Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les raisons
de la perte de souveraineté alimentaire de la France

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Clay, président du conseil d’administration de Tereos, accompagné de M. François-Xavier Beaury, administrateur, Mme Kristell Guizouarn, directrice des affaires publiques, RSE et communication, et Mme Morgane Estève, responsable des affaires publiques              2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Gelin, président-directeur général du groupe LDC, et M. Sébastien Verdier, directeur marketing pôle volaille              13

– Présences en réunion.................................33


Jeudi
2 mai 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 19

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Charles Sitzenstuhl,
Président de la commission

 


  1 

La séance est ouverte à neuf heures.

La commission procède à l’audition de M. Gérard Clay, président du conseil d’administration de Tereos, accompagné de M. François-Xavier Beaury, administrateur, Mme Kristell Guizouarn, directrice des affaires publiques, RSE et communication, et Mme Morgane Estève, responsable des affaires publiques.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous commençons notre journée de travail par la première des auditions que nous consacrerons aux sociétés industrielles de l’agroalimentaire. J’accueille M. Gérard Clay, président du conseil d’administration de Tereos, accompagné de M. François-Xavier Beaury, administrateur, Mme Kristell Guizouarn, directrice des affaires publiques, RSE et communication, et Mme Morgane Estève, responsable des affaires publiques.

Premier groupe sucrier français et quatrième mondial, Tereos est également une des entreprises industrielles agroalimentaires les plus anciennes de France, puisque sa naissance remonte au début du XIXe siècle, avec les sucreries Say et Béghin.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Kristell Guizouarn et Morgane Estève et MM. Gérard Clay et François-Xavier Beaury prêtent serment.)

M. Gérard Clay, président du conseil d’administration de Tereos. Je suis heureux de pouvoir échanger avec vous aujourd’hui dans le cadre des travaux de votre commission d’enquête. Vous me recevez en tant que président de la coopérative Tereos, mais je suis avant tout agriculteur. À ce titre, je souhaite vous dresser un tableau de la situation depuis ces dernières années. La dégradation de la balance commerciale agricole est la conséquence de décisions politiques qui sont allées à rebours du développement de notre secteur.

De son côté, le monde agricole a su évoluer et s’adapter aux défis qui lui ont été posés. Nous sommes passés d’une agriculture empirique à une agriculture modélisée et nous apportons aux plantes ce dont elles ont besoin, rien de plus. À partir de la betterave, de la canne et des céréales, Tereos produit du sucre, des alcools, de l’amidon et ses dérivés, et enfin des fibres et des protéines. Tereos est présent sur quarante-trois sites industriels, dont dix-neuf en France, et rassemble 15 800 coopérateurs.

Notre contribution à la souveraineté agricole française est évidente : vous consommez, du matin au soir, des produits dont Tereos contribue à la fabrication : du dentifrice au sucre en poudre, en passant par le gel hydroalcoolique, le Doliprane, l’automobile. Je m’arrête ici, tant la liste serait longue.

Tereos, premier producteur français et deuxième européen, partage le constat d’un risque de perte de souveraineté alimentaire qui résulte malheureusement des politiques engagées depuis plusieurs années. Les cycles d’investissement de l’agriculture et de l’industrie sont des cycles longs, en raison des capitaux mobilisés. À ce titre, les décisions prises aujourd’hui n’entraîneront des répercussions que dans quelques années.

L’année dernière, nous avons dû fermer une usine de production de sucre, dans la mesure où la production de betteraves a fortement diminué pour deux raisons cumulatives. D’abord, dans les domaines agronomiques et réglementaires, nous subissons la baisse du nombre de molécules à la disposition des agriculteurs pour protéger leurs cultures. Tout le monde a en mémoire le problème des néonicotinoïdes (NNI), qui a provoqué en 2020 l’effondrement de la production sucrière française. Simultanément, les marchés du sucre avaient fortement baissé, décourageant des producteurs de betteraves, lesquels s’engagent en tant que coopérateurs pour une durée de cinq ans avec Tereos.

Entre 2017 et 2022, la production a ainsi chuté de 25 %. En conséquence, nous avons dû adapter notre outil industriel en fermant la sucrerie d’Escaudœuvres et je rappelle que sur la même période, cinq sucreries ont dû fermer. Nous avons également dû fermer la féculerie d’Haussimont, qui produit de l’amidon de fécule à partir de pommes de terre féculière. La production a également perdu quasiment 20 % à cause du réchauffement climatique. Le marché des fécules s’est transformé au fil du temps et a été remplacé par le marché des amidons de maïs et de blé. Nous sommes toujours à la recherche d’une utilisation future pour ce site.

Au-delà, Tereos doit également répondre aux défis communs, en tant qu’acteur majeur. Nous devons ainsi apporter notre contribution aux enjeux de la décarbonation. Aujourd’hui, nous disposons d’un programme de 800 millions d’euros, pour diminuer de 50 % nos émissions à l’horizon 2032, dans le cadre de notre engagement dans le programme Science Based Targets Initiative (SBTI).

Pour relever ce défi, nous devons nous montrer rentables, quand les exportateurs de produits vers la France ne sont pas soumis aux mêmes obligations. Par ailleurs, l’Ukraine disposait avant la guerre d’un droit d’apport de 20 000 tonnes au sein de l’Union européenne (UE). Le pays ne parvenant pas à exporter par la mer Noire, l’Union européenne a accepté de se porter acquéreur du sucre ukrainien, provoquant un effet d’aubaine chez les producteurs locaux, qui ont rouvert des sites de production. Les 20 000 tonnes sont ensuite passées à 400 000 tonnes avant que l’Europe ne prenne finalement conscience du problème et établisse un quota d’importation à hauteur de 240 000 tonnes. Malheureusement, l’application de ce quota a été reportée au mois de juin, ce qui continuera de mettre à mal le marché européen du sucre. Or dans le même temps, les Ukrainiens ont retrouvé des voies pour commercialiser à nouveau leur production. Je rappelle par ailleurs que le président Macron avait indiqué qu’une très grande partie des importations de poulet ukrainien profite à un seul milliardaire. Parmi les grands fabricants de sucre ukrainiens figurent la famille Porochenko ou un groupe allemand.

Par ailleurs, les approvisionnements européens en alcools traditionnels – à destination des parfums ou de la pharmacie – en provenance du Pakistan ont considérablement augmenté. Le marché représente 9 millions d’hectolitres et la moitié est constituée d’importations pakistanaises. Mais personne n’a encore rien fait à ce sujet. Or ce problème a des répercussions sur notre outil industriel : quand la valorisation des activités de Tereos – deux tiers de sucre et un tiers d’éthanol – diminue, la valorisation des betteraves diminue de la même manière.

Je souhaite également évoquer le cas de La Réunion, où deux de nos usines sont implantées. Chaque année, la production de l’île diminue en raison de l’urbanisation, mais aussi parce que les producteurs ne disposent plus des molécules nécessaires pour protéger leurs cannes. Il ne leur reste ainsi que cinq molécules quand vingt-six sont disponibles à Maurice, trente-deux en Colombie et quarante-cinq au Costa Rica. Mais nous importons malgré tout du sucre de l’île Maurice, ce que je ne comprends pas, en tant que paysan.

Pour pouvoir défendre notre production, encore faut-il être capable de produire et disposer des molécules nécessaires pour protéger les plantes. Pourquoi ne pas accepter l’aide de la chimie pour les plantes, de la même manière qu’elle offre aux hommes des médicaments ? L’alternative mécanique, notamment dans le désherbage, ne permet pas à elle seule de résoudre les défis.

Ensuite, je tiens à m’élever contre les prétendues clauses miroir et contrôles aux frontières, car ils ne sont pas sérieux. En effet, tout dépend de la limite de fixation des résidus. Un contrôle ne permet pas de discerner l’ensemble des molécules qui ont été appliquées sur le sucre à la production. Les importations doivent être produites selon les mêmes standards que ceux que nous sommes obligés de suivre.

Votre commission traite de la souveraineté alimentaire, que j’étendrai pour ma part à la souveraineté agricole – en effet, la production agricole ne sert pas seulement à l’alimentation. Il est urgent d’exclure l’agriculture des négociations de libre-échange. L’agriculture constitue une production à part et nous devons protéger les citoyens européens en leur proposant des produits sains, que nous sommes capables de fournir. La souveraineté alimentaire repose sur un modèle durable. Tereos est prêt à s’y engager, à condition de pouvoir disposer de règles de commerce loyal.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Combien de sucreries opérez-vous en France ?

M. Gérard Clay. Nous y avons huit sucreries.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Combien de sites y avez-vous fermés ?

M. Gérard Clay. Nous avons fermé une seule usine, la sucrerie d’Escaudœuvres, en 2023. Je souligne néanmoins que d’autres sucreries sont également à la merci de l’évolution de la réglementation.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quelles raisons ont conduit à la fermeture de cette sucrerie ?

M. Gérard Clay. La raison principale est très simple ; elle est liée à la chute globale de la production de betteraves pour des raisons économiques et réglementaires. Un agriculteur qui ne gagne plus sa vie avec la betterave essaie de se réorienter vers d’autres productions comme les légumes ou les pommes de terre dans le Nord par exemple. Tereos a un moment été au bord du précipice, mais a réussi à redresser la barre depuis trois ans et s’efforce de se développer en se désendettant, tout en rémunérant les coopérateurs.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Si les informations dont je dispose sont exactes, vous avez également procédé à des fermetures à l’étranger en 2021 et 2022.

M. Gérard Clay. Nous avons recentré les activités de Tereos et nous avons éliminé les foyers de pertes.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Sur les trois principales productions de betteraves, de cannes à sucre et de céréales françaises, quelle est la part des matières premières françaises qui transitent par vos sites français ?

M. Gérard Clay. La canne est à 100 % réunionnaise, la betterave et la luzerne 100 % françaises. Pour les céréales, qui représentent 3 000 tonnes, le taux est généralement de 100 %, à moins que la qualité ne soit pas au rendez-vous, ce qui nous oblige alors à réaliser quelques imports. Nous avons une usine d’amidonnerie à Bruxelles, d’où provient une partie de l’approvisionnement. Elle travaille naturellement avec des producteurs belges.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Il semblerait que vous disposiez de stocks importants de betteraves issues de la filière biologique et que vous refusiez d’en collecter cette année. Pouvez-vous nous en dire plus ? S’agit-il d’une décision conjoncturelle ou d’un choix au long cours ?

M. Gérard Clay. Nous avons essayé de développer la filière du sucre bio depuis quatre ans mais le marché n’a pas suivi. En conséquence, nous avons collecté les dernières betteraves bio à l’automne 2023 alors que nous n’avions pas écoulé le stock de l’année 2022. Nous avons dû, hélas, commercialiser une partie du sucre bio en sucre conventionnel, tant les marchés étaient surchargés. Nous reviendrons vers le bio, qui demeure une niche, si la demande est au rendez-vous.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Cette production était-elle destinée aux magasins bio ou à la grande distribution généraliste ?

M. Gérard Clay. Elle était destinée aux deux clientèles.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Il est frappant de constater que dans de nombreuses enseignes de magasins bio, il est très difficile de trouver du sucre blanc. Le consommateur est quasiment obligé de se fournir en sucre de canne d’Amérique du Sud. Existe‑t‑il une véritable volonté de développer en France le sucre blanc bio ?

M. Gérard Clay. Nous avons effectivement essayé de développer ce produit, mais le consommateur pense toujours que le sucre roux est plus sain, alors même que le sucre blanc représente la cristallisation la plus pure. Or on ne peut produire de sucre roux à partir de la betterave.

M. François-Xavier Beaury, administrateur de Tereos. Il s’agit simplement d’une question d’image : le consommateur estime que le sucre roux, le sucre de canne particulièrement, est plus pur que le sucre blanc.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Ces aspects suggèrent sans doute la nécessité de procéder à un travail de marketing sur les sucres bio dans leur ensemble.

Selon le rapport de FranceAgriMer, la filière sucre a augmenté ses capacités, et donc sa souveraineté, entre la période 2009-2011 et la période 2019-2021 : la production nationale de sucre a augmenté de 3 %, quand la consommation diminuait d’autant. FranceAgriMer conclut que le taux d’auto-approvisionnement de la France a augmenté de dix points en une dizaine d’années, passant de 159 % à 169 %. Pouvez-vous me fournir plus de détails à ce propos ?

M. Gérard Clay. Si les réglementations existantes devaient être maintenues en l’état, il n’y aurait certainement pas de perte de souveraineté. Mais notre propos incite à la vigilance. L’ouverture du marché européen à l’Ukraine, que j’ai précédemment évoquée, associée à l’imposition de conditions de production beaucoup plus coûteuses à nos coopérateurs, constitue un péril. Tereos a réalisé une année correcte l’année dernière et nous poursuivons notre désendettement ; nous continuons à développer notre outil et à le décarboner. En revanche, cela a un coût. Or si nous voulons réellement nous orienter vers une industrie et une agriculture décarbonées, il faut développer un marché protégé d’ici cinq à dix ans.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Le sujet de la jaunisse représente un des débats importants de la filière betterave sucre depuis maintenant quatre ans. Nous avons déjà auditionné la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) et l’ensemble de la filière sucre à ce propos. De votre côté, en tant qu’entreprise privée, quels moyens de recherche orientez-vous sur cette question ? Comment essayez-vous de résoudre le problème posé depuis l’interdiction de certaines molécules ?

M. Gérard Clay. Nous contribuons à la recherche de l’Institut technique de la betterave (ITB), auquel nous cotisons. Nous intervenons également en tant qu’acteurs du plan national de recherche et innovation (PNRI). Si nous ne menons pas de politique de R&D orientée sur la jaunisse, nous aidons nos coopérateurs à suivre les évolutions de populations de pucerons et leur indiquons le meilleur moment pour appliquer les solutions insecticides. À ce sujet, nous observons à nouveau cette année des vols importants de pucerons en mai, ce qui constitue une situation à risque.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Si je comprends bien, vous ne disposez pas de R&D.

M. Gérard Clay. Notre R&D porte sur les produits, notamment les produits d’amidon. Mais aujourd’hui, l’ensemble des sucriers concentrent leurs moyens sur l’ITB et contribuent au PNRI.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Les sucriers, entreprises privées, ne réalisent donc pas de R&D en interne sur le sujet de la jaunisse, qui a été délégué à l’ITB.

M. Gérard Clay. Nous agissons de la sorte pour tous les sujets agronomiques. Nous disposons d’un service de vulgarisation agronomique mais n’avons pas de service de recherche agronomique. De longue date, les membres de la filière, privés ou coopératifs, ont choisi ce mode de fonctionnement avec l’ITB.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez mentionné le thème de la souveraineté agricole. De notre côté, nous sommes quelques-uns à nous questionner sur la notion de souveraineté alimentaire, qui manque de clarté. Quelle serait votre définition de cette souveraineté agricole ? De quelle manière l’entendez-vous ?

M. Gérard Clay. La souveraineté agricole consiste à pouvoir fournir à nos concitoyens la production agricole pour leur alimentation et leurs besoins quotidiens. Il importe de souligner cet aspect car le citoyen français ne mesure pas non plus au quotidien tous les efforts fournis par les agriculteurs et les standards élevés auxquels ils doivent se conformer.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Votre définition se rapproche finalement de celle de la souveraineté alimentaire tel que le bon sens commun la conçoit. À travers vos réponses aux questions du président, j’ai bien cerné vos enjeux en matière de compétitivité au sein d’un monde très ouvert. Simultanément, vous nous avez fait part de votre volontarisme en matière d’objectifs de décarbonation. Il s’agit certes d’un enjeu, mais il convient malgré tout de rappeler que la Chine et les États-Unis représentent près de la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre, contre 7 % pour l’Union européenne et 1 % pour la France. Les investissements colossaux que vous allez réaliser, à hauteur de 1 milliard d’euros, constitueront une charge considérable pour votre entreprise. N’y a-t-il pas une contradiction entre votre volonté de demeurer compétitifs et votre volontarisme en matière de décarbonation, qui coûte extrêmement cher ?

M. Gérard Clay. Je suis également producteur de pommes de terre. Il y a quinze ans, McCain nous a demandé d’être certifiés. Cette certification a effectivement constitué une contrainte, mais elle nous a donné également un accès au marché. Aujourd’hui, la même question se pose en matière de décarbonation. Il s’agit d’une contrainte, mais aussi d’une manière de nous permettre d’accéder à des marchés, puisque le scope 3 de nos clients dépend de notre décarbonation. Le volet du financement importe également, dans la mesure où demain, des banques ne prêteront plus à des entreprises qui ne font pas l’effort de décarboner. De notre côté, nous n’avons pas le choix, raison pour laquelle la France et l’Europe doivent fournir un cadre pour travailler sur cette décarbonation.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Votre réponse est intéressante. Cette exigence de la part de vos clients est-elle imposée à tous les producteurs ? En effet, si cette condition devient une condition sine qua non pour accéder à des marchés, peut-elle devenir une protection vis-à-vis de la concurrence déloyale que vous avez dénoncée ?

M. Gérard Clay. Il s’agit là d’un sujet clé. L’Europe doit veiller à l’harmonisation des obligations dans chacun des pays. Par exemple, certaines sucreries fonctionnent encore au charbon en Europe, quand nous l’avons abandonné depuis longtemps, à la seule exception d’une petite usine. Puisque la décarbonation est en place, l’Europe doit appliquer des règles communes à tous les pays européens et nos clients devront alors payer à ce titre une prime sur ces sucreries décarbonées.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. J’ai du mal à comprendre qui impose cet objectif de décarbonation. S’agit-il de la réglementation européenne ? Si tel est le cas, est-elle suffisamment harmonisée ? Vous semblez en douter. S’agit-il du cahier des charges qui vous est imposé par vos clients ? Cette question me semble essentielle.

M. Gérard Clay. Les deux cas de figure existent. Une plus grande harmonisation doit intervenir. En Pologne, par exemple, de nombreux sites fonctionnent encore au charbon. Mais nous savons qu’il est nécessaire de décarboner pour ralentir le changement climatique. Nous sommes responsables et devons aussi apporter notre contribution à la décarbonation.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avant que cet investissement de 800 millions d’euros ne soit mis en œuvre, de quelle manière fonctionnent vos sucreries ? Quel procédé technique suscite une telle émission de carbone ? Quels moyens techniques allez-vous mettre en œuvre pour justement réduire ces émissions de carbone ?

M. Gérard Clay. Les sucreries et productions d’alcool sont très énergivores. Nous fonctionnions au charbon et sommes ensuite passés au gaz. Pour décarboner, nous allons utiliser des procédés mécaniques de compression de vapeur, qui consommeront moins d’énergie. Dans ce domaine, nous nous orientons vers l’électrification de nos sites. En revanche, nous n’utiliserons pas la pulpe de betterave, qui aurait pu servir à la production de méthane pour décarboner. Nous estimons en effet que cette production de pulpe issue de la betterave doit continuer à nourrir le bétail dans nos campagnes.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je comprends malgré tout que cet objectif de décarbonation représente un pari de votre part. Vous tablez sur des exigences accrues de la part de vos clients afin de vous garantir un marché que d’autres n’auront pas, puisque leurs modèles sont moins vertueux. Simultanément, vous constatez que la réglementation européenne s’applique difficilement à tout le monde. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Gérard Clay. Dans ma conclusion, j’ai rappelé la nécessité de repartir sur des formes de commerce loyal. Si l’on sort l’agriculture des accords de libre-échange, nous sommes capables de décarboner et de continuer à rémunérer nos productions agricoles.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je partage le fond de votre propos. En revanche, j’observe que la Pologne fait partie de notre marché unique.

Vous avez évoqué la très forte hausse des importations d’alcool en provenance du Pakistan. Considérez-vous que les règles de protection aux frontières du marché unique soient suffisantes ? Avez-vous pu mener une analyse à ce sujet ? Des taxes douanières existent-elles à l’heure actuelle ? Est-il envisagé de les modifier ?

M. Gérard Clay. Non, malheureusement. Nous demandons des clauses de sauvegarde depuis longtemps, sans jamais avoir été entendus. Nous sommes donc très inquiets. Quand cela va-t-il s’arrêter ?

Mme Morgane Estève, responsable des affaires publiques de Tereos. Les importations d’alcool en provenance du Pakistan bénéficient d’un règlement qui leur permet de ne pas payer de droits de douane.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Depuis quand avez-vous tiré le signal d’alarme sans avoir été entendus ? J’imagine que vous en avez parlé au Gouvernement et à la Commission européenne. De quelle nature étaient les réponses qui vous ont été apportées ?

Mme Morgane Estève. Des alertes ont été relayées depuis un moment auprès des représentants français, mais aussi des autres États membres, pour pouvoir activer cette clause de sauvegarde, puisqu’il s’agit d’un règlement européen. Désormais, la situation commence à évoluer, certains pays, dont la France, ayant pris la mesure de la problématique. Des demandes émanent donc des États membres, mais rien ne s’applique encore concrètement. Dès lors, les importations continuent à pénétrer le marché. Nous demandons à nouveau auprès de la Commission européenne que l’activation de cette clause de sauvegarde intervienne le plus rapidement possible.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. S’agissant de la filière bio, nous avons échangé avec des acteurs du miel qui nous ont indiqué qu’il était tout à fait possible de produire sans néonicotinoïdes, puisque leurs cahiers des charges comportent déjà cette interdiction. Dans votre filière bio, la production peut-elle être rentable sans ces néonicotinoïdes ?

M. Gérard Clay. La production représente 85 tonnes en rendement conventionnel et à peu près la moitié en bio. Cela signifie que le sucre bio devrait être vendu beaucoup plus cher, mais le consommateur n’est pas prêt à payer plus.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez expliqué que le sucre roux bio était plus vendeur. Dans ce cas, pourquoi ne pas mettre en place une filière de sucre de canne bio pour répondre à cette demande à partir de la production réunionnaise ?

M. Gérard Clay. Dans notre gamme, nous proposons du sucre qui vient de La Réunion, le sucre La Perruche.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Ce produit trouve-t-il son marché ? Permet-il de satisfaire les besoins de la consommation de sucre bio en France ?

M. Gérard Clay. Je précise que ce sucre est roux, mais qu’il n’est pas bio. À La Réunion, les conditions de culture sur des sols accidentés et pentus ne permettent sans doute pas de produire en bio, car ces terrains nécessitent un désherbage avec des produits chimiques.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Au-delà de la question du marketing, nous comprenons que les coûts de production du sucre bio sont nettement plus importants que ceux du sucre conventionnel, entraînant un décrochage en raison de la concurrence des importations. Or je rappelle que le cahier des charges du bio à l’étranger ne comporte pas les mêmes obligations que celles que vous devez respecter. La difficulté se situe bien là.

M. Gérard Clay. Effectivement, il s’agit d’un problème majeur. Nous ne connaissons pas les standards bio pratiqués à l’étranger.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez évoqué la fermeture de la sucrerie d’Escaudœuvres en raison de la situation de la production. Si demain, les conditions du marché de la betterave étaient stabilisées et les perspectives plus engageantes, cette sucrerie pourrait-elle éventuellement rouvrir ?

M. Gérard Clay. Non, cette sucrerie ne rouvrira pas. Le site a été vendu à un producteur belge de frites qui s’est installé en France. Cette usine n’avait pas non plus vocation à redémarrer car ses coûts de fonctionnement étaient trop élevés, notamment en raison de sa consommation d’énergie supérieure à celle des autres sites. De plus, le marché européen n’est pas élastique et notre production actuelle suffit pour répondre à la demande.

Il est beaucoup question de la réindustrialisation de la France, mais je me dois de souligner que celle-ci n’intervient pas dans l’agroalimentaire. Ce retard sera source de problèmes. Donnez-nous aujourd’hui les moyens de construire la réindustrialisation alimentaire de demain.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous nous avez appris l’ouverture d’un site de transformation de la pomme de terre, sachant que ces sites sont trop peu nombreux en France. Je retiens de vos propos que l’outil de transformation de la betterave est fragile et pourrait être à la merci d’une période compliquée. L’ensemble d’une région de production pourrait alors s’éteindre.

M. Gérard Clay. Dans ce cas précis, nous n’avons abandonné aucun coopérateur. Leurs productions ont été réorientées vers d’autres usines situées à une cinquantaine de kilomètres. Les salariés qui travaillaient dans cette usine ont été repris dans les autres usines environnantes.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez évoqué la nécessité que les produits agricoles soient exclus des traités de libre-échange, ce qui revient à une forme d’« exception agriculturelle ». Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où votre filière est tournée vers l’export.

M. Gérard Clay. Je pense qu’il faut aborder le problème de manière globale. Sortir des accords de libre-échange ne signifie pas non plus supprimer les exportations de produits, à partir du moment où ils sont produits dans des standards semblables aux nôtres. Lorsqu’il est question de la remise en cause des accords de libre-échange, on entend souvent parler de la filière du vin. Cette dernière peut certainement nous apporter quelques solutions.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’extraire l’ensemble de l’agriculture des accords de libre-échange ; je pense notamment au vin.

S’agissant de la diversification de votre secteur, la production de bioéthanol constitue une alternative éventuelle à la décarbonation de nos carburants. Pouvez-vous nous présenter cette production, l’intérêt associé et surtout nous dire si elle a un avenir ? Est-elle économiquement compétitive face aux énergies fossiles ?

Mme Morgane Estève. La production de bioéthanol soutient la production agricole puisqu’il s’agit d’un des débouchés de la betterave, lui offrant une valorisation supplémentaire. Les intérêts sont multiples : la production de bioéthanol s’accompagne de coproduits qui peuvent servir ailleurs, par exemple des protéines pour l’alimentation animale. Nous observons une progression de l’usage du bioéthanol dans les essences de type E10 ou E85. Ici aussi, nous contribuons aux objectifs de décarbonation au niveau français et européen.

M. Gérard Clay. Compte tenu de l’abandon des moteurs thermiques, un des enjeux consiste à réorienter la production d’éthanol vers d’autres usages, comme la carburation des avions. Malheureusement, la réglementation européenne ne permet pas d’utiliser des éthanols de première génération en tant que carburant durable d’aviation (CDA ou SAF, Sustainable Aviation Fuel), alors que les États-Unis l’autorisent. Ce faisant, nous laissons les États-Unis alimenter le « kérosène vert » alors que nous ne pourrons pas y accéder.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez évoqué la question des molécules chimiques. Les restrictions en matière de molécules sont-elles appliquées de manière uniforme sur tout le territoire français ou existe-t-il des adaptations, notamment en outre-mer ?

M. Gérard Clay. Le problème tient au fait que la surface de canne est très réduite en France. Par conséquent, les firmes ne veulent pas réaliser des études d’homologation pour des produits qui concernent des surfaces aussi limitées.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Certes, mais les interdictions de molécules ne prennent pas en compte ces productions limitées qui ne sont pas en mesure d’avoir accès à des alternatives.

Il est souvent question de surtranspositions. Avez-vous analysé des difficultés spécifiques en la matière ? La France impose-t-elle des conditions plus strictes que celles qui ont cours au niveau européen ? Cela vous met-il en difficulté sur vos sites de production ? Avez-vous identifié cet enjeu ?

M. Gérard Clay. Le discours officiel de la France est « pas d’interdiction sans solution », mais il n’est pas appliqué dans les faits : parfois des interdictions sont prononcées sans disposer de solutions. L’exemple type nous est fourni à ce titre par les NNI. Je rappelle que certains pays voisins continuent d’utiliser l’acétamipride, qui est interdit chez nous.

La France veut toujours faire mieux, ce qui la conduit à surtransposer. J’invite ceux qui se réfugient derrière les dogmes à venir dans les champs constater les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il faut nous donner les solutions pour nous permettre de produire correctement.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Pour en revenir à la décarbonation en matière industrielle, les objectifs français sont-ils vraiment alignés sur la réglementation européenne ou sont-ils soumis à des contraintes plus lourdes ? Si l’année 2020 devait se reproduire, la pérennité de certains de vos sites en France serait-elle mise en péril ? Vous avez souligné que la population de pucerons était bien plus importante cette année, faisant peser une incertitude sur la production récoltée.

M. Gérard Clay. Oui, très clairement. J’ai d’ailleurs déjà évoqué le sujet avec le ministre de l’agriculture. En 2020, le site qui a été le plus touché a été celui d’Artenay, dans le Loiret. Certains agriculteurs ont eu des rendements de 20 tonnes de betteraves à l’hectare, quand la moyenne est de 80 tonnes à l’hectare. Ces coopérateurs appréhendent désormais de débuter des années betteravières. Si l’année 2024 devait se reproduire, nous sommes particulièrement inquiets pour ce site, qui est aujourd’hui le plus vulnérable.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Estimez-vous que l’appareil industriel fait l’objet de surtranspositions ?

Mme Morgane Estève. Sur le plan industriel, nous pouvons être confrontés à des problématiques de réglementations additionnelles au niveau français. Des aspects liés à la fiscalité ou à l’énergie peuvent entrer en compte et obérer la compétitivité des entreprises françaises vis-à-vis de concurrents, à l’image de la Pologne, dont nous avons parlé au sujet de l’utilisation de charbon. Il existe ainsi des réglementations industrielles ou sanitaires spécifiques en France, par exemple en matière d’eau.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je vous avoue éprouver des difficultés à comprendre votre stratégie en matière de décarbonation. Vous indiquez que les objectifs que vous vous êtes assignés en la matière et les investissements colossaux engagés à cet effet répondent à une demande de la clientèle. Avez-vous des demandes précises, avec un échéancier précis, de la part de vos clients qui vous imposent des éléments spécifiques ? À l’inverse, pariez-vous sur une exigence future de vos clients en la matière ?

Surtout, avez-vous le sentiment que ces investissements pour réduire vos émissions de carbone vous permettront de faire la différence vis-à-vis de vos concurrents ? En effet, l’horizon d’une neutralité carbone en 2050 est établi comme un objectif global, mais peut-on nous assurer que tous les acteurs entreprendront de telles démarches ? D’autre part, le retour sur investissement sera-t-il réel ? En avez-vous identifié la sécurité, ou ces investissements répondent-ils plutôt à une trajectoire imposée par le Green Deal ? Je rappelle que celui-ci est de plus en plus remis en cause et que, d’un point de vue général, de nombreux efforts ont été réalisés en matière de décarbonation en France. Puisque des pays comme la Chine ou les États‑Unis ont montré que ces objectifs ne constituaient pas leur priorité, ne faudra-t-il pas réajuster la trajectoire ?

M. Gérard Clay. Le retour d’investissement sur ces 800 millions d’euros sera fonction du prix du gaz. Plus celui-ci sera faible, plus le retour sur investissement sera long. Nous ne disposons pas d’échéanciers de la part de nos clients, mais ils nous demandent d’agir en faveur de la décarbonation.

Pour notre part, nous estimons que s’il est de notre responsabilité d’agir dans ce domaine, il revient également aux pouvoirs publics de nous placer dans un environnement nous permettant de commercer loyalement. Si les portes restent ouvertes comme elles le sont actuellement en faveur de l’Ukraine et du Pakistan, nous ne pourrons pas y arriver. Nous nous demandons donc ce que l’Europe et les pouvoirs publics français veulent faire de notre agriculture.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Auparavant, le marché unique avait pour objet de s’assurer de sa protection. Désormais, nous constatons que toutes ces protections sautent les unes après les autres. Le cas du Pakistan est emblématique. Nous observons que les traités de libre-échange créent des couloirs d’importation en direction du marché unique.

De la même manière, au sein du marché unique, il n’existe pas de barrières. Si la Pologne poursuit son développement avec ses centrales à charbon, il ne sera pas possible de lutter à armes égales. De fait, votre demande de protection en échange de vos efforts n’est guère discernable à court terme. Le cas de l’Ukraine est à ce titre assez révélateur. Le contingent désormais établi est plus de dix fois supérieur à celui qui existait au préalable, avant la guerre. Ne craignez-vous pas que la contrepartie de protection que vous demandez ne voie jamais le jour ?

M. Gérard Clay. Le mouvement récent des agriculteurs ne s’est pas limité à la France, ce qui montre bien que le malaise agricole s’est propagé partout en Europe. Les mesures de simplification administrative, les aides aux agriculteurs en difficulté sont certes importantes mais elles ne permettent pas d’aborder le problème fondamental, celui du revenu de l’agriculture et donc de l’industrie agroalimentaire. Or celui-ci ne tient que par le contrôle aux frontières de l’Europe et la nécessité de revenir à une approche sensée et pragmatique dans les approches commerciales.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous estimez que l’augmentation des coûts de production en raison des démarches vertueuses empruntées pour parvenir à la décarbonation est viable dans le cadre d’un marché protégé. Cependant, elle nourrit l’inflation des produits alimentaires, que le débat public nous demande de limiter. N’y voyez-vous pas une contradiction ?

M. Gérard Clay. L’inflation alimentaire a effectivement fait l’objet de nombreux débats ces derniers mois. Cependant, je ne crois pas que la décarbonation, dans le cadre d’un marché modérément ouvert, influe réellement sur les prix de l’alimentation. Dernièrement, le cours de la betterave était meilleur, mais il n’a pas pour autant entraîné de flambée des prix pour le consommateur.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Je souhaite revenir sur les produits de traitement des betteraves. Élu d’une circonscription dotée de nombreux producteurs de betteraves, je suis bien conscient des difficultés auxquelles vous faites face. Lorsque nous avons reçu les représentants des producteurs de miel, l’un des auditionnés nous a montré les dégâts que certains produits, maintenant interdits, occasionnent chez les abeilles.

Comment, du point de vue des producteurs, prenez-vous en compte la baisse avérée de la biodiversité, qui est objectivée par les chiffres ? On ne peut la contester, à moins d’adopter une forme de négationnisme vis-à-vis de la science.

N’existe-t-il pas une urgence à protéger cette biodiversité en protégeant les sols ? L’interdiction d’un certain nombre de produits n’est-elle pas nécessaire, même si elle occasionne des difficultés ?

M. Gérard Clay. Il est effectivement beaucoup question d’écologie. Mais vous devez savoir que nous vivons dans les champs. Nous sommes donc les premiers à respecter notre environnement. J’ai tout intérêt à ce que mon sol soit vivant, ce qui implique de maintenir une biodiversité, la présence de vers de terre, de caramboles. Plus globalement, les paysans ont tout intérêt à protéger leurs sols.

Le problème de la disparition des produits phytosanitaires ne peut se réduire à la question des abeilles. L’enjeu est beaucoup plus large. Il aurait fallu anticiper, par exemple en indiquant il y a cinq à dix ans aux semenciers qu’il serait nécessaire d’abandonner les NNI et leur demander de trouver des variétés résistantes aux pucerons. Depuis quelques années, ils effectuent ce travail, mais deux à trois ans seront nécessaires pour y parvenir.

La question porte aujourd’hui sur les nouvelles techniques de sélection des plantes (NGT), qui tardent à être mises en œuvre au niveau européen. Ces NGT accéléreraient la recherche et permettraient de produire des plantes résistantes aux pucerons. Derrière cette restriction de l’application de produits phytosanitaires figure la gamme des herbicides, fongicides et insecticides. Aujourd’hui, en Europe, tous les produits les plus dangereux sont écartés.

Il nous faut de la chimie, à la fois pour produire des médicaments et pour protéger nos plantes. Naturellement, son utilisation doit être responsable. Mais les agriculteurs le sont.

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La commission procède à l’audition de M. Philippe Gelin, président-directeur général du groupe LDC, et M. Sébastien Verdier, directeur marketing pôle volaille.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous accueillons maintenant M. Philippe Gelin, président-directeur général du groupe LDC, et M. Sébastien Verdier, directeur marketing du pôle volaille. Le groupe LDC est un des premiers industriels européens de la transformation de la volaille, et vous êtes plus directement connus par les consommateurs à travers des marques comme Le Gaulois, Loué, Maître CoQ, Marie. Nous avons reçu le 28 mars dernier les représentants de l’Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair (ANVOL) et nous souhaitons avoir le point de vue plus direct d’un industriel, dans la mesure où la filière volaille fait l’objet de nombreux débats depuis maintenant plusieurs mois dans le paysage agricole européen.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Philippe Gelin et Sébastien Verdier prêtent serment.)

M. Philippe Gelin, président-directeur général du groupe LDC. Le groupe LDC est une entreprise familiale aujourd’hui détenue à 70 % par les quatre familles qui ont construit le groupe au fil du temps. Le groupe a débuté avec des pièces entières mais s’est très vite développé vers des découpes, mais aussi des produits élaborés de volailles pour accompagner la demande des consommateurs. Ces produits représentent aujourd’hui 85 % de nos activités contre 14 % pour les produits entiers. Notre groupe a grandi, à la fois par croissance organique, et par croissance externe. Nous avons aussi diversifié nos métiers en allant vers le métier de traiteur et notre projet porte sur la reconquête des importations.

Le groupe LDC est aujourd’hui le numéro un de la volaille en France et un des leaders en Europe, l’activité se répartissant entre 85 % pour la volaille et 15 % pour la partie traiteur, où nous possédons de fortes positions dans un certain nombre de familles, dont les plats cuisinés, les sandwichs ou les pizzas. LDC est aujourd’hui le numéro deux français derrière Lactalis et devant Bigard. Le chiffre d’affaires de l’exercice qui s’est clos fin février s’élève à 6,2 milliards d’euros, sur plus de 100 sites et 25 000 collaborateurs, dont 20 000 en France. Chaque mois, nous travaillons avec 6 500 éleveurs en France et 8 300 éleveurs en Europe, où nous investissons 300 millions d’euros chaque année, dont 250 millions d’euros en France. Au titre de l’intéressement et de la participation, nous sommes aussi fiers de pouvoir redistribuer 57 millions d’euros à nos salariés chaque année.

Nous disposons d’un pôle amont, en relation avec la production de volailles vivantes : nous procédons au stockage de céréales, nous fabriquons des aliments pour nourrir les animaux, nous possédons des couvoirs pour faire naître des poussins. Nous menons également une activité d’œufs de table, sous les marques Matines et Loué. Nos activités sont implantées en France, mais également à l’international dans quatre pays, la Pologne, la Hongrie, la Belgique et le Royaume-Uni. Notre activité traiteur s’oriente de plus en plus vers des produits prêts à l’emploi, tels que les consommateurs nous les demandent aujourd’hui. Notre organisation est fondée sur la souplesse, la réactivité et l’autonomie dans chacun des sites, afin de former un groupe d’entrepreneurs orientés vers l’action.

Notre stratégie consiste à agir avec nos territoires et dans le cadre de notre politique RSE. Cela concerne l’élevage durable et le bien-être animal, mais aussi une politique de « mieux vivre ensemble » qui porte par exemple sur l’objectif de zéro accident d’ici dix ans dans nos entreprises, la diminution de la consommation d’énergie, la diminution des emballages et la bonne nourriture de nos consommateurs. À cet effet, nous disposons de dix-huit indicateurs de pilotage communs à chacun des sites.

La souveraineté alimentaire se traite au niveau de la France. Le Président de la République a souligné le 12 mars 2020 que « déléguer notre alimentation à d’autres est une folie. Nous devons construire plus encore que nous ne faisons déjà une France souveraine. » Le 26 avril 2024, il a fait de l’agriculture le cinquième segment stratégique pour la France, en favorisant une meilleure protection des prix des produits européens, un contrôle de la qualité des produits qui entrent en Europe, tout en renforçant les exportations européennes.

Nous sommes satisfaits de voir que le ministère de l’agriculture s’appelle désormais le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. La matière est le noyau dur de cette démarche, qu’il s’agisse de son accessibilité, de sa disponibilité, de sa qualité, mais également de sa durabilité, c’est-à-dire le fait de produire tout en respectant notre environnement.

La souveraineté alimentaire débute selon nous par des volailles nées, élevées et préparées en France. La consommation de volaille progresse à la fois en Europe et en France, à raison de trois kilos par habitant dans notre pays en vingt ans, soit 341 000 tonnes de consommation de carcasses locales. L’année 2023 a enregistré une croissance de 3,4 % par rapport à 2022.

La volaille progresse en raison de son prix – il s’agit de la viande la plus compétitive – ; de sa valeur nutritionnelle ; de la diversité des espèces, une spécificité française ; de la taille de la clientèle ; de la diversité dans les moments de consommation – du petit-déjeuner au dîner – et par son bilan carbone, puisque la viande de volaille est la viande la moins productrice de gaz à effet de serre. Sur le podium des attentes des consommateurs figure en premier lieu le prix, devant l’origine et un poulet évoluant à l’extérieur, ce qui induit naturellement un coût supplémentaire.

Vers quel modèle agricole voulons-nous aller ? Le bilan de la filière sur les vingt dernières années est alarmant. Dans un contexte de fort développement de la production de volaille dans l’Union européenne (+ 39 %), la France est le seul pays européen à avoir diminué sa production de 23 %. Son taux d’autosuffisance s’établit aujourd’hui à 80 % quand il était de 140 % il y a vingt ans. La France a donc perdu donc sa souveraineté alimentaire en matière de production de volaille et ce sont les importations qui soutiennent la consommation de volaille en France.

Le monde agricole de la volaille en France est constitué par 14 000 élevages, dont 5 400 en Label rouge et 11 000 en production bio. La moyenne d’âge des agriculteurs s’établit à quarante-huit ans, soit presque dix ans de moins que les agriculteurs d’autres productions. La taille moyenne des élevages est très faible : en label, elle est d’environ 1 280 mètres carrés par exploitation, puisque le maximum autorisé est de quatre bâtiments par ferme ; en conventionnel, deux bâtiments d’une surface de 2 300 mètres carrés, ce qui représente environ 40 000 à 45 000 volailles par ferme.

La consommation continue donc de se développer, mais malheureusement, depuis vingt ans, l’importation en est la seule bénéficiaire. Aujourd’hui, il est nécessaire de se demander de quel modèle agricole la France veut se doter. Au-delà des modèles thaïlandais, ukrainien ou brésilien, le modèle de l’Europe de l’Est propose des tailles d’élevage supérieures à celles qui existent dans notre pays. En Ukraine, au Brésil ou en Asie, une seule ferme peut être composée de près de quarante bâtiments de 2 500 mètres carrés chacun, accueillant 1,7 million de poulets simultanément, soit au total 11 à 12 millions de poulets produits par an. En Ukraine, il est possible de trouver dix fermes de ce type dans un rayon de trente kilomètres, à proximité d’abattoirs du groupe MHP, pour un total plus 200 millions de poulets chaque année, soit 4 millions de poulets par semaine. Par comparaison avec ce modèle productiviste, le modèle français est fondé sur des exploitations de petite taille. Par exemple, le groupe LDC produit chaque semaine 4 millions de poulets.

En termes de coûts de production de volaille vivante, la France est 28 % plus chère que l’Ukraine et 36 % plus chère que le Brésil. Par ailleurs, la filière volaille est très variée en France, puisque nous produisons à la fois du poulet, mais aussi du canard, de la dinde, de la pintade, des cailles, des pigeons. De plus, le système de contractualisation est particulier à la France, permettant à l’éleveur de connaître son prix de poussins, son prix pour les aliments et le prix de reprise. Cette contractualisation offre aux éleveurs la liberté de se concentrer sur la performance technique. Le risque de la volatilité des coûts des matières premières est pris en charge par l’opérateur de transformation.

Pourquoi chercher à valoriser un modèle français origine France ? Les raisons sont multiples, allant des enjeux socio-économiques à la santé publique, en passant par le patrimoine gastronomique et la préservation de la planète. La France exporte 300 000 tonnes de volaille, mais en importe 600 000 tonnes. Nous exportons essentiellement des produits de spécialité, comme le poulet de France Poultry qui part directement vers l’Arabie saoudite, pour 70 000 tonnes annuelles ; mais nous importons surtout des produits de préparation de viande ou bien des viandes, notamment le filet qui est surconsommé en France par rapport à d’autres parties du poulet.

Quelles sont nos propositions ? En France, le groupe LDC, avec ses marques Le Gaulois, Maître CoQ et Marie, affiche l’origine depuis vingt ans. Nous sommes convaincus que l’affichage des origines constitue une solution pour permettre aux consommateurs d’être informés correctement. Il nous faut aussi réserver le drapeau bleu, blanc, rouge aux produits nés, élevés, abattus et transformés en France. Cela nous semble indispensable.

Il importe donc de rendre obligatoire et faire respecter l’affichage de l’origine, grâce à des contrôles, à la fois en grandes et moyennes surfaces (GMS), en restauration commerciale ou collective, sur des produits crus et sur des produits cuits. Nous souhaitons également que les appels d’offres des marchés publics permettent d’imposer des produits locaux, des produits français, sous signes officiels de qualité ; nous voulons également arrêter la transposition des textes européens.

Nous proposons l’étiquetage obligatoire de l’origine en face avant, systématiquement. Le logo de la volaille française est porté par l’association des produits agricoles de France, qui garantit le « né, élevé, abattu en France ». L’objectif consiste à permettre une lecture identique entre les filières et à donner aux consommateurs la possibilité de faire un choix éclairé, en confiance.

La déclaration d’origine constitue pour nous le premier levier de développement de la consommation domestique pour défendre la production française et donc le revenu agricole, dont les composantes sont le prix et la rotation, c’est-à-dire les volumes de production. Par ailleurs, la France importe plus de trois millions de tonnes de soja par an. Il nous faut donc développer des matières premières riches en protéines comme la féverole ou le pois et développer de nouvelles filières de production de tourteaux de tournesol « high pro ».

Les volailles françaises consomment également des céréales françaises, des vitamines, des oligo-éléments, des acides aminés, des minéraux. À ce sujet se pose aujourd’hui le problème de Metex, une entreprise du nord de la France actuellement en procédure de sauvegarde. Il est important que nous soyons autonomes dans la production de ces petits ingrédients si nous ne voulons pas devenir complètement dépendants de la Chine et de l’Asie.

Il nous faut également continuer à travailler et conserver notre patrimoine génétique, tout en sanctuarisant le modèle agricole français, la polyculture et l’élevage. L’acceptabilité sociétale des élevages doit être sanctuarisée dans un pacte sociétal avec le citoyen français pour protéger les éleveurs et l’industrie des activistes. L’intrusion ou le risque sanitaire sont interdits, mais demeurent pourtant peu sanctionnés.

Il faut aussi faciliter l’instruction des dossiers de construction et l’installation de poulaillers. Le renouvellement générationnel passe par une filière qui défend sa souveraineté : si les jeunes générations d’éleveurs ne le ressentent pas, il sera difficile de les motiver pour qu’ils reprennent les exploitations agricoles. Il nous faut maintenir également une rémunération motivante pour les éleveurs afin de permettre la succession de ces fermes et la reprise des exploitations. Il faut qu’ils aient un avenir et un futur. Les élevages doivent aussi s’agrandir et être rénovés, car ils vieillissent. Il nous faut construire, de façon à gagner en compétitivité et en performance par la mise à jour des outils de production.

En outre, il est nécessaire de poursuivre la simplification des démarches administratives et la décarbonation de la filière. Cela passe par la performance en élevage, l’amélioration génétique, l’évolution des composants pour l’alimentation animale, c’est-à-dire des protéines produites et disponibles localement. Mais nous devons également continuer à améliorer nos process et, enfin, protéger la dénomination « viande ».

Parmi les solutions à mettre en œuvre figure un plan que nous avons chiffré à 2 milliards d’euros pour l’accompagnement de ce développement, avec un objectif de reconquête d’environ 20 % des importations, soit 160 000 tonnes d’équivalents carcasse. Nous n’avons pas attendu un plan d’État pour prendre nos responsabilités : nous avons établi un plan de 1 milliard d’euros sur quatre ans pour accompagner cette transformation, cette spécialisation et ce retour à la performance de nos outils industriels.

Au niveau européen, la souveraineté doit être concrétisée et les clauses miroir des accords commerciaux doivent enfin être appliquées. Les quotas doivent également être réduits dans le cadre de ces accords et il faut assurer la transparence et la traçabilité. Je voudrais que le consommateur européen, quand il achète un produit cru ou transformé, sache que la viande a été produite au Brésil, en Ukraine ou en Asie. Aujourd’hui, cela n’est pas le cas. De fait, ne pas importer des produits qui ne respectent pas nos règlements de production internes à l’Europe est à la fois essentiel et logique si nous voulons défendre l’agriculture locale.

Enfin, il importe d’intégrer la viande de volaille, les œufs et les nouveaux produits importés depuis les pays tiers dans le champ d’application du règlement européen sur la déforestation importée. Aujourd’hui, un poulet brésilien importé en Europe peut avoir consommé du soja issu de la déforestation sans que nous ne le sachions.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Le tableau que vous avez transmis recoupe à peu près les données de FranceAgriMer. Me confirmez-vous que les taux d’autosuffisance correspondent bien aux taux d’auto-approvisionnement, d’un point de vue technique ?

M. Philippe Gelin. Il s’agit des volumes bruts de production par rapport à la consommation.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous savons que notre taux d’autoapprovisionnement diminue en France. D’après FranceAgriMer, cette diminution ne provient pas d’une chute de la production, mais d’une incapacité à suivre l’explosion de la consommation. Selon son rapport sur la souveraineté alimentaire publié récemment, la production de volailles a augmenté de 12 % en France entre la période 2009-2011 et la période 2019-2021, quand la consommation s’est accrue de 46 %. Partagez-vous cette observation ?

M. Philippe Gelin. Notre document indique que la France est passée de 2 millions de tonnes de volailles produites en 2003 à 1,550 million de tonnes vingt ans plus tard. Dans le même laps de temps, la Pologne est passée de 850 000 tonnes à 3 millions de tonnes. En revanche, en poulets, elle est passée de 1 million de tonnes à 1,159 million de tonnes. Pour la dinde, le taux d’autosuffisance français était très supérieur, puisqu’en 2003, nous exportions énormément. Mais notre production de dinde est passée de 632 000 tonnes à 252 000 tonnes.

La baisse s’explique donc surtout par la baisse de production de dinde, étant donné que les pays limitrophes sont devenus presque autosuffisants dans ce domaine. En revanche, la production globale de volaille a bien diminué sur cette période de vingt ans.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Pouvez-vous expliquer la différence technique dans les chiffres recensés pour les poulets, les volailles et les dindes ?

M. Philippe Gelin. La « volaille » correspond à toutes les volailles confondues, selon les chiffres de l’association des volaillers européens, basée à Bruxelles. Le « poulet » ne correspond qu’au format gallus, qui regroupe à la fois le poulet standard et le poulet fermier ; il en va de même pour la « dinde », qui réunit à la fois la dinde dite standard et la dinde fermière. Il existe d’autres familles, le canard ou la pintade, dont les productions sont bien moins élevées.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Nous interrogerons FranceAgriMer sur le contenu de l’appellation « volaille » dans ses tableaux. Quoi qu’il en soit, la tendance sur vingt ans en matière d’autosuffisance est négative en France.

La comparaison avec les autres pays européens fait apparaître des manquements au sein de la filière en France. Au-delà de la hausse très importante en Pologne, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont su maintenir leur production, voire la renforcer. La France n’a-t-elle pas délaissé cette filière au profit d’autres ? La filière de la volaille française ne doit-elle pas réaliser une forme d’autocritique à la lumière de ces exemples étrangers ?

M. Philippe Gelin. Les raisons sont multiples. Nous portons naturellement une part de responsabilité, mais les pays que vous avez cités ont également bénéficié de la volonté des pouvoirs publics en matière de souveraineté alimentaire. Le redressement de l’Allemagne est éclairant puisqu’elle est passée d’un taux d’autosuffisance de 74 % à 97 % désormais.

Dans le détail, les entreprises Doux et Tilly avaient concentré leur activité vers le grand export. Ces volumes entraient dans le taux d’autosuffisance global alors qu’ils n’étaient pas destinés à la France. Ces entreprises ont disparu, à l’exception de Doux, qui a été repris par des capitaux saoudiens, le groupe Almunajem, et commercialise des poulets à destination de ce pays.

Ensuite, la production française de dindes a été divisée par quatre, passant de 2,3 millions par semaine à 600 000, dans un environnement où la consommation de produits à base de dinde a plutôt tendance à se réduire, du fait d’un écart de prix avec le poulet qui s’est agrandi. La consommation française est tirée par les importations, dont le prix est inférieur aux coûts de production français. Quand l’origine n’est pas mentionnée, le consommateur pense avec son portefeuille et va au moins cher. J’ai confiance dans le consommateur français, qui, s’il est véritablement informé sur la provenance des produits, acceptera de payer quelques centimes de plus pour acheter un produit français, à la traçabilité claire. Depuis que la marque Marie a affiché la provenance des produits, elle a vu ses parts de marché progresser.

M. Sébastien Verdier, directeur marketing du pôle volaille du groupe LDC. Il faut également souligner que depuis une vingtaine d’années en France, la consommation de volailles s’est développée sur la partie hors domicile – la restauration principalement – plus que sur la consommation à domicile. Or les volailles d’importation sont surtout positionnées sur ce segment.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Combien de sites de production le groupe LDC possède-t-il en France ?

M. Philippe Gelin. Au total, il y a entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq sites en France, tous produits confondus.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Au cours des dernières années, la tendance a-t-elle été à l’ouverture ou la fermeture de sites ?

M. Philippe Gelin. Nous avons plutôt procédé par croissance externe, en rachetant des sites, à travers les différentes sociétés que nous avons reprises. Nous avons malheureusement dû fermer des sites, à la marge, puisqu’ils sont au nombre de deux sur un total de quatre-vingt-cinq.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Avez-vous créé spécifiquement des sites de production ?

M. Philippe Gelin. La dernière création date de 2000. Aujourd’hui, face aux difficultés que nous rencontrons, il est important pour nous de maintenir nos sites, quitte à les transformer. Par exemple, un abattoir peut devenir un outil de production pour les produits élaborés.

M. le président Charles Sitzenstuhl. L’entreprise Tereos, que nous venons d’auditionner, nous a confirmé que la réindustrialisation de la France ne concerne pas réellement le secteur agroalimentaire.

Face à la croissance de la consommation, qui devrait se poursuivre pour des raisons sociétales, la production de volaille augmente trop faiblement. Comment combler notre retard et accroître notre production sans procéder à l’ouverture de nouveaux sites ? Les gains de productivité suffiront-ils ?

M. Philippe Gelin. Nous investissons pour faire évoluer les sites déjà existants et améliorer leur productivité, conserver l’emploi local et nos savoir-faire. Cette action concerne à la fois les produits traiteurs, les produits élaborés et les activités d’abattage de volailles. Nous faisons également évoluer les sites au moyen de la spécialisation par espèce et par type de volaille, comme cela se fait ailleurs en Europe, pour pouvoir livrer tel ou tel type de clients : nous ne livrons pas la restauration avec le même outil que celui qui dessert les grandes surfaces.

M. le président Charles Sitzenstuhl. En France, quelle est la part d’approvisionnement nationale française de votre groupe selon les produits ?

M. Philippe Gelin. Nous avons discuté de ce sujet avec les éleveurs aux mois de janvier et février. Aujourd’hui, dans le domaine de la volaille et des viandes, nous importons 28 000 tonnes et exportons 92 000 tonnes de produits français, principalement en Europe, en sachant que notre production totale représente 1,1 tonne par an.

Quand nous avons repris l’entreprise Marie il y a quinze ans, l’intégralité de la matière première poulet était brésilienne ou thaïlandaise. En 2013, j’ai pris la décision de passer en origine France, ce qui nous a coûté initialement 3 millions d’euros par année. Aujourd’hui, nous sommes très heureux d’avoir agi de la sorte : la marque Marie s’est développée, en ayant clairement identifié l’origine de ses produits. Le même choix de l’origine a été établi il y a vingt ans pour la marque Le Gaulois. De même, l’intégralité de la production Loué, Maître CoQ et Label rouge est française.

Par ailleurs, nous avons repris en 2015 une entreprise qui travaillait à destination de la restauration et qui elle aussi importait l’intégralité de ses poulets du Brésil ou de la Thaïlande. Aujourd’hui, 53 % du poulet utilisé est d’origine française. Encore une fois, nous considérons que l’origine France est un facteur de succès, à condition d’en informer le consommateur et de conserver un contact proche avec nos clients.

M. le président Charles Sitzenstuhl. À quoi servent les 28 000 tonnes importées ?

M. Philippe Gelin. Elles sont utilisées pour des produits élaborés, principalement à destination des marques de distributeur (MDD).

M. le président Charles Sitzenstuhl. Votre site internet présente votre portefeuille de marques. Vous mettez notamment en avant les volailles de la marque Nature & Respect, dont l’alimentation est « 100 % végétale et sans OGM ». Cela signifie-t-il que vous utilisez des OGM dans les autres produits ?

M. Sébastien Verdier. L’alimentation des volailles comporte une part de protéines et une part de soja, qui peut être du soja conventionnel ou du soja garanti sans OGM. La marque Nature & Respect est destinée à l’exportation de spécialités françaises et de volailles élevées en plein air.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Cette marque commercialise-t-elle des volailles crues ou des produits transformés ?

M. Sébastien Verdier. Il s’agit principalement de volailles crues, soit en pièce entière, soit en découpe, élevées en plein air, plus précisément « sortant à l’extérieur ».

M. le président Charles Sitzenstuhl. Vous possédez également la marque Drosed, liée à la Pologne. Pouvez-vous nous donner plus de détails ? Quelle est l’origine des volailles distribuées sous cette marque ? Où sont-elles commercialisées ?

M. Philippe Gelin. Le groupe LDC est présent dans quatre pays, dont la Pologne. Drosed est une marque que nous utilisons en Pologne. Quand il est en France, le groupe LDC fait du « FFF » : né en France, élevé en France, transformé en France. Quand nous sommes en Pologne, nous faisons exactement la même chose avec des produits polonais, pour nous développer sur le marché polonais. Nous n’allons pas en Pologne pour produire moins cher et importer ensuite les produits en France. Que diraient nos éleveurs ? Cela ne serait pas logique.

En Pologne, nous avons créé les marques Drosed, mais aussi Zagrodowy ; nous sommes les seuls dans ce pays à produire du poulet qui sort à l’extérieur – le poulet « free range » selon la dénomination européenne –, soit 250 000 poulets par semaine et 1 % du marché local. Nous travaillons sur des marques et sur le prix, c’est-à-dire une production locale pour des consommateurs locaux, avec des produits différenciés. Nous avons également été les premiers à créer une activité pintade localement et y avons aussi développé le canard il y a une vingtaine d’années.

M. Sébastien Verdier. Il faut rappeler que la France est la championne du monde des volailles de qualité, voire d’excellence. Le cahier des charges Label rouge est par exemple unique au monde. Nous essayons de développer ce savoir-faire dans les pays où nous sommes implantés.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quel est le segment occupé par la marque Drosed en Pologne ?

M. Philippe Gelin. Drosed est l’équivalent de la marque Le Gaulois en Pologne.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Je comprends que cette production locale est destinée au marché polonais et qu’à aucun moment elle ne revient en France. Est-ce bien cela ?

M. Philippe Gelin. Oui. Aucune production Drosed ne part en France ou dans d’autres pays européens. Nous soutenons cette marque uniquement en Pologne.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Quels sont les produits de la marque Doux ? Où sont-ils vendus ? Quelle est l’origine des animaux ?

M. Sébastien Verdier. La marque Doux est destinée à l’exportation, et plus précisément au « grand export », comme les DOM-TOM ou l’Afrique. Cette marque réalise des produits élaborés, de la charcuterie comme les knacks de volaille. Il n’existe pas de garantie « Origine France » sur cette marque.

M. le président Charles Sitzenstuhl. D’où les volailles utilisées dans les produits Doux à destination de l’Afrique sont-elles originaires ?

M. Sébastien Verdier. Les volailles destinées au marché africain sont françaises ou européennes.

M. Philippe Gelin. Les volailles sont toujours françaises quand il s’agit de poulets de la marque Doux à destination de l’Arabie saoudite. Le groupe Almunajem est co-actionnaire de Doux et dispose de la concession de la marque Doux sur l’ensemble de la zone du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

En revanche, les produits élaborés, qui font partie d’une offre et sont en compétition avec des produits brésiliens, argentins ou thaïlandais dans le CCG, peuvent utiliser une matière première importée, afin de pouvoir se positionner localement, en termes de prix.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Dans votre propos introductif, vous avez évoqué l’usage de la signalétique française, le bleu, blanc, rouge, en insistant sur la nécessité d’être rigoureux dans ce domaine. Or le logo de la marque Doux présente les trois couleurs de notre drapeau – certes dans un ordre inversé – et comporte la mention « French quality since 1933 ». N’y a-t-il pas là une forme de contradiction ?

M. Sébastien Verdier. Les propos évoqués en introduction concernaient le marché français, à destination des consommateurs français. Lorsque nous exportons des produits élaborés de la marque Doux, nous sommes confrontés à la concurrence internationale et nous mettons en avant notre pays dans la qualité des recettes et la fabrication française. En revanche, cela ne concerne pas forcément l’origine ni l’élevage.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Je comprends le sens de demandes très exigeantes en France sur l’utilisation de ces labels et du bleu, blanc, rouge. Mais dans ce cas, il faut veiller à la cohérence des discours à l’international.

Où vos usines hors de France sont-elles situées ?

M. Philippe Gelin. Elles sont implantées en Pologne, en Hongrie. Nous avons une petite activité commerciale en Belgique, sans transformation, et une autre petite activité de transformation de volailles free range bio de poulets et de dindes au Pays de Galles.

M. le président Charles Sitzenstuhl. Les sites de production en Hongrie produisent-ils des volailles destinées à l’Europe de l’Est ou uniquement le marché hongrois ?

M. Philippe Gelin. L’activité hongroise porte sur le poulet, vendu à 95 % sur le marché hongrois. Nous avons aussi dans ce pays et en Pologne une activité en oie et en canard, qui est principalement à destination européenne, notamment allemande et autrichienne et particulièrement pour les fêtes de Noël.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le rapport de FranceAgriMer indique que, malgré un taux d’auto-approvisionnement de 80 % et un taux d’importation de 42 %, nous exportons 19 % de notre production de poulets. Comment l’expliquez-vous ?

M. Philippe Gelin. Les 19 % évoqués correspondent à peu près aux 300 000 tonnes, par rapport au 1,5 million de tonnes. Au sein de ces 300 000 tonnes, il faut intégrer l’activité à destination de l’Arabie saoudite, soit 70 000 tonnes. Sur les 230 000 tonnes restantes, une grande partie est liée aux commodités – ailes, pattes, quelques abats, croupions – que nous exportons notamment vers l’Afrique et une autre correspond aux spécialités de volailles françaises. Nous exportons le Label rouge, le poulet bio, de la dinde, de la pintade. Ces spécialités de volailles servent à renforcer la visibilité de la France au travers de sa gastronomie, notamment ses gammes de volailles, qui sont utilisées dans les restaurants en Europe, mais aussi ailleurs dans le monde.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je ne suis pas opposé aux exportations, mais comment se fait-il que nous importions du poulet et que simultanément, nous exportions des produits qui devraient naturellement être destinés à la consommation nationale ?

M. Philippe Gelin. Nous n’exportons pas le même poulet que celui qui est importé en France. Il s’agit par exemple du Label rouge, du poulet élevé en plein air, du poulet jaune – le corn-fed chicken. Nous exportons dans différents formats, dont le suprême de poulet jaune, la pintade en suprême ou en cuisse. Bref, nous exportons des spécificités françaises, quand le poulet importé est essentiellement constitué de filets à bas prix, consommés en restauration collective ou utilisés pour fabriquer des produits élaborés.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La stratégie de montée en gamme avait été clairement évoquée par le Président de la République au début de son premier quinquennat. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette stratégie et sur son adéquation avec l’objectif de souveraineté alimentaire ?

Par ailleurs, je souhaite vous interroger sur la restauration collective. Nous savons qu’il n’est pas possible de privilégier les productions françaises ou de clairement le stipuler dans les appels d’offres. La loi Egalim établit une obligation concernant une part importante d’alimentation sous signe de qualité ou de produits bio. Pensez-vous qu’elle permette de répondre à la relocalisation des achats de la restauration collective ?

M. Sébastien Verdier. La stratégie de montée en gamme est louable mais elle est confrontée à la vague de très forte inflation que nous avons connue en France et en Europe, qui incite les consommateurs à privilégier les produits les plus économiques : la « fin du mois » prime sur la « fin du monde ». Nous avons mobilisé nos filières pour développer la production bio mais les éleveurs n’ont pas aujourd’hui d’activité suffisante en raison de la baisse de la demande, qui affecte à la fois le bio et le Label rouge, singularités françaises en termes de qualité, de bien-être animal et de gastronomie.

La loi Egalim a réglé un point : la fixation du prix dans la filière volaille, qui, globalement, fonctionne plutôt bien. L’indice ITAVI (Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole) reflète le cours des matières premières qui alimentent nos volailles. Nous sommes en Egalim « amont » avec l’ensemble des éleveurs et en Egalim « aval » avec une partie de nos clients, à l’exception notable des grossistes, qui ne sont pas dans le spectre. Globalement, la loi Egalim a réglé la fluctuation des matières premières, à travers des révisions automatiques.

Pour la partie restauration en revanche, nous sommes confrontés à la problématique de la surreprésentation des volailles du quotidien et des volailles standard. Nous sommes donc loin des objectifs qui ont été fixés, c’est-à-dire 50 % de produits durables, dont 20 % de produits bio. À l’occasion de la conférence des solutions organisée récemment par le ministère de l’agriculture, les chiffres ont été publiés et montrent que le taux de produits durables n’est que de 27 % au lieu des 50 % prévus, dont 13 % en bio au lieu de 20 %. L’État n’est pas non plus au rendez-vous puisque la commande publique s’établit seulement à 22 % de produits durables et 9 % de produits bio.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Ma question est plus précise sur les deux points. Vous considérez que la stratégie de montée en gamme est louable, mais estimez également qu’elle est déconnectée du marché. Il s’agissait, selon cette stratégie, de privilégier le haut de gamme et de laisser l’entrée de gamme et le cœur de gamme aux importations. Or nous constatons que cette stratégie ne permet pas de défendre au mieux les intérêts de la souveraineté alimentaire.

Nous avons bien entendu que les objectifs de la loi Egalim n’étaient pas atteints. Mais vos collègues de l’ANVOL nous ont indiqué qu’il est coûteux d’essayer de contourner l’interdiction européenne d’une inscription d’une priorité de production nationale dans le cahier des charges par les signes de qualité ou par le bio. La différence de prix entre un poulet brésilien et un poulet français n’a rien à voir avec la différence de prix entre un poulet français conventionnel et un poulet français bio.

Si les collectivités et l’État ne sont pas capables de respecter l’objectif qui était fixé dans la loi Egalim, cela ne signifie-t-il pas que nous nous sommes trompés de combat ?

M. Philippe Gelin. Je pense qu’il faut travailler sur les deux sujets en même temps. En France, 20 % des volailles produites vont à l’extérieur ou appartiennent à des types génétiques à croissance lente. Ces éléments contribuent à la spécificité de notre offre française sur le marché européen et, de manière générale, sur le marché mondial, lequel est composé à 98 % de poulet conventionnel. Au sein de ces 20 %, les familles de produits coûtent effectivement plus cher. J’ajoute que cette montée en gamme a été conçue il y a soixante ans, avec les débuts du Label rouge, pour pouvoir offrir un poulet du dimanche différencié dans l’assiette du consommateur.

Aujourd’hui, la consommation se déplace vers des produits élaborés, qu’ils soient découpés ou transformés cuits. Dès lors, la notion de différenciation par la qualité tend à se perdre. Il est exact que l’inflation a affecté la stratégie de montée en gamme, mais qui pouvait prévoir qu’elle allait nous conduire à passer une hausse des prix de 30 % à 35 %, compte tenu de l’augmentation du prix des céréales en six mois ?

Notre projet ne consiste pas à faire sous-traiter la production de poulets conventionnels en dehors de France. Il vise au contraire à réintégrer la production et à reconquérir la part aujourd’hui importée en France, à travers une production française, selon des conditions qui sont les nôtres et que nous connaissons, ce qui n’est pas le cas des productions importées. Le consommateur est en droit d’avoir un produit local dont la traçabilité est complète.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez souligné que l’Allemagne avait relevé avec volontarisme le défi de la souveraineté alimentaire dans la volaille. Pouvez-vous exposer les actions concrètes que l’Allemagne a mises en place pour pouvoir accroître sa production ?

M. Philippe Gelin. Je ne les connais pas en détail, mais en 2003, plus de dix ans après la chute du mur de Berlin et l’intégration des deux Allemagne, l’objectif consistait bien pour le pays à nourrir sa population et à ne pas être dépendant d’une alimentation provenant de l’extérieur.

Ensuite, en Allemagne, les fermes sont d’une taille supérieure à celles que l’on trouve en France, de même que la taille moyenne des élevages laitiers est bien supérieure à celle que nous connaissons en France. L’État allemand a soutenu des unités de biométhanisation. Aujourd’hui, il est possible qu’il considère avoir atteint un maximum dans ce domaine, compte tenu notamment des réglementations en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Par ailleurs, la directive sur les émissions industrielles – directive IED – nous conduit à réduire le seuil de déclarations à passer en autorisation. Cette mesure sera dramatique pour l’élevage local français : la petite taille des exploitations rendra difficile l’amortissement des coûts engendrés par ce changement de réglementation.

Pour autant, l’Allemagne a su travailler son autonomie alimentaire et à faire passer son taux d’autosuffisance de 74 % à 97 % dans la volaille.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La directive IED est européenne et n’induit donc pas de distorsion de concurrence au sein du marché unique. Pourquoi les exploitations françaises de volailles sont-elles plus petites que leurs homologues allemandes ? La réglementation a-t-elle été plus stricte chez nous ? Le secteur n’a-t-il pas été en mesure d’investir dans des unités plus grandes ? Quelles en sont les raisons ?

M. Philippe Gelin. La première raison tient au fait que l’industrie de la volaille en Allemagne est très souvent beaucoup plus spécialisée que son homologue française, mais la situation est en train de changer chez nous. Dans notre pays, l’atelier de volaille a très souvent été conçu comme un atelier complémentaire au sein d’un modèle de polyculture-élevage. Aujourd’hui, la taille moyenne d’un élevage en France est de 1 300 mètres carrés, contre 10 000 mètres carrés en Allemagne, 15 000 à 20 000 mètres carrés en Pologne et encore plus en Ukraine.

La taille de l’exploitation n’est pas suffisamment grande et le type d’exploitation française n’est pas suffisamment spécialisé par rapport à celui de nos confrères européens.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. De votre côté, avez-vous suggéré à certains producteurs d’investir dans des unités plus grandes pour pouvoir proposer des produits plus adaptés aux exigences de cette concurrence au sein de l’UE ? Avez-vous mené une réflexion en ce sens ?

M. Philippe Gelin. Pour le moment, nous ne nous sommes pas posé la question de financer nous-mêmes le développement des exploitations agricoles.

En revanche, certains éleveurs voudraient augmenter la taille de leur élevage mais ils ne le peuvent pas. En effet, il faut trois à quatre ans pour obtenir une autorisation et les permis sont remis en cause par des associations qui perturbent le développement des exploitations. Estil normal qu’il faille quatre ans pour mener ce type de projet de développement dans sa propre exploitation agricole, en respectant toutes les réglementations françaises et européennes ? Aujourd’hui, il s’agit pour eux d’être acceptés par la société. Un cas emblématique a été soulevé récemment : l’opposition à l’agrandissement d’une exploitation de 40 000 poulets à 120 000 poulets, pour passer à une production annuelle d’un million de volailles. Simultanément, en Ukraine, une même ferme produit douze millions de poulets chaque année.

Aujourd’hui, la préférence est accordée à l’importation au détriment de la production locale, sous prétexte de nuisances. De notre côté, nous privilégions le choix d’une production locale.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez indiqué que lorsque vous aviez repris l’entreprise Marie il y a quinze ans, l’intégralité de la matière première poulet était brésilienne ou thaïlandaise et que vous avez fait le choix d’un approvisionnement exclusivement français. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Philippe Gelin. Cette décision date effectivement de 2013. Nous ne pouvons que nous en féliciter ; nous étions à l’époque numéro deux et sommes aujourd’hui leaders dans les plats cuisinés sur le marché domestique. Ces décisions ont été maintenues, quels que soient les à-coups de production, dans la mesure où les consommateurs font confiance aux marques.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Le 30 janvier dernier, des producteurs qui travaillent avec vous ont arrêté un camion dans la Sarthe qui venait de Pologne pour desservir apparemment un site de la marque Marie.

M. Philippe Gelin. Ce camion provenait de l’une de nos usines en Pologne. Il contenait des produits élaborés à destination de l’usine Marie ; mais pas des produits Marie. En effet, dans l’usine Marie, nous fabriquons des produits pour les MDD, dont le cahier des charges précise « origine UE ». Nous nous adaptons, le temps nécessaire de convaincre les clients et distributeurs de passer à l’origine France. En l’espèce, le client concerné utilisera à partir de 2025 des produits « origine France » et non plus des produits « origine UE ». Nous savons, grâce à notre expérience sur les marques Marie, Le Gaulois ou Maître CoQ, que cette démarche fonctionne, car les consommateurs français font confiance à l’origine française.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il me semblait pourtant vous avoir entendu dire précédemment que vos sites en Hongrie et en Pologne n’exportent pas de viande vers la France. Or vous venez de dire le contraire.

M. Philippe Gelin. Non, je n’ai pas dit le contraire. J’ai indiqué que nous importions 28 000 tonnes. Nous préférons importer, lorsque cela est nécessaire, à partir de nos propres productions en Pologne plutôt que d’utiliser celles de nos concurrents polonais.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je fais référence à une réponse que vous avez faite au président de la commission, qui vous demandait la nature des exportations depuis vos sites de Hongrie et de Pologne. Vous avez alors assuré qu’il n’y avait pas d’exportations vers la France.

M. Philippe Gelin. Ces volumes correspondent à 2,8 % de nos volumes produits. Ce petit volume nous permet de passer progressivement en origine France.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Pouvez-vous répondre à ma question ? Des volumes produits en Hongrie sont-ils exportés vers la France ?

M. Philippe Gelin. Non pour la Hongrie, mais c’est le cas en Pologne, à hauteur des 2,8 % précédemment mentionnés.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous avez pourtant indiqué l’inverse précédemment, en répondant au président qu’aucun volume produit sur vos sites en Pologne n’était exporté vers la France.

M. Philippe Gelin. Sauf votre respect, je n’ai pas indiqué qu’il n’y avait aucune exportation vers la France, mais que notre objectif était de réaliser du « né, élevé et produit en Pologne ». Mais dans une activité industrielle, sur nos marchés, il existe aussi des échanges entre pays européens. Dans le cas de LDC, ils sont marginaux.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je m’interroge également sur l’utilisation du drapeau français. Aujourd’hui, utilisez-vous le drapeau tricolore pour des produits qui seraient transformés en France mais qui ne seraient pas produits en France ?

M. Sébastien Verdier. À la question « Utilisez-vous le drapeau français sur des produits d’import pour vos marques ? », la réponse est clairement négative. Notre stratégie est claire : nous relocalisons et nous nous engageons sur l’origine France, c’est-à-dire né, élevé, abattu et transformé dans nos usines. Il s’agit d’un engagement de marque, qui répond aux attentes des consommateurs. J’ajoute que la montée en gamme ne concerne pas uniquement le Label rouge ou le poulet bio, mais aussi le poulet du quotidien, à travers le programme Nature d’éleveurs. Pour ce dernier, la montée en gamme correspond par exemple à des poulaillers disposant de fenêtres permettant un éclairage naturel, mais aussi à des baisses de densité.

Il est possible d’opérer une montée en gamme, avec une amélioration des conditions d’élevage, dans des élevages plus durables, pour répondre aux attentes sociétales. En ce qui nous concerne, nous promouvons l’origine France au travers de nos marques en essayant de convaincre nos clients de cette montée en gamme sur le produit, qu’il s’agisse du poulet ou de la dinde du quotidien. En revanche, certains acteurs économiques exploitent les codes de la francité sans que cela corresponde à la réalité de l’origine des produits commercialisés.

M. Philippe Gelin. Pour vous répondre clairement, sur le marché français, les marques du groupe LDC n’utilisent pas la mention « préparé, cuisiné ou transformé en France », accompagnée de la mention bleu, blanc, rouge. En effet, nos marques sont bien 100 % françaises, c’est-à-dire des produits qui sont fabriqués avec une matière première protéique – volaille dans la plupart des cas – uniquement française.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je souhaite revenir sur la loi Egalim et la question de la répartition de la valeur, que vous avez évoquée précédemment. Vous avez rappelé que la loi avait permis de prendre en compte l’évolution des coûts de production. En revanche, garantit-elle aux éleveurs de pouvoir couvrir leurs coûts de production et de réaliser des marges ?

M. Sébastien Verdier. La loi Egalim ne porte pas cette ambition. L’objectif de la loi concerne l’accompagnement des éleveurs et la fixation du prix en avant, afin de ne pas faire supporter aux éleveurs la variation du coût des matières premières. La part matière agricole est encadrée par la loi.

Pour autant, la loi Egalim a quand même permis d’offrir davantage de transparence entre tous les acteurs de la filière – des éleveurs aux abattoirs, jusqu’aux clients – sur la détermination et la construction des prix. Une telle démarche permet de comprendre les problématiques des uns et des autres en matière de fixation des prix : le niveau des discussions n’a jamais été aussi détaillé entre les acteurs de la filière.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Cependant les lois Egalim ont vocation à permettre aux agriculteurs de pouvoir vivre de leur métier, au-delà de la capacité à faire face à la variation des coûts de production. C’est la raison pour laquelle elles mentionnent à plusieurs reprises des indicateurs de coûts de production, dans une logique de construction du prix. Quelles actions menez-vous pour faire en sorte que les prix pratiqués auprès des producteurs leur permettent de couvrir a minima leurs coûts de production ?

M. Sébastien Verdier. Vous avez raison de mentionner cet élément. Mon propos portait sur la clause de révision automatique, qui permet aux éleveurs de répercuter automatiquement la variation du prix de revient de la volaille vivante. Pour autant, effectivement, nous prenons en compte les charges croissantes sur la biosécurité, le coût des bâtiments ou l’énergie dans nos discussions dans la fixation du prix avec nos amonts. Le groupe LDC s’inscrit dans la démarche de la loi : si demain il n’y a plus d’éleveurs, il n’y aura plus d’activité. Notre intérêt est de pouvoir disposer d’éleveurs qui vivent de leur métier et puissent en tirer un revenu permettant de développer leur exploitation.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Je constate néanmoins que lors de la mobilisation agricole, certains producteurs ont dénoncé le fait qu’ils n’arrivent pas à vivre avec les prix pratiqués par votre entreprise. La loi Egalim ne porte pas simplement sur la clause de révision automatique des prix. De quelle manière votre entreprise prend-elle en compte les coûts de production dans la détermination des prix que vous pratiquez auprès des éleveurs ?

M. Philippe Gelin. C’est très simple. Nous discutons avec des représentants des éleveurs, regroupés dans des organisations de production. Ils représentent environ 50 à 150 éleveurs à la fois. Aussi souvent que possible ou nécessaire, nous nous réunissons autour d’une table pour discuter et faire en sorte que les éleveurs annoncent clairement leurs coûts réels. Ces discussions aboutissent par exemple à la revalorisation de la marge brute, dans une logique de contractualisation. Comme je l’ai indiqué précédemment, le système de contractualisation particulier à la France permet à l’éleveur de connaître le prix des poussins, le prix des aliments et le prix de reprise de la volaille attendue par l’outil de transformation. Dès lors, l’éleveur peut se concentrer sur la gestion de ses charges et de la performance de son élevage. Il s’agit par exemple de faire en sorte que l’indice de consommation d’énergie soit le meilleur possible et que les règles de biosécurité soient bien respectées.

Suivant les éleveurs, la marge peut aller d’un à trois. Cette contractualisation permet en moyenne d’offrir aux éleveurs une valorisation normale de leur travail.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Si les discussions sont censées bien se dérouler, comment expliquez-vous que des éleveurs, sous couvert d’anonymat pour se protéger de mesures de rétorsion, se plaignent des prix pratiqués par LDC ?

M. Philippe Gelin. Il existe toujours des cas particuliers. Il existe également des rumeurs infondées selon lesquelles le groupe LDC aurait importé du poulet ukrainien. Ceci est absolument faux. Devons-nous écouter ces 1 % qui s’expriment en notre défaveur ? Dans certains cas particuliers, nous devons aider des éleveurs en difficulté pour différentes raisons. Mais grâce à la contractualisation, dans 99 % des cas, les choses se passent bien.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Les éleveurs sont malgré tout au fait des prix pratiqués par votre entreprise. J’ai rencontré un certain nombre d’entre eux et on ne peut pas dire que seuls 1 % des éleveurs se plaignent de vos prix. De manière très concrète, les contrats que vous signez avec les organisations de producteurs mentionnent-ils des indicateurs de coûts de production ? Sont-ils respectés ? Certains prix sont-ils payés en dessous des indicateurs de coûts de coproduction ?

M. Philippe Gelin. Les indicateurs de coûts de production sont très souvent fournis par les centres de gestion agricole, avec un décalage de trois à six mois, sur des moyennes annuelles. Ils permettent de positionner chacun des éleveurs dans un groupe de performance. Selon la conduite technique d’un élevage, la marge brute – c’est-à-dire la différence entre d’une part le prix de vente et d’autre part le prix des poussins et de l’alimentation – peut varier, du simple au triple. Dès lors, le coût de production diffère selon les éleveurs et la qualité de leur travail. Comment tenir compte de ces différences ? Devons-nous surpayer celui qui est moins bon et sous-payer le meilleur ? Aujourd’hui, nos discussions avec chacune des organisations de production nous conduisent à tenir compte de ces coûts de production moyens.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Il n’existe donc pas de contrats signés en dessous des indicateurs. Est-ce bien le cas ?

M. Philippe Gelin. Aujourd’hui, à ma connaissance, il n’y a pas d’indicateurs de coûts de production, puisque ceux-ci diffèrent grandement d’un éleveur à l’autre. Telle est la réalité du monde agricole ; il ne s’agit pas d’un reproche, mais d’un constat.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. La loi Egalim est claire : les interprofessions doivent publier des indicateurs de coûts de production qui sont, par définition, des indicateurs moyens. Ces indicateurs doivent être mentionnés dans la première proposition formulée par la production et dans les contrats. Les prix signés dans les contrats respectent-ils ces indicateurs de coûts de production ?

M. Philippe Gelin. Nous traitons avec des représentants d’organisations de production. Il existe donc bien un coût moyen et une marge brute moyenne, qui est intégrée et qui fait l’objet d’un accord.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. L’accord respecte-t-il à la fois le coût de production moyen, plus la marge ?

M. Philippe Gelin. Certains éleveurs peuvent être au-dessus et d’autres en dessous.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous ne répondez pas clairement à ma question. Dans les contrats qui sont signés, les prix respectent-ils bien les coûts de production et une marge ? Certains prix ne sont-ils pas en dessous de ces indicateurs moyens de coûts de production ?

M. Philippe Gelin. Non, dès lors que la moyenne a été définie. Si les prix étaient établis sur le coût de production le plus élevé, cela reviendrait à fixer un prix plancher. Or les prix planchers constituent une erreur dans un univers compétitif car ils n’incitent pas à l’amélioration de la performance.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Vous ne répondez pas à ma question. Les prix signés dans les contrats sont-ils inférieurs aux indicateurs moyens de coûts de production ?

M. Philippe Gelin. Non, les indicateurs moyens permettent d’offrir un revenu pour l’éleveur.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Nous auditionnerons l’association L214 cet après-midi. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de la controverse largement médiatisée qui vous oppose et nous faire part de votre perception des actions menées par cette association ?

M. Philippe Gelin. L214 n’est pas une association « welfariste » mais une association abolitionniste. Leur combat actuel n’est qu’une étape afin que, demain, nous ne mangions plus de viande et que nous devenions tous vegan.

Nous produisons en respectant les engagements de l’ECC (European Chicken Commitment) à la demande de nos clients. Nous répondons aux demandes de nos clients qui, je le rappelle, effectuent des choix en fonction de leur portefeuille.

Nous sommes en désaccord sur trois points. Le premier concerne la densité, c’est‑à‑dire le passage de 42 kilos par mètre carré à 30 kilos par mètre carré. Si tel était le cas, la capacité de la France à produire serait très fortement impactée. Nous ne sommes pas non plus d’accord pour aller vers une souche à croissance lente, qui nous sortirait du marché européen et du marché mondial. En effet, 99 % des poulets produits dans le monde sont des poulets de variété Ross 308. Devons-nous accepter de sortir du marché mondial et que la consommation de poulet en France ne soit pourvue que par les importations ? Enfin, nous pensons que le consommateur est celui qui opère le choix final, avec son portefeuille. Compte tenu de la moindre densité du poulet ECC et de son temps de production supérieur, il coûte 30 % à 40 % de plus au consommateur, tout en diminuant de 40 % à 50 % la capacité productive de la France.

L’objectif de L214 consiste à faire augmenter les prix et, partant, de faire diminuer la consommation de poulets. Mais en réalité, les consommateurs ne vont pas cesser leur consommation parce qu’une association aurait décrété que cela serait néfaste à sa propre cause. Dès lors, nos clients importeront encore plus qu’ils ne le font aujourd’hui pour pouvoir répondre à la demande des consommateurs, qui est tendanciellement en croissance en France, en Europe et dans le monde.

M. Grégoire de Fournas, rapporteur. Avez-vous réalisé une analyse des surtranspositions actuellement à l’œuvre ? Pouvez-vous nous la fournir ? Cette contribution serait particulièrement intéressante pour dresser le tableau des distorsions de concurrence induites.

M. Philippe Gelin. L’annexe 4 de notre document rassemble des données concernant les surtranspositions et les interdictions. Par exemple, la France a retiré l’autorisation du S-métolachlore, un composé organochloré utilisé comme herbicide sélectif, elle a limité l’usage des néonicotinoïdes (NNI) pour les semis et elle a interdit l’importation d’aliments traités au diméthoate, au phosmet, à l’acétamipride. Dans le même ordre d’idée, l’Autorité européenne de sécurité des aliments autorise 387 substances actives, contre seulement 283 en France. Un rapport du Sénat de 2017 ou 2018 en dresse l’inventaire.

Parmi les surtranspositions avérées concernant le monde agricole figure d’abord le seuil d’évaluation environnementale. Nous étions à 40 000 emplacements alors que la directive européenne précédente établissait ce seuil à 85 000 (directive 2011/92/UE). Les mesures sur le broyage des poussins mâles sont également une surtransposition des données européennes, et l’année 2022 a vu l’apparition d’un référent bien-être animal dans chaque élevage, une spécificité française.

Nous sommes par ailleurs favorables à la réutilisation des eaux usées dans les abattoirs, mais la France considère que l’eau doit provenir du milieu naturel et être fournie par l’extérieur. Cette position n’envisage même pas l’analyse de ces eaux usées. Par ailleurs, la directive nitrates offre un parfait exemple de surtransposition : le seuil est fixé en France à 140 kilos quand il est partout ailleurs en Europe établi à 170 kilos.

Un dernier exemple concerne nos industries. Il porte sur la bactérie Listeria monocytogenes, observable sur nos produits. Jusqu’à l’année dernière, la déclaration n’était faite qu’avant la date limite de consommation. Aujourd’hui, la réglementation française précise que l’information publique aux consommateurs doit intervenir pendant les quinze jours ouvrés postérieurs à cette date limite. Pourquoi notre industrie doit-elle déclarer ce que le reste de l’Europe ne déclare pas ?

M. Serge Muller (RN). Vous avez évoqué la démarche « né, élevé, nourri, abattu en France ». Je tiens à dire que j’ai toute confiance en nos éleveurs français, mais je souhaite revenir sur le dernier point, concernant l’abattage sur notre territoire. Existe-t-il en France un nombre suffisant d’abattoirs pour procéder à l’abattage des volailles ? Ne s’agit-il pas d’un frein à votre développement ? De quelle manière les volailles sont-elles abattues en Pologne et en Hongrie ?

M. Philippe Gelin. L’abattage est le même, quels que soient les pays. Des techniques d’anesthésie avec des gaz neutres se développent et remplaceront à l’avenir l’anesthésie électrique. Ces évolutions permettent d’améliorer le bien-être animal, mais aussi celui de nos salariés qui accrochent les animaux sur les chaînes de travail.

Nous disposons de suffisamment d’outils industriels pour répondre à la demande ; nous souhaiterions simplement qu’ils soient plus fournis avec des productions locales. Jusqu’à présent, seules les importations ont bénéficié de l’augmentation de la consommation. Nous investissons à la fois pour nous spécialiser, pour accroître la taille de nos outils industriels et pour pouvoir rester compétitifs par rapport à nos concurrents européens.

M. Serge Muller (RN). Si je comprends bien, nous disposons déjà de l’outil nécessaire pour être souverains ?

M. Philippe Gelin. Nous continuons d’investir dans nos outils, à l’image des 250 millions d’euros que j’ai évoqués précédemment pour nos outils de transformation de volaille et de produits élaborés de volaille. Ces investissements visent à augmenter notre efficience, à améliorer la qualité de travail pour les salariés, la sécurité et le bien-être animal et à réaliser des économies d’énergie dans le cadre de notre décarbonation de long terme. Nous n’hésitons pas à nous engager parce que nous croyons à cette culture de la volaille française.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Député de la quatrième circonscription de la Somme, je souhaite vous interroger sur les œufs de volaille et le cas du site Matines à Montdidier, qui a fermé ses portes en 2021. Cette fermeture a entraîné la fin d’élevages de volaille environnants. À l’heure où nous sommes confrontés à la concurrence étrangère, il faut s’interroger sur les conséquences des directives et des réglementations pour les éleveurs français. Pouvez-vous évoquer ce sujet ? Faut-il revenir sur les décisions qui ont été prises ou devons-nous nous en accommoder ?

M. Philippe Gelin. Je n’ai pas en tête de manière précise le cas que vous mentionnez. En revanche, j’imagine que ce sujet est lié à l’évolution des conditions de production et à l’engagement de la marque Matines d’abandonner le système en cage. Lorsque nous avons repris la marque, à destination des GMS, nous avons également repris les engagements du précédent propriétaire consistant à se séparer de la production de poules en cage.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ma question porte sur les fortes limitations concernant les conditions d’élevage en cage. Les installations d’élevage qui étaient proches du site de Montdidier ont dû fermer alors même qu’elles étaient récentes et avaient fait l’objet d’investissements. Je ne remets pas en cause votre entreprise, je constate simplement qu’au moment même où l’on interdit les poules en cage, nous importons de la volaille élevée dans des conditions certainement bien plus mauvaises. Je ne comprends pas l’intérêt de telles démarches.

Par ailleurs, en période d’hyperinflation, le prix des œufs constitue un sujet de préoccupation très important pour les familles. Faut-il poursuivre avec ces réglementations ou estimez-vous que pour redresser la filière, il faut remettre en cause les réglementations sur l’interdiction des volailles en cage ?

M. Philippe Gelin. Je vous remercie d’avoir précisé le cadre de votre question. Aujourd’hui, nous avons fait le choix de parler de viande et de volaille et non pas de l’œuf, afin de ne pas mélanger tous les sujets. Il faut néanmoins reconnaître que le risque de la philosophie qui s’applique à la filière œuf est exactement identique à celui que connaît la filière viande de volaille.

La filière œuf est également confrontée à des importations, notamment en provenance d’Ukraine. Alors que dans la filière poulet, la société MHP appartient à M. Kosyuk, dans la filière œufs, deux oligarques ukrainiens sont très actifs à travers les sociétés Ovostar Union et Avangard. Ces sociétés exportent, y compris parfois des œufs qui ne sont pas autorisés sur le marché européen.

Vous avez raison de souligner que dans le contexte actuel d’hyperinflation, l’œuf constitue la protéine la plus économique, encore plus que la viande de volaille. De fait, pour les populations les plus nécessiteuses, l’œuf représente une source protéique parmi les moins chères pour les consommateurs. Dans le cadre d’un déséquilibre de l’offre et de la demande sur le marché européen, nous nous sommes aperçus que les œufs de poules élevées en cage venaient à manquer, quand les œufs bio étaient en nombre trop important. De la même manière que pour le poulet, cette montée en gamme est en risque sur la filière œuf ; vous avez complètement raison.

Comme je l’ai indiqué précédemment, nous avons repris les engagements que la marque Matines avait passés. Les grandes et moyennes surfaces représentent six milliards de coquilles sur un total produit de quinze milliards en France. Il ne leur sera pas possible de se fournir intégralement en œufs de poules sans cage en 2026, sauf à importer ce que nous ne pourrions pas produire nous-mêmes. À cet égard, le sujet de l’œuf est exactement identique au sujet de la viande de volaille.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Lors de votre présentation, vous avez évoqué l’usine Metex, située à Amiens, dernier producteur de lysine en Europe. Le Gouvernement s’est enfin emparé du sujet pour essayer de sauver l’usine, mais pouvez-vous nous dire pourquoi cette entreprise est importante à vos yeux ?

Le fait que vous ayez mentionné cette entreprise relève à mon avis d’une stratégie de filière qui agrège les différents acteurs plutôt que de les laisser seuls. Existe-t-il réellement une stratégie de filière dans vos métiers ou sont-ils plutôt, comme c’est le cas dans d’autres filières, dominés par quelques acteurs économiques dont la stratégie propre dicte celle de l’ensemble de la filière ? De votre point de vue, la filière volaille et œuf a-t-elle été réellement pilotée par les gouvernements français successifs depuis une quinzaine d’années ?

M. Philippe Gelin. Vous avez raison d’insister sur cette notion de filière. Chacun des maillons est organisé en interprofession, comme l’interprofession du couvage ou celle de la génétique. Cette organisation permet d’échanger et de travailler ensemble. De notre côté, nous avons créé il y a maintenant six ans l’Association nationale interprofessionnelle de la volaille de chair, qui regroupe tous les acteurs de la filière, y compris la distribution, pour pouvoir échanger sur le futur de la production de volailles. Il existe par ailleurs une interprofession de l’œuf, qui est distincte.

Metex est effectivement une société importante. Elle produit des acides aminés qui sont utilisés en quantité infinitésimale dans la formulation par rapport aux quantités de céréales ou de soja employées, mais ces petits ajustements d’acides aminés, par exemple la lysine, sont essentiels pour permettre d’exploiter le potentiel génétique de la volaille. Ils sont nécessaires à la performance globale de la production et donc de la filière. Si Metex ne produit plus demain, l’intégralité de notre approvisionnement devra être d’origine chinoise. Faut-il l’accepter ? Je souhaite que l’on fasse appel à l’État pour aider Metex, le dernier producteur européen de lysine. Au-delà de l’État, l’Europe doit agir en ce sens pour défendre la filière européenne de la volaille et des œufs.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). La qualité de l’alimentation des animaux producteurs d’œufs ou des volailles de chair importés de certains pays met-elle en danger la santé des Français ? Cela serait particulièrement paradoxal au vu des réglementations de santé publique qui ont été mises en place et qui contribuent à pénaliser la filière. Autrement dit, au-delà de la concurrence déloyale, existe-t-il un problème de santé publique dans les importations de volaille et d’œuf ? Je rappelle que l’œuf est particulièrement sensible et susceptible de contenir des polluants qui peuvent menacer la santé, en particulier celle des enfants.

M. Philippe Gelin. Ma réponse est affirmative. Certains œufs non conformes à la réglementation européenne sont ainsi entrés dans l’Union européenne au début de l’année, en provenance d’Ukraine. Par ailleurs, l’Europe a interdit en 2006 un antibiotique facteur de croissance, la flavomycine. Mais en janvier 2023, un reportage de l’émission « Capital » de M6 a été réalisé sur la production de volailles au Brésil. Dans celui-ci, nous avons pu voir que la flavomycine est allègrement utilisée depuis la livraison du poussin jusqu’à quelques jours avant l’abattage. L’éleveur brésilien interrogé expliquait ainsi que cette alimentation se poursuit jusqu’à quatre jours avant l’abattage, moment à partir duquel il est nécessaire de « blanchir » la viande.

Dans ces conditions, comment avoir confiance dans les contrôles aux frontières européennes, puisque la flavomycine ne fait pas partie des quatre-vingt-huit agents recherchés lors desdits contrôles ? Son intégration n’interviendra que dans deux ans. Est-il vraiment nécessaire d’attendre vingt ans pour mettre à jour les contrôles à nos frontières, afin qu’ils soient cohérents avec les obligations qui nous sont imposées localement ?

M. Sébastien Verdier. Je rajoute que l’antibiorésistance constitue un sujet très important de santé publique à plus long terme. À ce titre, la filière volaille a fourni d’immenses efforts et a produit un plan de réduction massif de l’utilisation des antibiotiques. Ceux-ci ne sont utilisés qu’en cas de prescription vétérinaire et en cas d’infection. L’utilisation d’antibiotiques dans les élevages en France a diminué de 80 %.

M. Philippe Gelin. Plus précisément, les chiffres font état d’une baisse de 72 % de l’utilisation de ces antibiotiques entre 2011 et 2022, au titre de la stratégie de démédication française.

La séance s’achève à treize heures et dix minutes.

 


Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Éléonore Caroit, M. Charles de Courson, M. Grégoire de Fournas, M. Serge Muller, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusée. – Mme Anne-Laure Blin