Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République française pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine 2
– Informations relatives à la commission.....................20
Mercredi
18 septembre 2024
Séance de 10 heures 45
Compte rendu n° 4
session 2023-2024
Présidence
de M. Jean-Noël Barrot,
Président
— 1 —
La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République française pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine.
La séance est ouverte à 10 h 45.
Présidence de M. Jean-Noël Barrot, président.
M. le président Jean-Noël Barrot. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République française pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine.
Monsieur l’envoyé spécial, vous revenez tout juste – la nuit passée, en l’occurrence – d’une tournée internationale qui vous a conduit en Ukraine la semaine dernière. Je vous remercie vivement d’avoir accepté d’échanger avec notre commission sur les derniers développements marquants de votre mission.
Vous êtes inspecteur général des finances. Vous avez été secrétaire général adjoint des affaires européennes de 2010 à 2014, directeur-adjoint de cabinet du ministre de l’économie et des finances de 2014 à 2016, vice-président chargé des politiques et des partenariats de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) de 2016 à 2021. Le 6 mars 2023, le président de la République vous a nommé envoyé spécial pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine.
Avec une équipe resserrée, vous avez pour mission d’accompagner la définition de la stratégie française en matière d’aide économique et de reconstruction de l’Ukraine, à court, moyen et long termes. Votre action s’inscrit dans le cadre des initiatives multilatérales, en lien notamment avec les banques multilatérales et de développement, et en coordination avec les autres membres du G7, réunis au sein de la plateforme de coordination des donateurs pour l’Ukraine créée le 12 décembre 2022.
Depuis 2023, vous vous êtes employé plus particulièrement à définir la stratégie de soutien à l’Ukraine pour la partie française, en poursuivant un dialogue étroit avec les partenaires américains, européens et ukrainiens, à organiser la coordination interministérielle pour le déploiement de l’effort français de soutien civil à l’Ukraine, et enfin à mobiliser et à accompagner les entreprises, les investisseurs, les collectivités territoriales et la société civile pour soutenir l’économie ukrainienne et la reconstruction du pays.
De tous les représentants de notre pays, vous êtes sans l’ombre d’un doute celui qui a passé le plus de temps en Ukraine depuis un an et demi, exception faite de notre ambassadeur Gaël Veyssière et du corps diplomatique en Ukraine. Vous disposez donc de la connaissance la plus fine de la situation sur place et des besoins en matière de soutien civil.
La commission souhaite entendre votre appréciation de la situation en Ukraine sur les plans énergétique, économique et humanitaire après les frappes russes massives de la fin août sur les infrastructures énergétiques et les frappes meurtrières du début du mois de septembre, qui ont causé l’un des plus lourds bilans humains depuis le début de la guerre.
Elle souhaite également vous entendre au sujet de l’application des mesures bilatérales de soutien civil annoncées lors de la visite du président Zelensky à Paris au mois de juin, et de la participation des collectivités et entreprises françaises à cet effort. Elle souhaite connaître l’avancée du projet de prêt multilatéral de 50 milliards d’euros agréé par le G7, la part respective qu’y prendront les pays européens et les États-Unis, ainsi que les incertitudes que suscitent les élections américaines sur sa concrétisation.
M. Pierre Heilbronn, envoyé spécial du président de la République française pour l’aide et la reconstruction de l’Ukraine. Merci de m’avoir invité à vous présenter le bilan de ce que nous avons essayé de faire au cours de l’année écoulée, les perspectives et les limites de notre action, ainsi que les moyens d’approfondir le sillon que nous nous sommes efforcés de tracer. Je me prête à cet exercice à l’issue de ma septième mission en Ukraine et après une quarantaine de déplacements chez nos partenaires européens, chez nos partenaires du G7, mais aussi chez d’importants donateurs qui ne sont pas membres du G7. J’ai également effectué plusieurs déplacements dans nos régions : parvenir à fédérer les actions des maires, des présidents de conseils régionaux, de l’État et des instruments que nous créons constitue une part importante de notre mission.
Mon travail consiste à la fois à définir notre stratégie d’aide à l’Ukraine en utilisant tous ces vecteurs – internationaux, européens, bilatéraux – et, dans un contexte compliqué, à fournir une boîte à outils pour accompagner nos régions, nos entreprises et nos organisations non gouvernementales (ONG), qui se sont fortement mobilisées après le 24 février 2022, apportant une réponse immédiate à la crise.
Jusqu'à récemment, nous étions deux envoyés spéciaux de pays membres du G7 à temps complet ; mon homologue américaine, qui avait été nommée par le président Biden, s’est néanmoins retirée il y a quelques semaines. Chaque pays soutenant l’Ukraine est confronté à un défi en matière d’organisation institutionnelle, afin d’assurer une impulsion, une coordination et une représentation.
Après près de trois ans de guerre, le contexte militaire est compliqué ; vous le connaissez, je n’y reviendrai pas. Des attaques considérables ont visé le système énergétique ukrainien au printemps dernier et ces tout derniers jours ; l’hiver, dans quelques semaines, sera un moment de vérité quant à la capacité de l’Ukraine à traverser cette épreuve redoutable. La période est également compliquée d’un point de vue politique puisque le président Zelensky a procédé à un remaniement d’ampleur il y a une semaine et demie, le plus important depuis le début de l’invasion à grande échelle. J’ai eu l'occasion de rencontrer une grande partie des ministres qui viennent d’être nommés.
Permettez-moi d’abord de dire quelques mots sur les enjeux du soutien à l'Ukraine en matière d'aide civile, sans mésestimer les liens qui existent entre aides civile et militaire.
La complexité réside dans le fait que les contours de la reconstruction évoluent au fur et à mesure des mois, et selon des temporalités qu’il convient d’articuler : le très court terme, notamment sur le plan énergétique – comment passer les trois ou six prochains mois ; le moyen terme ; enfin, le très long terme, où s’inscrit la construction d’une infrastructure permettant de coordonner les instruments de financement et les réformes nécessaires. Plus que de reconstruction d’ailleurs, il faudrait parler de transformation du pays dans toutes ses dimensions : économique, sociale, physique. L’accompagnement de cette transformation dans la durée représente un défi.
Vous connaissez les enjeux financiers : les destructions sont quotidiennes. Le montant potentiel des reconstructions est sujet à caution, mais la Banque mondiale, en lien avec la Commission européenne, l’évaluait au mois de mars dernier à 486 milliards de dollars, soit environ 300 % du produit intérieur brut (PIB) ukrainien. Ce chiffre sera réactualisé prochainement, à l’occasion des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
Toutefois, la reconstruction, elle aussi, est quotidienne. C’est très frappant lorsque l’on se rend sur place : ce n’est pas une perspective lointaine. Les ponts détruits ont été en grande partie reconstruits. À Tchernihiv, au Nord de Kiev, trente-six ponts ont été reconstruits sur les trente-huit détruits. Il en va de même pour les hôpitaux, comme pour les autoroutes qui avaient été détruites lors de l’avancée des troupes russes dans certaines régions libérées depuis. Au regard des images qui nous parviennent, on a toujours tendance à se dire qu’il ne sert à rien de parler d’aide et de reconstruction avant le retour de la paix. Ce faisant, on oublie les exemples de pays qui ont connu un important développement économique tout en étant, d’un point de vue juridique, en état de guerre avec leurs voisins.
L’enjeu, à court terme, est celui de la solidarité. Nous avons essayé de l’organiser de la manière la plus systématique possible. C’est un terrain d’opportunités pour les entreprises européennes et nombre de nos partenaires ne l’ont pas oublié. L’Ukraine est donc aussi un lieu de concurrence géopolitique et économique, même si cette perspective peut paraître éloignée lorsque l’on s’en tient aux comptes rendus des opérations militaires. Il faut garder à l’esprit qu’une grande partie du territoire ukrainien n’a jamais vu de drones ou de missiles !
La mobilisation européenne et internationale est forte. À l’échelle internationale, elle passe par la plateforme du G7, dont je pourrai vous parler plus en détail. À l’échelle européenne, le Conseil du 1er février dernier a ouvert la voie à la création de la Facilité pour l’Ukraine ; en outre, la Facilité européenne pour la paix a été utilisée de manière assez créative, compte tenu de sa destination d’origine. La création d’un dispositif adossé aux intérêts issus des actifs de la Banque centrale de Russie en Europe fait l’objet d’un débat au sein du G7. Cette initiative politique lancée par le G7 vise à apporter 50 milliards de dollars supplémentaires à l’Ukraine. Elle sera discutée à Bruxelles dans les prochains jours, quand la Commission mettra sur la table une proposition d’aide macrofinancière.
L’Ukraine présente un potentiel économique important, en matière agricole, industrielle ou encore de défense. Dans certains secteurs, comme le numérique ou l’innovation technologique, ces potentialités s’expriment de manière tout à fait impressionnante, y compris dans le contexte de guerre. Celui-ci explique sans doute le développement de la recherche, qui a de nombreuses applications civiles et militaires, mais il affecte aussi le climat des affaires en suscitant de nombreux obstacles à l’investissement pour les entreprises étrangères, notamment françaises.
Outre les risques provoqués par la guerre, des restrictions ont été imposées à la demande du FMI et de la Banque centrale européenne (BCE) pour permettre au système économique, bancaire et financier de tenir. Maintenir, dans un pays envahi, un système bancaire fonctionnel, dans lequel chacun peut récupérer ses économies au guichet, constitue un succès remarquable. Les banques françaises y contribuent de manière fondamentale, puisque parmi les cinq plus grandes banques d’Ukraine, deux sont françaises. Les entreprises françaises, au nombre d’environ 180, emploient près de 25 000 salariés, ce qui fait de nous le premier employeur étranger en Ukraine.
Nous nous efforçons de maintenir un dialogue régulier, quotidien, avec les autorités ukrainiennes. Je me rends régulièrement sur place pour rencontrer différents interlocuteurs : le président Zelensky, chacun des ministres, mais aussi tous les représentants de la société civile, des vétérans aux ONG. J’essaie d’effectuer des visites de terrain en dehors de Kiev, à Tchernihiv, à Odessa ou ailleurs, dans des conditions de sécurité parfois compliquées. L’engagement auprès de nos partenaires étrangers – les États-Unis, le Japon, les autres pays du G7 – mais aussi des institutions internationales est fondamental.
Au moment du déclenchement de l’invasion à grande échelle, nous avons essayé d’utiliser les instruments directement disponibles à court terme, notamment ceux des institutions multilatérales de développement. Cet aspect a été important dans l’appréciation de la stratégie française. Il se trouve que je travaillais précédemment à la BERD : celle-ci était le premier investisseur en Ukraine, ce qui lui conférait la capacité de déployer de manière immédiate une aide importante. La France a soutenu cette aide à travers l’octroi de garanties à la BERD, à la Société financière internationale et à la Banque européenne d’investissement (BEI), notamment dans le cadre de la loi de finances de 2024 qui octroie près d’un demi-milliard d’euros de garanties à ces institutions. La BERD a ainsi prêté près de 4,5 milliards d’euros, permettant aux chemins de fer et au système énergétique ukrainiens de tenir.
Nous nous sommes beaucoup investis dans la création d’un mécanisme européen de soutien aux entreprises ukrainiennes et à l’accès au capital, dont les principes ont été présentés par Ursula von der Leyen à la conférence de Berlin, en juin dernier.
Je me suis particulièrement attelé à obtenir des avancées en matière bilatérale, en identifiant les outils manquants pour accompagner les entreprises françaises en Ukraine. Nous avons ainsi créé le fonds Ukraine, doté de 200 millions d’euros, visant à la reconstruction des infrastructures civiles. Nous le déploierons de manière accélérée au cours des prochaines semaines, puisque le texte de loi ratifiant sa création vient d'être voté par la Verkhovna Rada et promulgué par le président Zelensky. Il s'agit de répondre aux besoins les plus urgents des Ukrainiens en matière d’énergie, de transport, de déminage et de quelques autres secteurs, grâce au déploiement du savoir-faire de nos entreprises.
Nous avons également développé les garanties et les assurances de nos investissements et de nos exportations, notamment avec BPIFrance. Parallèlement, nous sommes en train de placer des experts techniques dans les différents ministères ukrainiens afin de les aider à reprendre l’acquis communautaire, maintenant que l’Ukraine s’inscrit dans une perspective européenne. Nous avons créé une capacité locale, sur laquelle je pourrai revenir. C’est un axe important, lié à l’ouverture du mandat de l’Agence française de développement (AFD), qui a fait l’objet de la signature d’un accord intergouvernemental le 7 juin dernier. Dans un premier temps, le mandat de l’AFD visera exclusivement les prêts directs aux collectivités locales sans garantie souveraine.
Enfin, une série de projets d’investissements sectoriels ont été conclus ces dernières semaines, en matière de transports, de santé, d’énergie, de télécommunications ou de numérique. Le plus emblématique est évidemment celui de Xavier Niel, annoncé cette semaine, qui constitue le plus gros investissement en Ukraine depuis quinze ans : près de 1 milliard d’euros pour le rachat du réseau de télécommunications ukrainien et du troisième réseau de téléphonie mobile. D’une certaine manière, c’est aussi un signe de confiance dans le pays.
Pour parler enfin rapidement des perspectives, j’ai organisé hier, avec mon homologue polonais, une réunion regroupant les collectivités locales, les présidents de conseils régionaux et les maires français les plus actifs dans le soutien, non seulement humanitaire mais aussi économique, à l’Ukraine. Ce sillon reste à approfondir : j’en ai parlé aux présidents de l’Association des maires de France et de Régions de France. Nous essaierons de travailler en synergie avec les nouveaux acteurs, notamment l’AFD. Nous devons relever un double défi de déploiement et de continuité de notre aide.
Enfin, je ne serais pas complet si je n’évoquais pas la question des capacités budgétaires que nous serons capables de dégager au cours des prochains mois, non seulement pour tenir notre rang mais aussi pour être au rendez-vous des attentes ukrainiennes.
M. le président Jean-Noël Barrot. Je vous remercie. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Dieynaba Diop (SOC). Je tiens à rappeler le soutien des députés socialistes au peuple ukrainien, qui combat l’armée russe depuis bientôt trois ans. La guerre menée par Vladimir Poutine est une violation flagrante du droit international et humanitaire. L’Ukraine a le droit de défendre son territoire et son peuple. Le rôle de la communauté internationale est indispensable et celui de la France demeure primordial.
Je souhaite vous interroger au sujet de nos engagements envers le gouvernement ukrainien et de ceux de l’Union européenne. Si j’en crois les chiffres qui nous ont été communiqués, les fonds destinés à soutenir le redressement et la reconstruction dans le cadre de la Facilité pour l’Ukraine se composent de 33 milliards d’euros de prêts et de 17 milliards de subventions. L’Union a procédé à trois versements entre mars et juin 2024, pour un montant de 7,9 milliards, bien en deçà de ces 50 milliards. Avez-vous des informations sur le prochain versement ?
Les avoirs russes et les fonds privés ne peuvent pas se substituer aux aides internationales mais ils existent et j’estime que nous n’agissons pas assez vite sur ce point. Sur les 280 milliards d’euros immobilisés, seul 1,5 milliard, correspondant aux bénéfices qu’ils ont dégagés, a été transféré en faveur de la défense et de la reconstruction de l’Ukraine, comme il en était convenu avec les vingt-sept États de l’Union européenne. Quels leviers pourrions-nous actionner pour aller plus vite et plus loin en la matière ?
Enfin, à l’approche de l’élection présidentielle américaine, comment la France compte-t-elle se positionner dans l’hypothèse où Donald Trump serait notre interlocuteur ?
M. Pierre Heilbronn. L’engagement de l’Union européenne s’élève à 50 milliards d’euros sur trois ans, c’est-à-dire jusqu’en 2027. Le montant que vous avez évoqué est conforme à la trajectoire tracée, qui prévoit environ 18 milliards pour 2024. Par ailleurs, ces versements sont conditionnés : des objectifs de réformes ont été élaborés par le gouvernement ukrainien et leur respect est vérifié par la Commission européenne et les États membres avant chaque versement.
L’utilisation des avoirs russes est un sujet complexe. Depuis le lancement du débat, la France s’est montrée ouverte à toutes les options. Il existe des règles de droit international en matière d’immunité des actifs des banques centrales et la confiscation de ces avoirs soulèverait d’importantes difficultés en termes de stabilité monétaire et de précédent juridiques. La BCE est la première institution à avoir évoqué ces enjeux. Dès lors que la majorité des avoirs russes se trouve en territoire européen, nous devons nous préoccuper de la stabilité de la zone euro et éviter de susciter la défiance des partenaires internationaux y ayant placé leurs actifs.
Nous avons également été à la manœuvre pour contribuer de manière innovante au mécanisme portant sur les revenus d’aubaine, qui a déjà permis de verser 1,5 milliard d’euros à l’Ukraine en juillet. Et la discussion sur les 50 milliards d’euros issus du dispositif du G7 est en cours.
Enfin, bien que les élections prochaines aux États-Unis suscitent une incertitude, les responsables européens ont toujours été clairs : l’Union européenne assumera ses responsabilités pour soutenir un pays présent sur son continent. La réflexion consiste à définir, souverainement, les moyens permettant de continuer de soutenir l’Ukraine.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Avant toute question, je tiens à avoir une pensée pour toutes les personnes tuées, blessées, endeuillées et déplacées par ce terrible conflit d’agression de l’Ukraine par la Russie. Le Wall Street Journal parle maintenant d’un million de morts et de 10 % du parc immobilier dévastés. Les enjeux de reconstruction sont donc très importants mais ils appellent aussi à une certaine vigilance.
Dans le cadre de votre mission, vous incarnez la participation de la France à cette reconstruction. Comment l’aide que nous apportons s’organise-t-elle concrètement ? Quels sont les principaux postes de dépenses ? Peu d’éléments sont disponibles quant aux modalités concrètes de cette aide et il serait intéressant pour la commission d’en savoir davantage.
L’évaluation rapide des dommages et des besoins RDNA3 (Third Rapid Damage and Needs Assessment), publiée conjointement par le gouvernement ukrainien et plusieurs institutions internationales telles que la Banque mondiale et l’Organisation des Nations unies (ONU), souligne l’urgence de relancer le secteur privé et d’attirer les entreprises.
Lorsque la guerre est là, des impératifs s’imposent mais il faut aussi faire preuve de prudence sur certains sujets. Ainsi, le droit du travail ukrainien a été littéralement suspendu. Les syndicats ukrainiens demandent à participer aux discussions relatives aux projets de la reconstruction. Pour l’instant, à les en croire, ils n’y ont pas véritablement été associés.
L’environnement et la transition écologique sont également des enjeux importants dont il est peu question alors que cette guerre a été dévastatrice en la matière. La manière dont seront conduites les opérations de reconstruction sera donc essentielle.
Par ailleurs, la question des services publics doit également être mise en avant. La lecture du RDNA3 donne l’impression que tout est focalisé sur le secteur privé et la capacité d’attraction d’entreprises privées, françaises si possible. D’autres questions doivent être posées, auxquelles il est important que vous apportiez des réponses.
Enfin, la reconstruction ne sera véritablement possible que lorsque nous aurons progressé vers la paix. Il est donc très important que les négociations se poursuivent afin d’aboutir à un cessez-le-feu et à une solution diplomatique fondée sur le respect du droit international et des aspirations du peuple ukrainien.
M. Pierre Heilbronn. Les montants de l’aide me semblent assez clairs, notamment au niveau européen. Il est facile de savoir quelle est la quote-part française dans la contribution : elle représente 18,6 % des 50 milliards d’euros déployés. Cette aide est essentiellement macrofinancière, permettant de payer les fonctionnaires ukrainiens : soldats, médecins, infirmières, enseignants, etc. L’année dernière, la quote-part française s’est élevée à 18 milliards d’euros. Au niveau bilatéral, environ 3 milliards ont été déployés par la France en matière militaire et l’équivalent au titre de l’aide économique.
Les services publics constituent l’épine dorsale de la résilience ukrainienne. Les prêts de la BERD que j’ai évoqués tout à l’heure, auxquels nous avons octroyé des garanties, ont concerné des entreprises publiques telles que Naftogaz, œuvrant dans le secteur énergétique, Ukrenergo, une société de transport d’électricité, ou encore Ukrzaliznytsya, l’homologue de la SNCF. Au cours des deux dernières années, la tendance a plutôt été à la nationalisation de tous les actifs possédés par des Russes. Parce que ce sont les services publics essentiels qui permettent au pays de tenir, ce secteur connaît une expansion et bénéficie de l’aide internationale.
Enfin, je passe beaucoup de temps avec les ONG et les syndicats. Dans de nombreux domaines concernés par les politiques publiques, la société civile participe à la coconstruction. La vitalité de la société civile ukrainienne et des corps intermédiaires est bien connue, et elle est très frappante lorsqu’on se rend sur place. Ils sont d’ailleurs très exigeants vis-à-vis du gouvernement ukrainien s’agissant des réformes et de la transparence. Leurs propos sont souvent d’une très grande intransigeance, y compris au sujet de la conditionnalité de l’aide internationale à l'Ukraine, soumise à une exigence de réformes.
M. Michel Herbillon (DR). Au nom du groupe Droite Républicaine, je renouvelle notre entier soutien au peuple ukrainien qui fait face avec un courage exemplaire à la guerre d’agression menée par la Russie depuis maintenant deux ans et demi.
Lors de la visite en France du président Zelensky, la France et l’Ukraine ont signé plusieurs accords visant à renforcer la présence sur place de l’AFD, de Proparco et d’Expertise France. Par ailleurs, un fonds doté de 200 millions d’euros pour les projets de soutien aux infrastructures prioritaires a été créé. Enfin, l’accord bilatéral de coopération en matière de nucléaire civil a été renouvelé, afin de fournir un cadre aux coopérations dans les différents segments de cette filière.
Nous soutenons avec force l’aide apportée par la France à l’Ukraine pour lui permettre non seulement de se défendre mais d’ores et déjà d’engager sa reconstruction. Néanmoins, nous déplorons un manque de lisibilité quant au montant total des crédits alloués à la reconstruction de l’Ukraine, notamment en raison du nombre d’acteurs impliqués. Je pense en particulier à l’aide apportée par l’Union européenne, que la France finance à son échelle. Dès lors, je souhaiterais que vous détailliez à nouveau le montant global de l’aide apportée par la France à l’Ukraine.
Par ailleurs, comme pour l’aide publique au développement, il est parfois difficile pour les parlementaires d’appréhender les apports concrets que permettent les aides allouées par notre pays. Dans le cas de l’Ukraine, pourriez-vous indiquer les projets majeurs pour lesquels l’aide ou l’expertise de la France ont été déterminantes ?
Dans son projet de budget pour 2025, l’Allemagne a prévu de réduire de moitié le montant des aides à Kiev, le passant de 8 à 4 milliards d’euros. Pour compenser, Berlin table sur l’utilisation d’une partie des 300 milliards de dollars d’avoirs russes gelés. Dans le même temps, des incertitudes demeurent, en raison de la prochaine élection américaine mais aussi des difficultés budgétaires auxquels fait face la France, qui sont de nature à soulever des interrogations sur l’ampleur de notre soutien futur. Craignez-vous une diminution du soutien à l’Ukraine ?
Enfin, je voudrais revenir sur les avoirs russes. Vous avez dit qu’une mobilisation plus massive de ces avoirs risquerait de déstabiliser la zone euro. Reste que personne ne comprend pourquoi seulement 1,5 milliard d’euros ont été dégelés sur un montant total de 300 milliards.
M. Pierre Heilbronn. Comme je l’ai indiqué, il existe un consensus entre la plupart des États sur les conséquences potentiellement importantes d’une confiscation des actifs. Aussi les négociations en cours portent-elles sur une utilisation très créative non pas du capital mais des revenus tirés de ses intérêts. Les 50 milliards de dollars en cause sont adossés à des actifs situés pour l’essentiel dans l’Union européenne. Nous sommes donc les premiers concernés, y compris en ce qui concerne la prise de risques : si les actifs étaient rendus aux Russes, c’est le contribuable européen qui se substituerait à la perte de ces revenus. Voilà quels sont les éléments de la discussion qui va avoir lieu au cours des deux prochains mois.
Personne ne sait si une baisse du soutien américain aura lieu, ni de quelle manière. Elle prendrait sans doute des formes différentes selon les catégories d’aide : l’assistance militaire se traduit par un retour très important pour les États-Unis ; d’autres formes d’aide, notamment budgétaire et humanitaire, sont plus menacées à très court terme. Cela relève de décisions politiques.
L’essentiel de l’aide française a pris une forme européenne. Il est donc facile de la mesurer, puisque l’on connaît la clé de répartition du budget communautaire : nous prenons en charge près de 20 % de 50 milliards sur trois ans. À titre bilatéral, il est prévu que l’Agence française de développement verse 450 millions d’euros lors des trois prochaines années, dont 400 millions sous forme de prêts et 50 millions de dons. Les garanties portent sur un montant de 500 millions. L’aide humanitaire représente 500 millions, dont une moitié relève d’interventions au niveau multilatéral, grâce aux agences de l’ONU, et l’autre de la France, par le biais du centre de crise et de soutien.
Enfin, je ne serais pas complet sans évoquer toutes les collectivités territoriales qui ont contribué, notamment dans les premiers mois après l’invasion. Ces montants doivent aussi être pris en compte dans l’aide de la France à l’Ukraine. Il en est bien entendu de même de l’aide fournie à titre bilatéral en matière militaire via le fonds spécial mis en place par la France, à hauteur de 400 millions.
Mme Dominique Voynet (EcoS). Depuis plus de deux ans, l’Ukraine se bat avec beaucoup de courage contre l’agression russe. Nous lui réitérons régulièrement notre soutien. Nous affirmons vouloir isoler la Russie et la priver de ressources pour la guerre mais nous importons encore du gaz naturel liquéfié (GNL) russe et les sanctions ont épargné Rosatom, qui continue à fournir de l’uranium enrichi, notamment à la France.
Cette dépendance nous place dans une situation paradoxale : d’une main, nous soutenons l’effort de guerre ukrainien et, de l’autre, nous alimentons les caisses de l’agresseur. Sans minimiser les défis économiques auxquels nous sommes confrontés, reconnaissons que cette contradiction affaiblit notre position sur la scène internationale.
Pour être en adéquation avec nos principes, nous devons diversifier nos sources d’énergie, investir massivement dans les énergies renouvelables et développer des partenariats alternatifs.
L’enjeu de la reconstruction de l’Ukraine est évidemment crucial. L’effort financier consenti par la France, notamment à travers le fonds Ukraine, est important. Il est toutefois impératif que cette aide ne soit pas perçue comme une tentative opportuniste pour placer nos entreprises sur un marché naissant mais qu’elle s’inscrive dans la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Son effort de reprise de l’acquis communautaire devrait être tout particulièrement soutenu dans le domaine de la transition énergétique, comme le prévoit d’ailleurs l’un des chapitres du processus d’adhésion. J’insiste également sur le fait que nous devons veiller à ce que les projets financés respectent les droits sociaux, comme le demandent avec insistance les syndicats ukrainiens, qui se sentent exclus du processus.
Comment comptez-vous garantir que la sélection des projets financés par la France ne soit pas perçue comme un simple positionnement commercial mais bien comme une contribution à la stabilité et à la prospérité à long terme de l’Ukraine ?
Dans quelle mesure pouvons-nous nous assurer que sa reconstruction soit menée de manière durable, en respectant les normes environnementales et sociales ?
Enfin, pourriez-vous nous indiquer ce qui se passe en ce moment à Zaporijjia et quel pourrait être le rôle de la France pour assurer la sécurité de cette centrale nucléaire ?
M. Pierre Heilbronn. Il est très important de partir des besoins exprimés par les Ukrainiens et de ne pas substituer notre appréciation à la leur.
Avec l’aide de la Commission européenne, ils ont détaillé une trajectoire énergétique sur vingt ans dans le but d’atteindre la neutralité carbone en s’appuyant sur un mix énergétique assez similaire au nôtre, c’est-à-dire reposant sur le nucléaire et les énergies renouvelables, avec un développement très important de ces dernières. Des projets très structurants ont d’ailleurs été proposés par des entreprises françaises dans le secteur des énergies renouvelables.
L’un des enjeux de la reconstruction est évidemment le respect des normes environnementales et sociales européennes, ainsi que celui de la trajectoire menant à la neutralité carbone. Pour cela, les Ukrainiens peuvent s’appuyer sur la capacité d’expertise et la mise à disposition de moyens français dans leurs différents ministères. C’est ce que j’ai indiqué au ministre ukrainien de l’énergie.
En ce qui concerne la dépendance vis-à-vis du gaz et des matières fissiles russes, il faut prendre en compte le fait qu’il s’agit d’une discussion à vingt-sept. La France est l’un des États de l’Union les moins dépendants des importations russes. L’Autriche, la Slovaquie, la Hongrie ou l’Allemagne le sont bien davantage. Ces deux dernières années, un travail a été mené à marche forcée par les pays européens, y compris la France, pour réduire cette dépendance. Il s’étend à la recherche de sources alternatives d’approvisionnement en matériaux critiques pour l’industrie, par exemple pour le titane, essentiel pour la fabrication des trains d’atterrissage des avions d’Airbus.
Mme Maud Petit (Dem). À la mi-février, le gouvernement ukrainien, la Banque mondiale, la Commission européenne et les Nations unies ont publié une actualisation de l’évaluation rapide des dommages et des besoins. Ce document estime à 486 milliards de dollars le coût de la reconstruction de l’Ukraine au 31 décembre 2023, soit logiquement plus que l’année précédente. Le coût des dégâts infligés aux infrastructures et aux bâtiments dépasserait les 152 milliards de dollars. Des villes et des villages sont détruits. Il faut reconstruire des hôpitaux, des logements et des infrastructures de transport. L’agriculture et l’économie doivent être relancées. On estime que 10 % du parc immobilier auraient été endommagés ou détruits, entraînant le déplacement de populations.
Nous avons sans doute affaire au plus grand chantier depuis la seconde guerre mondiale. Face à cette situation critique, notre pays un rôle important à jouer et des atouts à faire valoir.
La France est un acteur majeur de l’économie ukrainienne. Environ 180 entreprises françaises sont implantées en Ukraine et emploient près de 30 000 personnes. Citons Renault et Stellantis dans le secteur automobile, Auchan pour la grande distribution alimentaire, Lactalis – qui compte trois usines – ou encore le Crédit agricole et BNP Paribas, qui font partie des dix premières banques en Ukraine. Cette implantation des entreprises françaises fait de la France le premier employeur étranger en Ukraine.
En vous nommant à votre poste, monsieur Heilbronn, la France a été le premier pays européen à missionner un envoyé spécial pour l’aide et la reconstruction. En déclarant que nous ne serons pas présents demain si nous ne le sommes pas aujourd’hui, vous n’avez de cesse d’inciter les entreprises, les investisseurs, les collectivités locales et la société civile françaises à aller à la conquête du marché ukrainien. Sont-ils réceptifs à votre appel ? Ou bien se montrent-ils frileux à l’idée d’investir dans un pays où la guerre continue à faire rage ?
Compte tenu de la situation d’incertitude économique que traverse notre pays, notre soutien à l’Ukraine pourra-t-il rester aussi fort ? Quelle part de l’aide est consacrée à la reconstruction des structures de santé et éducatives ? L’éducation des enfants est fondamentale pour assurer l’avenir de ce pays.
Enfin, je salue les communes de Chennevières-sur-Marne et de Sucy-en-Brie, situées dans ma circonscription, qui, dès le début du conflit, ont apporté leur plein soutien à la population ukrainienne, notamment par des actions de jumelage.
M. le président Jean-Noël Barrot. Je m’associe à cette question en soulevant le sort des enfants ukrainiens, et notamment des milliers de ceux qui ont été déportés depuis le début de cette guerre d’agression il y a deux ans et demi.
M. Pierre Heilbronn. La reconstruction de logements est l’un des éléments essentiels pour permettre à des réfugiés ukrainiens – qui vivent majoritairement dans les pays d’Europe centrale et orientale – de revenir dans leur pays. Nous avons un certain nombre de projets, dont un à Dnipro, visant à reloger 1 500 habitants de Marioupol. Mais il s’agit avant tout d’agir de manière coordonnée avec nos partenaires, y compris les banques de développement, qui sont très actives. Je pense notamment à la peu connue Banque de développement du Conseil de l’Europe, dont le siège est à Paris et dont le mandat concerne exclusivement le logement social et la santé, deux domaines fondamentaux. Nous travaillons également sur le sujet de la santé mentale, avec pour objectif de contribuer à l’ouverture de 100 centres spécialisés.
Nous consacrons beaucoup de temps aux enfants. Nous essayons de concentrer notre activité à Tchernihiv, région parrainée par la France. En partenariat avec des ONG comme Acted, nous soutenons la construction d’écoles dotées d’abris, ce qui permet de continuer à enseigner même sous les bombardements. Nous travaillons aussi à la création d’un centre, dont la localisation doit être précisée dans les jours qui viennent, destiné à accueillir des enfants enlevés par la Russie et qui sont revenus en Ukraine. Cette action est menée en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), ainsi que le Canada, également très actif et qui en a fait une priorité politique.
Dans les prochains jours, une réunion en marge de l’Assemblée générale des Nations unies sera présidée par Mme Zelenska, à l’occasion de laquelle nous devrions annoncer une contribution pour accueillir en Ukraine les enfants enlevés.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants lui aussi soutient le peuple ukrainien face à la guerre d’agression menée par la Russie, face à l’effacement de la culture ukrainienne, aux crimes de guerre et contre l’humanité, dont la déportation d’enfants.
Quelle est votre position s’agissant du fait que la Russie continue à exporter un certain nombre de marchandises grâce à des « bateaux fantômes » ? Quels sont les moyens dont nous disposons pour identifier ces navires et pour saisir l’ensemble des actifs des sociétés qui continuent à travailler avec la Russie au mépris des résolutions internationales ?
J’entends bien que les banques sont frileuses à l’idée de telles saisies mais, pour faire face à cette guerre, la puissance publique doit faire preuve de la fermeté la plus exemplaire. Sa main ne doit pas trembler quand il s’agit de saisir les 300 milliards d’actifs russes qui dorment dans des banques internationales et européennes.
M. Pierre Heilbronn. La réponse au contournement des sanctions est essentiellement européenne.
La mise en œuvre des sanctions relève des États. On voit malheureusement depuis plusieurs mois que certains, comme la Turquie ou des pays d’Asie centrale, ne jouent pas toujours le jeu. Il faut donc tout d’abord identifier les contournements, puis exercer des pressions politiques, ce qui est fait. Cette tâche doit être effectuée au niveau européen. Elle est assurée par l’envoyé spécial international pour la mise en œuvre des sanctions de l’Union européenne, qui est un ancien secrétaire général de la Commission. Tout cela s’appuie sur un travail de renseignement, en bonne intelligence avec nos amis américains, qui disposent d’importants moyens de détection et de preuve, afin de confronter chacun des gouvernements concernés à des faits documentés.
Il ne faut pas oublier que, malgré des débats parfois longs et compliqués, le travail de définition des sanctions au niveau européen s’est fait dans l’unité et a permis d’adopter quatorze paquets de sanctions, qui ont un effet sur l’économie russe.
Les actifs privés représentent en fait un montant extrêmement marginal des actifs russes gelés. Pour l’essentiel, ces derniers appartiennent à la Banque centrale de la Fédération de Russie et sont détenus par Euroclear, donc sous juridiction belge. Une discussion est en cours pour savoir jusqu’à quel point on peut en tirer des ressources utiles pour aider nos amis ukrainiens et à quelles actions elles pourraient être destinées, ce qui est un sujet compliqué car les visions diffèrent selon les États. Faut-il financer essentiellement le domaine de la défense ? Faut-il prévoir une préférence européenne pour l’acquisition de matériels militaires ? Quelle doit être la part consacrée à l’aide civile ? C’est ce débat qui va avoir lieu à Bruxelles au cours des deux prochains mois.
M. Laurent Mazaury (LIOT). En début de semaine. Vladimir Poutine a signé un décret ordonnant d’augmenter le nombre de militaires de son armée. Il entrera en vigueur le 1er décembre prochain. À la fin de cette année, l’Ukraine devrait également commencer à recevoir les premiers avions de chasse F-16 en provenance du Danemark. La guerre ne semble donc pas près de s’arrêter. Des civils et des militaires continuent et continueront à mourir.
En juillet dernier, le président ukrainien a souhaité que la Russie participe au prochain sommet pour la paix et, récemment, le chancelier allemand a aussi défendu cette idée. De toute évidence, il faut aller vers la paix. Nous la souhaitons tous, le plus rapidement possible, mais sans négliger les conditions essentielles pour qu’elle soit durable.
La paix apportera la reconstruction matérielle et la reconstruction psychologique et sociale des citoyens. L’aide que nous apportons a un rôle certain à jouer en la matière.
Vous avez par ailleurs évoqué à plusieurs reprises la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union, qui suppose que la reconstruction s’effectue en respectant les normes européennes.
L’aide à la reconstruction apportée par la France à l’Ukraine présente donc différentes dimensions. Pourriez-vous nous donner plus de détails concernant leur hiérarchie et leur calendrier ?
Nous souhaitons que notre commission soit le lieu où sont systématiquement présentées au grand public les actions de la France à l’étranger car nos concitoyens se posent souvent des questions sur l’utilité d’une reconstruction menée en pleine guerre – et ce d’autant plus que les difficultés budgétaires devraient s’amplifier l’année prochaine.
On peut lire ici ou là que l’Ukraine est un marché prometteur pour les entreprises françaises. En début d’année, le premier ministre japonais soulignait que la contribution de son pays n’était pas seulement un investissement pour l’avenir de l’Ukraine mais aussi un investissement pour le Japon lui-même. Dans une interview datée d’un peu moins d’un an, vous affirmiez qu’il était important d’organiser l’aide internationale pour qu’elle ait un impact maximum, en évitant doublons et inefficacité. Comment s’articule notre aide avec celle d’autres pays et quelles discussions sont menées avec eux ? De manière purement comptable, et sans être cynique, pourriez-vous nous communiquer une estimation des bénéfices que les entreprises françaises pourraient réaliser grâce à nos investissements en faveur de l’Ukraine ?
M. Pierre Heilbronn. L’horizon européen place la France dans une situation différente de celle des États-Unis ou du Japon car, en tant que membre fondateur de l’Union, nous avons une responsabilité particulière pour accompagner l’Ukraine dans ce chemin européen. Nous le faisons, y compris en évoquant très régulièrement avec les Ukrainiens les réformes prioritaires en matière de transport et d’agriculture.
Selon moi, il faut communiquer à l’échelle locale sur les conséquences des différentes aides à la reconstruction. Chacun d’entre vous a une responsabilité importante à cet égard. Lorsque je me rends en région, je suis frappé par le fait que beaucoup d’entreprises se montrent intéressées, à la fois par solidarité et pour ouvrir des marchés. Ainsi, avec l’aide de l’État, un contrat a été conclu entre Saarstahl Rail et les chemins de fer ukrainiens, qui doit permettre de fournir 25 000 tonnes de rails, soit 150 kilomètres de voies ferrées, et de créer 60 emplois sur le site de Hayange. Ce contrat représente 8 % du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Il faut multiplier les exemples de ce type en faisant mieux connaître la « boîte à outils » que j’ai évoquée, et notamment les dispositifs de garantie proposés par BPIFrance. Le fonds Ukraine créé par l’accord bilatéral signé en juin dernier, doté de 200 millions d’euros, a déjà suscité le triple de souscriptions. Cela témoigne d’un véritable appétit des petites et moyennes entreprises (PME) françaises, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables et de l’économie circulaire, avec parfois des projets très innovants. Les propositions seront sélectionnées en fonction d’une grille de critères prenant en compte leur impact environnemental et social.
M. Alexis Jolly (RN). Nous débattons de la reconstruction de l’Ukraine mais celle-ci ne pourra avoir lieu qu’après la signature d’un accord de paix. Nous l’appelons évidemment de nos vœux en souhaitant un accord durable qui évite la reprise du conflit ou sa poursuite de façon larvée, avec une succession de phases de tension et de guerre ouverte.
La question de la reconstruction ne relève pas seulement de considérations humanitaires. Elle revêt également de très importants enjeux économiques et il faut regarder les faits avec lucidité.
Les États-Unis sortent évidemment renforcés de cette guerre en ce qui concerne leur industrie de défense, puisqu’ils fournissent de nombreuses armes à l’Ukraine. Mais ils sont également en très bonne position pour procéder à la reconstruction du pays grâce à leurs puissantes entreprises dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) et à leurs importants fonds d’investissement.
A contrario, l’Europe apparaît affaiblie à la suite à cette crise, avec de nombreux drames humains et des vies détruites mais également une inflation considérable du prix des denrées alimentaires et un choc économique massif. Dernier exemple éloquent : la fermeture d’une usine Volkswagen en Allemagne du fait de la hausse des coûts de production, une hausse directement liée à celle des coûts de l’énergie engendrée par le remplacement des hydrocarbures bon marché russes par le très onéreux GNL américain.
Il est donc essentiel que l’Europe, et en particulier la France, du fait de son engagement, sortent par le haut de cette crise, notamment sur le plan économique. Il faut éviter que la reconstruction de l’Ukraine devienne un poids supplémentaire insoutenable pour les peuples européens. Sur ce plan, on peut être particulièrement inquiets puisque la présidente de la Commission européenne et son entourage ne semblent pas avoir correctement défendu les intérêts de l’Europe par le passé lorsqu’ils divergeaient des intérêts économiques américains, comme en témoigne d’ailleurs le rapport Draghi.
L’Ukraine n’est pas dans l’Union européenne et nous considérons qu’elle n’a pas vocation à y entrer, même si elle reste notre voisine dans un espace européen commun. Nous voulons éviter que les moyens publics et privés alloués à sa reconstruction soient détournés par la corruption, au détriment de la population. Nous ne voulons pas non plus que les contraintes des bailleurs internationaux conduisent à spolier un peuple qui a déjà trop souffert et que l’Ukraine devienne la proie de grands groupes étrangers.
Comment la France va-t-elle se positionner vis-à-vis de cette reconstruction, dont elle doit être un acteur de premier plan ? Quelle est votre stratégie pour éviter que notre pays finisse encore en dindon de la farce ?
M. Pierre Heilbronn. Notre stratégie consiste avant tout à discuter avec les Ukrainiens de ce dont ils ont vraiment besoin et de leurs aspirations. Or ils ont très clairement indiqué qu’ils adhèrent aux valeurs européennes. C’est un élément qu’il ne faut pas oublier lorsque l’on discute de l’aide à l’Ukraine.
L’Union européenne a joué un rôle moteur dans cette aide. On parle beaucoup des États-Unis, mais les chiffres montrent que l’Union a été le premier soutien de l’Ukraine depuis le début du conflit. Cela relève de notre responsabilité mais c’est également une opportunité, car l’Ukraine est un acteur qui contribue à la souveraineté alimentaire et à la sécurité des vingt-sept. Ce sont des atouts pour l’Union européenne sur la scène internationale.
On dit souvent que les Américains obtiennent la plus grande part mais j’ai évoqué l’investissement de Xavier Niel de 1 milliard d’euros en Ukraine : il n’y a eu aucun investissement américain de cette ampleur dans le pays au cours des quinze dernières années. Cela montre que des entreprises européennes – françaises, italiennes, allemandes – ont une vision industrielle et la développent. L’Ukraine compte d’ailleurs parmi les meilleurs ingénieurs et techniciens de la tech dans le monde, à l’instar de la Silicon Valley ou d’Israël.
Mon objectif est que les entreprises françaises soient au rendez-vous et que l’on ne se retrouve pas dans cinq ou dix ans à se lamenter sur le déclin français ou européen alors que nos acteurs économiques ont beaucoup de cartes en mains.
M. Benjamin Haddad (EPR). Je tiens à saluer votre travail, votre engagement et votre détermination dans l’accomplissement de votre mission, laquelle est primordiale pour la défense de nos intérêts, économiques et sécuritaires. La défense de l’indépendance et de la souveraineté des Ukrainiens importe pour la stabilité du flanc Est de l’Europe, et l’accompagnement de sa reconstruction et de son adhésion à l’Union européenne représente des opportunités économiques, alimentaires et agricoles pour notre continent. Bien que vous emmeniez régulièrement des acteurs économiques français en Ukraine, ils semblent toujours plus frileux que leurs homologues européens à s’engager dans ce pays.
Où en sommes-nous des avoirs gelés ? Les intérêts des avoirs de la banque centrale russe ont-ils bien été saisis ? Quel est le calendrier du prêt de 50 milliards de dollars, qui s’appuiera sur un collatéral et un remboursement d’intérêts de 3 milliards à 5 milliards par an ? Quand les Ukrainiens peuvent-ils espérer recevoir les fonds, sachant que vous avez dit vous-même que les débats se poursuivaient sur l’utilisation de cette somme ?
Bien que cela dépasse le cadre de votre mission, je souhaite vous interroger aussi sur l’aide militaire car il n’y aura pas de reconstruction sans possibilité pour les Ukrainiens de se défendre et de reconquérir leur territoire. L’Assemblée nationale a adopté, il y a quelques mois, l’accord bilatéral de sécurité, lequel prévoit un soutien militaire pouvant atteindre 3 milliards d’euros en 2024 : quel est le montant de l’aide déjà apportée ? Les Ukrainiens ont-ils épuisé le deuxième fonds de soutien militaire, doté de 200 millions ?
M. Pierre Heilbronn. La frilosité française que vous évoquez varie selon les entreprises : les grandes qui ne sont pas déjà implantées en Ukraine sont généralement assez prudentes mais les PME adoptent une attitude différente ; quant aux entreprises déjà présentes, elles sont toutes restées dans le pays et y développent plutôt leurs activités.
S’agissant des avoirs gelés, nous sommes parvenus à un accord à l’échelle européenne. Les intérêts des 207 milliards russes placés à Euroclear ne seront pas simplement gelés mais saisis. L’argent est versé dès cette année : 1,4 milliard d’euros ont été transférés en juillet, 90 % de cette somme soutenant l’action militaire de l’Ukraine, le reste allant à la société civile ; le solde de l’aide de 2024 sera versé dans les mois qui viennent. Selon les hypothèses de taux d’intérêt, ce sont entre 3 milliards et 3,5 milliards qui seront alloués chaque année. Les Ukrainiens utilisent une partie de cette enveloppe pour acheter du matériel européen, notamment français : les entreprises françaises du secteur de la défense vendront ainsi des équipements pour un montant de 300 millions.
Dans le prêt de 50 milliards d’euros, entre 20 et 40 milliards – selon la position américaine – seront mis à la disposition des autorités ukrainiennes pour financer des dépenses de fonctionnement civiles ou militaires. L’une des grandes questions à l’échelle européenne sera de savoir dans quelles conditions et dans quel cadre ces dépenses seront effectuées. La Commission européenne devrait soumettre dans les heures qui viennent sa proposition de règlement, laquelle indiquera le niveau de l’engagement. Cette question est liée à une discussion sur le partage des risques entre les Européens et les Américains : ces derniers, disant qu’ils ne peuvent pas obtenir de vote du Congrès, demandent aux Européens d’allonger l’horizon de gel des avoirs au-delà de six mois. Le débat sur ce point se tiendra dans les semaines qui viennent à l’échelle européenne et il sera complexe car l’unanimité est requise. Or, un pays refuse actuellement cette idée. Si le blocage se confirmait, les Européens assumeraient tous les risques et les Américains aucun, l’hypothèse étant celle de la disparition, dans dix ou vingt ans, du sous-jacent du prêt de 50 milliards.
Quelle sera la répartition de l’utilisation de ces fonds entre les dépenses civiles et militaires ? Quel sera le degré d’encadrement imposé à l’Ukraine, autrement dit la conditionnalité du prêt ? Les deux sujets sont intimement liés et doivent faire l’objet d’un accord rapide car, dans le contexte du cadre financier pluriannuel, la fenêtre de déploiement d’une aide macrofinancière de l’Union européenne se refermera le 31 décembre prochain. Les Américains sont donc pressés par leur cycle électoral et les Européens par leur cadre juridique.
M. le président Jean-Noël Barrot. Nous en venons à présent aux questions posées à titre individuel.
M. Marc de Fleurian (RN). Depuis le 24 février 2022, la France se tient aux côtés de l’Ukraine et lui apporte un soutien économique, militaire et diplomatique. Elle se tient prête, comme les autres pays, à participer à la reconstruction d’une Ukraine abîmée par plus de deux années d’invasion. L’ambition française de contribuer à cette tâche est noble et les efforts ukrainiens ne pourront que bénéficier de notre expertise nationale. À ce titre, le choix de Kiev de confier à des acteurs français la reconstruction du réseau de télécommunications est un grand motif de satisfaction.
Toutefois, le conflit n’est pas terminé et les négociations de paix apparaissent incertaines : l’Ukraine affronte des défis majeurs en termes de corruption, cette dernière continuant d’affecter la bonne gouvernance du pays. Les différents projets que vous avez lancés ou que vous serez amené à négocier revêtent une double importance : cruciaux pour l’Ukraine, ils ne le sont pas moins pour la France, qui consent un engagement financier important.
Quels mécanismes ont été déployés pour garantir l’efficacité de l’utilisation des fonds dans le double contexte de la poursuite du conflit et de la corruption endémique ?
M. Pierre Heilbronn. Les entreprises qui investissent en Ukraine évaluent le risque attaché à la corruption ; je suis persuadé que Xavier Niel a consacré un peu d’énergie à cette tâche. En tant qu’acteurs de la puissance publique, nous nous efforçons d’améliorer la transparence et le climat des affaires. Je rappelle à ce propos que l’Ukraine a largement amélioré son classement en matière de transparence, passant de la 144e à la 104e position au cours des dernières années. Elle se situe encore très loin des standards européens mais les progrès sont nets. Certains pays concernés par l’élargissement de l’Union européenne, comme la Turquie ou la Bosnie-Herzégovine, sont moins bien classés pour le climat des affaires. Il faut noter ces évolutions positives et refuser de ne voir que le verre à moitié vide.
Il convient de travailler sur ce sujet avec les entreprises mais également avec les bailleurs multilatéraux. L’importance systémique de ces derniers en Ukraine leur confère un rôle de rempart contre certaines tentations, que l’on retrouve dans de nombreux autres pays. La qualité de la signature de la BERD et le poids qu’elle occupe dans le pays lui permettent d’agir en faveur d’une plus grande transparence de la vie publique.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Permettez-moi de saluer votre action pour accompagner l’Ukraine dans sa reconstruction et dans le processus d’adhésion à l’Union européenne. La France dispose d’une expertise reconnue dans de nombreux domaines, notamment dans le secteur agricole. Lactalis est d’ailleurs présent en Ukraine.
La reconstruction de l’Ukraine devra s’opérer selon les normes et les standards européens. Dans les territoires où le poids de l’agriculture est élevé – comme dans ma circonscription du Finistère –, on craint que l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne ne crée une agriculture à deux vitesses et n’alimente une concurrence déloyale au sein de la politique agricole commune (PAC). Comment conjurer ce risque et rassurer nos agriculteurs ?
M. Pierre Heilbronn. Il convient d’être transparents et fermes avec nos amis ukrainiens dans le domaine des réformes. Ce pays, que je connais depuis près de huit ans, n’a jamais conduit autant de réformes. Dans les nombreuses discussions que j’ai eues avec le président actuel et son prédécesseur, il est apparu que le processus d’élargissement permettait aux Européens de se montrer plus exigeants vis-à-vis des autorités ukrainiennes, ces dernières dépendant très largement de l’aide internationale, notamment européenne.
Les standards européens, dans le secteur agricole comme dans d’autres, revêtent une importance fondamentale. La perspective d’une intégration aux politiques communes soulèvera évidemment la question de la réforme de celles-ci, par exemple en faisant évoluer le plafonnement des aides de la PAC.
Nous nous sommes battus pour traiter les problèmes de distorsion de concurrence à l’échelle européenne. Nous avons ainsi déployé un mécanisme de frein d’urgence, pour des produits comme l’avoine, le sucre et les œufs. Ce dernier a été activé récemment pour ces produits car des distorsions de concurrence avaient été documentées, alors que nous avons toujours dit que nous ne tremblerions pas en cas de déstabilisation des marchés européens concernant ces produits. Cette position fait partie du dialogue que le ministre de l’agriculture Marc Fesneau a eu et que son successeur aura avec son homologue ukrainien, nommé il y a dix jours, sur les standards et les conditions d’accès au marché unique des produits agricoles ukrainiens.
Mme Pascale Got (SOC). Dans quelle mesure et dans quels domaines l’aide à la reconstruction accélère-t-elle les réformes qui permettront à terme à l’Ukraine d’adhérer à l’Union européenne ?
M. Pierre Heilbronn. Tous les domaines sont concernés. Ainsi, le réseau énergétique ukrainien a été synchronisé au réseau électrique européen en une nuit après l’attaque du 24 février 2022. Dans ce secteur, l’Ukraine est plutôt en avance, en termes de reprise de l’acquis, sur de nombreux pays entrés dans le processus d’adhésion. Le pays est également en avance en matière numérique, y compris par rapport à certains pays européens. Dans d’autres secteurs au contraire, l’Ukraine accuse un retard que nous tentons de combler en dépêchant sur place des experts techniques internationaux qui doivent l’aider dans l’indispensable reprise de l’acquis. Les autorités ukrainiennes sont très engagées dans les domaines des transports et de la santé. Cet effort peut même susciter des inquiétudes dans d’autres pays engagés dans le processus d’adhésion depuis plus longtemps que l’Ukraine et qu’elle a dépassés.
La vice-première ministre ukrainienne chargée de l’intégration européenne s’est vue confier le portefeuille de la justice, domaine dans lequel la tâche reste immense. Notre aide mais aussi notre exigence quant à la nécessité de réformes – que nous exprimons avec nos partenaires européens au sein de la plateforme de coordination des donateurs pour l’Ukraine – répondent aux attentes que la société civile ukrainienne a au sujet des transformations que la trajectoire européenne impose.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (EPR). Les infrastructures civiles sont essentielles à l’effort de guerre et au maintien du moral du peuple ukrainien dans l’épreuve qu’il traverse.
Vous avez fait plusieurs fois allusion à la conditionnalité des aides : quelles sont ces conditions ? Quelles réformes incitez-vous l’Ukraine à mener ? La corruption constitue un obstacle au déploiement d’un climat des affaires sain : les acteurs privés peuvent évaluer et absorber son coût mais le poids de ce fléau est plus élevé pour les fonds publics. Où en est-on dans ce domaine ?
M. le président Jean-Noël Barrot. Je rappelle que la lutte contre la corruption constitue l’un des préalables à l’adhésion à l’Union européenne.
M. Pierre Heilbronn. Il s’agit de l’un des chantiers qui a connu le plus d’avancées au cours des derniers mois, parmi lesquelles le rétablissement des déclarations d’intérêts des parlementaires et des dirigeants ukrainiens. La société civile a fait pression pour que ces progrès soient réalisés, demande à laquelle le président Zelensky a répondu favorablement.
Les conditionnalités en matière civile édictées par l’Union européenne figurent toutes dans le plan pour l’Ukraine adopté par le Conseil sur proposition des autorités ukrainiennes. Consultable en ligne, il comporte des objectifs annuels et infra-annuels sur le déploiement des réformes et le contrôle, opéré par la Commission européenne et nos amis américains. Je veille à ce que les conditionnalités correspondent aux exigences des Américains, des Européens et des Japonais. La matrice est néanmoins européenne et tous les membres du G7 n’appartenant pas à notre continent considèrent que l’ancrage européen du pays oriente le cadre des conditionnalités et des réformes.
Le numérique constitue un outil important pour réduire le champ de la corruption. La numérisation des appels d’offres des collectivités locales, plus avancée que dans la plupart des pays de l’Union européenne, représente à cet égard un progrès utile. La France est aussi très engagée, à travers Expertise France, dans la sélection des juges, car la nomination de personnes intègres est fondamentale pour la bonne gestion des procédures nationales et locales. Maintenir un niveau élevé d’exigence en la matière représente un défi, même pour les pays plus avancés que l’Ukraine dans ce domaine.
Au final, toutes les entreprises, y compris japonaises ou américaines, considèrent que le dialogue exigeant lié au processus d’élargissement de l’Union européenne constitue la principale incitation à la transformation du pays.
M. Nicolas Dragon (RN). La France dispose d’un fonds de financement de projets de reconstruction des infrastructures critiques ukrainiennes doté, selon l’accord du 7 juin 2024, de 200 millions d’euros. Vous avez indiqué le 21 décembre 2023 devant le groupe d’amitié France-Ukraine de l’Assemblée nationale que vous souhaitiez engager dès à présent la reconstruction de l’Ukraine, quand bien même le conflit ferait encore rage et entraînerait la destruction quotidienne d’infrastructures.
Quelles sont les zones concernées par les aides françaises et comment sont-elles délimitées ? Avez-vous connaissance de projets financés, puis affectés par les évolutions géographiques du conflit ? Enfin, alors que coexistent le fonds Ukraine français et le plan européen pour le redressement et la reconstruction de l’Ukraine, qui promet le déploiement d’une équipe « Europe », comment s’articule l’aide française avec l’aide européenne, cette dernière étant notamment financée par la France en sa qualité de contributrice nette au budget de l’Union ?
M. Pierre Heilbronn. La complémentarité de l’aide française et de l’aide européenne fait partie de mes sujets prioritaires. Le mandat de l’Agence française de développement privilégie les prêts aux collectivités locales sans garantie souveraine, ce que ne font ni l’Union européenne, ni les agences bilatérales comme la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KFW) – l’établissement de crédit pour la reconstruction allemand –, ni la Banque européenne d’investissement, lesquelles demandent toujours l’octroi d’une garantie de l’État ukrainien. Cette complémentarité est indispensable dans la définition des instruments.
L’absence d’un instrument de don, dont disposent de nombreux pays du G7, a imposé la création du fonds auquel vous faites allusion. Un tel outil est en effet essentiel pour accompagner les entreprises françaises en Ukraine. Nous faisons de ce pays le laboratoire de l’utilisation de ce nouvel instrument, dont l’horizon d’action est plus proche que celui de l’AFD ou des grands projets d’infrastructures de la BEI. Nous avons pris en compte les exigences à la fois de complémentarité et d’additionnalité, et nous œuvrons dans des zones, comme celle de Kiev, dont la défense aérienne est bien assurée.
M. le président Jean-Noël Barrot. Merci, monsieur l’envoyé spécial. Notre pays soutient le peuple ukrainien depuis le premier jour et continuera de le faire aussi longtemps que nécessaire.
Votre action et celle de votre équipe contribuent à rendre ce soutien tangible et à lui donner un visage humain. Nous vous souhaitons un plein succès dans votre mission si importante.
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Informations relatives à la commission
En ouverture de sa réunion, la commission désigne :
- MM. Alain David et Jean-François Portarrieu rapporteurs pour avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’Etat et France Médias Monde pour la période 2024-2028 ;
- Mme Sabrina Sebaihi et M. Bruno Fuchs représentants de la commission au conseil d’administration de Campus France, sur le fondement de l’article 6 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État ;
- M. Sébastien Chenu et Mme Liliana Tanguy représentants de la commission au conseil d’administration de l’Institut français, sur le fondement de l’article 9 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État ;
- M. Stéphane Hablot représentant de la commission au conseil d’administration de l’agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), sur le fondement de l’article 2 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État.
La séance est levée à 12 h 25.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Jean-Noël Barrot, M. Guillaume Bigot, M. Bertrand Bouyx, M. Sébastien Chenu, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, M. Olivier Faure, M. Marc de Fleurian, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, M. Benjamin Haddad, M. Michel Herbillon, M. Alexis Jolly, M. Laurent Mazaury, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Eléonore Caroit, M. Éric Ciotti, Mme Julie Delpech, M. Nicolas Forissier, M. Perceval Gaillard, M. François Hollande, M. Vincent Jeanbrun, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Franck Riester, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa