Compte rendu
Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée du Travail et de l’Emploi, sur l’égalité professionnelle. 2
– Présences en réunion.................................11
Mercredi
14 mai 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 16
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Véronique Riotton, présidente
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TRAVAUX DE LA DELEGATION
AUDITION DE MME ASTRID PANOSYAN-BOUVET,
MINISTRE AUPRÈS DE LA MINISTRE DU TRAVAIL, DE LA SANTÉ,
DE LA SOLIDARITÉ ET DES FAMILLES,
CHARGÉE DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI,
SUR L’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE.
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné, mercredi 14 mai 2025, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargée du Travail et de l’Emploi, sur l’égalité professionnelle.
La séance est ouverte à 17 heures 15
Présidence de Mme Véronique Riotton
Mme la présidente Véronique Riotton. Cette audition est consacrée à l’enjeu de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. Malgré des avancées importantes, les inégalités salariales demeurent à un niveau trop élevé, du fait de la persistance d’obstacles structurels sociétaux – dans les métiers techniques, en matière de temps de travail ou aux différentes étapes de la vie.
L’écart de salaire entre les femmes et les hommes peut être mesuré de différentes manières, ce qui prête parfois à confusion. Tous temps de travail confondus, les femmes perçoivent 22,2 % de moins que les hommes. À temps de travail équivalent, cet écart est de 14,2 % et de 3,8 % à poste identique – ce qui s’approche le plus d’une discrimination salariale. Qui plus est, ces écarts ont ensuite un impact sur les retraites.
Ce phénomène n’est pas observé qu’en France. En 2023, la rémunération des femmes était en moyenne inférieure de 12 % à celle des hommes dans l’Union européenne, avec d’importantes disparités entre les États membres. Trois causes sont identifiées : le temps de travail, l’accès à des métiers moins rémunérés – je salue, à cet égard, le travail conduit par Marie-Pierre Rixain sur les métiers de la Tech lors de la dernière législature – et les difficultés d’accès au travail tout au long de la vie, puisque les femmes décrochent davantage que les hommes au moment de la parentalité ou de l’accompagnement des proches en fin de vie.
Madame la ministre, ma première question concerne la transposition de la directive européenne du 10 mai 2023, qui instaure de nouvelles règles comme la transparence des rémunérations dès le stade du recrutement, l’interdiction de questionner les candidats sur leurs rémunérations antérieures, le droit à l’information pour les salariés sur les niveaux de rémunération par genre, et des audits salariaux obligatoires pour les entreprises de plus de 100 salariés.
Ce texte ambitieux doit être transposé au plus tard le 7 juin 2026. Pour la France, qui dispose d’un index de l’égalité professionnelle depuis 2019, c’est un défi organisationnel. Alors que les critères de mesure des inégalités et les sanctions prévues ne sont pas les mêmes que dans la directive, l’avenir de cet index mérite réflexion, de même que l’accompagnement des entreprises qui devront appliquer les nouvelles règles.
Vous avez annoncé, le 7 mars, qu’une concertation avec les partenaires sociaux venait d’être lancée concernant cette transposition, dans la perspective d’un projet de loi en septembre. Pouvez-vous nous préciser le calendrier et les modalités d’application des dispositions de la directive ?
Ma deuxième question est plus large. Au-delà de la transparence salariale, il est impératif d’agir de manière systémique sur les facteurs qui nourrissent les inégalités de rémunération dans les trois dimensions que j’évoquais : la répartition inégale du temps de travail, la ségrégation professionnelle et l’organisation du travail, avec la faible prise en compte des responsabilités familiales. Quelles actions pouvons-nous engager collectivement ?
La délégation aux droits des femmes prend sa part. Elle a lancé deux missions d’information, respectivement consacrées à l’accompagnement à la parentalité, dont les rapporteures sont Sarah Legrain et Delphine Lingemann, et à l’égalité salariale, avec pour rapporteures Agnès Firmin Le Bodo, Karine Lebon et Virginie Duby-Muller. Souvent traités de manière distincte, ces deux enjeux sont étroitement liés. Il s’agit de viser une répartition plus équitable des responsabilités parentales, grâce à un congé parental mieux partagé ou à un allongement du congé de paternité – levier essentiel pour faire progresser l’égalité professionnelle, laquelle favorise une meilleure répartition des rôles au sein du foyer. Promouvoir l’égalité de la maison, c’est aussi faire avancer l’égalité au travail, et réciproquement.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi, sur l’égalité professionnelle. L’importante question de la place des femmes au travail recouvre deux sujets qui me tiennent à cœur. Le premier est celui de l’indépendance économique, au cœur de cette longue marche vers l’égalité. Je me souviens des phrases fortes de Gisèle Halimi, qui considérait que c’est aussi par l’indépendance économique que les femmes sont en mesure de conquérir et consolider leurs droits. Le second sujet auquel je suis attachée, en tant que ministre du travail, est le dialogue social. Aussi vous préciserai-je la façon dont les partenaires sociaux seront associés, aux côtés des parlementaires et des instances concernées, pour transposer la directive européenne de 2023 – qui modifiera les pratiques salariales et la manière dont on parle des salaires, au-delà de la lutte contre les inégalités salariales.
Je présenterai d’abord nos actions pour réduire les inégalités structurelles. Vous avez rappelé que l’écart entre le salaire moyen des femmes et celui des hommes est de 22 %. Il s’explique par l’importance du temps partiel, puisque les femmes représentent 83 % des salariés à temps partiel. Il s’agit parfois d’un choix, mais souvent d’une contrainte – qu’elle soit l’expression des inégalités face aux charges parentales ou la résultante de modalités d’organisation pénalisant les femmes. Chaque année, 150 000 femmes quittent le monde du travail faute de garde d’enfants, ce qui a aussi des impacts macroéconomiques : alors qu’il avait augmenté au cours des dernières décennies, le taux d’activité français des femmes stagne, en plus des deux poches de sous-activité observées chez les jeunes et chez les plus de 55 ans.
Plus qu’un facteur d’inégalité, le temps partiel est identifié comme un facteur de précarité économique expliquant une grande partie de la pauvreté laborieuse. Les travailleurs pauvres sont souvent et d’abord des travailleuses à temps partiel.
Le rapport commandé à l’Igas, l’Inspection générale des affaires sociales, à la suite de la conférence sociale d’octobre 2023 dresse un tableau qui doit nous alerter. Sur la base de ce document, j’ai saisi les partenaires sociaux afin qu’ils engagent une négociation. Je vous invite aussi à vous en saisir, car ses recommandations concernant le temps partiel subi permettraient de remédier aux différences structurelles liées à la quotité horaire, qui explique l’écart de 22 % entre les salaires des hommes et ceux des femmes.
Toutefois, le temps partiel n’explique pas tout. En neutralisant cet effet, le salaire moyen des femmes reste inférieur de 14 % à celui des hommes. Nous sommes là au cœur de la répartition genrée des professions. Les femmes n’occupent pas les mêmes types d’emploi et ne travaillent pas dans les mêmes secteurs que les hommes, et elles accèdent moins aux postes les plus rémunérateurs. En 2022, seuls 15 % des travailleurs exerçaient un métier mixte, c’est-à-dire un métier dans lequel les parts d’hommes et de femmes se situent entre 40 et 60 %. Cela montre que les métiers restent genrés – qu’ils soient masculins comme ceux du BTP ou féminins comme ceux du care, pour citer les plus emblématiques.
L’action des pouvoirs publics porte sur la formation initiale, dès le plus jeune âge, contre les stéréotypes de genre. C’est le cas de l’initiative lancée par Mme Borne pour l’éducation scientifique des jeunes filles. La faible mixité des métiers n’est ni un phénomène naturel ni une fatalité.
Nous commençons aussi à favoriser la mixité des métiers dans la formation professionnelle, au travers des centres de formation d’apprentis et des lycées professionnels. Depuis 2018, chaque CFA doit apporter sa contribution aux objectifs d’égalité et de mixité. Nous avons abordé ce point dans la réforme du financement de l’apprentissage que nous avons officialisée devant les partenaires sociaux la semaine dernière.
S’agissant des branches, les plans d’engagement de développement de l’emploi et des compétences, négociés avec l’État, promeuvent aussi la mixité et l’attractivité des métiers.
Mais, une fois neutralisés le facteur temps partiel et les inégalités produites par la faible mixité des métiers et les logiques de genre, il reste une part irréductible d’inégalités – ce fameux écart de 4 % à temps et à métier égal, qui relève de la discrimination pure.
L’index d’égalité professionnel, dit index Pénicaud, instauré en 2018, a permis de mesurer les écarts de rémunération et de faire progresser les entreprises. Celles-ci s’en sont emparées, puisque 80 % de déclarants ont été enregistrés en 2025, et les résultats sont plutôt bons. Mais, paradoxalement, si l’index a permis des avancées – le score des entreprises qui le déclarent s’améliore d’année en année –, la persistance de l’écart de 4 % et la stagnation, voire la progression de l’écart de 22 % entre les salaires moyens des hommes et ceux des femmes témoignent d’une discrimination salariale qui perdure. Des améliorations sont indispensables dans la construction de cet index. Certains le disent incalculable, désincitatif, voire peu exigeant, puisque le simple fait de respecter la loi rapporte des points. Il faut donc aller plus loin. En l’occurrence, la directive sur la transparence salariale nous donne l’occasion de rehausser notre niveau d’ambition, avec des indicateurs plus précis permettant d’appréhender finement les écarts de rémunération.
La directive prévoit aussi une évaluation conjointe, avec les représentants des salariés et l’appui de l’inspection du travail, qui conduira les entreprises à devoir expliquer les écarts de rémunération supérieurs à 5 % et à y remédier lorsqu’ils ne seront pas justifiés.
Quant aux sanctions prévues, nous proposons qu’elles prennent la forme d’amendes administratives, garantissant « un effet dissuasif réel » et tenant compte des circonstances aggravantes ou atténuantes, notamment les manquements passés ou répétés.
Même si nous avons jusqu’à juin 2026 pour transposer la directive en droit français, nous souhaitons que cette transposition intervienne rapidement, afin que les entreprises et les partenaires sociaux s’emparent des nouvelles règles avant leur entrée en vigueur. Le 21 mai, je lancerai un cycle de concertation avec les partenaires sociaux sur un premier projet de texte. J’ai souhaité y associer Aurore Bergé, pour que nos ministères avancent main dans la main dans ce beau projet, et nous saisirons formellement le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que le Haut Conseil des rémunérations, de l’emploi et de la productivité. Je précise que le projet dont je saisirai les partenaires sociaux a déjà fait l’objet d’une préconsultation, laquelle a servi de base pour défendre une position en réunion interministérielle.
Dans la mesure où les indicateurs de l’index Pénicaud et les nouveaux indicateurs prévus par la directive ne se recoupent que partiellement, le gouvernement souhaite que l’index soit refondu pour que seuls demeurent les indicateurs prévus par la directive. Un nouvel index – les partenaires sociaux ont souhaité conserver l’idée d’un index – devrait être créé et se substituer à l’existant dès 2027. L’année 2026 devrait donc être la dernière de la déclaration de l’index Pénicaud dans ses modalités actuelles.
En aucun cas, la transposition de la directive ne doit se traduire par un retour en arrière. Ainsi, même si la directive prévoit que les obligations de déclaration ne s’appliquent qu’aux entreprises de plus de 100 salariés, le gouvernement souhaite que celles de 50 à 99 salariés, qui avaient déjà l’habitude, en droit français, de déclarer leur index, continuent à s’inscrire dans cette démarche de transparence. Elles pourront déclarer les indicateurs de la directive selon un dispositif allégé et ne seront pas soumises à l’obligation de déclaration conjointe.
À cet égard, je suis sensible à la question de la charge administrative, d’autant que le ministère du travail est un ministère autant social qu’économique, et que les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) représentent 80 % du tissu économique. Il nous faut tenir le bon équilibre opérationnel entre les avancées permises par l’index Pénicaud et la charge administrative liée à la fourniture de nouveaux indicateurs. Dans cette optique, nous automatiserons la déclaration des six premiers indicateurs, pour toutes les entreprises – l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, l’écart de rémunération dans les composantes variables ou complémentaires, l’écart de rémunération médian, l’écart de rémunération médian dans les composantes variables ou complémentaires, la proportion de travailleurs féminins et masculins bénéficiant de composantes variables ou complémentaires, ainsi que la proportion de travailleurs féminins et masculins dans chaque quartile.
Pour les entreprises de 50 à 250 salariés, le gouvernement propose de moduler la fréquence de déclaration du septième indicateur, qui n’interviendra que tous les trois ans, contre tous les ans pour celles de plus de 250 salariés. Cet indicateur n’est pas automatisable, car il implique que l’employeur classe les travailleurs par catégories d’emplois jugés de valeur égale. Le ministère et ses services déconcentrés seront aux côtés des acteurs de terrain pour faciliter l’application de cet outil et l’appropriation d’une cause qui doit nous réunir et nous fédérer, celle de l’égalité salariale et professionnelle.
La directive prévoit aussi l’interdiction de demander aux candidats leur salaire actuel – pour ne pas y coller et perpétuer ainsi une inégalité durant toute la trajectoire professionnelle – et l’obligation de faire figurer, dans les offres d’emploi, une proposition salariale inscrite dans une fourchette réduite et précise. Ces mesures modifieront la culture et la manière de parler des salaires, soit entre salarié et employeur, soit dans l’entreprise.
Les partenaires sociaux ont et auront un rôle à jouer à tous les stades de la transposition. Nous les avons auditionnés et nous les tenons informés de nos orientations. Comme pour la transposition législative de l’accord national interprofessionnel sur les seniors et l’assurance chômage, que vous examinerez au mois de juin, nous souhaitons qu’ils soient aussi associés à la transposition législative qui vous sera présentée, afin que le projet de loi retranscrive fidèlement les discussions et les bases de la négociation. Tel sera le rôle de la concertation que nous ouvrirons dans les prochains jours.
Si vous le souhaitez, nous pourrons aborder d’autres questions en matière d’égalité professionnelle, comme celle de la santé et des conditions de travail, qui a souvent manqué d’approche genrée. Or, si les accidents du travail et les maladies professionnelles se stabilisent au niveau national, ils sont en forte progression chez les femmes, en particulier dans les métiers du lien ou de la vente, tous ces métiers des services dans lesquels on appréhende moins bien la question des conditions de travail que dans l’industrie. Je pourrai aussi vous parler des violences sexistes et sexuelles sur le lieu de travail, qui concernent trois fois plus les femmes que les hommes – soit deux femmes sur cinq au cours de la carrière. Cet élément à prendre en compte quand on parle de santé et de conditions de travail est très lié aux différences structurelles que nous avons évoquées.
Mme la présidente Véronique Riotton. Il importera de rendre visible l’index sur la transparence des rémunérations, en évitant de transposer la directive l’été, durant les congés. La journée internationale du droit des femmes, le 8 mars, pourrait être une bonne date.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Vous avez raison.
Mme la présidente Véronique Riotton. Par ailleurs, lors du débat sur la réforme des retraites en 2023, la première ministre Élisabeth Borne avait acté, y compris dans le texte de son 49.3, une trajectoire visant à éradiquer l’écart de pension entre les femmes et les hommes en une génération. Ce projet perdure-t-il ? Sommes-nous toujours à ce tamis, qui permettrait de traiter à la fois les questions des inégalités d’accès au travail, celles des inégalités de temps de travail et celles des inégalités salariales ?
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Marie-Pierre Rixain (EPR). En 2009, SAP, première entreprise du DAX30 en Allemagne et première capitalisation européenne, porte à sa tête une femme, l’américaine Jennifer Morgan. Le 9 mai, cette même entreprise a annoncé que la promotion des femmes ne ferait plus partie des critères non financiers servant au calcul de la rémunération des membres de son comité exécutif – cette mesure, à l’instar des quotas, constitue pourtant un levier essentiel pour assurer la mixité des instances dirigeantes. Ce faisant, l’entreprise cède aux injonctions américaines et supprime des éléments clés de sa politique de diversité et d’inclusion, justifiant ces ajustements par des changements externes comme « les développements juridiques actuels ».
En mars, les ambassades américaines en France, en Allemagne et en Espagne ont écrit à leurs fournisseurs européens pour leur demander d’abandonner leur politique de diversité et d’inclusion, au risque de perdre leurs contrats avec l’administration américaine. Ces pressions, qui s’inscrivent dans un climat politique marqué par un recul manifeste des droits civiques outre-Atlantique, interrogent notre souveraineté sociale. La France a fait le choix de la parité et de l’égalité professionnelle comme principes structurant sa politique économique, grâce notamment à la loi Copé-Zimmermann ou à celle de décembre 2021.
Consolider et ne rien céder sur les droits des femmes sur le plan économique et professionnel est d’abord un enjeu existentiel pour nos institutions et nos entreprises, a fortiori dans un climat géopolitique tendu par des régimes autocratiques et des récits conservateurs. Notre arsenal législatif en matière d’égalité économique et professionnelle est l’occasion de proposer un contre-modèle de création de valeur. À cet égard, nous nous inquiétons de l’effet dissuasif que peuvent produire des interventions diplomatiques en contradiction flagrante avec notre cadre national.
Comme le rappelait Simone Veil, l’égalité n’est pas une option, mais le fondement même de notre contrat social.
Quelle est la position du gouvernement face aux pressions que je viens de mentionner ? Quelles mesures sont prévues pour accompagner et protéger les entreprises françaises dans le maintien de leurs engagements de responsabilité sociale des entreprises (RSE), notamment dans un contexte international instable ? Redoublerez-vous de vigilance et de contrôle afin de faire respecter les obligations légales en matière d’égalité professionnelle ?
Mme Karine Lebon (GDR). À La Réunion, comme ailleurs en France, les femmes sont plus diplômées que les hommes. Pourtant, elles sont moins nombreuses à occuper un emploi – 43 %, contre 51 % pour les hommes –, et exercent le plus souvent dans des métiers peu reconnus et faiblement rémunérés, comme ceux d’aide à domicile, d’agent d’entretien ou de vendeuse. C’est un paradoxe insupportable, que nous devons briser. L’une des clés pour y parvenir réside dans le congé de naissance et dans le développement d’un véritable service public de la petite enfance. Ce secteur, largement féminisé, est sous-financé et sous-considéré. Il est pourtant essentiel. Échangez-vous régulièrement avec Sarah El Haïry à ce sujet ? Que prévoyez-vous dans les prochains mois ?
Un congé de naissance plus long, mieux rémunéré et partagé entre les deux parents pourrait constituer un levier puissant pour rééquilibrer la charge parentale et, in fine, les parcours professionnels. Cette piste est-elle sérieusement étudiée ?
Une autre urgence concerne la revalorisation salariale des professionnelles de la petite enfance. Il y va de leur dignité, de l’avenir des mères et de la sécurité de nos enfants.
Par ailleurs, comment expliquez-vous qu’en 2024, seules soixante-seize institutions publiques aient obtenu le label Égalité professionnelle ? Le service public ne devrait-il pas être exemplaire ?
Vous avez commencé à apporter une réponse concernant la transposition de la directive européenne sur la transparence salariale. L’égalité salariale ne peut plus attendre. À La Réunion, les femmes travaillent deux fois plus souvent que les hommes à temps partiel. Avec l’arrivée d’un enfant, ce sont encore elles qui réduisent ou arrêtent leur activité. Résultat, plus de 43 % des mères de deux enfants sont au chômage, ou inactives. C’est une réalité brutale.
J’appelle aussi votre attention sur la situation des femmes doublement discriminées que sont les femmes racisées et les femmes senior, qui subissent des inégalités croisées, souvent invisibles. Elles ont moins accès à la formation professionnelle. Elles suivent des carrières hachées, pâtissent plus des stéréotypes liés à l’âge que les hommes et sont souvent impliquées dans l’aide à un proche. L’aidance est d’ailleurs un enjeu majeur, dans le monde professionnel. Avez-vous réfléchi à des actions pouvant inciter les employeurs à repenser leur politique de ressources humaines pour valoriser les aidantes ? Comment ces politiques pourraient-elles mieux les prendre en compte, afin qu’elles soient mieux intégrées dans le monde du travail ?
Nous savons que des chantiers importants sont engagés et nous saluons les avancées déjà enregistrées. Mais nous savons aussi que l’égalité réelle demande des choix forts, durables et parfois ambitieux. L’égaconditionnalité préconisée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes pourrait être un important levier de transformation. Les attentes sont élevées, particulièrement en outre-mer où les inégalités professionnelles et sociales sont accentuées. Les femmes réunionnaises, comme toutes les femmes de France, attendent des mesures concrètes, visibles et qui améliorent réellement leur quotidien.
Nous restons mobilisées, avec vous, pour faire progresser l’égalité partout.
Mme la présidente Véronique Riotton. Je donne à nouveau la parole à Marie-Pierre Rixain, pour une question à titre personnel.
Mme Marie-Pierre Rixain (EPR). Si des millions de femmes dans le monde ont du mal à briser le plafond de verre, un nombre encore plus important essaie de se détacher du plancher collant. Nous décrivons ainsi les mécanismes qui maintiennent les femmes en bas de l’échelle des emplois, avec une faible rémunération, une mobilité limitée et des obstacles invisibles à l’entrée ou à l’avancement de carrière.
Les femmes susceptibles d’être appelées pour un entretien d’embauche sont ainsi 33 % de moins que les hommes si l’emploi en question implique une promotion fonctionnelle. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime qu’en 2023, 57,3 % des bénéficiaires du smic étaient des femmes. La plupart des victimes de ce plancher collant sont généralement des « cols roses », c’est-à-dire des femmes occupant des emplois en majorité féminisés – des secrétaires, des infirmières, des serveuses ou des employées de bureau, de services et d’entretien. Cela ne signifie pas qu’elles sont coincées, qu’elles n’ont aucun talent ou qu’elles ne s’investissent pas, au contraire. Mais, pour atteindre de nouveaux niveaux de responsabilité, de visibilité et de liberté financière, elles doivent d’abord parvenir à se libérer de comportements, de croyances et de préférence des employeurs, qui les entravent dès la porte de leur carrière.
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour limiter la prégnance de ce plancher collant ? Comment inciter les entreprises à agir pour accompagner leurs collaboratrices en matière de mobilité, de formation et de progression de carrière ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. Je n’ai pas tous les éléments de réponse à vos questions, et j’espère pouvoir les construire avec vous, je le dis avec humilité.
Vous insistez sur l’importance de rendre visible l’index sur la transparence des rémunérations prévu par la directive européenne. La publication au mois de mars de l’actuel index est désormais ancrée dans les usages et il serait pertinent de continuer ainsi en 2027, première année d’application du nouveau dispositif.
S’agissant des retraites, la délégation paritaire permanente termine son cycle de présentations thématiques demain. Ce matin, Catherine Vautrin et le négociateur Jean-Jacques Marette ont effectué une présentation aux représentants des groupes politiques, à l’Assemblée et au Sénat. La question des petites pensions féminines fait résolument partie du plan de travail. Par ailleurs, le Conseil d’orientation des retraites (COR) doit produire un rapport sur les droits familiaux. Ce sujet relève aussi du programme de négociation. Enfin, atteindre l’égalité en trente ans est jouable. En effet, l’écart se réduit de dix points tous les quinze ans, du fait de la réduction des inégalités salariales.
Les partenaires sociaux se sont saisis de ces thèmes, pour lesquels des corrections d’injustices attendues. Certains ont quitté la table des négociations, mais des syndicats représentant 57 % des salariés et des organisations patronales représentant 95 % des entreprises ont rédigé une lettre d’objectifs partagés incluant la question des femmes. Nous les laissons travailler et si un accord est trouvé d’ici fin juin, la démocratie sociale sera relayée par la démocratie politique, comme s’y est engagé le premier ministre.
Madame Rixain, vous soulevez la question importante du vent mauvais qui nous provient d’outre-Atlantique concernant les politiques de diversité et d’inclusion. Ce qu’a décidé SAP nuit considérablement à sa marque employeur autant qu’à l’engagement de ses salariés, pas seulement les femmes. Je partage votre idée d’un contre-modèle de création de valeur à travers la question de l’égalité professionnelle. La loi Rixain est un outil utile à cet égard, puisqu’elle imposera aux entreprises implantées en France de compter au moins 40 % de femmes dans le vivier de leurs cadres dirigeants. Souvent, ce type de critère entre dans la part variable de la rémunération des dirigeants. Il faudra ne pas baisser la garde, en tout cas en France, même si ce combat doit être mené au niveau européen – au Parlement et au Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs. Il convient de se montrer vigilant, tant cet édifice est fragile. Rappelons-nous que les entreprises américaines étaient les premières à nous donner des leçons en matière de diversité et d’inclusion.
J’en viens à votre question sur les naissances, madame Lebon. Dans de nombreux pays, y compris mieux-disants que la France, comme ceux d’Europe du Nord, c’est à la première naissance que se cristallisent les inégalités salariales qui durent ensuite toute la vie. Je vous invite à auditionner les auteurs du rapport du Conseil d’analyse économique consacré aux inégalités salariales, qui montre notamment que la chute drastique du salaire après le premier enfant et pendant les cinq premières années de chaque enfant n’est pas corrigée.
Alors que le taux d’activité est de 98 % pour des pères de plus de trois enfants, mais de 75 % pour les mères, la parentalité doit être prise en compte quand on traite de la question du monde du travail pour les femmes. Outre l’enjeu de la garde des enfants, se pose celui du congé parental. Dans les pays scandinaves, le congé paternité est obligatoire, et d’une durée plus longue que la nôtre. Ce n’est pas l’apanage des pays du Nord. Ainsi, un pays latin comme l’Espagne a progressivement calé la durée du congé paternité obligatoire sur celle du congé maternité.
En plus du Conseil d’analyse économique, je vous invite à auditionner les inspecteurs généraux des affaires sociales qui ont publié sur le temps partiel subi un rapport dans lequel ils émettent des propositions. Tant que nous n’aurons pas traité du lien entre le domestique et le professionnel, pour les femmes, et la question du temps partiel subi, nous resterons dans des trajectoires d’inégalités difficilement résorbables, avec des impacts sur les pensions de retraite.
Je vous remercie, par ailleurs, d’avoir parlé des femmes seniors, qui sont plus invisibilisées que les hommes dans la chute du taux d’activité des plus de 55 ans. L’âge est le premier facteur de discrimination sur le marché du travail. Cela a été documenté par la Défenseure des droits, qui a également documenté que les inégalités liées à l’âge se superposent à d’autres, en particulier les inégalités de domiciliation ou celles dont pâtissent les femmes racisées.
En 2026, nous lancerons avec la Dares un testing sur la question de l’âge. Je souhaite que les délégations interministérielles qui s’occupent de la lutte contre les discriminations dans le monde du travail intègrent cette dimension, pour montrer combien les facteurs d’âge et de genre s’aggravent.
S’agissant des métiers du lien, je reviendrai vers vous car je n’ai pas les éléments de réponse – ce domaine relève de Mmes Vautrin et El Haïry. Ces métiers sont très féminisés, de la petite enfance au grand âge. Les aides à domicile, notamment, concentrent toutes les précarités, avec un travail isolé et une combinaison de longues amplitudes horaires et de temps partiel, sans prise en compte des temps de trajet. Nous reviendrons vers vous, car Mme Vautrin et Mme Parmentier-Lecoq y travaillent activement.
J’en viens à la question de l’aidance. Nous comptons 8 millions d’aidants, dont 40 % sont salariés et une majorité sont des femmes. Les aidants familiaux entrent en aidance plus jeunes qu’on ne le croit, en moyenne entre 35 ans et 40 ans. Nous avons instauré des congés aidants. Le dispositif est perfectible, car ces congés ne sont pas fonction de la personne qui aide, mais de celle qui est aidée. Par ailleurs, si les entreprises commencent à s’emparer de la question, cela concerne surtout les plus grandes, qui ont les moyens de le faire. Quand elle était ministre des solidarités, Aurore Bergé, avait commencé à élaborer un plan national des aidants familiaux. Nous pourrons revenir vers vous à ce sujet, qui reste « sous les radars » même s’il concerne nombre de nos concitoyens.
Par ailleurs, je ne connaissais pas le terme d’égaconditionnalité.
Vous soulignez aussi le faible nombre d’entreprises publiques ayant obtenu le label Égalité professionnelle. J’ignore si les autres n’ont pas cherché à l’avoir, ou si elles l’ont sollicité mais n’y étaient pas éligibles. Nous étudierons ce point avec mon collègue ministre de la fonction publique.
Enfin, la question du plancher collant est en principe discutée par les partenaires sociaux en comité social et économique (CSE), dans le cadre de l’examen des politiques d’égalité professionnelle et des négociations annuelles obligatoires (NAO). Ce n’est peut-être pas suffisant, mais c’est ainsi que c’est envisagé aujourd’hui.
J’ajoute que la question du plancher collant ne concerne pas seulement les salaires, mais aussi l’accès à la formation et les mobilités. À cet égard, la part des femmes dans les promotions, qui constitue l’un des cinq indicateurs de l’index Pénicaud, ne figure pas dans la directive. Je livre ce point à votre étude. Je pense que les partenaires sociaux le regarderont aussi.
Mme la présidente Véronique Riotton. Merci, madame la ministre.
Je vous informe que nos collègues Delphine Lingemann et Sarah Legrain ont prévu de se rendre en Espagne en juin pour étudier notamment les modalités du congé parental.
Ces débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
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La séance est levée à 18 heures
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Membres présents et excusés
Présentes. – Mme Karine Lebon, Mme Véronique Riotton, Mme Marie-Pierre Rixain.