Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants d’Antin Infrastructures Partners : M. Alain Rauscher, président-directeur général, Mme Angelika Schöchlin, associé gérant, en charge des infrastructures sociales 2
Jeudi 4 avril 2024
Séance de 14 heures
Compte rendu n° 41
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président
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La séance est ouverte à 14 heures 05.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants d’Antin Infrastructures Partners : M. Alain Rauscher, président-directeur général, Mme Angelika Schöchlin, associé gérant, en charge des infrastructures sociales.
M. le président Thibault Bazin. Bonjour à tous, chers collègues, nous reprenons aujourd’hui nos travaux en recevant les représentants du fonds Antin Infrastructures Partners.
Après avoir auditionné, au cours des deux semaines écoulées, les responsables opérationnels des quatre grands groupes privés français gestionnaires de crèches et approfondi ces échanges en auditionnant les fondateurs de ces groupes, il nous semblait intéressant de rencontrer également les représentants de certains des fonds qui ont investi dans le secteur. C'est le cas d’Antin Infrastructures Partners, qui est présent depuis 2020 au capital de Babilou, société dont nous avons auditionné les fondateurs, MM. Édouard et Rodolphe Carle il y a une semaine. Nous comptons sur vous, madame, monsieur, pour nous exposer la logique qui a présidé à votre choix d'investir dans le secteur des crèches, et vous proposons de concentrer votre propos liminaire sur des éléments factuels dans l’attente des questions qui viendront nourrir nos échanges.
Je précise que notre audition est publique et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Madame, monsieur, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « je le jure ».
(M. Alain Rauscher et Mme Angelika Schöchlin prêtent serment.)
M. Alain Rauscher, PDG d’Antin Infrastructures Partners. Avant d'entrer dans le cœur du sujet, permettez-moi de nous présenter et de vous présenter Antin en quelques mots.
Je suis le cofondateur et président-directeur général de la société, et suis aujourd’hui accompagné d’Angelika Schöchlin, principal associé gérant, qui supervise notamment nos investissements dans les infrastructures sociales. Antin est une société d'investissement française, cotée à la Bourse de Paris et spécialisée dans l'investissement dans les infrastructures au sens large. Elle gère plus de 30 milliards d'euros d'actifs ainsi que des participations dans une trentaine de sociétés, et représente des dizaines de milliers d'emplois répondant à des besoins essentiels des populations. La naissance d’Antin, il y a dix-sept ans, visait à répondre aux besoins d'infrastructures à l'échelle mondiale et notamment en Europe, dans la mesure où les fonds publics à eux seuls étaient insuffisants pour faire face aux besoins existants et futurs. Nous avons ainsi estimé qu'une société d'investissement spécialisée dans ce domaine pourrait jouer un rôle utile en complément des Etats, des régions et des municipalités, pour financer et développer, à leurs côtés, les infrastructures dans de nombreux secteurs.
Notre métier consiste à investir l'argent de caisses de retraite, d'assureurs et d’autres investisseurs institutionnels dans des entreprises fournissant un service à la société dans le domaine des infrastructures. 20 % de nos investisseurs sont français, et les sociétés dans lesquelles nous investissons sont identifiées par nos équipes, qui effectuent un travail approfondi de recherche et d'analyse en amont de notre engagement. Si nous analysons, chaque année, des centaines de sociétés, nous n’investissons que dans trois ou quatre d'entre elles, celles qui offrent la plus grande qualité de service et possèdent une forte culture d'entreprise. Nous estimons en effet qu’il s’agit là des fondamentaux les plus solides et du meilleur potentiel de croissance, de développement et de création de valeur pour toutes les parties prenantes. Notre intervention, en tant que prêteur, diffère de celle des banques en ce que nous prenons un risque entrepreneurial en investissant aux côtés des dirigeants de ces sociétés. Nous considérons notre modèle économique comme responsable et vertueux. Le profit n'en est pas la seule finalité, mais la conséquence d'un service de qualité. Les bénéfices générés par l'entreprise sont généralement réinvestis pour la renforcer et la structurer, créer des emplois, attirer des talents, améliorer les contrôles et la qualité de service et promouvoir l'innovation et la formation des équipes.
Nos quatre secteurs principaux d’intervention sont les infrastructures numériques (tours télécom, réseaux de fibre, centres de données), les infrastructures de transport (flottes ferroviaires de locomotives ou de wagons, aires d'autoroute, gares, logistique maritime, bornes de rechargement de véhicules électriques), les infrastructures d'énergie et environnementales (énergies renouvelables, mais également réseaux intelligents d'énergie, réseaux de chaleur, opérateurs dans le secteur de l'eau) et les infrastructures sociales (domaines des cliniques, de la psychiatrie, des diagnostics et des pharmacies). Notre activité représente donc un formidable observatoire des grands sujets et des grandes tendances de la société.
Nous avons investi dans le secteur des crèches, et plus spécifiquement dans Babilou, pour plusieurs raisons. Nous estimons tout d'abord que les infrastructures ne représentent pas seulement des grands équipements ou des technologies d'avenir, mais également une solution à des besoins sociétaux essentiels, en complément des acteurs publics à un niveau local, et les crèches répondent à cette définition. Il existe en effet, en France, un déficit structurel de places en crèches, estimé à plus de 200 000, auquel la seule puissance publique n'est pas en mesure de répondre seule. En soutenant Babilou, nous apportons à l'un des leaders du secteur en termes de qualité de service le capital pour continuer à grandir et à créer des places manquantes. C'est une grande fierté pour Antin de participer à cet effort aux côtés d’un personnel extraordinaire. Nous avons choisi d'investir dans Babilou en 2020, époque de grandes difficultés puisque les crèches étaient quasiment vides. Nous avons œuvré aux côtés de certains des actionnaires historiques et des fondateurs du groupe, après une étude approfondie du marché des crèches que nous avions lancée trois ou quatre ans avant cette date d'investissement. Nous avons en effet considéré que la société Babilou était une référence dans son domaine, composée d’équipes remarquables et passionnées par l'éveil et l'éducation des jeunes enfants, proposant un projet pédagogique innovant, et portant une attention prioritaire à la qualité grâce à son propre label baptisé Elsa©. Nous étions également alignés sur ses orientations stratégiques et sur une culture d'entreprise axée sur l'excellence et l'ambition. Nous avons pris une part majoritaire du capital de Babilou, en rachetant, par fonds propres, les parts de certains actionnaires historiques, puis en réinvestissant ensuite par deux fois afin d’apporter davantage de fonds propres visant à financer davantage de croissance.
Il nous paraît important de préciser que notre rôle se limite strictement à celui d’un actionnaire. Bien que nous soyons des actionnaires actifs, capables d'un dialogue avec le management, nous ne sommes pas un gestionnaire de fait et les responsabilités opérationnelles dans la société sont exercées par le management en vertu de ses qualités. En tant qu’actionnaires, nous validons la stratégie proposée par le management, exerçons un droit de regard sur l'activité économique de la société et veillons à ce que Babilou mette en œuvre son plan d'action visant notamment à concilier performance économique, qualité de service et engagement sociaux et sociétaux. La gestion quotidienne de l’entreprise et les décisions opérationnelles sont en revanche exclusivement dévolues à la direction générale, que vous avez précédemment auditionnée. Sous notre égide, Babilou n'a pas versé un seul centime de dividendes à Antin et ses actionnaires. Tous les profits ont été réinvestis dans l'amélioration des conditions de travail, la revalorisation des professionnels des crèches, la professionnalisation de l'équipe en charge de la qualité et l'ouverture de 1 600 places depuis 2020. Babilou a également été le premier, parmi les principaux acteurs du secteur, à devenir, en 2022, une entreprise à mission. Le développement de Babilou à l'international, fondé à la fois sur l'expertise française dans le domaine de la petite enfance et sur la culture de la qualité, est une fierté pour nous, et participe au rayonnement de la France. Le modèle français de la petite enfance est en effet étudié et analysé de très près par nos voisins, et reste une référence.
Nous pensons que cette commission d’enquête peut contribuer à apporter des réponses concrètes pour l'ensemble des intervenants du secteur. Nous sommes prêts à travailler main dans la main avec les acteurs de la petite enfance et à soutenir des initiatives qui contribueraient, par exemple, à revaloriser les métiers, à améliorer les taux d'encadrement, à renforcer les contrôles et à élaborer une charte de qualité pour l'ensemble du secteur.
M. le président Thibault Bazin. Je souhaite que vos fonctions et votre rôle dans la gouvernance soient précisés. Au terme des différentes étapes que vous avez évoquées, quel est aujourd’hui votre poids dans le capital de Babilou ? Quel est votre rôle ? De quelle façon êtes-vous présent et représenté dans les instances telles que les assemblées générales, les conseils d’administration ou le conseil stratégique ? Est-ce vous-même qui participez, ou est-ce l'associé gérant que vous avez sollicité pour vous accompagner ? Quels sont, en tant qu’actionnaire, vos attentes en termes de performances et de qualité de service ? Quelles sont, enfin, vos intentions en termes d’horizon temporel ? Durant combien d'années pensez-vous encore maintenir votre présence, et quel terrain d’atterrissage souhaitez-vous ? Vous êtes arrivé au cours de la crise sanitaire, à une époque où l'activité était en souffrance, et le contexte actuel compliqué change-t-il vos intentions temporelles et vos intentions en termes d'objectifs ?
M. Alain Rauscher. Notre investissement initial dans la société s’élevait à 470 millions d'euros, soit une participation à hauteur de 52 % du capital. Nous avons ensuite augmenté cet investissement en fonds propres à hauteur de 120 millions d'euros, portant ainsi notre participation totale à 57 % du capital pour un montant investi de 590 millions d'euros.
M. le président Thibault Bazin. Existe-t-il des droits de vote dans les 52 % du capital ?
M. Alain Rauscher. Nous disposons de droits de vote à hauteur de nos parts de capital, sans aucun vote préférentiel, soit 57 %.
Mme Angelika Schöchlin, associé gérant d’Antin Infrastructures Partners. Nous avons aujourd’hui le rôle d'actionnaire majoritaire, avec 57 % du capital et des droits de vote. Nous sommes représentés avec trois membres au sein du conseil de surveillance ainsi que dans un comité d'investissement.
M. Alain Rauscher. Nous sommes effectivement rentrés à un moment très difficile de la vie de la société. Notre horizon temporel d'investissement, qui est généralement de l'ordre de sept à dix ans, et peut aller jusqu'à douze ans dans des cas particuliers, est défini au sein des comités d'investissement. S’ajoute ensuite une vue par sociétés, en fonction de son potentiel de création de valeur et donc de développement. Babilou exerce une activité internationale dans douze pays différents, la France étant, avec 40 % de son activité, le pays le plus important, suivi par la Hollande avec plus de 20 % et par l'Allemagne à environ 10 %. Il existe donc un important potentiel de croissance dans plusieurs grands pays, qui nous encourage à faire perdurer notre participation. Nous ne choisissons de vendre que lorsque nous estimons que notre travail est accompli. Nous pouvons, en effet, apporter une structuration des processus d'investissement, de suivi, de contrôle, de supervision des investissements et de mesures économiques.
Nous avons par ailleurs à cœur de respecter plusieurs principes. Nous sommes notamment parmi les premiers, au sein de notre secteur d'activité, à avoir signé la charte de l'investissement responsable des Nations unies en 2008-2009 et avons donc naturellement été amenés à mettre en place et à renforcer l’agenda sur ces aspects.
M. le président Thibault Bazin. La durée de douze ans n’est-elle pas largement supérieure à celle habituelle des autres fonds ?
M. Alain Rauscher. Il s’agit d’une durée usuelle, puisque la durée de vie du fonds est de dix ans, auxquels peuvent s’ajouter deux fois une année. Nous pouvons donc aller jusqu’à douze ans, sans pour autant nécessairement rechercher cette durée.
M. le président Thibault Bazin. Que recherchez-vous concernant Babilou ?
M. Alain Rauscher. Babilou est une société très intéressante, dont les perspectives de développement sont importantes. Ses bases sont solides, et la qualité de son équipe de management doit être soulignée, avec les deux fondateurs, actionnaires et coprésidents du conseil de surveillance, qui sont des personnes de grande qualité et avec qui nous sommes dans une relation de confiance mutuelle.
Le potentiel de croissance des crèches en France est par ailleurs considérable, et nous estimons que sur les 200 000 places de crèche, environ 80 % des ouvertures seront à l’avenir réalisées par des opérateurs privés. Cela s’explique par des raisons structurelles profondes, à commencer par l’existence de quatre grands groupes structurés et bien capitalisés, capables de constituer des plateformes pour développer l'activité de façon professionnelle. Nous observons en outre une importante évolution, avec des entités publiques, municipalités ou administrations, réservataires de places dans des crèches publiques, démarche plus aisée que la création d’une structure, les investissements et le recrutement de personnels pour une longue durée. Je précise d’ailleurs que l’Assemblée nationale est réservataire de places d’un confrère de Babilou pour son personnel.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous avez, en entrant au capital de Babilou, investi dans le secteur des crèches, et disposez également, en tant qu'actionnaire majoritaire, d’une influence notable sur le cours de cette entreprise.
Mes premières questions porteront sur votre choix de prendre part au capital d'une entreprise dans le secteur de la petite enfance à un moment particulièrement critique, celui de la crise sanitaire, où les incertitudes étaient nombreuses. De l’aveu même des différents dirigeants des groupes de crèches que nous avons auditionnés, le secteur est faiblement rémunérateur, avec des coûts en constante augmentation. Il est fortement impacté par l'inflation et marqué par une importante pénurie de personnel. Au regard de ces éléments, comment justifiez-vous le choix d'investir dans un secteur aussi incertain ? Pourquoi avoir fait ce choix pour votre première participation dans le secteur de la petite enfance, pourquoi à ce moment-là, et comment avez-vous pris cette décision ? Vous avez, au cours de vos propos liminaires, évoqué une étude durant plusieurs années. Pouvez-vous nous en détailler le processus ? Les propriétaires ont-ils pris l’initiative de vous solliciter pour financer la croissance du groupe ? Des intermédiaires sont-ils intervenus ou avez-vous pris la décision seuls ?
M. Alain Rauscher. Nous avons, concernant le secteur des crèches, de fortes attentes et un important sentiment de responsabilité concernant les résultats de notre investissement, afin qu’il soit fructueux à la fois pour les investisseurs et au regard des besoins de la société.
Concernant notre arrivée dans ce secteur, je précise tout d’abord que les comités d'investissement techniques ont pour habitude de réfléchir, très en amont, aux grandes thématiques qui structureront nos investissements à venir. Je peux citer, à titre d’exemple, le vieillissement de la population, le besoin exponentiel d'accès aux données, avec les centres de données ou la fibre, ou encore le changement climatique, avec les véhicules électriques et les énergies renouvelables. Nous disposons donc d’une liste de problématiques générales, à partir desquelles nous tâchons ensuite de repérer les secteurs à mettre en lumière en choisissant d’y investir. Nous agissons de façon très prudente, à l’image du secteur de la fibre pour lequel nous avons attendu sept ans avant de faire notre premier investissement.
Concernant les crèches, le besoin sociétal identifié est celui de l'employabilité des femmes. J’ai d’ailleurs été interpellé par l'intitulé de cette commission, qui évoque l’accueil de la petite enfance, alors que nous parlons d'éducation pour les mille premiers jours de la vie des enfants, qui était auparavant assumée par les mères ou par les familles. Notre mission, qui s’articule ainsi autour d’un thème sociétal essentiel, se base sur nos valeurs humanistes. Nous avons donc réfléchi à la façon dont nous pouvions appréhender les besoins considérables de ce secteur, et y participer de façon économique. Nous avons préalablement dû apprécier le modèle économique et les risques liés à l'investissement spécifique dans les crèches, au premier rang desquels la probabilité d’une renationalisation ou d’une municipalisation des établissements, avec un rejet des opérateurs privés et une coupure des subventions. Nous avons également dû étudier les possibilités de recruter des personnels capables de garantir un niveau de qualité suffisant. Si nous estimons que le travail réalisé par les opérateurs, en contact quotidien avec de très jeunes enfants, est remarquable de dévouement et d’abnégation, il existe néanmoins un véritable déficit de personnels qui nuit au développement de l’activité. Le modèle mixte, qui est une spécificité française largement copiée à l’étranger et qui se retrouve dans le secteur de la santé, avec les cliniques et les hôpitaux, ou dans l'éducation, avec les écoles publiques et privées, est un modèle puissant. Il permet en effet d'utiliser les capitaux privés comme des leviers pour répondre à des besoins sociétaux. Forts de ces analyses, nous avons donc décidé d'investir. Babilou se démarque également par son important portefeuille international, qui représente la majorité de son chiffre d'affaires. Or chaque pays connaît des situations sociétales différentes. Le système français s’illustre par sa capacité à offrir des places en crèche et un large panel de prestations à toute la population, y compris aux familles modestes ou sous le seuil de pauvreté, à la différence de nombreux autres pays étrangers dans lesquels les places sont réservées aux familles privilégiées. Nous avons donc mené une analyse sur la solidité du modèle français, et je crois profondément, en tant que citoyen, que ce remarquable modèle sera défendu.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Si j’ai bien compris l'intérêt pour vous de ce secteur et de cette entreprise, vous ne m’avez pas répondu sur les conditions de votre entrée dans le capital de Babilou. Quelles sont les personnes ayant initié le contact entre les deux parties ? Comment se sont concrètement déroulés les événements ?
M. Alain Rauscher. Une fois les secteurs identifiés, nous en rencontrons systématiquement tous les participants, qu’ils soient français ou étrangers. Nous sommes rapidement parvenus, avec les frères Carle, à un accord basé sur nos valeurs communes.
M. le président Thibault Bazin. Qui est à l’origine de la prise de contact ?
M. Alain Rauscher. Nous sommes à l’initiative de la première approche.
Nous menons, je le rappelle, un travail approfondi, avec environ 200 sociétés étudiées par an pour trois ou quatre investissements, et nous rencontrons les équipes managériales dans la plupart des cas. La nature de notre écosystème permet d’organiser facilement ces rencontres, au cours desquelles des affinités avec l'activité ou les personnes peuvent naître.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous êtes actionnaire majoritaire au sein de Babilou. Nous avons pu constater, à la lumière de vos propos introductifs, les différences qui existent avec des fonds minoritaires en droits de vote. Vous avez notamment rappelé vos très fortes attentes concernant Babilou et la mise en place de son plan d’action. Pouvez-vous préciser la façon dont cela se matérialise ? Au regard de vos objectifs de développement et de croissance, dans un secteur qui connaît de réelles difficultés liées à la qualité d'accueil, comment appréhendez-vous ce double enjeu sur la base de vos droits en tant qu'actionnaire majoritaire ? Avez-vous en particulier des exigences en termes de maîtrise des coûts ? Nous avons notamment eu connaissance d’éléments autour de la question de la maîtrise des consommables au sein des crèches, avez-vous été amenés à vous exprimer sur ce sujet ? Comment appréhendez-vous concrètement, de façon plus générale, ces deux enjeux dont on pourrait considérer qu'ils sont contradictoires, avec d'un côté la nécessité d’investir pour assurer la croissance du groupe, et permettre ainsi la rentabilité de l'investissement, et de l'autre côté celle de s'assurer que les moyens sont suffisants pour assurer un accueil de qualité ?
M. Alain Rauscher. En tant qu’actionnaire majoritaire, nos relations avec le management sont bien entendu privilégiées. Il est de sa responsabilité, et non de la nôtre, de proposer un plan d’action. Nous leur indiquons ensuite, sur la base de notre droit de vote, si nous ne l’estimons pas adapté, ou les points qui pourraient être davantage ciblés. Nous jouons donc strictement notre rôle d'actionnaire et d'administrateur.
La nature de notre contribution est plurielle. Nous apportons tout d’abord des moyens financiers destinés à financer une croissance, avec la création de 1 600 places supplémentaires depuis 2020. Il nous a en outre paru important, au regard de notre politique environnement, social et gouvernance (ESG) volontariste, de suggérer que Babilou devienne une entreprise à mission. Plusieurs autres acteurs du secteur réfléchissent d’ailleurs en ce moment à une évolution similaire. La question essentielle est, selon nous, celle de l'éducation, à travers une pédagogie non seulement pour les enfants, mais également en soutien de la parentalité. Certaines familles ont besoin d'être aidées, et cela fait partie de notre contribution.
M. le président Thibault Bazin. Vos attentes concrètes concernent-elles donc plutôt l’éducation ou la rentabilité du placement ?
M. Alain Rauscher. Les sociétés doivent avant tout être bâties sur des fondations saines, leur fonctionnement aussi parfait que possible, et le souci de la qualité au cœur de leurs pratiques. L'enfant doit être au cœur des pratiques éducatives, et rien ne peut être construit sans ce socle de qualité. Aucun groupe, en particulier dans le secteur de la petite enfance, ne peut se développer sans un service des enfants et un projet pédagogique solide. Nous réaliserions un mauvais investissement si nous prenions le risque de mettre cela en cause. Sur le sujet des consommables, il est surréaliste de penser que des enfants ne seraient pas proprement changés ou nourris et, si vous avez connaissance de situations particulières, elles représentent de graves manquements. Ces éléments sont donc, pour nous, essentiels, et nous étions, en l’occurrence, face à une société remarquablement bien gérée.
Nous avons également mis en place et renforcé, sur la base d’un dialogue avec nos actionnaires et d’un complet soutien de la gestion, une procédure de remontée d'informations liées aux incidents. Face aux incidents dans les crèches, qui sont heureusement rares, mais peuvent toutefois survenir, il est important d’agir le plus rapidement possible. Vous savez sans doute que plus de 90 % des cas de maltraitance d'enfants surviennent dans les milieux familiaux. Les personnels voient des enfants et, s’ils constatent des marques, peuvent recourir au système d'alerte grâce à la procédure mise en place. Nous sommes fiers d'avoir contribué à renforcer ce processus. Nos engagements en matière de qualité, également forts, se sont en outre traduits par la création de nouveaux postes au sein du comité exécutif, celui de vice-président éducation, qualité et développement durable et celui de directeur de la qualité. Le socle de base est donc celui du service de l’enfant, sur lequel peut ensuite advenir la croissance.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il peut en effet sembler surréaliste de parler d'enfants insuffisamment nourris ou régulièrement changés, mais c’est ce que nous avons malheureusement pu lire dans les ouvrages. Bien qu’ils ne soient pas généralisés, ces comportements ne sont donc pas simplement anecdotiques, et représentent incontestablement un problème. Je vous ai interrogé au sujet des consommables, mais j'aurais également pu évoquer les personnels des crèches, auxiliaires de puériculture ou éducatrices de jeunes enfants, dont les salaires sont faibles. La problématique de l’attractivité des métiers entraîne des conséquences directes sur la croissance des différents groupes de crèches et, à l’inverse, la rémunération des personnels qui commercialisent les berceaux est conséquente. En matière de qualité d'accueil, au sujet de laquelle nous avons reçu de nombreux experts, nous sommes convaincus de la nécessité d’un changement de paradigme, entre une approche obsolète de la garde d'enfants et une approche qui consiste à mettre à profit une période cruciale dans le développement de l'enfant. Or je m'interroge sur le fait que les moyens n’y soient pas directement destinés. Alors, comment ce double impératif, celui de la qualité et celui de la croissance, se matérialise-t-il dans la façon dont vous exercez votre rôle d'actionnaire majoritaire ?
Ma dernière question sera relative à l'évolution de la réglementation. Le secteur de la petite enfance est un service public, qui fait l'objet d'un cadre juridique établi par la puissance publique, au sein duquel évoluent les acteurs, qu’ils soient publics, associatifs ou privés lucratifs. Il est donc compréhensible que ce cadre législatif ou réglementaire intéresse tout particulièrement les acteurs du secteur. Aussi, de quelle nature sont les éventuels contacts que vous avez pu, depuis que vous êtes actionnaire majoritaire de Babilou, établir avec différents représentants politiques, qu'ils soient parlementaires, responsables gouvernementaux ou même responsables locaux ? Dans la construction des futurs schémas de développement de la petite enfance au niveau communal, la question de la croissance d'un groupe comme le vôtre sera corrélée aux besoins définis par les communes. Quel est donc le niveau des relations que vous avez, de façon officielle ou officieuse, avec ces différents responsables politiques ?
M. Alain Rauscher. Je tiens tout d'abord à affirmer que nous appliquons, et partageons avec les fondateurs, le principe d’une tolérance zéro concernant la maltraitance, et notamment le manque de nourriture ou de couches. Il est pour autant impossible de prévenir l’ensemble des incidents dus à des comportements individuels et, si nous ne parvenons pas à les anticiper, nous devons impérativement et rapidement les corriger en prenant des décisions radicales.
J’en viens maintenant à la question des rémunérations. Conformément au choix politique fait par l’Allemagne, les rémunérations y sont deux fois plus élevées qu’en France. Nous opérons avec des marges de 3,3 % et le principal poste est donc celui des salaires. Il s’agit donc d’une question de décision politique et nous ne pouvons pas, avec des marges si faibles et une telle place du poste de personnel, y faire face. Concernant les salaires liés à la commercialisation, vos affirmations ne me semblent pas totalement exactes. S’il est effectivement possible, en raison de la nature différente des métiers, d’affirmer que des commerciaux perçoivent davantage que des puéricultrices, la masse des coûts relatifs à la commercialisation est liée à la gestion des relations avec les tiers réservataires au sens large. Il s’agit donc d’équipes très importantes qui représentent des coûts conséquents. La moitié du chiffre d’affaires de Babilou est effectuée avec des tiers réservataires et, si ces salaires ne sont pas démesurés par rapport à d’autres postes, la base de coûts est liée au traitement des relations avec ceux-ci.
Sur les questions des changements réglementaires, nous sommes, comme tout investisseur de long terme, soucieux de la stabilité, de la lisibilité et de la prédictibilité du cadre réglementaire, et les difficultés que nous rencontrons lorsqu’il change ne concernent pas uniquement le secteur de la petite enfance. Je peux, à titre d’exemple, citer le secteur de l'énergie renouvelable où les nombreux changements de cadre ont valu à la France d’être en retrait dans son développement par rapport à d’autres pays comparables. La stabilité du cadre est donc un critère important. J’ajoute que le cadre français de la petite enfance est perçu comme un modèle par la plupart des pays européens, et qu’il faut donc réfléchir avant de le modifier.
Sur le sujet de l’influence, vous êtes, à ma connaissance, la première entité publique avec laquelle nous avons des contacts. Si nous sommes ravis de répondre à votre invitation, les influences et le lobbying ne font en revanche pas partie de notre mode de fonctionnement.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Tout d’abord, je suis saisi d’un certain vertige dans le cadre de cette audition. Le point de départ du travail que je mène depuis plus d'un an sur le sujet des crèches privées lucratives, et qui m’a notamment conduit à solliciter cette commission d'enquête, a été le terrain. J'ai ainsi pu discuter avec des professionnels qui travaillent au sein des crèches privées telles que la structure Babilou dont vous êtes actionnaire, et notamment avec des auxiliaires de puériculture, qui perçoivent un SMIC pour un métier difficile. Mais, au-delà de l’importante pénibilité de leur métier, ces professionnelles considèrent également que le cadre dans lequel elles l’exercent ne leur permet pas de prendre correctement soin des enfants. Ainsi, en tirant le fil, on remonte aux employeurs, aux crèches, aux grands groupes gestionnaires, aux actionnaires, aux fonds d'investissement, et donc finalement à vous, monsieur Rauscher, dont la fortune s’élevant à quasiment 1 milliard d’euros vous place, si j'en crois Challenge, à la 156e place française. Si certains estimaient encore que les secteurs du médico-social et de la petite enfance étaient préservés des inégalités de notre société, cette démonstration de l’écart conséquent entre des travailleurs payés au SMIC et un milliardaire vient donc prouver que tel n’est pas le cas.
Un deuxième vertige m'a saisi lorsque je vous ai entendu, avec des arguments pertinents et rationnels, expliquer ce qu’allait être la politique publique de création de places en crèche en France pour les prochaines années. Vous êtes en effet revenu, à juste titre, sur cet engagement gouvernemental de 200 000 créations de places d'ici 2030, en nous expliquant tranquilement que vous estimez que 80 % des ouvertures seront le fait du secteur privé lucratif. Vos excellents arguments sont liés d’une part à l’existence de quatre grands groupes fortement implantés et d’autre part au fait que, dans le système actuel, les institutions publiques ont plutôt intérêt à réserver une place dans un établissement privé qu'à ouvrir elles-mêmes une crèche publique. Cependant, et malgré le caractère rationnel de votre démonstration, il nous semble que la politique publique et la nature des 200 000 places ouvertes doivent plutôt nous être expliquées par les ministres concernées, que nous auditionnerons la semaine prochaine. Je pense malgré tout malheureusement, avant même de connaître la teneur des propos des ministres, que vous avez raison et qu’au regard du fonctionnement actuel du système, la capacité d’action de la puissance publique s’efface devant le pouvoir des actionnaires de ces grands groupes privés.
Vous détenez objectivement, aujourd’hui, la capacité de décider comment le secteur de la petite enfance va se développer. Aussi, le citoyen que vous êtes, au-delà de vos fonctions de président de grand fonds d'investissement et d’actionnaire, n’est-il pas interrogé par les deux sujets que j'ai évoqués, à savoir les écarts de rémunération et de patrimoine extravagants dans ce secteur et le fait qu’un acteur privé tel que vous ait autant d'influence et de poids dans ce qui devrait relever d'une politique publique ?
M. le président Thibault Bazin. Nous clôturerons effectivement nos auditions en recevant les ministres en poste actuellement, à une date qui se situera plutôt autour du 30 avril.
M. Alain Rauscher. Si je ne me réjouis pas du niveau actuel des rémunérations des puéricultrices, j’ai précédemment expliqué que la nature du modèle économique actuel implique que les rémunérations les plus importantes ne puissent pas venir des opérateurs privés et doivent donc être le fait des pouvoirs publics. Il s’agit d’un choix de société, qui s'applique également à d'autres secteurs, à l’image des enseignants ou des infirmières, qui connaissent également d’importantes difficultés liées au recrutement. Tout comme vous, je pense donc, en tant que citoyen, que ces professionnels, qui effectuent un travail aussi remarquable et utile à la collectivité, mériteraient évidemment d'être davantage rémunérés, c’est une évidence.
Quant à ma fortune, elle est celle d’un entrepreneur qui a pris des risques. J’ai, en dix-sept ans, créé des choses dont je suis très fier, sans avoir à rougir de la façon dont je l’ai fait. Mes principes éthiques sont très forts, mes activités personnelles nombreuses, et je suis fier de tout ce que j’ai constitué et qui a permis de créer cette fortune. Cette fortune alimente en outre chez moi de nombreuses réflexions sur son usage, et mon mode de fonctionnement est celui d’une personne particulièrement active.
Sur le sujet des places, je ne suis pas ministre de la famille et n’ai donc aucune information exclusive à vous communiquer. Vous me prêtez une influence dont je ne bénéficie pas, et les chiffres que j’évoque, qui sont ceux du Gouvernement, sont le reflet des besoins de créations de places. Si j’estime que la sphère privée pourra être un acteur majeur dans la création de nouvelles places, c’est tout d'abord en raison du fonctionnement actuel du modèle économique. Il est en effet préférable, notamment pour des municipalités, d'avoir accès à de la réservation de lits par des crèches, plutôt que de prendre le risque de lancer des travaux onéreux, de recruter du personnel en CDI, et de gérer l’un des problèmes endémiques du secteur qui est celui du taux de rotation important du personnel. Les opérateurs privés sont donc, naturellement, plus rapides, plus agiles, ils disposent des capitaux, de la plateforme et d’une excellence d'exploitation qui permet effectivement d'offrir aux enfants la meilleure qualité d'accueil. Nous nous ajusterons ainsi aux évolutions réglementaires et aux décisions prises par le gouvernement, car elles relèvent de sa responsabilité souveraine. Nos capitaux sont disponibles, prêts à être investis et à contribuer à cet effort que, en tant que citoyen, je juge primordial.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je partage avec vous l’idée selon laquelle la rémunération de ces professionnels relève d’une responsabilité de la puissance publique. J’ai d’ailleurs fréquemment l’occasion, en tant que député d'opposition, d'interpeller régulièrement le gouvernement et la majorité présidentielle sur ce sujet. J’estime pour autant que vous ne pouvez pas, en tant qu'actionnaire de ces groupes privés, être totalement dédouané de votre responsabilité. Les données dont nous disposons démontrent en effet, d’une part, que les places dans les crèches privées lucratives sont les plus subventionnées par les pouvoirs publics comme le montre l’IGAS, et d’autre part que les salaires des professionnels des crèches privées lucratives sont en moyenne inférieurs à ceux des crèches associatives ou publiques. Or des subventions publiques supérieures couplées à des salaires inférieurs impliquent nécessairement une manne financière dont la destination interroge, et nous pouvons supposer que cet argent est lié à la rémunération des actionnaires de ces grands groupes, bien qu’il ne s’agisse pas, nous l’entendons, d’une rémunération par la remontée des dividendes, mais d’une rémunération par la croissance.
Nous souhaitons également vous poser des questions précises et techniques sur votre investissement au sein de Babilou. Pouvez-vous tout d’abord confirmer que votre investissement est effectué sous la forme d'un leveraged buy-out (LBO), ou rachat avec effet de levier ? Vous avez donc créé une holding qui s’est endettée. Pouvez-vous nous préciser à combien s’élève cet endettement pour ensuite acheter les actions de Babilou ? Pouvez-vous également nous donner des précisions sur les attentes, en termes de taux de rendement interne (TRI), des souscripteurs, pour cet investissement au sein de Babilou ?
M. Alain Rauscher. Sur le sujet des rémunérations qui seraient inférieures, dans les crèches privées, à celles du secteur public ou associatif, je souhaite vérifier cette information, qui me surprend, avant de revenir vers vous. Il me semble toutefois compliqué, au regard de la marge, de différencier sensiblement les salaires.
Concernant les attentes, les investissements que nous réalisons visent en effet à faire croître des sociétés, à en développer l’activité, et donc à créer de la valeur pour des investisseurs qui sont principalement des fonds de pension, des caisses de retraite ou des compagnies d'assurance-vie, dont l’attente est en moyenne d’une multiplication par deux au moment de la vente de l’activité. Celle-ci doit donc, tout naturellement, croître, non seulement grâce au talent de l'équipe de management, mais également à travers le dialogue que nous avons avec lui et les capitaux que nous apportons pour permettre à la société de se développer.
M. le président Thibault Bazin. Il s’agit là de l’espérance de création de valeur à la revente, mais qu’en est-il de l'effet de levier évoqué par M. le député ?
M. Alain Rauscher. Les durées de détention étant typiquement de cinq à dix ans, la réponse varie en fonction des cas. Dans le cas des gares italiennes, 99 % du trafic ayant été interrompu pendant le confinement, la société sera, par exemple, conservée beaucoup plus longtemps. Pour simplifier, nous visons à peu près une multiplication par deux et cela varie entre cinq et dix ans.
Mme Angelika Schöchlin. Nous n’avons pas, en rachetant des parts de Babilou sur fonds propres et sans dette additionnelle, effectué un LBO classique.
M. le président Thibault Bazin. Vous n’avez donc pas créé de holding, mais acheté des actions du groupe Babilou Family, ce dernier étant lui-même endetté ?
Mme Angelika Schöchlin. En effet. Au moment de notre acquisition, Babilou Family était endetté à hauteur de 512 millions d’euros. Pour 52 %, nous avons déboursé 470 millions d’euros. Il y a donc beaucoup plus de fonds propres que de dette. Postérieurement à notre entrée en novembre 2020, deux augmentations de capital visant à financer la croissance ont été réalisées, à l’aide de fonds propres ainsi que de la dette. Nous avons ainsi ajouté, en fonds propres, 120 millions d’euros qui ont servi à financer la croissance.
M. le président Thibault Bazin. Le fait que vous n’ayez pas fait appel à un effet de levier dette externe explique-t-il le fait que la durée puisse s’étendre jusqu’à douze ans ?
Mme Angelika Schöchlin. Nous avons financé la croissance à la fois sur fonds propres, à hauteur de 120 millions d’euros, et sur la dette, à hauteur de 300 millions d’euros. Nous avons donc, au total, investi 590 millions de fonds propres dans la société, qui porte 809 millions de dettes.
M. le président Thibault Bazin. C’est donc la société Babilou Family qui a produit 300 millions de dette supplémentaire.
Mme Angelika Schöchlin. Pour sa croissance externe, en effet.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je souhaite maintenant aborder le sujet des souscripteurs. Vous avez indiqué qu’il s'agissait principalement de fonds de pension ou d’assurances-vie, mais pouvez-vous préciser la nature du véhicule juridique dans lequel ces souscripteurs ont investi ? Concerne-t-il uniquement Babilou, ou également d’autres sociétés ? Je souhaite également savoir quelle attente a été annoncée, à l’origine, aux souscripteurs.
M. Alain Rauscher. Les souscripteurs sont, pour la quasi-totalité, des investisseurs institutionnels : compagnies d'assurance-vie, caisses de retraite, gestionnaires d’actifs comme BNP Paribas, fonds souverains, y compris Français à l’image de la Caisse des dépôts.
M. le président Thibault Bazin. À quelle hauteur ?
M. Alain Rauscher. Les montants sont modestes, mais la Caisse des dépôts a joué, il y a dix-sept ans, un rôle essentiel d'amorçage pour animer la place de Paris à une époque où les investisseurs étaient très peu nombreux.
Les caisses de retraite représentent environ la moitié. Nous gérons donc l’épargne de personnes modestes, et je milite personnellement en faveur du renforcement des plans de pensions de retraite en France. Le secteur des assurances-vie représente quant à lui 20 %. En termes de répartition par pays, environ 20 % des investisseurs sont français, et le reste est extrêmement divisé entre un grand nombre de pays, au premier rang desquels l'Europe du Nord, et notamment l’Allemagne, puis le Canada et les États-Unis.
M. le président Thibault Bazin. Je vous rappelle la question sur le véhicule juridique.
Mme Angelika Schöchlin. Babilou est situé dans le fonds IV d’Antin, qui détient également six autres actifs, tous séparés. La logique d’un fonds est d’investir de façon diversifiée, dans des secteurs et des pays différents.
M. le président Thibault Bazin. Les six autres actifs ont-ils le même horizon temporel ?
Mme Angelika Schöchlin. Si nous sommes toujours sur des horizons semblables, les durées peuvent varier en fonction des cas.
M. le président Thibault Bazin. Quel horizon temporel avez-vous, le cas échéant, promis ?
Mme Angelika Schöchlin. Il s’agit d’un fonds de dix ans avec deux possibilités d’extension d’un an. Nous disposons de cinq ans pour l'investir, puis nous nous occupons ensuite de nos sociétés en gestion, en soutien de leur croissance.
M. le président Thibault Bazin. Le démarrage date-t-il bien de 2020 ? À quel moment Babilou est-il intervenu dans les cinq premières années ?
Mme Angelika Schöchlin. Plutôt au début.
M. le président Thibault Bazin. Vous pouvez donc maintenir votre présence jusqu’en 2032 ?
Mme Angelika Schöchlin. En 2031.
M. le président Thibault Bazin. Quelle est la part de Babilou dans ce fonds ?
Mme Angelika Schöchlin. La part de Babilou s’élève à environ 11 à 12 %.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Je me permets d’insister sur les attentes, en termes de rendement, des souscripteurs.
M. Alain Rauscher. Si les souscripteurs ont effectivement des attentes, il ne s’agit pas, en revanche, d’engagements de notre part. Notre approche se base sur la valeur ajoutée, c’est-à-dire la création de valeur à travers le développement des sociétés. L’objectif est donc celui d’un doublement de la mise, qui peut être plus ou moins rapide et se traduire par des TRI plus ou moins élevés, en fonction de la rapidité avec laquelle l’objectif du doublement est atteint. Mais il ne s’agit, pour les investisseurs, que d’une simple indication. Ces derniers constatent que nous investissons et développons des actifs, et, lorsqu’une nouvelle levée de fonds est proposée, ils vont décider, ou pas, de réinvestir dans le fonds suivant en fonction de notre performance. Nous levons actuellement un fonds de 10 milliards et les investisseurs vont, en premier lieu, considérer notre rentabilité antérieure.
Mme Angelika Schöchlin. Je précise qu’il s’agit d’une cible pour le fonds dans sa totalité.
M. William Martinet (LFI-NUPES). J’ai le sentiment que vous éludez ma question. J'imagine que les souscripteurs de ce fonds ont des attentes en termes de TRI, pouvez-vous nous donner des précisions à leur sujet ?
M. le président Thibault Bazin. J’imagine qu’il existe également un lien avec la durée, puisqu’il n’existe pas de système de dividendes. Il existe, si j’ai bien compris, une valeur finale que la durée de long terme de ce fonds impacte, et il doit donc nécessairement exister une forme de promesse d’atterrissage.
M. Alain Rauscher. Nous visons un TRI d’attente de l’ordre de 15 % sur l’ensemble du fonds, soit sept investissements différents dans le cas de celui-ci. Les investissements offrent des perspectives de rentabilité qui peuvent varier, et qui peuvent être impactées négativement par la survenue d’événements fortuits tels que la crise sanitaire. Les investisseurs s’engagent en connaissance de cause, en sachant que les actifs exposés sont susceptibles de souffrir de certaines situations. L’attente est donc, pour résumer, de deux fois et d’environ 15 % sur l’ensemble du fonds. Je tiens par ailleurs à insister sur le fait que, dans le cas de la petite enfance, c'est la croissance et non la réduction de coûts.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Il était important de disposer de cet élément, car une rentabilité de 15 % n’est pas négligeable, et chacun peut imaginer les conséquences de ce chiffre sur l'entreprise à l’origine de l'investissement.
Je crois donc comprendre que dans les fonds d'investissement, la logique dominante veut qu’en cas de surprofit, c'est-à-dire d'une rentabilité supérieure aux attentes, une partie des gestionnaires du fonds est intéressée par le biais d’une rémunération supplémentaire à défaut de parler de prime. Pouvez-vous préciser si ce mécanisme existe sur ce fonds IV, et quel niveau de rentabilité permet un partage de la valeur supplémentaire entre les souscripteurs du fonds et les gestionnaires ?
M. Alain Rauscher. La notion de surprofit n'a pas de sens pour nous : il existe soit des profits soit des pertes. Je rappelle qu’il s’agit d'investissements en fonds propres, par nature très risqués, et il est important de souligner que l’on ne gagne pas à chaque fois. Dans notre industrie, le principe est celui d’un partage de la création de valeur lié au développement de la société. Celui-ci n’est pas réalisé sur le dos des salariés, et il ne s’agit pas de réduire les salaires ou les coûts afin de réaliser un gain supérieur. Si nous pouvons parfois être amenés à faire des économies, notre façon de créer de la richesse ne consiste pas à couper les coûts, mais à développer la société, en France ou dans d'autres pays. Au terme de cette croissance, le produit de la vente va être supérieur à la somme investie en fonds propres. Si chacun est conscient du risque important, l’objectif est celui d’un doublement de la valeur et, si les circonstances sont favorables, le développement correspond à un doublement de la taille de l’entité. Le système n’est donc pas celui des vases communicants, ou l’on prend d’un côté afin de redistribuer de l’autre, mais celui d’une croissance. Dans le cas de Babilou, celle-ci consiste à créer des places de crèches qui entraînent, naturellement, une activité plus importante.
M. William Martinet (LFI-NUPES). N’ayant pas obtenu de réponse à ma précédente question, je vais me permettre de la préciser. Le sujet est celui de l’intéressement des gestionnaires du fonds, et nous évoquions précédemment l'existence d’échanges entre les actionnaires et le management de Babilou. L’existence de discussions et de négociations sur le projet s’entend dans la mesure où, en tant qu'actionnaire, vous le validez, mais je souhaite savoir dans quelle mesure les personnes qui valident le projet de Babilou au nom d’Antin sont intéressées aux résultats de ce fonds d'investissement. Je souhaite avoir des précisions sur la corrélation entre les personnes qui décident d'une stratégie d'entreprise et ceux dont la rémunération sera supérieure en fonction de la croissance de l'entreprise au bout de dix ou douze ans. Pouvez-vous donc nous indiquer comment fonctionne ce mécanisme d'intéressement ?
Mme Angelika Schöchlin. Je tiens tout d’abord à préciser qu’il ne s’agit pas d’un bonus, mais de la possibilité, pour certains employés d’Antin, d’effectuer, dans nos fonds, un investissement à risque. Cet investissement n'est, par ailleurs, pas lié à une société particulière, mais à un fonds. Dans le cas du fonds IV, il est lié aux sept sociétés incluses dans ce fonds. Les décisions liées aux investissements sont prises au niveau du comité d'investissement d’Antin, qui comprend le PDG et les huit associés gérants de la société.
M. le président Thibault Bazin. Au cours de leur audition, les deux cofondateurs de Babilou, qui sont toujours à la présidence, nous ont indiqué faire eux-mêmes du conseil pour la structure et percevoir, à ce titre, une rémunération. Pouvez-vous nous indiquer, en tant que membre du conseil, s’il existe une rémunération à ce titre ? Au moment de la revente des parts d’Antin, dans le cas où le rendement est supérieur à 15 %, bénéficierez-vous d’une prime liée à ce statut ?
Mme Angelika Schöchlin. Sur les huit membres du comité d'investissement d’Antin, je suis la seule à siéger également au conseil de surveillance de Babilou. Je ne recevrai pas, à titre personnel, de bonus au moment de la vente de Babilou puisque, comme nous l’avons précédemment indiqué, le schéma est lié à la totalité du fonds et non à un investissement en particulier. Je précise ainsi que dans le cas où Babilou se révélerait être la seule société du fonds à connaître une excellente performance parmi d’autres moins performantes, la rentabilité de l’investissement serait nulle.
M. William Martinet (LFI-NUPES). En tant qu'associé gérant, vous avez donc une participation à ce fonds IV et, si le TRI, c'est-à-dire la croissance des sociétés de ce fonds, dont Babilou, est élevé, votre rémunération personnelle augmentera. À l’inverse, un mauvais TRI de ces sociétés impacterait négativement votre rémunération. En tant qu’associé gérant, vous avez également à valider ou à invalider la stratégie du groupe Babilou qui vous est présentée par l’équipe dirigeante. Ces affirmations sont-elles exactes ?
Mme Angelika Schöchlin. Elles sont quasiment exactes, si ce n’est qu’il ne s’agit pas d’un intéressement, mais d’un investissement, que certains employés d’Antin sont en droit de réaliser. En ce qui concerne la stratégie de Babilou, je ne détiens pas l’exclusivité des pouvoirs de validation. Je rappelle, d’une part, que les cofondateurs sont les coprésidents du conseil de surveillance, et que deux autres membres de l'équipe d’Antin, à savoir un membre indépendant et un représentant d’un autre fonds, y participent également.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Compte tenu de votre position d’associé gérant, comment réagissez-vous aux propos des directrices de crèches du groupe Babilou qui dénoncent les ouvertures effectuées en dépit des difficultés de recrutement, et les problèmes de gestion qui en découlent ? Bien que cela témoigne d’une croissance très forte, voire trop forte, il en va de votre intérêt personnel en tant qu’actionnaire puisque de la croissance découle votre rémunération. Ainsi, comment arbitrez-vous entre cette croissance excessive qui met en difficulté l'entreprise et votre rémunération personnelle qui est justement déterminée par la croissance ?
M. Alain Rauscher. Nous cherchons systématiquement, lors d’une ouverture de crèche, à être conformes aux règles d'encadrement légal et réglementaire. Il n’est donc, en aucun cas, question d’ouvrir une structure sans avoir préalablement réglé les questions liées au recrutement du personnel. Il serait absurde d’exiger l’ouverture d’une crèche qui, ensuite, resterait vide faute de personnel ou de prendre le risque de l’ouvrir avec du personnel insuffisant. Babilou étant un groupe international, nous pouvons, par exemple, différer l’ouverture de l’établissement et opter pour un développement à l’étranger. Le sujet de la pénurie de personnel, qui est essentiel pour le secteur, fait l'objet de nombreuses réflexions. J’ai d’ailleurs été particulièrement sensible aux propos tenus ici-même par M. Sylvain Forestier, qui évoquait la possibilité de requalifier certains personnels pour leur permettre, à partir d'un CAP, de se développer en personnels de catégorie 1. Des pistes existent donc, mais j’affirme que nous ne poussons jamais une croissance sans disposer des personnels nécessaires pour s'occuper des enfants.
Mme Angelika Schöchlin. Une ouverture de crèche est un projet de long terme, puisqu’il faut trouver les locaux, les aménager, obtenir les autorisations, et enfin trouver le personnel. Babilou connaît actuellement de nombreuses fermetures de sections en raison du manque de personnel, qui sont dramatiques pour les familles qui ont besoin d’un mode de garde pour aller travailler. Les sujets essentiels me semblent donc être celui de la revalorisation des personnels, celui des moyens d’améliorer le financement du secteur au sens large et celui des taux d’encadrement.
M. le président Thibault Bazin. Vous avez précédemment mentionné l'enjeu capitalistique. Je comprends qu’aujourd’hui, le principal frein pour la puissance publique est le manque de capitaux et, en vous déléguant la mission, les collectivités locales ou l’État évitent de s’endetter. Je suis étonné par ces interactions qui existent avec le financement public ou parapublic et par les liens de certains investisseurs avec la puissance publique. Voyez-vous, dans ces besoins de capitaux liés au contexte budgétaire actuel du pays, une opportunité de nourrir l'espoir que 80 % des créations seront portées par les groupes que vous représentez ?
M. Alain Rauscher. Je crois effectivement que le secteur privé est un levier essentiel pour les pouvoirs publics, puisque nous avons accès à des capitaux provenant de nombreuses sources, que nous pouvons mobiliser en faveur de projets de qualité. Concernant les liens, je peux, sans parler de la Caisse des dépôts, citer l’entité BPI France, dont l’une des missions est justement d’utiliser l’argent public comme un levier sur les créations et les développements de sociétés. Le modèle de fonctionnement français est un modèle mixte, et de belles réussites telles que celles du secteur des crèches méritent, à mon sens, d’être louées.
Mme Angelika Schöchlin. Je souhaite rectifier l’une de mes précédentes affirmations : Babilou est aujourd’hui présent dans dix pays, et non dans douze.
La séance est levée à 15 heures 35.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du jeudi 4 avril 2024 à 14 h 05
Présents. - M. Thibault Bazin, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli