Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
30 octobre 2024
16 h 45
Compte rendu no 4
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 30 octobre 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 16 heures 45.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Mes chers collègues, l’ordre du jour de notre commission appelle l’examen d’une proposition de résolution européenne (PPRE) visant à lutter contre les addictions numériques chez les enfants. Je laisse la parole à notre collègue Marietta Karamanli, qui en est la principale auteure.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Cette PPRE est le résultat d’un travail transpartisan. Le sujet des addictions numériques chez les enfants est au centre de préoccupations politiques – nationales et européennes – et intrafamiliales. L’impact sanitaire néfaste de l’utilisation outrancière des réseaux numériques a été démontré, touchant majoritairement les populations les plus jeunes. Malgré une utilisation certes problématique, la responsabilité demeure celle des grandes entreprises, propriétaires des plateformes d’accès à internet et de diffusion. Informées des conséquences néfastes de leurs réseaux numériques, ces entreprises laissent volontairement prospérer des fonctionnalités encourageant ces addictions : des notifications à toute heure du jour et de la nuit, des vidéos s’enchaînant automatiquement et causant une perte de la notion du temps ainsi que des filtres modifiant des images et l’appréhension du corps humain.
L’intelligence artificielle est bien présente et les algorithmes répondent à un objectif de maintien de l’utilisateur sur la plateforme afin d’en faire un public prisonnier des contenus. Grâce aux moyens évoqués précédemment, les grandes plateformes cherchent à affirmer leur puissance via leur nombre d’utilisateurs, les temps d’utilisation et la quantité de données personnelles à commercialiser.
En 2004, le PDG d’une importante chaîne de télévision française expliquait vendre du « temps de cerveau disponible » aux annonceurs. Cette formule s’incarne aujourd’hui dans la dépendance des cerveaux aux réseaux numériques ou aux jeux en ligne. Cette situation, que le législateur n’avait pas anticipée, est devenue une véritable préoccupation : elle ne concerne plus seulement un nombre restreint de spécialistes de l’enfance et de pédopsychiatres, mais aussi les parents et les professeurs. Nos capteurs d’attention, sursollicités au quotidien, sont dépassés par la quantité d’informations à traiter.
Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), sont devenus en vingt ans des puissances économiques surpassant de nombreux États.
Durant la pandémie de Covid-19, chacun a pu réaliser l’ampleur de la place quotidienne occupée par le numérique et le parasite que constitue une présence malsaine en ligne. La situation de dépendance actée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’agissant des jeux vidéo dès 2018 a été étendue et l’emprise concerne désormais l’ensemble du champ numérique. La caractérisation de l’addiction numérique s’est fondée sur différents facteurs observés sur les populations ciblées : un sentiment de frustration et d’angoisse, un désintérêt pour les relations sociales, un repli sur soi, ainsi qu’un temps anormalement long et déséquilibré en ligne.
Souvent, le temps passé en ligne par des enfants se fait en dehors des moments de dialogue avec les parents, ou avec un adulte.
Exposant l’ampleur du phénomène, de multiples études ont permis d’affirmer la réalité de l’omniprésence numérique, dont une produite par le Parlement européen en 2022. Bien que la prise de conscience ne soit pas si récente, le constat a été long à dresser. La préoccupation de santé publique est devenue réelle lorsque la société a réalisé que les effets de la surutilisation du numérique ne résultaient pas uniquement du confinement.
Bien que la mission interministérielle contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) conduise un travail essentiel de sensibilisation sur les addictions, le périmètre de son champ d’action ne lui permet pas de proposer des politiques publiques adaptées. La MILDECA se limite donc au recensement d’initiatives mises en place pour sensibiliser les parents et le personnel d’enseignement.
La capacité d’action transversale de l’Union européenne aurait pu constituer un vecteur efficace de changement et de prise de conscience. Néanmoins, conformément à son champ de compétence régi par les traités, l’Union a en priorité investi le marché intérieur dans le cadre de l’achèvement du marché unique au début des années 1990. Ainsi, l’Union européenne a d’abord envisagé la question de la tromperie sous l’angle commercial, à l’image des directives relatives aux droits du consommateur et aux pratiques commerciales déloyales. Cet aspect commercial est important dans la mesure où la dimension de tromperie a su se frayer un chemin pour tenir compte des incidences des réseaux numériques sur les choix du consommateur.
Face à la place croissante occupée par le numérique au cours des années 2000 et 2010, la Commission européenne a initié différentes propositions ambitieuses. Ainsi, le Règlement général sur la protection des données (RGDP) de 2016 constitue le dispositif de protection des droits numériques le plus achevé à ce jour. Plus récemment, en 2020, les règlements européens DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act) ont parachevé la protection du consommateur en inversant la tendance d’emprise des plateformes, via l’instauration des mécanismes de régulation solides et efficaces. Si les tensions entre la Commission européenne et X (ex-Twitter) témoignent des effets de ces deux textes, ces derniers n’abordent pas de front la question de l’addiction numérique. Il est donc nécessaire de franchir une nouvelle étape.
Le règlement sur les services numériques (DSA) vise à rendre illégal en ligne ce qui est illégal hors ligne : un objectif qui n’est simple que d’apparence. Depuis son adoption en 2022, les fournisseurs d’accès à internet doivent prendre des mesures pour lutter contre les contenus illicites et préjudiciables sur leurs plateformes, tels que la haine en ligne, la pédopornographie ou la désinformation. Le règlement sur les marchés numériques (DMA), quant à lui, vise à contester la domination des géants du numérique et lutter contre leurs pratiques anticoncurrentielles. À l’occasion de la pandémie de Covid-19, différents travaux parlementaires ont permis à la France de tirer des conclusions sur l’emprise numérique et sur le développement de l’addiction. Bien que leur parcours législatif ne soit pas terminé, différentes propositions de lois soumises en 2023 et 2024 témoignent de la volonté du législateur de se saisir d’un phénomène de société « qu’il n’est plus possible de seulement regretter ».
Il convient de proposer de véritables mécanismes législatifs pour protéger les plus vulnérables. Dans cette optique, la résolution du Parlement européen sur la conception addictive des services en ligne et la protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE (2023/2043 (INI), adoptée en décembre 2023, me réjouit particulièrement. Face à la progression de l’emprise numérique, l’Union européenne a développé des outils juridiques contraignants pour assurer la protection des consommateurs. Cette dernière s’accompagne notamment d’une obligation de transparence et de concurrence.
Aux États-Unis, quatorze procureurs d’états fédérés ont engagé des actions contre Meta et TikTok, tandis que la Commission européenne a elle aussi initié des enquêtes à l’encontre de Twitter et TikTok.
Au Parlement européen, la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) a adopté, à une grande majorité, un rapport requérant des mesures dans le sens d’une protection accrue des enfants et des jeunes non majeurs. Visant à diminuer le potentiel addictif des plateformes numériques, ce rapport participe utilement au débat sur le concept d’emprise et sur les mécanismes addictifs mis en place par les services en ligne. La description des multiples notifications, recommandations et outils utilisés par les plateformes pour solliciter l’utilisateur jusqu’à l’excès donne la pleine mesure du chantier qui se tient devant nous.
Le législateur doit tenir compte de tous les paramètres : la conception addictive des services en ligne d’une part, et la nécessaire élaboration d’une éthique de conception de plateformes d’autre part. L’autorégulation n’est plus la solution.
Les multiples scandales, tels que celui de Facebook Cambridge Analytica (2018) ou la plainte déposée en 2023 par trente-trois procureurs américains contre Meta, accusée de nuire à la « santé mentale et physique de la jeunesse », nous rappellent notre devoir. Nous sommes dans l’obligation de légiférer sur ces questions de protection des données et d’addiction numérique pour établir des règles directrices et s’assurer de leur respect par les acteurs concernés.
Nous pouvons déjà explorer certaines pistes, telles qu’une législation européenne sur la conception addictive des services en ligne, la consécration d’un « droit numérique à ne pas être dérangé », l’interdiction des pratiques les plus préjudiciables au niveau commercial, la mise en place d’une liste de bonnes pratiques numériques, et le renversement de la charge de la preuve pour responsabiliser les plateformes.
Voici les points de cette proposition de résolution que je veux mettre en exergue. Il ne s’agit pas uniquement de questions commerciales mais bien d’une éthique, d’une action pratique et contraignante que nous devons mettre en place. Je connais l’engagement de plusieurs députés présents aujourd’hui, et cette PPRE constitue un premier pas dans la bonne direction. Forte du constat objectif dressé, je vous invite à soutenir cette résolution et à demander au gouvernement et à la France de s’engager de manière concrète dans cette voie. L’importance du sujet nous demandera certainement de continuer à travailler de manière transpartisane pour protéger les enfants.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Le groupe Ensemble pour la République s’associe à cette PPRE, qui reprend les objectifs et les orientations de la résolution du Parlement européen du 12 décembre 2023 relative à la conception addictive des services en ligne et protection des consommateurs sur le marché unique de l’UE. Pour préserver le potentiel de la technologie numérique, nous devons nous assurer qu’elle ne devienne pas un vecteur d’enfermement, d’aliénation ou de soumission de nos futurs citoyens.
En moyenne, un enfant français côtoie dix écrans dans son domicile familial. Cette omniprésence numérique contribue directement ou indirectement à des déficits de sommeil, au recul de l’activité physique, à l’explosion de la sédentarité et donc finalement au développement de maladies chroniques. Il faut aussi souligner le risque que représente les fausses informations et le complotisme en ligne qui se cache derrière les écrans. Selon une enquête de l’IFOP publiée en mars 2024, 46% des jeunes ont déjà relayé des fake news sur les réseaux sociaux, très largement devant les autres classes d’âge. Il existe donc aussi un enjeu démocratique dans la question des addictions numériques, puisque les enfants sont par définition les citoyens de demain.
Le 30 avril 2024, à la demande du Président de la République, une commission spéciale composée de dix experts – scientifiques, neurologues, psychiatres, professeurs ou ingénieurs – a remis ses conclusions sur les défis que présentent les nouvelles technologies numériques pour notre jeunesse. Leur constat est sans appel : dans le nouveau marché du numérique, nos enfants sont devenus des marchandises. Les experts ont été alarmés par des dérives très concrètes, notamment concernant la représentation des femmes, les enfermant dans des stéréotypes ou des représentations délétères. Nous devons réagir, notre jeunesse n’est pas une marchandise.
Nous appelons donc le gouvernement à se saisir de ce sujet, en lien avec ses homologues européens et avec la Commission européenne, afin de construire une réponse collective pour protéger les enfants européens. Nous devons renforcer le cadre réglementaire européen dans la continuité des travaux engagés par la France lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne autour du DSA, qui constitue une base concrète pour agir. Madame la rapporteure, le groupe EPR soutient totalement votre PPRE.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il a été rappelé de manière très concise la question de l’effet du numérique sur la santé et sur le fonctionnement de notre démocratie. Il s’agit d’un chantier sur lequel il nous faut travailler à plusieurs pour proposer à l’Assemblée nationale des propositions avec des mesures concrètes car nous manquons encore d’outils pour faire face à ce problème.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Merci madame la rapporteure de mettre la lumière sur un sujet de société qui concerne le développement intellectuel, le développement social et le bien-être des enfants.
La première partie de votre rapport s’intéresse au constat qui est unanimement partagé, du moins je l’espère. Les études indiquant un usage de plus en plus malsain du numérique chez les jeunes se multiplient.
L’organisation mondiale de la santé a publié un rapport le 25 septembre dernier, qui souligne que la part des jeunes utilisateurs ayant développé un usage problématique des réseaux sociaux est passée de 7% en 2018 à 11% en 2022. Le phénomène touche des enfants de plus en plus jeunes et selon l’enquête Health de 2023, 40% des enfants de deux ans passent déjà 40 minutes par jour devant un écran.
Une fois ce constat posé doit venir le temps des solutions, comme vous l’indiquez dans la seconde partie de votre rapport. La France a commencé à légiférer avec la loi sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) de 2023 qui est passée à côté du sujet. Elle s’est contentée d’un faux solutionnisme technique avec un filtre anti-porno inopérant et des systèmes de censure administrative pour certains contenus inappropriés qui s’avèrent inapplicables. Elle a même offert un cadre juridique sur mesure aux jeux à objet numérique monétisables (JONUM) alors même que l’autorité nationale des jeux s’y opposait, mettant en avant le taux de joueurs problématiques et sa similarité avec les jeux d’argents et de hasard. C’était une ineptie totale. Malheureusement, la direction prise par cette loi n’a donc pas été la bonne.
Tous les spécialistes, notamment ceux de l’OMS, le reconnaissent : la solution passe d’abord par l’éducation qui est la grande oubliée de la loi SREN. Notre système éducatif doit adopter une approche plus globale du numérique, qui n’oppose pas éducation aux médias et à l’apprentissage de l’utilisation des outils.
Le deuxième levier majeur est de mettre les GAFAM face à leurs responsabilités. Aux États-Unis, la multinationale Meta plateforme est poursuivie par trente-trois procureurs généraux d’État pour avoir sciemment utilisé des fonctionnalités addictives sur Instagram et Facebook pour accroître la dépendance des enfants à ces plateformes.
Ne sacrifions pas l’avenir de nos enfants sur l’autel de la rentabilité des grands groupes américains. Cela est possible dès maintenant avec des mesures simples et fortes. On peut tout à fait interdire des systèmes algorithmiques addictifs et on peut interdire la lecture automatique des vidéos. Surtout, agissons sur la confection des appareils et des logiciels.
Mon groupe appuie donc votre proposition de résolution.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je n’ai rien à enlever aux propos qui ont été tenus. L’exemple nous montre qu’on peut tout à fait légiférer et passer à côté de problèmes qui touchent des milliers d’enfants. Il faut donc passer à l’acte dès maintenant.
Le rapport du Parlement européen et le consensus actuel nous ont incités à saisir cette occasion pour remettre ce sujet dans le débat public. Par ailleurs, le Premier ministre a, dans sa déclaration, insisté sur ce volet-là. Nous allons donc à sa rencontre avec ce texte.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe socialiste soutient ce projet qui est d’une grande qualité et qui donne des chiffres extrêmement inquiétants quant à la dépendance de nos enfants au numérique. J’en reprends trois : 84% des moins de 35 ans se déclarent dépendants au numérique ; entre 11 et 14 ans, les enfants passent 8h30 par jour sur les différents écrans ; et, surtout, dans chaque foyer il y aurait en moyenne 10 écrans, ce qui fait que les enfants sont exposés en permanence aux écrans. Il s’agit d’un problème de santé publique.
Récemment, je visitais dans ma circonscription une clinique psychiatrique dont les responsables indiquaient que leur public est de plus en plus jeune et qu’ils sont démunis face à la nécessité de trouver des traitements adaptés.
L’échelle européenne est donc pertinente pour lutter ensemble et protéger les plus fragiles : c’est une question éthique.
Par ailleurs, je voulais soulever le fait que, paradoxalement, à côté de cette addiction au numérique chez les enfants, les mêmes, quand il s’agit d’utiliser activement les écrans font face à un phénomène nommé « l’illectronisme ». Les écrans les rebutent complètement et ils ne parviennent pas à les utiliser de manière active que ce soit pour étudier, pour faire des recherches ou simplement pour faire valoir leurs droits. Alors même qu’il y a une véritable addiction lorsqu’ils sont passifs et qu’il s’agit simplement de les regarder.
Les enfants sont donc doublement fragiles : d’une part parce qu’ils sont exposés à des contenus addictifs et, d’autre part, parce qu’ils n’arrivent pas à utiliser les outils numériques qui pourraient leur être utiles.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il est important d’insister sur la distinction entre attitude passive et attitude active, montrant comment certaines utilisations du numérique peuvent amener les enfants à avoir des attitudes passives et addictives au lieu d’être actives et positives. Cela requière aussi un accompagnement qu’il faudra inclure dans les propositions futures.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le groupe Horizon et indépendants soutient cette proposition de résolution qui s’inscrit dans la stratégie proposée par la Commission européenne « pour un Internet mieux adapté aux enfants » et du rapport du Parlement européen pour de nouvelles règles européennes afin de lutter contre la dépendance numérique.
La consommation problématique et dysfonctionnelle de contenu sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux est une source d’inquiétudes légitimes. Le rapport de la « commission écran » rendu au Président de la République en avril 2024 est sans détour : les écrans et les réseaux sociaux sont des facteurs de risques supplémentaires lorsqu’il y a une vulnérabilité préexistante chez un enfant ou un adolescent, notamment de dépression ou d’anxiété. Leur usage est aussi associé aux déficits de sommeil, à la sédentarité, au manque d’activité physique, à l’obésité, ainsi qu’aux problèmes de vue.
Notre groupe est particulièrement sensible à la question des dangers de l’addiction et de l’impact de l’usage des écrans sur les enfants. Il a été à l’initiative de la loi du 7 juillet 2023 qui fixe en France une majorité numérique à 15 ans. Il revient au gouvernement de veiller à sa bonne application et de garantir avec les plateformes son effectivité sur notre territoire. Mais nous devons aller plus loin : le président de la République a rappelé lors de son discours de la Sorbonne sa volonté d’étendre la majorité numérique à l’ensemble de l’Union européenne.
Nous sommes donc en accord avec cette proposition et souhaitons que la Commission propose des moyens d’encadrer les pratiques commerciales des plateformes visant à renforcer les comportements addictifs, les notifications push, les confirmations de lecture ou encore le défilement et la lecture automatique des contenus vidéo.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Effectivement, la majorité numérique a constitué une réponse concrète, mais l’on voit bien que, pour anticiper et protéger les enfants du phénomène addictif, il ne suffit pas d’avoir une majorité numérique. N’oublions pas que l’addiction peut toucher des personnes plus âgées, même si cette proposition de résolution européenne se concentre sur les enfants et les jeunes mineurs qu’il est de notre devoir de protéger.
Mme Christine Loir (RN). En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, j’ai eu l’occasion de porter la mission flash sur l’exposition excessive des jeunes aux écrans, en mars 2023. Le constat est sans appel : les écrans sont omniprésents, et ce, dès le plus jeune âge. L’âge moyen d’acquisition d’un smartphone est de 9 ans et 27% des enfants de 2 ans utilisent déjà un écran. Le regret que je formulerais concernant cette résolution est la tranche d’âge retenue : 16-24 ans. Le mal est fait bien plus tôt. Cette surexposition nuit à leur santé et à leur équilibre. Notre cadre législatif est encore insuffisant pour répondre à cet enjeu et encadrer les contenus auxquels les enfants sont surexposés. Il s’agit bien souvent du pire d’internet : contenu pornographique, violence et cyber-harcèlement.
Au niveau européen, le Digital Service Act, en vigueur depuis février 2024, vise notamment à protéger les mineurs. Si l’intention est louable, les moyens alloués ne sont pas à la hauteur de l’ambition. Ainsi, en France, l’ARCOM est chargée de veiller à l’application de ces nouvelles règles mais ses ressources demeurent limitées face aux multinationales du secteur numérique. Pour être efficace, cette lutte contre l’addiction numérique doit impliquer tous les acteurs : familles, établissements scolaires et les plateformes numériques elles‑mêmes. Nous devons donc mieux encadrer, sensibiliser et légiférer pour réduire les effets néfastes des écrans et véritablement protéger nos enfants.
Nous soutiendrons votre proposition.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Vous avez raison d’insister sur la question des moyens. Effectivement, il faut pouvoir accompagner, contrôler et corriger ce qui n’est pas fait ou fait imparfaitement. Les exemples qui existent outre-Atlantique doivent être regardés de près : il faut établir une contrainte auprès des plateformes qui provoquent volontairement ces addictions et en sont conscientes.
Pour cela, l’ARCOM a besoin de moyens supplémentaires. Il ne faut pas négliger l’importance de cette autorité et de l’administration pour faire la part des choses entre les usages bénéfiques de l’IA et ceux qui peuvent être dangereux en cas d’absence d’une réglementation suffisamment protectrice.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous en passons à l’examen des amendements.
Amendement n° 3 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl
Mme Constance Le Grip (EPR). Il s’agit d’un amendement rédactionnel et d’actualisation qui vise à faire état du « règlement » du Parlement européen et du Conseil sur l’intelligence artificielle et non plus d’une « proposition de règlement » puisque le texte a été définitivement adopté et a représenté une étape clé dans la constitution d’un cadre européen de régulation sur l’intelligence artificielle.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
M. Pierre Pribetich (SOC). Je souhaite attirer votre attention sur le règlement relatif à l’IA. Le règlement et les éléments qui vont être intégrés dans notre résolution listent les dangers que nous connaissons actuellement en lien avec l’IA : les techniques subliminales, la manipulation du comportement humain ou encore la vulnérabilité de l’âge. Néanmoins, si nous voulons parfaitement maîtriser l’IA, le législateur doit avoir un temps d’avance. La maîtrise de l’IA passe donc par une vigilance de tous les instants concernant l’évolution de la législation dans un contexte où les puissances de calcul, les capacités de stockage de l’information, l’algorithmique et le calcul en parallèle connaissent un développement exponentiel.
Tous ces éléments nécessitent que nous soyons en alerte permanente afin de s’assurer que notre régulation de l’IA soit réellement performante. Je souhaiterais donc qu’on se penche sur les manières d’anticiper les évolutions concernant l’IA dont le développement est un facteur d’addiction supplémentaire chez les enfants et les personnes plus âgées.
L’amendement n 3 est adopté.
Amendement n °8 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement vise à mentionner dans les visas de la PPRE, la loi SREN. Si nous sommes parfaitement conscients des imperfections de cette législation, la loi SREN a, toutefois, le mérite d’exister et d’être un premier outil pour lutter contre les addictions numériques.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
L’amendement n 8 est adopté.
Amendement n° 4 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement propose d’ajouter un considérant relatif aux conclusions du Conseil de l’Union européenne sur la stratégie de l’Union en faveur des droits des enfants, adoptées le 9 juin 2022. Cette stratégie propose des actions permettant aux enfants d’être des membres responsables et résilients de la société numérique.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
L’amendement n 4 est adopté.
Amendement n° 7 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Cet amendement propose d’ajouter un visa pour mentionner l’Appel de Paris lancé en 2018 par le président de la République française, M. Emmanuel Macron, lors de la réunion à l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) du Forum sur la gouvernance de l’internet et du Forum de Paris sur la paix. Il s’agit de rappeler le travail, entamé par la France, sur le long terme, concernant ces politiques publiques.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
L’amendement n 7 est adopté.
Amendement n °2 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
Mme Constance Le Grip (EPR). Il s’agit d’ajouter un visa pour mentionner les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) pour lutter contre la pornographie violente et extrême. Outre le rappel de l’importance de ces travaux, il faut souligner les risques réels, extrêmement dangereux d’addiction à la pornographie violente pour les mineurs, sans compter la représentation de stéréotypes dégradants et d’atteinte à la dignité humaine notamment de la femme que ces contenus véhiculent.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable. En effet, l’APCE joue un rôle fondamental insuffisamment reconnu.
L’amendement n 2 est adopté.
Amendement n° 1 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Il s’agit d’ajouter un alinéa pour souligner que la numérisation de la société et le développement des médias sociaux présentent des risques pour la santé mentale des mineurs. Le rapport du Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), présenté en septembre 2024, précise non seulement que 11 % des adolescents européens utilisent les médias de manière problématique, mais également que ce taux est en forte hausse.
L’amendement n 1 est adopté.
Amendement n° 6 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl
Mme Constance Le Grip (EPR). Cet amendement vise à ajouter un considérant pour rappeler l’adoption du règlement sur les services numériques (DSA) durant la Présidence française de l’Union européenne auquel la rapporteure a déjà fait allusion dans son rapport.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable. En effet, tous les éléments présents dans le DSA, qu’il s’agisse du harcèlement ou de la violence, ont leur place dans le rapport, ce visa trouve donc son utilité.
L’amendement n 6 est adopté.
Amendement n° 1 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
L’amendement n 1 est adopté.
Amendement n° 5 de Constance Le Grip et Charles Sitzenstuhl.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Avis favorable.
L’amendement n 5 est adopté.
L’article unique de la proposition de loi, ainsi modifié, est adopté, à l’unanimité.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je vous remercie pour ce travail collectif concernant les addictions numériques. Il importe de reprendre cette thématique dans l’ensemble des textes en discussion. Une fois la commission compétente saisie au fond, nous pourrons avoir un débat dans d’autres instances de l’Assemblée nationale pour proposer des outils efficaces pour les combattre.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Ce sujet est majeur est un enjeu de société, et les consciences ne sont malheureusement pas encore assez éveillées. Si Madame la rapporteure peut défendre son initiative auprès de la présidente de la commission compétente au fond, vous aussi Monsieur le Président, vous pourrez soutenir, en conférence des Présidents, et auprès de la présidente de l’Assemblée nationale, son inscription à l’ordre du jour de la séance publique pour un débat dans l’hémicycle.
Mme Sofia Chikirou (LFI-NFP). Je soutiens entièrement cette initiative. Lors du débat sur le SREN, nous sommes un peu restés sur notre faim en particulier concernant la protection des enfants. Ce serait l’occasion d’aller plus loin et d’évaluer les dispositifs ne fonctionnant pas tels que le contrôle d’identité relatif à la diffusion de contenus pornographiques. Que faut-il faire ? Faut-il arrêter de légiférer parce que la loi n’est pas appliquée ? Faut-il au regard de la santé mentale, de l’équilibre des enfants, et de l’ensemble des enjeux qui sous-tendent cette question, reprendre le débat et trouver des solutions ? Pour ma part, je suis favorable à la tenue d’un débat dans l’hémicycle.
La Commission a nommé sur proposition de M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade :
– Mme Louise Morel, rapporteure, sur la proposition de résolution européenne invitant le Gouvernement à se prononcer en faveur de la modification du régime du démarchage téléphonique au niveau européen (n° 331) ;
– Mme Elsa Faucillon, rapporteure sur la proposition de résolution européenne visant à la création d'une flotte européenne de sauvetage en mer (n° 180).
La séance est levée à 17 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Manon Bouquin, Mme Colette Capdevielle, Mme Sophia Chikirou, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Alexandre Loubet, Mme Anna Pic, M. Pierre Pribetich, M. Charles Sitzenstuhl
Assistaient également à la réunion. - Mme Christine Loir