Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Audition de MM. Raymond Girardi et Gilles Bernard, vice-présidents du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), sur la situation et les attentes du monde agricole 2
Mercredi 25 septembre 2024
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 8
session de 2023-2024
Présidence de
M. Pascal Lecamp,
Vice-président
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La commission des affaires économiques a auditionné MM. Raymond Girardi et Gilles Bernard, vice-présidents du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), sur la situation et les attentes du monde agricole.
M. le vice-président Pascal Lecamp. La commission des affaires économiques, réunie hier après-midi pour entendre les Jeunes agriculteurs, conclut aujourd’hui son premier cycle d’auditions consacré à la situation et aux attentes du monde agricole. Après avoir reçu les représentants de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), des Jeunes agriculteurs, de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale, nous avons le plaisir d’accueillir messieurs Raymond Girardi et Gilles Bernard, vice-présidents du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef).
Au sein de cette commission, nous portons une attention particulière aux questions agricoles. Nous sommes conscients que nos agriculteurs ont récemment affronté des difficultés majeures dans plusieurs filières. Leurs attentes, déjà considérables au printemps dernier, se sont accrues, et certains d’entre eux se trouvent dans une situation d’urgence. Nos agriculteurs, qui exercent leur métier dans des conditions souvent difficiles, ont dû relever des défis supplémentaires. Les mauvaises conditions météorologiques ont entraîné la plus mauvaise récolte céréalière en France depuis quarante ans. La collecte viticole a également chuté de 18 % à 20 %, selon les sources. Dans les élevages, trois virus ont sévèrement touché les cheptels : la fièvre catarrhale ovine 3 (FCO 3) et la FCO 8, la maladie hémorragique épizootique (MHE) pour les bovins et l’influenza aviaire, qui commence à se propager en Bretagne.
Dans ce contexte, nous vous invitons à nous faire part des évolutions législatives que vous jugez nécessaires, notamment concernant le projet de loi d’orientation agricole (LOA), transmis au Sénat le 29 mai dernier avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Ce texte vise à soutenir l’installation et la transmission des exploitations, alors que la moitié des exploitants devraient prendre leur retraite dans les dix prochaines années. Nous savons que votre syndicat est mobilisé face à la problématique de la diminution du nombre d’exploitations.
Nous souhaitons également connaître vos attentes concernant les moyens financiers engagés et à engager au profit du monde agricole dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Nous attendons avec impatience sa présentation et notre commission devrait bientôt en être saisie pour avis. Le Modef est attentif à la préservation des exploitations familiales et de leurs revenus. Cette audition est aussi l’occasion d’évoquer l’équilibre des relations commerciales au sein de la filière alimentaire, à la suite de la mission conduite par nos anciens collègues Alexis Izart et Anne-Laure Babault en vue d’une possible loi « Egalim IV ».
Notre commission a décidé de reconstituer une mission d’évaluation de la loi « Egalim II », confiée à nos collègues Julien Dive, Harold Huwart, Richard Ramos et Aurélie Trouvé. Nous attendons leurs travaux avec grand intérêt. Enfin, nous vous invitons à partager votre opinion sur l’évolution du cadre législatif et réglementaire applicable à l’agrivoltaïsme, sujet qui nous concerne particulièrement et dont nous devons, il me semble, assurer un développement raisonné et raisonnable.
M. Raymond Girardi, vice-président du Modef. Le Modef est le Mouvement de défense des exploitants familiaux, c’est-à-dire des petits et moyens paysans. Nous ne représentons pas les céréaliers du Bassin parisien, qui bénéficient depuis trente ans des fonds européens.
L’agriculture, notamment celle des petits et moyens paysans, est extrêmement diverse. Chaque agriculteur évolue dans des conditions uniques, en raison du foncier, de la géographie et des productions variées. Le message que nous souhaitons transmettre concerne la souveraineté alimentaire – une question qui, je présume, vous tient à cœur. Il y a un demi-siècle, après la guerre, les agriculteurs, alors au nombre de deux millions, ont réussi à couvrir les besoins alimentaires du pays, sauf pour certains produits spécifiques. L’évolution et la restructuration de l’agriculture, contrairement aux promesses faites il y a un demi-siècle, n’ont pas renforcé la production nationale ni assuré la souveraineté alimentaire. Au contraire, la disparition de centaines de milliers d’agriculteurs a entraîné un effondrement de la production nationale. Le Modef a toujours soutenu que de nombreux paysans pourraient répondre aux besoins alimentaires du pays en termes de qualité et de quantité. Cependant, le modèle agricole mis en place depuis un demi-siècle a démontré le contraire. Aujourd’hui, avec seulement 390 000 agriculteurs, nous ne parvenons plus à couvrir les besoins alimentaires, alors que nous y parvenions avec 1,2 million d’agriculteurs.
La situation est grave. Il est vital pour les citoyens français, pour vous parlementaires et pour l’indépendance de la France, de remédier à ces défaillances. La France, autrefois leader agricole en Europe, est désormais dépassée par l’Allemagne et l’Espagne. Cette régression est préoccupante pour l’avenir.
Il est essentiel que les agriculteurs puissent gagner leur vie pour remplir leur mission nourricière. Depuis trente ou quarante ans, ce n’est pas le cas, ce qui explique la disparition massive des paysans. Autrefois, une installation compensait quatre départs, puis trois. Aujourd’hui, une installation ou reprise d’exploitation compense à peine deux à deux départs et demi. Nous manquons déjà d’agriculteurs et les perspectives pour les dix prochaines années sont alarmantes, avec une prévision de cent cinquante mille agriculteurs en moins.
La situation en matière d’autonomie alimentaire se détériore. Par exemple, dans le domaine des fruits et légumes, nous ne produisons que 45 % à 47 % de nos besoins. En France, il est invraisemblable que nous produisions moins de la moitié de ce que nous consommons. Lorsque nous en parlons, certains collègues doutent de la gravité de la situation, mais elle est bien réelle. Pour les viandes, à l’exception du porc où nous sommes presque équilibrés, la situation est préoccupante. Nous ne produisons que 20 % de nos besoins en ovins et environ la moitié pour les poulets et la volaille. Pour la viande rouge, nous atteignons environ 62 % de nos besoins. Même en matière de grandes cultures et de céréales, à l’exception du blé et de l’orge, nous sommes déficitaires. Le maïs, souvent critiqué pour sa consommation d’eau, ne couvre pas nos besoins, et pour le soja, nous n’en produisons que 20 %. Il est impératif de prendre conscience de cette gravité et de trouver des solutions. Cela ne se fera pas en quelques jours, mais il faut inverser la tendance. Actuellement, le nombre d’agriculteurs diminue et la production continue de s’effondrer. Si les agriculteurs n’ont pas la garantie d’un revenu stable, ils continueront à disparaître. C’est pourquoi le Modef revendique la mise en place de prix minimum garantis, mesure que le président de la République avait soutenue lors du dernier Salon de l’agriculture. Cette garantie existait après la guerre pour développer l’agriculture.
En outre, il est crucial de protéger les agriculteurs contre les aléas climatiques. L’assurance actuelle ne répond pas à nos attentes, et il faut renforcer cette sécurisation. Une fois la question du revenu agricole réglée, une grande partie du problème sera résolue. Cependant, pour atteindre la souveraineté alimentaire, il faut augmenter le nombre d’agriculteurs : le Modef a proposé, il y a trois ou quatre, ans d’atteindre un million d’agriculteurs, alors que nous n’en comptons actuellement que 380 000. Ce nombre est essentiel pour garantir une production de qualité et assurer la sécurité alimentaire.
La question du foncier est également cruciale pour installer de nouveaux agriculteurs ou restructurer certaines exploitations. La France dispose des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), un outil unique qui doit jouer pleinement son rôle. Bien qu’elles aient connu des dérives par le passé, elles restent un atout extraordinaire. Le Modef demande que les Safer disposent de plus de moyens pour accomplir leurs missions, revendication que même les ministres de l’agriculture jugent pertinente.
Avant toute chose, il est nécessaire de légiférer sur le rôle des Safer. L’outil existe, mais il doit être amélioré. Ensuite, il faut doter les Safer des moyens nécessaires pour qu’elles puissent stocker du foncier grâce à un droit de préemption. Dès qu’une terre est mise en vente, la Safer doit pouvoir intervenir sans problème, conformément à la loi, pour stocker ce foncier et le rétrocéder ensuite à des jeunes agriculteurs ou à des personnes souhaitant revenir au métier de paysan. Dotées de moyens complémentaires, les Safer pourront maîtriser le foncier et le redistribuer à ceux qui en ont besoin, notamment les jeunes qui veulent s’installer. À cet effet, quelques milliards d’euros suffisent. Nous avons augmenté la dette de la France de mille milliards d’euros en peu de temps ; deux ou trois milliards de plus ne changeront pas fondamentalement la situation, mais ils permettront de doter les Safer de moyens importants. Le revenu agricole et le financement des Safer pour le foncier sont donc liés.
Un autre aspect important est la sécurité alimentaire. Nous avons lancé ce débat il y a quelques années, et il est crucial de le poursuivre. Nous sommes déficitaires dans plusieurs productions agricoles et ces produits viennent souvent de pays qui ne respectent pas les mêmes règles que nous en matière de produits phytosanitaires. Par exemple, les fruits et légumes importés massivement du Maroc, comme les tomates, fraises, melons, courgettes et concombres, sont traités avec des molécules interdites en France depuis des décennies. Si un agriculteur français en utilise, il risque des sanctions pénales. Pourtant, ces produits étrangers entrent sur notre marché sans problème.
Le Gouvernement répond que la compétence des molécules relève des États. Si le Maroc autorise ces molécules, elles sont également valables chez nous. Cette situation ne peut pas durer. Il faut interdire l’importation de produits agricoles traités avec des molécules interdites en France pour éviter des problèmes sanitaires.
Pour résoudre ces problèmes de revenu agricole, de foncier et de sécurité alimentaire, le Modef propose des solutions adaptées. Il est urgent de viser un million d’agriculteurs et de promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement. Cela passe par le développement de la recherche publique, notamment à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui a été délaissée au profit des firmes phytosanitaires. Celles-ci nous fournissent des semences plus productives mais fragiles, tout en nous proposant les médicaments pour les soigner. Il est temps de réinvestir dans la recherche publique pour développer des solutions durables.
En résumé, il est essentiel de légiférer sur le rôle des Safer, de les doter de moyens financiers, de garantir la sécurité alimentaire en interdisant les importations de produits traités avec des molécules interdites et de développer la recherche publique pour une agriculture durable.
M. Gilles Bernard, vice-président du Modef. Je viens du Vaucluse, au pied du Mont Ventoux. Je suis producteur de raisins de table, de cerises de table et de raisins pour le vin. La viticulture traverse des moments très compliqués. La crise viticole, latente depuis plusieurs années, avait été atténuée par le gel de 2021, qui avait épuré les stocks, mais aujourd’hui, presque toutes les appellations sont touchées en raison d’une régression de la consommation mondiale. La situation est complexe, avec des récoltes en stock et des prix tirés à la baisse par les négociants, qui ne respectent pas toujours la loi Egalim. Ils mettent les producteurs sous pression en menaçant de se tourner vers d’autres fournisseurs.
Nous demandons des prix planchers pour les appellations IGP, AOC et Grand Cru, car les négociants se tournent vers l’étranger lorsque le marché est à la baisse. Actuellement, huit mille hectares de vignes dans le Bordelais vont être arrachés pour planter des oliviers, ce qui crée des déséquilibres et fragilise encore plus les marchés agricoles. Ce transfert de production risque d’engendrer d’autres problèmes. Cette année, la récolte sera restreinte et de qualité médiocre, en raison des conditions météorologiques. Nous devons nous préparer à des jours difficiles et envisager des mesures adéquates.
Le prix de la distillation est trop bas, rendant les exploitations non viables. Les prix d’arrachage à quatre mille euros l’hectare sont inacceptables. La question viticole restera au centre des débats. De nombreux paysans n’ont pas taillé leurs vignes cette année, et cela risque de se reproduire l’an prochain. Le problème principal réside dans les revenus. Or, sans revenus, pas de paysans. Les assurances de récolte mises en place ne fonctionnent pas pour les exploitations en polyculture, en raison des franchises. Ces assurances, largement subventionnées par l’État, ne couvrent pas efficacement les pertes. Il est nécessaire de revoir ce système inadmissible.
Un autre point préoccupant concerne les marges pratiquées par la restauration sur les vins, surtout les vins de gamme moyenne. Les restaurateurs multiplient les prix par quatre ou cinq, alors que leur seul risque est d’ouvrir la bouteille. Il est impératif de revoir ces marges et de réintroduire des prix planchers pour la viticulture. Sans cela, le secteur ne s’en sortira pas.
Mme Géraldine Grangier (RN). La protection des terres agricoles et la transmission de nos exploitations familiales représentent des enjeux cruciaux pour notre avenir. Les agriculteurs familiaux, véritables gardiens de nos territoires, subissent une pression croissante liée à l’accès au foncier, à la spéculation et à la mondialisation. Cette pression s’accompagne d’une prédation inquiétante de notre patrimoine agricole, particulièrement en zone frontalière, comme dans le Doubs, où les agriculteurs suisses sont très présents. En 2016, 20 % de nos terres agricoles appartenaient déjà à des sociétés. Entre 2016 et 2018, 14,4 % des transactions étaient réalisées par des étrangers. Si nous n’agissons pas rapidement, la France risque de devenir spectatrice de l’appropriation de ses terres, compromettant ainsi son autonomie alimentaire.
Pour garantir un avenir à nos exploitations familiales, il est indispensable de renforcer la régulation du marché foncier, de soutenir les petites exploitations et de protéger les terres agricoles contre ces pratiques prédatrices. Les Safer jouent un rôle essentiel dans la régulation de ce marché, mais leur action reste insuffisante dans les zones de forte pression foncière. Le Gouvernement doit donc revoir et renforcer leur mission afin de protéger efficacement nos terres et d’assurer qu’elles restent aux mains des agriculteurs français.
La transmission des exploitations agricoles familiales constitue un enjeu majeur. Aujourd’hui, près de 55 % de nos agriculteurs ont plus de cinquante ans et peinent à trouver un successeur. Cette problématique s’aggrave avec les contraintes administratives et les coûts des successions, rendant la transmission souvent inabordable pour les jeunes générations. Sans un soutien fort de l’État, cette situation risque de conduire à la disparition de nombreuses petites exploitations, accélérant la concentration des terres entre les mains de grandes entreprises ou d’investisseurs étrangers. Nous devons agir rapidement pour faciliter la transmission intergénérationnelle des exploitations familiales, en mettant en place des exonérations fiscales et des prêts à taux zéro pour les jeunes agriculteurs. Un soutien renforcé garantira le renouvellement générationnel et la pérennité de notre modèle agricole familial. L’État doit assumer pleinement son rôle de garant de la souveraineté alimentaire nationale en renforçant les outils de régulation foncière, en simplifiant les démarches administratives pour les exploitations familiales et en supprimant les frais de succession pour les enfants d’agriculteurs qui s’engagent à exploiter l’entreprise pendant au moins dix ans. L’agriculture familiale, avec son modèle de production locale, joue en effet un rôle fondamental dans l’approvisionnement alimentaire de notre pays.
M. Raymond Girardi. Vous soulignez l’importance du foncier et des revenus des agriculteurs comme éléments essentiels pour atteindre l’objectif d’un million d’agriculteurs. La responsabilité de légiférer vous incombe désormais. Les outils nécessaires existent déjà, mais ils nécessitent une mise à jour pour clarifier les priorités. Allouer quatre milliards d’euros sur deux ans dans le budget de l’État aux Safer leur permettrait de préempter le foncier et de le redistribuer aux petits agriculteurs souhaitant se restructurer. C’est maintenant au législateur d’agir.
Mme Nicole Le Peih (EPR). Le Modef soutient l’instauration de prix plancher, sujet largement débattu au sein de cette commission ces derniers mois. Ce prix garanti par l’État vise à assurer un revenu de 1 800 euros par mois à chaque agriculteur. J’aimerais savoir quel mode de fixation de ce prix vous envisagez : s’agit-il de garantir un revenu de 1 800 euros par mois indépendamment du volume de production agricole, ce qui impliquerait un prix garanti par l’État déconnecté de la quantité produite ? Ou envisagez-vous de garantir un prix fixe pour chaque production, similaire aux subventions des premières années de la PAC ? Dans ce cas, ne craignez-vous pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets, notamment des crises de surproduction – comme le stock de poudre de lait – et d’autres effets pervers, tels que l’accroissement de la concentration des terres et l’encouragement à une agriculture intensive ?
M. Gilles Bernard. J’ai déjà parlé des prix planchers lors de notre audition par cette même commission sur la LOA. On nous disait que cela ne fonctionnerait pas, que la loi Egalim ne fonctionnerait pas. Pourtant, une seule chose marchait, le coefficient multiplicateur, qui a été supprimé. Les prix planchers visent à garantir un revenu aux agriculteurs. Chaque filière est capable de calculer ses prix de production dans chaque département, en incluant une marge pour l’agriculteur. Ce n’est pas un problème, mais il faut légiférer et éventuellement instaurer des quotas pour éviter l’expansion exponentielle des exploitations. Nous préférons avoir dix agriculteurs vivant sur un territoire plutôt qu’un seul concentrant toutes les ressources. Nous n’avons jamais essayé ce système, alors que tous les autres ont échoué à garantir un revenu aux agriculteurs. Pourquoi ne pas l’essayer ? Toutes les filières peuvent garantir les coûts de revient de chaque culture, même si ces coûts varient selon les départements. Je peux vous l’assurer.
Mme Nicole Le Peih (EPR). Quelle orientation donnons-nous à l’agriculture avec la LOA ? J’étais rapporteure du volet du projet de loi sur la souveraineté alimentaire. J’ai mentionné plus tôt les prêts à taux zéro pour les jeunes agriculteurs et d’autres solutions que vous avez proposées. Quelle solution prioriseriez-vous avant notre budget pour 2025 ? Il faut savoir qu’auparavant, les jeunes agriculteurs bénéficiaient de taux minorés, qui n’existent plus. Moi-même, j’en ai profité il y a quelques années lorsque les taux étaient très bas. Aujourd’hui, ils sont élevés. Les jeunes agriculteurs doivent absolument bénéficier de taux minorés et l’État doit compenser par rapport au marché. Prioriser le revenu des paysans est essentiel. L’agriculture telle que nous la connaissons depuis cinquante ans est à bout de souffle. Le nombre de paysans diminue chaque jour, ce qui prouve que le système actuel ne fonctionne plus. Il faut réinventer un autre système.
M. le vice-président Pascal Lecamp. Jusqu’en 1996, la PAC incluait des prix planchers et plafonds, appelés prix d’intervention, qui régulaient les stocks.
M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Notre ancienne collègue Annie Genevard est désormais ministre de l’agriculture. La colère du monde agricole au printemps a été apaisée par des promesses non tenues. La loi d’orientation agricole n’a pas abordé la question essentielle de la rémunération des agriculteurs, cruciale pour l’élevage et le renouvellement des générations. Au lieu de protéger nos paysans, l’absence de réponse les rend très vulnérables, surtout dans un contexte de réduction du budget de l’agriculture.
Le nouveau gouvernement, composé de groupes ayant perdu aux dernières élections et soutenu par le RN, semble unanime sur un point : la baisse du budget agricole. Les plafonds budgétaires pour 2025 prévoient une diminution de 9,5 % pour les autorisations d’engagement et de 4,5 % pour les crédits de paiement. Que pensez-vous de cette réduction budgétaire ?
Concernant les rémunérations, les paysans doivent vivre dignement de leur travail. Cependant, les gouvernements Macron ont échoué à négocier des prix rémunérateurs. En 2023, les députés LFI ont proposé une loi pour garantir des prix équitables et encadrer les marges de la grande distribution, mais elle a été rejetée à six voix près. La macronie s’y opposait et la moitié des députés RN étaient absents. Les prix équitables sont pourtant essentiels pour le renouvellement agricole. Quelles mesures attendez-vous sur ce sujet ?
La dérégulation des marchés, soutenue par la Commission européenne et les gouvernements Macron, aggrave la situation, alors que protéger notre agriculture de la concurrence déloyale est indispensable. Le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande n’a toujours pas été débattu à l’Assemblée, bien qu’il affecte directement les exploitations de mon département de l’Aveyron, spécialisées dans la production animale. De même, il n’est pas souhaitable d’importer chaque année 350 000 tonnes de bœuf avec des droits de douane réduits, ce qui fragilise notre élevage. La moitié des poulets consommés en France sont importés. Comment concilier un marché mondial et notre souveraineté alimentaire tout en protégeant nos agriculteurs ?
M. Raymond Girardi. Il faut arrêter les traités de libre-échange, car ils ouvrent la porte à l’importation de produits qui viennent de pays qui n’ont pas les mêmes conditions sociales que nous. Ensuite, pour garantir la sécurité, il faut fixer un prix minimum. Commençons par garantir aux agriculteurs un revenu correct. Si, à un moment donné, nous produisons trop, nous essaierons de remettre des quotas. Arrêtons l’importation de produits qui ont été traités selon des conditions sanitaires différentes des nôtres : le problème sera réglé !
M. Dominique Potier (SOC). Je tiens à exprimer ma gratitude envers le Modef pour son accueil mémorable et sa vision pertinente sur la question du foncier. Nous partageons une compréhension commune de ces enjeux. Je buvais du petit-lait tout à l’heure, car il est rare que les syndicats mettent en lumière les phénomènes structurels et les mécanismes en amont des coûts de production. Nous sommes tous d’accord pour partager la valeur en aval, mais la question de l’amont, notamment le coût et l’accès au foncier, est fondamentale pour garantir le renouvellement des générations.
Le milliard d’euros que vous proposez, qu’il soit en réalité de 800 millions ou de 1,2 milliard d’euros, serait certainement l’argent le mieux investi, surtout face à une fiscalité qui conduit à une gabegie et à une course en avant mortifère pour l’agriculture, laquelle perd simultanément en valeur écologique, sociale et économique. Merci pour cette prise de position forte sur le foncier. Ce combat, nous le menons non seulement à gauche, mais aussi au centre, et parfois même avec des républicains attentifs à cette cause. C’est un combat structurel, inspiré par Edgard Pisani, qui a cherché créer les conditions de la prospérité française par le partage de la terre. Nous devons retrouver cet esprit aujourd’hui.
Avez-vous pris connaissance du rapport de la Fédération nationale des coopératives d’utilisation des matériels agricoles (Cuma), qui indique que le surcoût lié à la mécanisation s’élève à près de quinze mille euros par exploitation en France ? Il est encouragé par des mécanismes fiscaux peu performants économiquement et destructeurs de valeur. Avez-vous engagé une réflexion à ce sujet ? Plus globalement, êtes-vous favorables, comme devrait l’être l’ensemble du monde agricole, à une révision complète des mécanismes fiscaux afin de les rendre plus efficients en termes de justice sociale, d’efficacité économique et d’impact écologique ?
M. Raymond Girardi. La question du suréquipement des exploitations agricoles n’est pas nouvelle. De nombreux agriculteurs en difficulté, notamment ceux soutenus par le Modef et la Confédération paysanne, sont confrontés à une « surmécanisation ». Ce phénomène résulte d’un contexte global du milieu agricole qu’il est impératif de réguler. Les Cuma constituent un excellent exemple de ce qu’il convient de développer pour disposer de matériel performant et de dernière génération, répondant précisément aux besoins des agriculteurs sans suréquiper les exploitations. Il est essentiel de promouvoir l’acquisition collective de matériel, notamment par le biais des Cuma. Cette structure existe et doit être pleinement opérationnelle.
Cependant, le principal problème de l’agriculture demeure le manque de revenu agricole. Bien que la surmécanisation soit un facteur de difficulté pour les agriculteurs, il est crucial de ne négliger aucun aspect. Il est donc nécessaire de résoudre la question des revenus agricoles tout en favorisant la coopération en matière de matériel.
M. Dominique Potier (SOC). Concernant la question foncière, nous avons interrogé tous les syndicats. Le groupe socialiste ne manquera pas de répondre, même brièvement. À quel moment situez-vous la question foncière dans votre calendrier ? Les Jeunes Agriculteurs (JA) indiquent qu’après les élections des chambres, ils organiseront un événement au salon et souhaitent s’y atteler. La FNSEA ne fournit pas de réponse précise. Quelle est votre position ? La Confédération paysanne affirme qu’il faut agir le plus tôt possible.
M. Raymond Girardi. Nous ne pouvons plus attendre. Il est impératif d’agir rapidement. Comme nous l’avons déjà souligné, les Safer sont prêtes et opérationnelles. Légiférez et mettez en œuvre les mesures adéquates. Allouer immédiatement un milliard d’euros aux Safer permettrait de démarrer les actions dans les quinze jours.
M. Vincent Rolland (DR). Votre syndicat joue un rôle essentiel dans la protection de l’agriculture à taille humaine, composante centrale de notre modèle agricole français. Notre groupe s’est engagé avec force dans le cadre du projet de loi d’orientation agricole, mais nous avons rencontré des blocages sur des questions essentielles que nous espérons enfin résolues avec la nouvelle ministre de l’agriculture, issue de notre famille politique.
Les exploitations familiales font face à de nombreux défis. Les revenus agricoles restent trop faibles pour bon nombre d’entre elles. Le système actuel de répartition des marges au sein des filières ne leur est pas favorable. Par ailleurs, l’accès au marché est un enjeu capital. Ces exploitations familiales peinent souvent à s’imposer face à la concurrence des grandes exploitations et des produits importés. En outre, la fiscalité constitue une préoccupation majeure. Les exploitants familiaux sont soumis à des charges trop lourdes qui freinent leur compétitivité. Nous soutenons donc une simplification administrative et une réduction des charges fiscales pour permettre à ces exploitations de dégager les marges nécessaires à leur développement.
Quelles dispositions attendez-vous du Gouvernement pour endiguer la fièvre catarrhale ovine qui sévit particulièrement dans certaines régions ? Comment votre syndicat se positionne-t-il par rapport à la prédation et aux difficultés croissantes qu’elle pose au pastoralisme ?
M. Gilles Bernard. Le coût annuel de la gestion du loup s’élève à environ quarante millions d’euros. On peut arrondir ce chiffre à soixante millions d’euros. Actuellement, on estime la population de loups à mille individus, ce qui signifie qu’un loup coûte environ soixante mille euros par an. En comparaison, la prime d’installation pour les agriculteurs est d’environ quinze mille euros, et cela pour toute une vie.
Face à cette situation, il est légitime de se demander si nous devons continuer à protéger le loup, à prétendre que sa population n’augmente pas et à dépenser soixante millions d’euros par an, alors que les éleveurs ne dorment plus et que la moitié de leurs troupeaux sont décimés sans qu’ils puissent être indemnisés correctement. La réponse semble évidente. Il est nécessaire d’avoir le courage politique de reconnaître cette réalité et d’agir en conséquence.
M. Raymond Girardi. Il faut modifier la fiscalité en lien avec la question précédente sur l’incitation matérielle. Concernant la fièvre catarrhale et les autres maladies affectant le bétail, la vaccination est essentielle. Nous avons été les premiers à proposer la vaccination des canards, bien que l’État ait initialement refusé. Il est inconcevable que l’on vaccine les humains, mais que l’on envisage de ne plus vacciner les animaux. Les éleveurs subissent déjà des pertes économiques dues à ces maladies. Il est impératif que l’État prenne en charge les coûts des vaccins à 100 %. Sans cette prise en charge, aucune solution viable ne pourra être trouvée.
M. Benoît Biteau (ÉcoS). Le revenu des agriculteurs est fondamental pour assurer leur avenir et encourager l’installation des jeunes. Il est donc crucial de garantir des prix rémunérateurs. La productivité, la souveraineté alimentaire et donc le revenu des agriculteurs sont également menacés par le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. J’aimerais connaître votre position sur l’orientation des aides publiques de la PAC vers les paiements pour services écosystémiques. Ces outils de politique publique pourraient accompagner les agriculteurs dans la transition nécessaire pour lutter contre ces deux menaces.
Il serait judicieux de soutenir le portage du foncier et de faciliter l’accès au foncier. En tant qu’ancien vice-président d’une région, j’ai constaté l’efficacité et le faible coût du portage de foncier en convention avec la Safer. Cependant, le marché accessible aux Safer est aujourd’hui restreint, représentant moins d’un tiers des mutations foncières, en raison des transferts de parts sociales dans des sociétés civiles et des GFA. Il est impératif que nous, législateurs, redonnions aux Safer le pouvoir d’intervenir sur les mouvements de foncier et de contrer ces parades à la réglementation.
Nous importons des produits dont la production est interdite en Europe en raison de l’utilisation de molécules prohibées. J’aimerais connaître votre avis sur le fait que des firmes européennes produisent et exportent ces molécules, créant ainsi une situation hypocrite où nous réimportons des produits traités avec des substances interdites chez nous.
Enfin, concernant la viticulture, nous observons des fluctuations importantes, avec des périodes favorisant la plantation et d’autres l’arrachage, souvent sur des délais très courts. Ne devrions-nous pas renforcer les outils de régulation et les quotas pour stabiliser le marché et éviter les crises récurrentes dans ce secteur, comme celle que nous vivons actuellement ?
M. Raymond Girardi. Sur le dérèglement climatique, il n’existe pas de solution miracle ; cela nécessitera un travail approfondi, notamment en matière de recherche pour adapter les variétés et autres aspects. Il est crucial qu’une part plus importante des dix milliards d’euros d’aides européennes soit allouée à l’adaptation au changement climatique, et ce, de manière plus ciblée que dans le cadre actuel du « deuxième pilier ». Nous partageons largement cette analyse, particulièrement en ce qui concerne l’adaptation.
Concernant la dernière question sur les dérives échappant aux affaires actuelles, il est impératif de légiférer.
M. Gilles Bernard. Les sociétés évoquées ont été créées par les plus grandes exploitations, il y a quelques années, pour échapper aux droits de succession. À un certain point, l’arroseur devient arrosé. Il est évident qu’il suffit de légiférer pour modifier la loi. Il faut agir rapidement, et je pense que tous les groupes seront globalement d’accord pour empêcher le pillage des terres agricoles par ces sociétés.
M. André Chassaigne (GDR). L’agriculture dans les territoires d’outre-mer est souvent ignorée. Néanmoins, votre organisation syndicale, le Modef, est très active dans plusieurs de ces territoires. Il est essentiel que nous échangions à ce sujet. La vie chère est une réalité dans tous les territoires d’outre-mer, exacerbée par des circuits commerciaux complexes, parfois légaux, parfois illégaux. En Guyane, par exemple, la proximité du Brésil et du Suriname complique les échanges. Dans les Antilles françaises, la pollution au chlordécone pose un problème majeur. L’agriculture y est dominée par une organisation informelle, souvent sans statut, familiale, avec une contribution significative des femmes, axée sur l’autoconsommation, malgré un environnement favorable.
L’autonomie alimentaire de ces territoires est en jeu. Quelles actions proposez-vous pour dynamiser l’agriculture dans ces territoires et les sortir de cette spirale de la vie chère ? Comment pouvons-nous élever le niveau de l’agriculture locale ? Quelles sont vos propositions concrètes ?
Je souligne également le malaise profond des paysans de ces territoires, marqué par des suicides et des mouvements de révolte qui risquent de s’intensifier dans les mois à venir. La situation est explosive. Il est crucial d’accompagner l’agriculture de ces territoires pour trouver des solutions durables.
M. Raymond Girardi. Le Modef est particulièrement actif dans ces départements. Récemment, je me suis rendu en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, tandis que d’autres collègues ont visité La Réunion et d’autres régions. La question du revenu et des prix y est également présente, mais l’accès au foncier y est encore plus problématique. En Guyane, où j’ai passé dix jours en décembre dernier, le foncier appartient à l’État et aux collectivités territoriales. Depuis quarante ans, les agriculteurs demandent à travailler sur ces terres, mais l’État n’a pas résolu ce problème. Dans certains territoires, la solution est simple : l’État ou les collectivités, qui possèdent ces terres, doivent les céder aux agriculteurs. Ces derniers n’attendent que cela pour pouvoir cultiver. En Martinique et en Guadeloupe, la situation est légèrement différente. Une partie des agriculteurs possède de très grandes exploitations, mais une autre partie, souvent locale, n’a pas accès au foncier. Il est crucial de résoudre cette question spécifique. Dans ces régions, les conditions climatiques et les terres sont idéales pour l’agriculture. Et pourtant, elles peinent à produire suffisamment pour se nourrir et exporter. Si nous leur donnons simplement accès au foncier, je suis convaincu qu’elles atteindront l’autosuffisance alimentaire dans les dix prochaines années.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Le libre-échange sans harmonisation des normes pose un problème majeur : la diffusion des épizooties. Des cheptels entiers sont décimés par des virus importés, tels que la FCO. Nous estimons que la réponse de l’État est insuffisante. Il est impératif de prendre en charge les vaccins pour tous les éleveurs et d’accélérer la recherche. J’aimerais connaître vos préconisations sur ce sujet.
M. Frédéric Weber (RN). Ces dernières années, les agriculteurs, notamment ceux des petites et moyennes exploitations, subissent une concurrence accrue due à l’importation de produits dans le cadre des accords de libre-échange tels que le CETA ou ceux avec la Nouvelle-Zélande. La profession s’inquiète aujourd’hui particulièrement à la perspective de l’accord d’association UE-Mercosur. S’il était conclu sans le consentement de la France, il risquerait d’accentuer la pression sur notre agriculture.
Par ailleurs, nous nous apprêtons à entrer dans la phase de préparation de la PAC post-2027, qui déterminera de manière décisive l’avenir de nos exploitations. Ce projet envisage de réorienter la PAC vers des services environnementaux et de réduire significativement l’usage des herbicides. Cette réduction pourrait avoir un impact dévastateur sur la qualité des céréales, notamment du blé panifiable, et donc sur la compétitivité de notre agriculture à l’export.
Quelle est la position du Modef sur la réduction de l’usage des herbicides ? Comment évaluez-vous les conséquences économiques pour les exploitations, sachant l’importance du secteur céréalier pour la balance commerciale française ?
M. Karim Benbrahim (SOC). Aujourd’hui, nos agriculteurs peinent à vivre dignement de leur travail, mettant ainsi notre agriculture en péril. Pour la préserver, il est impératif de se pencher sur la question du revenu. Il est urgent de soutenir financièrement les agriculteurs les plus nécessiteux.
Début septembre, la présidente de la Commission européenne a présenté les conclusions du dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture européenne. Ce rapport souligne que les paiements actuels basés sur la superficie des terres sont souvent déconnectés des besoins socio-économiques réels. Il critique les subventions à l’hectare et recommande un soutien accru aux petites exploitations.
Je souhaiterais connaître votre position sur le plafonnement des aides à la surface. Plus généralement, quel est votre avis sur ce rapport et ses recommandations ? Pourriez-vous également nous exposer les grandes lignes de votre vision d’une politique agricole commune efficace ?
M. Benoît Biteau (ÉcoS). Je souhaiterais revenir sur le régime assurantiel que vous avez évoqué. Actuellement, il mobilise des fonds publics pour soutenir les cotisations d’assurance. Cependant, il se révèle inefficace, car de moins en moins d’assurances acceptent de couvrir les risques climatiques. Le système de la « moyenne olympique » limite fortement les espoirs de soutien par les assurances, rendant ce régime peu attractif.
Je sollicite votre analyse sur la possibilité de mobiliser la réserve de crise de la politique agricole commune, jusqu’à présent inexploitée. Cette réserve représente une enveloppe considérable pour un pays comme la France et pourrait incarner une forme de solidarité plus efficace qu’un régime assurantiel.
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). L’agriculture de montagne repose majoritairement sur des exploitations familiales de petite taille, souvent gérées par une seule personne ou un couple. Comme toutes les autres formes d’agriculture, elle est fragilisée, mais elle l’est d’autant plus que de nombreux agriculteurs ne vivent pas exclusivement de leur exploitation en raison de revenus insuffisants. Ils dépendent souvent des stations de montagne, qu’elles soient de ski ou estivales, elles-mêmes en difficulté. Cette double fragilisation en montagne nous inquiète, car elle pourrait entraîner un arrêt massif des exploitations dans les zones situées au-delà de 1 000 ou 1 200 mètres d’altitude. Avez-vous des retours sur cette problématique ?
M. André Chassaigne (GDR). Je voudrais revenir sur un sujet que j’ai déjà abordé ce matin avec la Confédération paysanne : la question de l’eau. Actuellement, nos territoires connaissent des situations très conflictuelles. Certains agriculteurs, en grande difficulté, réclament une irrigation immédiate et se tournent parfois vers des mégabassines, ce qui suscite des critiques. En face, d’autres agriculteurs adoptent de nouvelles pratiques et productions qui bénéficient d’un large soutien des citoyens locaux. Je constate une carence de l’État dans ce domaine, ce qui divise et fragmente le monde agricole et rural. Cette situation est difficile à vivre sur nos territoires.
Ma question porte sur la position du Modef. Lors de discussions avec des militants du Modef dans différentes sections départementales, notamment lors d’une récente élection européenne, j’ai observé que les approches étaient variées. Quelle est votre position concernant les mégabassines, les retenues collinaires, les systèmes d’irrigation et le rythme de changement des pratiques agricoles et des productions ?
M. Gilles Bernard. Pour la PAC 2027, concernant la réduction des pesticides, tout le monde affirme : « Pas de réduction sans solution. » Cependant, personne ne met cela en pratique. Il est évident qu’il faut réduire les pesticides autant que possible, et tout le monde est d’accord sur ce point. En tant que producteur de cerises, la suppression d’un seul pesticide a été catastrophique pour toute la production, bien que celui-ci ne soit utilisé qu’une fois par an. La question se réglera au niveau européen, mais notre position reste claire : « Pas de réduction sans solution. »
Concernant le plafonnement des aides dans la nouvelle PAC, nous avons toujours soutenu le plafonnement des aides, non pas par hectare, mais par personne. Une personne seule sur une grande exploitation peut toucher 300 000 ou 400 000 euros, tandis que des GAEC avec quatre ou cinq travailleurs touchent seulement 50 000 ou 60 000 euros. Il est nécessaire de mettre en place un plafonnement raisonnable, pas à 300 000 euros, mais à un niveau plus bas, comme 50 000 euros. Cela permettrait de corriger les excès observés en France et ailleurs en Europe, où des sociétés non agricoles captent des fonds européens. Notre position a toujours été de soutenir une aide à la personne, car quelqu’un travaillant sur dix hectares mérite autant que celui travaillant sur deux cents hectares. Les contraintes et soucis sont similaires, donc il n’y a pas de raison expliquant une telle disparité dans les aides.
En ce qui concerne l’assurance-récolte, elle s’est développée avec la disparition du fonds des calamités agricoles, décision demandée par la FNSEA et non imposée par le Gouvernement. En contrepartie, le Gouvernement finance partiellement l’assurance-récolte en compensation. Les principaux assureurs agricoles sont Groupama et le Crédit Agricole. Il existe une franchise jusqu’à 30 %, après quoi les assureurs paient un peu, et en cas de gros dégâts, c’est l’État qui intervient. Cette situation est problématique, surtout avec la moyenne olympique qui impacte fortement les agriculteurs. Si un sinistre survient dans les cinq dernières années, il devient inutile de s’assurer car on ne reçoit rien. Une refonte totale de l’assurance-récolte est donc nécessaire, car le système actuel ne fonctionne pas. Le fonds calamité européen, qui remplaçait le fonds calamité français, n’est jamais évoqué ni activé, ce qui est regrettable.
M. Raymond Girardi. Concernant les traités de libre-échange, il est impératif de stopper cette dynamique néfaste. Au moment du GATT, lorsque c’est passé à l’OMC, l’exception agricole internationale a disparu. Au sein du Modef, nous demandons le rétablissement de cette exception agricole à l’OMC. Les produits agricoles, étant de la nourriture, ne doivent pas être traités comme des voitures, des roulements à billes ou des chaussettes. L’exception agricole doit être intégrée dans les futurs accords de l’OMC.
Pour une agriculture saine en Union européenne, revenons aux principes du traité de Rome : la préférence communautaire, la clause de sauvegarde, l’unicité des prix et l’harmonisation des charges, éléments jamais pleinement appliqués depuis soixante ans. Si ces principes avaient été mis en œuvre, nous ne serions pas dans la situation actuelle. L’harmonisation des charges aurait éliminé les préoccupations de concurrence avec l’Espagne et les pays d’Europe centrale. La clause de sauvegarde, appliquée en cas de danger pour la France, aurait prévenu les problèmes. La préférence communautaire vis-à-vis des pays extracommunautaires aurait également apporté des solutions. L’unicité des prix garantirait des tarifs uniformes. Appliquons donc le traité de Rome dans son intégralité, notamment sur ces quatre éléments, et le problème sera résolu. Ajoutons un contrôle aux importations, comme déjà évoqué.
En ce qui concerne l’eau, étant agriculteur irriguant depuis toujours, je sais que l’eau est indispensable à l’agriculture. Il est crucial de stocker et d’utiliser l’eau de manière adaptée aux potentialités locales. Au Modef, nous envisageons l’irrigation comme une assurance contre la sécheresse et non comme un moyen de surproduction. Il s’agit de permettre aux agriculteurs de garantir leur production même en période de pénurie sévère, sans chercher à maximiser les rendements. Par exemple, en tant que producteur de maïs, il ne s’agit pas de viser 150 quintaux par hectare, mais d’assurer une production de 80 à 100 quintaux. Cette approche, que je connais bien, doit être adoptée pour les productions vitales telles que les fruits, les légumes et les arbres, plutôt que pour les céréales.
M. Gilles Bernard. Bien qu’elle bénéficie des aides de la PAC et des CHN, l’agriculture de montagne reste désavantagée par rapport à l’agriculture de plaine. Ce désavantage se manifeste de plus en plus, notamment en raison de la prédation du loup sur les élevages et du manque d’accès à l’eau dans les zones montagneuses. Il est impératif d’agir pour soutenir l’agriculture de montagne, car les disparités entre les agriculteurs de montagne et ceux de plaine s’accentuent. Le changement climatique exacerbe cette situation. Les exploitations en montagne sont généralement de petite taille, ce qui accentue le fossé entre ces deux types d’agriculture. La nouvelle PAC ainsi que le Gouvernement devraient prendre des mesures spécifiques pour les zones de montagne, car il est particulièrement difficile d’y produire.
M. le vice-président Pascal Lecamp. Merci pour la clarté et l’énergie de vos interventions. On perçoit une forte motivation. Ayant précédemment siégé à la commission des finances, en charge du budget de l’agriculture, j’ai réalisé une évaluation au printemps dernier, dans le cadre du printemps de l’évaluation de l’assurance récolte. Mes collègues et le public ont pu la consulter. Tout d’abord, bien que perfectible, cette assurance a fait l’objet d’une évaluation, notamment sur le rôle des assureurs par rapport à la participation de l’État. Nous sommes passés en un an de 20 % à 30 % des surfaces françaises assurées, ce qui constitue un succès. Ensuite, concernant les tarifs, 70 % de ceux-ci sont pris en charge par l’État, qui vous verse ensuite un chèque pour l’agriculture. Enfin, cette assurance doit être améliorée, car il existe un effet d’aubaine pour les assureurs grâce à la participation de l’État. Vous pouvez consulter le rapport, il est public.
M. Raymond Girardi. En matière d’assurance, la question de la solidarité revêt une importance capitale. Il est normal que l’État intervienne. Cependant, il est également crucial que les acteurs en amont et en aval de l’agriculture, qui réalisent des profits substantiels au détriment des agriculteurs, s’impliquent fortement.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 25 septembre 2024 à 15 heures
Présents. – M. Laurent Alexandre, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Karim Benbrahim, M. Benoît Biteau, Mme Françoise Buffet, M. André Chassaigne, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Nicole Le Peih, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Weber
Excusés. – M. Laurent Lhardit, M. Max Mathiasin, Mme Louise Morel
Assistait également à la réunion. – Mme Sandrine Nosbé