Compte rendu
Commission d’enquête sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute A69
– Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Riedinger, directeur du développement durable et du numérique de France Stratégie, ainsi que des rédacteurs de la contre-expertise du commissariat général à l’investissement sur l’évaluation sociale et économique de l’A69, M. Jincheng Ni, économiste à France Stratégie, M. Vincent Marcus, chef du service de la statistique et de la prospective du ministère de l’agriculture, et M. Alexandre Bréèrette, directeur général d’Explain 2
– Présences en réunion................................16
Mardi 9 avril 2024
Séance de 16 heures 30
Compte rendu n° 13
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Jean Terlier,
Président de la commission
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La séance est ouverte à seize heures trente.
M. le président Jean Terlier. Chers collègues, nous ouvrons notre cycle d'auditions consacrées aux hypothèses économiques et sociales ayant justifié le lancement de l'autoroute A69.
Je souhaite la bienvenue à Monsieur Nicolas Riedinger, directeur du développement durable et du numérique de France Stratégie, ainsi qu'aux trois rédacteurs de la contre-expertise du commissariat général à l'investissement sur l'évaluation sociale et économique de l'A69 : Monsieur Jincheng Ni, économiste à France Stratégie, Monsieur Vincent Marcus, chef du service de la statistique et de la prospective du ministère de l'agriculture et Monsieur Alexandre Bréèrette, directeur général du cabinet de consultants Explain.
Messieurs, je vous remercie de votre présence devant notre commission.
Cette audition a un double objet : d'une part, une réflexion sur le rôle structurant d'une autoroute pour l'aménagement du territoire et les critères justifiant que l'État lance un tel équipement et d'autre part, les analyses que vous avez produites en 2016 lors de votre contre-expertise. Celle-ci, prévue par la loi et dont le Gouvernement nous a donné copie, a été transmise à nos collègues.
Je rappelle que l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 a instauré l'obligation d'une évaluation socio-économique des projets d'investissement et d’une contre-expertise indépendante et préalable, au-delà d'un certain niveau de financement public. Le décret n°2013/1211 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics a précisé le cahier des charges du dossier d'évaluation socio-économique à constituer, le seuil au-delà duquel une contre-expertise est obligatoire, ainsi que les modalités de son organisation.
Le commissariat général à l'investissement a donc été chargé de cette étude, cet organisme ayant ensuite été remplacé par le secrétariat général pour l'investissement. Puis une décision du Conseil d'État a déclaré le projet d'utilité publique. J'apprécierais évidemment que chacun d'entre vous, à la lumière des motivations exprimées par le Conseil d'État, nous livre son sentiment.
Je rappelle que notre audition est publique et retransmise sur le portail de l’Assemblée nationale.
Messieurs, en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais préalablement vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, et de dire « je le jure ».
MM. Nicolas Riedinger, Jincheng Ni, Vincent Marcus et Alexandre Bréèrette prêtent successivement serment
M. le président Jean Terlier. Je cède la parole à Madame la rapporteure.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Nous abordons aujourd’hui un cycle d'auditions qui doit nous permettre d'évaluer les hypothèses socio-économiques ayant sous-tendu le lancement de l'autoroute A69.
L'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (DUP), qui s'est déroulée du 5 décembre 2016 au 23 janvier 2017, a donné lieu à la publication d'un rapport d'enquête. Nous nous intéresserons particulièrement à la pièce G du dossier portant sur l'évaluation économique et sociale du projet.
Cette évaluation était une obligation prévue par la loi. Dans son ancienne rédaction, l'article L. 1511-1 du code des transports disposait que : « Les choix relatifs aux infrastructures, aux équipements et aux matériels de transport, dont la réalisation repose en totalité ou en partie sur un financement public, sont fondés sur l'efficacité économique et sociale de l'opération. Ils tiennent compte des besoins des usagers, des impératifs de sécurité et de protection de l'environnement, des objectifs de la politique d'aménagement du territoire, des nécessités de la défense, de l'évolution prévisible des flux de transport nationaux et internationaux, du coût financier et plus généralement des coûts économiques réels et des coûts sociaux, notamment ceux résultant des atteintes à l'environnement ».
Comme l’a indiqué notre président, une contre-expertise était prévue par la loi du 31 décembre 2012 et par le décret n° 2013-2111 du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics. C'est donc dans ce cadre que vous êtes intervenus.
L'évaluation économique et sociale du projet forme un document d’une centaine de pages, qui analyse les dynamiques démographiques et économiques du territoire desservi par l'autoroute, avant d'examiner les hypothèses de transports et de justifier les choix de l’A69.
Au-delà du questionnaire que je vous ai envoyé, un premier point m'a marqué à la lecture de ce document, à savoir l'enclavement supposé de Castres. Les apports de l'autoroute à l'économie locale sont certes précisés, mais l'argument principal qui sous-tendait la genèse de cette infrastructure, maintes fois avancé par les élus locaux et par l'État, n'apparaît pas dans votre étude comme sa justification centrale. Monsieur Balderelli nous expliquait d’ailleurs, lors de son audition, que la question de l'enclavement ne relevait pas de normes ou de critères applicables à la décision de bâtir une autoroute.
Pouvez-vous me confirmer ou infirmer ce point ?
Monsieur Riedinger, certaines de vos conclusions de 2016 étaient manifestement de nature à remettre en cause l'étude d’opportunité de l’A69 telle que conduite à l’époque. Les objectifs de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), survenus a posteriori, ne conduisent-ils pas à accorder une plus grande importance aux transports en commun - bus ou train - ou aux conséquences du report modal de la route vers le train, préférable sur les plans écologiques et financiers, et enfin à la valeur temps ?
Le questionnaire que je vous ai envoyé a été diffusé à l'ensemble des membres de la commission d’enquête, car dans un souci démocratique, je tiens à la complète transparence de l'ensemble de ses travaux. Vous pourrez suivre le fil de ce questionnaire pour nous répondre, avant que chacun des députés ici présents vous pose des questions complémentaires.
M. Nicolas Riedinger, directeur du développement durable et du numérique de France Stratégie. Je commencerai par rappeler le cadre, le contenu et les principes de l'évaluation socio-économique, avant de revenir sur le rôle de France Stratégie dans cette procédure.
L'évaluation socio-économique d'un projet d'investissement public vise fondamentalement à mettre en regard les avantages et les inconvénients d'un projet. Ses origines sont très anciennes, puisqu'on les fait généralement remonter au XIXe siècle et aux travaux de l'ingénieur des ponts et chaussées, monsieur Jules Dupuit.
Plus près de nous, l'évaluation socio-économique a été rendue obligatoire pour toutes les infrastructures de transport par la loi d’orientation n° 82-610 du 15 juillet 1982 et par la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques, instaurant un premier seuil au-delà duquel l'évaluation est obligatoire et un second au-delà duquel la contre-expertise le devient également. Le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), anciennement commissariat général à l'investissement, est en charge de la réalisation de cette contre-expertise et désigne des experts intervenant intuitu personae. C’est sur la base de cette contre-expertise que le SGPI rend un avis sur chaque projet.
Je me dois également de préciser les rôles et les responsabilités de chacun.
Bien que Monsieur Jincheng Ni soit un agent de France Stratégie et qu’il ait participé à la contre-expertise, il est intervenu intuitu personae si bien que cette contre-expertise n'engage pas France Stratégie. France Stratégie joue effectivement un rôle plus en amont, dans la définition de la méthodologie d'évaluation socio-économique. Pour l'assister dans sa mission, en 2017 et conjointement au SGPI, France Stratégie a désigné un comité d'experts sur les méthodes d'évaluation socio-économique des projets d'investissement public. France Stratégie a ensuite, sous l'autorité dudit comité, publié un guide d'évaluation socio-économique dont la dernière édition date de 2023. Ce guide peut ensuite être abondé par les instructions des différents ministères. C'est notamment le cas du ministère des transports, qui publie sur son site Internet des fiches à destination des porteurs de projets.
J’en viens à l'évaluation socio-économique en elle-même, en rappelant d’abord qu’aux termes du décret précité de 2013, le dossier d'évaluation socio-économique doit comporter l'exposé détaillé du projet d'investissement, les variantes alternatives au projet d'investissement, les principales données sur son dimensionnement et son calendrier prévisionnel, des indicateurs socio-économiques pertinents, des indicateurs de performance au regard des politiques publiques, une analyse comparée des modes de financement, les avis requis par la loi et les règlements, ainsi qu’une cartographie des risques.
L'évaluation socio-économique ne se réduit pas au calcul d'une valeur actualisée nette socio-économique, bien que ce dernier constitue un élément central de l’évaluation. La valeur actualisée nette socio-économique (VAN-SE), qui vise à synthétiser le bilan socio-économique du projet, s’obtient par le calcul de la différence entre les avantages apportés par le projet et ses coûts actualisés ; le fait que lesdits avantages et coûts soient appréciés du point de vue de la collectivité dans son ensemble est précisément ce qui distingue une analyse socio-économique d'une analyse financière.
L'analyse socio-économique intègre ainsi des effets dits « marchands », notamment les coûts d'investissement, les recettes de l'exploitant de l'infrastructure, mais aussi les effets « non marchands », lesquels ont vocation à être monétarisés à l'aide de valeurs de référence que l’on appelle aussi « valeurs tutélaires ». Les gains de temps, par exemple, sont valorisés en multipliant le nombre d'heures gagnées par la valeur estimée de l'heure gagnée (définie dans le guide de l'évaluation socio-économique). Les autres valeurs tutélaires servent à monétariser les émissions de CO2, la pollution atmosphérique locale, le bruit ou encore le nombre de vies sauvées.
Depuis 2016 et la contre-expertise, le comité d'experts, qui réexamine ces valeurs régulièrement, a justement révisé certaines d'entre elles. S’il était procédé aujourd’hui à de nouvelles évaluations socio-économiques, le résultat serait un peu différent de celui de l'époque, sans que le sens de la révision en soit complètement modifié. L’une des valeurs effectivement révisées, en lien avec les objectifs de la SNBC, a été la « valeur d'action pour le climat », qui est la valeur tutélaire du carbone. À votre demande, je pourrai évidemment vous apporter davantage de précisions sur ces éléments.
Pour terminer, je soulignerai une des limites de la VAN-SE, qui tient au fait que tous les effets d’un projet ne sont pas monétarisables. Il se trouve que l'état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas d’attribuer une valeur aux effets sur la biodiversité ou sur l'artificialisation des sols. Le fait qu'un effet ne soit pas monétarisable ne signifie pas pour autant qu'il soit ignoré, dans la mesure où le guide de l’évaluation socio-économique précise bien qu'il importe que le porteur de projet documente a maxima ces effets, de manière quantitative et/ou qualitative, de sorte à compléter l'information fournie par l’indicateur synthétique de VAN-SE et permettre une décision aussi éclairée que possible.
M. Alexandre Bréèrette, directeur général du cabinet de consultants Explain.
Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, j'ai pour ma part été sollicité en tant que contre-expert en raison de mon expérience en matière de prévision de trafic et d'évaluation socio-économique. J’exerce actuellement au sein du bureau d'études Explain, spécialisé sur la planification des transports.
Madame la rapporteure nous interroge sur la façon dont les gains de temps avaient été calculés. Notre contre-expertise avait effectivement conclu à une probable surestimation de ces gains de temps et comme l'expliquait justement monsieur Riedinger, les gains de temps et leur valorisation font partie des principaux éléments étudiés dans le cadre du calcul socio-économique d'un projet de transport.
Les gains de temps se calculent par différence entre une situation de projet avec l'autoroute et une situation de référence, dite « contre-factuelle », correspondant à la situation la plus probable en cas de non-réalisation du projet.
Nous avons donc expertisé les différentes hypothèses prises en compte pour déterminer ces gains de temps. Il s'est avéré que les gains de temps en situation de projet avec l'autoroute avaient été correctement calculés, compte tenu de la suppression des congestions du trafic, et aboutissaient à un temps de parcours d'environ trente-trois minutes entre la barrière de l’Union et la rocade de Castres.
En expertisant toutefois le calcul des temps de parcours en situation de référence, nous avons identifié un écart notable entre les hypothèses retenues et la réalité des temps de parcours entre Castres et Union en 2014. Les différents échanges que nous avons eus par la suite avec le porteur de projet ne nous ont pas convaincus du bien-fondé de leur hypothèse qui, à notre sens, surestimait les gains de temps. Nous avons finalement convergé sur un gain de temps se situant autour de vingt minutes.
Parmi les difficultés identifiées, il nous est apparu que l’hypothèse de croissance de la congestion, notamment en entrée de Castres, était basée non pas sur des observations, mais sur des hypothèses de croissance du trafic sensiblement surestimées. Les taux de croissance se basaient sur des hypothèses, à la fois du PIB et du trafic, quelque peu obsolètes ; les hypothèses des niveaux de trafic attendus en 2024 et qui auraient provoqué de la congestion paraissaient surestimées. Au demeurant, les observations actuelles ne confirment aucunement une forte hausse du trafic.
Vous nous interrogiez également sur la possible récurrence de ces surestimations de gains de temps dans les projets autoroutiers.
Les bilans prévus par la loi d'orientation sur les transports intérieurs (Loti), organisés cinq ans après la mise en service d’une autoroute, permettent d’obtenir un retour d'expérience sur les différentes hypothèses desdits projets, y compris sur leur rentabilité socio-économique. Si le rapide tour d'horizon des bilans Loti effectués sur des autoroutes récentes (comme l'A88 entre Falaise et Sées, l'A65 entre Pau et Langon, l'A89 entre La Tour-de-Salvagny et Balbigny ou l'A66 entre Toulouse et Pamiers) ne montre aucune systématicité dans la surestimation des gains de temps, les bilans révèlent en revanche une forte tendance à la surestimation des trafics.
La plupart du temps, les surestimations de trafic ne résultent pas de surestimations des gains de temps, mais plutôt de surestimations des parts de marché envisagées par l'autoroute face à des itinéraires concurrents ; surestimations qui procèdent d’hypothèses trop optimistes quant à la propension des usagers à s’acquitter du péage, eu égard aux revenus des ménages directement concernés par le projet.
Aussi les hypothèses de croissance de trafic en situation de référence se sont-elles avérées trop optimistes, car basées sur des tendances à l'augmentation de la mobilité en général, alors que l'observation montre a contrario que la mobilité s'est fortement estompée depuis une quinzaine d'années. Sur le projet de l’A69, un certain nombre de faisceaux convergents ont abouti à une surestimation du trafic.
En somme, je confirme nos conclusions de 2016 : des gains de temps surestimés, des hypothèses de croissance forte et par ailleurs sans lien avec la dynamique démographique locale, qui reste assez modeste.
Aussi avons-nous souligné l’absence de prise en compte des revenus locaux, assez sensiblement inférieurs à la moyenne nationale, si bien que le consentement à s’acquitter du péage, tel que pris en compte dans les modélisations, nous est apparu trop optimiste.
M. Vincent Marcus, chef du service de la statistique et de la prospective du ministère de l'agriculture. De manière liminaire, je précise être intervenu à l’époque en tant qu’économiste et contre-expert au sein du ministère de l’agriculture, sans doute également sur la base de mon regard environnemental, acquis lors de mes fonctions passées au sein du ministère de l'écologie. Je précise en outre prendre la parole aujourd’hui à titre personnel et aucunement au titre de mes fonctions passées au sein des ministères susdits.
S’agissant des aspects environnementaux, l'essentiel des effets pris en compte et valorisés dans la VAN-SE sont liés au CO2 et à la pollution de l'air. Le renforcement des objectifs climatiques et la révision de la valeur de l'action pour le climat qui s'en est suivie en 2019, conduiraient aujourd’hui à augmenter les coûts associés des émissions de CO2 supplémentaires.
D’autres effets peuvent être pris en compte, notamment les perspectives d'électrification du parc roulant, qui viendrait atténuer les effets de CO2. Autrement dit, si toutes les voitures devenaient à l’avenir électriques, il y aurait moins de coûts de CO2 à valoriser.
Les effets de la perte de service écosystémique, ou ceux liés à la destruction des espaces naturels engendrée par un tel projet, ne sont ni quantifiés ni monétarisés, faute de disposer de valeurs solides ou clairement établies, mais aussi par souci de robustesse. En effet, il pourrait être trompeur de vouloir forcer une valorisation des effets, en donnant l'impression d’avoir bien pris en compte toute la valeur des pertes associées à ces services, alors que tel n'est pas le cas et qu'on ne sait finalement le faire que de manière très partielle.
La contre-expertise intervient au stade de l’évaluation socio-économique d'un projet réalisé par le maître d'ouvrage. La question de l'examen ou de l'évaluation socio-économique des projets alternatifs n'entre pas donc dans son spectre.
Les alternatives envisagées par le passé n'ont donc pas été formellement soumises à une évaluation socio-économique : qu’il s’agisse de l'aménagement de la RN126 ou d’un autre aménagement partiel et ponctuel de l'entrée de Castres.
La contre-expertise avait néanmoins souligné que les gains de temps apportés étaient fortement concentrés sur cette petite section et qu'un aménagement ainsi localisé aurait pu apporter des gains suffisants et peut-être des ratios socio-économiques meilleurs, notamment en termes de bénéfices par euro public investi.
M. Jincheng Ni, économiste à France Stratégie. Bien qu’ayant travaillé à France Stratégie, je répondrai aux questions en tant que contre-expert sur ce dossier.
Vous nous avez posé une question sur la VAN-SE évaluée à 91 millions d'euros.
Au vu du projet, ce montant apparaît très fragile comparativement aux risques systémiques et aux nouvelles hypothèses, un peu plus faibles, émises depuis 2016. Sur la VAN globale, les trois points d’importance sont les gains de temps, les gains de confort et les gains de sécurité liés à l'autoroute.
Le scénario de la contre-expertise avait abouti à une diminution considérable de la VAN-SE globale, au point que le risque systémique ne pouvait être garanti si l’on se référait à la nouvelle valeur de la VAN.
Vous posiez également une question sur la puissance publique, mais c’est là une interprétation un brin erronée, car ce dossier spécifique ne génère pas de gain pour la puissance publique. Pour la partie CO2 ou même sur la sécurité, le gain s’applique à la collectivité en général et non à la puissance publique à proprement parler. La subvention publique de l'État et des collectivités ne change pas beaucoup par rapport au dossier du maître d'ouvrage, tandis que dans d'autres types de dossiers, les populations locales bénéficient effectivement de la sécurité, de la diminution de la pollution et du gain de temps.
Les usagers gagnent beaucoup en temps et en confort, mais puisqu'ils se déplacent davantage, ils doivent payer leurs voitures (maintenance et dépréciation), mais aussi payer les péages. Cette réalité diminue les gains pour les usagers. Donc, on ne peut pas dire que le gain pour les usagers soit réduit, car ils y gagnent beaucoup, mais ils doivent payer en contrepartie.
En somme, le scénario du maître d'ouvrage était un peu trop optimiste par rapport à celui de la contre-expertise, beaucoup plus réaliste, mais un peu fragile.
M. le président Jean Terlier. Je souhaitais pour ma part solliciter votre analyse de l'arrêt rendu par la cinquième chambre du Conseil d'État, le 5 mars 2021.
Cet arrêt fait mention de la contre-expertise et du bien-fondé de l'évaluation socio-économique. Le Conseil d'État vient donc de trancher la question de manière définitive et je me permets ici de vous rappeler que cet arrêt jouit de l'autorité de la force jugée. S’il est possible de rediscuter de l’évaluation socio-économique, en l'état actuel de notre droit positif, le Conseil d'État a tout de même tranché la question.
Je suspends notre réunion pendant quelques minutes, car il nous faut prendre part à un vote dans l’hémicycle.
L’audition est suspendue de 17 heures 13 à 17 heures 25.
M. le président Jean Terlier. Messieurs, s’il nous paraît assurément important de connaître la teneur exacte de votre contre-expertise sur l'évaluation socio-économique, la décision de justice rendue est définitive et jouit de l’autorité de la forcée jugée, puisqu’émanant du Conseil d’État.
S’agissant des solutions alternatives examinées, le Conseil d'État a indiqué en effet que : « L'étude d'impact comprend une analyse suffisante de la solution alternative examinée par le maître d'ouvrage, consistant en un aménagement sur place de deux fois deux voies de la route nationale 126. Elle précise les avantages et les inconvénients de cet aménagement et expose ainsi les raisons pour lesquelles le présent projet a été retenu ».
Quant aux solutions socio-économiques, l’attendu du Conseil d'État fait référence à « l'évaluation des gains de temps de trajet attendus sur le projet, calculés selon la méthode du véhicule roulant, figurant dans l'instruction du ministre chargé des transports du 16 juin 2014 et des gains de confort évalués conformément à l'instruction du 23 mai 2007 du ministère chargé des transports relative aux méthodes d'évaluation socio-économique des investissements routiers et urbains, ainsi que des prévisions de trafic ». Le Conseil d’État précise ensuite : « Si le gain de temps figurant dans l'évaluation socio-économique, évalué à trente-trois minutes sur le parcours de référence, diffère de celui qui retient la contre-expertise, évalué à vingt-deux minutes, la différence de onze minutes dans le temps gagné sur le trajet d'environ quatre-vingts kilomètres ne peut être regardée comme ayant faussé l'appréciation portée sur l'opportunité économique du projet. Si les requérants ajoutent que les gains de confort figurant dans l'évaluation socio-économique seraient excessifs, ce moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé ».
Le Conseil d'État s'est également penché sur les prévisions de trafic en précisant que : « Les prévisions de trafic figurant dans l'évaluation socio-économique seraient évaluées en ce qu'elles ne tiendraient pas compte de la sensibilité du trafic aux prévisions de croissance et au niveau élevé du péage. L'évaluation présente également des scénarios réalisés en tenant compte des réserves émises par le commissaire général de l'investissement sur la sensibilité du trafic au péage, intégrant d'une part un scénario macro-économique bas et un scénario macro-économique haut et d'autre part, des calculs de sensibilité du trafic et de la valeur actuelle nette socio-économique du trajet. En outre et malgré certaines lacunes liées à la prise en compte limitée de la variété des itinéraires des usagers empruntant l'autoroute, l'évaluation socio-économique a pris en compte, dans les prévisions de trafic, le fait que certains usagers, plus sensibles au coût du péage, continueront à emprunter le réseau routier secondaire ».
L’un des attendus précise que : « Le moyen tiré que l'étude socio-économique serait entachée d'inexactitude, d’omission ou d’insuffisance, ayant eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou étant d'une nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative, doit être écarté ».
Ainsi, sur les questions posées par madame la rapporteure, je rappelle qu’un débat a déjà eu lieu de manière contradictoire devant les premiers juges et qu’il a été tranché de manière définitive par le Conseil d'État. J'aurais donc voulu avoir votre sentiment sur cet arrêt.
M. Alexandre Bréèrette. S’agissant des gains de temps, nous avions relevé que les écarts provenaient du fait que le modèle de trafic était essentiellement calé sur les volumes de déplacement et non sur les temps de parcours, sachant que ces derniers étaient calculés a posteriori, ce qui pose un problème en soi.
Par ailleurs, nous avions identifié que l'une des raisons des écarts, entre l’observation et les temps de parcours en situation de référence, était liée à des hypothèses de croissance du trafic (et donc de croissance de la congestion, notamment à l'entrée de Castres) qui nous ont paru très élevées.
Je prends bonne note que le Conseil d'État a émis un avis sur le sujet en 2021. En tant qu'expert du domaine néanmoins, il me faut bien constater que l'évolution de la congestion telle qu'anticipée par les calculs de 2016 n'a pas été observée. Si l'on compare les niveaux actuels de trafic sur l'axe de la RN126, tant au niveau de la déviation de Puylaurens qu'au niveau de l'entrée de Castres, ceux-ci restent du même ordre de grandeur qu'en 2014. A priori, les niveaux de congestion n'évoluent pas, ce qui vient confirmer les hypothèses de notre scénario alternatif de l’époque.
J’en viens aux éléments de valorisation, notamment aux aspects de confort et autres hypothèses fondées sur des différentes instructions prises en compte lors des calculs de prévision de trafics de l’époque. En 2016, on se basait assez fortement sur une instruction datant de 2007, elle-même basée sur des enquêtes et des observations dont certaines antérieures à l'année 2000. Je pense notamment à la méthode de valorisation du confort, qui nous a paru apporter un biais assez important en termes de valorisation des avantages de l'autoroute.
Nous considérons donc que les biais d’optimisme de l'époque sont toujours d’actualité, voire accentués par le fait que, depuis, les pratiques de mobilité ont sensiblement évolué avec l'arrivée du télétravail ou la modification des motifs de déplacement, plus orientés sur les loisirs que sur les déplacements quotidiens.
Bien entendu, cela ne reste que l’avis d'experts n’ayant pas à commenter des attendus du Conseil d'État.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je reviendrai pour ma part sur l’ensemble des sujets abordés et plus précisément sur votre rapport, que j'ai lu avec grand intérêt.
Tout d’abord, je suis particulièrement interpellée par les arguments ayant fondé la raison impérative d'intérêt public majeur, arguments que l’on retrouve dans le dossier d'engagement de l'État.
Le contrat de concession - page 3/annexe 14 - évoque la notion d’intérêt public majeur, officiellement reprise et effectivement décrite comme un critère par l'arrêté interdépartemental de mars 2023. Pourtant, comme vous l’indiquiez, à l’instar de monsieur Balderelli lors de son audition, ladite notion ne faisait pas partie des critères fixant la VAN-SE.
Concernant le temps gagné, les différents critères, désenclavement, sécurité publique ou encore développement du bassin Castres-Mazame, ne semblent reposer sur aucune étude sérieuse ou, plus précisément, sur des études ne se basant pas sur les mêmes données et ne recourant pas à la même méthodologie.
L'arrêté interdépartemental fait état de vingt-cinq minutes de temps gagné sur la liaison autoroutière de Verfeil à Castres, sans faire mention des 10 kilomètres en moins (sur 53 kilomètres au total), du fait de la déviation Soual/Puylaurens. Le contrat de concession, quant à lui, nous parle de trente-cinq minutes de temps gagné sur la même liaison. Enfin, dans un document datant de 2009, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) évoquait quinze minutes de temps gagné, mais sur un trajet de 62 kilomètres et non plus de 53 kilomètres. De la même manière, l’arrêté interdépartemental a estimé que l’autoroute serait un facteur de développement en se basant sur bassin de vie de 80 646 habitants lorsque le contrat de concession nous parle de 132 000 habitants (annexe 14, page 4).
Sur le sujet du gain de temps, qui est l’un des éléments prépondérants pour asseoir la conviction que l'autoroute était la meilleure option, nous disposons donc de données très différentes selon les documents, que ce soit en nombre de kilomètres ou en temps réellement gagné, mais aussi entre la méthodologie utilisée pour la contractualisation de l'État avec Atosca et celle de l’arrêté interdépartemental, signé par deux préfets. De document en document, les données ne sont jamais les mêmes et ne se basent sur aucune méthodologie fiable. Voilà de quoi nourrir quelques doutes quant aux méthodologies ayant permis de calculer la VAN-SE.
Sur la VAN, vous indiquiez que les questions d'intermodalité et de report modaux ne s’étaient posées qu’entre la route nationale et l'autoroute et qu’en aucune façon la possibilité d’une alternative entre un aménagement ferroviaire et une autoroute n'avait été envisagée. Dès lors, l'évaluation du trafic perd tout son sens en ce qu’elle ne valorise pas l’ensemble des modes de transport, notamment par bus, sachant que les liaisons de bus entre Toulouse et Castres sont extrêmement utilisées et qu’elles proposent des tarifs préférentiels.
J'en viens à l'évaluation du trafic qui, là encore, n'évoque aucunement le train. Nous avons procédé à une petite étude de trafic à partir des données consultables sur un site officiel sur le développement durable. En 2019, le trafic Castres/Mélou-Chartreuse était de 17 692 passages, contre 17 431 aujourd’hui (soit une baisse de 1,44 %). Sur la déviation de Soual, le trafic était de 8 422 passages en 2019, contre 6 977 aujourd’hui (soit une baisse de 17 %). Sur Puylaurens, la même année, nous étions à 8 570 passages, contre 7 897 aujourd’hui (soit une baisse de 7,85 %). Sur Castres/Verfeil, enfin, nous étions à 8 621 passages en 2019, contre 8 064 aujourd’hui (soit une baisse de 6,46 %).
Si l'écologiste que je suis ne peut que se féliciter de cette diminution globale du trafic, la personne siégeant à la commission des finances ne peut que s'inquiéter des conséquences de cette baisse sur les coûts, les tarifs et in fine sur la VAN-SE.
En dernier lieu, vous disiez que le dispositif de la VAN-SE se trouvait fragilisé par des calculs plus récents que vous avez intégrés à votre contre-expertise, passant de 508 au moment de la DUP à 91 millions d’euros ; or entre 2016 et la signature du contrat de concession, la subvention d'équilibre est passée de 220 millions à 23 millions d’euros.
Aviez-vous intégré, à la VAN-SE, une telle baisse de la subvention d'équilibre des collectivités et donc une augmentation des coûts pour Atosca de 177 millions d’euros ? Seriez-vous en capacité de chiffrer l’augmentation, à partir des 91 millions d’euros, à l’appui des données dont vous n’aviez pas connaissance en 2016 ?
M. Jincheng Ni. Compte tenu du biais d'optimisme et des hypothèses de croissance du trafic ou des péages, la question se pose effectivement de savoir si le contrat de concession pourra être tenu. Il n’est pas impossible que les 23 millions d’euros de subventions d'équilibre aient perdu de leur sens. Notre scénario de l’époque avait tablé sur une subvention publique d'équilibre fixe, mais les évènements qui ont suivi la contre-expertise de 2016 laissent entrevoir une plus grande fragilité du dossier qu’au moment de notre scénario.
J’ajoute que lors de la révision méthodologique, un comité d'experts du SGPI avait recommandé un taux d'actualisation plus bas que celui que nous avions utilisé et que l’application de ce dernier taux augmenterait forcément la VAN. Enfin, l’intermodalité avec le bus et le train n'avait pas été prise en compte dans le dossier du maître d'ouvrage. Depuis, de nouveaux comportements sont apparus, notamment post-covid, et les habitants ont fait évoluer leurs pratiques.
Sans procéder à une nouvelle étude intégrant les données plus récentes, il est difficile de dire si le montant de 91 millions d'euros de la VAN-SE, considéré dans le scénario de la contre-expertise, évoluera à la hausse ou à la baisse.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. En tout état de cause, c'est une donnée dont vous ne disposiez pas à l'époque et qui, si elle était intégrée, ferait assurément évoluer la VAN- SE.
M. Jincheng Ni. Tout à fait, tout comme il est certain que l’évaluation socio-économique comportait un biais d’optimisme.
M. Alexandre Bréèrette. J’ajouterai ici que, dans un bilan socioéconomique, la subvention d'équilibre intervient dans le cadre d’un transfert entre les acteurs et que la différence portera sur le volume d'argent public investi. Nous prenons en compte le coût du recours à l'argent public - le coût d'opportunité des fonds publics - car plus l'argent public est mobilisé, plus il vient grever le poste de l'acteur public.
Finalement, ce n'est pas tant la VAN qui se trouvera impactée par une forte modification de la subvention d'équilibre que le modèle économique de l'exploitant lui-même, lequel devra forcément compenser un moindre niveau de trafic par une augmentation presque mécanique du prix des péages.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Sur l’augmentation du prix des péages, à partir du moment où le modèle économique est impacté par certaines données qui n'étaient pas disponibles au moment des études et dans le cadre d’une privatisation de l’infrastructure, ce sont bien les usagers qui s’acquitteront du manque à gagner du concessionnaire. Bien que le contrat de concession encadre l'augmentation des tarifs, in fine, ce sera bel et bien le contribuable qui paiera.
M. le président Jean Terlier. La parole est à Mme Karen Erodi.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Sachant que les valeurs socio-économiques sont visiblement surestimées en faveur de l’A69, que les modes de calcul sont dépassés, voire tronqués, qu’ils ont donné lieu à une valeur actualisée nette positive biaisée, pensez-vous qu'une saisine de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) pour la réalisation d'une expertise actualisée et réaliste serait pertinente pour éclairer les élus locaux et les citoyens ?
M. Nicolas Riedinger. Je n'ai pas d'avis sur l'opportunité d’une saisine de l'IGEDD, mais il est certain que, depuis la réalisation de l'évaluation socio-économique et de la contre-expertise, les changements survenus sont de nature à faire évoluer la VAN-SE.
C’est d’ailleurs une difficulté assez générale qui s’observe sur les projets de transport, lesquels s’illustrent souvent par un très fort décalage temporel entre la déclaration d'utilité publique, postérieure à l’évaluation socio-économique, et la réalisation d'un projet. Ce décalage révèle peut-être les limites de la procédure de l’évaluation socio-économique, qui implique un délai assez important entre l'évaluation et la réalisation des travaux. Je ne sais pas si cela vaut davantage pour ce projet que pour un autre, mais la question de l'actualisation du calcul socio-économique peut effectivement se poser.
M. Jincheng Ni. À mon sens, une saisine de l’IGEDD serait peut-être moins efficace qu’une demande possible au maître d’ouvrage de réaliser une mise à jour de l’étude. Il me semble d’ailleurs que la loi lui impose de réactualiser le dossier en cas de changement total du contexte.
M. le président Jean Terlier. Pour ma part, je trouve la demande de madame Erodi quelque peu surprenante s’agissant d'une déclaration d'utilité publique, qui est une procédure assez contrainte.
Une étude d’impact a été réalisée, l'évaluation socio-économique a été tranchée et relancer une expertise génèrera à nouveau des contestations. Il est d’ailleurs possible qu’elle ne survienne que dans cinq ou six ans, ce qui n'est pas raisonnable. À un moment donné, des décisions sont prises et on peut d’ailleurs les contester devant le tribunal administratif. En l’occurrence, la contre-expertise date de 2016 et la déclaration d'utilité publique de 2018, sachant que le concessionnaire a obligation de refaire une évaluation. Donc, ce n’est pas un projet où dix années sépareraient les différentes études de la DUP. Il s’agirait à mon sens de ne pas relancer des procédures juste pour les relancer ; des procédures auxquelles on pourra d’ailleurs reprocher, in fine, la même ancienneté.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Devant notre commission de ce jour, l’ensemble des personnes auditionnées affirme pourtant que tout aurait été surévalué et surestimé. Dès lors, il me semblerait assez logique de corriger des erreurs identifiées, a fortiori lorsqu’il s'agit d'intérêt général et d’argent public.
M. le président Jean Terlier. Madame Erodi, la procédure est ainsi et comprend désormais un arrêt du Conseil d'État. La question que vous posez a été tranchée dans le cadre d'une procédure contradictoire. Le Conseil d'État a bien indiqué que l'étude d'impact avait fait état des scénarios alternatifs, comme il a tranché de manière définitive les questions de gains de temps et de prévisions du trafic, ce qui a abouti à une déclaration d’utilité publique. À mon sens, bien qu’étant législateurs, certaines décisions de justice nous sont opposables, comme à tout le monde d’ailleurs.
M. Alexandre Bréèrette. En tant qu'experts, il est vrai que nous sommes sollicités pour nos compétences techniques et n'intervenons aucunement sur le champ législatif. Si un avis a été donné, dont acte. Je ne peux effectivement pas me prononcer sur l'opportunité ni même la possibilité de relancer des études à ce stade très avancé du projet.
M. le président Jean Terlier. Un projet devenu d’ailleurs un chantier, puisque le concessionnaire nous a indiqué avoir déjà engagé 50 % des crédits pour la réalisation de l'infrastructure.
Mme Karen Erodi (LFI-NUPES). Je voulais revenir sur la question des gains de temps, déjà largement développée par madame Arrighi. Les Castrais et les Tarnais se rendent fréquemment à Toulouse pour travailler ou consommer, or l’estimation de temps n'a pas été faite jusqu'à Toulouse. La barrière de l'Union est une barrière de péage et accessoirement un goulot d'étranglement. Aux heures de pointe, les embouteillages feront perdre du temps, voire annuleront l'effet soi-disant positif du gain de temps sur la partie étudiée.
M. Alexandre Bréèrette. C'est effectivement un point sur lequel nous avions interrogé la maîtrise d'ouvrage de l'époque, pour qu'elle nous éclaire sur l'impact du projet d'A69 sur les trafics et donc les temps de parcours sur le réseau structurant autoroutier de l'agglomération toulousaine.
Il s'avère que bon nombre de personnes utilisent d'ores et déjà la partie terminale de cet itinéraire, après avoir emprunté la RN126. Les réponses qui nous avaient été apportées pointaient le fait qu'il y aurait une redistribution des itinéraires dans l'accès à Toulouse, mais dans des volumes n’étant pas de nature à dégrader fortement les niveaux de trafic sur le réseau structurant de l'agglomération toulousaine.
Il nous a semblé que les prévisions de trafic avaient sous-estimé les temps de parcours dans les parties urbaines, à la fois du côté de Castres et du côté de Toulouse. Nous n’avons pas eu suffisamment d'éclairage et peut-être avons-nous également manqué de temps, lors de notre contre-expertise, pour évaluer plus précisément les tenants et aboutissants de ces sous-estimations de temps. Quoi qu’il en soit, ces problématiques de temps sur les parties urbaines étaient équivalentes en référence et en projet. Comme nous étions sur un calcul de bilan, de fait, il n'y avait pas d'effet sur les gains de temps totaux et donc sur la VAN.
M. Jincheng Ni. J’ajouterai que le gain de temps sur cette portion d’autoroute entre dans le calcul du bilan socio-économique, tandis que la modélisation de trafic ne considère que le temps de parcours total.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. À la lecture de votre rapport, il apparaît que toutes vos réponses corroborent les constats de vos études, mais également toutes vos projections, sachant la difficulté d’anticiper les évolutions entre 2016 et aujourd'hui.
En tant que contre-experts, lorsque vous avez émis ce rapport, invalidant clairement les études telles qu'elles ont été menées (que ce soit les études de trafic, les études sur le temps gagné, sur le plan environnemental ou même la sécurité), avez-vous été surpris que l'État s'entête sur ce dossier ?
On constate une tendance aux surévaluations et aux surestimations, qui s’observent depuis des années sur les projets autoroutiers. Par exemple, nous savons d’ores et déjà que le barreau Pau-Langon et l’autoroute Toulouse-Pamiers sont déficitaires, ainsi que l’avaient prévu les contre-expertises. Sur le barreau Pau-Langon, le tarif explose et l’autoroute est complètement désertée, car les usagers potentiels ne peuvent suivre financièrement. Un concessionnaire est rarement philanthrope, ce que l’on peut comprendre, mais c'est le contribuable qui finira par payer.
Avez-vous été surpris du fait que l’État s’entête malgré tout ?
M. le président Jean Terlier. L’État et le Conseil d’État donc, qui a déclaré le projet d’utilité publique.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Un contrat de concession procède d’une décision politique. Le droit et la décision politique n’ont en l’occurrence strictement rien à voir. Pour ma part, je trouve très intéressant que les contre-expertises aient envisagé en 2016, et pour l’avenir, tout ce qui est en train de se dérouler.
M. Vincent Marcus. Je pense qu’il ne convient pas de commenter le bien-fondé des arrêts du Conseil d'État, pas plus que l'entêtement supposé de l'État.
Pour essayer de vous répondre néanmoins, il me semble que ce besoin d'augmenter la capacité et la sécurisation de la liaison routière vient de très loin et que, de longue date, l'État et les collectivités avaient déjà tenté d'aménager la RN126 existante. L’histoire du projet montre que le choix de recourir à une concession a plutôt résulté de l’impossibilité de rassembler suffisamment d’argent public pour ce faire. Je pense important de garder en tête cette perspective historique.
M. le président Jean Terlier. Vous avez tout à fait raison de le souligner. Les Sud-Tarnais attendent le désenclavement de leur bassin d'emploi depuis très longtemps. Le scénario de l'aménagement de la route nationale avait effectivement été envisagé. La décision de recourir finalement à une concession a été validée démocratiquement par l'ensemble des financeurs : la région, le département, la communauté d'agglomération Castres-Mazamet, ainsi que par la communauté de communes Sor et Agout.
Vous parlez d’un entêtement de l’État, mais je pense que ce projet résulte surtout de l’entêtement des élus locaux d'aboutir à un projet qui mettra fin à une véritable injustice dans la manière de considérer ce territoire du Sud du Tarn, son attractivité et les personnes y résidant – et je le souligne d’autant plus que j’y habite.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. Je formulerai ma question autrement, sans vous demander de vous positionner sur le plan politique, encore que vous intervenez aujourd’hui intuitu personae et pouvez très bien exprimer votre conviction sur le sujet.
Sur la base des éléments socio-économiques que vous avez relevés, de la fragilité du dossier que vous avez évoquée (notamment par rapport à la VAN-SE), ce projet vous paraît-il, à terme, solide pour le contribuable ?
M. Alexandre Bréèrette. L'une des conclusions de notre contre-expertise était que la VAN restait positive, mais fragile et donc exposée à des risques systémiques. Autrement dit, en cas de trou d'air en termes de croissance économique, de changements de comportements ou de tout autre élément de cadrage socio-économique, il y aurait effectivement un risque important que la VAN devienne négative et donc que les coûts pour la collectivité soient supérieurs aux avantages apportés par le projet. Beaucoup de choses ont changé depuis notre contre-expertise et il faudrait refaire le calcul pour s’en assurer.
Mme Christine Arrighi, rapporteure. En conclusion, je tenais à vous remercier, messieurs, de la qualité de nos échanges et surtout de la qualité de vos travaux que j'ai trouvés remarquables, à la fois dans les constats réalisés, le regard critique porté sur le dossier et parce qu’il faut bien convenir que toutes vos analyses prospectives se sont vérifiées.
M. le président Jean Terlier. Merci messieurs d’avoir éclairé cette commission d'enquête.
La séance s’achève à dix-huit heures dix.
Présents. – Mme Christine Arrighi, M. Frédéric Cabrolier, Mme Karen Erodi, Mme Sylvie Ferrer, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean Terlier