Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de Mme Nadine Morano, ancienne secrétaire d’État chargée de la famille (2008-2010) 2

 


Jeudi 4 avril 2024

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 39

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à dix heures.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Nadine Morano, ancienne secrétaire d’État chargée de la famille (2008-2010).

M. le président Thibault Bazin. Parmi les dix-neuf ministres et secrétaires d'État chargés de la famille et de la petite enfance qui se sont succédé au cours des vingt dernières années, nous avons pris le parti de nous concentrer sur celles et ceux dont l'expérience gouvernementale était susceptible de nous éclairer sur certains choix importants concernant le secteur des crèches. C'est à ce titre que nous accueillons ce matin Mme Nadine Morano, qui fut secrétaire d'État chargée de la famille entre le 18 mars 2008 et le 13 novembre 2010 auprès de quatre ministres successifs : M. Xavier Bertrand jusqu'en janvier 2009, M. Brice Hortefeux jusqu'en juin 2009, M. Xavier Darcos jusqu’en mars 2010 et M. Éric Woerth jusqu'en novembre 2010. Nous avons prévu d'auditionner prochainement M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille entre 2002 et 2004, Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé entre 2012 et 2017, ainsi que, pour la période plus récente, M. Adrien Taquet, Mme Aurore Bergé, Mme Catherine Vautrin et Mme Sarah El Haïry.

Je remercie Mme la ministre Nadine Morano de s'être rendue disponible dès ce matin pour entamer avec nous cette série d'auditions. Nous parvenons à la trente-huitième audition de notre commission d'enquête et nous avons plusieurs fois entendu nos interlocuteurs évoquer le « décret Morano » pour désigner le décret du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans.

Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et son enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Nadine Morano prête serment.)

Mme Nadine Morano, ancienne secrétaire d’État chargée de la famille (2008-2010). J'ai été nommée secrétaire d'État en charge de la famille, le 18 mars 2008. La politique familiale a toujours été dans l'ADN de ma famille politique. La défense de la politique familiale, de ses objectifs et de ses moyens a toujours été un des piliers de nos programmes, afin de donner la possibilité aux femmes de travailler et de trouver un équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle. C’est ainsi que notre plan pour développer les modes de garde des jeunes enfants a permis d’améliorer le taux d’activité des femmes.

Ma feuille de route s’inscrivait dans la continuité de ce qui avait été décidé à partir de 2003, sous la présidence de Jacques Chirac. À l’époque, 800 000 familles étaient en attente d’un mode de garde pour leur enfant. Grâce à l’action publique, l’offre a augmenté entre 2003 et 2004 alors que Christian Jacob, puis Marie-Josée Roig, étaient ministres chargés de la famille. Il avait alors été décidé d’ouvrir les modes de garde au secteur privé. En 2004, le dispositif a été complété par le crédit d’impôt famille (Cifam) octroyé aux entreprises réservant un berceau pour leurs salariés. Son montant est de 50 % du prix de la réservation du berceau. Cette dépense étant déductible de l’impôt sur les sociétés au titre des charges, l’employeur ne supporte que 16,7 % du coût, l'État subventionnant les 83,3 % restants.

Nicolas Sarkozy a évidemment poursuivi cet engagement fort de la droite en faveur des familles, auquel nous avons consacré 5 % du produit intérieur brut, soit près de 100 milliards. Dans ce cadre, je me suis engagée dans une convention d’objectifs et de gestion avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour 1,3 milliard d’euros d’investissements, visant à créer 200 000 places à l’échéance de 2012. Afin de diversifier les modes de garde, car tous les territoires ne sont pas les mêmes et que le modèle ne pouvait pas reposer uniquement sur le public, nous nous sommes concertés avec les représentants des syndicats de la Cnaf, avec l’Union nationale des associations familiales (Unaf), avec Familles rurales – les territoires ruraux, en manque de places, demandent des modes de garde spécifiques – et avec les assistantes maternelles.

Nous avons ainsi lancé des dispositifs innovants, avec la création des maisons d’assistantes maternelles (MAM) permettant à ces dernières de se regrouper, l’instauration d’une aide à l’installation, toujours pour les assistantes maternelles, variant de 300 à 500 euros, ou la création des jardins d’éveil. Mon objectif était de permettre aux parents de trouver une solution de garde partout sur le territoire. La recherche de places étant difficile, nous avons également mis en place un site, monenfant.fr, qui fonctionne toujours, sur lequel les parents peuvent trouver une carte indiquant les modes de garde disponibles dans leur secteur.

Notre ligne était de s’ouvrir au privé, qui va beaucoup plus vite que le public, et de chercher des marges de manœuvre partout où elles pouvaient exister. Par exemple, les crèches hospitalières affichaient à l’époque un taux d’occupation de l’ordre de 60 %. Une convention a donc été passée avec l’AP-HP pour optimiser l’occupation et permettre aux familles résidant à proximité d’un hôpital de bénéficier des places disponibles – c’était encore un dispositif innovant. Il était également important pour moi d’offrir des modes de garde adaptés aux familles des quartiers dits prioritaires – parfois des familles monoparentales, avec des horaires atypiques, très matinaux ou très tardifs. Le plan Espoir banlieues, doté de 30 millions d’euros, a permis de financer ces modes de garde – je me souviens m’être rendue à Vénissieux, dans le quartier des Minguettes, pour visiter une petite structure installée au cœur du quartier et accueillant les enfants très tôt le matin et très tard le soir. Grâce à cela, les femmes pouvaient enfin répondre à des entretiens d’embauche. À l’époque, 14 % des enfants avaient un parent ou deux travaillant avec des horaires atypiques – pour lesquels tout est plus cher, par exemple parce qu’il n’y a pas de transports collectifs. J’avais donc augmenté le complément mode de garde, de 10 % de mémoire, pour ces familles.

En 2007, 27,3 % des enfants de 0 à 3 ans bénéficiaient d’un mode de garde formel. Ce taux a culminé à 44,4 % en 2011, plaçant la France en quatrième position des pays de l'Union européenne, derrière le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Lors de la période au cours de laquelle j’ai eu l’honneur de servir la France comme ministre, l’indice de fécondité par femme était de 2,01. Depuis, il a chuté, poursuivant un mouvement de baisse gravissime engagé depuis 1945 – aujourd’hui, le renouvellement des générations n’est plus assuré. Malgré la crise économique et financière, la majorité à laquelle j’ai appartenu a donc toujours accompagné les familles, le résultat étant que nous avions le deuxième taux de fécondité en Europe.

Le taux d’activité des femmes a, grâce à une plus grande disponibilité des places et une meilleure adaptation des modes de garde, augmenté de pratiquement deux points entre 2008 et 2012, passant de 64,8 % à 66 %. C’est la preuve que les modes de garde ont une influence directe sur le taux d’activité des femmes et sur une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Madame la ministre, je vous remercie d'être avec nous pour revenir sur votre action en tant que secrétaire d'État chargée de la famille. Durant les seize mois que vous avez passés dans cette fonction, plusieurs réformes touchant le secteur des crèches sont intervenues. L'année 2010 marque un tournant, avec la transposition dans le droit français de la directive Bolkestein sur les services et votre décret du 7 juin revoyant les qualifications des personnels à la baisse par le biais du quota 60-40 ; à cela s'ajoute la possibilité d'un surnombre différencié selon les capacités des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), pouvant aller jusqu'à 20 % pour les EAJE de plus de quarante places.

L'élément le plus marquant de votre mission reste sans doute l'entrée des micro‑crèches dans le droit commun après une phase d’expérimentation. Ces structures, qui bénéficient d'une réglementation dérogatoire et d'un mode de financement distinct, avaient notamment pour objectif de répondre aux besoins des territoires ruraux. Ce modèle est aujourd'hui contesté, en particulier par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances, dont le rapport sur les micro‑crèches, publié la semaine dernière, dresse un constat mitigé : c’est le mode d'accueil au coût le plus élevé pour les parents, qui se développe dans les grands centres urbains au bénéfice des familles les plus aisées, parfois en concurrence avec des crèches bénéficiant de la prestation de service unique (PSU), et qui n’apporte pas de garantie suffisante en termes de qualité d'accueil du jeune enfant.

Quatorze ans plus tard, comment appréhendez-vous ces réformes et comment accueillez-vous les critiques portées à l'endroit du régime des micro‑crèches par l'Igas ? Quel bilan tirez-vous de ces dispositifs alors que l'objectif de répondre aux besoins des territoires ruraux semble loin d'être atteint et que le régime des micro‑crèches n'a pas permis d'éteindre la question de la couverture des besoins d'un point de vue quantitatif ?

Mme Nadine Morano. L’objectif des micro‑crèches, dispositif plus souple avec de petites entités de douze places, était de favoriser l’installation dans les territoires ruraux. Il n’était pas du tout pensé pour les villes. Je rappelle que j’ai exercé mes fonctions jusqu’en 2010, date à laquelle il avait 490 micro‑crèches. Il y en avait 5 840 en 2021, selon le rapport de l’Igas. La majorité qui a pris le relais après mon départ a conservé ce dispositif. Si vous souhaitez évaluer cette évolution et identifier d’éventuelles dérives, comme l’implantation de ces microstructures en milieu urbain, je vous suggère d’interroger ceux qui m’ont succédé. Cela s’appelle l’évaluation des politiques publiques. Je ne peux rien vous répondre d’autre. À sa mise en place, le dispositif a bien marché.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ma question était de savoir comment évaluer la réalisation des objectifs quatorze ans après. Je peux la formuler autrement : j’imagine que, au moment où vous avez décidé de généraliser le dispositif des micro‑crèches pour augmenter le nombre de places, ce qui est un objectif légitime, vous vous doutiez que la baisse des exigences en termes de conditions d’accueil et d’encadrement aurait un impact sur la qualité. Avez-vous mis en place des plans de contrôle et des plans de formation des professionnels de la petite enfance pour faire face à ce risque ? Avez-vous été alertée sur ce risque ?

Mme Nadine Morano. Le secteur de la petite enfance connaît une importante pénurie de professionnels. C’était le cas à l’époque, puis sous le gouvernement de la majorité socialiste de François Hollande, et c’est encore le cas aujourd’hui. J'avais d’ailleurs lancé un plan de formation Métiers de la petite enfance 2008-2012.

Quand j’examine la palette des modes de garde mis à disposition des familles, je constate que notre majorité a obtenu des résultats pour les familles. C’est ce qui m’intéresse. Grâce au regroupement des assistantes maternelles, à la possibilité pour celles-ci de garder un enfant de plus, à l’optimisation des crèches hospitalières, au développement des crèches associatives et à l’ouverture au privé, qui a permis d’aller beaucoup plus vite que le public, soumis à des contraintes d’appel d’offres par exemple, nous avons atteint notre objectif de création de places.

Nous étions très attentifs à la qualité – être en charge de la famille et vouloir garantir la qualité de l’accueil de l’enfant vont de pair – et je n’ai eu aucune remontée sur la baisse de la qualité de l’accueil des jeunes enfants à la suite de la généralisation des micro‑crèches. Nous avons étendu la palette de formation des personnels et valorisé les acquis de l’expérience des titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) petite enfance. Nous avons élargi la palette des acteurs intervenant dans le secteur de la garde des jeunes enfants afin de répondre à une attente très puissante des familles.

Madame la rapporteure, vous me parlez de l’évolution du dispositif. Je suis désolée, mais vous voyez que je suis venue seule. J’espère qu’un jour vous aurez la chance d’entrer dans un gouvernement : vous verrez alors que, une fois que vous avez quitté vos fonctions, vous n’avez plus la main sur ce qui se passe ensuite, surtout si vous êtes dans l’opposition. Vous n’avez plus les manettes, et plus les services de l’administration. S’il y a eu des problèmes dans l’évolution du dispositif, c’est à ceux qui étaient en responsabilité qu’il faut en parler. Je n’ai pas les moyens de vous répondre quatorze ans après.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour votre réponse. J’observe simplement que les familles souhaitent disposer de places pour leurs enfants, bien sûr, mais dans les meilleures conditions d’accueil possible. Si je comprends donc votre objectif, je me permettais de vous interroger parce qu’il aurait pu apparaître à l’époque que la diminution du taux d’encadrement et des exigences de formation professionnelle pouvaient avoir des conséquences sur la qualité de l’accueil.

Le décret de 2010 a notamment introduit la possibilité pour les EAJE d’accueillir des enfants en surnombre par rapport à leur capacité, cela pouvant aller jusqu’à 20 % pour les établissements de plus de quarante places. Je peux deviner les raisons d’une telle décision, mais j’aimerais que vous les indiquiez, ainsi que les modalités de calcul des taux prévus par le décret. Vous nous avez déjà répondu sur l’identification et l’anticipation du risque lié à la réduction des personnels diplômés couplés à ce surnombre.

Mme Nadine Morano. Je suis très flattée que vous vous référiez à ce décret comme le « décret Morano ». À l’époque, M. Éric Woerth était le ministre de plein exercice en charge de ce sujet et il aurait convenu de l’inviter également. J’ai travaillé avec lui sur ce décret, qui était une réponse essentielle aux besoins des familles. J’observe qu’aucun des ministres qui m’ont succédé n’a souhaité l’abroger. S’il avait provoqué une baisse de la qualité de l’accueil dans les EAJE, je pense que les responsables postérieurs, sous la majorité de François Hollande ou sous la vôtre – dont M. Woerth fait d’ailleurs partie – l’auraient immédiatement supprimé.Vous dites deviner les raisons qui ont motivé sa publication…

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je suppose qu’il répondait à un enjeu quantitatif, mais il y a peut-être d’autres raisons qui ont mené à décider de cette possibilité d’accueil en surnombre. Ma question est ouverte.

Mme Nadine Morano. Je suis étonnée par cette question, car tout était transparent : il suffit de regarder les informations et les interviews de l’époque ou même de lire le décret. Je crois que vous avez également auditionné des responsables de la Cnaf.

À l’époque, le taux moyen d'occupation des crèches sur une semaine était de 67 %. Le décret a donc, de façon pragmatique – et c’est pour cela qu’il n’a jamais été abrogé – prévu un surnombre d’inscriptions, ce qui est bien différent d’un surnombre occupationnel. Le décret n’a pas modifié le taux d’encadrement, qui demeure d’un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’une adulte pour huit enfants qui marchent. Mais il arrive, sur certaines plages horaires, que la crèche ne soit pas remplie à 100 %. Lorsque, par exemple, une mère de famille ne travaille pas le mercredi, la place de crèche est occupée par l’inscription, mais dans la réalité l’enfant n’est pas là. Cela peut être utile pour un autre enfant, gardé par ses grands‑parents par exemple. Nous avons donc voulu dégager ces places ponctuelles, pour tendre vers un taux d’occupation effectif de 100 %.

S’agissant du niveau de qualification, nous l’avons diminué de très peu. Je me souviens très bien des manifestations de certains, comme le collectif Pas de bébés à la consigne, mais ce décret ne vient pas de rien. Il a été adopté au conseil d’administration de la Cnaf par vingt-deux voix pour, sept voix contre, deux abstentions et trois prises d’acte. Pour ce qui est des territoires ruraux, la caisse de la MSA (Mutualité sociale agricole), sollicitée, l’a également adopté. Il a été validé par le Conseil d’État. Ce décret a également fait l’objet d’une large concertation avec tous les partenaires sociaux et les acteurs du secteur, ainsi qu’avec Départements de France. Il était essentiel de mettre ces derniers dans la boucle, parce que, si la Cnaf effectue le contrôle financier, la PMI (protection maternelle et infantile) réalise celui de la qualité d’accueil et de la sécurité des enfants. Cette concertation impliquait encore les associations représentant les familles, comme l’Unaf et Familles rurales. Nous avons reçu le collectif Pas de bébés à la consigne.

M. le président Thibault Bazin. Pourquoi la sphère médiatique a-t-elle continué de s’y référer comme au décret Morano ? Quelle était la place, à l’époque, de votre ministre de tutelle ?

Mme Nadine Morano. Un secrétaire d’État est sous la tutelle d’un ministre. Leurs cabinets travaillent ensemble sur certains sujets, surtout s’agissant d’une compétence comme celle de la famille, et les décrets sont signés par les deux. Vous verrez à la fin de celui de 2010 les noms du Premier ministre, du ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique Éric Woerth, et de la secrétaire d’État chargée de la famille et de la solidarité Nadine Morano.

Mais je suis ravie qu’on l’appelle le décret Morano ! Je suis heureuse de cette maternité car si c’était à refaire, je referais la même chose. Je pense que ce décret a permis le développement des modes de garde et qu’il allait dans la bonne direction, parce que personne ne l’a jamais remis en cause.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nos travaux ont fait apparaître que la possibilité d’accueil en surnombre se matérialise, du moins aujourd'hui, par l’accueil de trop d’enfants. Bien sûr, nous avons tous en tête la situation particulière du mercredi, mais, pour reprendre les termes d’une personne auditionnée, l’« enfant magique », accueilli de huit heures à neuf heures ou de dix-sept heures à dix-neuf heures, n’existe pas ! Les situations de surnombre se produisent surtout pendant la tranche méridienne, lorsque les enfants du matin et ceux de l’après-midi sont présents ensemble. C’est un moment qui n’est pas évident à gérer dans une crèche, où tout le monde s’active et où il faut nourrir les enfants. Je ne conteste pas la légitimité de l’objectif quantitatif – accueillir le maximum d’enfants au regard des berceaux ouverts – et je comprends son intérêt, mais on peut aussi convenir qu’il engendre des difficultés concrètes auxquelles les équipes sont confrontées au quotidien.

La directive Bolkestein a permis à l’ensemble du secteur de la petite enfance de s’ouvrir au champ de la concurrence. Plusieurs secteurs étaient exclus de son champ d’application, en particulier la santé publique, la presse, l’audiovisuel, ou encore les transports, mais cela n’a jamais été le cas de la petite enfance. Pour quelles raisons ? Cela a-t-il fait l’objet de discussions avec les organisations syndicales, les administrations publiques, les grands groupes privés de crèches ? Comment réagissaient-ils à ce dispositif et comment avez-vous accueilli leur réaction ?

Mme Nadine Morano. Madame la rapporteure, vos propos ne peuvent pas correspondre à la réalité légale. Le surnombre ne peut concerner que les inscriptions, pas l’occupation, dès lors que le décret précise que le taux d’encadrement des enfants n’est pas modifié. L’application du dispositif du surnombre n’est pas possible si le taux d’encadrement des enfants n’est pas assuré.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il s’agit d’un surnombre au regard de l’agrément et non, effectivement, du taux d’encadrement.

Mme Nadine Morano. Mais je comprends de ce que vous me dites que, entre midi et quatorze heures, davantage d’enfants sont présents et que le personnel est débordé. Cela ne doit pas être le cas : le nombre d’enfants doit être conforme au taux d’encadrement légal et obligatoire.

J’ai écouté quelques-unes de vos auditions. Il ne suffit pas de dire qu’on a reçu le témoignage d’untel ou untel, il faut des faits concrets. Votre commission d’enquête ne peut pas se satisfaire de déclarations qui relèvent du “on-dit”, il lui faut des témoignages identifiés ayant trait à un dysfonctionnement précis. Vous êtes des législateurs, j’ai été ministre ; or les membres du Gouvernement doivent faire appliquer la législation. Dans chaque territoire, la PMI doit mener des inspections. Peut-être faut-il les renforcer, si des témoignages démontrent l’existence d’abus, mais cela ne rentre pas dans le champ d’application du décret.

Vous m’interrogez par ailleurs sur la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur, dite Bolkestein. Je n’étais pas chargée de ce dossier. Vous devrez en parler au ministre du travail de l’époque.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous travaillons depuis trois mois, assez sérieusement je pense. Nous avons organisé des visites d’établissements et un certain nombre de membres de la commission se sont rendus par eux-mêmes dans des crèches. Nous ne nous fondons pas sur des “on-dit” ou des ragots pour décrire la situation : nous l’avons constatée, non seulement directement sur le terrain, mais encore par l’intermédiaire des travaux multiples portant sur les difficultés que rencontre le secteur. Je comprends que la situation était différente il y a quinze ans et que vous aviez un autre angle d’approche, mais j’insiste : nous ne nous fondons pas sur des ragots.

J’ai une dernière question sur la représentation d’intérêts, qui relève du champ de compétence de notre commission. Deux ouvrages parus en septembre dernier se penchent sur les crèches. Dans l’un d’eux, Babyzness, les journalistes Bérangère Lepetit et Elsa Marnette écrivent que les entrepreneurs racontent avoir eu l’oreille des politiques. Sont rapportés des propos tels que ceux des fondateurs de Babilou, Rodolphe Carle disant : « On a passé 20 ou 30 % de notre temps dans les ministères pour essayer de construire un business model sustainable sur le long terme » et Édouard Carle déclarant : « On a ouvert ce marché, on a, avec les politiques de l’époque, rédigé les textes de loi ».

Comment réagissez-vous à ces propos ? Quels contacts avez-vous eus avec les grands groupes de crèches et avec la Fédération française des entreprises de crèches au moment de l’élaboration de votre décret ? Des échanges ont certainement eu lieu avec les acteurs du secteur, ce qui est bien normal quand on souhaite réformer en profondeur. Se sont-ils inscrits dans le même cadre que le dialogue avec les acteurs institutionnels ou les représentants syndicaux ? Ces échanges avaient-ils trait à la création de places et à la volonté d’atteindre l’objectif chiffré ? Y en a-t-il eu avec les groupes privés de crèches concernant l’entrée dans le droit commun des micro‑crèches ?

Mme Nadine Morano. D’abord, je ne vous visais pas en parlant de ragots ; c’est juste qu’en regardant quelques auditions, j’ai entendu un témoignage relaté par une parlementaire et que, si je peux accepter des témoignages, il ne faut pas qu’ils soient flous. Je comprends que, depuis que je ne suis plus aux affaires, la situation s’est dégradée, et je le déplore. Lorsque j’étais ministre de la famille, nous étions très attentifs à la qualité d’accueil de tous les modes de garde et veillions avec les départements à ce que tout aille bien. J’étais très heureuse que nous ayons atteint nos objectifs, mais cela ne va pas encore assez loin : notre action aurait dû être poursuivie, pour mieux accompagner les familles, et je regrette que ce soit moins le cas aujourd'hui. Quinze ans après, n’étant plus en responsabilité, n’ayant pas les moyens de mener d’expertise et n’exerçant pas dans ce champ de compétence, je ne puis vous donner davantage d’informations.

Quant aux grands groupes de crèches, ils ont été auditionnés comme acteurs de la petite enfance au même titre que les autres. S’agissant par exemple de Babilou, je n’entretenais aucun lien privilégié ou personnel avec M. Carle, que j’ai dû rencontrer deux ou trois fois – j’ai participé à l’inauguration d’une crèche Babilou avec Xavier Bertrand. M. Carle a été reçu dans le cadre de réunions de travail, à l’instar des partenaires sociaux, de l’Unaf, de Familles rurales et de tous les autres acteurs de la petite enfance. Des réunions de travail avec les conseillers techniques de mon cabinet ont aussi eu lieu, mais rien de plus. D’ailleurs, je crois savoir, puisque j’ai regardé son audition, que M. Carle, a rencontré dix‑neuf ministres de la famille en vingt et un ans…

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je dois vous avouer que, depuis que les travaux de cette commission ont commencé, vous êtes la ministre dont nous entendons le plus parler – et pas seulement pour complimenter votre politique : c’est sans doute le lot de tous les ministres d’entendre critiquer l’action qu’ils ont menée. J’ai deux séries de questions à vous poser. La première porte sur le développement du secteur privé lucratif, en particulier sur le crédit d’impôt famille (Cifam).

Vous avez dit que votre majorité avait été très engagée auprès des familles. C’est sans doute le cas, mais on peut vous reconnaître plus encore d’avoir été engagée auprès des entreprises de crèches, puisque c’est votre majorité qui a ouvert la petite enfance au secteur privé et créé le Cifam. C’est même lorsque vous étiez secrétaire d’État à la famille que son taux a doublé, passant de 25 à 50 %.

Depuis le début de nos travaux, nous entendons au sujet de ce crédit d’impôt deux types de discours, qui ne sont pas contradictoires. Les entreprises de crèches, d’un côté, nous disent de ne surtout pas y toucher, car il est l’indispensable clef de voûte de leur modèle économique, qui fait leur viabilité et leur rentabilité.

De l’autre côté, le discours de l’administration, très argumenté, est extrêmement critique. Pour résumer, le Cifam constituerait un système qui provoque une captation de valeur ajoutée par des plateformes d’intermédiation, dont la complexité engendre des coûts commerciaux supplémentaires de l’ordre de 20 à 25 % du prix des places, et qui a créé des places en premier lieu pour les familles les plus aisées dans les aires urbaines. Cette création relèverait d’ailleurs d’un effet de substitution : des familles disposant d’une garde à domicile auraient bénéficié, grâce au Cifam, d’une place en accueil collectif. Enfin, l’argument massue porte sur l’effet de levier du dispositif, autrement dit sur le rapport entre ce qu’il coûte aux finances publiques et les sommes que les entreprises engagent de son fait. Selon l’Igas, les chiffres seraient de 182 millions d’euros de dépenses publiques pour 80 millions engagés par les entreprises privées. On peut se dire que ce n’est pas si mal, jusqu’au moment où l’on tient compte des coûts commerciaux supplémentaires que j’évoquais : on voit alors que, sur les 80 millions que les entreprises engagent pour la petite enfance grâce au Cifam, 60 millions sont mangés par ces coûts commerciaux.

Au vu de tout cela, comprenez-vous que le bilan du Cifam, et plus généralement du développement du secteur privé lucratif, puisse être critiqué ? La question suivante relève de la politique-fiction, mais j’aimerais que vous vous prêtiez au jeu : si, lorsque vous étiez ministre, vous aviez disposé de toutes ces informations, auriez-vous pris les mêmes décisions, notamment celle de doubler le taux du Cifam ?

Mme Nadine Morano. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, plusieurs contraintes pesaient sur nous. La première était qu’en 2003, 800 000 familles étaient en attente d’une place pour leurs enfants. Deuxièmement, nous avions pour objectif de permettre une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle dans notre pays. Troisièmement, par souci de la qualité de vie des parents travaillant dans le secteur privé et de leurs enfants, il fallait se préoccuper du développement des crèches d’entreprise ou interentreprises

 Je parle sous le contrôle de M. le président puisque, dans sa circonscription, à Ville‑en‑Vermois, se trouve depuis plus de vingt ans une crèche d’entreprise qui fonctionne très bien.

M. le président Thibault Bazin. La rapporteure et moi-même sommes allés la visiter.

Mme Nadine Morano. Nous souhaitions qu’il y ait des crèches d’entreprise à proximité du domicile des parents, ou dans les locaux mêmes des sociétés – car aller récupérer son enfant dans la crèche qui est au rez-de-chaussée de son lieu de travail, c’est un atout formidable. L’entreprise devient ainsi un appui à la famille, elle remplit un engagement social.

Par ailleurs, nous avions besoin d’aller beaucoup plus vite. Vous êtes membre de La France insoumise, nous ne partageons donc pas la même vision idéologique : pour ma part, je ne mise pas sur le tout-public, qui est beaucoup plus lent sans garantir une dépense publique moindre ni une meilleure gestion.

Oui, si le Cifam était à refaire, je le referais. Je considère que l’État, ou le secteur public, n’a pas à s’occuper de tout. Vous me direz que le Cifam coûte de l’argent public. C’est vrai, mais il crée des emplois, favorise la qualité de vie et correspond à un modèle, celui du public-privé, que je trouve plutôt bon. C’est ma vision politique. Ce n’est peut-être pas la vôtre, que je respecte – nous sommes dans une démocratie où chacun a le droit de choisir ses modèles – mais le Cifam nous a au moins permis, à nous, d’enregistrer de vrais résultats sur le terrain. Je me réjouis d’avoir apporté aux familles la palette très large de modes de garde dont elles avaient besoin.

À l’époque, je m’étais rendue en Mayenne, chez Jean Arthuis, qui avait instauré des modes de garde très différents et lancé l’expérimentation des maisons d’assistantes maternelles. Il était parvenu à un taux d’activité des femmes de 85 %. Plus la palette des modes de garde est importante, mieux elle correspond au territoire dans lequel elle se déploie, et meilleurs sont ses résultats, si la collectivité et l’État s’engagent.

Nous avons signé avec la Cnaf une convention d’objectifs et de gestion qui consacrait 1,3 milliard d’euros à l’accueil de la petite enfance, les partenaires sociaux nous ont suivis – pas la CGT, qui a dû se ranger du côté du collectif Pas de bébés à la consigne – et nous avons obtenu des résultats ! C’est cela qui m’intéresse dans une politique publique, la manière d’obtenir des résultats. Je considère que le Cifam était important pour cela et, pour répondre à votre question, ma stratégie serait restée la même.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je précise juste que le collectif Pas de bébés à la consigne inclut toutes les organisations syndicales, jusqu’à la CFDT.

Je comprends très bien vos arguments en faveur du Cifam. Mais je m’efforce justement de vous montrer qu’au vu du bilan qu’en dresse l’Igas, ces arguments, qui datent d’il y a plus de dix ans, sont contestables.

Vous avez évoqué un exemple très intéressant, celui des crèches d’entreprise, c’est-à-dire des établissements qui se situent au sein ou à proximité des entreprises – considérés à l’époque comme un modèle à fortement développer. Force est de constater que ce modèle est aujourd'hui extrêmement minoritaire et que le CIFAM finance très peu de crèches d’entreprise, alors qu’il finance massivement des micro‑crèches installées dans les centres‑villes et dont les berceaux sont achetés par les entreprises. Entre ce que vous espériez et ce qui s’est développé, on voit qu’il y a un écart important. J’aurais aimé que vous rebondissiez sur le bilan critique qu’en fait l’administration.

Vous avez rappelé nos différences idéologiques et nos désaccords politiques sur la pertinence de la marchandisation de la petite enfance, mais cela ne doit pas nous empêcher de nous appuyer sur des arguments précis et concrets. Vous avez parlé du caractère coûteux d’une place en crèche publique. Or l’administration, dont nous avons reçu cette semaine les représentants, indique précisément qu’une place en crèche privée lucrative coûte plus cher en subventions publiques qu’une place en crèche associative ou en crèche publique. Depuis un peu plus de dix ans, des contre-arguments à l’instauration du Cifam sont donc apparus. À ce sujet également, j’aurais aimé que vous répondiez.

Ma deuxième série de questions porte sur le décret de juin 2010 et sur ce que beaucoup d’acteurs estiment être le début de la dérégulation du secteur de la petite enfance. Nous avons auditionné beaucoup de monde et, comme vous devez le savoir, la souffrance des professionnels de ce secteur est grande. Ces métiers difficiles se caractérisent par une très forte pénibilité physique et psychologique. Lorsque nous discutons avec eux, avec leurs organisations représentatives, avec le collectif Pas de bébés à la consigne, lorsque nous leur demandons depuis quand leur situation a commencé à se dégrader et à poser réellement problème, je vous assure qu’ils répondent que c’est à partir de 2010, à la quasi-unanimité, citant à la fois les micro‑crèches et votre décret.

Je trouve qu’ils ont des raisons objectives de le dire. Vous avez présenté votre décret d’une façon originale, comme une façon d’élargir la palette ; la réalité est qu’il a baissé les exigences de qualification des professionnels dans les crèches. Sur les deux niveaux de qualification qui existent, il fallait avant le décret que 50 % du personnel ait le plus haut niveau, et l’on est passé à 40 %. J’appelle cela une dérégulation et une baisse du niveau de qualification plutôt qu’un élargissement de palette, expression dont je ne sais trop ce qu’elle veut dire.

Les micro‑crèches, votre décret, votre politique de dérégulation ont fait l’objet d’une forte contestation, avec des manifestations et un mouvement social. Dans Le Prix du berceau, alors que les journalistes vous interrogent sur cette mobilisation, vous répondez : « C’est ridicule. Je n’ai pas pris un décret par plaisir : cela correspondait à un besoin ». On répond parfois à vif aux journalistes. À tête reposée, estimez-vous qu’il est bon de qualifier de ridicule cette contestation par les professionnels de la petite enfance de la dérégulation du secteur ?

Mme Nadine Morano. Monsieur Martinet, que voulez-vous que je vous dise ? Je quitte mes fonctions en novembre 2010 ; vous me convoquez devant votre commission d’enquête pour me dire que le secteur de la petite enfance ne va pas bien en ce moment. Moi, j’ai lancé des chantiers. Si, sous François Hollande, ils ont tout laissé tourner en catastrophe, vous ne m’en ferez pas porter la responsabilité.

Je relis les déclarations de M. Deroussen, alors président du conseil d’administration de la Cnaf – j’ai retrouvé la dépêche AFP : « Il faut pouvoir répondre aux parents qui demandent davantage de solutions d’accueil et aux établissements qui sont confrontés à la difficulté de trouver du personnel qualifié ». Il rappelle également que le conseil d’administration de la Cnaf avait retoqué en octobre 2009 une première mouture du décret – vous voyez que je suis très transparente –, suite à quoi nous avons travaillé sur une deuxième version, qui a été adoptée.

Si ce décret est si mauvais, s’il a engendré la dérégulation à laquelle vous faites allusion, pourquoi n’a-t-il pas été abrogé ? Je suppose que tous les ministres de la famille qui se sont succédé ont fait comme moi et auditionné l’ensemble des acteurs de la petite enfance !

Voulez-vous que je reprenne également ce qu’a dit Mme Rossignol ?

M. le président Thibault Bazin. Nous l’auditionnerons. C’est vous que nous entendons ce matin.

Mme Nadine Morano. Oui, mais vous voulez me faire parler de ce qui se passe depuis dix ans alors que j’ai été en responsabilité, en tant que ministre, jusqu’en novembre 2010. Je considère que la trajectoire que nous avons suivie sous la présidence de Nicolas Sarkozy a permis d’obtenir des résultats répondant aux attentes des familles, notamment grâce au développement des modes de garde. Nous avons aussi lancé un plan Métiers de la petite enfance. Vous dites qu’il y a de la souffrance dans ce secteur : je l’entends, mais cela s’explique par un manque criant de personnel – je suppose que vous êtes d’accord avec cette analyse.

M. le président Thibault Bazin. Si je résume l’autre point évoqué par M. Martinet, referiez-vous, à tête reposée, la même réponse à des journalistes ?

Mme Nadine Morano. Je ne sais même pas de qui il est question, je ne connais pas ce livre.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Il s’agit du Prix du berceau, de Daphné Gastaldi et Mathieu Perisse, sorti en septembre 2023. Vous avez été contactée par ces journalistes, le livre vous cite et vous avez dit de la contestation suscitée par votre décret qu’elle était ridicule.

Il est bien clair que vous avez été chargée du secteur jusqu’en 2010, et que cela fait quatorze ans. Seulement, si je ne me trompe pas, vous avez défini pendant que vous étiez aux responsabilités l’essentiel du cadre fiscal et réglementaire qui s’applique depuis cette époque. Vous n’avez pas créé le Cifam, je l’ai dit, mais vous en avez doublé le taux et il n’a pas bougé depuis quatorze ans. Pour ce qui est des normes d’encadrement et de formation, c’est votre décret de juin 2010 qui s’applique, même s’il a été un peu dégradé l’année dernière par la majorité actuelle. Voilà pourquoi nous nous permettons de revenir sur votre action et de vous demander quel bilan vous en tirez.

Si le ratio en matière de qualification s’est détérioré, c’est parce que vous en avez pris la décision. Si des micro‑crèches peuvent être dirigées par des gens n’ayant aucune compétence dans le domaine de la petite enfance, c’est parce que vous avez pérennisé ce système. C’est également vous qui avez mis en place l’accueil en surnombre. Vous avez évoqué à juste titre ceux qui vous ont succédé : ne vous inquiétez, nous nous ferons un plaisir, moi le premier, de demander aux ministres de François Hollande, notamment Mme Rossignol, pourquoi ils ont maintenu ce système. Vous pouvez compter, en la matière, sur mon objectivité.

N’arrivez-vous pas à faire le constat que la logique essentiellement quantitative qui était la vôtre à l’époque – qui consistait à se dire qu’on allait d’abord ouvrir des places et qu’on verrait ensuite ce que ça donne, qu’on essaierait d’avoir des professionnels et de la qualité bien sûr, mais seulement après les places – est aujourd’hui en échec ? La qualité n’a pas suivi, tous les témoignages et les constats le montrent, et il en est maintenant de même pour la quantité, puisqu’on n’arrive plus à ouvrir des places.

Mme Nadine Morano. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Si c’était à recommencer, je referais exactement la même chose. J’espère que c’est clair, je ne le redirai pas. Je pense que nous avons atteint nos objectifs à l’égard des familles, y compris en matière de qualité. Vous avez visité des crèches : moi aussi, il n’y a pas très longtemps d’ailleurs – on est parfois amené à le faire dans sa vie personnelle. S’il y a des problèmes depuis quatorze ans, il faut faire le travail, c’est tout ! Redonnez-nous les clefs, je veux bien m’y remettre.

M. le président Thibault Bazin. Je ne suis pas sûr que ce soit l’objectif de M. Martinet… (Sourires.)

Mme Nadine Morano. Je suis quand même étonnée quand je vous entends parler. Mme Rossignol a dit au sujet du décret : « L’abroger ne va pas tout régler et notamment pas les questions de pénurie de personnel ».

Pardon, mais j’ai effectué la mission pour laquelle j’avais été nommée. Surtout, Nicolas Sarkozy a respecté l’engagement pris devant les Français, qui était de créer des modes de garde et de répondre à l’attente criante des parents. Quand vous avez des grands-parents qui peuvent prendre en charge les enfants, c’est bien, mais quand vous ramez, surtout si vous êtes une femme, que vous devez reprendre votre travail et qu’il vous faut trouver un mode de garde, une place de crèche ou une assistante maternelle, c’est autre chose. Car même chez les assistantes maternelles, le problème aujourd’hui est criant, en raison d’un grand nombre de départs à la retraite qu’il faudra bien remplacer. La réalité, c’est que certaines familles ont toujours des difficultés à trouver des modes de garde.

Mon objectif politique, ce n’était pas celui de François Hollande, qui a raboté le plafond du quotient familial, divisé par quatre les allocations familiales et augmenté les cotisations pour les gardes d’enfant payés au-dessus du Smic. La politique familiale, c’est l’ADN de la droite. Nous y avons consacré 5 points de PIB, 100 milliards d’euros, alors que la moyenne européenne était de 2,5.

Vous parlez des modes de garde, mais c’est toute la politique familiale qui s’est cassé la figure. Le taux de natalité a chuté, pour se retrouver aujourd’hui aussi bas que durant la deuxième guerre mondiale. Or la natalité a un effet sur beaucoup de choses, à commencer par le dynamisme d’un pays. Elle a aussi des conséquences en matière de travail, d’activité et de financement des retraites, même si on n’en parle pas. Les filles, les jeunes femmes qui entrent dans la vie professionnelle ont donc besoin de trouver des modes de garde. Une génération, c’est vingt ans. Quand le taux de natalité baisse, il y a un impact sur tous nos systèmes.

Notre politique a toujours été de soutenir les familles et je pense que tous les dispositifs, très diversifiés, que nous avons mis en place ont produit des résultats. Nous n’avons pas parlé des jardins d’éveil et c’est dommage, parce que c’était très bien aussi.

M. le président Thibault Bazin. Vous les avez évoqués tout à l’heure.

Mme Nadine Morano. Pas évoqués, à peine effleurés !

Quoi qu’il en soit, nous avons mis en place une palette très diversifiée de modes de garde. Franchement, si rien n’a été fait pour remettre en cause ce que nous avions décidé, c’est sans doute parce que nos successeurs ont pensé que cela allait dans la bonne direction. Sinon, compte tenu des désagréments que vous soulignez, je ne vois pas pourquoi ceux qui ont ensuite pris en charge ce ministère n’auraient pas fait en sorte d’y remédier.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie de vous être libérée, malgré votre agenda chargé au Parlement européen. Nous devons nous interrompre, car un scrutin public a été annoncé.

Mme Nadine Morano. J’aimerais ajouter un mot, si vous me le permettez.

M. le président Thibault Bazin. Allez-y.

Mme Nadine Morano. Il s’agit du collectif que nous avons évoqué, dont le slogan est dorénavant « Pas de bébés à la consigne ! Pas de mémé (ni de pépé) à l’usine ! » J’ai essayé d’en savoir plus sur sa composition, mais je n’ai rien trouvé, même sur internet. Ce collectif a toujours été un peu flou.

M. le président Thibault Bazin. M. Martinet vous a dit, en tout cas, qu’il comprenait l’ensemble des syndicats. S’il vous semblait nécessaire de corriger ou de rectifier certains de vos propos, je rappelle que vous avez vingt-quatre heures pour nous transmettre des éléments. Par ailleurs, des questions écrites vous ont été adressées par la rapporteure. Je vous remercie.

 

La séance est levée à onze heures cinq.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du jeudi 4 avril 2024 à 10 heures

 

Présents. - M. Thibault Bazin, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli