Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I. Pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d’une catégorie statistique dédiée à l’échelle européenne : examen de la proposition de résolution de Mme Sabine THILLAYE (n° 547) (Mme Sabine THILLAYE, rapporteure)

II. Création d'une flotte européenne de sauvetage en mer : examen de la proposition de résolution européenne : examen de la proposition de résolution de Mme Elsa FAUCILLON, M. Thomas PORTES et plusieurs de leurs collègues (n° 180) (Mme Elsa FAUCILLON, rapporteure)

III. Nomination de rapporteurs


 

Mercredi
27 novembre 2024

15 heures

Compte rendu n o 8

Présidence de
Laurent Mazaury,
Vice-Président
 

 


 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 27 novembre 2024

Présidence de M. Laurent Mazaury, Vice-Président de la Commission,
 

La séance est ouverte à 15 heures 05.

 

I.                  Pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d’une catégorie statistique dédiée à l’échelle européenne : examen de la proposition de résolution de Mme Sabine THILLAYE (n° 547) (Mme Sabine THILLAYE, rapporteure)

M. le vice-président Laurent Mazaury. L'ordre du jour appelle à l’examen d’une proposition de résolution européenne pour une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire et la création d'une catégorie statistique dédiée à l'échelle européenne, présentée par l’auteure du texte, Sabine Thillaye.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Cette proposition de résolution européenne vise à adopter une définition harmonisée des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et à créer, au niveau européen, une catégorie statistique dédiée. Les ETI sont aujourd’hui insuffisamment prises en compte dans les politiques économiques européennes. Ce constat, largement partagé, a été rappelé par le rapport Draghi. Celui-ci affirme en effet que les entreprises small mid caps ont été absentes de la conception des politiques publiques européennes et des études d'impact. Trop souvent par le passé, les institutions européennes ont favorisé la concurrence plutôt que l'émergence de champions européens compétitifs à l'international.

En contrepoint, la France fait figure de pionnière. Elle s’est dotée dès 2008, avec la loi de modernisation de l'économie, d'une catégorie ETI désignant les entreprises qui emploient entre 250 à 4 999 salariés et génèrent soit un chiffre d'affaires égal ou inférieur à 1,5 milliard d'euros, soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. L'existence de cette catégorie statistique a permis la mise en place d'une politique publique volontariste de soutien au tissu des ETI. On peut ainsi mentionner, au niveau national, la stratégie Nation ETI lancée en 2020, le programme ETIncelles créé en 2023, ou encore les aides ciblées auxquelles les ETI ont pu prétendre durant les crises sanitaire et énergétique.

Au regard des objectifs de la Commission européenne en matière de réindustrialisation, de souveraineté et de transition écologique, il importe de mettre en place des politiques publiques qui puissent être pilotées avec des données fiables et précises mettant un terme à l’invisibilisation des ETI au niveau européen et d’harmoniser les diverses définitions qui coexistent. L'objectif est ainsi de faire un premier pas vers la constitution d'un écosystème européen d’ETI, sur le modèle du Mittelstand allemand, de façon à assurer la prospérité et la résilience des chaînes de valeurs européennes.

L'importance économique des ETI a été rappelée par les crises sanitaire et énergétique. En France, on compte 6 200 ETI en 2021. Celles-ci emploient 3,5 millions de salariés, soit 25 % de l'emploi total et sont présentes partout sur le territoire national avec près de 120 000 implantations, dont 75 % situées en dehors des grands centres urbains. Il s'agit pour notre pays d'un véritable actif stratégique tourné vers le long terme et fer de lance de la réindustrialisation. En effet, 38 % des salariés de l'industrie travaillent dans une ETI et ces entreprises participent à l'équilibre de notre balance commerciale puisqu'elles réalisent 32 % du chiffre d'affaires à l'export des entreprises françaises.

Au niveau européen, on ne parle pas d'ETI mais de mid caps. Ce terme n'a pas de définition aussi précise qu’au niveau français. Il est issu du secteur financier dans lequel il fait référence au volume de capitalisation boursière. Son utilisation dans les statistiques économiques est donc trompeuse puisqu’elle n’est pas liée au niveau de capitalisation des entreprises mais à leur nombre d’employés et éventuellement à leur chiffre d’affaires ou à la taille de leur bilan, selon les définitions retenues. Par exemple, la Banque européenne d'investissement (BEI) considère que les mid caps comptent entre 250 et 3 000 employés. En retenant cette définition, les mid caps représentent près de 17 % de l'emploi et 21 % du chiffre d'affaires de la totalité des entreprises de l'Union européenne. D'après le rapport de la BEI publié en janvier 2024, ces mid caps génèrent plus de la moitié de la valeur ajoutée du secteur manufacturier et soutiennent la balance commerciale européenne. Leur rôle important dans l'investissement et l'innovation, leur niveau de productivité plus élevé que les PME et les grandes entreprises, ou encore l'effet d'entraînement qu'elles exercent sur leurs chaînes de valeur, en font des entreprises structurantes pour la compétitivité européenne. Les ETI ont aussi une certaine importance sociale. Elles contribuent de manière significative à l'économie locale et structurent les bassins d'emploi.

Malgré leur importance, les ETI semblent oubliées par les politiques économiques européennes. Elles ne peuvent ni prétendre aux aides et aux dérogations des PME et n'ont pas non plus les moyens des grands groupes pour remplir les différentes obligations administratives. En particulier, les ETI ne disposent pas d'une définition harmonisée au niveau européen. Cela nous a été rappelé en audition par l'organisme européen de statistiques, Eurostat, et la direction générale du marché intérieur, la DG GROW. Aucun pays européen n'a de définition aussi précise que la France en la matière. L'Allemagne, pourtant connue pour son tissu de PME et d’ETI familiales, n'a pas de définition précise du Mittelstand. Les éléments permettant de le définir ne sont pas le nombre de salariés ou la taille du chiffre d'affaires, mais plutôt la présence d'une gouvernance familiale et le sentiment d'appartenance au Mittelstand.

La France fait figure de pionnière avec sa définition d'ETI. La loi de modernisation de l'économie a déterminé quatre catégories d'entreprises pour les besoins de l'analyse statistique. La microentreprise compte moins de 10 salariés et a un chiffre d'affaires annuel ou un total de bilan qui n’excède pas les 2 millions d'euros. Les PME, hors microentreprises, comptent moins de 250 salariés et ont un chiffre d'affaires annuel qui n’excède pas 50 millions d'euros ou un total de bilan qui n’excède pas 43 millions d'euros. Les ETI n'appartiennent pas à la catégorie des PME, comptent moins de 5 000 salariés et ont un chiffre d'affaires annuel qui n’excède pas 1,5 milliard d'euros ou un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros. Les grandes entreprises sont toutes celles allant au-delà de la catégorie des ETI.

Au niveau européen, plusieurs définitions coexistent. La Commission européenne, dans ses Risk Finance Guidelines, définissant les règles de soutien des États membres aux start-ups et mid-caps, retient 2 seuils : entre 250 et 499 salariés pour les small mid-caps et entre 500 et 1 499 salariés pour les large mid-caps. Cette définition est plus restreinte que la définition française et ne coïncide pas avec celle de la Banque européenne d'investissement qui considère que les small mid-caps ont entre 250 et 499 salariés et que les large mid-caps vont de 500 à 2 999 salariés.

Cette proposition de résolution européenne soutient la création d’une définition harmonisée des ETI au niveau européen sur le modèle de la définition française. Les débats se sont accélérés sur le sujet depuis les crises sanitaire et énergétique qui ont rappelé l'importance des ETI pour la souveraineté européenne, le soutien à l'innovation et le développement de nos exportations. La nécessité d'une action rapide est le message que nous nous efforçons de véhiculer par cette proposition de résolution.

De ce point de vue, la confirmation de Stéphane Séjourné comme vice-président chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle à la Commission européenne doit être vue comme un atout pour porter ce dossier avec les services de la direction générale du marché intérieur.

Il convient donc d’agir rapidement et de tout mettre en œuvre pour la définition adoptée soit la plus fidèle possible à la définition française. L'option actuellement privilégiée semble celle d'une catégorie small mid-caps allant de 250 à 499 salariés. Il s’agit d’un premier pas, mais il est nécessaire d’aller au-delà. La catégorie des  ETI française – de 250 jusqu’à 4 999 salariés, avec en plus des conditions liées au chiffre d’affaires et au bilan – supprime durablement l'effet de seuil que peuvent ressentir les PME en franchissant les 250 salariés et qu'elles ressentiraient de nouveau à 499. En allant jusqu'à 4 999 salariés, nous apporterons de la visibilité aux entreprises en leur assurant un statut protecteur tout au long de leur développement économique. L'harmonisation au niveau européen permettra de cibler précisément les mesures d’aides, de soutien ou de simplification à destination des ETI, comme cela est déjà fait pour les PME.

Enfin je tiens à rappeler, pour dissiper toute inquiétude concernant d’éventuelles difficultés de mise en œuvre d'un changement de définition, que la création d'une catégorie d’ETI au niveau européen ne sera pas contraignante pour les États membres. Il ne s'agira que d'une recommandation de l'Union européenne. À l’instar de la définition des PME mise en place par une recommandation de 2003, les États membres pourront choisir de se conformer ou non au standard européen et pourront tout à fait conserver leur classification nationale s'ils le préfèrent. Le standard européen sera simplement la référence retenue dans le cadre des politiques publiques européennes.

Cette définition permettrait d'avoir une catégorie statistique uniforme et des données précises sur les ETI pour mieux concevoir nos politiques publiques en faveur des ETI d'une part, et pour mieux les évaluer d'autre part.

Les données sont la boussole de l'action publique. Sans statistiques, il n'est pas possible d'objectiver les problèmes ou de se féliciter des améliorations. Cela explique pourquoi les ETI ont été invisibilisées jusqu’à présent au niveau européen.

L’adoption d’une définition harmonisée et d’une catégorie statistique que porte cette proposition de résolution permettra d’instaurer un véritable « réflexe-ETI » dans les politiques publiques européennes.

Au stade de la conception, ce réflexe-ETI n’est pas encore suffisant. On peut penser à la directive CSRD qui a manifestement été conçue pour des grandes entreprises, pas du tout pour des entreprises de taille moyenne. Le rapport Draghi reprend ainsi une étude du mouvement des entreprises de taille intermédiaire qui estime que la directive coûterait 400 000 euros par an en moyenne pour une ETI. Cela équivaut à 12,5 % du volume d’investissement de la catégorie en 2023 .

Au stade de l’évaluation, il faut systématiser les évaluations des politiques publiques par catégories d’entreprises – grandes entreprises, ETI, PME – pour veiller à une application uniforme qui soit proportionnée aux moyens de toutes les entreprises dans l’ensemble des secteurs.

Ce « réflexe-ETI », auquel cette proposition de résolution apporte une première pierre, est la condition de l’émergence de champions européens capables de faire rayonner l’Europe à l’international.

M. le vice-président L aurent Mazaury. Je donne maintenant la parole aux orateurs de groupe.

Mme Isabelle Rauch (HOR). Les entreprises de taille intermédiaire jouent un rôle majeur dans la croissance et la création d’emplois et de valeur dans notre économie, comme l’a rappelé Madame la rapporteure. Elles sont 6 200 en France, elles emploient 3,5 millions de salariés en équivalent temps plein, elles réalisent 30 % du chiffre d’affaires, 24 % des investissements et 26 % de la valeur ajoutée de l’ensemble des entreprises.

Elles jouent un rôle majeur dans l’objectif de réindustrialisation de notre économie. 31 % des salariés des ETI travaillent dans l’industrie manufacturière. Leur rôle moteur pour la croissance et l’innovation est reconnu partout en Europe.

Dans un rapport publié cette année, la Banque européenne d’Investissements (BEI) reconnaît le rôle qu’elles jouent dans les principaux écosystèmes industriels, notamment l’électronique, la santé, l’énergie, les énergies renouvelables, l’aérospatiale et la défense, qui soutiennent la compétitivité de l’Europe.

Dans ce même rapport, la BEI regrette l’absence de définition cohérente et de précision des données statistiques concernant les ETI, qui entravent les analyses en la matière et la formulation de politiques ciblées.

Notre groupe soutient donc les conclusions du rapport de la BEI. Nous pensons que les États européens gagneraient à disposer d’une définition permettant d’ouvrir une réflexion ciblée sur leur apport pour la compétitivité du continent. Le rapport de Mario Draghi rendu en septembre sur la compétitivité insiste justement sur la nécessité de renforcer les politiques favorisant le développement d’entreprises innovantes. Après la stratégie « Nation ETI », c’est d’une véritable stratégie « Europe ETI » dont nous avons besoin. Cela ne permettra sans doute pas de créer un véritable Mittelstand européen – ce modèle correspondant plus à une culture d’entreprise intimement liée au fédéralisme allemand – cependant, une définition au niveau européen ouvrira la voie à une meilleure intégration aux problématiques propres aux ETI au sein des politiques européennes.

Le groupe « Horizons et Indépendants » votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Merci pour ce soutien. Il semble effectivement nécessaire d’insister le plus possible sur notre définition française puisque la Commission européenne a mis l’accent sur les PME, mais les définit de façon extrêmement large, en considérant que 99 % des entreprises sont dans cette catégorie. Cela ne permet pas de bien cibler les politiques publiques.

M. André Chassaigne (GDR). J’écoutais dans l’exposé les objectifs recherchés. Il s’agissait de favoriser la souveraineté, et je pense notamment à la souveraineté industrielle, d’autant plus que l’oratrice précédente vient de rappeler l’importance de l’industrie manufacturière. Il est important de le rappeler, ainsi que de souligner l’importance du sujet au regard de la transition écologique. On se rend compte qu’en fin de compte, ces entreprises de taille intermédiaire sont dans une situation particulière. Contrairement aux PME qui arrivent souvent à être accompagnées par des agences de développement ou des services économiques de grandes agglomérations ou de conseils régionaux, ces entreprises-là n’ont pas forcément tous les outils pour pouvoir solliciter, en particulier auprès de l’Union européenne, les aides dont elles pourraient bénéficier.

Ainsi, si cela simplifie les choses et si cela donne de la lisibilité, je voterai en faveur de cette proposition de résolution européenne.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Il s’agit justement de simplifier, de donner une visibilité et de cibler un peu mieux les politiques, puisque les ETI sont effectivement prises en tenaille entre les PME et les grandes entreprises, alors que leurs besoins sont tout à fait différents. Si l’on veut parler de compétitivité, il faut mobiliser davantage de moyens pour que les PME se trouvant à la limite puissent sauter le pas vers la catégorie des ETI. Pour ce faire, il faut qu’elles soient accompagnées.

Mme Constance Le Grip (EPR). Au risque de répéter ce qui a déjà été dit, je veux à mon tour dire à quel point les entreprises de taille intermédiaire sont un maillon essentiel dans nos économies européennes. En France, elles regroupent 6 200 structures, emploient 3,5 millions de salariés, ce qui représente 25 % de l’emploi national. Elles jouent un rôle clef dans l’industrie, en concentrant notamment 35 % des emplois du secteur industriel. Elles génèrent 32 % du chiffre d’affaires à l’exportation des entreprises françaises, ce qui est considérable.

À l’échelle européenne, elles représentent 30 % de l’emploi, 21 % du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises de l’Union, où elles sont identifiées, vous l’avez dit, essentiellement sous le terme de mid caps.

Tous ces chiffres montrent bien l’importance très significative de ces entreprises et leur contribution essentielle à la création de richesse, à l’emploi, à l’exportation, à la compétitivité économique, mais aussi à l’innovation et à la transition écologique.

Pourtant, elles sont souvent rendues invisibles au sein des institutions européennes faute d’une définition harmonisée. Elles peinent à bénéficier d’outils réglementaires ainsi que d’un pilotage politique et législatif adapté, et ne se voient pas octroyer d’outils financiers adaptés à leur taille et à leurs besoins. Par exemple, la directive CSRD, imposant la publication d’informations en matière de durabilité, représente des coûts de mise en conformité considérables pour les ETI.

Il nous faut donc examiner avec beaucoup d’attention et de bienveillance cette proposition de résolution européenne qui nous semble une initiative utile, puisqu’elle vise à doter ces entreprises d’une identité statistique européenne propre afin de mieux identifier leur rôle, de le reconnaître et de permettre ainsi la conception, puis le pilotage de politiques publiques adaptées. Nous allons donc voter en faveur de cette proposition de résolution, qui est un premier pas sur le chemin de l’amélioration du cadre légal et réglementaire qui permettra d’aller vers un accompagnement plus ciblé du développement de ces entreprises dynamiques dont nous avons besoin.

Il a beaucoup été fait allusion au Mittlestand allemand, mais il faut également souligner que la capacité d’exportation d’un pays comme l’Italie repose également beaucoup sur les entreprises de taille intermédiaire.

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Il s’agit aussi d’améliorer l’accès de ces entreprises à la commande publique au niveau européen. En France, l’industrie et le bâtiment représentent 40 % des ETI, suivis par le commerce et par les services. Cet accès-là peut donc être assez décisif, surtout pour des entreprises qui sont souvent le fer de lance de l’innovation.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je vous remercie pour cet intéressant rapport qui me rappelle les travaux que nous avons menés dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA), à l’initiative de cette commission. Si nous avons vu sous les catégorisations existantes les données de qualification des États qui fixent la norme de 250 à environ 4 999, c’est un élément important, mais au-delà de cette catégorisation par le nombre de salariés, d’autres données économiques vous semblent pertinentes. J’aurais souhaité que vous puissiez les préciser, notamment l’appartenance à un groupe international, français ou étranger. Il y a également l’appartenance à un secteur économique, par exemple agricole ou financier qui peut être significative au regard de la standardisation que vous évoquez également dans le rapport. Par ailleurs, avons-nous une idée des catégories existantes à l’étranger ?

Globalement, nous ne pouvons que constater l’absence de catégorie statistique concernant les ETI. Le rapport Letta sur l’avenir du marché unique souligne d’ailleurs que la reconnaissance d’une catégorie distincte des grandes entreprises dans la réglementation européenne permettrait l’adoption de standards plus adaptés. C’est un élément prioritaire.

Le rapport Draghi relève quant à lui que les ETI ont été largement absentes de la conception des politiques publiques européennes et des études d’impact. Comme vous le soulignez, la statistique publique influence la manière dont nous posons les problèmes et les réponses que nous y apportons.

Le groupe Socialistes et apparentés partage totalement l’objectif de cette proposition de résolution. En attendant les réponses et les précisions que vous pourrez apporter aux trois questions que j’ai posées, je souhaite également insister sur le levier de la recherche et développement, et sur le fait que les ETI ont des performances comparables à celles des grandes entreprises. Pourriez-vous aussi développer ce point ?

Mme Sabine Thillaye, rapporteure. Une deuxième étape devrait effectivement consister à examiner les ETI par catégorie. Les situations sont effectivement différentes selon qu’elles sont actives dans le commerce, l’industrie ou le BTP, par exemple. C’est un aspect qui devra être étudié au niveau européen pour que nous ayons une statistique la plus fine possible. Cette résolution est une première étape. Les questions que vous posez mériteraient presque qu’un nouveau rapport leur soit consacré afin de pouvoir aller plus loin et de promouvoir une meilleure compétitivité grâce à une lecture plus fine, notamment en matière d’innovation. Au niveau international, des tentatives ont eu lieu mais aucune définition harmonisée n’émerge.

C’est une lacune, mais nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur toutes ces questions. Nous avons travaillé ensemble sur l’Inflation Reduction Act et sur les réponses à y apporter, et la présente résolution est une façon de faciliter l’émergence de ces entités.

L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.

La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.

Mme Sabine Thillaye. Je vous remercie et espère pouvoir poursuivre ces travaux afin d’apporter des réponses plus détaillées à vos interrogations et à la problématique.

 

II.              Création d'une flotte européenne de sauvetage en mer : examen de la proposition de résolution européenne : examen de la proposition de résolution de Mme Elsa FAUCILLON, M. Thomas PORTES et plusieurs de leurs collègues (n° 180) (Mme Elsa FAUCILLON, rapporteure)

M. le vice-président Laurent Mazaury. L’ordre du jour appelle désormais l’examen d’une proposition de résolution européenne (PPRE) relative à la création d’une flotte de sauvetage en mer. Je remercie Mme Elsa Faucillon, rapporteure de cette proposition, de nous avoir rejoints pour nous en présenter le contenu.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission pour présenter cette PPRE. Je ferai miens les mots de l’écrivain Patrick Chamoiseau : « laisser mourir est devenu politiquement rentable car cela laisse penser que l’on s’érige en protecteur contre la mise en relation de nos humanités ». En effet, laisser mourir, c’est bien de cela dont il s’agit lorsque les États européens ferment délibérément les yeux devant les naufrages de plus en plus fréquents et meurtriers en mer Méditerranée. Ceux-ci ont fait plus de trente mille morts, sans qu’aucune action n’ait été entreprise au-delà de discours prétendument vertueux d’indignation. Vous avez tous vu les images choquantes, d’hommes, de femmes, d’enfants, de nourrissons, qui implorent notre aide sur des bateaux de fortune. Chacun ici a vu l’image d’Aylan, gisant sans vie sur une plage de la Méditerranée. Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour éveiller nos consciences et enfin agir ?

Ces hommes, ces femmes, ces enfants n’ont commis aucun crime, si ce n’est celui de rêver d’une vie meilleure, et cela n’en est pas un ! Je le rappelle, le droit international ne reconnaît aucunement le délit de séjour irrégulier en mer.

L’opération Mare Nostrum, financée par l’Italie, a pris fin en 2014. Où se trouve donc la solidarité européenne lorsque certains États membres se trouvent particulièrement exposés à la pression migratoire ? Le coût de l’inaction est bien trop élevé car il se paie en vies humaines. Il est aussi le carburant des idéologues partisans des inégalités naturelles qui voient dans cette désertion de la puissance publique une occasion d’engranger des voix.

La présente proposition de résolution européenne soutient la création d’une flotte européenne de recherche et sauvetage en mer, fondée sur la solidarité des États membres de l’Union, pour mettre fin à cette inaction. Cette proposition est conforme aux mots prononcés par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen le 16 septembre 2020 : « le sauvetage des vies humaines en mer n’est pas optionnel, et les pays qui remplissent leur obligation juridique et morale, ou qui sont plus exposés que les autres, doivent pouvoir compter sur la solidarité de toute l’Union européenne ».

En propos liminaires, je souhaite réfuter deux arguments fallacieux pour justifier l’inaction : l’absence explicite de compétence de l’Union européenne en matière de sauvetage en mer ainsi que la théorie abjecte dite de l’« appel d’air ».

Après avoir mené de nombreuses auditions, tant pour l’élaboration de cette PPRE avec Thomas Portes, que pour la rédaction du présent rapport, j’ai acquis l’entière conviction, confirmée par l’eurodéputée Fabienne Keller, auteure d’une résolution transpartisane, votée par le Parlement européen, le 13 juillet 2023, sur le même sujet, qu’une véritable volonté politique suffit pour fonder la base juridique de notre action. Cette base juridique nous l’avons trouvée dans plusieurs articles du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) dont les articles 67 ou 80.

Quant à la théorie de l’ « appel d’air », plusieurs études scientifiques, référencées en annexe du rapport, démontrent son inexactitude. À titre d’exemple, le nombre de traversées périlleuses de la mer Méditerranée, sur des embarcations de fortune, n’a pas diminué avec la fin de l’opération Mare Nostrum. L’arrêt de Mare Nostrum s’est traduit, uniquement, par une diminution du nombre de vies sauvées, pour le dire autrement, par des morts supplémentaires. On peut faire un constat similaire lors de la fermeture des frontières et l’arrêt des opérations de sauvetage dues à la pandémie de Covid-19. Les seuls et uniques déterminants d’une traversée sont le désespoir ou la fenêtre météorologique.

Face à la pression migratoire à laquelle certains États membres sont confrontés, notamment l’Italie et la Grèce, la réponse apportée ne peut pas être une opération financée par ces seuls États membres, sur le modèle de Mare Nostrum, au risque de les laisser seuls face à leurs difficultés. La solution repose sur la création d’une flotte européenne de recherche et de sauvetage en mer financée par l’Union européenne, sur un fondement simple, celui de la solidarité. C’est tout l’objet de cette PPRE.

Alors que l’ensemble de la mer Méditerranée est couvert par une zone de recherche et de sauvegarde en mer (SRR), le nombre de victimes ne décroît pas. Il nous a fallu chercher les raisons de cet échec collectif pour proposer une solution humanitaire pérenne qui repose sur les principes et valeurs de l’Union européenne.

Le droit international régit le régime juridique applicable au sauvetage en mer, lequel relève de la souveraineté des États. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée, à Montego Bay, en 1982, divise la mer en trois espaces distincts : les eaux territoriales, les zones économiques exclusives, et les eaux internationales dans lesquelles les pouvoirs de police des États diffèrent. La haute-mer connaît un régime de liberté absolue, contrairement aux eaux territoriales soumises à la pleine souveraineté des États côtiers. Deux autres conventions précisent les conditions dans lesquelles s’applique l’obligation de secours relevant des États : la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer de 1974 (convention dite Solas) et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime de 1979 (convention SAR ou SRR). Cette dernière découpe la mer en zones SRR, à savoir des espaces géographiques maritimes de recherche et de sauvetage au sein desquels l’État côtier a la responsabilité de la coordination des opérations de secours dans les eaux territoriales et internationales adjacentes.

L’obligation de sauvetage en mer repose donc sur la souveraineté des États, soit au titre de la loi du pavillon, tout capitaine de navire, donc tout État dont le navire porte le pavillon, a un devoir d’assistance et doit porter secours à toute personne en détresse en mer, soit au titre des responsabilités de l’État côtier. Cette obligation s’exerce sans discrimination et ne cesse qu’une fois la personne secourue débarquée en lieu sûr. Selon la définition adoptée par le Comité sur la sécurité maritime, le lieu sûr s’entend comme un endroit où les besoins vitaux des étrangers sont garantis (abri, nourriture, accès aux soins), et dans lequel ils pourront exercer leurs droits, notamment par le dépôt d’une demande d’asile. À ce titre, le territoire libyen ne peut pas être considéré comme étant un lieu sûr.

Toutefois, cette obligation n’est en rien absolue : elle cesse si l’opération de sauvetage a pour conséquence de mettre le navire portant secours en péril mortel. Aussi, la coordination des opérations de secours, tout comme la rapidité de l’alerte, sont des éléments cruciaux pour éviter tout naufrage en mer.

Les raisons de l’échec des opérations de sauvetage et de recherche en mer sont multiples, dues parfois à un manque de volonté, elles résultent surtout de l’absence de coopération entre États, de la délégation grandissante du sauvetage à des organisations non gouvernementales (ONG) ou de la mise en cause à plusieurs reprises de la gestion de ces opérations par l’Agence de gestion des frontières, Frontex.

L’absence de coopération entre États, notamment dans les zones SRR libyenne et maltaise, est un premier facteur explicatif.

Malte n’a pas secouru d’embarcations dans sa zone SRR depuis deux ans et demi, et a refusé d’adopter les amendements à la convention SRR imposant à un État coordonnant les opérations de SRR de prendre en charge les naufragés.

Quant à la Libye, en tant qu’État failli, les opérations de coordination dont elle a la responsabilité demeurent lettres mortes alors même que l’Union européenne et l’Italie ont soutenu, financièrement, en 2018, à hauteur de quarante-six millions d’euros, la création de la zone SRR libyenne. Des témoignages, suffisamment nombreux, font état de tirs de kalachnikovs des garde-côtes libyens sur des bateaux affrétés par des ONG.

On assiste à un double mouvement : délégation progressive de la responsabilité des opérations de sauvetage en mer à des ONG - je ne parle pas uniquement de délégation morale mais également de délégation politique - et multiplication des tentatives d’entrave à leur égard pour les empêcher d’effectuer leurs missions. Je pense en particulier à SOS Méditerranée que j’ai auditionnée. Sur les vingt-un navires d’ONG opérant en mer Méditerranée, seuls quelques-uns sont opérationnels toute l’année.

À titre d’exemple, en Italie, le décret-loi dit Piantedosi interdisant les sauvetages en mer successifs, entrave la navigation des navires par la désignation de ports de débarquement très éloignés du lieu de sauvetage. En 2023, seize rétentions administratives ont été dénombrées pour trois cent vingt jours cumulés. Sans rentrer dans un chiffrage macabre, durant ces trois cent vingt jours, combien de bateaux, de navires en moins sur ces zones et donc de morts en plus ?

Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, a pour principale mission la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne sans avoir une compétence autonome en matière de sauvetage en mer, son rôle consistant seulement à faciliter le déploiement de moyens opérationnels et assurer une meilleure coordination entre États membres et pays tiers au sein des centres nationaux de coordination.

Actuellement, trois opérations conjointes de Frontex sont déployées en mer Méditerranée : Indalo, Themis et Poséidon sans que les résultats ne semblent véritablement probants.

L’Agence a été très gravement mise en cause par un rapport de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) établi en 2022. Ce rapport n’a été rendu public que par la presse, je dirais malheureusement, car les faits relatés sont extrêmement graves. L’agence aurait omis de signaler, à plusieurs reprises, des refoulements de migrants dans les eaux grecques, d’avoir sciemment quitté une zone de la mer Égée pour ne pas être témoin d’un accident en cours, d’avoir failli plusieurs fois à sa mission mais également d’avoir délibérément exclu les officiers des droits fondamentaux des opérations de sauvetage entreprises.

Si le changement de gouvernance de Frontex s’est traduit récemment par des contacts plus réguliers avec les ONG opérant en mer Méditerranée concernant la position de détresse de navires, je reste réservée – plus encore après les avoir auditionnés – sur l’entière volonté collaborative de l’Agence. Celle-ci pourrait pourtant être renforcée : l’article 46 de son règlement, jamais mis en application, autorise un refus de collaboration avec un État membre ne respectant pas les droits fondamentaux.

Une fois les causes de cet échec collectif identifiées, il nous importe de porter une ambition forte : la mer Méditerranée doit être sanctuarisée comme un espace humanitaire à part entière. La création d’une flotte de solidarité est, je crois, une réponse ambitieuse. Je précise tout de même, et cela figure dans la proposition de résolution, qu’une flotte européenne est un devoir de solidarité mais aussi un devoir humanitaire.

Toutefois, la question des traversées dangereuses ne peut être réglée que par l’instauration de voies de passages légales, sûres, mieux à même de protéger les personnes qui continueront à tenter de traverser les murs que nous érigeons. La création d’une flotte européenne de sauvetage en mer Méditerranée permet d’assumer nos responsabilités en Europe. Cette flotte serait financée par les contributions de tous les États membres, avec un soutien logistique et financier de l’Union européenne. La création d’une flotte européenne de solidarité est la première action que nous pouvons porter pour mettre fin à ce scandale humanitaire qui salit tant nos consciences humanistes que républicaines.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Merci pour tous les éléments humains que ce rapport met en perspective ainsi que tous les déploiements qu’il préconise pour améliorer la situation. Je donne la parole aux orateurs de groupe.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Depuis plus d’une décennie, les drames en mer Méditerranée sont devenus le symbole tragique des crises migratoires. La mer Méditerranée est la route migratoire la plus dangereuse du monde. Des milliers de personnes fuient les conflits, les persécutions ou la misère, au péril de leurs vies, dans l’espoir de trouver refuge en Europe. Pourtant, malgré l’urgence humanitaire et les appels répétés à la coopération, les réponses restent insuffisantes, fragmentées et marquées par un désaccord profond entre les États de l’Union européenne. Si nous partageons l’objectif de sauver des vies et de mettre en place une coopération européenne, nous devons également nous assurer que les solutions avancées sont réalistes, juridiquement solides et respectueuses des compétences des États membres. Or ce texte, bien que guidé par des intentions louables, souffre d’importantes lacunes pour le groupe Démocrate. Tout d’abord, il repose sur une ambiguïté fondamentale concernant les compétences de l’Union européenne en matière de sauvetage en mer. Le droit international, en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, ainsi que la Convention SRR de 1979, attribuent clairement aux États la responsabilité principale des opérations de recherches et de sauvetage. L’Union, pour sa part, n’a ni compétence exclusive, ni flotte autonome pour intervenir dans ce domaine. Toute tentative de créer une flotte de sauvetage européenne impliquerait un transfert de souveraineté nécessitant l’unanimité des États membres. De plus, l'Union européenne s’est jusqu’à présent concentrée sur la sécurisation des frontières via l’agence Frontex dont le mandat et les ressources reflètent cette priorité. Repenser son mandat nécessiterait non seulement des moyens financiers supplémentaires mais aussi un consensus politique pour le moment inexistant. Les divergences entre États membres réclamant davantage de solidarité et ceux refusant tout assouplissement de la politique migratoire rendent ces réformes irréalisables à court terme. Le groupe Démocrate considère que ce texte repose sur des bases politiques et juridiques inadaptées qui risquent d’aggraver la situation. Néanmoins, une autre voie existe, celle des coopérations européennes renforcées pour apporter une réponse à une situation humanitaire préoccupante.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Vous constatez l’urgence humanitaire : elle est bien entendu réelle. Face à cette urgence, ne restons pas dans le déni et faisons preuve de volonté politique. Le débat se situe essentiellement sur ce point. Les arguments juridiques ne sont souvent qu’un moyen pratique pour empêcher la volonté politique, qui manque dans de nombreux pays européens, de s’exprimer. Je présente une proposition de résolution européenne pour demander à la France de s’engager, pour demander aux parlementaires français présents dans cette commission d’affirmer leur volonté politique. Je reprends les mots prononcés par Fabienne Keller, lors de son audition, sachant qu’elle et moi ne partageons pas les mêmes convictions politiques, « lorsque la volonté politique existe, les bases juridiques se trouvent ». Je vous demande donc d’affirmer votre volonté politique pour répondre à cette urgence humanitaire.

Mme Isabelle Rauch (HOR). S’il est de la responsabilité partagée de l’Union européenne et des États du Maghreb de renforcer leur coopération en matière migratoire afin de réduire les flux et de secourir ceux qui sont en péril en mer, il en va aussi de la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas laisser des ONG assurer, seules, la sécurité en mer, sans cadre juridique précis. La position de la France et celle de l’Union européenne doivent être concentrées sur trois priorités.

La première concerne la coopération au niveau européen pour la gestion de notre politique d’accueil. À cet égard, le Pacte européen pour la migration et l’asile est une mesure importante, tout comme les actes européens associés permettant la mise en place de procédures d’asile et de filtrages aux frontières extérieures de l’Union.

L’Union européenne doit ensuite lutter avec fermeté contre les réseaux criminels de passeurs, en totale collaboration avec les juridictions internationales, qui enquêtent sur les crimes commis afin de déterminer s’ils doivent être qualifiés de crimes contre l’humanité.

Enfin, la France et l’Union européenne doivent agir diplomatiquement avec les pays d’origine des migrants pour identifier à la source les réseaux de passeurs et les combattre. Nous devons utiliser l’ensemble des leviers disponibles pour nous assurer de la coopération des pays tiers en matière migratoire.

Rien de tout cela n’est présent dans cette proposition de résolution européenne : pas un mot sur la lutte contre les réseaux criminels et les passeurs ou sur la coopération avec les pays d’origine des migrants. Cette résolution propose, à l’inverse, de créer une flotte européenne de sauvetage en mer : nous n’estimons pas cette idée pertinente car cela entre en contradiction avec les principes de subsidiarité et de souveraineté des États membres. La recherche et le sauvetage en mer sont une compétence exclusive des États : leur soustraire cette faculté soulèverait des questions juridiques. Le groupe Horizons et Indépendants ne partageant pas les idées de cette proposition de résolution européenne votera contre son adoption.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Concernant la politique migratoire, j’aurai, à titre personnel, un certain nombre de propositions à faire. Toutefois, j’ai fait le choix de ne traiter dans cette PPRE que l’urgence humanitaire et la réponse fondée sur la solidarité à y apporter. Je souhaite donc que ces deux questions soient décorrélées même si d’habitude je ne le fais pas.

Concernant le rôle des passeurs dans les traversées, plusieurs enquêtes sont en cours. La véritable question se trouve dans la relation que les États occidentaux entretiennent avec les États du Sud : tant qu’une asymétrie aussi importante entre le Nord et le Sud existera, tant que certains pays occidentaux continueront à provoquer des crises, des famines, des guerres, les personnes en provenance des pays tiers continueront à migrer et à aspirer à une vie meilleure. Quels que soient les endroits du monde où nous avons érigé des murs, des barbelés, où les mers sont des frontières, les gens traversent : il est évident que des criminels profitent de ces situations.

Les garde-côtes libyens sont, eux aussi, accusés de crimes contre l’humanité et pourtant certains pays européens continuent de subventionner des États dans lesquels les droits de l’homme ne sont pas garantis. Les États membres de l’Union européenne n’ont tiré aucune conclusion de ces politiques de financement et d’externalisation de la gestion des frontières : c’est regrettable. Le Pacte asile et migration fait fi de la situation humanitaire tragique en Méditerranée : il ne prévoit pas de mesures pour mettre en œuvre notre devoir de solidarité dans le domaine du sauvetage en mer envers celles et ceux qui tentent de rejoindre l’Europe.

M. André Chassaigne (GDR). Je commencerai par les mots du marin Antoine Laurent dans son journal de bord de l’Aquarius, précieux ouvrage qui donne à voir les visages, les mots de ceux qui traversent la mer Méditerranée au péril de leurs vies.

« Nous réussissons finalement à prendre calmement une quinzaine de personnes à bord pour faire une première navette vers l’Aquarius. Un nourrisson de quatre mois repose entre les jambes de sa mère, il vomit, les yeux figés vers le plancher. Personne ne les suit. À quoi bon ? Elle, pleure, les paupières fermées, la bouche crispée, la tête aimantée vers le sol, comme essayant de remonter du vide dans lequel elle se sent chuter. Aucune des femmes ne parle, leurs regards sont creux, vidés de toute humanité. J’ai la sensation qu’en les extirpant de ce radeau nous brisons les chaînes qui les lient à l’horreur ».

Voilà ce que vivent les naufragés ! Voilà ce à quoi font face les ONG de sauvetage en mer à qui nous devons aujourd’hui rendre hommage ! Nous avons dépassé les 30 000 morts en Méditerranée : il est grand temps d’agir. L’Europe, eu égard aux valeurs de solidarité sur lesquelles elle repose, ne peut rester passive face à notre mer commune qui se transforme peu à peu en cimetière.

Cette inertie des États européens porte atteinte au droit international maritime, qui encadre le devoir d’assistance et l’inconditionnalité du secours des personnes en détresse en mer. En effet, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982) établit l’obligation de prêter assistance, obligation renforcée par la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (1974) et la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime (1979). L’obligation de secourir s’applique à toute personne se trouvant en situation de détresse en mer, indépendamment de sa nationalité, de son statut ou des circonstances dans lesquelles elle est trouvée.

Depuis la fin de l’opération Mare Nostrum, en octobre 2014, aucune action n’a été menée par les États dans le domaine de la recherche et du sauvetage en Méditerranée centrale.

La Méditerranée, au vu du drame humain qui s’y déroule, devrait être considérée comme un espace humanitaire au cœur duquel une flotte européenne sauverait les personnes en détresse. C’est le sens de cette proposition de résolution européenne que nous soutenons bien évidemment.

Je répondrai à certains de mes collègues, qui estiment que le sauvetage en mer est une compétence des États membres et non de l’Union européenne, et qui soutiennent donc une politique « de la patate chaude » : l’objectif d’une proposition de résolution européenne est justement de faire en sorte – et cela a été fait de multiples fois – que l’Union européenne se saisisse de sujets tels que celui-ci. Il y a urgence, c’est une question d’humanité et de dignité.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Les mots d’Antoine Laurent, que j’ai auditionné dans le cade de l’élaboration de cette proposition de résolution européenne, permettent de comprendre la dimension humanitaire de ces enjeux.

Concernant l’obligation de porter secours, que vous avez rappelé, je suis toujours frappée par le fait que notre pays, avec une si grande surface maritime, soit si peu imprégné de la grandeur du droit maritime international. Ce droit est pourtant fondé sur des valeurs qui rejoignent et se recoupent particulièrement avec notre devise républicaine.

Je vous remercie d’avoir souligné le travail des ONG. Au-delà du fait de porter secours à des personnes en détresse, elles exercent également un autre travail à la fois essentiel et terrible. Lorsqu’elles arrivent sur des zones de sauvetage, parfois il est trop tard et les personnes sont déjà décédées : elles s’occupent alors de recueillir leurs corps pour les identifier et pour que les familles puissent leur offrir une sépulture. Ces ONG travaillent avec des associations qui aident à l’organisation des funérailles en mettant le principe de respect de la dignité de la personne au cœur de leurs actions. C’est pourquoi entendre que des discours politiques criminalisent ces ONG ou qu’elles se trouvent techniquement entravées par certains États me met véritablement en colère !

Mme Sylvie Josserand (RN). Cette proposition de résolution européenne interroge en premier lieu sur la légitimité du comité sur la sécurité maritime. Ce comité est désigné dans votre rapport, comme un organe de référence pour définir les « critères d’élaboration de la norme ». La composition de ce comité n’est pas connue, ni le fondement juridique sur lequel il repose. S’agit-il du droit de l’Union européenne ou bien du droit international ?

Par ailleurs, la définition donnée par ce comité de la notion de port sûr mélange des considérations liées à la navigation maritime avec des concepts propres au droit d’asile et à la protection internationale. Il ressort de cette confusion que les naufragés sont nécessairement des demandeurs d’asile, d’où l’idée de favoriser les filières d’immigration.

Mes interrogations concernent également le coût, le financement de la flotte européenne de sauvetage en mer, ainsi que l’organisation et la mise en œuvre des secours en mer qui ne relèvent pas – je le rappelle – de compétences transférées à l’Union européenne. Le droit de la mer confère cette prérogative aux seuls États. Le transfert d’une compétence nationale à l’Union européenne apparaît en totale contradiction avec le souhait des peuples européens d’arrêter les transferts de compétence, notamment en matière de politique migratoire.

Par ailleurs, cette initiative européenne s’ajouterait au millefeuille complexe des agences et autorités nationales impliquées dans le sauvetage en mer avec pour conséquence de risquer d’affaiblir la réactivité des flottes et ralentir l’organisation des secours.

Il est inexact de soutenir que les États ne se préoccuperaient pas de sauvetage en mer. Frontex, agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, apporte régulièrement son concours opérationnel aux États membres, principalement en Italie, en Espagne et en Grèce. Pour la seule année 2023, 43 000 personnes ont été sauvées au cours de 24 opérations.

Enfin, le gouvernement français et les institutions de l’Union européenne doivent se garder de toute initiative susceptible de créer un effet d’attraction et favoriser l’exploitation de la misère humaine par des passeurs. Je rappelle, qu’en 1981, Georges Marchais, secrétaire général du Parti communiste, déclarait : « il faut stopper l’immigration officielle et clandestine ». Il faut donc distinguer les drames humains et le destin des deux continents. Favoriser l’immigration ne permettra pas d’arrêter les drames humains.

Le Rassemblement national votera contre cette proposition de résolution.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je rappelle les propos énoncés dans mon intervention et dans le rapport : les bases juridiques existent. Certains s’évertuent évidemment à les contester ou à ne pas vouloir les trouver en préférant défendre idéologiquement une théorie comme celle de l’appel d’air, alors même que toutes les études sérieuses démontrent que cette théorie n’existe pas.

On a rappelé les bases juridiques existantes dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) pour permettre la création d’une flotte européenne de sauvetage en mer.

À la fin de votre intervention vous parlez de Frontex, j’en comprends bien les raisons. Pour rappel, la raison d’être de Frontex n’est en rien le sauvetage en mer, mais la gestion des frontières externes, ils n’ont d’ailleurs pas de navires dédiés à cela. Concernant le naufrage de l’Adriana, Frontex a visiblement tardé à prévenir les secours avec pour conséquence la mort par noyade de 600 personnes.

Je ne vois pas bien comment Frontex pourrait être missionnée à cet effet, après avoir été gravement mise en cause à plusieurs reprises, dans plusieurs enquêtes, pour manque de diligence envers les autorités chargées de porter secours, son directeur préférant démissionner pour ne pas risquer une sanction consécutive aux enquêtes en cours. Toutefois, il a trouvé un point de chute en tant que candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national. Sa situation est maintenant plus tranquille alors même qu’il est accusé de fait extrêmement graves dans le rapport d’enquête de l’OLAF, agence de l’Union européenne.

Je comprends vos questions : il faut toujours avoir des questions précises sur les bases juridiques. Fabienne Keller a été confrontée aux mêmes interrogations quand elle a présenté sa proposition de résolution européenne. Le Parlement européen l’a votée, le 13 juillet 2023, estimant que les bases juridiques existaient pour permettre à cette résolution de faire son chemin.

Je vois surtout une forme de déni à répondre à l’urgence humanitaire, à la nécessité de porter secours à ces personnes, ou tout au moins une volonté de ne pas le faire.

M. le vice-président, Laurent Mazaury. Je vous accorde un droit de relance, très court, car il est normalement inclus dans les deux minutes trente. 

Mme Sylvie Josserand (RN). J’observe que vous ne pouvez pas me donner les bases juridiques permettant la création de cette flotte.

Concernant Frontex je n’ai pas affirmé que la mission de l’agence était de porter secours aux naufragés mais d’apporter un concours opérationnel aux garde-côtes des États membres. Je différencie les garde-frontières des garde-côtes.

Concernant les accusations portées contre Monsieur Leggeri, nous trouvons votre argument ation un peu vile. Il ressort des enquêtes faisant suite à de pseudo plaintes instrumentalisées que Fabrice Leggeri n’a fait que son travail.

M. le vice-président, Laurent Mazaury. Une réponse rapide, Madame la rapporteure.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je cite à nouveau les articles 67 et 80 du TFUE comme bases juridiques possibles pour la création d’une flotte de sauvetage européenne. Je rappelle concernant Frontex que, bien sûr, comme toute personne devant porter secours et assistance, l’agence doit prévenir les autorités de l’État côtier lorsqu’elle perçoit des signes de détresse. Or, à plusieurs reprises, l’agence n’a pas signalé ces situations de détresse conduisant à des drames humains. Pensons à l’Adriana, 600 personnes naufragées, madame la députée, 600 ! Et lorsque les autorités responsables sont prévenues, si ce sont les garde-côtes libyens, ils ne répondent pas, ce qui accroît le nombre de morts.

M. Didier Le Gac (EPR). Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre commission pour l’examen de cette PPRE. Madame la rapporteure, chère collègue, s’il y a un alinéa de votre proposition de résolution avec lequel je suis en accord, c’est le dixième, celui qui précise que la mer Méditerranée est la voie migratoire la plus mortelle, près de 30 000 êtres humains ayant déjà trouvé la mort.

Ces morts, en Méditerranée ou, plus près de chez moi, dans la Manche, comme vous, je ne m’y résignerai jamais. Toutefois, il est inexact d’affirmer que les États ne font rien ou détournent les yeux : c’est un point de désaccord entre nous. En premier lieu, comme vous le rappelez, les États sont soumis à de multiples conventions internationales, notamment celles de 1974, 1982, et surtout celle de 1979, qui impliquent une responsabilité des États côtiers au-delà de leurs eaux territoriales.

Deuxièmement, ce corps européen de secours et de sauvetage en mer, que, par cette PPRE, vous appelez de vos vœux, il existe déjà, il a un nom : l’agence Frontex, agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dont le fonctionnement doit être amélioré, je vous le concède. Des dysfonctionnements, des carences ont été établis, en particulier par le rapport établi, en 2023, par la Médiatrice Européenne. Néanmoins, le rôle de Frontex doit être renforcé pour le sauvetage en mer comme l’affirme la proposition de résolution transpartisane, votée par le Parlement européen, notamment par votre groupe, le 13 juillet 2023.

Vous citez Ursula von der Leyen. En juillet 2024, elle a proposé de tripler le nombre d’agents de Frontex pour atteindre 30 000 garde-frontières et garde-côtes, donc vous voyez bien un point de convergence.

La résolution européenne souligne également les dérives du centre de coordination et de sauvetage en Libye, car – comme vous le savez – la Méditerranée inclut naturellement des zones de « Search And Rescue » marocaine, algérienne, tunisienne, libyenne. Il faut développer les partenariats avec ces pays tiers afin qu’ils prennent également leur part dans l’aide et les sauvetages en mer.

Votre proposition de résolution poserait de nombreuses difficultés, notamment en matière de souveraineté, là réside son point faible. Au nom de la souveraineté certains États européens pourraient justement refuser de la mettre en place et de la financer.

Plus largement, il faut lutter contre la corruption endémique dans certains pays tiers qui alimente les passages frauduleux en mer.

Si je comprends parfaitement le sens de votre démarche, le peu de chance pour cette PPRE de trouver une issue favorable m’amène à donner au nom de notre groupe un avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Lorsque nous avons auditionné Frontex, les agents ont admis que le sauvetage en mer ne faisait pas partie de leur mission. Leur mission consiste à scruter les mers, surveiller les frontières avec l’obligation de signaler tout signe de détresse. Or, faute de savoir-faire, d’outils ou de ressources adéquates, les agents ne peuvent pas conduire des missions de sauvetage en mer. Je m'étonne que les différentes enquêtes menées par les autorités n’aient pas donné de résultat concret. Il y a certes eu un changement de gouvernance, la création d’un poste d’officier des droits fondamentaux sans que l’on puisse constater de changements sensibles. Le pacte Asile et Migration ne s'est pas non plus donné pour objectif de transformer Frontex en agence de sauvetage en mer. Votre propos est paradoxal, si vous envisagez de confier à Frontex une mission de sauvetage en mer, cela signifie bien qu’une base juridique permettant de doter l’Union européenne de telles compétences existe. Vous soutenez également que les États membres agissent, or le nombre de morts n’a pas diminué preuve de l’insuffisance de leur action. Ma proposition rappelle notre responsabilité humanitaire, et que nous ne pouvons pas laisser seuls les États subissant la plus forte pression migratoire, car comme nous pouvons le constater, les conséquences politiques en sont dévastatrices.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Tout d'abord, je vous remercie au nom du groupe la France insoumise, de soutenir la question du sauvetage en mer et celle des exilés, à laquelle je suis moi-même particulièrement attaché. Dans le souci d’éviter un engorgement en commission, je mets provisoirement de côté la PPRE du groupe LFI-NFP, concernant la création d’une opération Mare Nostrum II, avec l’espoir de pouvoir amender celle-ci.

Le sujet de la protection des migrants en mer, essentiel, est crucial car il interroge notre humanité profonde. La question posée est finalement assez simple : des êtres humains, désespérés, prennent des risques immenses, au péril de leur vie, pour traverser la Méditerranée ou la Manche, devons-nous les abandonner à leur sort ou bien tout faire pour les sauver ?

La réponse apportée par le groupe la France insoumise est évidemment de tout faire pour sauver ces vies, quoi qu'il en coûte. La France, septième puissance économique et militaire mondiale, peut et doit mettre ses navires au service du sauvetage des exilés en mer. Non seulement la France le doit mais l’Europe le doit également. Nous ne devons pas seulement nous lamenter quand un naufrage survient mais conduire une politique publique permettant de sauver des gens. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OMI), depuis l’an 2000, plus de 50 000 exilés sont morts en mer Méditerranée : ces chiffres sont insupportables.

Cette proposition de résolution vise à créer un corps européen de sauvetage en mer : nous y sommes favorables. Toutefois, le désastre humain actuel appelle des réponses immédiates, comme l’a fait l’Italie, entre octobre 2013 et octobre 2014, en initiant unilatéralement l'opération de sauvetage Mare Nostrum. Nous appelons le gouvernement français à mener une opération Mare Nostrum II. Nous ne pouvons laisser la responsabilité de ce devoir humanitaire aux seules ONG.

Nous ne mettrons définitivement fin à ces drames humains, ni par la répression, ni par la criminalisation des ONG, ni par l’installation de barbelés, ni par la militarisation des frontières, mais en faisant cesser les conditions qui contraignent les exilés à quitter leurs pays. Cela adviendra lorsque l'ordre international actuel injuste sera réformé, que nous cesserons de signer des accords commerciaux déséquilibrés, des accords de libre-échange ruinant les économies des pays du Sud, que l'impérialisme cessera de plonger des pays dans la guerre et que nous aurons pris au sérieux la crise écologique obligeant des centaines de millions de personnes à prendre le chemin de l’exil.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Merci pour votre intervention, pour votre engagement que je connais sur le sujet et pour les améliorations proposées au texte par vos amendements.

Sur la question de l'urgence, je vous rejoins. Si la France prenait tout de suite un engagement concret sur la question du sauvetage, elle serait davantage en mesure de défendre cette solidarité européenne. Or la France ne finance pas les ONG françaises qui œuvrent en Méditerranée. Il faudrait peut-être commencer par-là : SOS Méditerranée possède un budget de 24 millions d’euros, dont 95 % proviennent de dons privés, le reste émanant de collectivités locales. L’association a régulièrement rencontré les autorités françaises sans jamais recevoir de financements publics. Il serait peut-être utile de traiter cet aspect de la question lors d’un prochain projet loi de finances. Il est crucial que les ONG reçoivent un soutien financier de l’État.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Je voudrais vous remercier Madame la rapporteure d’être à l’initiative de cette proposition de résolution dont l'actualité récente démontre toute l'importance. La mer Méditerranée est un cimetière marin à ciel ouvert. Les naufrages sont de plus en plus nombreux et meurtriers. Nous sommes nous aussi comptables devant nos enfants de cette situation.

En Manche, l'année 2024 aura été une année particulièrement meurtrière. Face à ce terrible constat, les mots ne suffisent plus. Il est impératif que les États européens et la France reprennent l'initiative en matière de recherches et de sauvetage en mer. En liant le sauvetage des personnes en détresse aux politiques migratoires, l'Union européenne ne peut apporter que de mauvaises réponses. Seule une approche commune et coordonnée à l'échelle européenne permet d'apporter une réponse efficace.

Je souhaite rappeler deux points essentiels. Tout d’abord, nos États doivent respecter le droit international. L'activité de sauvetage en mer de SOS Méditerranée est bien une action internationale à caractère humanitaire et non une action de nature politique. Comme l’a rappelé le Conseil d'État, les actions de SOS Méditerranée sont menées en conformité avec les principes du droit maritime international, qui prévoit l'obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer, et de les débarquer dans un lieu sûr, dans un délai raisonnable, quels que soient leur statut et leur nationalité. Les ONG de secours en mer ne doivent en aucune manière être stigmatisées, comme certains le font dans cette commission. L’activité de ces ONG s’est développée en réponse à l'inertie ou à l’inaction de certains États, à leur manque de coopération ainsi qu’à leur incapacité à prendre les mesures nécessaires pour éviter de tels drames.

Ensuite, il faut mettre fin à l'externalisation de nos politiques migratoires car elle nous rend complice des violations des droits humains. À cet égard, l'exemple libyen est criant. La Méditerranée, de même que les autres théâtres maritimes de crises, doivent être reconnus comme des espaces humanitaires dans lesquels une mission de recherche et de sauvetage doit être déployée sans délai. Madame la rapporteure, vous avez également rappelé la nécessité de se doter de tous les moyens nécessaires pour identifier les noyés dont les corps sont retrouvés. Le groupe Socialiste et apparentés votera cette proposition de résolution. Nous vous félicitons pour ce travail très complet.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Vous avez souligné, chère collègue, le défaut de coordination entre les différents États. Selon moi, il est dû à une déresponsabilisation et à un manque de volonté politique. Il en résulte des échecs dramatiques, avec des centaines et des milliers de vies perdues.

Vous avez été nombreux à évoquer la question des pays qui ne garantissent pas le respect des droits humains. Je pense notamment à la Lybie, où des garde-côtes ont été identifiés comme participant à des milices, parfois en contact avec le groupe Wagner. Encore hier, alors que l’Ocean Viking venait de secourir quarante-huit personnes, les garde-côtes se sont approchés pour effectuer des manœuvres dangereuses. Alors, lorsque j’entends que nous pourrions venir à bout de ces drames en nous appuyant sur Frontex ou en travaillant en coordination avec des garde-côtes libyens, je ne sais quoi dire, hormis que ceux qui font de telles propositions devraient avoir honte.

M. Charles Fournier (EcoS). Je remercie Mme la rapporteure pour sa proposition de résolution européenne et, plus généralement, pour le travail sans relâche qu’elle mène afin d’attirer l’attention sur ces questions, trop souvent reléguées dans l’actualité. Les morts s’accumulent dans une forme de banalisation insupportable, et vous faites partie de ceux qui se battent pour nous obliger à tourner le regard.

Frontex a célébré cette année ses vingt ans d’existence. Cette longévité contraste fortement avec l’absence de régularité, d’engagement, de volonté politique, et de moyens pour répondre à la problématique du sauvetage en mer. Les chiffres ont été rappelés : plus de 30 000 personnes sont mortes en traversant la Méditerranée, sans même parler de ce qui arrive dans d’autres espaces maritimes, notamment dans la Manche.

Les preuves contre Frontex se multiplient, et elles sont accablantes. Certains ont pris la défense de Fabrice Leggeri, mais je rappelle qu’il est visé par une plainte pour crime contre l’humanité et torture ! Il ne s’agit pas seulement d’une implication lointaine, mais d’homicides, de violences volontaires, de mises en danger délibérées, d’entraves à l’arrivée des secours. C’est la justice qui en décidera in fine. Ces faits sont cependant bien documentés dans le rapport de l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf), dont certains éléments importants ont filtré bien qu’il soit confidentiel – il faudrait d’ailleurs le rendre public pour que chacun puisse prendre la mesure de ce qui s’est passé.

Comme vous l’avez rappelé, les trois conventions qui définissent le droit de la mer imposent de prêter assistance aux personnes en détresse. En dépit de cette obligation, l’inaction des États prévaut et les moyens dédiés à l’opération Mare natrum, qui visait à sauver des vies en mer, ont été fortement réduits. La meilleure réponse, celle que vous proposez, serait de décorréler le sauvetage en mer des missions de Frontex – il faudrait d’ailleurs profondément repenser l’agence, mais c’est un autre sujet – et d’y consacrer les moyens nécessaires.

Les arguments juridiques invoqués pour ne pas agir ne sont que des prétextes. Quand nous le voulons, nous arrivons à surmonter les limites, à faire face à des situations inattendues – la crise due au Covid-19 a bien montré que nous étions capables de dépasser des cadres contraignants. Si nous souhaitons sauver des vies humaines, il nous faut porter la résolution européenne que vous proposez, et inviter les États membres à organiser ensemble le sauvetage en mer.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je suis heureuse de vous compter parmi les députés engagés sur la question du sauvetage en mer et de la solidarité, et j’espère que nous serons de plus en plus nombreux. Comme j’ai parfois l’impression que le nombre de morts ne suffit pas à convaincre, je vais parler du nombre de vies sauvées. Grâce à Mare nostrum, 150 000 vies ont été sauvées en un an. Cela démontre bien l’utilité des opérations de sauvetage, lorsqu’elles sont coordonnées, qu’elles disposent de moyens suffisants, et qu’elles émanent d’une volonté politique forte. Le nombre de 30 000 morts depuis 1990 est d’ailleurs largement sous-estimé, puisqu’il ne tient pas compte des personnes qui n’ont jamais été retrouvées. Je salue le travail que mènent les ONG pour garantir la dignité des personnes jusqu’au bout, même après leur décès.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2021, une embarcation a fait naufrage dans la Manche et vingt-sept personnes sont décédées. Elles avaient appelé à l’aide à plus de quinze reprises mais les secours les ont ignorées. Une plainte a été déposée et l’enquête en cours a déjà mis en lumière de nombreux manquements : sept militaires et onze passeurs devront donc être jugés.

Selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 67 000 personnes sont mortes ou ont disparu sur les routes migratoires entre 2014 et 2024. Ces décès sont la conséquence directe de l’Europe forteresse et de ses politiques répressives en matière de migration et d’asile, qui vont à l’encontre de plusieurs conventions internationales. Certains pays déploient ainsi différentes tactiques d’épuisement des ONG, comme l’Italie que vous évoquiez, et vont même jusqu’à mettre en danger des embarcations, comme en est accusée la Grèce.

L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, qui dispose de l’un des budgets les plus importants de l’Union européenne – celui-ci atteindra près d’un milliard d’euros en 2027 –, est aussi mise en cause pour des opérations de refoulement illégal d’embarcations en mer Égée, en Méditerranée, et en Europe de l’Est. Elle aurait notamment coopéré avec des garde-côtes libyens coupables de tortures, viols et travail forcé. Nous soutenons les organisations de défense des droits humains qui demandent que les pratiques illégales de Frontex soient sanctionnées et qu’il soit mis fin à l’impunité.

Je souhaiterais enfin vous interpeller sur notre proposition de remplacer Frontex par une agence européenne civile de sauvetage sur mer et sur terre, qui appuierait l’Agence de l’Union européenne pour l’asile.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je suis en effet persuadée que Frontex ne peut pas être chargée de la gestion ou de la coordination du sauvetage en mer. Il est extrêmement grave que les différentes enquêtes dont Frontex fait l’objet ne se soient pas traduites par des mesures politiques fortes. Si je ne pense pas qu’il faille inscrire la fin de Frontex dans cette proposition de résolution européenne, car ce n’est pas directement son objet, je suis convaincue qu’il faudra confier le sauvetage en mer à une nouvelle entité.

M. Frédéric Petit (Dem). Je voudrais apporter deux précisions. Tout d’abord, je suis surpris que des parlementaires se posent en juges. En démocratie, il y a une séparation des pouvoirs. Des enquêtes sont en cours, dont je n’évoquerai pas le détail – Frontex est dans ma circonscription –, mais nous devons attendre que le juge se prononce avant d’en tirer des conclusions.

Ensuite, il y a souvent une confusion sur ce qu’est la coordination. Face à la situation terrible que vous présentez, il est indispensable que l’Union européenne coordonne les flottes. Mais son rôle se limite à coordonner, là où vous l’appelez à créer une nouvelle flotte. Au moment du Covid, nous n’avons pas recréé un ministère de la santé européen, nous avons coordonné nos politiques de santé. En droit de la mer, la flotte relève de la compétence des États.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je ne m’appuie pas sur l’enquête judiciaire en cours, mais sur les deux enquêtes qu’ont menées la médiatrice de l’Union européenne et l’Olaf, dont certains extraits sont connus. Cela étant, Fabrice Leggeri est en effet poursuivi pour complicité de crime contre l’humanité.

M. Charles Fournier (EcoS). Je fais partie de ceux qui ont évoqué l’enquête judiciaire en cours, mais j’ai bien précisé qu’il fallait laisser la justice faire son travail. Il est néanmoins possible d’évoquer le contenu d’une plainte, à moins qu’il y ait certaines plaintes dont on ait le droit de parler et d’autres non. Cette plainte contre l’ancien directeur de Frontex fait partie du sujet.

M. Frédéric Petit (Dem). Je suis rassuré de savoir que la séparation des pouvoirs est bien garantie. Nous sommes des parlementaires et non des juges.

M. le vice-président, Laurent Mazaury. Nous voici donc rassurés sur notre qualité de parlementaires qui ne sera jamais assimilable à celle de juges. Nous en venons à l’examen des amendements.

Amendement n° 3 de Madame la rapporteure

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Cet amendement souligne l’importance du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et plus spécifiquement des articles 67 et 80 pour fonder la compétence de l’Union dans le cadre de la création d’une flotte européenne de sauvetage en mer. Il me paraît important d’inscrire cette base juridique dans le texte.

L’amendement n° 3 est adopté.

Amendement n° 8 de Mme Colette Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). C’est un amendement très simple qui vise à rappeler l’obligation en vertu du droit international de porter secours aux personnes en situation de détresse en mer au nom du « devoir de sauver ». Je rappelle dans l’exposé sommaire de cet amendement les trois conventions sur lesquelles je m’appuie.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n° 8 est adopté.

Amendement n° 9 de Mme Colette Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). L’inaction des États et le recul des moyens dédiés aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ont conduit des ONG à se mobiliser pour effectuer elles-mêmes la prise en charge des embarcations en détresse. Celles‑ci sont parfois entravées dans leur devoir d’assistance par des amendes, des errements administratifs, voire – et c’est encore plus grave – criminalisées, étant notamment accusés de complicité avec les passeurs, par les dirigeants de certains pays européens et de certains partis politiques français. Cet amendement vise donc à insérer deux alinéas qui précisent, d’une part, que les ONG effectuant des opérations de recherche et de sauvetage en mer sont parfois entravées et, d’autre part, que conformément aux orientations de la Commission européenne sur la mise en œuvre des règles de l’Union européenne relatives à la définition et à la prévention de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, cette criminalisation constitue une « violation du droit international et n’est donc pas autorisée par le droit de l’Union ». L’idée est donc de protéger les ONG dans leurs activités de sauvetage et de secours en mer qui se révèlent être très précieuses.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Avis favorable.

L’amendement n° 9 est adopté.

Amendement n° 6 de Mme Chikirou

Mme Sophia Chikirou (LFINFP). Cet amendement invite le gouvernement français à proposer la suppression de l’agence Frontex. Nous mettons en cause le rôle de cette agence, créée en 2004, qui répond à une logique européenne dite « sécuritaire » de « militarisation des frontières extérieures ». Son rôle consiste à garantir la sûreté et le bon fonctionnement des frontières extérieures en assurant la sécurité, mais comme on peut le lire sur le site Internet de l’agence, aucunement à sauver des vies. On se demande bien quel danger peuvent représenter les embarcations de fortune remplies d’exilés désespérés. En réalité, Frontex est secouée par les scandales, le paroxysme ayant été atteint sous la direction de Fabrice Leggeri entre 2015 et 2022. Ce dernier a même été contraint de démissionner suite à un rapport de l’agence européenne de lutte anti-fraude (OLAF) qui a révélé qu’entre 2020 et 2021, Frontex laissait faire des refoulements illégaux de migrants à grande échelle aux frontières, en violation grave de la protection des droits humains.

Ensuite, les opérations Triton et Thémis, mises en œuvre par Frontex, en relève de l’opération Mare Nostrum, sont un échec. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) ont immédiatement indiqué que ces opérations étaient insuffisantes et qu’elles n’avaient pas pour objectif de sauver des vies en mer. Par conséquent, nous invitons le Gouvernement à demander sa suppression.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. La suppression de Frontex ne relève pas du champ de la proposition de résolution même s’il est difficile de décorréler ces deux sujets au regard de l’ensemble des interventions. Il y a nécessité a minima à revoir les fondements et les missions de Frontex. Je reconnais cependant avoir moi-même, à titre personnel, défendu la suppression de l’agence. Mais je crains que cet amendement ne porte atteinte à notre capacité à élargir le nombre de députés autour de cette proposition de résolution. Pour cette raison, je formule une demande de retrait tout en sachant que vous n’allez pas le faire mais je le propose quand même ! À défaut, pour rester cohérente avec ce que je défends, je vais émettre un avis de sagesse.

Mme Constance Le Grip (EPR). Le groupe EPR va voter contre cet amendement. Il est assez incroyable d’entendre notre collègue dire qu’il y aurait une logique de « militarisation des frontières extérieures de l’Union » et que Frontex en serait en quelque sorte le bras armé. Frontex est une agence européenne très perfectible qui joue cependant un rôle essentiel en matière de coopération et de coordination entre les États membres au service d’une meilleure maîtrise des frontières extérieures et œuvre en faveur d’un véritable pilotage de la politique européenne en matière d’asile et d’immigration. Sans cette agence des garde-côtes et des gardes-frontières, il y aurait potentiellement encore plus de drames en mer Méditerranée. Nous souhaitons voir l’agence Frontex renforcée, le nombre de ses agents augmenter et qu’elle puisse certainement mieux faire son travail. Nous allons voter contre cet amendement même si je ne sous-estime pas les quelques scandales qui ont émaillé récemment son action. Nous savons tous dans quelles conditions Fabrice Leggeri, maintenant député européen du Rassemblement national, a été contraint de quitter ses fonctions.

M. Charles Fournier (ÉcoS). Le sujet de Frontex est un vrai sujet à poser sur la table. Je ne sais pas si la bonne réponse est sa suppression mais cela ne peut pas non plus être le statu quo. Les enquêtes en cours devront avoir des suites. Toutefois, je pense nécessaire, au nom de notre groupe, de décorréler les deux sujets. Le sujet de Frontex mériterait rapidement une initiative de la part de notre Assemblée, d’une manière ou d’une autre. Nous ne pouvons reporter cette question à demain ou à après-demain.

M. Frédéric Petit (Dem). Je tiens à rappeler que Frontex est une agence de douaniers. Nous sommes d’accord pour dénoncer le problème de gouvernance auquel Frontex est confronté, difficulté souvent propre à la création d’agences européennes. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que les agents de Frontex d’aujourd’hui sont les anciens douaniers des États membres. Je trouve le terme utilisé de militarisation très dur.

Mme Sophia Chikirou (LFI). Affirmer qu’il existe une politique de militarisation du traitement des frontières de l’Union européenne n’est pas un gros mot. Cela ne fait que décrire une réalité qui correspond également à celle des Amériques, à la frontière mexicaine. L’augmentation du budget de Frontex, passé de six millions d’euros en 2004 à huit-cent-quarante-cinq millions d’euros en 2023, en est la preuve : ces fonds sont utilisés pour financer des équipements, non pas civils, mais bien militaires. Voter la suppression de Frontex n’entre peut-être pas dans le cadre de la proposition d’aujourd’hui, mais je tiens à souligner la somme qui pourrait être octroyée au sauvetage en mer et à un traitement humain et digne de la question migratoire, si le budget de Frontex était réalloué.

L’amendement n° 6 n’est pas adopté.

Amendements n° 4 de Mme Nathalie Oziol et n° 5 de M. Gabriel Amard

Mme Nathalie Oziol (LFI). Nous souhaitons interpeller les autorités européennes – le Conseil de l’Union Européenne, la Commission européenne et le Parlement européen – pour que soit lancée une opération Mare Nostrum II, sur le modèle de celle menée par l’Italie d’octobre 2013 à octobre 2014. Pour rappel, l’ancien directeur général de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), M. William Lacy Swing, affirmait que Mare Nostrum avait sauvé plus de cent-cinquante-mille vies en un an. L’Union européenne doit s’atteler dès maintenant à mettre en œuvre une vraie opération de sauvetage.

M. Gabriel Amard (LFI). Cet amendement appelle le gouvernement français à mettre en place immédiatement une opération Mare Nostrum II. La France doit montrer l’exemple, sans attendre un éventuel processus législatif européen. En effet, alors même que nous venons d’insister sur l’urgence de la situation en Méditerranée, le délai nécessaire pour parvenir à la création d’une flotte européenne de sauvetage en mer est extrêmement long, chaque organe de l’Union européenne devant prendre position avant de procéder à un trilogue, menant à une échéance lointaine.

M. Zeid Ra’ad Al-Hussein, Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, de 2014 à 2018, dénonçait à la fin de Mare Nostrum que « l’Europe tournait le dos à certains des migrants les plus vulnérables du monde et risquait de transformer la Méditerranée en un vaste cimetière ». L’avenir lui ayant malheureusement donné raison, il est plus que temps d’y remédier : la France doit prendre l’initiative en la matière.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Concernant l’amendement n° 4, il serait judicieux de le sous-amender en ne mentionnant que la Commission et le Conseil de l’Union européenne. En effet, seule la Commission détient le pouvoir d’initiative législative, le Parlement n’a pas de compétence en la matière. J’émettrais un avis favorable pour cet amendement ainsi sous-amendé.

En revanche, il me semble incohérent de conserver les deux amendements, étant donné qu’ils correspondent à deux démarches différentes. Malgré la nécessité d’une réponse immédiate face à la crise humanitaire, les initiatives politiques sont souvent longues à se mettre en place. Proposer une opération Mare Nostrum II reviendrait à limiter son cadre à la France, or cela ne répond pas à la question d’une solidarité européenne, qui est à mon sens nécessaire. Bien que je sois favorable aux deux idées, il serait plus cohérent de n’en choisir qu’une.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). L’issue du vote sur l’amendement n° 4 sous‑amendé permettra de décider du retrait, ou non, de l’amendement n° 5.

M. Didier Le Gac (EPR). J’entends les députés des groupes LFI et GDR exhorter la France à intervenir rapidement et de manière conséquente pour secourir les migrants en mer. Bien que je le comprenne, un tel effort nécessite d’allouer des moyens suffisants à notre marine nationale : pour cela, il faut voter la loi de programmation militaire (LPM). Si la France a aujourd’hui la deuxième zone économique exclusive maritime au monde et dispose de l’une des marines les plus puissantes, c’est grâce à des femmes et des hommes politiques qui en ont donné les moyens à nos armées. Notre marine nationale est d’ailleurs en train d’être rattrapée, par la Chine qui construit l’équivalent de la marine française tous les cinq ans, par les États-Unis ainsi que par les pays émergents.

Ainsi, pour que la marine nationale – déjà très sollicitée – puisse intervenir et secourir les migrants en mer, il faut voter la LPM. Or, il me semble que les groupes LFI et GDR, qui réclament davantage d’interventions en mer avec des moyens militaires, ne l’ont pas votée.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Les militaires intervenant en mer ne vont pas dans la zone SAR libyenne. Leur mission ne consiste pas à surveiller cette zone où il peut y avoir des gens en détresse.

M. Didier Le Gac (EPR). Madame la rapporteure, depuis le début de l’après‑midi, tout le monde cite Mare Nostrum en exemple. Or, qui pilotait cette opération ? Les militaires italiens, la marine italienne. On ne peut donc pas dire que l’on refuse de voter la loi de programmation militaire parce que l’on n’aime pas les militaires et en même temps demander à la marine nationale d’intervenir. Nous avons l’une des marines nationales les plus puissantes au monde, en raison notamment de l’existence de forts climats de tension. Chacun doit rester cohérent avec ses votes.

M. Charles Fournier (EcoS). On peut être favorable à une augmentation des moyens attribués à la marine sans être d’accord avec l’ensemble de la loi de programmation militaire. En l’occurrence, je fais partie d’un groupe qui s’est abstenu sur la LPM. Il y avait des points de désaccord mais vous ne pouvez pas nous dire qu’on doit être d’accord avec tout ce que vous proposez parce qu’il faut des moyens en mer. C’est un raccourci un peu gros.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe socialiste votera pour le sous-amendement proposé par Madame la rapporteure.

Le sous-amendement à l’amendement n° 4 est adopté.

L’amendement n° 4 sous-amendé est adopté.

L’amendement n° 5 est retiré.

Amendement n° 2 de Mme la rapporteure

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. L’amendement n° 2 porte sur la suppression de l’alinéa 15. Amendement de clarté rédactionnelle.

L’amendement n° 2 est adopté.

Amendement n° 7 de Mme Obono

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). J’évoquais précédemment les circonstances du naufrage de novembre 2021 dans la Manche. L’année 2024 a été l’une des plus meurtrières avec plus de 70 exilés décédés lors de la traversée de cette mer. Il est donc primordial de renégocier et de suspendre les accords internationaux ayant conduit à une telle situation : le traité du Touquet et celui de Sandhurst, signés respectivement, en 2003, et, en 2018, par la France et le Royaume Uni. Ces traités permettent de bloquer les exilés dans le nord de la France pour les empêcher de rejoindre les côtes britanniques. Loin d’assurer le passage de voies sécurisées, les conditions de vie des exilés sont absolument déplorables, comme le rappelle régulièrement la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), dont l’avis, publié en 2016, « dénonce des conditions de vie inacceptables des personnes migrantes sur la zone du littoral ». En 2021, la CNCDH constatait à nouveau une dégradation des conditions de vie. La politique sécuritaire dite « zéro point de fixation », c’est-à-dire des opérations quasi quotidiennes de démantèlement et de destruction des abris provisoires ainsi que la multiplication des obstacles visant à empêcher les actions citoyennes d’aide, place les exilés dans la précarité la plus totale. Il est temps de changer de paradigme et de dénoncer ces accords.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Nous sommes nombreux, ici, à nous soucier de la situation dans la Manche. Plusieurs membres du Nouveau Front Populaire (NFP), dont moi, sommes signataires d’une proposition de résolution demandant une commission d’enquête sur le sujet. La question que j’ai posée hier, lors des QAG, à l’attention de M. Retailleau, ministre de l’Intérieur, allait dans le même sens. Le président de la République, lui-même, estime qu’il faut revoir les accords du Touquet. Pourtant, après sept années de mandat, rien n’a été fait en ce sens. Ce sujet doit donc effectivement pouvoir être porté et je sais pouvoir compter sur vous pour le faire. En revanche, la proposition de résolution européenne porte sur le sauvetage en mer Méditerranée alors que votre amendement traite de l’accord franco-britannique qui concerne la Manche. Cela me fend un peu le cœur, car votre amendement traite d’un sujet que je défends ! Mais, en l’espèce, on sort véritablement du sujet de la PPRE ! Retrait ou avis défavorable. Je m’engage néanmoins à continuer à me battre pour l’adoption de la résolution demandant une commission d’enquête sur ce sujet.

M. Didier Le Gac (EPR). Effectivement, comme l’a rappelé Madame la rapporteure, cet amendement concerne la Manche. Nous voterons contre. Le traité du Touquet a ses limites. Un nouveau traité a d’ailleurs été négocié, le traité de Sandhurst, qui propose un nouveau cadre juridique international. Et puisque nous parlons de la Manche, je m’adresse à ceux qui, en début de réunion, affirmaient que les États détournaient la tête et que la France n’agissait pas. Je rappelle que 5 000 opérations de sauvetage en mer, depuis 2018, ont eu lieu en Manche. En France, l’action de l’État en mer, y compris en mer Méditerranée, est plutôt performante. Sous l’autorité du Premier ministre, sous l’autorité du Secrétaire général de la mer et de nos préfets maritimes – un par zone – la France est en capacité d’organiser le sauvetage en mer, y compris le sauvetage des migrants.

M. Charles Fournier (EcoS). Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel, car si le sujet est essentiel il concerne un accord franco-britannique et n’a pas sa place dans une proposition de résolution européenne. Néanmoins, je m’inscris en faux sur ce que vous venez de dire concernant les opérations menées en Manche. Des enquêtes sont en cours. Nous avons déposé une demande de commission d’enquête parlementaire. Un consortium de journalistes européens a mis en évidence, images à l’appui, l’existence d’exactions. Je vous invite à aller regarder. Certes de nombreux sauvetages sont organisés, mais certaines pratiques ne sont pas acceptables, et nécessitent de revoir profondément la manière dont cette frontière est gérée. Je me suis rendu plusieurs fois à Calais : tant les populations locales que les migrants, souvent jeunes, vivent des situations absolument déplorables.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Lors de la précédente mandature, j’ai pu me rendre sur place et rencontrer l’ensemble des acteurs : corps préfectoral, services de douanes, de police, de gendarmerie, ainsi que les ONG locales. La situation est dramatique, le niveau de tension avec nos concitoyens et concitoyennes est également très élevé. Les gens sont traités comme des chiens, je n’ai pas d’autres mots. Si nous arrêtions d’être les garde-barrières des Britanniques, sachant que 99 % des personnes effectuant la traversée obtiennent le droit d’asile en Grande Bretagne, nous n’aurions plus de morts dans la Manche. Laissons les migrants circuler, laissons les prendre les moyens de transport usuels, ferries ou autres, pour faire reconnaître leurs droits en Angleterre cela sera moins coûteux que de faire appel à des passeurs. Cet amendement d’appel a pour seul objet de rappeler cette évidence : il ne nous appartient pas d’être les gardes barrières d’un pays qui a quitté l’Europe. Nous retirons notre amendement. Nous proposons la création d’un groupe de travail transpartisan, ouvert à toutes les bonnes volontés, sans attendre le fait du prince sur les accords du Touquet et leur avenir.

L’amendement n° 7 est retiré. 

Amendement n° 10 de Mme Capdevielle

Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement invite le Gouvernement français à œuvrer – surtout à l’échelle européenne, je vais supprimer « au niveau national » - à la création et au renforcement de l’accessibilité des voies légales et sécurisées d’immigration, qui permettent l’accueil des personnes à des fins d’examen de leur demande au titre de l’asile, du travail, de la santé, du regroupement familial et des études.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Nous avons bien pris note de la suppression des mots « au niveau national ».

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je partage l’argumentation. Toutefois, l’amendement est déjà satisfait par la PPRE. Avis de sagesse ou demande de retrait.

L’amendement n° 10 est retiré.

Amendement n° 11 de Mme la rapporteure.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Amendement de clarté rédactionnelle.

L’amendement n° 11 est adopté.

Amendement n° 1 de Mme la rapporteure.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Amendement qui propose de substituer au mot « sauvetage » dans le titre de la PPRE, le mot « solidarité », pour mettre l’accent dans le titre, sur le fondement juridique sur lequel repose la création d’une flotte européenne de recherches et de sauvetage en mer.

M. Didier Le Gac (EPR). Je trouve cette proposition de substitution dommageable car elle affaiblit la portée de votre PPRE. Le mot sauvetage est fort, j’y suis très attaché. On parle de la Société nationale de sauvetage en mer. Pour les gens de mer, le terme de sauvetage est très signifiant, celui de solidarité n’aura peut-être pas une portée équivalente. Je dirai que je serai même plutôt opposé à cette substitution.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Je partage votre avis. Je sors de ma neutralité.

Mme Elsa Faucillon, rapporteure. Je vais vous suivre en retirant mon amendement.

L’amendement n° 1 est retiré.

L’article unique de la proposition de résolution européenne, ainsi modifié, est adopté.

La proposition de résolution européenne est par conséquent adoptée.

 

III.          Nomination de rapporteurs

La Commission a nommé sur proposition de M. le vice-président Laurent Mazaury :

– Mme Mathilde Hignet, rapporteure sur la proposition de résolution européenne de M. Arnaud Le Gall et plusieurs de ses collègues invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur (n° 608) ;

– M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur d’information sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l’Union européenne ;

– M. Matthieu Marchio et Mme Liliana Tanguy, rapporteurs d’information sur la situation et les perspectives de l’espace Schengen ;

– Mme Estelle Youssouffa, rapporteure d’information sur l'aide européenne au développement des régions ultra-périphériques ;

– Mme Sophia Chikirou, rapporteure d’information sur les relations entre l’Union européenne et la Chine ;

– Mme Constance Le Grip et M. Laurent Mazaury, rapporteurs d’information sur l’avenir du projet spatial européen après Ariane 5 ;

– Mme Marietta Karamanli, rapporteure d’information sur le secteur des transports européen face à l’enjeu de la décarbonation ;

– M. Henri Alfandari, rapporteur d’information sur la politique monétaire de la zone euro face au défi climatique ;

– Mme Sylvie Josserand, rapporteure d’information sur l’union des marchés de capitaux.

 

 

La séance est levée à 17 heures 10.


Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Gabriel Amard, M. Guillaume Bigot, Mme Manon Bouquin, Mme Céline Calvez, Mme Colette Capdevielle, Mme Sophia Chikirou, Mme Elsa Faucillon, M. Charles Fournier, M. Sébastien Huyghe, Mme Sylvie Josserand, Mme Marietta Karamanli, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, M. Laurent Mazaury, Mme Danièle Obono, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Anna Pic, Mme Isabelle Rauch, Mme Sabine Thillaye

Excusé. - Mme Yaël Ménaché, M. Charles Sitzenstuhl

Assistait également à la réunion. - M. André Chassaigne

 

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