Compte rendu
Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et
de la Lutte contre les discriminations.........................2
– Présences en réunion.................................22
Mardi
1er juillet 2025
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 21
session extraordinaire de 2024-2025
Présidence
de Mme Véronique Riotton, présidente
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Mardi 1er juillet 2025
Présidence de Mme Véronique Riotton
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a auditionné de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations.
La séance est ouverte à 17 heures 47
Mme la présidente Véronique Riotton. Madame la ministre Aurore Bergé, nous sommes heureux de vous accueillir pour cette audition en présence de Mme Miriam Saldaña Chairez, députée mexicaine que nous avons rencontrée lors de la conférence mondiale de Mexico qui s’est tenue en mars 2025, juste après Commission de la condition de la femme des Nations unies.
Je salue votre engagement constant en faveur des droits des femmes et je vous remercie pour le soutien décisif que vous avez apporté à la réforme de la définition pénale du viol, marquée par l’introduction explicite de la notion de consentement. Le texte a été adopté au Sénat à l’unanimité : c’est l’aboutissement d’un travail transpartisan mené avec ma corapporteure Marie‑Charlotte Garin. Je remercie l’ensemble de mes collègues qui ont contribué à cette avancée majeure pour la reconnaissance des violences sexuelles, pour la construction d’un droit qui protège mieux les victimes et pour l’éducation de toutes et tous.
Vous défendez une feuille de route ambitieuse, que nous suivons avec attention et dont vous nous présenterez l’avancement. Je souhaiterais en outre vous interroger sur quelques points.
Notre rapport sur la définition pénale du viol rappelle que cette définition ne suffit pas à lutter contre les violences : elles sont systémiques et notre mobilisation pleine et entière est nécessaire pour en venir à bout. Où en est la mise en œuvre des 140 propositions issues du plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ? Nous savons que la réussite de cette stratégie repose sur une forte mobilisation des acteurs institutionnels et associatifs.
J’aimerais également que vous évoquiez la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel, et particulièrement la prostitution en ligne et la protection des mineurs, sujet aujourd’hui crucial qui n’était pas encore au cœur des débats lors du vote de la loi de 2016.
La situation financière des associations, notamment au niveau local, nous préoccupe également. Beaucoup sont en difficulté alors même qu’elles sont en première ligne dans l’accueil, l’écoute et l’accompagnement des victimes dans nos territoires. Alors que les négociations sur le budget vont s’engager, il nous semble urgent de travailler à des solutions de financement durables et à la hauteur des enjeux.
Enfin, Sarah Legrain et Delphine Lingemann vous présenteront l’excellent rapport que nous avons récemment adopté sur l’accompagnement à la parentalité. Il rappelle à quel point il est illusoire de prétendre atteindre à l’égalité si nous n’adaptons pas le monde du travail aux exigences de la parentalité. Quel est l’état de votre réflexion sur le sujet ?
Le rapport évoque aussi un sujet encore trop souvent invisibilisé : l’accompagnement des femmes au cours du post‑partum et au‑delà afin de prévenir l’épuisement parental, qui touche très majoritairement les mères. Comment offrir un véritable soutien aux femmes dans ce moment à la fois de bonheur et de vulnérabilité ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Dans le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, nous avons la responsabilité de ne jamais relâcher nos efforts et notre vigilance, de consolider ce qui a été acquis, souvent de haute lutte, et d’engager de nouveaux progrès.
Votre délégation joue un rôle essentiel dans cette ambition et prouve que ces combats peuvent rassembler et dépasser les clivages politiques habituels. En effet, l’égalité entre les femmes et les hommes touche au fondement même de notre pacte républicain. Elle appelle des décisions, des actes et des moyens concrets.
Dans des circonstances budgétaires et politiques inédites, nous avons fait le choix d’investir dans l’égalité : les moyens augmenteront cette année de près de 20 % par rapport à 2024. Dans la même logique, j’ai annoncé le 13 juin dernier le versement de la compensation de la prime Ségur, soit 7 millions d’euros.
Ces fonds étaient attendus. Les crédits ont été délégués la semaine dernière aux directions régionales aux droits des femmes, qui procèdent actuellement à leur répartition et à leur paiement. Leur versement aux structures concernées, au premier rang desquelles les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), sera effectif dans les jours qui viennent. Ces structures associatives, souvent en première ligne, sont les partenaires indispensables de nos politiques d’égalité partout en France. Je salue la mobilisation des parlementaires et en particulier de votre délégation : sans vous, votre vigilance et votre relais constant, cette avancée n’aurait pas été possible.
Dans les discussions budgétaires en cours, je me bats ligne à ligne, euro par euro, pour que les moyens de mon ministère soient non seulement maintenus, mais renforcés. Chaque crédit, chaque enveloppe, chaque dispositif fait l’objet de discussions exigeantes et nécessaires, mais il est hors de question que les droits des femmes soient relégués derrière d’autres priorités.
L’égalité ne peut rester un horizon lointain que l’on évoque sans jamais l’atteindre. C’est la ligne directrice du plan interministériel Toutes et tous égaux que je coordonne et qui mobilise les membres du gouvernement, dans tous les ministères et pour toutes les politiques publiques, autour de quatre axes prioritaires : les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l’égalité professionnelle et la culture de l’égalité.
C’est aussi ce qui fonde la nouvelle étape que nous devons franchir ensemble, celle d’une accélération, d’une intensification et d’une amplification, pour que l’année 2025 marque un tournant décisif.
Nous avons la responsabilité d’éradiquer le fléau des violences. En huit ans, nous avons accompli des avancées majeures pour, partout, mieux protéger et accompagner les victimes et leurs enfants. Je mettrai l’accent sur trois dispositifs clés.
L’aide universelle d’urgence aux victimes de violences conjugales, d’abord, accessible à toutes les victimes, permet de les sécuriser financièrement et de faire face aux dépenses immédiates. Entre décembre 2023 et mai 2025, 49 951 victimes en ont bénéficié dans toute la France grâce à l’engagement des caisses d’allocations familiales, ou de la Mutualité sociale agricole pour les territoires ruraux, qui la délivrent sous un à trois jours.
Cette aide s’inscrit dans le cadre d’un deuxième outil, le pack nouveau départ, conçu pour agir vite, ensemble et mieux. Expérimenté dans plusieurs départements, il a déjà fait ses preuves. Dans le Val-d’Oise, près de 700 femmes ont pu en bénéficier depuis septembre 2023. C’est une démonstration puissante de ce qu’une organisation plus fluide, plus humaine, mieux coordonnée peut accomplir. Fin mai, la même expérimentation a été lancée pour les Bouches‑du‑Rhône et nous l’étendrons dans les prochaines semaines à sept départements au moins.
Troisième outil, le dépôt de plainte à l’hôpital et le recueil de preuves sans plainte immédiate. Afin qu’il soit partout opérationnel, je réunis procureurs, présidents de tribunaux judiciaires, professionnels de santé, préfet et personnels de police et de gendarmerie dans tous les départements dans lesquels je me rends depuis que j’ai été renommée dans mes fonctions en décembre 2024. Ces dernières semaines, cela a été le cas dans le Nord, en Guyane, en Guadeloupe, en Martinique, dans les Vosges, en Meurthe‑et‑Moselle et dans l’Aisne.
Aujourd’hui encore, trop de victimes renoncent à porter plainte parce que le chemin est long, qu’elles ont peur et que l’appareil judiciaire leur semble froid ou inaccessible. L’objectif de ce dispositif est clair : lever les freins au dépôt de plainte, garantir un accès simplifié à la justice et assurer une prise en charge médico‑sociale immédiate et adaptée.
Il a un autre objectif dont on parle moins mais qui est fondamental : il permet un recueil précoce des preuves, dès le constat des violences, sans que les victimes aient porté plainte immédiatement. Nous savons en effet que porter plainte est un acte difficile, parfois long et souvent douloureux. Il appartient aux victimes et à elles seules de décider si elles sont prêtes et quand elles le sont.
Plus généralement, nous devons lutter avec toujours plus de détermination contre toutes les violences faites aux femmes – physiques, sexuelles, psychologiques, économiques, numériques ou par soumission chimique. Je salue à ce propos le travail courageux, exigeant et rigoureux mené par la députée Sandrine Josso, membre de votre délégation, et la sénatrice Véronique Guillotin, dont les conclusions nous ont été remises en mai.
Nous avons le devoir de nous hisser à la hauteur du courage des victimes : Gisèle Pelicot, qui a osé parler, et toutes celles qui se battent, s’expriment et alertent sur le sujet, comme sa fille Caroline Darian avec son association M’endors pas. Avec le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, nous allons donc former massivement les professionnels de première ligne.
D’ici la fin de l’année, suivant l’une des recommandations du rapport remis par Sandrine Josso et Véronique Guillotin, mon ministère financera une importante campagne nationale de communication, visible et frontale, pour alerter le plus grand nombre, de tous milieux et de toutes générations, et expliquer ce que signifient concrètement la vulnérabilité chimique et la soumission chimique.
En 2025, nous devons aussi renforcer notre arsenal juridique pour offrir un meilleur accompagnement aux victimes dans leurs démarches judiciaires et mieux qualifier les faits afin de mieux condamner les auteurs. En effet, si cet arsenal s’est renforcé ces dernières années, notamment avec la loi de 2018, des angles morts, des silences et des flous subsistent. Or, dans la lutte contre les violences sexuelles, chaque imprécision est une fenêtre entrouverte à l’impunité.
Les dernières semaines nous ont permis d’enclencher des progrès décisifs, avec en premier lieu la proposition de loi issue du travail remarquable de Véronique Riotton et Marie‑Charlotte Garin. Les travaux parlementaires, conjugués à l’avis éclairé et rapide remis par le Conseil d’État, ont permis d’aboutir à une rédaction qui rassure, qui encadre et qui sécurise. Le texte a été voté à l’unanimité au Sénat le mois dernier et j’espère qu’il sera définitivement adopté très prochainement.
Une proposition de loi que j’avais déposée lorsque j’étais députée sera aussi de nouveau examinée à l’Assemblée dans les prochaines semaines. Adoptée à l’unanimité par le Sénat au mois d’avril, elle rallonge notamment les délais de prescription pour les viols commis sur les mineurs.
Je continuerai à me battre sur la question de l’imprescriptibilité de ces crimes. Les témoignages récents, notamment ceux reçus par la commission d’enquête dite Bétharram, illustrent tragiquement la façon dont la prescription prive les victimes, une fois devenues adultes, de toute possibilité de recours.
Cette proposition de loi élargit aussi aux violences sexuelles commises sur les majeurs le principe de prescription glissante, introduit par une loi de 2021. Enfin, elle fait entrer dans notre droit la notion de contrôle coercitif. En effet, les violences conjugales ne se résument pas aux coups – et ne commencent jamais par là. Nous devons donc mieux les caractériser afin de mieux sanctionner ces regards, ces mots, ces interdictions, ces humiliations qui s’accumulent et qui rendent une relation oppressive et dégradante.
Au‑delà de ces deux textes, le combat contre toutes les formes de violences nécessite une réponse juridique globale, structurée et ambitieuse. J’ai donc créé un groupe de travail parlementaire réunissant pour la première fois l’ensemble des forces politiques représentées à l’Assemblée nationale et au Sénat, sans exclusive, tabou ni calcul partisan.
Avec des députés et sénateurs de tous les bancs donc, nous travaillons à l’élaboration d’une loi‑cadre contre les violences sexuelles et intrafamiliales, ainsi que le demandent les associations féministes. Je remercie les députées ici présentes qui y participent activement. L’objectif est de terminer nos travaux pour le mois d’octobre.
La lutte contre les violences faites aux femmes est aussi un combat contre toutes les formes d’exploitation, dont celles que vous évoquiez dans votre propos liminaire. En 2025, nous devons approfondir la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel que j’ai introduite l’année dernière, et nous montrer à la hauteur de la position abolitionniste de la France, affirmée dans la loi de 2016 défendue par Laurence Rossignol.
S’agissant de la prostitution des mineurs, les données publiées en avril dernier dans la lettre thématique de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, que j’avais sollicitée dans le cadre de la stratégie nationale, parlent d’elles‑mêmes : près de la moitié des victimes de proxénétisme et de recours à la prostitution sont mineures. Pire encore, 22 % des personnes mises en cause pour exploitation sexuelle sont aussi mineures : des mineurs qui exploitent d’autres mineurs. Ce seul chiffre doit nous réveiller.
J’ai donc pris l’initiative d’un décret en Conseil d’État, qui sera publié dans les prochaines semaines, afin de refonder l’action locale. Les commissions départementales de lutte contre la prostitution seront élargies aux acteurs de la protection de l’enfance, afin qu’aucun mineur victime ne soit laissé sans solution.
Notre combat doit être total, comme je l’ai rappelé lors du comité de suivi du plan national de lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains lancé en 2023.
Ce combat se mène donc sur tous les fronts. Des lieux de traite et d’exploitation sexuelle sont encore visibles aujourd’hui, au cœur de nos villes, sous couvert d’activités prétendument légales. Certains « salons de massage » n’en ont ainsi que le nom : des femmes, souvent dans une situation de grande précarité ou sous l’emprise de réseaux criminels, y sont exploitées à la vue de tous et dans une indifférence quasi générale.
C’est inacceptable. Nous ne pouvons plus détourner le regard. J’ai donc annoncé une mobilisation interministérielle de grande ampleur pour identifier et contrôler de manière systématique ces établissements, lieux de traite déguisés, et appréhender les proxénètes. Pour la première fois, une circulaire interministérielle sur le sujet a été prise en lien avec les ministères de la justice, de l’intérieur, du travail et de la santé. Elle sera promulguée dans les heures qui viennent.
Il est aussi de notre responsabilité de briser les tabous, notamment ceux qui concernent le corps des femmes, afin de garantir à toutes le droit fondamental de prendre soin de leur corps et de leur santé, sans honte, sans obstacle et sans discrimination.
Les règles restent entourées de honte, parfois même de désinformation. Nombre de femmes n’ont pas accès à des protections hygiéniques adaptées. Nous devons poursuivre nos actions pour lutter contre la précarité menstruelle. Le 28 mai dernier, le ministre chargé de la santé et moi‑même nous sommes engagés à ce que le remboursement des protections périodiques réutilisables pour les moins de 26 ans et les personnes en situation de précarité soit effectif avant la fin de l’année.
Pendant des décennies, de nombreuses maladies spécifiques aux femmes ont été minimisées, mal diagnostiquées, mal soignées. L’endométriose, pathologie qui touche une femme sur dix, en est l’exemple le plus criant. Désormais, des centres spécialisés et une meilleure formation des médecins changent la donne. Nous devons cependant aller plus loin : le gouvernement a annoncé l’expérimentation à grande échelle de tests salivaires permettant un meilleur diagnostic de l’endométriose.
La santé des femmes ne se limite pas cependant à leur seule santé gynécologique et sexuelle. Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité féminine en France, restent ainsi sous‑diagnostiquées en raison d’une médecine calibrée sur le corps masculin et de biais de genre persistants.
Enfin, la santé mentale des femmes reste un tabou et se trouve souvent reléguée au second plan, comme le montre le rapport d’information remis d’Anne‑Cécile Violland, ici présente. Elles subissent pourtant une pression constante : double journée, injonctions sociales, violences, charge mentale… Le stress, l’anxiété, la dépression post‑partum, le burn‑out ou les séquelles psychologiques liées aux violences doivent être reconnus et traités avec sérieux. Grande cause de 2025, la santé mentale ne doit être ni un luxe, ni un combat individuel mais un enjeu de santé publique qui concerne toutes les femmes, quels que soient leur âge, leur lieu de vie ou leurs moyens financiers.
L’autonomie économique des femmes est la condition première de leur émancipation. L’égalité salariale est inscrite dans la loi et j’entends bien la faire appliquer partout et tout le temps. En 2019, la France a été le premier pays européen à créer un index de l’égalité professionnelle, obligatoire pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés et désormais applicable aux trois fonctions publiques. En cinq ans, les résultats se sont améliorés. La transposition de la directive européenne « transparence des rémunérations », menée avec la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, nous permettra d’aller encore plus loin.
Plus largement, l’égalité professionnelle restera un mirage tant que la parentalité reposera presque exclusivement sur les mères, qui forment l’immense majorité des familles monoparentales. Nous ne pouvons plus accepter une société où la maternité est perçue comme un frein ou un obstacle. Le fait même d’être une femme reste vu comme un risque. Être perçue comme en âge d’avoir des enfants, y compris si l’on n’en a pas, est un frein professionnel. Devenir mère ralentit encore trop souvent la carrière et conduit à renoncer à une ambition ou à voir sa rémunération stagner, voire décrocher.
Dans les dix années qui suivent la naissance de leur premier enfant, les femmes voient leurs revenus de travail diminuer de près de 38 % par rapport à une situation contrefactuelle dans laquelle elles n’en auraient pas. C’est inacceptable. La maternité est un choix intime et personnel qui doit être respecté, soutenu, protégé, jamais pénalisé.
Nous devons construire un monde du travail respectueux des trajectoires et des choix individuels. Le service public de la petite enfance que j’ai lancé est une pierre angulaire de la capacité à être parent. Un autre fondement est une coparentalité réelle, concrète et équilibrée. Je propose donc de créer un congé de naissance plus court et mieux rémunéré que le congé parental, qui encourage un véritable partage des responsabilités dès les premiers jours de vie de l’enfant. Le rapport des députées Sarah Legrain et Delphine Lingemann pose lui aussi la question de la parentalité et des congés parentaux.
L’éducation se trouve au cœur de ces combats pour l’égalité réelle. Dès l’enfance se forgent les mentalités, se dessinent les ambitions, s’ancrent ou se déconstruisent les stéréotypes qui enferment dans des rôles, assignent à résidence et créent un terrain propice aux violences.
Alors que les grandes transitions numériques, écologiques, énergétiques et démographiques redéfinissent notre avenir, nous avons l’occasion d’inclure pleinement les femmes dans ces secteurs stratégiques. La mixité est un projet de société. Nous devons agir dès maintenant pour ouvrir ces horizons et renforcer l’apprentissage des sciences et des mathématiques.
Avec la ministre de l’éducation, nous avons donc lancé il y a quelques semaines le plan Filles et maths pour instaurer des quotas dans des filières scientifiques encore trop masculines, fermées et segmentées. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut moins de garçons, mais de garantir la présence de davantage de filles : la différence est fondamentale. Lorsqu’une jeune fille entend pour la première fois « pourquoi pas toi ? », tout devient possible. Ce n’est pas un plafond que l’on rabaisse, mais un tremplin que l’on installe, pour un système plus équilibré, plus juste, plus riche de toutes les intelligences.
Notre avenir commun se construit dès l’école, où nous apprenons l’égalité et le refus de toutes les formes d’exclusion et de violence. Depuis cette année, les cours d’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (Evars) sont renforcés et généralisés. Nous nous assurons de leur tenue effective dans tous les établissements du pays, quel que soit leur statut. Il s’agit en effet de transmettre, à hauteur d’enfant puis d’adolescent, des principes essentiels et non négociables : le respect de soi, le respect de l’autre, le sens du consentement, l’égalité.
Certains considèrent encore que cette éducation relève de la sphère privée et non de l’école. Tous les enfants cependant n’ont pas la chance de grandir dans des familles où ces sujets sont abordés librement. L’alternative serait‑elle de laisser les jeunes apprendre sur les réseaux sociaux et dans les pires recoins d’internet ? Faut-il laisser faire la pornographie, qui impose à des spectateurs de plus en plus jeunes une vision déformée, violente et dégradante des relations humaines, de la sexualité et du corps des femmes ?
À ce propos, je suis attentivement, en lien avec l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, la mise en place d’un système de vérification d’âge obligatoire et efficace. La loi de la République s’applique à tous, partout et sans exception.
Le 2 juin dernier, j’ai convoqué les représentants de toutes les plateformes et des réseaux sociaux pour les mettre face à leurs responsabilités et les rappeler à leurs obligations de modération et de contrôle des contenus. Leur influence immense implique en effet une responsabilité immense. Pourtant, ils laissent trop souvent proliférer le pire : cyberharcèlement, pédocriminalité, exploitation sexuelle, traite des êtres humains, racisme, antisémitisme, sexisme et haine anti‑LGBT. L’hypersexualisation y est présentée comme un modèle de réussite et la prostitution déguisée comme un choix ou un jeu.
Les plateformes doivent rendre des comptes. Elles seront de nouveau convoquées le 9 juillet prochain dans mon ministère, afin de travailler à des actions concrètes en matière de modération, de sanction et de contrôle. J’espère que nous nous battrons collectivement pour garantir l’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans, afin de mieux protéger nos enfants et nos adolescents.
Ces dernières années, nous avons appris que l’Histoire ne progresse pas toujours en ligne droite et qu’en matière de libertés et de droits fondamentaux, des avancées peuvent vite se transformer en reculs. C’est dans ce contexte d’offensive globale contre les droits humains, en particulier ceux des femmes, que la diplomatie féministe est née. Elle n’est ni un slogan, ni un supplément d’âme, mais un axe structurant de notre politique étrangère, une réponse stratégique à un désordre mondial qui menace les libertés fondamentales, l’État de droit et la paix.
Nous avons porté cette conviction lors de la soixante‑neuvième session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies avec une délégation qui n’avait jamais été si grande, en nombre et en qualité. Je vous en remercie sincèrement. La dignité et la liberté des femmes ne sont pas négociables. Les droits humains ne sont pas à géométrie variable et la France ne transigera jamais avec ces principes.
Dans cette perspective, je me suis récemment rendue au royaume du Maroc, qui a engagé des réformes profondes du code de la famille sur la question des droits des femmes et des libertés. Avec mon homologue, nous avons signé une déclaration conjointe pour mieux appréhender la lutte contre les violences faites aux femmes et renforcer la coalition des politiques étrangères féministes, un groupe d’États que nous coprésidons avec la Colombie jusqu’en mars 2026.
Sous le même horizon ambitieux, la France accueillera en octobre 2025 la grande conférence internationale des diplomaties féministes, au cours de laquelle je souhaite fédérer non seulement les États, mais aussi les parlementaires, les entreprises et les ONG pour construire une coalition féministe ambitieuse. La question n’est plus de savoir si nous devons agir, mais de savoir comment et avec qui.
L’égalité est une exigence qui traverse tout, qui transforme tout. Une seule boussole guide fondamentalement chacun de nos choix : la promesse républicaine d’égalité, de dignité et d’émancipation pour toutes et pour tous. Oui, ce combat est complexe, exigeant et parfois rude. Il demande du courage, de l’énergie et de la constance. Mais parce que nous le menons ensemble, je suis persuadée que nous pouvons le remporter.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Graziella Melchior (EPR). En novembre 2024, plus de soixante associations féministes et organisations syndicales ont demandé l’adoption d’une loi‑cadre intégrale pour lutter contre les violences de tous types faites aux femmes.
Cela suppose une approche globale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles et une véritable politique publique, continue et coordonnée. Il s’agit de répondre aux défis de la prévention et de la détection des violences et à ceux du soutien et de la prise en charge des victimes, de renforcer la formation des professionnels et d’améliorer le parcours judiciaire.
Membre de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale depuis 2022, j’ai également participé aux deux commissions d’enquête portant sur les violences sexistes et sexuelles dans le monde de la culture et dans les armées. Signalement, accompagnement, parcours judiciaire semé d’embûches et de solitude : les constats des défaillances sont partout les mêmes, et vous les faites également.
Vous avez donc souhaité répondre à cette demande de loi‑cadre que nous sommes ici nombreuses et nombreux à exprimer. Je tiens à vous en remercier sincèrement. Sans attendre, vous avez organisé des rencontres transpartisanes avec des députés et des sénateurs pour travailler avec tous les acteurs, ceux de l’État comme ceux du terrain.
Ce cycle d’échanges, qui s’achève bientôt, a vocation à répondre aux attentes face à une législation jugée morcelée et incomplète. Pouvez‑vous détailler le contenu de ces rencontres et leur niveau d’avancement ? Confirmez‑vous que l’échéance que vous avez fixée, en octobre, est toujours d’actualité ?
Par ailleurs, j’avais déposé il y a quelques mois un amendement à votre loi visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes afin de modifier l’article 215 du code civil, qui, par une interprétation dévoyée, est interprété comme une obligation de devoir conjugal. Ce sujet est‑il effectivement traité dans vos travaux ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je souhaite en effet tenir mon objectif s’agissant de la loi‑cadre. J’ai d’ailleurs demandé à tous les présidents de groupe de l’Assemblée et du Sénat de déléguer un de leurs membres, afin que toutes les voix soient représentées.
Tous ont accepté. Je remercie d’ailleurs les parlementaires ainsi délégués de leur assiduité lors de nos travaux, qui se déroulent dans un climat serein et apaisé. Nous avons mené de nombreuses auditions d’acteurs de l’État et d’acteurs de terrain. Nous avons par exemple entendu le collectif des victimes de Joël Le Scouarnec pour comprendre les difficultés rencontrées dans le cadre de la révélation des violences, et ainsi mieux appréhender le parcours et le traitement judiciaires des victimes et la formation nécessaire des professionnels qui les accompagnent.
Nous poursuivrons ces auditions la semaine prochaine puis en septembre afin de finaliser notre copie pour fin octobre, selon l’objectif que je m’étais assigné, en assumant de nous extraire des contraintes politiques extérieures et en espérant que ce travail se poursuive quelles que soient les évolutions politiques des prochains mois.
La loi‑cadre est attendue. Elle doit permettre de clarifier le cadre juridique, de combler de nombreux manques et de vérifier le caractère opérationnel des nombreuses lois adoptées ces dix ou quinze dernières années sur le sujet. La sédimentation législative est telle qu’il faut s’assurer de la cohérence de l’ensemble pour garantir l’effectivité des droits. C’est tout l’objet de la loi‑cadre. Nous veillerons aussi à favoriser les échanges avec les associations et la coalition féministe à l’origine de cette demande afin qu’elles soient pleinement intégrées dans cette dynamique.
La question du devoir conjugal a récemment été évoquée au Sénat par la sénatrice Laurence Rossignol, lors de l’examen de la proposition de loi sur le consentement. Clarifier l’état du droit sur ce sujet est sans doute nécessaire : la loi‑cadre me paraît être le bon véhicule pour cela, plus qu’un texte autonome.
La France a été condamnée sur ce point, et j’avais dit que j’en étais heureuse : cela clarifie le fait que non, le devoir conjugal n’existe pas, contrairement à l’interprétation jurisprudentielle qui était faite. Les parlementaires seront unanimes je l’espère pour adopter les dispositions proposées.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). La semaine dernière, tous les CIDFF de France étaient fermés au public pour alerter sur leur situation financière intenable, faute de subventions suffisantes. Vingt‑cinq d’entre eux ont déjà fermé leur permanence juridique. Certains ne parviennent même pas à verser à leurs salariés les salaires du mois de juin.
Dans le même temps, des subventions versées au Planning familial sont aussi supprimées, par exemple dans la région Pays de la Loire. Dans la Drôme, sept centres sur douze ont déjà fermé.
Cette dégradation financière a deux causes. Elle vient en premier lieu des suppressions de subventions aux associations, par idéologie, par manque de sérieux et parce que l’austérité du gouvernement auquel vous appartenez frappe les collectivités territoriales.
En 2024, les CIDFF et le Planning familial ont aidé respectivement 150 000 et 500 000 femmes. Ces associations œuvrent pour l’accès à la contraception, à l’avortement et à la prévention des infections sexuellement transmissibles, et pour la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles. Alors que leurs moyens baissent, les demandes d’accompagnement augmentent : depuis l’affaire Pelicot, les demandes de soutien et d’information de la part des femmes victimes de violences ont crû de 50 % dans le Vaucluse et de 76 % dans les Alpes‑Maritimes. Ces associations sont les garantes du respect des droits des femmes comme des droits des personnes LGBTI+.
La deuxième cause tient à ce que l’État impose de nouvelles obligations à ces associations sans leur donner les moyens financiers de les assurer. La prime Ségur, imposée par le gouvernement démissionnaire en août 2024, représente ainsi pour les CIDFF un coût de 5,8 millions d’euros.
À la suite de nos alertes, ce montant a été compensé dans le budget 2025 mais certains CIDFF attendent toujours le versement de leurs subventions, qui n’ont pas été compensées à 100 %, comme c’est le cas dans mon département du Val-d’Oise.
Je m’étonne que vous ne vous inquiétiez pas davantage du respect des droits sexuels et reproductifs dans notre pays et du nombre de femmes victimes de violences. Pouvez‑vous nous assurer que les CIDFF et le Planning familial recevront assez de subventions pour assurer leur mission ? Que répondez‑vous aux associations contraintes de licencier des salariés ? Pour quelle raison des associations sont‑elles laissées sans ressources pendant des mois ?
Vous allez répondre que ces décisions sont prises non par vous, mais par les collectivités territoriales. Vous appartenez toutefois à ce gouvernement qui a imposé une violente austérité à ces collectivités, et vous êtes la ministre des droits des femmes de notre pays.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Vous abordez deux sujets différents : les subventions nationales aux CIDFF et les subventions locales au Planning familial, qui proviennent des collectivités. L’État n’a baissé aucune de ses subventions, ni au Planning familial, ni au CIDFF. Cela est d’autant plus facilement vérifiable que nous sommes engagés dans des programmes pluriannuels.
S’il n’y a pas eu de baisse des financements de l’État, une contrainte supplémentaire a néanmoins pesé sur les finances des CIDFF, comme d’ailleurs sur celles d’autres structures associatives que vous n’évoquez pas : la compensation de la prime Ségur, imposée non par le gouvernement, mais par le Conseil d’État. C’était d’ailleurs une bonne décision, à moins que vous ne regrettiez la revalorisation salariale des travailleurs sociaux et des professionnels du secteur médico-social. Cette dernière était nécessaire compte tenu du manque d’attractivité et des difficultés de recrutement dans ces métiers.
Face à cette situation, l’État a agi. Lors des discussions du projet de loi de finances au Sénat, les crédits du programme 137 ont été augmentés de plus de 7 millions pour permettre la compensation de la prime Ségur. En tant que représentante du gouvernement, j’ai levé le gage pour garantir la délégation de cette somme en crédits supplémentaires. Non seulement donc les moyens n’ont pas baissé, mais la prime Ségur est compensée à l’euro près, et cela à la fois pour la part de l’État et pour celle des collectivités territoriales.
Une députée socialiste m’avait déjà interpellée très justement sur le sujet et je comprends parfaitement les inquiétudes, puisque nous échangeons quotidiennement avec les CIDFF locaux comme avec la fédération nationale. Le 23 juin dernier, mon ministère a versé les crédits à chacune des délégations régionales, qui assurent ensuite la répartition départementale en lien avec la fédération nationale et chaque CIDFF. La compensation à l’euro près de la prime Ségur sera donc effective dans les jours qui viennent.
Je suis pleinement consciente de la situation d’urgence que connaissent les CIDFF et d’autres structures associatives, dont j’ai d’ailleurs discuté avec certains d’entre vous. La présidente m’avait aussi interpellée au nom de votre délégation. Je répète qu’au niveau national, les crédits sont non seulement maintenus, mais en augmentation, et que la prime Ségur sera compensée à l’euro près à la fois pour la part de l’État et pour celle des collectivités territoriales.
Cela sera fait de manière rétroactive pour l’ensemble de l’année 2025. Les besoins budgétaires ont été évalués sur la base du nombre d’équivalents temps plein concernés, communiqué par les associations, centre par centre. Notre responsabilité sera ensuite de nous assurer que cette revalorisation soit pérenne et que les crédits nécessaires continuent à être compensés dans les années à venir.
Mme Marie‑Charlotte Garin (EcoS). Je commencerai par deux questions liées à la santé des femmes, sur laquelle nous sommes régulièrement interpellés. La première concerne les implants Essure, commercialisés jusqu’en 2017, qui ont provoqué de graves effets secondaires chez des milliers de femmes – douleurs chroniques, troubles neurologiques et gynécologiques. S’ils ont été retirés du marché, aucun dispositif n’a permis à ces femmes d’être reconnues comme victimes et indemnisées.
Les associations de victimes et les médecins nous alertent régulièrement au sujet des douleurs invalidantes causées par ces implants. Pourquoi n’y a‑t‑il pas eu de moratoire ou d’évaluation indépendante avant leur mise sur le marché ? Quel dispositif permettrait aujourd’hui la reconnaissance des milliers de victimes qu’ils ont causées ?
Ma seconde question porte sur le congé fausse couche, voté à l’initiative de notre collègue Sandrine Josso en mars 2023. Les jours de carence sont levés pour les deux parents dans le cas d’un arrêt pour fausse couche. Dans le cadre d’un travail transpartisan dont nous sommes très fiers, nous nous étions battus pour que les soins psychologiques soient pris en charge pour les deux parents.
Depuis, des femmes m’écrivent régulièrement, parce qu’elles savent que j’étais très impliquée dans ce dossier, pour me dire que l’assurance maladie n’est pas au courant de cette disposition. Elles se retrouvent dans des parcours sans fin : formulaires introuvables, médecins qui ignorent l’existence de la mesure…
Certaines femmes, engagées sur la question, nous alertent et ont la force de nous envoyer tous les justificatifs, mais beaucoup renoncent. Elles ont donc à la fois subi une fausse couche et fait face à une forme de violence institutionnelle, puisque ce droit applicable depuis janvier 2024 ne leur a pas été reconnu. Nous sommes en 2025, la loi devrait être appliquée depuis plus d’un an et il n’est pas possible que de telles avancées législatives ne se traduisent pas sur le terrain.
Concernant la question des violences maintenant, le travail transpartisan réalisé sur le consentement représente une grande fierté collective et parlementaire. Nous avons conclu que le consentement était aussi un objet culturel. Vous évoquiez une campagne de sensibilisation sur la vulnérabilité chimique et la soumission chimique : pourriez‑vous vous engager à en lancer une semblable sur le consentement en tant qu’objet culturel ?
Un autre volet de la question est l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Quel état des lieux faites‑vous ? Sommes‑nous prêts à appliquer à la rentrée scolaire le nouveau programme d’Evars, dont l’adoption est une fierté et une victoire culturelle ? Tous les élèves du pays auront‑ils bien les séances d’Evars prévues par les programmes ?
Enfin la question des moyens, essentielle, se trouve au cœur de nos échanges avec les acteurs de terrain, fragilisés par le fiasco de la prime Ségur. Quelles perspectives pouvez-vous nous offrir en matière de droits des femmes pour la période budgétaire qui s’ouvre ? La loi‑cadre sera‑t‑elle accompagnée des moyens nécessaires ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je n’ai pas la réponse à votre question sur les implants. Je propose de saisir la Haute Autorité de santé, en lien avec le ministre chargé de la santé, Yannick Neuder, à partir des éléments concrets en votre possession. Ce sujet mérite en effet une réponse précise et circonstanciée s’agissant des raisons du retrait de marché et de l’indemnisation des victimes.
Concernant la question des fausses couches, la suppression du délai de carence est effective aujourd’hui. C’est une avancée importante. Je comprends de ce que vous me dites qu’il peut y avoir une interprétation différente selon les territoires ou un manque d’information des potentielles bénéficiaires de la mesure. Je m’engage à voir avec l’assurance maladie, en lien avec le ministre chargé de la santé, comment garantir à toutes l’accès à l’information, quel que soit le territoire, et faire en sorte que les professionnels de santé connaissent l’existence du dispositif pour pouvoir bien accompagner les femmes.
Je ne suis pas du tout hostile à une campagne sur le consentement et nous pourrions y travailler avec votre délégation. Cela serait probablement pour 2026, étant donné que de telles opérations prennent du temps à organiser et que la campagne massive sur la soumission chimique doit être lancée prochainement. Surtout, en 2026, l’Evars aura été mise en place ; or la meilleure campagne de communication sur la question du consentement reste cette éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, pour s’assurer que ces notions soient apprises, comprises et intégrées dès le plus jeune âge.
Le premier enjeu, pour garantir le bon déploiement des Evars, est celui de la formation des personnes qui les assureront. Nous en avons parlé lors de nos séances de travail sur la loi‑cadre.
La première étape a été pour l’éducation nationale de recenser parmi l’ensemble du corps enseignant qui souhaitait délivrer ces enseignements. Les enseignants se sont portés volontaires assez massivement. Des livrets dédiés ont été créés pour eux, avec huit modules, et un livret ressource est déjà en accès libre sur Éduscol. L’éducation nationale s’est engagée à donner cet été des chiffres plus précis sur le nombre d’enseignants volontaires et d’enseignants formés.
Par ailleurs, des associations agréées par l’éducation nationale – je le précise compte tenu de la vague de désinformation qui circule sur les Evars – peuvent intervenir, qui sont déjà préparées. Cela permet d’avoir un éventail d’intervenants plus large, car certains enseignants peuvent ne pas souhaiter ou ne pas se sentir en capacité d’assurer cet enseignement.
Les Evars seront donc déployées dans tous les établissements, publics comme privés. J’invite tous les parlementaires, afin de mettre fin aux fantasmes qui existent sur le sujet, à assister à une séance d’Evars en classe. La désinformation est tellement massive que beaucoup de parents ont fini par la prendre pour la réalité mais si vous venez, vous verrez que ces cours se déroulent de façon normale et que les élèves y apprennent des choses normales, telles que l’intégrité et le respect du corps, la dignité humaine, l’égalité et le consentement.
Mme Céline Thiébault‑Martinez (SOC). La semaine dernière, lors de la troisième session de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), un débat sur les avancées et les défis relatifs aux droits des femmes en Europe a eu lieu. À la demande de la commission égalité et de l’APCE, il a été organisé sous la forme d’un débat d’urgence.
Ces travaux ont permis d’adopter un texte qui reprend l’ensemble des obligations et engagements des pays membres pour défendre et développer une société d’égalité entre les femmes et les hommes.
Vous connaissez les raisons qui ont conduit à l’organisation de ce débat dans une telle instance : la sidération qui nous a toutes saisies lors de la CSW (Commission de la condition de la femme des Nations unies) en mars dernier ; une vague de masculinisme sans précédent ; des chefs d’État qui, sur tous les continents, portent la force et la virilité comme règle de fonctionnement de notre monde ; un retour puissant des valeurs de la famille traditionnelle et d’une répartition genrée des fonctions sociales.
Ces retours en arrière ont des conséquences immenses pour les femmes et les filles. En France, les débats budgétaires commencent, le montant des économies à faire est énorme et elles viendront, à n’en pas douter, tailler une fois encore dans les moyens donnés à l’éducation, à la santé, à l’accompagnement des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et des plus vulnérables.
Dans ces domaines, chaque fois que les moyens reculent et que la puissance publique s’efface, c’est l’armée des femmes, des mères et des filles qui s’avance pour prendre le relais. Ainsi, il y a fort à parier que chaque arbitrage budgétaire prendra un peu de temps aux femmes, un peu de leur liberté, un peu de leur engagement et un peu de notre rêve d’égalité.
Dans ce contexte, n’est‑il pas utile d’engager rapidement devant l’Assemblée nationale un débat sur la base de l’article 50‑1 de la Constitution, suivi d’une résolution, sur la situation actuelle des droits des femmes, comme le groupe socialiste l’a demandé ?
Ne pensez‑vous pas que l’ensemble de la représentation nationale devrait, dans la perspective du budget, se voir rappeler que l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas une option, mais bien un projet de société ? Porterez‑vous ce débat ? Que prévoyez‑vous pour l’imposer dans les discussions budgétaires ?
Par ailleurs, lors de la fête de la musique, des alertes ont été lancées sur les réseaux sociaux concernant des piqûres. Après des recherches et les signalements de plus d’une centaine de jeunes femmes qui pensaient avoir été piquées, il s’est avéré que ces alertes étaient une fake news et ne devaient pas susciter d’inquiétude. Reste que leurs auteurs empêchent les femmes de sortir et de participer à des événements publics. Que faire ? Quelle action engager pour que ce type de fake news n’empêche pas les femmes de vivre et d’exister dans l’espace public ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Merci tout d’abord pour le combat que vous avez mené au sein du Conseil de l’Europe, instance extrêmement utile. Dans un contexte d’attaques massives contre les droits humains, en particulier ceux des femmes, il est bon que ses membres défendent d’une même voix les droits des femmes et l’égalité.
Je suis très favorable au débat que vous demandez. J’espère que d’autres groupes rejoindront le vôtre pour qu’il puisse être mis à l’agenda, non pas pendant la session extraordinaire actuelle, mais à la rentrée. J’en parlerai également au Premier ministre.
Il serait utile que la France, à travers une résolution de l’Assemblée nationale, rappelle clairement son refus de toute attaque à l’encontre des droits des femmes et de l’égalité. Le recul actuel montre bien la réversibilité de droits que l’on pouvait penser acquis. Surtout, lors de la CSW, c’est la brutalité et la rapidité de cette réversibilité qui nous ont alarmés.
Je n’ai malheureusement pas de recette miracle pour empêcher des campagnes de désinformation qui poussent les femmes à déserter l’espace public. Il existe en revanche un enjeu majeur de régulation des réseaux sociaux, qui est de notre responsabilité collective, française et européenne. Comme je vous l’ai dit, je convoque de nouveau les représentants des plateformes le 9 juillet prochain et j’évoquerai le sujet avec eux. Les enjeux de régulation ne concernent pas que des comptes individuels : des milliers de comptes diffusent des informations et créent des nébuleuses, dans une forme de huis clos informationnel, qui sont à l’origine d’une angoisse dans la population. Or cette angoisse se retourne contre la liberté des femmes.
Mme Virginie Duby-Muller (DR). Permettez‑moi d’abord d’évoquer Jessica, mère de famille de 37 ans assassinée hier par son compagnon, devant leurs enfants, à Avignon. Ce crime horrible, le soixante‑dix‑huitième féminicide de l’année, conduit à s’interroger sur les moyens de lutter contre ce fléau et toutes les violences conjugales.
En 2021, 1,4 million de femmes ont déclaré avoir subi des violences sexistes et sexuelles hors du cadre familial. Les CIDFF, investis d’une mission d’intérêt général confiée par l’État, œuvrent pour l’autonomie des femmes et l’égalité entre les sexes.
Le 22 janvier 2025, le Sénat a adopté l’amendement transpartisan qui prévoit 7 millions d’euros pour étendre la prime Ségur aux salariés d’associations accompagnant les femmes victimes de violences. Dans ma région, le CIDFF Rhône‑Arc Alpin a dû licencier cinq salariés en raison du retard de ce financement. Aujourd’hui, les 13 000 femmes qu’il suit sont gravement menacées. J’ai entendu les réponses rassurantes apportées à Gabrielle Cathala à ce sujet et vous en remercie.
Ma deuxième question concerne la proposition de loi que vous aviez défendue à l’Assemblée nationale, visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants et qui évoquait le sujet de l’imprescriptibilité civile des violences sexuelles commises contre les mineurs.
En avril, le Sénat n’a pas adopté cette disposition, mais a porté le délai de prescription de l’action civile de vingt à trente ans, afin de l’aligner sur celui prévu en matière pénale. Il a également étendu la prescription pénale glissante aux victimes majeures de viol, permettant de prolonger les délais lorsque l’auteur commet un autre crime sexuel. Cette évolution est positive.
Par ailleurs, la commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires recommande de créer une mission transpartisane sur l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineur. Cette idée rejoint une proposition de loi que j’avais déposée, elle‑même inspirée des recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Entendez‑vous avancer sur ce sujet, en lien avec les parlementaires, par exemple dans la loi-cadre ?
Enfin, votre ministère a lancé une campagne de lutte contre les mutilations sexuelles, absolument nécessaire puisque 139 000 femmes sont aujourd’hui excisées en France. Elle est déployée à l’échelle nationale sur 1 000 abribus, du 25 juin au 2 septembre. Comment ce nombre a‑t‑il été déterminé ? Quelle logique a guidé la répartition géographique de ces affichages ? Concernera‑t‑elle uniquement la métropole ou s’étendra‑t‑elle aux territoires d’outre‑mer ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Vous connaissez ma position sur la question de l’imprescriptibilité : j’avais déposé un texte en tant que députée, je l’ai défendu au nom du gouvernement et j’espère que nous parviendrons à avancer sur le sujet. En effet, pour une victime de violence sexuelle qui, devenue majeure, trouve la force et le courage d’affronter le traitement judiciaire, recevoir pour seule réponse le mot « prescription » est une violence supplémentaire.
Avec les affaires Bétharram et Le Scouarnec, les choses sont peut‑être en train d’évoluer. On voit les victimes, on les entend et peut‑être va‑t‑on davantage les considérer. Il ne s’agit pas seulement d’une question juridique, mais d’une question de principe qui se pose à la société et aux parlementaires. Cette salle compte beaucoup d’alliés, notamment vous‑même, pour avancer sur cette question.
S’agissant des mutilations sexuelles, nous avons engagé une campagne qui a malheureusement suscité beaucoup d’attaques à caractère raciste. Tous ces commentaires ont systématiquement fait l’objet d’un signalement à Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements. Ils sont inacceptables, encore plus s’agissant de mutilations sexuelles et d’enfants soustraits à la protection de la France pour subir des excisions et autres mutilations sexuelles.
Cette campagne a lieu chaque année à l’approche de l’été, moment le plus à risque pour certaines fillettes et adolescentes. Elle vise à rappeler que la loi française ne tolère en aucun cas ce type de mutilation et à redire aux parents que la justice saura les retrouver lorsque ces enfants rentreront en France. Elle se veut donc informative, mais surtout dissuasive au regard des peines encourues pour des mutilations sexuelles infligées à nos enfants dans des pays qui tolèrent ce type de pratiques. Elle a bien sûr vocation à couvrir l’ensemble du territoire national.
Mme Delphine Lingemann (Dem). La semaine dernière, Sarah Legrain et moi‑même avons publié un rapport sur les politiques d’accompagnement à la parentalité. Issu d’une démarche transpartisane, comme cela est d’usage en délégation aux droits des femmes, il a été alimenté par une cinquantaine d’auditions conduites sur six mois en France et en Espagne.
Le constat a été unanime : les inégalités se creusent entre les femmes et les hommes à l’arrivée d’un enfant, tant sur le plan personnel que professionnel. Pour y faire face, nous avons émis quarante‑quatre recommandations, portant notamment sur le congé paternité.
Si l’allongement du congé paternité à vingt‑huit jours, dont les sept premiers obligatoires, constitue une avancée, il reste insuffisant pour corriger les déséquilibres et permettre aux pères de tisser un véritable lien avec l’enfant dès les premiers instants. Nous recommandons donc de porter progressivement ce congé paternité, comme le congé maternité, à seize semaines.
Huit semaines seraient obligatoires et fractionnables en deux : quatre semaines après la naissance en même temps que la mère, quatre semaines directement après le congé maternité pour permettre au père de passer du temps seul avec son enfant ; les huit autres semaines seraient facultatives, à prendre jusqu’au premier anniversaire de l’enfant et également fractionnables. La mesure serait déployée progressivement, permettant ainsi d’évaluer ses effets et d’étaler l’effort financier.
Les exemples norvégien ou espagnol sont éloquents : la part de congé réservée au père y est déjà une réalité, et il est démontré que le temps passé seul avec l’enfant renforce le lien père-enfant tout en réduisant les inégalités dans la répartition des tâches domestiques et parentales.
En donnant plus de droits aux hommes à travers un congé paternité plus long, nous en donnerions in fine aux mères puisqu’elles effectuent, aujourd’hui encore, 65 % des tâches parentales. Ce congé paternité plus long diminuerait le risque d’isolement des mères, dont un quart souffre aujourd’hui de dépression post‑partum. Il permettrait aussi aux femmes qui le souhaitent de reprendre plus facilement une activité professionnelle, sachant que 90 % des inégalités salariales entre les femmes et les hommes sont dues à la parentalité.
Nous avons bien sûr conscience que, dans le contexte actuel, cette mesure est coûteuse. Elle n’en est pas moins susceptible de générer de nombreuses externalités positives, y compris en matière financière.
Vous avez déjà montré votre engagement sur ces sujets. En mars 2025, vous avez relancé le débat autour d’un congé de naissance plus court et mieux rémunéré, pour remplacer le congé parental. Que pensez-vous de notre recommandation de renforcer progressivement le congé paternité, identifié par toutes les personnes auditionnées comme un levier pour une parentalité plus juste entre les femmes et les hommes ?
Ma collègue et moi‑même restons à votre disposition pour vous présenter en détail les conclusions de notre rapport.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je vous recevrai volontiers au ministère, vous et les personnes ayant joué un rôle important dans vos travaux, si vous souhaitez me présenter les conclusions de votre rapport.
Je suis toujours favorable à une réflexion sur les congés parentaux. Aujourd’hui, ceux‑ci aggravent parfois davantage les inégalités qu’ils n’aident à les résorber. C’est le cas du congé parental. Le recours à celui‑ci a chuté de moitié entre 2013 et 2020. Seules 250 000 familles en bénéficient, soit moins de 1 % des pères et 14 % des mères. Il existe des logiques d’éviction. Les membres des classes moyennes ne peuvent pas y avoir recours, même s’ils l’avaient souhaité, car l’indemnisation est trop faible, et des mères y recourent faute de solution de garde adaptée alors qu’elles auraient préféré s’arrêter moins longtemps.
Il faut donc systématiquement travailler sur les deux jambes : d’un côté, le service de la petite enfance et les modalités de garde d’enfant, de l’autre, les congés parentaux. Peut‑être faut‑il une combinaison des deux, peut‑être faut‑il davantage de jours obligatoires dans le congé paternité. Celui‑ci est passé de quatorze à vingt‑huit jours, dont sept obligatoires, et le taux de recours, 70 %, est élevé. Les inégalités socioprofessionnelles sont cependant criantes : les cadres y ont bien davantage recours que les ouvriers et les employés. Garantir que la parentalité concerne toutes les catégories et bénéficie d’une image socialement valorisante est un enjeu.
Je reste attachée au congé de naissance car nous devons garantir la possibilité, notamment pour les classes moyennes, de renforcer leur temps de présence auprès de leur jeune enfant, si elles le souhaitent, à parité entre père et mère.
La solution que je proposais et sur laquelle j’ai engagé des discussions avec les partenaires sociaux était de quatre mois pour chacun des parents, non transférables pour éviter que l’un en prenne la totalité. L’indemnisation, plafonnée, serait proportionnelle au salaire, soit un niveau plus attractif que celui de l’actuelle Prepare (prestation partagée d’éducation de l’enfant).
Votre proposition n’est donc pas très éloignée de la mienne et va dans le même sens : la parentalité ne se réduit pas à la maternité, mais concerne les deux parents, quelle que soit la composition des couples. Je ne suis pas sûre que de telles mesures coûtent à la société, au regard de leurs bénéfices. C’est de ne pas agir sur la parentalité qui a pour la société un coût élevé, en termes de démographie, de santé et d’égalité professionnelle.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Je salue votre engagement, avec le groupe de travail parlementaire, pour l’élaboration d’une loi‑cadre sur les violences sexistes, sexuelles et intrafamiliales. Ce travail, indispensable et attendu, s’inscrit dans une volonté collective d’évolution de notre cadre législatif vers davantage de cohérence, d’efficacité et de protection des victimes, lesquelles doivent être placées au cœur de notre action.
Les auditions et les échanges sur le terrain menés ces dernières semaines révèlent à quel point la société civile, les associations, les professionnels des territoires et les collectivités attendent un cadre à la fois ambitieux et pragmatique, tenant compte de ce qui existe et s’appuyant sur des initiatives locales à la pertinence avérée. Pourriez‑vous préciser encore l’état d’avancement de vos travaux ?
Lors d’un récent colloque avec la présidente de notre délégation et l’association Women Safe & Children, que vous nous avez fait l’honneur d’ouvrir, l’ensemble des acteurs ont expliqué le caractère innovant de cette association et ont souligné l’importance des spécificités territoriales dans la mise en place des politiques et l’amélioration des dispositifs. Outre-mer, à la montagne, sur les littoraux, sur les plateaux, dans les zones blanches qui subsistent, des acteurs de terrain ont su proposer des dispositifs ingénieux. Nous devons les accompagner. Quel financement juste et pérenne des différentes structures et associations pourrait‑on imaginer, en prenant en compte la singularité de chaque territoire ?
Protéger les victimes suppose enfin à la fois de les accompagner, de prendre en charge les auteurs et de faire en sorte que certaines victimes ne deviennent pas les bourreaux de demain. La prévention est ainsi essentielle pour rompre le cycle infernal de la violence et de la répétition. Il faut informer, former les acteurs qui accompagnent les victimes, sensibiliser la victime pour qu’elle se reconnaisse comme telle.
Dans cette perspective, quelle collaboration projetez‑vous avec les différents ministères, l’éducation nationale certes, mais aussi l’intérieur, la justice, le travail, la santé, la fonction publique – bref, tous ? En plus du travail interparlementaire que vous avez su mener, engagerez‑vous un travail interministériel pour aborder cette question dans toutes les sphères de la société ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Merci pour votre implication dans nos travaux sur la loi‑cadre. Mon objectif est double : un travail interparlementaire, transpartisan, et un travail interministériel. Le plan Toutes et tous égaux dont j’ai la responsabilité est d’abord un travail interministériel.
En effet, tous les ministères y participent : la culture de l’égalité implique le ministère de l’éducation nationale, par exemple avec les séances d’Evars ; la lutte contre les violences concerne à la fois le ministère de l’intérieur et celui de la justice, avec la formation des professionnels et l’évolution du droit, concernant par exemple les ordonnances de protection, les bracelets antirapprochement ou les téléphones grave danger ; la santé des femmes fait entrer en jeu le ministère de la santé et celui des solidarités, dans la sphère du médico‑social.
La logique interministérielle est donc systématique. Cela explique la force de mon ministère et du plan, mais aussi la nécessité permanente d’aller convaincre chaque autre ministère que la question doit rester une priorité. Un comité interministériel consacré à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes aura d’ailleurs lieu sous l’égide du Premier ministre.
Cet engagement doit aussi apparaître en matière budgétaire. Nous y travaillons avec Amélie de Montchalin pour le prochain budget. En effet, si le budget de mon ministère, souvent pris en exemple, ne cesse d’augmenter et a presque triplé depuis 2017, celui de l’ensemble des ministères doit être pris en considération pour appréhender ce qui est fait pour l’égalité, la lutte contre les violences, la santé des femmes ou le logement.
Tous les projets que j’ai évoqués sont aussi vus sous l’angle des collectivités locales. Ainsi, les conseils départementaux jouent un rôle majeur dans le pack nouveau départ. Les collectivités locales et les conseils départementaux cofinancent les intervenants sociaux dans les gendarmeries et les commissariats. Cette logique territoriale suppose une coordination permanente avec les acteurs de terrain, en particulier les élus locaux et les collectivités.
Mme la présidente Véronique Riotton. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Madame la ministre, vous êtes chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre l’antisémitisme et de la lutte contre les discriminations. À travers votre voix, la France se veut claire et résolue sur l’ensemble de ces sujets. Je vous en remercie, en mon nom et en celui de mon groupe.
Les positions défendues par certains élus et responsables politiques de haut rang font douter de leur attachement au principe d’égalité, de dignité et de respect des droits de toutes et de tous. Envisagez‑vous de dialoguer avec celles et ceux qui ne s’opposent pas aux thérapies dites de conversion, qui affichent leur refus du mariage pour tous ou qui se sont opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution ? Comment articulez‑vous votre action résolue avec ces prises de position, qui peuvent fragiliser les avancées portées par votre ministère et par le Président de la République depuis 2017 ?
Mme Julie Delpech (EPR). Au début de l’année, j’avais attiré votre attention et celle du ministre de la justice sur la situation d’une femme de ma circonscription, victime de violences conjugales et dont le parcours illustre tragiquement les insuffisances systémiques que rencontrent encore trop de femmes en France lorsqu’elles cherchent à reconstruire leur vie après avoir quitté un conjoint violent.
Victime de violences psychologiques, physiques, morales et financières, elle a déposé de nombreuses plaintes pour violences conjugales, sans suivi réel ou classées sans suite. Elle a également un dossier de surendettement pour des prêts contractés à son insu par son ex‑mari, qui avait usurpé son identité. Il fait d’ailleurs l’objet de plusieurs plaintes similaires depuis plus de dix ans.
Surtout, on demande à cette femme de rembourser la moitié de l’aide juridictionnelle accordée à son ex‑conjoint pour la procédure de divorce, pourtant liée aux violences qu’il lui a fait subir.
Depuis 2017, nombre de mesures ont été prises pour accompagner les femmes victimes de violences conjugales. Cette situation, certainement pas isolée, nous montre toutefois qu’au‑delà des enjeux judiciaires, une violence institutionnelle persiste et prolonge ce qui a été subi dans le cadre conjugal. Envisagez‑vous des mesures pour éviter que ce type d’acharnement administratif ne vienne s’ajouter au traumatisme des femmes victimes de violences ?
Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). L’accouchement à domicile, principalement assuré par les sages‑femmes, dont l’engagement pour la santé et le bien‑être des femmes au quotidien mérite d’être salué, représente aujourd’hui une part résiduelle des accouchements. Trop souvent assimilée à une prise de risque, par opposition à l’accouchement hospitalier, la méthode de l’accouchement à domicile reste au cœur d’un débat médical complexe et nuancé qui oppose gynécologues‑obstétriciens et sages‑femmes.
Un nombre croissant de femmes souhaitent pourtant choisir librement et de façon autonome leur mode d’accouchement, pour des raisons intimes et personnelles que l’on peut comprendre.
En outre, cette volonté ne peut être dissociée de la triste réalité des fermetures de maternités qui se poursuivent inexorablement dans notre pays, avec cent cinquante fermetures en vingt ans, et qui conduisent à s’interroger sur notre modèle d’accompagnement en matière d’accouchement : l’accouchement à domicile représente parfois la seule alternative possible, compte tenu des criantes inégalités territoriales dans l’accès aux soins.
Dans ce contexte, il est temps d’affirmer que l’accouchement à domicile, lorsqu’il est pratiqué dans des conditions de sécurité par des professionnels formés, mérite une reconnaissance pleine et entière. Il se heurte pourtant à des difficultés, comme la faible couverture assurantielle des praticiens, le manque de formation continue, voire des absences totales de prise en charge de l’assurance maladie dans certains cas de figure.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Ma première question concerne les maisons de santé des femmes. Élisabeth Borne s’était engagée à les développer : où en est‑on ? Par ailleurs, compte tenu du nombre de femmes et d’enfants qu’elles accueillent, celles qui existent déjà connaissent un problème de financement. Les missions d’intérêt général ne suffisant pas à les financer, quelles mesures pourriez‑vous prendre afin d’assurer leur modèle économique ?
Ma deuxième question porte sur l’Evars : comment faire lorsque les enseignants ne souhaitent pas assurer ces séances, ce que nous pouvons comprendre, et que les associations agréées ne sont pas assez nombreuses ? J’ai déjà été interpellée à ce sujet par des proviseurs et des principaux.
Ma troisième question concerne les violences intrafamiliales. Un enfant sur dix est victime d’inceste. Comment faire en sorte de libérer leur parole sans attendre l’âge adulte, afin qu’ils puissent se reconstruire ? Pour avoir diffusé un film sur le sujet dans une classe et vu les réactions, c’est une interrogation qui ne me quitte plus.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Je voudrais revenir sur d’autres mesures contenues dans le rapport rédigé avec Delphine Lingemann.
Pour l’arrêt fausse couche, nous proposons une autorisation d’absence pour les conjoints.
Nous avons exploré la question des mères isolées, cruciale lorsqu’on parle d’égalité dans la parentalité. Il existe une très forte aspiration à la défiscalisation de la pension alimentaire pour le parent gardien, qui est le plus souvent la mère : cet argent qu’elle touche est en effet transféré du père à l’enfant pour servir à l’entretien de ce dernier, mais il se retrouve imposé comme s’il s’agissait d’un revenu de sa personne.
La question de la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial (ASF) se pose aussi. Il est en effet inacceptable qu’aujourd’hui, une femme qui tombe amoureuse perde la petite somme que lui donne l’État faute de pension alimentaire – comme si la conjugalité faisait que l’on s’occupait de son enfant. Je pense que nous pourrions obtenir la majorité sur ces deux mesures.
J’espère enfin que nous prolongerons la discussion sur le congé parental, au sujet duquel nos analyses se rejoignent : sa rémunération est trop faible, les pères le prennent trop peu et nombre de mères le prennent faute de mode d’accueil.
Pour notre part, nous soulignons cependant que les précédentes réformes du congé parental n’ont pas abouti à un meilleur recours des pères, alors que les réformes du congé paternité le font. Allouer un droit, y compris sous forme obligatoire, à tous les pères, y compris ceux qui sont en CDD, peut constituer un meilleur levier que quatre mois de congé non transférables dont rien ne garantit qu’ils seront pris, en plus de ceux de la mère. Le levier du congé paternité doit donc être activé avant, ou du moins en même temps que toute modification du congé parental.
Nous vous alertons aussi sur le fait que la durée du congé parental représente un secours pour certaines familles modestes, et qu’il faut veiller à ce que son raccourcissement ne les pénalise pas.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Pour répondre dans l’ordre, je commence par Prisca Thevenot en saluant le fait que la loi qu’elle a défendue concernant la question essentielle de la procréation médicalement assistée ait été promulguée hier au Journal officiel.
La position du gouvernement est unique : c’est celle du plan interministériel Toutes et tous égaux et d’un engagement très clair en faveur de l’ensemble des sujets dont j’ai la responsabilité. Cela n’empêche pas des différences ou des nuances, principe même d’une coalition, mais tous les membres du gouvernement sont tournés vers les mêmes objectifs de lutte contre les violences et de culture de l’égalité.
Certains points méritent d’être clarifiés dans le cas évoqué par Julie Delpech. L’aide juridictionnelle étant nominative, je ne m’explique pas comment on aurait pu demander à cette femme d’en payer la moitié pour son ex‑conjoint. Ce cas particulier doit donc être décortiqué, mais il pose une question plus large : les violences ne se résument pas aux coups, elles sont un champ global – violences économiques, financières, psychologiques.
La notion de contrôle coercitif permet d’en donner une définition et d’ouvrir la voie à des condamnations, au‑delà des jurisprudences comme celle de la cour d’appel de Poitiers. La loi que je défends vise donc à l’inscrire dans notre droit : d’un côté, elle permettrait de caractériser et de sanctionner les violences ; de l’autre, elle aurait une vertu pédagogique. Il faut ouvrir les yeux sur le fait que les violences ne se résument pas aux coups, mais existent également sous forme d’interdictions, d’humiliations, d’accaparement, de violences économiques.
S’agissant de la question de l’accouchement évoquée par Marie-Noëlle Battistel, notre seul guide est la sécurité sanitaire des parturientes et des enfants à naître. C’est cela aussi qui justifie les fermetures de maternités, en cas de manque de professionnels ou de plateau technique. Personne n’est heureux de voir une maternité fermer, mais la laisser ouverte dans ces conditions, c’est mettre en danger la vie des femmes.
Je n’ai pas de point de vue sur le meilleur endroit pour accoucher, n’étant pas professionnelle de santé. Qu’elles accouchent à domicile, à l’hôpital ou dans un établissement privé, seules me guident la sécurité sanitaire des femmes et la garantie de leur accompagnement, pour qu’il n’y ait de perte de chance ni pour elles, ni pour les enfants à naître.
Pour répondre à la ministre Firmin Le Bodo, il existe aujourd’hui 107 maisons de santé des femmes, réparties dans 86 départements. La même appellation désigne parfois des établissements portés par des associations ou des collectivités locales, mais celles dont je parle sont financées par l’État via les agences régionales de santé et adossées à des établissements hospitaliers. Elles répondent à la logique d’un accompagnement global des femmes, qui va de l’ensemble du champ de la santé, y compris mentale, jusqu’à celui des violences. Elles s’inscrivent aussi dans le parcours de sortie des violences, qui est lui aussi global.
Tout cela rejoint mon propos introductif sur le dépôt de plainte dans les établissements de santé et le recueil précoce des preuves. J’espère que, dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous relèverons le défi d’un maillage territorial renforcé des unités médico‑judiciaires, afin de garantir le recueil des preuves et d’éviter aux femmes de parcourir des kilomètres pour faire constater les violences subies, notamment sexuelles. Étendre le recueil des preuves à d’autres établissements de santé a le même objectif.
Concernant l’Evars et l’enjeu massif de formation, je ne peux pas répondre aujourd’hui, car la cartographie des volontaires est en cours, académie par académie. Nous verrons ensuite s’il existe des zones blanches où les professionnels ne souhaitent pas s’engager et où nous devrons nous adresser à des associations pour garantir que les séances d’Evars aient bien lieu.
Cela rejoint la question de la révélation des violences sexuelles. On sait qu’à l’issue des cours, des cas sont presque systématiquement révélés. Il faudra donc sans doute, en lien avec les ministères de la justice et de l’intérieur, changer d’échelle pour accueillir ensuite la parole des victimes. Si tous nos enfants sont formés dès le plus jeune âge à la lutte contre les violences sexuelles, ils en révéleront davantage et il faudra traiter judiciairement cette parole.
À la fois malheureusement et heureusement, ces cours délivrés sur l’ensemble du territoire vont entraîner une explosion des révélations. Dans la proposition de loi sur le contrôle coercitif, nous avons fait adopter à l’unanimité au Sénat un amendement sur la détection des abus sexuels commis contre les enfants, visant à former systématiquement tous les professionnels au contact des enfants : les enseignants, mais aussi les professionnels de centres de loisirs et les éducateurs.
Les enfants, en effet, ne s’expriment pas comme vous et moi. Ils ont d’autres manières de révéler des violences : troubles de l’alimentation ou du sommeil, régression dans les apprentissages… Il faut être formé pour comprendre ce qu’ils disent et accompagner cette parole qui doit être traitée par la justice. Tout cela est très lié aux enjeux de la protection de l’enfance et de l’aide sociale à l’enfance.
Concernant les familles monoparentales évoquées par Sarah Legrain, j’ai toujours été et je reste favorable aux deux propositions de la déconjugalisation de l’ASF et de la défiscalisation des pensions alimentaires. Je ne doute pas que nous aurons dans le cadre du projet de loi de finances de nombreux amendements sur le sujet. Ces mesures ont un coût, mais elles sont justes. Les femmes doivent être considérées pour elles‑mêmes et non en fonction de leur compagnon passé ou présent.
Concernant le congé, je l’ai dit, je pense qu’il faut agir sur les deux volets. Il faut renforcer l’effectivité du congé paternité en augmentant le nombre de jours obligatoires, de façon à faire oublier la question du regard posé sur l’homme qui y a recours ; on sait en effet que les 70 % de recours masquent des écarts socioprofessionnels importants. Et il faut s’intéresser au congé de naissance. Depuis que la réforme de 2014 a rendu obligatoire le partage du congé parental, on a clairement vu le taux de recours chuter, accroissant les inégalités femmes‑hommes. Il faut donc s’interroger sur l’éventualité de laisser une part de liberté dans le congé.
Je considère que laisser de la flexibilité dans les modalités du congé de naissance – à taux plein, à temps partiel, en un bloc ou fractionné – fera augmenter le taux de recours. Cela en accroîtra également le coût, mais je persiste à le voir comme un investissement en matière d’égalité et de parentalité. On parle beaucoup des conséquences de l’absence de politiques publiques en matière de parentalité. Toute mesure en faveur des congés parentaux profiterait au contraire à la santé, aux enfants, aux parents et à l’égalité femmes‑hommes et j’y suis donc favorable.
Je vous remercie pour votre présence et pour l’ensemble de vos questions, recommandations et observations.
Mme la présidente Véronique Riotton. Je vous remercie. Ces sujets sont passionnants et ils ont encore besoin de nous, du côté tant législatif qu’exécutif. Continuons le combat.
La séance est levée à 19 heures 10
Ces débats sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :
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Membres présents et excusés
Présents. – Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Louis Boyard, Mme Gabrielle Cathala, Mme Julie Delpech, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Virginie Duby-Muller,
Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Sarah Legrain,
Mme Gisèle Lelouis, Mme Delphine Lingemann, Mme Graziella Melchior,
Mme Véronique Riotton, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Céline Thiébault-Martinez, Mme Anne-Cécile Violland.
Excusées. – Mme Sandrine Josso, Mme Marie-France Lorho.