Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

 Audition de dirigeants de Léa et Léo : M. Frédéric Thomas, président, et Mme Véronique Mancini, directrice marketing et développement              2

 Présences en réunion..............................16

 

 


Mardi 9 avril 2024

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 43

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à quatorze heures cinq.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Frédéric Thomas, président de Léa et Léo, et Mme Véronique Mancini, directrice marketing et développement.

M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous accueillons M. Frédéric Thomas, président de Léa et Léo, et Mme Véronique Mancini, directrice du marketing et du développement de cette même entreprise.

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier car votre audition devait initialement se tenir le 20 mars dernier. Nous l’avions alors décommandée à la dernière minute en raison de notre programme chargé. C’était en effet le jour où nous recevions tour à tour les dirigeants des quatre grands groupes privés français gestionnaires de crèches : Babilou, People & Baby, Grandir-Les Petits Chaperons rouges et La Maison Bleue.

Léa et Léo est un réseau de crèches interentreprises qui a ouvert son premier établissement de 48 places en 2007 dans le Calvados. En 2020, on décomptait 50 établissements – je compte sur vous pour actualiser ces chiffres.

Vous nous préciserez également la façon dont vous êtes insérés dans un réseau de plus de 500 crèches, ma-crèche.com, de même que vous nous exposerez comment vous avez été amenés à créer la marque Hapili pour constituer en votre sein un réseau de micro-crèches urbaines.

Lorsque l’on parle des crèches privées, on pense un peu trop systématiquement aux quatre grands groupes que je viens de mentionner. Il nous semblait important de recueillir également l’avis et de pouvoir échanger sur le modèle économique avec les représentants d’une entreprise telle que la vôtre, de manière à avoir une vision la plus large possible des différents modèles en vigueur.

Je précise que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

Il me reste à vous rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Frédéric Thomas et Mme Véronique Mancini prêtent successivement serment.)

M. Frédéric Thomas, président de Léa et Léo. Confronté à un problème de garde à la naissance de ma deuxième fille, en 2004, j’ai eu l’idée de créer le groupe Léa et Léo. Je me suis allié à un ami, Éric Delbergue, et nous nous sommes adjoint les services d’une puéricultrice, Anne-Marie Debelle, qui avait vingt-cinq ans d’expérience en crèche départementale. Pendant trois ans, nous avons réfléchi à ce projet, la première crèche interentreprises étant ouverte à Hérouville-Saint-Clair avec d’abord quarante berceaux, puis quarante-huit.

Il s’agissait au départ de répondre aux besoins de parents qui, comme moi et comme mon associé, étaient confrontés à un problème de garde. Nous avons décidé d’apporter ce service aux parents travaillant dans les entreprises présentes dans la zone d’activités du Citis à Hérouville-Saint-Clair. Nous avons réfléchi à un projet pédagogique que nous voulions novateur, fondé sur l’itinérance ludique. Mme Laurence Rameau, une des actrices principales de l’itinérance ludique en France, a été la véritable porte-parole de ce projet pédagogique.

Notre projet qualitatif place l’enfant au cœur de notre activité : plutôt que de lui imposer quoi que ce soit, nous le suivons dans son développement, en nous inspirant tant de la méthode Montessori que des avancées des neurosciences. Nous avons appliqué ce projet dans toutes les crèches que nous avons construites.

Notre aventure a commencé dans le Calvados par une première crèche, puis très vite une deuxième en 2008, certaines entreprises clientes nous ayant demandé de les accompagner dans une ville proche. Nous avons ouvert une troisième crèche en 2009 à Caen, puis nous sommes sortis du département pour essayer de nous implanter en Alsace à la suite d’une proposition de la Sers (Société d’aménagement et d’équipement du Rhin supérieur).

Léa et Léo s’est développée petit à petit et a maintenant dix ans d’existence. Nous sommes à la tête d’une centaine d’établissements, sous deux marques : les plus grands EAJE (établissements d’accueil du jeune enfant) interentreprises sont sous la marque Léa et Léo, tandis que les microcrèches sont rassemblées sous la marque Hapili. Ce sont deux sociétés distinctes au sein du groupe Léa et Léo.

Mme Véronique Mancini, directrice du marketing et du développement de Léa et Léo. Nous voudrions tout d’abord vous remercier de nous donner l’occasion de vous présenter Léa et Léo, entreprise de taille moyenne représentative des 194 membres de la Fédération française des entreprises de crèches. Nous saluons le fait que cette commission traite le sujet dans son ensemble. Il est important pour nous de pouvoir échanger sur nos principes, sur nos valeurs, sur ce qui fait la qualité d’accueil chez Léa et Léo, mais aussi de partager nos difficultés et d’échanger sur l’amélioration de l’accueil des enfants dans leurs 1 000 premiers jours.

Mon premier parcours professionnel de vingt-deux ans au sein d’une PME française leader dans les dispositifs médicaux m’a permis de comprendre que la qualité était pour moi une véritable quête de sens. Quand je l’ai rencontré, M. Thomas m’a indiqué que son groupe grandissait et avait besoin de se structurer davantage. Son objectif était de maintenir un niveau de sécurité inchangé tout en s’adaptant à l’évolution des normes. Cette description de mission résonnait d’autant plus en moi que je n’avais pas pu trouver de places en crèche pour mes enfants nés en 2007.

Lors de mon intégration chez Léa et Léo, il y a trois ans, j’ai réellement pris conscience de l’enjeu de ce secteur : il s’agissait d’œuvrer pour le développement de l’enfant dans ses 1 000 premiers jours en proposant plus de places en crèche. En effet, comme le montre une étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de 2018, les enfants accueillis en crèche ont trois fois moins de problèmes émotionnels en école maternelle.

Le groupe possède 100 maisons des familles, situées en périphérie des villes ; 641 berceaux en micro-crèches, soit 30 % de notre capacité d’accueil ; 1 478 berceaux en multi accueil dans lesquels les familles payent en moyenne 1,89 euro – et même moins de 1 euro pour celles qui vivent sous le seuil de pauvreté, soit 25 % des familles. Nos maisons des familles accueillent 2 500 enfants chaque année grâce à nos 900 professionnels, que je remercie pour leur engagement dans leur travail.

Léa et Léo s’est donné pour mission de répondre aux besoins des familles en proposant des places, en garantissant la sécurité et la qualité de l’accueil afin de sécuriser le parent et de l’accompagner dans sa parentalité, tout en permettant à nos professionnels de continuer à se former et à s’épanouir dans leur mission.

Notre groupe se caractérise par son projet pédagogique, qui s’articule autour de cinq axes : itinérance ludique, respect du rythme de l’enfant, engagement écologique, place des parents et pédagogie égalitaire.

L’émotion suscitée par les différents livres parus sur ce sujet et les recommandations publiées dans le dernier rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) nous poussent à nous interroger. Les faits évoqués nous ont choqués ; ils ne correspondent nullement à notre culture d’entreprise. Chez Léa et Léo, nous respectons les ratios d’encadrement et les besoins nutritionnels de l’enfant. Les fournitures nécessaires aux soins de l’enfant – couches, sérum physiologique, etc. – sont à la libre disposition non seulement de nos professionnels mais aussi des parents, qui sont invités à venir autant qu’ils le souhaitent dans nos maisons des familles pour participer quotidiennement à l’activité des enfants.

Le bruit médiatique a créé un climat de défiance chez les parents à l’égard des professionnels, dont le travail est remis en question alors que nos équipes ont à cœur d’accomplir leur mission avec professionnalisme et bienveillance. Nous devons donc continuer à prouver notre qualité pour surmonter cette défiance, en accueillant l’enfant dans un environnement sécurisé, dans le respect des protocoles, et en assurant sa sécurité affective.

La qualité d’accueil concerne également le choix des prestations. Pour garantir la qualité de l’alimentation, nous avons choisi un prestataire externe, Ansamble, entreprise à mission, experte de la petite enfance depuis quarante ans et livrant plus de 2 000 crèches. Nous avons sélectionné une prestation haut de gamme, composée à 53 % de produits répondant aux critères de la loi Egalim (loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous), dont au moins 20 % de produits bio et deux produits locaux livrés chaque jour.

La qualité porte aussi sur les couches, que nous nous procurons auprès du premier fabricant français d’hygiène pour bébés, et sur les produits d’entretien, fournis par le prestataire français Orapi. Notre démarche écoresponsable s’articule autour de trois axes : nettoyer sans polluer ; ajuster la consommation d’eau et d’électricité ; faire face au réchauffement climatique.

La qualité est mesurée par le taux de satisfaction des parents, révélé par l’enquête Ipsos 2023, qui s’établit à 94 %, soit un point au-dessus du taux de satisfaction national. Léa et Léo a de plus été classée par le magazine Capital troisième meilleure enseigne 2023 pour sa qualité de service.

Les contrôles effectués par la PMI (protection maternelle et infantile) permettent enfin également d’attester de la qualité de l’accueil. Ainsi, 60 % de nos crèches dans la région Sud-Est ont été contrôlées par les PMI au cours des six derniers mois – des contrôles inopinés pour la moitié d’entre eux – et seuls des ajustements mineurs ont été nécessaires. Il en va de même pour tous les contrôles réalisés dans le reste de la France, ce qui conforte les professionnels dans leurs pratiques et rassure les parents.

La première menace qui pèse sur la qualité, ce n’est pas une éventuelle rupture d’approvisionnement en couches ou en repas, mais la pénurie de personnels : c’est notre principal défi. Chez Léa et Léo, 45 postes sur 900 sont vacants. Nous devons fidéliser les professionnels en évitant de les faire fuir avec un excès d’administratif, qui tue le qualitatif –dans une crèche de soixante berceaux, trente-cinq feuilles sont scannées chaque soir pour le suivi des repas et des siestes.

Trouvons ensemble les moyens de rendre le secteur attractif. Nous devons mieux former les professionnels, par exemple en faisant passer en catégorie 1 nos titulaires du CAP (certificat d’aptitude professionnelle) petite enfance déjà présents sur le terrain, au moyen de CAP bonifiés. Il nous faut également ajuster les normes. En conclusion, concernant ce premier défi, nous devons trouver les humains qui sont nos producteurs de qualité.

Notre deuxième défi est de faire évoluer rapidement le modèle économique, qui est à bout de souffle. Que ce soit la PSU (prestation de service unique) pour les crèches multi accueil ou les 10 euros maximum par heure imposés depuis 2016 pour les micro-crèches, le financement ne suit plus l’évolution des coûts réels, faisant courir le risque que les gestionnaires de crèches n’aient plus les moyens de garantir le niveau de qualité.

Chez Léa et Léo, nous avons une culture d’entreprise tournée vers l’enfant et assise sur un projet éducatif exigeant. Je suis plongée dans la marmite de la petite enfance depuis trois ans et je suis totalement engagée pour faire évoluer la qualité d’accueil et permettre l’accomplissement de l’enfant dans ses 1 000 premiers jours.

M. le président Thibault Bazin. Les démarches pédagogiques que vous avez entreprises, qui sont un peu votre spécificité, impliquent-elles un modèle économique particulier ? Placer le développement de l’enfant au cœur de votre action entraîne-t-il des surcoûts ?

Vous avez dit que vous respectiez les normes tout en recherchant la qualité. Cela signifie-t-il que vous prenez des engagements spécifiques au-delà des normes ? Si oui, quel en est le coût et comment y faites-vous face ? Ou bien est-ce que respecter les normes suffit à assurer la qualité ?

Mme Véronique Mancini. Notre projet pédagogique s’articule autour de l’itinérance ludique, qui respecte les ratios d’un adulte encadrant pour cinq enfants non marcheurs et d’un adulte encadrant pour huit enfants marcheurs. C’est très exigeant pour nos professionnelles, qui doivent bénéficier d’une formation et d’un accompagnement renforcés. De plus, l’itinérance ludique nécessite des accessoires en nombre suffisant pour éviter les bagarres entre enfants.

Une professionnelle qui a passé un diplôme il y a quinze ou vingt ans devra comprendre que ce qu’elle faisait avant n’était pas mauvais mais que les neurosciences ont fait évoluer les pratiques. Nous devons donc les accompagner davantage et faire en sorte qu’elles nous suivent.

M. le président Thibault Bazin. Vous subissez donc un surcoût lié à des équipements pédagogiques et à des formations spécifiques. Êtes-vous accompagnés par la CAF (caisse d’allocations familiales) ? Dans le cas contraire, qui supporte ce surcoût ?

Mme Véronique Mancini. La PSU couvre 40 % de nos coûts, tandis que les familles en assument 18 %. Au lieu d’un taux de couverture de 66 % – taux maximal de la PSU applicable au prix de revient plafonné –, nous ne sommes donc qu’à 58 %. Notre coût de revient horaire est de 11,13 euros, et non de 10,05 euros. En 2023, cela représente un manque de 3 millions d’euros, pour une rentabilité de 2,18 %.

M. le président Thibault Bazin. D’où vient alors l’argent ?

M. Frédéric Thomas. C’est bien simple : on va chercher l’argent auprès des entreprises, en commercialisant des places. Ce n’est que comme cela que l’on peut atteindre l’équilibre.

M. le président Thibault Bazin. Pour financer le surcoût de la qualité ?

M. Frédéric Thomas. Exactement. Je précise toutefois que nous n’avons pas chiffré cela comme un surcoût puisque nous l’avons intégré dès le départ : c’est un coût naturel, et non quelque chose que l’on rajoute à l’existant. Nous avons toujours eu ce projet pédagogique et nous l’appliquons à chaque fois que nous créons une crèche. Nous commercialisons nos places aux entreprises en fonction des dépenses que nous avons projetées.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ayant déjà reçu les quatre grands groupes privés de crèches, il nous semblait nécessaire de recevoir également un groupe de taille intermédiaire tel que le vôtre.

Mes questions porteront, dans un premier temps, sur la qualité d’accueil du jeune enfant et, dans en deuxième temps, sur le modèle économique.

S’agissant de la qualité d’accueil, les ouvrages qui ont été publiés cet automne et les différents rapports rendus sur le sujet pointent des dysfonctionnements graves pouvant aller jusqu’à des situations de maltraitance, des accidents et dysfonctionnements graves qui sont totalement inacceptables.

Vous avez indiqué que vous aviez fait l’objet de contrôles ayant abouti à la mise en œuvre d’ajustements mineurs. En quoi consistent-ils concrètement ? Sur le plan préventif, les informations délivrées dans le cadre de ces ouvrages et de ces rapports vous ont-elles conduit à mettre en place des procédures de contrôle interne, ou toute autre mesure permettant de garantir la qualité d’accueil ?

Celle-ci repose sur des personnels formés et restant au sein des crèches – le turnover est en effet un révélateur des problèmes que peuvent rencontrer certaines structures. Quelles difficultés de recrutement éprouvez-vous ? Comment organisez-vous la formation de vos personnels au regard de la pédagogie que vous avez déployée ? Pouvez-vous nous indiquer quel est le turnover au sein de vos structures, en distinguant si possible les crèches en PSU et les micro-crèches ? Nous constatons en effet que ce phénomène est plus important au sein de ces dernières.

Le Gouvernement a annoncé une revalorisation salariale du personnel de la petite enfance, allant jusqu’à 150 euros. Comment votre entreprise se positionne-t-elle sur ce sujet ? Avez-vous déjà fourni des efforts dans la revalorisation de vos personnels ?

Enfin, une pratique s’est développée consistant à installer deux ou plusieurs micro‑crèches de façon adjacente plutôt que d’en constituer une seule, afin de bénéficier de la réglementation plus avantageuse des micro‑crèches. Cela se fait parfois avec l’accord, voire sur l’incitation de la caisse d’allocations familiales. Êtes-vous concernés par ce genre de pratique ? Quel intérêt y voyez-vous ?

Mme Véronique Mancini. Concernant les dysfonctionnements et la maltraitance, Léa et Léo, qui accueille 2 500 enfants chaque jour, a mis en place une procédure dite de situation préoccupante. Moins de dix signalements ont été faits depuis le début de l’année, et c’est déjà beaucoup trop. Une situation préoccupante, c’est un enfant qui tombe et qui s’ouvre la lèvre, par exemple. Nous avons aussi une procédure interne, avec un numéro d’appel, permettant aux professionnels de signaler des mots qui ne sont pas employés comme il faut ; ils peuvent nous remonter ces faits par ce canal s’ils n’arrivent pas à communiquer avec le directeur ou la directrice de la structure. Les messages arrivent sur deux boîtes mail dans la société.

Les ajustements mineurs sont généralement réglés sous huit jours. Nous avons beaucoup de contrôles en ce moment portant sur le plan de maîtrise sanitaire. Les manquements signalés concernent par exemple un balai qui ne doit pas toucher le sol quand il est rangé, ou encore une agente polyvalente nouvellement arrivée qui n’avait pas la même taille que la précédente et dont la blouse n’avait pas la bonne longueur. Les remarques portent également souvent sur les affiches en zone propre et en zone sale. Voilà le type d’ajustements mineurs que nous devons opérer.

Quand ces petites erreurs se répètent – tout n’est pas parfait –, nous faisons des rappels : une communication est faite aux managers une fois par mois ; cela fait partie de l’accompagnement. De plus, les soixante-dix managers de crèches sont accompagnés par neuf coordinatrices qui visitent toutes les crèches chaque mois en suivant deux check-lists, l’une de 147 critères – que nous appelons la check-list PMI – et l’autre qui consiste en une grille d’audit interne, avec 65 critères pédagogiques. Nous arrivons à situer chacune de nos structures sur cette grille pédagogique, et la directrice, avec sa coordinatrice, choisit deux axes d’amélioration dans l’année. Quand nous récupérons une structure en DSP (délégation de service public), nous progressons au fur et à mesure, le référentiel de départ n’étant pas le même chez chacun des acteurs. Le premier objectif de nos managers, c’est d’assurer la sécurité et la qualité de l’accueil.

Le deuxième objectif est de fidéliser les équipes. Pour ce faire, nous misons beaucoup sur le pilote, à savoir le manager de la crèche. Celui-ci a en moyenne cinq ans d’ancienneté, ce qui nous permet d’avancer dans notre projet pédagogique, dans le respect des normes. Depuis Norma 2021, nombre de protocoles ont dû être mis en place et c’est grâce à l’expérience de nos managers que nous parvenons à le faire.

Par ailleurs, nous avons embauché en septembre 2023 une chargée de recrutement qui se rend dans les lycées et dans les écoles d’AP (auxiliaires de puériculture) pour promouvoir ces métiers. Elle s’occupe de tous les recrutements, ce qui soulage les coordinatrices et les managers de structure, qui pourront se consacrer davantage au terrain. Elle a pour mission de recruter la quarantaine de postes actuellement ouverts. Dans la mesure où nous respectons les ratios d’encadrement, les vacances de ces postes signifient malheureusement que nous fermons plus tôt certains jours ou que nous réduisons le nombre d’enfants accueillis.

Ainsi, l’une de nos crèches devait accueillir hier matin une personne titulaire du CAP petite enfance ainsi qu’un infirmier, qui devait arriver jeudi. J’ai donc demandé à la directrice de prévenir les familles sur liste d’attente. Or la personne titulaire du CAP petite enfance n’est pas venue hier, et l’infirmier ne viendra pas jeudi. Nous respectons les promesses d’embauche mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas des personnes que nous engageons. Nous avons donc dû rappeler les familles, qui ne pourront pas faire garder leur enfant.

L’annonce du Gouvernement sur les 150 euros de revalorisation salariale a mis un joyeux bazar car nous ne pouvons l’appliquer faute du cadre adéquat – il serait préférable de se référer à des accords d’entreprise plutôt qu’à des accords de branche. En l’état actuel, c’est une vraie galère. Les efforts que nous avons consentis depuis 2022 se sont traduits par une augmentation d’au moins 200 euros de tous les salaires bruts mensuels de base.

Nous n’avons pas construit de micro_crèches adjacentes, mais nous en avons acheté deux. Peut-être ne suis-je pas assez maligne, mais je ne vois pas les avantages particuliers à en retirer. Ces microcrèches ont chacune leur structure, leur organisation, leurs commandes de repas et leurs professionnels dédiés. Elles ne partagent que leur référente technique.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. L’avantage des micro-crèches adjacentes réside en effet dans la mutualisation potentielle de certains coûts, mais aussi dans la plus grande souplesse de leur cadre réglementaire, concernant notamment les exigences de diplômes à l’égard de leurs personnels. Le récent rapport conjoint de l’Igas et de l’Inspection générale des finances (IGF) souligne que la qualité d’accueil dans les micro-crèches souffre de l’application de règles d’encadrement moins contraignantes que dans les crèches en PSU.

Mme Véronique Mancini. Outre les diplômes, ce qui importe c’est la qualité de la personne elle-même, qui peut n’être titulaire que d’un CAP petite enfance, et surtout celle du pilote du navire qui sera nos yeux sur le terrain. Si nous ne trouvons pas d’éducateur de jeunes enfants (EJE), nous recrutons une AP ayant plusieurs années d’expérience et connaissant parfois parfaitement la crèche pour y avoir déjà travaillé.

M. le président Thibault Bazin. C’est le cahier des charges de vos micro-crèches ?

Mme Véronique Mancini. Nous avons peut-être des exigences supérieures à la norme. Quoi qu’il en soit, nous veillons particulièrement au choix du pilote de la structure. Quand on ne trouve pas d’EJE ou de diplômés de catégorie 1 – des profils qui se font très rares de nos jours –, nous sélectionnons une AP ayant souvent plusieurs années d’expérience chez nous.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Si vous n’avez pas la réponse concernant le turnover au sein des structures, vous pourrez nous communiquer ces informations ultérieurement par écrit.

Mme Véronique Mancini. Volontiers. Je ne dispose ici que du taux de turnover global.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Passons au modèle économique. Vous avez partiellement anticipé ma question sur le prix de revient moyen d’un berceau dans les crèches de votre réseau, en distinguant les systèmes PSU et prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), mais vous pourriez nous apporter quelques précisions sur les différences existant entre les crèches et les micro-crèches. Pourriez-vous aussi compléter votre propos introductif en ce qui concerne la part du reste à charge pour les familles ?

Au cours de nos auditions, il est apparu que les grandes entreprises de crèches démarchaient des réservataires de berceaux, puis plaçaient les enfants dans des crèches n’appartenant pas à leur réseau, agissant comme intermédiaires. Avez-vous ce genre d’activité d’intermédiation ? Si c’est le cas, quelle est son importance financière ? À l’inverse, d’autres groupes réservent-il des places chez vous ? Dans ce cas, comment établissez-vous le prix et la part qui reste à l’entreprise d’intermédiation ? Comment se déroulent les négociations financières entre l’entreprise réservataire et votre structure d’accueil ?

Mme Véronique Mancini. Avant tout, nous répondons au besoin d’une famille. Une entreprise peut nous avoir réservé cinq berceaux, par exemple, mais l’une des familles concernées voudra un accueil dans la crèche d’un autre réseau, pour des raisons de proximité avec leur domicile. Le monde de la petite enfance privilégie le choix de la proximité pour que le bébé fasse moins de kilomètres. C’est ainsi que nous avons acheté quinze berceaux chez des confrères, ce qui représente 0,3 % de notre capacité d’accueil. À l’inverse, les grands groupes, comme vous les appelez, nous ont acheté soixante-dix places, soit 3 % de notre capacité d’accueil, pour un prix moyen d’environ 11 000 euros.

Ces achats par des réservataires concernent essentiellement des micro-crèches. Ils nous permettent d’optimiser le taux d’occupation, d’atteindre nos objectifs de qualité d’accueil, et surtout de répondre aux besoins des familles. En moyenne, nous n’avons que 1,7 berceau commercialisé par micro-crèche. Nos six conseillers à la parentalité accompagnent les familles – ainsi que les entreprises issues de commissions d’attribution – dans leur recherche de structures.

Le coût de revient s’élève à 11,13 euros de l’heure, dont en moyenne 1,89 euro est payé par les familles. Environ 25 % des familles accueillies en PSU paient moins de 1 euro, car considérées comme vivant en dessous du seuil de pauvreté.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Le coût de revient des crèches est-il différent de celui des micro-crèches ?

Contrairement à ce que nous avons pu observer lors de précédentes auditions, je constate que vous avez pu nous donner le prix moyen que vous pratiquez à l’égard de groupes qui vous réservent des places : 11 000 euros. Imposez-vous votre tarif ou est-il établi à l’issue d’une négociation avec les structures d’intermédiation ? Que se passe-t-il si l’intermédiaire refuse de s’aligner sur le tarif de 11 000 euros ?

Mme Véronique Mancini. Ma directrice administrative et financière va faire le nécessaire pour que je puisse vous envoyer des données distinctes pour les crèches en PSU et en Paje. Le coût de revient de 11,13 euros de l’heure se rapporte aux crèches en PSU, et le coût moyen global d’un berceau est 21 300 euros.

M. le président Thibault Bazin. Mais ce n’est pas le prix de commercialisation. D’où la question sur la négociation avec les réservataires.

Mme Véronique Mancini. Concrètement, les réservataires écrivent à nos quatre conseillers famille, regroupés dans une cellule située à notre siège social d’Hérouville-Saint-Clair. Ils demandent si nous avons une place pour telle famille qui voudrait un accueil dans telle crèche, cinq jours par semaine, de telle heure à telle heure, à compter de telle date. Si nous avons une place, c’est nous qui en fixons le prix. Notre réponse peut varier selon plusieurs critères tels que la localisation de la crèche et le nombre de jours demandés. En général, le prix est de 11 000 euros et il est bien accepté.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. C’est assez différent de ce que nous avons pu entendre jusqu’à présent, ce qui peut se comprendre, mais votre pratique est intéressante.

Si vous en êtes d’accord, je vous propose de passer aux procédures de délégation de service public qui, nous a-t-on rapporté, conduiraient certaines entreprises candidates à pratiquer des prix cassés. Quel prix proposez-vous dans le cadre de ces DSP ? Existe-t-il un écart entre ce prix et le tarif moyen que vous nous avez précédemment annoncé ? Si tel est le cas, comment cela s’explique-t-il ? Avez-vous un prix plancher en deçà duquel vous refusez de déposer ou de maintenir votre candidature, considérant que la DSP n’est pas rentable ?

Mme Véronique Mancini. Nous avons une responsable d’appel d’offres, basée elle aussi à Hérouville-Saint-Clair. Elle détecte les appels d’offres et effectue un premier tri en fonction d’un critère territorial puisque notre entreprise n’est pas présente à l’échelle nationale mais seulement dans trois grandes régions. Lorsque ce premier critère est rempli, nous participons à la visite du site, qui est souvent obligatoire. Nous pouvons d’emblée refuser de poser notre candidature si les locaux ne sont pas configurés de manière à répondre aux exigences de notre projet éducatif, ou s’il y a trop à faire pour mettre les bâtiments aux normes applicables à la petite enfance (Norma 2026).

Si nous envisageons de poser notre candidature, nous nous réunissons pour analyser les caractéristiques de la crèche, telles que sa taille et son historique d’occupation, ce qui va déterminer les effectifs nécessaires – nous ajoutons en général entre 0,5 et 1 équivalent temps plein (ETP) supplémentaire, par rapport au calcul théorique – auxquels nous appliquerons toute notre politique salariale. Nous évaluons aussi les besoins d’investissement éventuels pour compléter les accessoires ludiques.

En fonction de tous ces éléments, nous fixons notre prix, qui peut varier d’une DSP à l’autre. Même s’il y a un gros travail à faire, nous pouvons décider de postuler parce qu’il y a une vraie cohérence en termes de maillage géographique. Dans d’autres cas, c’est plus simple. Nous venons d’obtenir une deuxième DSP au Havre dans le cadre d’une construction, ce qui facilite les choses : le critère pédagogique compte alors pour 60 à 70 %.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. La commune ne fixe pas le prix, mais elle pondère les critères, ce qui donne une indication sur ses priorités. Dans la phase de négociations, elle peut aussi demander au candidat de faire un effort et de baisser son prix. Cela vous est-il déjà arrivé ? Si tel est le cas, quelle a été votre réaction ? Vous est-il déjà arrivé de retirer votre candidature pour ce motif en cours de négociation ?

Mme Véronique Mancini. Quand l’effort demandé est trop important, on se retire de la négociation car accepter reviendrait à mettre des bâtons dans les roues de nos équipes intervenant par la suite sur le terrain. M. Thomas est très à l’aise dans ce genre de discussions. En revanche, nous pouvons négocier quand la baisse de prix consentie a une contrepartie : la mairie peut, par exemple, prendre à sa charge certaines dépenses telles que l’entretien du jardin. Les mairies ne fonctionnant pas toutes de la même façon, il existe des marges de négociation de ce type. Quoi qu’il en soit, nous n’acceptons jamais une baisse de prix qui affecterait la masse salariale et donc la qualité d’accueil. C’est impossible.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. En tant qu’employeur, bénéficiez-vous du crédit d’impôt famille (Cifam), qui fait beaucoup parler de lui en ce moment. Si tel est le cas, pour quel montant ? Que pensez-vous de sa suppression, proposée dans le rapport de l’Igas et de l’IGF ? Quelles conséquences aurait cette suppression sur votre activité ?

M. Frédéric Thomas. Nous avons bénéficié du Cifam à hauteur de 120 000 euros l’an passé parce que trente-sept membres de notre personnel bénéficient d’une place en crèche dans notre société. Nous en bénéficions aussi indirectement par le biais de nos entreprises réservataires. J’ai d’ailleurs fait un petit calcul concernant nos clients privés. Nous avons réalisé 4 817 197 millions de chiffre d’affaires grâce à nos clients privés, ce qui a coûté 2 408 599 euros de Cifam à l’État, mais lui a rapporté 3 984 826 millions d’euros d’impôts et près de 5 millions d’euros de charges sociales. Le coefficient multiplicateur est de 1,65 pour les impôts et de deux pour les charges sociales. Pour 1 euro de Cifam, les comptes publics récupèrent 3,65 euros sous forme d’impôts et de charges sociales.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Ce n’est pas l’avis des auteurs du rapport conjoint de l’Igas et de l’IGF. Pour ma part, je ne comprends pas votre raisonnement. La dépense liée à la réservation de berceaux bénéficie non seulement du Cifam mais aussi de la déduction au titre de l’impôt sur les sociétés. En comptabilisant les cotisations sociales, vous partez aussi du principe que la suppression du Cifam aboutirait à celle des berceaux.

M. Frédéric Thomas. C’est évident !

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Or rien n’interdit à l’État de remplacer le Cifam par un autre mécanisme qui préservera ces places en crèche.

M. Frédéric Thomas. Pour l’instant, il n’y a pas d’autre mécanisme. Je m’inscris en faux contre les conclusions de l’Igas et de l’IGF dont les rapporteurs ne sont allés voir que le comité d’entreprise d’EDF et en déduisent que les entreprises resteront même en cas de suppression du Cifam. Pour ma part, j’ai une entreprise de 900 salariés à faire vivre et je ne peux pas me contenter d’une estimation faite dans ces conditions. Quant à votre argument sur la déduction de 25 % au titre de l’impôt sur les sociétés, il ne tient pas : l’impôt sur les sociétés va être transféré chez nous.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Vous tenez compte de l’impôt sur les sociétés dans votre calcul.

M. Frédéric Thomas. Nous payons 255 000 euros d’impôt sur les sociétés et d’autres impôts tels que la taxe de 10 % sur les salaires. Tout cela fait que nous payons 1,65 euro d’impôts pour chaque euro de Cifam dépensé par nos clients.

M. le président Thibault Bazin. Parce que vous incluez tous les impôts que vous payez dans ce ratio de 1,65.

M. Frédéric Thomas. Nous n’existerions pas sans le Cifam, pierre angulaire de notre modèle. Si vous supprimez le Cifam sans le remplacer par une autre mesure, vous mettez en péril nos places de crèche. C’est évident.

M. le président Thibault Bazin. Vous avez le droit d’être en désaccord avec le rapport de l’Igas et de l’IGF.

M. Frédéric Thomas. Sachez que 70 % de nos clients sont des PME. Il est évident qu’elles ne prendront plus de places en crèche si vous leur supprimez le Cifam.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Monsieur Thomas, vous savez que le mécanisme de l’entreprise réservataire et du Cifam n’existe pas ailleurs en Europe. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de crèches ailleurs en Europe ? Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’entreprises privées qui gèrent des crèches ailleurs en Europe ? Je ne le crois pas. Il suffit de passer la frontière pour constater que d’autres systèmes existent. Quant à votre raisonnement qui consiste à mettre l’intégralité des impôts que vous payez en regard du Cifam, il n’est pas intellectuellement honnête. Comment pouvez comparer la dépense fiscale liée au Cifam aux cotisations sociales de vos employés, qui viennent abonder les caisses de sécurité sociale pour leur ouvrir des droits ? Vous comparez des choux et des carottes !

M. Frédéric Thomas. Nous sommes en désaccord sur ce point. Nous faisons avec l’architecture donnée : le Cifam nous oblige à aller chercher des tiers réservataires, qui sont des entreprises. D’autres systèmes existent, tels que le chèque service au Luxembourg, qui permet aux parents d’être subventionnés par l’État. Nous pourrions avoir aussi le même système, mais nous faisons avec le nôtre : le Cifam et l’obligation d’avoir des tiers réservataires.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Monsieur Thomas, je vous invite à vous réécouter parce que vous m’avez dit : si le Cifam disparaît, nous mettons la clef sous la porte. Hors des frontières de notre pays, il existe pourtant des entreprises privées qui gèrent des crèches sans ce système de Cifam et tiers réservataires. Il n’y a donc pas de corrélation directe entre la suppression du Cifam et la disparition des entreprises privées de crèches.

Les auteurs du rapport de l’Igas et de l’IGF mentionnent aussi la hausse 51,8 % des frais de siège des groupes – en tout cas, du compte « autres charges » où ils sont imputés. Comment ont évolué les vôtres ? Comment la caisse d’allocations familiales contrôle-t-elle ces frais ?

Quelles relations entretenez-vous avec les plus gros professionnels du secteur, en particulier avec La Maison bleue dont le président, Sylvain Forestier, est actionnaire de Léa et Léo ?

M. Frédéric Thomas. S’agissant du Cifam, j’ai dit qu’en l’état actuel du marché et de sa structuration, si vous le supprimez sans le remplacer, je ne vois pas comment nous trouverions les 40 % de recettes qui nous manquent. Il faudrait alors créer un autre système.

M. le président Thibault Bazin. Vous nous avez en effet expliqué que la CAF et les parents financent 58 % du coût, et que vous allez chercher ailleurs les 42 % qui manquent.

M. Frédéric Thomas. J’en viens à La Maison bleue et à notre actionnariat. Nous avons créé la société en 2007. Après la crise financière de 2008, nous avons été confrontés à des problèmes de trésorerie, ce qui nous a obligés à lever des capitaux car les banques ne prêtent qu’en fonction des fonds propres. En 2010, le fonds régional Normandie Capital Investissement est entré au capital et y est resté jusqu’en 2018. Il nous a aidés à nous structurer et nous a accompagnés dans notre développement. En 2012, nous avons aussi fait appel au fonds obligataire Audacia pour résorber de nouveaux problèmes de trésorerie dus à notre développement trop rapide. Nos dettes étant équivalentes à notre chiffre d’affaires, nous avions vraiment besoin d’un parrain, d’un garant. Sylvain Forestier s’est proposé et La Maison bleue a pris 17 % du capital. Elle est toujours à ce niveau dans le capital de Léa et Léo Groupe, la holding de contrôle étant Facame. C’est un actionnaire dormant qui serait d’accord pour sortir. Au début, nous pensions aussi pouvoir travailler ensemble car les entreprises étaient complémentaires, La Maison bleue étant spécialisée dans les DSP et Léa et Léo dans l’interentreprises. En fait, nous en sommes restés à des liens capitalistiques.

Mme Véronique Mancini. Pour ma part, je peux vous répondre sur les frais de siège. Le nôtre est situé à Hérouville-Saint-Clair, dans la banlieue de Caen. Il me semble que le rapport de l’Igas et de l’IGS se réfère à un compte un peu fourre-tout, ce qui aboutit à un amalgame. Quoi qu’il en soit, nos frais de siège sont passés de 15 % à 9 % du chiffre d’affaires entre 2022 et 2023.

M. le président Thibault Bazin. C’est une évolution en pourcentage, mais votre chiffre d’affaires a beaucoup progressé dans l’intervalle par le nombre de crèches.

Mme Véronique Mancini. Oui, c’est pourquoi les frais de siège ont augmenté de 21 % en volume entre 2022 et 2023. La CAF effectue des contrôles par le biais d’un document rempli par notre directrice administrative et financière. Les montants de frais sont répartis au prorata du chiffre d’affaires des crèches.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Pourrez-vous nous présenter, dans vos réponses à notre questionnaire, l’architecture, notamment actionnariale, de l’entreprise ?

Mme Véronique Mancini. Nous le ferons.

M. Philippe Lottiaux (RN). Vous avez dit qu’il fallait alléger la charge administrative des personnels : comment y parvenir ?

Vous estimez, à juste titre, que le modèle économique est à bout de souffle ; il ne survit d’ailleurs que grâce au développement du secteur privé et aux innovations telles les micro-crèches et le Cifam. J’ai l’impression que l’administration cherche à se venger de ce succès dû à l’assouplissement du système. Comment faire évoluer ce dernier ? De très bonnes idées peuvent émerger, mais la question principale reste toujours la même : qui paie ?

Mme Véronique Mancini. Nous avons jusqu’au 15 avril pour remplir un document, comprenant des tableaux à renseigner crèche par crèche, sur le respect de la loi Egalim. On nous impose cette tâche alors que nous payons un prestataire pour les repas servis dans nos crèches : c’est incompréhensible. Je pourrais vous citer d’autres obligations qui nous handicapent. Dans le domaine de l’entretien, les agents effectuant le ménage doivent indiquer l’heure à laquelle ils ont nettoyé les différentes parties de nos structures, y compris les poignées de porte ! Toute la charge de ces contrôles repose sur la directrice de la crèche, qui, pendant ce temps-là, ne travaille pas sur la qualité de l’accueil ni sur l’accompagnement des parents. Comment voulez-vous qu’un cuisinier remplisse un fichier Excel pour enlever la TVA de tous les produits qu’il achète pour préparer les repas ? Il n’a pas été embauché pour accomplir cette tâche ! Les contraintes administratives tuent la qualité.

La volonté de détruire le modèle actuel me fait peur, car celui-ci est équilibré grâce au Cifam. Tout le monde paie sa part et les familles ne sont pas contraintes de dépenser 1 000 livres sterling comme à Londres. Les entreprises s’impliquent : comme l’a dit M. Thomas, 91 % de nos clients sont des personnes privées et 70 % sont des mono-berceaux. Si les parents ne sont pas accompagnés, ils ne retourneront pas au travail. Le système, dans lequel l’État s’engage, crée de la valeur ajoutée et se révèle donc vertueux : 1 euro sort à 3,65 euros chez Léa et Léo.

Les directrices de crèche ayant de l’ancienneté – que j’appelle les expertes en interne – estiment que la facturation à l’acte a réduit la qualité de l’accueil. Certaines familles réservent une place de sept heures à dix-huit heures mais déposent leur enfant à huit heures et demie ou neuf heures : elles ont droit de le faire, mais nous échouons à trouver des enfants pour occuper les créneaux libérés. La facturation à l’acte a détérioré l’accueil.

M. Frédéric Thomas. Sans entreprises ni Cifam, il ne resterait plus que les fonds publics pour financer le système. Notre groupe possède une crèche au Luxembourg, pays dans lequel les parents reçoivent un chèque de service et choisissent leur crèche : les structures qui accueillent mal les enfants sont vides ; il y a un tarif social de 6 euros de l’heure financé par l’État – le montant peut être abondé de 71 centimes d’euro si un agent de la crèche parle allemand ; toutes les familles bénéficient de vingt heures hebdomadaires de tarif social, des tarifs spéciaux sont prévus pour les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté et les crèches sont libres de leur facturation à partir de la vingt et unième heure d’accueil de l’enfant ; enfin, l’État paie également les repas. Dans le modèle luxembourgeois, on ne cherche pas à commercialiser des berceaux auprès des entreprises pour augmenter le chiffre d’affaires.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Vous soutenez le système actuel et exprimez votre crainte de le voir démantelé, mais sachez que seules les entreprises privées le défendent : les professionnels de la petite enfance déplorent leurs conditions de travail, leur rémunération et leur manque de temps et de moyens pour s’occuper des enfants ; les professionnels de la PMI pointent des défauts dans le traitement et l’accompagnement des enfants ; l’Igas affirme que l’argent public n’est pas bien utilisé. En revanche, l’ensemble des représentants des groupes de crèches privés que nous avons auditionnés nous ont fait part de la nécessité de préserver le système mis en place depuis vingt ans. J’en tire la conclusion que ce dernier sert leur développement et leur rentabilité : il est donc tout à fait normal que vous le défendiez et que nous cherchions à le réformer pour mieux servir l’intérêt général, en améliorant l’utilisation des fonds publics, les conditions de travail des personnels et, surtout, la qualité de l’accueil des jeunes enfants.

Madame Mancini, vous avez dit que la pénurie de professionnels pesait sur la qualité de l’accueil. Que ce manque entraîne la fermeture ou l’absence d’ouverture de places, nous pouvons le comprendre, mais en quoi pèse-t-il sur la qualité de l’accueil ? Celle-ci est garantie par des normes et des règles qui la protègent en cas de difficulté de recrutement ; cette dernière ne peut pas conduire à une dégradation de l’accueil, elle ne peut entraîner que son report. Pourquoi avez-vous affirmé le contraire ?

Mme Véronique Mancini. Nous n’avons pas dit que tout allait bien. La PSU devrait être forfaitaire et non calculée à l’acte, ce système amputant notre chiffre d’affaires de 20 % ; en outre, l’évolution de la PSU n’a pas suivi celle de nos coûts. Avec un coût de revient horaire de 11,13 euros et une PSU de 10,05 euros, le manque à gagner s’élève à 3 millions d’euros ; si nous pouvions injecter cette somme dans le salaire des personnels, nous rencontrerions moins de difficultés à recruter et à fidéliser des professionnels. Le Gouvernement souhaite inciter les crèches à augmenter les salaires de 150 euros nets par mois, ce qui est impossible : si la branche famille finance 66 % de cette revalorisation, il restera 1 million d’euros à la charge de notre entreprise, somme qui excède notre résultat. La seule solution, à système inchangé, est la commercialisation ; or il n’est pas évident de trouver 1 million d’euros par ce biais.

Le chiffre d’affaires des micro-crèches varie beaucoup d’une année sur l’autre : un système où l’on passerait de la PSU à la Paje et inversement perdrait les parents et les entreprises.

Nous ne dégradons jamais le ratio d’encadrement, mais la pénurie de personnels, surtout de catégorie 1, pèse sur la qualité de l’accueil. Pour améliorer cette dernière, nous avons besoin de davantage de personnels de catégorie 1 et pour en attirer davantage, nous devons trouver ensemble de nouveaux mécanismes. Le CAP bonifié pourrait représenter une solution, car nous comptons 100 000 CAP en France et nombreux sont ceux qui souhaitent progresser dans le monde professionnel.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Votre groupe est-il propriétaire ou locataire de ses crèches ? Est-il propriétaire de certains murs pour des raisons historiques ? Des actionnaires de votre groupe ou des entreprises liées à Léa et Léo sont-ils propriétaires de certaines structures ?

M. Frédéric Thomas. Le modèle de Léa et Léo est réservataire à 96 % ; nous sommes locataires de foncières et travaillons principalement avec la société Fyldin, qui n’est pas liée à un actionnaire du groupe.

M. le président Thibault Bazin. Avez-vous des liens avec eux ?

M. Frédéric Thomas. Aucun.

Nous sommes propriétaires de 2 % de nos structures ; il s’agit d’un héritage du début de notre activité : à cette époque, peu d’investisseurs immobiliers croyaient en notre modèle, alors balbutiant. Il nous reste une crèche à Illkirch-Graffenstaden en Alsace et une à Vire-Normandie dans le bocage virois, où il a été difficile de trouver un investisseur.

Dans le cadre d’un marché public de vingt ans avec un bien de retour, nous avons construit une crèche sur le site des anciennes écuries du square Grosos au Havre. Par ailleurs, nous possédons 30 % d’une société civile immobilière (SCI) à Vendenheim avec, là encore, un bien de retour : nous jouons le rôle d’investisseur avec la Sers, société d’économie mixte de Strasbourg. Les SCI sont logées dans le groupe Léa et Léo. Enfin, nous avons vendu quatre bâtiments à la fin de l’année dernière pour désendetter le groupe et pouvoir réinvestir.

M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous nous transmettre les éléments que vous n’aviez pas en votre possession aujourd’hui, ainsi que les réponses au questionnaire que vous a adressé Mme la rapporteure ? En outre, si vous vous apercevez que certaines de vos réponses orales ont manqué d’exactitude, vous avez l’obligation de les rectifier dans les vingt-quatre heures. Nous vous remercions de votre présence.

 

La séance est levée à quinze heures vingt.


Membres présents ou excusés

Présents. – M. Thibault Bazin, M. Philippe Lottiaux, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli