Compte rendu

Commission
des affaires sociales

–  Audition, en application des dispositions de l’article L. 1451–1 du code de la santé publique, de M. Nicolas Scotté, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Institut national du cancer (INCa) est envisagée              2

 Informations relatives à la commission......................22

– Présences en réunion.................................23

 

 

 

 

 


Mercredi
18 septembre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 3

session de septembre 2024

Présidence de
M. Paul Christophe, Président

 


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La réunion commence à neuf heures trente.

(Présidence de M. Paul Christophe, président)

La commission auditionne, en application des dispositions de l’article L. 1451–1 du code de la santé publique, M. Nicolas Scotté, dont la nomination aux fonctions de directeur général de l’Institut national du cancer (INCa) est envisagée.

M. le président Paul Christophe. Par courrier en date du 24 juillet, M. le Premier ministre a informé Mme la Présidente de l’Assemblée nationale qu’il était proposé de nommer M. Nicolas Scotté aux fonctions de directeur général de l’Institut national du cancer (Inca).

Les dispositions de l’article L. 1451‑1 du code la santé publique s’appliquant à cette nomination, Mme la présidente de l’Assemblée nationale a invité notre commission à procéder à l’audition de M. Scotté, mais cette nomination n’entrant pas dans le champ de l’article 13 de la Constitution, elle ne fera pas l’objet d’un vote de notre commission.

Monsieur Scotté, je suppose que vous souhaiterez profiter de la dizaine de minutes qui vous est impartie pour vous présenter – je précise que votre curriculum vitæ a été adressé il y a quelques jours à l’ensemble des commissaires –, nous indiquer comment vous comptez investir les fonctions auxquelles vous êtes proposé, et évoquer les défis qui se présenteront à l’Inca dans les prochaines années.

Ensuite, les orateurs des groupes, puis les autres députés, disposeront chacun de deux minutes pour vous interroger. Nous conclurons sur vos réponses à l’ensemble de ces questions.

En ce mois de septembre dédié à la lutte contre les cancers de l’enfant, je forme le vœu d’un soutien accru à la recherche, notamment aux essais cliniques – j’ai cosigné, avec de nombreux collègues, une tribune en ce sens parue récemment dans la presse. Je saisis cette occasion pour saluer l’action du monde associatif – en particulier la fédération Grandir sans cancer et son président Stéphane Vedrenne, que vous connaissez bien –, et des nombreux parents impliqués, auxquels j’adresse mon soutien amical

M. Nicolas Scotté. Je vous remercie d’avoir organisé cette audition dès la rentrée parlementaire ; j’avais déjà été entendu par vos homologues du Sénat en juillet dernier.

En tant que haut fonctionnaire, particulièrement attaché à faire vivre notre modèle social depuis le début de ma carrière, je suis honoré d’être devant votre commission, dont je connais la qualité des travaux pour en avoir été le témoin dans le cadre de mes précédentes fonctions, qui m’ont notamment amené à suivre de près, pendant plusieurs années, l’examen du budget de la sécurité sociale. Je sais qu’elle s’est toujours mobilisée avec intensité sur les enjeux liés au cancer du sein, l’accès aux médicaments innovants, le droit à l’oubli, mais aussi sur les cancers pédiatriques et le soutien aux familles et aux proches aidants – sujet que je sais vous être cher, monsieur le président. J’espère que cette mobilisation perdurera sous la nouvelle législature.

Je reviendrai rapidement sur les principes qui ont forgé l’identité de l’Inca, avant de présenter mon parcours et mes motivations, puis d’évoquer les défis devant nous en matière de lutte contre le cancer. Je le ferai avec toute la modestie qu’impose un sujet aux enjeux humains et sociaux si profonds – on parle de parcours de vie, de difficultés mais aussi de l’espoir porté par les thérapies nouvelles ; avec humilité aussi, parce que je ne connais pas encore l’établissement de l’intérieur, même si son président, Norbert Ifrah, m’a assuré de sa confiance, et que j’ai pu échanger avec Thierry Breton, qui a œuvré pendant près de dix ans à la direction générale de l’Inca.

Avant toute chose, permettez-moi de présenter quelques chiffres qui montrent combien la lutte contre le cancer est non seulement un problème de santé publique, mais aussi un défi pour notre société.

En France, l’incidence du cancer a doublé ces trente dernières années, sous l’effet du vieillissement démographique, mais aussi de nos modes de vie – consommation de tabac, d’alcool, alimentation, facteurs environnementaux : chaque jour, 1 200 personnes sont diagnostiquées d’un cancer, et leur vie en est bouleversée. Responsable de 160 000 décès par an, cette maladie des sociétés modernes reste la première cause de mortalité en France. C’est d’ailleurs un sujet de préoccupation majeur pour les Français : selon le baromètre cancer réalisé par l’Inca, 96 % d’entre eux citent le cancer comme la maladie la plus grave, loin devant les maladies cardiaques, le sida ou la maladie d’Alzheimer. Si, fort heureusement, la mortalité diminue, grâce à un dépistage plus précoce et des thérapies plus efficaces, certains cancers continuent de progresser, comme le cancer du poumon chez les femmes, lié à la prévalence du tabac ; pour d’autres, le pronostic de survie reste très mauvais – pour sept localisations, le taux de survie à cinq ans est inférieur à 33 %. Enfin, d’après le rapport annuel sur l’évolution des charges et produits de l’assurance maladie au titre de 2024, publié cet été, la prise en charge des cancers coûte chaque année 24 milliards d’euros à l’assurance maladie – un montant très important, qui a augmenté de 8 milliards au cours des sept dernières années.

Face à cet enjeu important, une mobilisation transpartisane, de long terme, associant chercheurs, soignants, responsables politiques et monde associatif, est de mise. Le cadre de cette action collective a été défini par le législateur dans la loi du 8 mars 2019. Ce texte a permis d’engager les pouvoirs publics dans une stratégie décennale de lutte contre le cancer, laquelle s’inscrit donc dans un temps plus long que les précédents plans Cancer, qui couvraient seulement cinq années. Dotée d’un budget de 1,7 milliard d’euros, en hausse de 20 %, cette stratégie est pilotée par l’Inca, dont on fête cette année le vingtième anniversaire. En effet, il a été créé en 2004 sous l’impulsion de Jacques Chirac, qui avait fait de la lutte contre le cancer l’un de ses chantiers prioritaires et souhaitait disposer d’une structure d’impulsion et de pilotage stratégique, capable de réduire le cloisonnement entre recherche, prévention et soins. À l’époque, la France s’était alignée sur la plupart des pays les plus en avance en matière de lutte contre le cancer en créant une agence nationale, placée sous la double tutelle des ministères chargés de la santé et de la recherche.

Sa plus-value tient à son caractère à la fois sanitaire et scientifique, qui lui offre une vision transversale et intégrée sur le cancer : au-delà des aspects de santé publique, comme la prévention, le dépistage et la structuration de l’offre de soins, elle traite ainsi également de l’orientation de la recherche, en partenariat avec les instituts de recherche. C’est au nom de cette logique partenariale que l’Inca s’est constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt public, dont le conseil d’administration associe l’ensemble des parties prenantes : l’État, les associations, comme la Ligue contre le cancer, l’assurance maladie, les fédérations hospitalières – notamment Unicancer, qui pilote les centres de lutte contre le cancer –, et des parlementaires.

Tous les rapports récents montrent que ce modèle de gouvernance fonctionne bien. Tout d’abord, c’est une structure à taille humaine – elle ne compte que cent cinquante salariés, bien moins que d’autres agences –, ce qui lui confère une grande souplesse et une bonne capacité d’impulsion et d’adaptation, lui permettant de se saisir de sujets d’actualité – en particulier ceux soulevés par votre commission, comme les cancers des enfants, le déploiement d’une filière d’intelligence artificielle ou la pénurie de médicaments, pour citer une problématique qui s’aggrave.

Ensuite, l’agence est fondée sur une très forte légitimité scientifique, qu’elle doit pour beaucoup à son président, Norbert Ifrah. Grâce à son conseil scientifique international et à la diversité des profils d’experts qui y travaillent – professeurs, chercheurs, médecins en santé publique, pharmaciens, épidémiologistes, hauts fonctionnaires –, elle dispose d’un fort rayonnement académique, à la fois dans les territoires, mais aussi à l’échelle européenne et internationale.

À l’échelle locale, l’Inca est chargé d’animer l’écosystème de recherche et de soins cliniques dans les territoires à travers la labellisation des cancéropôles et des sites de recherche intégrée, ou encore, plus récemment, des centres ou réseaux d’excellence qui consacrent leurs travaux à des sujets très spécifiques, comme les cancers à mauvais pronostic ou les cancers pédiatriques. Au-delà, il contribue aux objectifs du plan européen de lutte contre le cancer et participe aux travaux du Centre international de recherche sur le cancer, placé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La création d’un G7 Cancer, l’an dernier, à l’initiative de Norbert Ifrah, illustre parfaitement la démarche de rayonnement international de l’institut, qui travaille étroitement avec les centres de renommée internationale présents sur le territoire français, comme l’Institut Curie ou le centre Gustave-Roussy.

Pour ma part, je suis issu d’une formation académique pluridisciplinaire : diplômé de Sciences Po et de HEC, j’ai également une licence en sciences et technologies de l’Université Pierre-et-Marie-Curie – un double cursus créé par Bruno Latour, sociologue des sciences, pour mêler les disciplines et les approches, et former les acteurs de demain à répondre aux problématiques associant aspects scientifiques et politiques publiques. Fort de mon intérêt pour les politiques sociales, qui sont au creuset de l’économie, des finances publiques et de l’expertise sociale et scientifique, j’ai, après ma sortie de l’École nationale d’administration, exercé pendant dix ans des fonctions dans le champ de la protection sociale.

Formé à la direction de la sécurité sociale, j’y ai été associé aux grands bouleversements intervenus ces dernières années, comme la protection universelle maladie, le 100 % Santé, ou encore le rapprochement de la protection sociale des indépendants avec celle des salariés. Mon passage à l’Inspection générale des finances m’a permis d’aborder le contrôle et la gestion opérationnelle d’un opérateur, puisque j’y ai été associé à l’inspection d’un établissement public, mais aussi de me forger une méthode de travail, d’acquérir des compétences techniques et de me confronter à des réflexions prospectives. J’ai notamment été rapporteur de la commission présidée par Jean Arthuis sur la dette publique post-covid, qui associait économistes, politiques et experts de tous bords, et corapporteur, avec Laurent Vacher, du rapport sur la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, la branche autonomie.

Les fonctions de conseiller technique chargé de la protection sociale que j’occupe depuis trois ans – à Matignon puis à l’Élysée – m’ont offert une vision plus stratégique et interministérielle des enjeux ; j’y ai développé une capacité à élaborer des feuilles de route et à piloter des politiques publiques dans des écosystèmes multiples, parfois très complexes, pour parvenir à des résultats tangibles. J’ai en particulier acquis une expertise des politiques du vieillissement et du grand âge.

Ces dernières années, je me suis aussi beaucoup investi dans les politiques du handicap – un sujet que vous connaissez bien, monsieur le président. Dans le cadre du pilotage de la Conférence nationale du handicap, qui s’est tenue en avril 2023, j’ai mené un travail de coconstruction avec les associations, qui sera également nécessaire dans le domaine du cancer. J’ai aussi assuré le suivi de plusieurs feuilles de route, comme la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement et la stratégie Agir pour les aidants, la première consacrée à cet important sujet. La lutte contre le cancer partage avec ces politiques publiques plusieurs enjeux : recherche, repérage précoce, structuration de la filière, reconnaissance des droits des personnes.

Le directeur général et le président de l’Inca forment un binôme, le fonctionnaire assurant une fonction d’appui complémentaire de l’action du président, le médecin et chercheur Norbert Ifrah. Au sein de ce binôme, je serai le garant de l’environnement de travail, de la richesse d’expertise de l’Inca et de son engagement à « servir la cause » ; il me reviendra aussi de limiter les risques, tant financiers – en particulier au regard de l’état actuel des finances publiques –, que juridiques et déontologiques.

Avant d’évoquer les défis que nous avons collectivement à relever, un mot de la stratégie décennale, qui arrivera à mi-parcours en 2025 : 75 % des 234 actions ont déjà été lancées, nous ne sommes donc pas en retard dans son déploiement. Néanmoins, le législateur a prévu une évaluation intermédiaire, qu’il me reviendra donc d’animer dans les prochains mois, avant de fixer ou, le cas échéant, d’ajuster, la feuille de route pour les années 2026 à 2030.

Les défis sont nombreux, mais trois axes retiennent mon attention : la prévention, le soutien à l’innovation et l’accès aux droits.

La prévention, tout d’abord, est mère de toutes les batailles : 40 % des cancers pourraient être évités en changeant nos comportements face au tabac et à l’alcool, mais aussi en modifiant notre alimentation. Alors que 45 000 décès sont liés au tabac chaque année l’objectif du programme national de lutte contre le tabagisme, lancé l’année dernière par Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé, est de parvenir à une génération sans tabac. En matière de prévention, la France reste moins efficace que ses voisins, en particulier s’agissant du dépistage ; un tiers des actions de la stratégie décennale relèvent donc de la prévention. Elles consistent avant tout en des opérations d’information et de communication visant à toucher des publics plus jeunes ou plus éloignés des canaux d’information traditionnels : ce marketing social vise à fixer des repères dans l’opinion et à faire évoluer les comportements. Il faut également moderniser les programmes de dépistage du cancer du sein, du cancer colorectal et du cancer du col de l’utérus. En la matière, le transfert à l’assurance maladie de la gestion des invitations au dépistage et des relances, en 2024, et les nouvelles techniques innovantes développées par l’Inca, ont permis des avancées. Un appel à projets a d’ailleurs été lancé cet été, dont l’objectif est de parvenir à un dépistage plus précoce du cancer du poumon grâce aux scanners à faible dose. Enfin, dans une logique d’aller vers, il faut renforcer l’adaptation des politiques de prévention à la réalité des territoires, en partenariat avec les collectivités territoriales et les agences régionales de santé (ARS). Plusieurs actions ont été menées en ce sens, comme la tournée du Mammobus, qui a permis de réaliser des mammographies dans les zones rurales et les quartiers prioritaires ; véritable succès en 2023, la campagne HPV, qui a permis de vacciner 48 % des élèves de 12 ans – dont 41 % de garçons – soit 400 000 jeunes, sera renouvelée à la rentrée.

Deuxième axe : le soutien à l’innovation. Afin d’accompagner l’essor exceptionnel des thérapies ciblées, de l’immunothérapie et de l’oncogénétique, l’Inca a consacré pas moins de 630 millions d’euros à la recherche, tant fondamentale que clinique ou en sciences sociales, au cours des cinq premières années de la stratégie. Afin d’éviter le morcellement de la recherche, l’Institut travaille aussi au développement d’agences « de programme », des structures de recherche intégrée, tournées vers l’innovation sur une thématique spécifique. L’Inca dirige notamment un programme consacré aux essais cliniques portant sur des médicaments innovants.

Le dernier axe, qui m’est particulièrement cher, concerne l’accès aux soins et les droits des personnes. L’Inca a piloté l’expertise relative à la structuration de l’offre de soins en oncologie, qui a abouti à une évolution du régime d’autorisation qui devrait être déployée cette année : le parcours de soins, plus gradué, facilitera le recours à l’ambulatoire ; les cas les plus complexes et l’oncogériatrie seront pris en change dans des filières spécifiques ; et des innovations permettront de réduire les délais d’accès aux traitements et d’être plus efficaces, en particulier face aux cancers fulgurants ou à très mauvais pronostic. L’Inca travaille également à l’enrichissement du parcours du patient, en particulier dans l’après-cancer, à travers des initiatives portant sur le panier de soins de support, le déploiement d’infirmières de coordination pour faire le lien entre les médecins et les professionnels paramédicaux, ou encore, après certains cancers, une offre de soins esthétiques. Alors que 4 millions de personnes se battent – ou se sont battues – contre un cancer, l’après devient presque aussi important que les traitements médicaux eux-mêmes. On trouve dans les politiques du handicap le terme d’autodétermination des personnes, qui pourrait, il me semble, tout à fait s’appliquer aux personnes qui ont vécu un cancer : la capacité à retrouver une vie normale, le droit à l’oubli pour l’emprunt immobilier, le retour à l’emploi, la réduction des séquelles physiques ou psychologiques ou encore les questions de reconstruction mammaire et de fertilité, sont autant d’enjeux de l’après-cancer face auxquels l’Inca commence à déployer un ensemble de politiques. Il faudra poursuivre dans cette voie.

Vingt ans après le premier plan Cancer, les enjeux restent d’autant plus importants que des inégalités sociales et territoriales demeurent.

Pour conclure, je tiens à redire combien je suis motivé pour défendre ces enjeux aux côtés de la représentation nationale.

M. le président Paul Christophe. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Théo Bernhardt (RN). Depuis plusieurs années, la lutte contre le cancer fait l’objet d’une attention politique particulière. Mais si la France a souvent été à l’avant-garde de la recherche et du traitement du cancer, des défis de taille demeurent, nécessitant une vigilance constante. La pénurie de médicaments anticancéreux est l’un des enjeux les plus pressants, comme vous l’avez vous-même souligné lors de votre audition devant le Sénat. En 2023, ces médicaments essentiels ont fait l’objet de 5 000 signalements de risque de rupture d’approvisionnement, mettant ainsi en lumière les vulnérabilités de notre système de santé. L’Inca assurant un rôle d’expert en la matière, quelles mesures concrètes envisagez-vous de prendre – ou de recommander – pour garantir l’approvisionnement continu de ces médicaments ? Quelles alternatives thérapeutiques pouvez-vous proposer aux patients en cas de pénurie ?

Par ailleurs, en cette période d’austérité liée à la gestion plus que douteuse des finances publiques ces dernières années, le financement de l’Inca est particulièrement mis à l’épreuve. Les coupes budgétaires décidées par Bruno Le Maire en février dernier ont-elles eu des conséquences sur les finances de l’Inca ? Avez-vous des inquiétudes ou des attentes particulières concernant le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ?

À titre personnel, je suis préoccupé par les conséquences des contraintes budgétaires sur la recherche et les initiatives de l’Inca en matière de prévention, qui reste le parent pauvre de notre stratégie contre le cancer. Malgré une campagne qui, en 2023, a permis de protéger plus de 40 % des jeunes filles et garçons contre les cancers liés au papillomavirus – vous l’avez rappelé –, la France accuse un retard considérable en ce domaine, et reste loin des standards de nombreux pays développés. Quelles mesures envisagez-vous pour combler ce retard et intensifier la prévention autour de ces cancers chez nos jeunes ?

Vous l’aurez compris, les députés du Rassemblement National attendent des réponses et des mesures concrètes pour répondre efficacement à cet enjeu de santé publique majeure que représente la lutte contre les cancers, et espèrent que vous saurez répondre à ces attentes.

M. Michel Lauzzana (EPR). Je profite de cette audition pour saluer le professeur Ifrah ainsi que toutes ses équipes, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler dès 2017, en tant que coprésident du groupe d’études sur le cancer.

Nous sommes plusieurs à arborer aujourd’hui un ruban doré, symbole du mouvement Septembre en or, dédié aux cancers pédiatriques. 2 500 enfants sont atteints d’un cancer chaque année, sous une forme qui diffère bien évidemment de celle des adultes. Selon vous, quelles devraient être les priorités de l’Inca en matière de lutte contre les cancers pédiatriques ? Les nombreuses associations qui travaillent sur les cancers pédiatriques, comme le collectif Gravir et la fédération Grandir sans cancer, souhaiteraient être associées plus étroitement au déploiement de la stratégie décennale. Que comptez-vous faire ?

Par ailleurs, comment s’articulent les travaux menés par l’Inca dans le cadre de la stratégie décennale avec le récent plan européen de lutte contre le cancer, que vous avez évoqué ?

Enfin, vous l’avez dit, nous assistons à une révolution dans les traitements, de plus en plus personnalisés. Au-delà de l’immunothérapie, que vous avez citée, on trouve également la radiothérapie interne vectorisée. Comment l’Inca compte-t-elle garantir une équité d’accès à ces innovations dans tout le territoire ? En tant qu’élus, c’est un sujet que nous suivons de près.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le budget de l’Inca continue à être dissimulé par M. Barnier, ce qui ne nous empêche pas de discuter de ses missions de rassemblement des protagonistes de la lutte contre le cancer, de coordination de la recherche et de formulation de pistes de stratégie décennale.

Notre groupe est intrigué par votre parcours : vous avez travaillé auprès de Mme Borne et de M. Attal sur les questions du vieillissement, de l’emploi des séniors et de l’usure professionnelle. Comment évaluez-vous l’effet de la réforme des retraites sur le temps d’exposition à des substances cancérigènes au cours de la carrière professionnelle ? Je songe par exemple aux égoutiers et à tous les professionnels travaillant dans des locaux où des substances cancérigènes ont été détectées, comme ceux de l’hôpital Purpan, à Toulouse. Le prochain ministre de la santé voudra peut-être se saisir de ce dossier. De telles pathologies font l’objet d’une sous-déclaration généralisée, puisqu’un rapport de la branche maladie professionnelle de la sécurité sociale publié en 2021 l’estime à plus de 90 %. Quelle est votre analyse de ce phénomène ?

Le manque d’information n’est pas restreint au monde du travail puisque, aussi incroyable que cela puisse paraître, la répartition géographique des cancers n’est connue que par extrapolation, faute d’informations exactes. Ainsi, en Occitanie, le registre des cancers n’est disponible que pour les départements de l’Hérault et du Tarn. Comptez-vous monter une cellule de veille afin de constituer les données de base utiles à l’action au niveau départemental ? Cette demande, cruciale pour les professionnels et les patients, est faite à chaque épisode de démocratie sanitaire et elle le sera sans doute demain lors d’une journée de débats organisée à l’Oncopole de Toulouse.

Il existe aujourd’hui des médicaments innovants, notamment d’immunothérapie, qui sauvent des vies, mais ils sont facturés à des prix exorbitants – jusqu’à 300 000 euros pour un traitement – qui n’ont aucun rapport avec les coûts de production. Que comptez-vous faire pour mettre fin à ces logiques spéculatives ?

M. Thibault Bazin (DR). Je souhaite associer ma collègue Josiane Corneloup à mes questions sur la prévention.

Quelle sera votre stratégie en matière de communication pour augmenter le taux de participation de la population au programme de dépistage généralisé ? La stratégie décennale prévoit un million de dépistages supplémentaires entre 2021 et 2025, mais nous n’y sommes pas.

En matière d’orientation de la recherche, quelles limites humaines ou financières identifiez-vous à la mise en place sur l’ensemble du territoire d’innovations thérapeutiques, notamment celles liées à la médecine nucléaire et aux thérapies ciblées afin de garantir un accès aux soins partout en France ?

Envisagez-vous d’inclure dans les rendez-vous de prévention prévus par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 une sensibilisation aux cancers gynécologiques, souvent diagnostiqués à un stade avancé ? Quelles sont les modalités – en termes de lieux, de cibles et de calendrier – du déploiement des scanners à faible dose afin d’accélérer le dépistage du cancer du poumon ?

Chaque année, 500 enfants décèdent des suites d’un cancer pédiatrique. Un réel effort a été effectué afin d’accélérer la recherche fondamentale, ce qui a permis à l’Inca de mettre en place des appels à projets ambitieux. Cependant, ces projets ne pourront améliorer la guérison que si cette dynamique s’étend au développement de traitements et d’essais cliniques dédiés. Or, à ce jour, dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique en cancérologie, une nette majorité des projets retenus bénéficient aux adultes atteints de cancers les plus courants. Quelle est votre ambition pour ce sujet qui nous tient à cœur – je pense notamment au président Paul Christophe ?

Comment comptez-vous améliorer l’accès aux innovations thérapeutiques sur l’ensemble du territoire ? Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se renseignent sur internet.

M. Jérôme Guedj (SOC). Vous avez indiqué votre appétence pour les questions relatives à la perte d’autonomie et au grand âge. Comment envisagez-vous l’accompagnement de ces populations, souvent vulnérables, notamment en adaptant les politiques de prévention, de dépistage et de traitement, mais aussi de l’après-cancer, qui peut être un facteur d’accroissement de la perte d’autonomie ? Cette question touche aux enjeux de l’accessibilité aux soins, du suivi personnalisé et de la prise en charge de comorbidités, fréquentes dans cette tranche d’âge.

Ma deuxième question concerne l’organisation des dépistages. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales publié en 2022 pointe l’extrême complexité du pilotage des dépistages et des coûts de près de 600 millions, qui ne sont donc pas neutres. Vous avez parlé d’aller vers. Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire ?

Je voudrais enfin attirer votre attention, notamment avec mes collègues Jiovanny William et Béatrice Bellay, sur la question du traitement du cancer dans les territoires d’outre‑mer. Une étude récente de l’Inca a révélé qu’on y survit moins bien au cancer qu’en France hexagonale. Parmi de nombreux exemples, je n’en citerai qu’un seul : les chances de survie du cancer de l’utérus sont de 77 % en France hexagonale contre 55 % en Guadeloupe, Comment inscrirez-vous cette inégalité des chances de survie du cancer sur le territoire national dans votre stratégie ? Quelles mesures concrètes prendrez-vous pour assurer une véritable égalité ?

M. Hendrik Davi (EcoS). Rappelons que l’Inca, créé en 2005, coordonne la recherche scientifique et la lutte contre le cancer avec un budget relativement modeste, 100 millions d’euros.

La recherche contre le cancer est un enjeu majeur puisque 3,8 millions de nos concitoyens ont eu un cancer au cours de leur vie. Je souligne également que nous connaissons aujourd’hui deux fois plus de nouveaux cas de cancer qu’en 1990. Cette augmentation n’est pas due qu’au vieillissement, ainsi qu’en témoignent les incidences à âge constant de certains cancers. On constate ainsi une très forte augmentation des mélanomes, dont les cas ont été multipliés par cinq depuis 1990, et des cancers du pancréas, dont les cas ont été multipliés par quatre.

Quelles seront les politiques de l’Inca pour travailler en amont sur les causes des cancers, notamment celles liées à la pollution environnementale ? Une étude parue récemment démontre que plus de 3 600 produits chimiques, dont 80 sont toxiques, sont présents dans notre corps. Historiquement, la France est à la traîne en termes de recherche en santé publique et en santé environnementale. Comment comptez-vous y remédier ?

La dernière enquête « Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels » révèle que 10 % de l’ensemble des salariés de France, dont 80 % sont ouvriers, sont exposés, du fait de leur activité, à au moins un agent cancérigène – particules de diesel, poussières de bois, silice, arsenic. L’Inca devrait en faire plus pour mieux le documenter.

Les principales causes de cancer demeurant la consommation de tabac et d’alcool. Ces cancers n’ont pas la même incidence en fonction des classes sociales. L’Inca compte-t-il favoriser les recherches en sociologie et en politique publique pour améliorer nos résultats dans ce domaine ? Je note que certains de nos voisins font mieux que nous.

Comment envisagez-vous le financement de l’immunothérapie, qui coûte de plus en plus cher ? Un pôle public du médicament chargé de la fabrication de ces thérapies n’est-il pas souhaitable ?

Enfin, avez-vous une idée du budget de l’Inca dans le projet de loi de finances pour 2025 ?

M. Jean-Carles Grelier (Dem). Grâce aux plans Cancer, la coordination de la prise en charge de la recherche et de la thérapeutique a considérablement progressé depuis vingt ans et l’Inca a joué un rôle majeur dans ce déploiement.

Toutefois, il reste un hiatus important dans la prise en charge des patients atteints d’un cancer. Le temps qui s’écoule entre le diagnostic et les premiers soins est souvent trop long, ce qui est préjudiciable : pendant ce temps, la maladie continue son triste ouvrage et le moral des patients s’en trouve affecté. Dans certains territoires, les patients doivent attendre entre six et huit mois pour obtenir un rendez-vous pour des examens d’imagerie ou de biologie ou pour des rendez-vous avec un anesthésiste, un chirurgien ou un oncologue.

Envisagez-vous, dans votre évaluation de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, d’inclure des formules réduites, sur le modèle de ce que font certains centres de lutte contre le cancer ? Je pense notamment à un centre qui est aujourd’hui capable, en vingt-quatre heures, de poser et de confirmer un diagnostic de cancer du sein et de faire sortir la patiente avec l’ensemble des rendez-vous nécessaires à la prise en charge thérapeutique. L’Inca pourrait s’inspirer de tels exemples pour améliorer la prise en charge.

M. François Gernigon (HOR). Le cancer reste un défi majeur de santé publique. En 2023, plus de 380 000 nouveaux cas ont été diagnostiqués en France, faisant de cette maladie la première cause de décès chez les hommes et la deuxième chez les femmes. Pourtant, il est important de noter qu’un nombre significatif de cancers pourrait être évité. En 2015, environ 41 % des cancers chez les plus de 30 ans étaient attribués à des facteurs de risques modifiables tels que le tabagisme, la consommation d’alcool, l’alimentation et le surpoids.

Le rôle de la prévention est donc central, en particulier celui de la prévention secondaire – le dépistage précoce. Malheureusement, la pandémie de covid-19 a montré la fragilité de nos systèmes de prévention. Selon certaines études, jusqu’à 30 % des cancers auraient été sous-diagnostiqués en 2020, retardant ainsi les soins essentiels et compromettant les chances de guérison pour de nombreux patients.

Cela dit, grâce à des avancées médicales et scientifiques, des progrès indéniables ont été réalisés au cours des dernières décennies, entraînant une diminution notable du taux de mortalité liée au cancer. Ces progrès sont largement soutenus par le travail de l’Inca. Cet organisme, qui est au cœur de notre politique publique de lutte contre le cancer, coordonne la recherche, le dépistage et l’information auprès des patients et des professionnels de santé. La mission de l’Inca est primordiale pour garantir la traduction des avancées scientifiques et médicales en actions concrètes et efficaces pour nos concitoyens. Quelles sont donc, selon vous, les priorités immédiates pour améliorer la prévention et l’accès aux soins ?

M. Stéphane Viry (LIOT). Nous sommes tous attachés à l’Inca, dont l’importance n’est plus à démontrer. Cet organisme a trouvé sa place dans la politique publique de lutte contre une maladie inquiétante et qui pose de nombreux défis.

Vous avez évoqué les moyens financiers de l’Inca, mais quelles sont vos capacités humaines pour la recherche, la prévention et le dépistage ?

Quelle est la place de la démocratie sanitaire pour animer les travaux de l’Inca ? Comment y associez-vous les patients et leur famille ?

Je souhaite également vous interroger sur le lien entre la vie professionnelle et le cancer. Il est essentiel de permettre le maintien dans l’emploi, grâce à l’aménagement des conditions de travail, ou le retour à l’emploi des personnes malades. Par quelles actions concrètes comptez-vous associer les services de prévention et de santé au travail et les grandes branches professionnelles à cette tâche ? Il me semble qu’il existe des marges de progression afin que les hommes et les femmes atteints par cette maladie ne décrochent pas.

Enfin, j’aimerais vous entendre sur les mesures d’accompagnement en fin de thérapie, notamment en termes d’alimentation et de diététique. La chimiothérapie est un traitement lourd qui peut entraîner des difficultés après le retour à la maison, notamment pour la mère qui doit assumer la préparation des repas. Or il me semble que les familles font face à un vide alors qu’elles devraient pouvoir continuer à être accompagnées, d’autant que l’alimentation est un des paramètres de la thérapie.

M. Yannick Monnet (GDR). Selon la dernière enquête de la Ligue contre le cancer, de plus en plus de personnes atteintes de cancer sont confrontées à des pénuries de médicaments avec des conséquences délétères sur leur santé physique et psychologique. Ainsi, 78 % des professionnels de santé en oncologie ont déjà été confrontés à une pénurie de médicaments. Ces pénuries ou retards d’approvisionnement des médicaments sont à l’origine d’angoisse et d’anxiété pour 32 % des personnes concernées, d’aggravation des symptômes dans 7 % des cas et d’aggravation de la maladie pour 3 % des patients interrogés. Toujours selon cette enquête, 47 % des professionnels de santé estiment que la mortalité à cinq ans sera en augmentation en raison des pénuries de médicaments. Comment l’Inca peut-il concrètement agir pour lutter efficacement contre ces pénuries de médicaments ? Nous plaidons pour la mise en œuvre d’un pôle public du médicament pour éviter sa marchandisation croissante.

Le reste à charge pour les patients atteints d’un cancer pendant et après le traitement nous préoccupe également. Dans le cadre de la précédente législature, les députés communistes ont fait adopter une proposition de loi visant une prise en charge intégrale par la sécurité sociale de l’ensemble des soins de supports et des dispositifs et prothèses liés au cancer du sein. Un seul dispositif a été mis en place par l’Inca afin que trois soins de support – soins psychologiques, suivi diététique et activités physiques adaptées – soient pris en charge par la sécurité sociale, mais seulement à hauteur de 180 euros par an sur prescription médicale pour tout patient souffrant d’une affection de longue durée (ALD) et ce jusqu’à un an après la fin du traitement actif. Cette disposition nous semble loin d’être suffisante. Soutenez-vous notre démarche et ne pensez-vous pas qu’une bonne prise en charge du cancer demande urgemment que l’ensemble des soins soient intégralement pris en charge par l’assurance maladie ?

M. Olivier Fayssat (UDR). J’ai étudié votre curriculum vitæ et j’ai écouté votre audition au Sénat. Notre groupe se réjouit de votre nomination.

Comme beaucoup, j’ai été directement concerné par le cancer. Il me semble que les compétences de l’Inca devraient comprendre l’accompagnement de l’entourage des patients, qui inclut tous les acteurs de la guérison et qu’il faut en faire plus en termes d’information, de formation et de pédagogie.

M. le président Paul Christophe. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Beaucoup de choses ont déjà été dites, mais je voudrais insister sur le registre national des cancers. Il est grandement nécessaire pour fournir des bases épidémiologiques à la santé publique, à la prévention et à la recherche. Je rappelle qu’une proposition de loi prévoyant l’instauration de ce registre, déposée par la sénatrice Sonia de La Provôté a été votée par le Sénat.

Je voudrais rebondir sur les propos de Jean-Carles Grelier sur les délais de prise en charge, dus notamment au manque de professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, dans certains territoires. Afin de gagner quelques jours, ce qui peut améliorer le pronostic à terme, est-il envisageable de conditionner des financements à l’efficience des délais de prise en charge ?

L’accès à l’innovation a déjà été évoqué, mais je voudrais vous interroger sur un point précis. Certains cancers, dont les cancers du poumon, qui ne sont d’ailleurs pas tous liés au tabagisme, peuvent être dépistés grâce à des séquençages génétiques. Or ces actes font partie du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) et ne sont donc pas pris en charge à hauteur de leur coût réel. Afin de remédier à cette inégalité de prise en charge et d’accès aux soins, puisque ces dépistages peuvent contribuer au déficit de l’hôpital public et ne sont pas forcément assurés par des structures privées, qui peuvent ne pas disposer des moyens financiers nécessaires, pensez-vous pouvoir nous aider à faire bouger ces enveloppes d’actes hors nomenclature ?

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je salue l’efficacité de l’action de l’Inca depuis 2004. La France a pris le parti de l’innovation et de l’immunothérapie, ce qui a permis des avancées significatives dans le traitement du cancer et dans l’amélioration de la qualité de vie des patients. Une équipe française a d’ailleurs été mise à l’honneur à Barcelone ces jours derniers lors du congrès de la Société européenne d’oncologie médicale. Ces traitements innovants représentent toutefois un coût élevé. La Cour des comptes, dans son rapport sur la santé respiratoire, indique que les dépenses liées aux soins des cancers du poumon ont, en quatre ans, augmenté quatre fois plus rapidement que le nombre de patients traités, pour atteindre 2,9 milliards d’euros.

Face à ce constat, comment garantir un accès équitable aux innovations thérapeutiques pour tous les patients, conformément aux objectifs de la stratégie décennale ? Quelles mesures permettraient d’éviter une situation où certains patients bénéficient de traitements innovants, tandis que d’autres en sont exclus en raison de contraintes budgétaires ?

Cette problématique est intrinsèquement liée à celle des pénuries de médicaments et suscite une frustration considérable. Comment évaluer le niveau de contribution de l’Inca à la lutte contre les ruptures de stock de médicaments anticancéreux ?

La technologie de détection précoce de cancer est aujourd’hui disponible en France, mais ces dépistages peinent à décoller en raison de délais et de difficultés d’accès. Les taux de dépistage des cancers du sein ou de l’intestin sont donc encore faibles. Quelles mesures préconisez-vous pour élargir l’accès de populations sous-représentées ou à risque élevé à ces dépistages ? Comment l’Inca prévoit-il d’intégrer les innovations technologiques et les approches personnalisées pour améliorer la couverture et l’efficacité des dépistages à l’échelle nationale ?

M. Nicolas Turquois (Dem). En sept ans, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) a progressé de plus de 50 milliards d’euros, avec notamment une très forte progression liée aux ALD et aux cancers. Lutter contre le cancer, c’est donc aussi s’attaquer à la progression des dépenses qui y sont liées. La prévention, qui repose sur le triptyque tabac, alcool, alimentation, est un des moyens de lutte. J’invite d’ailleurs notre commission à se questionner à ce sujet, car je ne suis pas sûr que l’Assemblée nationale soit exemplaire et nous devons prendre garde au message que nous envoyons à nos concitoyens.

Vous avez parlé de communication sur la prévention. Envisagez-vous également des mesures plus coercitives ? Je pense qu’il faut aller plus loin que la communication et, par exemple, interdire l’accès au tabac avant un certain âge.

En matière de diagnostic précoce, il est désormais possible, grâce à des traceurs, de détecter très en amont des prédispositions génétiques au cancer. Un tel diagnostic, appliqué, sur la base du volontariat, à certaines populations à risque permettrait d’éviter le développement ultérieur de cancers.

L’analyse du profil génétique profond des tumeurs, qui permet de mieux cibler les traitements, est loin d’être systématisée en France. Quelles sont vos options ?

Je voudrais enfin m’associer à mes collègues qui ont insisté sur la nécessité d’un registre national des cancers, qui permettrait d’identifier les inégalités territoriales afin de définir des axes d’action.

Mme Justine Gruet (DR). Les dépistages doivent rester au plus près des territoires et je tiens à saluer l’engagement du monde associatif, mais également du monde de l’entreprise, qui font un travail formidable, comme nous pourrons le voir à l’occasion de l’opération Octobre rose concernant le dépistage du cancer du sein. En Franche-Comté, il existe un partenariat de réseau qui fonctionne bien avec l’Institut régional fédératif du cancer. Il a notamment permis de déployer un appareil de mammographie à l’hôpital de Dôle. La proximité des lieux de dépistage favorise la prévention.

Vous avez insisté sur l’importance de mener de front dépistage, traitement et recherche. Les médecins généralistes et les médecins de famille jouent à ce titre un rôle essentiel, puisqu’ils prennent le temps nécessaire à l’accompagnement et travaillent au plus près de nos territoires, à la fois en amont, pour la prévention primaire et secondaire, mais aussi pour la prévention tertiaire et la réinsertion socioprofessionnelle après un cancer.

Comment prévoyez-vous d’assurer la pérennisation des actions de prévention et de dépistage alors que les ministres changent régulièrement ? Les collectivités et les associations ont besoin qu’un cap soit maintenu pendant quelques années afin de pouvoir évaluer le bon fonctionnement des actions mises en œuvre.

Que pensez-vous de la décentralisation du personnel parisien pour l’associer pleinement aux actions menées au plus près de nos concitoyens par les professionnels de santé, les associations, les familles et les collectivités ?

Qu’envisagez-vous pour favoriser la connaissance des soins palliatifs – c’est un sujet dont nous avons beaucoup parlé lors de la précédente législature – afin de les lier aux soins curatifs en réponse aux attentes des patients sur l’ensemble du territoire ?

M. Jean-François Rousset (EPR). L’Inca joue un rôle important dans l’appropriation des connaissances et des bonnes pratiques, que ce soit pour les usagers ou les professionnels de santé. Depuis la loi du 9 août 2004, l’Institut est chargé de définir les bonnes pratiques et les conditions nécessaires à la qualité de la prise en charge des malades atteints du cancer.

Face à la situation financière actuelle du pays, qui nous impose de nous questionner sur l’utilisation des deniers publics, l’Institut peut jouer un rôle important. En effet, ses recommandations peuvent orienter les pratiques de diagnostic, d’examens et de surveillance afin d’éviter une multiplication inutile des examens, des marqueurs ou des soins tout en maintenant la sécurité des usagers et la qualité des soins. Quelles sont vos perspectives de travail pour déployer une stratégie en ce sens ?

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Vous avez évoqué le retard de la France en matière de dépistage et de prévention. Plusieurs études le démontrent. Santé publique France a ainsi observé que les taux de dépistage respectifs du cancer du sein et du cancer colorectal sont de 50 % et de 32 %. L’Organisation européenne du cancer, dans une étude publiée en mai 2024, pointe également le retard de la France pour les questions de l’accès aux soins, du dépistage et de la prévention, mais constate également que le système de soins est plutôt bon.

Plusieurs raisons sont évoquées, notamment celle de la couverture vaccinale. Vous avez vanté celle du papillomavirus, mais, en comparaison avec d’autres pays, nous sommes très en retard. Je ne reviens pas sur l’hypocrisie française en matière de consommation de tabac et d’alcool, mais j’insiste sur un autre élément pointé par cette dernière étude : le manque de médecins et de soignants, qui porte préjudice à l’accès aux soins. Vous avez mentionné des dispositifs, mais quels sont les moyens concrets pour les mettre en place ?

Les études montrent l’impact du glyphosate dans le développement de certains types de cancer. Or la France ne s’est pas opposée à la prolongation de l’autorisation de l’utilisation du glyphosate par l’Union européenne. Pensez-vous que l’Inca doit pousser pour la reconnaissance du glyphosate comme substance cancérigène ?

M. Nicolas Scotté. À la veille de ma prise de fonction, je n’ai peut-être pas les informations nécessaires pour apporter des réponses détaillées à toutes vos questions, mais je vais m’efforcer d’aborder l’ensemble des sujets évoqués.

Messieurs Bernhardt, Clouet et Bazin, vous m’avez interrogé sur le budget de l’Inca. La première feuille de route de la stratégie décennale de lutte contre les cancers est dotée de 1,74 milliard d’euros, soit 20 % de plus que le plan Cancer qui le précédait. Le budget de l’Inca s’élève en moyenne à 120 millions – 147 millions l’an dernier. Cela comprend la subvention du ministère de la santé pour financer le fonctionnement, soit quelque 35 millions, et celle de l’Agence nationale de la recherche, dans le cadre du programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, qui se monte environ à 65 millions par an. Par ailleurs, l’Inca dispose d’une trésorerie. Le développement de la recherche n’est pas linéaire ; certaines séquences demandent des décaissements supérieurs à d’autres. Ainsi, en 2023, nous avons financé des sites de recherche intégrée sur le cancer, pour 30 millions d’euros environ. L’institut déploie des stratégies et gère son budget avec rigueur, mais je forme le vœu d’améliorer la transparence : moi-même, j’ai rencontré des difficultés pour savoir quels moyens exactement il consacre à la recherche contre le cancer.

Vous avez raison, nous sommes très en retard en matière de dépistage précoce et d’organisation de programmes de dépistage – il faut l’assumer collectivement. Par exemple, le taux de participation aux dépistages du cancer du sein a baissé de 50 à 47 %. Avec les dépistages individuels, on atteint environ 60 % des femmes, soit 10 % de moins que les recommandations européennes. Seules un tiers des personnes concernées participent au dépistage organisé du cancer colorectal. Vous l’avez dit, certains pays, comme l’Australie, sont près d’éradiquer le cancer du col de l’utérus : ils ont commencé les vaccinations contre les HPV dans les années 2000 et leur couverture vaccinale atteint désormais 80 %. Il ne faut pas se flageller mais avancer. Je salue le travail effectué au collège : 48 % des filles de 12 ans ont été vaccinées et 41 % des garçons, pour lesquels nous étions plus en retard encore. La vaccination contre les papillomavirus humains fait partie de mes priorités pour la rentrée. Peut-être les médecins devront-ils, le moment venu, s’interroger sur l’opportunité de la rendre obligatoire.

En 2024, l’Inca a transféré à l’assurance maladie la gestion des invitations à participer aux dépistages organisés, ainsi que des relances. En effet, elle bénéficie d’une force de frappe d’envergure, grâce à ses systèmes d’information et à sa capacité à contacter les professionnels de santé pour les inciter à faire de la prévention. Il s’agit de trouver le premier contact pour diagnostiquer. Il faudra observer quelles sont les conséquences de ce transfert ; nous espérons gagner en efficacité.

Par ailleurs, les innovations en matière de dépistage sont constantes. Pour le cancer du sein, la tomosynthèse, mammographie en trois dimensions, se développe après avoir reçu un avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS). Pour le cancer colorectal, on peut désormais commander un kit sur internet ou l’acheter à la pharmacie ; dans son rapport sur l’évolution de ses charges et produits au titre de 2025, l’assurance maladie propose que les infirmiers et les sages‑femmes puissent le remettre aux personnes concernées. Pour le cancer du poumon, monsieur Bazin, l’Inca a lancé cet été un appel à candidatures pour expérimenter un dépistage organisé ; les résultats devraient être connus à l’automne. L’étude Nelson et l’étude « Dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose » (Cascade) de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP‑HP), ont montré qu’un scanner thoracique faible dose permettait un diagnostic précoce. Or ce cancer est pour moi le plus terrible : il provoque 33 000 décès par an et le taux de survie à cinq ans se monte à 20 %. Un diagnostic précoce changerait la donne.

Les cancers pédiatriques, monsieur Lauzzana, ne représentent que 0,5 % des cancers, mais ils ont une dimension tragique. On compte 2 500 cas par an, notamment des leucémies, des lymphomes et des cancers embryonnaires, et 500 décès. Ils sont différents des cancers de l’adulte, et les taux de survie sont meilleurs : plus de 80 % pour les premiers contre 60 % pour les seconds. En 2019, l’Inca a créé une task force, avec des associations : il est nécessaire de faire collaborer les parties prenantes et le monde associatif, notamment les parents des enfants atteints de cancer, pour répondre au mieux à leurs besoins. Chaque année, l’Inca publie un rapport sur la lutte contre les cancers pédiatriques, qui recense les travaux menés. Par ailleurs, l’institut labellise des centres spécialisés ; trois ont bénéficié d’une enveloppe de 15 millions d’euros pour améliorer la recherche et les soins cliniques. Le Paris Kids Cancer associe l’AP-HP, l’Institut Curie et l’Institut Gustave-Roussy – l’élite. Les deux autres centres spécialisés sont situés respectivement dans le Sud et dans le Nord-Est, afin d’essaimer les centres d’excellence dans le territoire, grâce à l’enveloppe supplémentaire de 20 millions d’euros que le Parlement a votée l’an dernier. L’Inca a travaillé à structurer l’offre de soin en créant cinq organisations interrégionales. Les cancers pédiatriques sont rares ; leur traitement exige un niveau de compétence qui dépasse l’échelle de la région. Enfin, pour mieux combattre les cancers, nous devons partager nos informations avec les autres pays. Ainsi, le G7 Cancer, impulsé par Norbert Ifrah, a décidé de placer les cancers pédiatriques au centre de sa stratégie de transfert de données.

S’agissant des essais cliniques, l’Inca a ouvert il y a dix ans un programme Acsé, d’accès sécurisé à des thérapies ciblées innovantes, qui permet de transposer des médicaments sans indication à des malades en échec thérapeutique. Il a fait ses preuves. Près de 1 200 patients participent ainsi à des essais cliniques, dont des enfants. Sur 2 000 cas par an, ils sont quelques centaines seulement – je vous transmettrai le chiffre.

L’Inca possède une cellule Europe, chargée d’animer le plan européen pour vaincre le cancer, lancé en 2021, comme la stratégie décennale. Ce plan bénéficie de financements issus des programmes L’UE pour la santé et Horizon Europe – consacré à la recherche et à l’innovation. Globalement, ses objectifs sont les mêmes qu’à l’échelle nationale, avec dix mesures phares. Concernant la prévention, le programme Partnership to Contrast HPV (Perch) vise à élargir la vaccination contre les papillomavirus ; certaines initiatives tendent à mieux comprendre la maladie, comme la création d’un atlas d’images, dans le cadre du programme Understand Cancer (Uncan). Des centres d’excellence recevront une labellisation européenne. Ces problèmes doivent être traités à l’échelle européenne ; sur les cancers rares et les cancers de mauvais pronostic en particulier, nous avons besoin des données d’autres pays pour mener des épidémiologies et améliorer les diagnostics.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué les pénuries de médicaments. Le ministère chargé de la santé dispose d’une feuille de route. Depuis la crise liée au covid-19, on constate une aggravation : en 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a enregistré 5 000 signalements, dont certains concernent des anticancéreux. L’ANSM mène la politique du médicament et exerce la surveillance ; l’Inca lui apporte son expertise. Il a notamment établi une liste de quarante-trois anticancéreux d’intérêt thérapeutique majeur, pour lesquels il faut particulièrement veiller au niveau du stock et à la disponibilité chez les laboratoires producteurs. En cas de pénurie, il faut une stratégie alternative. On sait par exemple que des ruptures d’approvisionnement en vindésine surviendront en 2025 ; avec son réseau d’experts, l’Inca a défini quels médicaments proposer aux patients. C’est une logique d’anticipation. Au-delà de la gestion de crise, la question concerne le stock, la production et sa relocalisation. En 2023, le ministère chargé de la santé et l’Inca ont financé la relocalisation de la production de six anticancéreux. L’enjeu est double : assurer la souveraineté et l’accès aux traitements. Il ne faut donc surtout pas négliger ce problème. Grâce à Choose France, des laboratoires pharmaceutiques ont pris l’initiative, saluée, de relocaliser des lignes de production de certains anticorps monoclonaux utiles pour l’immunothérapie et d’anticancéreux. Les promesses des industries pharmaceutiques doivent se traduire par des relocalisations.

M. Lauzzana et M. Clouet ont évoqué l’aspect territorial de l’accès aux traitements. Le cancer soulève des questions spécifiques, différentes par exemple de celles relatives aux services d’urgence ou aux maternités. Il faut assurer un très bon niveau de prise en charge, ce qui parfois implique d’agir au niveau départemental ou régional. C’est le sens de la réforme du régime des autorisations sanitaires, qui a augmenté les seuils d’activité, notamment pour le traitement du cancer du sein. Il s’agit de fournir une réponse graduée et de qualité, adaptée à chacun, dans le cadre d’un parcours de soins, en particulier pour les cas complexes, les cancers de mauvais pronostic et l’oncogériatrie. Vous avez raison, monsieur Guedj : il faut déployer une filière d’oncogériatrie, car l’âge moyen du diagnostic est d’environ 70 ans, ce qui correspond au moment de l’apparition de fragilités pouvant conduire à la perte d’autonomie.

Que fait l’Inca pour améliorer l’accès aux traitements ? D’abord, il a fortement encouragé l’accès précoce et l’accès direct aux médicaments innovants, déployés depuis l’entrée en vigueur de la LFSS 2021. Quelque 127 000 patients ont bénéficié de l’accès précoce à cent cinquante médicaments. Cela réduit les délais d’autorisation de mise sur le marché, en particulier pour les patients en échec thérapeutique. L’institut participe également à massifier et à diversifier l’accès aux essais cliniques de phase précoce, avec une politique de labellisation. On compte désormais seize centres sur le territoire, dans une logique de décentralisation.

M. Clouet, notamment, a posé la question du prix des traitements. Ceux qui constituent des innovations thérapeutiques peuvent coûter plusieurs centaines de milliers d’euros, comme les cellules CAR-T, ajustements d’immunothérapie des lymphocytes T – qui certes ne s’utilisent pas dans le traitement de tous les cancers. La stratégie du médicament doit prendre en considération la maîtrise de l’Ondam, que cela affecte, en même temps que l’importance de l’innovation et la qualité de l’accès aux médicaments. Évidemment, l’Inca ne tarifie pas les médicaments – c’est le rôle du Comité économique des produits de santé. Pour la plupart des anticancéreux, nous devrons vérifier la réalité de l’innovation : la logique industrielle peut conduire à proposer un petit changement moléculaire très coûteux pour l’assurance maladie sans être plus efficace. Les innovations peuvent également concerner la manière de traiter les patients. L’Inca développe ainsi un programme de désescalade thérapeutique visant à améliorer la tolérance aux traitements ; cela participe également à la maîtrise budgétaire. Il est vrai que la plupart des anticancéreux sont inscrits dans la liste en sus, donc ne ressortissent pas à la tarification à l’activité. Les hôpitaux ou les centres de lutte contre le cancer ne sont donc pas soumis à cette contrainte particulière. La réforme du RIHN vise à lever la contrainte des tests moléculaires : certains servent à établir la carte d’identité de la tumeur, mais l’enveloppe concernée de l’Ondam est fermée, donc l’assurance maladie peut ne pas les rembourser intégralement aux hôpitaux, pour lesquels ils représentent une charge. Nous devons résoudre cette difficulté afin d’améliorer les tests génétiques sur les tumeurs.

Messieurs Davi et Clouet, je partage votre constat sur les cancers professionnels, qui font l’objet de quelque 1 800 déclarations chaque année. La reconnaissance de leur statut de maladie professionnelle permet aux patients de bénéficier d’un traitement favorable, avec une prise en charge, une rente au titre des accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP) et parfois un départ en retraite anticipé. La documentation scientifique est désormais approfondie, notamment sur l’amiante, et continue à évoluer : en 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a démontré qu’il existait une corrélation entre l’exposition à l’amiante et les cancers du larynx et des ovaires. Les tableaux des maladies professionnelles ont été modifiés en conséquence. Il est clair que la réalité scientifique doit conditionner l’ajustement des catégories. Comme vous, je constate que ces cancers, comme les autres maladies professionnelles, sont sous-déclarés ; la branche maladie reverse 1 milliard d’euros par an à la branche AT-MP pour tenir compte de ce phénomène. Chaque année, entre 12 000 et 15 000 cancers seraient liés à une exposition professionnelle. Il faut avancer. Le Sénat par exemple a publié un rapport d’information sur les cancers imputables à l’activité de sapeur‑pompier.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur les registres départementaux. Norbert Ifrah a défini une ligne scientifique. Nous disposons d’une trentaine de registres déployés dans le territoire ; ils couvrent 21 % du public et 100 % des cancers pédiatriques. En raisonnant en coût rapporté aux bénéfices, ils satisfont les besoins des études épidémiologiques. Il faut probablement mener un travail spécifique dans des zones qui ont été exposées à des pollutions particulières liées par exemple à une forte activité industrielle, afin de vérifier si le nombre de cancers augmente. Plus généralement, l’Inca estime qu’il faut non augmenter les volumes des données, mais les approfondir et améliorer leur qualité. C’est pourquoi il a ouvert un entrepôt de données pour les enrichir en regroupant notamment celles de l’assurance maladie, de la plateforme des données de santé, des données anatomopathologiques et issues des dossiers communicants de cancérologie. Cependant, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers ; si elle était adoptée par la représentation nationale, l’Inca en tirerait les conséquences, notamment budgétaires, sur la politique de suivi des cancers, selon une approche coût-bénéfice.

Monsieur Guedj, vous le savez, je suis très attaché au soutien à l’autonomie. Je vous rejoins, il faut lier davantage les politiques médico-sociales et de santé, notamment dans le domaine de la prévention. Les rendez-vous prévention se déploient, mais il faudrait établir un diagnostic vers 65 ans, au moment du départ à la retraite, concernant les fragilités cognitives, sociales et sanitaires. Je promeus ardemment ces détections précoces, en particulier en généralisant le programme de soins intégrés pour les personnes âgées (Icope) de l’OMS. L’oncogériatrie se développe, les unités de coordination en oncogériatrie se déploient dans les territoires afin de prendre en considération les spécificités des patients âgés et de renforcer les liens des traitements avec la prise en charge de la douleur et les soins palliatifs. Dans la logique du virage domiciliaire, j’ai l’objectif de développer l’hospitalisation à domicile : pour les personnes âgées, aller se faire soigner à l’hôpital soulève des difficultés. Les patients concernés sont plus nombreux mais le phénomène reste marginal. La situation s’améliorera peut-être en raison du covid, qui a conduit à développer des stratégies de soin différentes. Il faut en dresser le bilan.

S’agissant de l’aller vers et du dépistage, la logique veut que l’assurance maladie prenne en charge les dépistages programmés et que les dispositifs spécifiques régionaux du cancer organisent l’aller vers. Cela implique aussi d’adapter les traitements au public visé – personnes en difficulté sociale, handicapées, souffrant de troubles psychiques par exemple. L’Inca a passé toute une série d’appels à projets pour détailler les dispositifs adéquats, comme le déploiement des mammographies, le plan Zéro exposition en milieu scolaire, le développement d’une activité physique adaptée chez les jeunes. L’Inca n’agit pas seul ; les ARS et les collectivités locales participent à la traduction régionale de la stratégie. L’institut a créé un club Collectivités territoriales et prévention des cancers.

S’agissant des outre-mer, un volet de la stratégie nationale leur est consacré. L’Inca s’est déplacé à plusieurs reprises dans les Antilles, notamment pour analyser les taux de survie aux cancers en cas de spécificité territoriale, insulaire en particulier. Par ailleurs, nous consacrons des dotations spécifiques à la réalisation d’essais cliniques dans les outre-mer, car elle est plus difficile. Pour la chlordécone en particulier, un programme de recherche a été élaboré, doté d’un budget de 3,5 millions d’euros, afin de mieux identifier le lien entre ce produit et le cancer de la prostate, même si son existence est déjà établie, avec une inscription dans la liste des maladies professionnelles et un accès au fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.

La question de l’environnement et des pollutions est essentielle, monsieur Davi, mais c’est peut-être la plus complexe. En effet, il faut étayer scientifiquement le lien entre l’exposition à des substances chimiques et le cancer. Il arrive que des produits soient dangereux pour la santé, leur effet cancérigène avéré ; il faut encore s’interroger sur l’exposition au risque et définir des seuils. Des recherches sont menées en ce sens, en particulier par l’Anses, qui a intégré le concept d’exposome, tendant à obtenir une vision à 360 degrés de l’exposition des personnes aux facteurs de risque à travers les âges. Environ 10 % des actions de la stratégie décennale concernent les facteurs environnementaux. Les liens sont parfois directs, comme avec les pesticides ou l’amiante, mais ils sont parfois plus difficiles à établir, comme avec la pollution ou les perturbateurs endocriniens. Toutefois, les incertitudes scientifiques n’empêchent pas de lutter contre le cancer et d’autres maladies, de se protéger des pollutions. Le Parlement débat de la protection contre les substances polyfluoroalkylées ou perfluoroalkylées (Pfas) ; il faut donc poursuivre le travail scientifique qui fondera les actions futures.

Monsieur Grelier, vous soulevez le problème du délai qui sépare le diagnostic du traitement. Vous avez raison, il augmente, comme le montre l’étude qu’a publiée la Ligue contre le cancer sur la période allant de 2019 à 2023. Cela concerne notamment le cancer du sein, où il se monte en moyenne à onze semaines. L’Inca devra mener à son tour un travail pour vérifier les chiffres de la Ligue, issus d’enquêtes. La HAS a développé des indicateurs de qualité et de sécurité des soins spécifiques à chaque cancer, qui prennent en compte les délais de traitement, puisque la corrélation est forte entre le délai et la mortalité. Je m’engage à avancer en publiant la réalité des faits et en définissant les actions possibles. L’Inca a passé des appels à projets relatifs aux innovations en matière d’organisation, de parcours, de coordination, notamment pour les cancers de mauvais pronostic. Ainsi, l’hôpital Henri-Mondor développe une filière innovante pour les cancers des voies biliaires et du pancréas, afin que dès la première suspicion des examens complémentaires soient menés et que les premiers traitements soient administrés sans attendre.

Monsieur Gernigon, vous avez évoqué les effets du covid. L’Inca a effectué un gros travail pendant la crise sanitaire, notamment en raison de la déprogrammation d’interventions chirurgicales. Les experts scientifiques ont élaboré des stratégies d’adaptation, par exemple en faisant intervenir la chimiothérapie ou la radiothérapie avant la chirurgie. Cependant, les traitements ont connu des retards, de même que les dépistages et les diagnostics. Il est encore tôt pour en évaluer les effets sur la mortalité. L’Inca va ouvrir une cellule consacrée aux crises sanitaires, comme le ministère chargé de la santé a récemment créé un centre de crises sanitaires : il nous aidera à adapter les traitements en cas de besoin.

Monsieur Viry, l’Inca compte un comité de démocratie sanitaire qui regroupe des professionnels et des patients – il doit vivre. J’ai beaucoup travaillé dans le secteur du handicap : nous devons nous inscrire dans une logique de coconstruction avec le monde associatif. L’institut a également créé un Living Lab, un laboratoire vivant, afin de renouveler la réflexion sur les manières de traiter les patients en associant ces derniers, comme les professionnels.

La question de l’emploi fait partie de mes priorités. Nous avons réussi à diminuer le taux de chômage des personnes en situation de handicap. France Travail y contribuera avec le dispositif d’emploi accompagné et le diagnostic spécifique d’employabilité. Certaines personnes veulent revenir au travail avec un droit à l’oubli, en effaçant le problème du cancer, quand d’autres veulent bénéficier de droits reconnus et d’adaptations. L’Inca devra travailler sur ce sujet avec les organisations professionnelles. Il a établi une charte intitulée « Cancer et emploi », que quatre-vingt-dix entreprises ont signée, mais il faut élargir le mouvement et déployer de bonnes pratiques pour accompagner le retour à l’emploi des personnes atteintes de cancer. Elles doivent parfois bénéficier de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; or les délais administratifs sont très longs. L’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées doit contribuer à ce travail pour adapter les postes.

La nutrition et la diététique ne sont pas oubliées. En 2023, un programme d’actions intégrées de recherche a été consacré à l’obésité, parce qu’il existe une forte corrélation entre l’obésité et le risque de cancer. Il est donc nécessaire de progresser dans ce domaine ; l’étude « L’injuste prix de notre alimentation. Quels coûts pour la société et pour la planète ? », publiée hier, montre les incidences sociales et médicales de la malbouffe.

Monsieur Monnet, vous soulignez l’importance du reste à charge. Il s’agit en effet d’un problème fondamental, qui affecte l’accès aux traitements et entraîne des renoncements aux soins. La Ligue contre le cancer l’évalue entre 1 000 et 1 500 euros. En comparaison, le traitement d’un cancer du sein coûte en moyenne 15 000 euros à l’assurance maladie. Le reste à charge serait donc de 10 %, ce qui est significatif. Il a plutôt diminué avec le 100 % Santé, en particulier avec la complémentaire santé solidaire, mais il reste élevé, surtout pendant l’après‑cancer, pour ce qui relève du social, du médico-social et de l’esthétique. Il existe un forfait de 180 euros pour rembourser quelques consultations et un éventuel accompagnement ; il faut en étudier la pertinence et s’interroger sur une possible amélioration. L’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie. Il existe de multiples cancers, il faut donc évaluer les conséquences de telles mesures. L’Inca travaille sur la reconstruction mammaire ; dans tous les cas, des soins esthétiques sont nécessaires, mais ils sont les moins bien remboursés par la sécurité sociale. On pratique 22 000 mastectomies chaque année : nous devons examiner ce sujet avec une feuille de route claire.

Monsieur Fayssat, vous avez évoqué les proches aidants. J’ai piloté la stratégie Agir pour les aidants. Il faut examiner la situation des aidants dans le cas du cancer : il peut s’agir de parents ou de conjoints, dont les besoins sont différents. Les premiers ont connu de nombreuses évolutions, notamment les récentes avancées concernant l’allocation journalière de présence parentale. La stratégie décennale prévoit de créer un observatoire des aidants. Nous devrons travailler à cette question dans les prochains mois afin de mieux identifier les besoins, notamment de ceux des proches de patients atteints de cancers, qui peuvent être spécifiques.

Monsieur Turquois, il ne m’appartient pas de légiférer sur d’éventuelles mesures coercitives, mais force est de constater que malgré les incitations tarifaires – le prix du paquet de cigarettes atteindra 13 euros en 2027 –, la prévalence des cancers du poumon reste stable à 25 %. Il faudra donc mobiliser d’autres leviers. Parmi les recommandations de la stratégie décennale figurent des mesures d’ordre public, comme l’interdiction de fumer sur les plages ou aux abords des crèches et des écoles : il faudra réfléchir au moyen de les rendre applicables. Soyez assuré que sur toutes ces questions, vous trouverez en moi une oreille attentive.

Par ailleurs, les études actuelles montrent que, contrairement à une idée répandue dans l’imaginaire collectif, seuls 5 % des cancers seraient « héréditaires », même si les prédispositions génétiques peuvent jouer un rôle dans le syndrome de Lynch, responsable de certains cancers colorectaux, ou les cancers du sein, dont la probabilité de survenue peut être estimée grâce à l’étude des gènes BRCA (Breast Cancer) ou HER2 (Human Epidermal Growth Factor Receptor 2). Il faut alors en tirer les conséquences en termes de surveillance. L’Inca devra continuer le travail engagé avec le déploiement d’une vingtaine de laboratoires d’oncogénétique, qui, dans l’ensemble du territoire, se consacrent à l’étude des prédispositions génétiques au cancer et réalisent environ 80 000 tests chaque année. Ce dispositif récent devra être renouvelé en 2025, ce sera l’occasion d’évaluer l’effectivité de l’accès aux tests et les pistes d’amélioration.

Madame Gruet, je pense moi aussi que la prévention tertiaire est tout aussi importante que la prévention primaire. Il faudrait, par exemple, développer des stratégies pour mettre fin au tabagisme de certains malades qui, malgré un cancer du poumon, continuent de fumer. Des études ont également montré que l’activité physique adaptée améliorait les chances de réussite des thérapies. L’Inca a pour mission d’évaluer l’efficacité et la balance bénéfices-risques des actions de prévention menées localement par les associations ou les ARS, avant que celles jugées pertinentes soient déployées dans tout le territoire. S’agissant du tabac, par exemple, les études ont montré qu’investir 1 euro dans la prévention permettait au final d’en économiser 4.

S’agissant des soins palliatifs, il existe une stratégie décennale, dotée d’un budget d’un peu plus de 1 milliard d’euros – je ne reviendrai pas sur ce sujet dont vous avez débattu il y a quelques mois. Nous serons évidemment très vigilants à la bonne articulation du parcours de soins des patients avec les soins palliatifs, qui concernent en majorité des patients en récidive ou en échec thérapeutique.

L’efficacité des soins est également une question importante : il faut faire moins et mieux. Au-delà du volet économique, sur lequel nous devrons approfondir les études, la désescalade thérapeutique est un enjeu majeur, qui fait l’objet de nombreux travaux d’innovation : comme je l’ai expliqué, l’objectif des appels à projets – en particulier en recherche clinique – est de limiter les traitements trop lourds, invasifs ou toxiques, ou susceptibles de nuire à la bonne santé des patients après le traitement.

Enfin, la comparaison avec le nombre d’oncologues dans d’autres pays européens peut être trompeuse car, au-delà des oncologues, d’autres spécialistes, comme les gastroentérologues ou les pneumologues, gèrent aussi les cancers. La pénurie de professionnels de santé dans certaines spécialités est évidemment un problème, – le nombre de dermatologues, par exemple, diminuera de 20 % au cours des prochaines années –, mais ce sujet dépasse le cadre de l’Inca. L’institut pourra néanmoins apporter son expertise et formuler des recommandations, notamment en matière de délégation de compétences, puisqu’il a beaucoup travaillé sur le rôle des infirmières en pratique avancée dans la filière oncologique.

M. le président Paul Christophe. Vous l’aurez compris, monsieur Scotté, nous suivrons avec attention les futurs travaux de l’Inca : nous vous y souhaitons pleine réussite, il y va de la santé de nos concitoyens.

La réunion s’achève à onze heures vingt.


Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

 M. Christophe Bentz, Mme Sylvie Bonnet, M. Hadrien Clouet, M. Paul-André Colombani, Mme Sandra Delannoy, M. Gaëtan Dussausaye, M. Marc Ferracci, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Sébastien Peytavie et M. Jean-François Rousset membres de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) ;

 M. Sébastien Delogu rapporteur d’application de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail.


Présences en réunion

Présents.  Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Marc Ferracci, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. Michel Lauzzana, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

Excusés.   Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistait également à la réunion.   M. Mickaël Bouloux