000 euros, dont le financement nécessite de s’endetter.
Je n’ai pas dit que les collectivités ne finançaient pas les crèches, mais qu’elles les finançaient différemment. D’une part, elles vont privilégier des acquisitions ou des constructions ex nihilo qui coûtent beaucoup plus cher que notre système de location. D’autre part, quand elles présentent un compte de charges, le poids de l’amortissement ou du remboursement de l’immobilier n’apparaît pas.
Même si la mairie louait un local, elle devrait payer le reste à charge de 400 000, 500 000 ou 700 000 euros qui nous revient. C’est pour cette raison que je considère que nous construisons des crèches à la place du public.
J’ajouterai qu’une des raisons pour lesquelles la plupart des pays voisins ont un taux d’équipements très supérieur à celui de la France, non seulement en nombre de places par million d’habitants, mais également en dynamique de création, tient à la part plus importante du privé.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Quelles sont les prises en charge minimale et moyenne de la CAF ?
Mme Claire Laot-Billet. Le coût d’aménagement est d’environ 25 000 euros par berceau. La subvention moyenne est de l’ordre de 8 000 à 9 000 euros, même si elle peut atteindre, dans de rares cas, 15 000 euros. Par ailleurs, les micro-crèches ne bénéficient d’aucune subvention à l’investissement et le financement des places est uniquement supporté par l’entreprise.
M. le président Thibault Bazin. Dans le cahier des charges des DSP établies avec les communes, les subventions de la CAF sont déduites de la part de l’investissement à la charge du délégataire. En connaissez-vous préalablement le montant ?
Mme Claire Laot-Billet. Oui. Nous devons présenter les devis des travaux à la CAF et obtenir leur validation avant de pouvoir les commencer. Nous devons ensuite fournir les factures, qui doivent être conformes aux devis, pour percevoir la subvention d’investissement.
M. le président Thibault Bazin. Comment expliquez-vous les 80 % cités par un président de CAF en audition ?
Mme Claire Laot-Billet. Il s’agit d’un pourcentage maximum.
M. le président Thibault Bazin. Pourquoi ne l’obtenez-vous pas ?
Mme Claire Laot-Billet. Je pense que la réponse est à chercher auprès des CAF locales. Je peux vous assurer que notre subvention moyenne se situe autour de 8 000 euros, pour un coût d’investissement de 25 000 euros par berceau.
M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie de bien vouloir transmettre tous les documents utiles pour étayer vos réponses à madame la rapporteure.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Monsieur Forestier, vous êtes parmi les premiers à avoir investi dès la libéralisation du secteur des crèches privées. Les autorités politiques vous ont probablement considéré comme un acteur incontournable pour satisfaire leur ambition d’augmenter le nombre de places en crèche. Avez-vous eu en conséquence des liens ou des voies d’accès privilégiées à des ministres ou à des parlementaires, toutes couleurs politiques confondues ? Quelle a été votre influence sur les modifications législatives et réglementaires qui sont intervenues ces vingt dernières années ?
M. Sylvain Forestier. L’activité des crèches, même gérée par le privé, reste un service public et une activité sociale. Nous avons par conséquent, dans tous les pays, de nombreux contacts avec des intervenants publics.
J’ai été président de la Fédération française des entreprises de crèches pendant plusieurs années, ce qui m’a amené également à être en contact avec le secteur public à cette époque.
M. le président Thibault Bazin. La question de madame la rapporteure portait sur les vingt dernières années.
M. Sylvain Forestier. J’ai eu peu de contacts avec les acteurs publics lorsque j’ai fondé La Maison Bleue car la structure était de petite taille et car je n’étais pas encore actif au niveau de la Fédération française des entreprises de crèches. J’ai ensuite participé à un certain nombre de rendez-vous publics avec les différentes autorités.
M. le président Thibault Bazin. Interveniez-vous, au début, auprès du ministère ?
M. Sylvain Forestier. Au début, non. Nous avons en revanche de nombreux contacts locaux.
M. le président Thibault Bazin. La question sur l’activité d’influence porte sur la manière dont le modèle s’est construit au niveau des ministères, en lien avec les groupes privés.
M. Sylvain Forestier. Les éléments sur lesquels se fondent le modèle, tels que la PSU, les micro‑crèches et les subventions, sont des éléments sur lesquels notre impact est faible.
M. le président Thibault Bazin. Avez-vous été en contact, en 2007, avec le ministère ?
M. Sylvain Forestier. Je ne pense pas, dans ces années-là, avoir eu des rendez-vous au ministère. La société était trop petite, j’étais très pris par sa création et je n’étais pas encore actif au sein de la Fédération.
Sincèrement, si nous avions pu influencer le modèle de la PSU, il ne serait pas celui que nous connaissons aujourd’hui. Nous n’aurions pas accepté, par exemple, que les microcrèches soient exclues des subventions.
M. le président Thibault Bazin. Aimeriez-vous avoir plus d’influence ?
M. Sylvain Forestier. Je ne formulerai pas les choses ainsi, mais nous aurions peut-être souhaité que certaines décisions soient différentes.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma question vise à déterminer dans quelle mesure vous avez pu influer sur les différentes évolutions réglementaires. Prenons l’exemple de la réglementation relative aux micro‑crèches. Un certain nombre de dérogations existent, dont l’intérêt est de permettre l’ouverture ou le maintien de places de berceaux, mais elles posent de réelles difficultés sur les conditions d’accueil des jeunes enfants. Auriez-vous pu influer sur cette dérégulation, ou l’avez-vous fait ?
M. Sylvain Forestier. Je ne pense pas avoir influé sur la réglementation des micro‑crèches, dont l’objectif est de fonctionner en France comme nous le faisons dans d’autres pays. Quelques places sont réservées par les entreprises, mais le coût est en très grande majorité réparti entre les parents et la collectivité.
M. le président Thibault Bazin. Il existe cependant des micro-crèches en PSU.
M. Sylvain Forestier. Les micro-crèches représentent environ 13 % du chiffre d’affaires de La Maison Bleue, contrairement à la plupart des petits acteurs de la Fédération dont c’est l’unique activité.
Nous gérons onze crèches en PSU, en délégation de service public pour des mairies.
M. le président Thibault Bazin. Avez-vous une influence sur la déréglementation des micro-crèches Paje ?
M. Sylvain Forestier. Je ne pense pas. Le problème de la micro-crèche est justement sa taille. Il n’existe d’ailleurs aucune crèche de 10 places dans les autres pays. Pour expérimenter ce financement conjoint parents-public, avec peu ou pas de réservataires, la taille de ces micro-crèches a été limitée à 10, puis à 12 places. Or je pense qu’il aurait fallu réaliser cette expérimentation sur des crèches de 30 ou de 40 places. Je me souviens d’ailleurs de l’avoir proposé, mais je n’ai pas été entendu.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour la franchise de vos réponses.
Ma dernière série de questions portera sur la qualité d’accueil et les conditions de travail au sein de votre groupe. Le secteur des crèches fait l’objet depuis plusieurs années d’une attention toute particulière de la part des administrations, mais également de la part des médias.
Cette attention se comprend parfaitement au regard de la nature de la mission – accueillir ce que chaque parent a de plus précieux au monde et permettre aux enfants de grandir dans les meilleures conditions –, mais également au regard de la gravité du drame survenu à Lyon en juin 2022.
Comment avez-vous appréhendé cette attention particulière portée au secteur des crèches au sein de votre groupe et auprès de vos personnels ? Quelles mesures avez-vous mises en place pour répondre aux médias qui vous sollicitent ?
M. Sylvain Forestier. Nous travaillons dans l’humain et devons composer avec l’imperfection. Des incidents, voire des accidents, peuvent arriver tous les jours dans les crèches comme dans les écoles primaires. Nous devons par conséquent chercher à limiter le risque et à proposer la meilleure qualité d’accueil.
Nous avons notre propre organisme de formation et nous investissons de manière importante dans la qualité, même si nous sommes une entreprise à but lucratif. Premièrement, nous en avons les moyens humains et financiers, grâce à notre taille. Parmi les 250 personnes du siège, nous comptons par exemple une directrice de la qualité, une directrice de la responsabilité sociale des acteurs (RSA) et une directrice de la pédagogie.
Deuxièmement, nous souhaitons et devons présenter des résultats positifs aux très nombreux contrôles dont nous faisons l’objet. Rien que l’année dernière, nous avons recensé 200 contrôles de la PMI et 100 contrôles de la CAF.
Troisièmement, rien n’oblige les parents à choisir nos structures. Nous cherchons par conséquent à leur proposer une offre attractive et de qualité, pour qu’ils viennent, pour qu’ils nous recommandent et pour qu’ils restent.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Comment avez-vous appréhendé l’attention des médias sur le secteur des crèches et en particulier des crèches privées ? Avez-vous été transparent ? Avez-vous donné des consignes particulières à vos personnels ?
M. Sylvain Forestier. Nous avons été très affectés par un certain nombre d’articles. Nous avons demandé au personnel d’être très attentif au risque d’entrisme. Nous y avons été confrontés à deux reprises, avec des journalistes se faisant passer pour des salariés diplômés. Une journaliste a prétendu qu’elle était auxiliaire de puériculture, ce qu’elle n’était pas, et est restée huit jours auprès des enfants.
M. le président Thibault Bazin. Ne vérifiez-vous pas les diplômes ?
M. Sylvain Forestier. Si, mais le diplôme était faux.
M. William Martinet (LFI-NUPES). La journaliste vous a-t-elle présenté un faux diplôme ?
Mme Claire Laot-Billet. Non, elle a prétendu être auxiliaire de puériculture mais la directrice n’a pas vérifié son diplôme. Nous avons depuis renforcé nos procédures et demandons des certificats de travail.
M. Sylvain Forestier. Je vous prie de me pardonner pour cette erreur. Nous avons donné la consigne de vérifier les qualifications des personnes recrutées afin d’éviter qu’elles travaillent auprès des enfants sans les diplômes nécessaires. Je ne me souviens pas d’autres consignes particulières.
Concernant la sollicitation des médias, la direction de la communication répond aux journalistes qui nous contactent.
Mme Claire Laot-Billet. J’ai répondu aux différents journalistes, en toute transparence, mais l’intégralité de mes propos n’a malheureusement pas été reprise dans les livres qu’ils ont publiés.
Nous n’avons pas donné de consignes particulières à nos équipes, mais nous leur avons communiqué des éléments de langage et nous les avons rassurées, certaines personnes s’étant senties visées et accusées.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La qualité d’accueil dans les crèches est d’abord une problématique liée aux moyens humains que nous sommes en mesure de déployer dans ces structures. Se posent bien évidemment les questions du taux d’encadrement, du niveau de formation des personnels, de l’attractivité des postes, mais également du bien-être des équipes qui accueillent les enfants au quotidien. Une professionnelle maltraitée au quotidien ne peut pas correctement prendre en charge les enfants dont elle a la responsabilité. L’enjeu de la qualité d’accueil repose sur la capacité de disposer de personnels formés en nombre suffisant dans les crèches.
Lors de votre audition, madame Laot-Billet, vous nous avez fait part d’un pool de personnels volants qui viennent en renfort en cas d’absence ou d’arrêt maladie du personnel. J’aurais souhaité que vous nous détailliez ce mécanisme et que vous nous indiquiez si ces personnels sont dédiés à des enfants ou s’il vous arrive de transférer, pour un ou plusieurs jours, l’auxiliaire de puériculture d’une crèche dans celle qui souffre d’une absence. Dans ce cas, est-ce sur la base du volontariat ? Enfin, comment sont indemnisés ces personnels en renfort ?
Mme Claire Laot-Billet. Les personnels volants sont dédiés aux renforts et remplacements. Ils relèvent juridiquement du siège et ne sont pas affectés à une crèche en particulier. Ils viennent en renfort dans les structures qui souffrent d’un absentéisme important ou d’un manque de personnel, ou qui rencontrent des difficultés de recrutement.
Ils bénéficient d’une rémunération complémentaire liée aux contraintes inhérentes à leur statut, notamment les contraintes de déplacement, et perçoivent par conséquent une rémunération plus importante que les personnes qui travaillent dans des établissements fixes. Les directrices de crèche volantes bénéficient par exemple, en sus d’une prime de volance, d’une voiture de fonction.
Nous serions ravis que tous nos salariés soient attachés à une crèche, mais le fonctionnement actuel du système ne le permet pas. Nous avons en revanche choisi de privilégier un pool de personnels volants en CDI plutôt que de recourir à l’intérim. Ce système nous semble meilleur d’un point de vue social, même s’il ne correspond pas au souhait de tous les salariés, et nous permet de former ces personnels à notre pédagogie et à nos modes opératoires. Il facilite également leur passage d’une crèche à l’autre, en fonction des besoins.
Lorsque des personnels volants s’établissent de manière définitive dans une crèche, la prime de volance est supprimée.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. D’après mes informations, outre ce pool de personnels volants, il vous arrive assez régulièrement de transférer le personnel d’une crèche à l’autre, de manière temporaire. Cela ne pose pas de difficultés particulières dans l’absolu, si la personne transférée ne manque pas à son établissement d’origine, mais il semblerait qu’une certaine pression soit exercée sur les salariés pour qu’ils acceptent ce type de transfert.
Par ailleurs, j’ai complété mes informations sur la situation dont je vous parlais lors de notre dernier échange, qui devient inquiétante en matière de conditions sanitaires et sociales. Certaines remontées font état d’un relâchement dans les contrôles qualité et dans les contrôles sanitaires, notamment ceux concernant la nourriture des enfants. Cette situation a amené la cuisinière de cet établissement à démissionner.
Les personnels historiques de la crèche, dont certains sont présents depuis près de vingt ans et en sont à leur quatrième reprise de délégation de service public, sans que les précédentes aient posé des difficultés, font état de pression à la baisse sur leurs droits et sur leurs conditions de travail, et de comportements et de remarques vexatoires de la part de l’encadrement. Je pense en particulier à plusieurs témoignages concordants faisant état de chantage opéré pour contraindre les personnels repris à signer un avenant à leur contrat d’embauche qui soit moins-disant Cette situation perdure depuis deux ans, madame Laot‑Billet, alors que les directrices et les personnes issues des services ressources humaines en charge du dossier ont changé durant cette période.
L’équipe historique de cette crèche est également soutenue par de nombreux parents, vos clients, qui déplorent eux aussi les arrêts maladie, les démissions de ces personnels et la dégradation de la qualité de l’accueil.
Comment est-il possible que de tels comportements puissent se produire au sein de votre groupe ? Pratiquez-vous le moins-disant social dans toutes les crèches dont vous récupérez la gestion ? Vous-même et votre conseil d’administration étiez-vous au courant de cette situation ? Si oui, qu’avez-vous fait pour y mettre un terme ? Sinon, comment expliquez-vous ce type de comportement pendant une durée aussi longue sans que vous en ayez connaissance ?
Mme Claire Laot-Billet. Vous m’avez effectivement informée de cette situation lors de mon audition. Il s’agit, je le répète, d’une situation isolée, que je déplore absolument et dont je vais me charger immédiatement, qui ne suit aucune consigne qui aurait été donnée en ce sens par la direction et qui n’est pas représentative de la situation de notre groupe.
Dans nos modèles de délégation de service public, nous incluons dans notre compte de charges les conditions spécifiques du personnel repris.
Quant au personnel transféré, nous n’exerçons aucune pression. Nous pouvons leur demander, lorsqu’une crèche située à proximité est en difficulté, de venir prêter main-forte. Ce principe d’entraide se met en place, sur de nombreux secteurs, de manière naturelle et sur la base du volontariat. Les difficultés de recrutement sont en effet accrues pour le personnel volant et ne me permettent pas de développer ce modèle autant que je le souhaiterais, malgré mes efforts. Je suis par conséquent extrêmement reconnaissante à mes équipes du siège ou des crèches pour leur professionnalisme et pour leur engagement. Elles font en sorte, dans le cas de l’entraide, d’assurer la mission qui est la leur et le service qui est le leur.
Je sais que les conditions de travail actuelles, en raison de l’absentéisme et du turnover, ne sont pas faciles. Nous avons pris plusieurs mesures pour tenter d’y remédier, relatives aux salles de pause des professionnels, au renforcement de l’encadrement, mis en place l’année dernière à l’échelle du groupe, et à l’augmentation des salaires, de 12 % en un peu plus d’un an.
Je vous garantis qu’il n’existe aucune volonté collective au sein du groupe de faire pression sur le personnel, alors que nous en manquons. En revanche, je suis preneuse d’éléments plus précis pour traiter ce cas isolé que je déplore.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Des personnels ont été menacés, s’ils ne signaient pas leur avenant, de ne pas recevoir leur rémunération du mois suivant. Des procédures et des jugements en référé sont en cours. Il serait extrêmement étonnant que vous n’en ayez pas connaissance.
Par ailleurs, de multiples interlocuteurs de la direction des ressources humaines se sont occupés de cette crèche, qui a connu des difficultés avec plusieurs directrices. Je peux comprendre que des problèmes isolés existent, mais cette situation dure depuis deux ans et persiste malgré les changements d’interlocuteurs. Elle ne peut plus être qualifiée d’occasionnelle. Les atteintes aux droits des travailleurs sont en outre extrêmement graves.
Mme Claire Laot-Billet. Notre groupe compte 600 crèches, dont 380 en France. Je ne peux pas avoir connaissance de chaque situation isolée, mais je vous affirme, sous serment, qu’aucune consigne n’est donnée en ce sens et que je déplore autant que vous de ne pas avoir été informée plus rapidement. Certains interlocuteurs ont changé, mais le directeur régional dont dépendait cette crèche est resté le même pendant deux ans, ce qui pourrait expliquer la permanence de ces méthodes tout à fait déplorables. Ce directeur régional a depuis quitté notre groupe. Je m’assurerai, avec le nouveau directeur régional arrivé hier, d’améliorer la situation.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Pourriez-vous m’indiquer les raisons de la fermeture de la crèche de Meaux ?
Des cas de maltraitance, tels que le rationnement de l’alimentation ou celui des couches, constatés dans certaines crèches privées, ont-ils eu lieu dans vos crèches ? Qu’avez-vous mis en place pour qu’ils ne se produisent plus ? Comment les parents peuvent-ils faire remonter des défaillances le cas échéant ?
Quels diplômes demandez-vous au personnel en relation avec les enfants ? J’ai été très étonnée d’entendre, au cours de cette audition, que le diplôme prétendument acquis par la journaliste n’ait pas été vérifié. Pouvez-vous, à compter d’aujourd’hui, nous certifier que vous allez mettre en place les procédures nécessaires pour que tous les diplômes soient vérifiés ?
À l’occasion d’un entretien avec monsieur Forestier, nous avions évoqué la pénurie de personnel et les difficultés de recrutement auxquelles vous êtes confrontés. J’ai cru comprendre que vous n’excluiez pas d’embaucher du personnel étranger ou nouvellement arrivé en France. Le personnel que vous engagez connaît-il bien la langue française afin de pouvoir communiquer avec les enfants ? Si ce n’est pas le cas, peut-être est-il cantonné à des tâches sans relation avec les enfants.
Exigez-vous, de la part de vos cadres, un objectif de résultat ?
Enfin, quel est le salaire moyen de votre personnel ? Vous pouvez peut-être me répondre par catégorie.
M. Sylvain Forestier. Concernant la crèche de Meaux, la ville de Meaux nous avait demandé d’ouvrir une crèche dans une zone d’activité et avait réservé les deux tiers des berceaux, avant de se rétracter après quelques années. Étant dans l’impossibilité de commercialiser des berceaux à cet endroit, nous avons été obligés de fermer la crèche.
Les dépenses relatives à l’alimentation et aux couches représentent respectivement, dans une crèche standard, 20 000 à 25 000 euros et 6 000 euros, sur un budget total de 800 000 euros. Nous n’avons aucun intérêt financier à économiser sur ce type de dépenses, qui sont non seulement essentielles, mais en outre très voyantes.
Concernant les diplômes, nous respectons la réglementation. Plusieurs types de postes existent au sein d’une crèche : les postes de direction, les éducatrices de jeunes enfants, les auxiliaires de puériculture, qui correspondent à des postes de catégorie 1, les CAP et, dans de rares cas, les postes sans diplôme. Or aujourd’hui, en France, le nombre de personnes formées en catégorie 1 est insuffisant par rapport au nombre de crèches ouvertes. Il faudrait donner envie aux jeunes de suivre cette formation et créer des écoles d’auxiliaires de puériculture, chevilles ouvrières des crèches, ce qui prendrait au minimum quatre ou cinq ans.
Trois possibilités existent pour respecter la réglementation. La première possibilité est d’entériner le système actuel et d’accepter, lors des inspections, que le nombre de personnel en catégorie 1 ne soit pas celui requis, notamment dans les structures municipales ou associatives qui ne peuvent pas proposer une rémunération aussi attractive que la nôtre.
La deuxième possibilité est de fermer des sections lorsque le personnel manque. C’est le cas dans de nombreuses villes, dont Paris. La Maison Bleue réduit parfois son amplitude horaire, voire ferme également des sections.
La troisième possibilité est de considérer de manière transitoire un certain nombre de professionnels comme de catégorie 1, sous condition d’ancienneté, de formation continue, d’inscription dans un parcours de VAE et de validation. Cette troisième possibilité est celle recommandée par la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC). Elle permettrait à toutes les crèches, et non seulement celles qui peuvent soutenir des efforts importants comme les nôtres, de travailler avec du personnel motivé, dans le respect de la réglementation. Cette question du quota de personnel diplômé est centrale dans notre modèle. Nous luttons tous les jours pour essayer de le respecter, mais nos efforts sont en partie vains puisque le personnel diplômé est en nombre insuffisant sur le marché.
Mme Claire Laot-Billet. Concernant les objectifs de résultat pour les cadres, les directrices de crèche perçoivent une prime sur objectifs, composée de trois objectifs distincts : un objectif économique de respect du budget, un objectif de qualité et de satisfaction, et un objectif de maîtrise du turnover.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je ne vous accusais pas, monsieur Forestier, de pratiquer le rationnement de nourriture ou de couches dans vos crèches, mais le rapport de l’Igas fait état de telles pratiques dans certaines crèches. J’ai personnellement connaissance d’un cas où les personnes ont changé leurs enfants de crèches tant ces derniers avaient faim. Ma question portait sur les actions que vous avez prévues au cas où cette situation se produirait dans vos structures.
Concernant l’objectif de qualité, comment est-il vérifié ?
Mme Claire Laot-Billet. La qualité se mesure au travers d’audits internes basés sur le référentiel de Bureau Veritas, sachant qu’une grande partie de nos crèches sont certifiées. Par ailleurs, nous réalisons des enquêtes de satisfaction auprès des familles trois fois par an et demandons aux directeurs et aux directrices de crèche de s’assurer que les familles sont satisfaites du service rendu.
M. le président Thibault Bazin. Je vous rappelle aux collègues qu’ils ont l’obligation, en tant qu’élus et sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, de saisir la justice de toute infraction qui aurait été portée à leur connaissance.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Monsieur Forestier, dans votre propos introductif, vous avez vanté le modèle de la petite enfance britannique, modèle dans lequel il y a une proportion d’acteurs privés bien plus importante qu’en France. Si je comprends son intérêt du point de vue d’un groupe de crèches privées, il me semble plus contestable du point de vue des enfants et des parents.
La proportion d’enfants de moins de trois ans accueillis au sein d’une structure formelle est, au Royaume-Uni, de 37 %. Il est de 38 % en France. La marchandisation de ce secteur ne semble pas avoir permis de créer des places et d’accueillir un plus grand nombre d’enfants.
À l’inverse, un rapport de l’OCDE signalait que le Royaume-Uni était l’un des pays en Europe où les frais mensuels à la charge des parents pour l’accueil des enfants de moins de trois ans étaient les plus élevés, à hauteur de 1 000 livres sterling par mois, soit environ 1 170 euros. À votre avis, en quoi aurions-nous intérêt à aller vers ce modèle britannique ?
Vous avez indiqué que le privé investissait à la place du public. Je m’inscris totalement en faux vis-à-vis de cette information. La dette que vous créez est certes remboursée par la marge brute de votre entreprise, mais cette dernière est constituée au moins aux deux tiers par des financements publics.
De la même manière, vous considérez que l’État a besoin des groupes privés pour ouvrir des places. Il me semble au contraire que ce sont les groupes privés qui ont besoin de l’État et de subventions publiques extrêmement importantes pour ouvrir des places et développer un modèle économique viable. L’Igas, dans son rapport de 2017, est extrêmement précis sur le niveau de financement public de chaque acteur de la petite enfance et compare l’associatif, le public et le secteur marchand, au berceau et à l’heure. Dans cette comparaison, le secteur marchand est systématiquement celui qui reçoit les subventions publiques les plus importantes. Vous êtes, en réalité, très subventionné et très dépendant de l’argent public. Pensez-vous, si le financement public diminuait, que votre modèle économique resterait viable ? Atteindriez-vous les mêmes niveaux de rentabilité ?
M. Sylvain Forestier. Concernant le modèle anglais, le mode de financement varie d’un pays à l’autre, mais il est assuré, à l’exception de la France et son système de tiers financeur, par le public et les parents. Le niveau du reste à charge des parents relève par conséquent d’une décision politique. Il est exact que ce reste à charge peut, en Grande-Bretagne, être plus important qu’en France pour certains parents, mais une décision récente du Parlement britannique, qui entre en vigueur début avril et qui remonte à plus d’un an, va permettre de financer le reste à charge pour les enfants de 1 à 3 ans à hauteur de 2 milliards de livres sterling par an. Jusqu’à présent, seul le reste à charge des enfants de 3 à 5 ans était financé, ce qui explique le montant moyen élevé que vous avez mentionné.
Dans d’autres pays, tels que la Suède ou le Luxembourg qui n’ont pas non plus de tiers financeur, le reste à charge est nul pour les parents dont les revenus sont faibles. Tout dépend de décisions politiques.
L’investissement public dans les crèches, privées ou publiques, est très important, y compris dans les pays libéraux tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne. La France n’est d’ailleurs pas le pays avec le financement public des crèches le plus important en raison du financement des entreprises. Sans investissement public, le financement des parents s’élèverait à environ deux tiers de Smic en raison du ratio de professionnels par place de crèche, qui en tenant compte non seulement des professionnels de la petite enfance mais également de tous les autres professionnels nécessaires, est d’un professionnel pour trois places de crèches. Seules les familles très aisées pourraient financer une place en crèche.
Les crèches municipales, comme les crèches de La Maison Bleue, bénéficient d’une aide publique à l’investissement et au fonctionnement. Pourquoi, dans ce cas, les mairies délèguent-elles autant les places de crèches et décident-elles d’en acheter au lieu de les créer ? Si elles décident de créer une crèche, elles doivent non seulement en financer la construction, pour laquelle elles perçoivent une subvention, mais également le reste à charge de l’investissement et le reste à charge du fonctionnement, qui reste très important malgré la PSU et le bonus territoire. À l’inverse, en travaillant avec nous, elles n’ont plus d’investissement à financer et ne contribuent qu’à un certain nombre de places, pour lesquelles elles perçoivent le bonus territoire.
Mme Claire Laot-Billet. Je tiens à souligner que le contrôle du modèle anglais est très vertueux, en ceci que la notation des crèches par l’équivalent de la PMI est publique. Les parents ont la liberté de choisir leur crèche en fonction de cette notation, qui induit une forme de course à la qualité qui est extrêmement intéressante et pourrait être explorée en France.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Monsieur Forestier, vous indiquez que le besoin d’investissement public est très important, dans tous les types de crèches. Vous avez par ailleurs souligné la pénurie de personnel à laquelle le secteur fait face et expliqué que lorsque vous recrutiez un professionnel, ce pouvait être aux dépens d’une autre structure, publique ou associative. Vous détaillez enfin le mécanisme par lequel une collectivité territoriale vous choisit pour gérer une crèche, considérant qu’elle évite ainsi de payer certains frais. Certes, l’investissement ne provient pas de la collectivité, mais il reste financé par l’argent public, à travers le Cifam. Par ailleurs, le rapport de l’Igas fait état de frais de commercialisation de l’ordre de 25 % du prix de la place dans le secteur privé lucratif, frais qui n’existent pas dans le secteur public.
En rassemblant ces différents éléments, nous pouvons nous interroger sur l’intérêt du secteur privé lucratif. Si ce secteur fonctionne grâce à l’argent public, si le problème principal porte sur le recrutement des professionnels, et que ces derniers manquent dans le public et dans l’associatif lorsqu’ils sont embauchés dans le privé, si les frais de commercialisation sont aussi importants, quel est le gain pour la société ?
M. Sylvain Forestier. D’une part nous créons des places de crèches beaucoup plus rapidement que le secteur public et d’autre part nous récupérons des financements des entreprises, qui viennent limiter le financement public. Pour une place à 14 000 euros, il reste 7 000 euros post-Cifam qui seront apportés par l’entreprise et non par le public.
M. le président Thibault Bazin. Ces financements des entreprises sont cependant en partie payés par le public au travers de l’impôt sur les sociétés. Le coût supporté globalement par le public, fiscal et social, au travers du Cifam, de la branche famille et l’État, est un peu supérieur à 7 000 euros.
M. Sylvain Forestier. Tout dépend de la situation de l’entreprise. Un certain nombre de petites entreprises achètent des places alors qu’elles n’ont pas de résultat. D’un point de vue macroéconomique, le système actuel permet d’apporter de l’argent privé en minorant la part publique. C’est l’une des grandes spécificités de la France.
La Fédération française des entreprises de crèches a demandé, il y a deux ans, une étude comparative de six pays à un cabinet extérieur. Cette étude à votre disposition a mis en évidence une forte corrélation, dans les pays voisins, entre la part du privé et le nombre de places offertes au public.
Quant aux villes qui décident de travailler avec nous, elles sont chaque jour plus nombreuses. Dans la mesure où les finances municipales sont partout tendues, elles y trouvent donc nécessairement un intérêt.
Je suis persuadé que les entreprises de crèches ne sont pas un problème, mais une solution. Elles apportent un effet de levier et permettent d’aller plus vite et de mieux répondre aux besoins de la population française, qui souhaite davantage de places en crèche sachant que la France se classe en dernière position, parmi ses voisins, quant au nombre de places de crèche par million d’habitants.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Concernant l’effet de levier, les chiffres de l’Igas sont très clairs. Les dépenses publiques, de 182 millions d’euros en tenant compte du Cifam et de la réduction de l’impôt sur les sociétés, permettent de mobiliser 80 millions d’euros de la part des entreprises. Or les frais commerciaux du secteur privé lucratif, qui n’existent pas dans le public, représentent environ 60 millions d’euros. De mon point de vue, l’intérêt général n’est pas atteint.
Monsieur Forestier, vous avez décrit tout à l’heure l’évolution de la structure actionnariale de votre entreprise. Avez-vous dû céder des actions aux fonds d’investissement qui sont entrés dans votre entreprise ? Pouvez-vous préciser le montant que vous avez perçu, à titre personnel, de cette cession ?
M. Sylvain Forestier. Les frais de commercialisation sont en réalité des frais de gestion. Ils ne servent pas à la prospection, mais à l’attribution des places, à la mise en place d’extranets et à la gestion des familles, activités que réalisent également les équipes municipales d’attribution des places.
Vous avez posé la question de l’impact d’une baisse des financements publics. Cet impact est déjà visible puisque cette baisse est à l’œuvre depuis deux ou trois ans. Le prix des micro-crèches a été plafonné et n’a pas été revu, et les taux d’intérêt ont augmenté avec comme conséquence l’arrêt des investissements. La Maison Bleue, par exemple, n’ouvrira plus de nouvelles crèches en France tant que le système reste tel qu’il est, et cherchera à se développer à l’international, où les marges sont plus intéressantes.
J’ai saisi l’occasion, lorsque la BPI est entrée au capital, de vendre une partie de mes actions après avoir travaillé douze ans et pris des risques. J’ai touché, post-fiscalité, autour de 5 millions d’euros, dont 4 millions d’euros sont nantis sur mon compte en garantie d’un prêt de 4,5 millions d’euros, somme que j’ai réinvestie dans la société.
J’ai également contracté un prêt d’un montant similaire pour financer l’achat de la SCI. Je suis personnellement endetté autour de 10 millions d’euros.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Ne perceviez-vous pas un salaire ?
M. Sylvain Forestier. Si, mais j’ai pris des risques et beaucoup travaillé pour gagner cet argent.
M. le président Thibault Bazin. Je suppose que vous aviez contracté un emprunt initial au moment de la création de La Maison Bleue.
M. Sylvain Forestier. Tout à fait. Je n’avais aucune surface financière à l’époque et je n’ai pu emprunter que 60 000 euros auprès du Crédit Lyonnais, qui m’ont servi à financer la cuisine de la première crèche, une DSP concessive pour la mairie de Montrouge. Le reste du capital a été apporté par mes amis fondateurs.
Mme Anne Bergantz (Dem). Je souhaiterais revenir sur l’une des propositions phares de l’Igas et de l’IGF, la suppression du Cifam, au motif que son pilotage est difficile, qu’il bénéficie uniquement aux grands groupes et qu’il induit un effet inflationniste sur le prix des berceaux.
Vous avez évoqué, comme conséquence de sa suppression, un risque de retrait des entreprises, particulièrement dans les investissements de places en crèche. L’Igas pointe le coût du Cifam, entre 170 et 190 millions d’euros de dépenses publiques, mais le public pourrait-il, avec cet argent, compenser la perte des berceaux issue de la suppression du Cifam ?
Je souhaiterais également que vous exposiez les effets induits de la suppression du Cifam, notamment sur les coûts des DSP et les prix des berceaux en DSP, qui sont relativement bas alors que les prix des berceaux Cifam sont plutôt élevés et permettent aux crèches de trouver un certain équilibre financier.
Mme Claire Laot-Billet. Je vois, en tant que femme et mère de famille, une immense vertu au fait que les entreprises réservent des places dans les crèches pour leurs salariés. Le fait qu’un employeur se préoccupe de votre situation familiale et vous accompagne dans votre emploi est un changement sociétal et constitue la grande force du système français. Il serait regrettable de revenir sur ce modèle.
M. Sylvain Forestier. La suppression du Cifam se traduirait par une baisse drastique du nombre de réservations, par la faillite d’un certain nombre de petits opérateurs de crèches, et par une réduction de la marge qui rendrait le remboursement des emprunts encore plus difficile. Si j’ai bien compris, madame la députée, votre suggestion serait de remplacer les flux du Cifam par des flux publics.
Mme Anne Bergantz (Dem). Ce n’est pas ma suggestion, mais une possibilité plus ou moins évoquée par le rapport de l’Igas.
M. Sylvain Forestier. Il faut réfléchir aux modalités d’un tel transfert et au montant concerné. Sur le montant, les entreprises ne sont pas les seules à nous réserver des places. Les collectivités et les administrations le font également. Nous pourrions imaginer de généraliser la Paje à toutes les crèches et de supprimer le quota réservataire, mais le maintien des tarifs actuels impliquerait d’accroître de manière considérable la dépense publique.
Le système actuel de PSU repose sur les systèmes informatiques des CAF et de la Cnaf, dont la modification serait probablement très complexe et pourrait prendre plusieurs années. Mais pourquoi pas ?
M. le président Thibault Bazin. J’ai noté que nous attendions un certain nombre d’éléments de réponse aux premières posées par madame la rapporteure. Je lève la séance. Nous reprendrons nos travaux à 16 heures en recevant le fondateur de l’entreprise Les Parents Zens.
La séance est levée à 13 heures 20.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 11 h 30
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Sarah Tanzilli