Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
21 mai 2025
15 heures
Compte rendu n o 31
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président,
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 21 mai 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission
La séance est ouverte à 15 heures 05.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Le premier point de notre ordre du jour concerne l'examen de la proposition de résolution européenne (PPRE) appelant à soutenir la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République démocratique du Congo (RDC) et à condamner le soutien du Rwanda au Mouvement du 23 mars (M 23).
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Je tiens à remercier l'ensemble des personnes auditionnées, qu’il s’agisse de l'ambassadeur de la République démocratique du Congo (RDC), du président de la Commission nationale des droits de l'homme en RDC, ou des diplomates du Quai d’Orsay, dont M. Emmanuel Cohet, envoyé spécial de la France pour la région des Grands Lacs, des fonctionnaires de la Commission européenne ou du Service européen d’action extérieure (SEAE).
Ce texte a pour objectif principal d’affirmer une position claire et sans ambiguïté de l'Assemblée nationale en faveur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RDC. Depuis plus de vingt ans, l’est de la République démocratique du Congo est ravagé par des conflits, terriblement meurtriers, plongeant les populations civiles dans des souffrances incommensurables. À l'origine, facilitées par l’instrumentalisation de clivages dits ethniques, ces violences se sont enracinées dans des logiques de prédation économique. Dotée d'un sous-sol en ressources minières, parmi les plus riches au monde, la région est devenue le théâtre d'affrontements motivés par l'appropriation illégale de ses ressources perpétuant ainsi une instabilité chronique. Le génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994, a constitué un tournant dans cette dynamique de violence. L’afflux massif de réfugiés rwandais dans l'est de la RDC a intensifié les tensions régionales et renforcé les liens entre le Rwanda et cette zone, sans pour autant justifier les exactions perpétrées par les groupes armés. L'armée rwandaise y sévit depuis une dizaine d'années, et le mouvement du 23 mars dit M 23 s'est imposé comme l'un des principaux acteurs des violences perpétrées à l'est de la RDC. Ce groupe rebelle, apparu en 2012, est issu d'une organisation militaire antérieure fondée sur les appartenances ethniques, illustrant une persistance antagoniste exacerbée par le génocide des Tutsis, au Rwanda, et l'héritage colonial. Toutefois, ces clivages identitaires ne sauraient masquer les véritables enjeux.
Selon un rapport de l'organisation non-gouvernementale Global Witness, publié le 22 avril 2022, 90 % des volumes de coltan, principal minerai permettant d'extraire le tantal, qui avec l'étain et le tungstène constituent les minerais connus sous l'appellation « 3T », exportés par le Rwanda, proviennent illégalement de la République démocratique du Congo. Cette exploitation, illégale, explique le décalage observé, entre janvier et novembre 2022, entre l'augmentation de 42 % des recettes d'exportation rwandaise de minerais 3T et l'absence de gisements suffisants pour une telle production sur le territoire rwandais, pour un montant de 186 millions de dollars selon la Banque nationale du Rwanda.
Au-delà des pillages des ressources congolaises, le M 23 se rend coupable, depuis des années, de crimes particulièrement graves envers les populations civiles : massacres systémiques, viols de masse, pillages généralisés. Ces nombreuses exactions ont plongé les habitants de l'est du Congo dans une détresse absolue. Depuis longtemps, il est admis que ce mouvement n'agit pas seul, mais qu'il dispose de relais dans la région. Plusieurs organisations non gouvernementales ainsi que les enquêteurs de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ont, dès 2022, confirmé le soutien de la République du Rwanda aux rebelles du M 23. Les conclusions du rapport de l’ONU, publié le 16 décembre 2022, reposent sur de nombreux éléments de preuves, documents écrits, dont des entretiens avec plus de 230 sources, photographies, vidéos, images aériennes, établis par les missions sur le terrain effectuées par le groupe d'experts dans les territoires du Rutshuru, à Goma, à Bukavu, à Kinshasa ainsi qu’à Kisoro et à Bunagana.
Pourquoi ce texte, aujourd’hui ? L'implication du Rwanda dans ce conflit ravageant l’est de la RDC est désormais établie, documentée par les experts des Nations Unies, dénoncée par le Conseil de sécurité des Nations Unis (CSNU). La résolution 2 773 est sans équivoque : elle condamne les agissements du M 23 ainsi que le soutien du Rwanda, elle exige le retrait immédiat des forces armées et réaffirme le droit du peuple congolais à vivre en paix sur ses terres. Depuis le mois de janvier, les villes de Goma et Bukavu sont tombées aux mains du M 23. Une administration parallèle s’y est installée et les exactions se multiplient : violences sexuelles, travail forcé des enfants, massacres de civils et millions de personnes déplacées. L'ambassadeur de la RDC a qualifié cette situation, par un terme juste, celui de « Génocost », soit un génocide à des fins économiques.
Derrière cette guerre, l’enjeu économique majeur est celui de l’accès aux minerais stratégiques : coltan, étain, or et tantal. Les richesses dont l’est de la RDC regorge sont exploitées, contrôlées et pillées par des groupes armés, puis exportées par le Rwanda, qui les injecte dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les chiffres sont édifiants : selon les rapports des Nations Unies, pas moins de 150 tonnes de coltan par mois seraient frauduleusement transférées vers le Rwanda. L'Europe ne peut pas fermer les yeux sur la manière dont ces minerais sont extraits et utilisés par ses propres industries. L’Europe ne peut pas accepter que sa politique commerciale ou ses protocoles d'accord sur les chaînes de valeur servent indirectement à financer des guerres et des violations massives des droits humains. Cette résolution s’y oppose en appelant le Gouvernement ainsi que les institutions de l’Union européenne à certains engagements. Je remercie nos collègues issus du groupe socialiste d'avoir proposé des amendements permettant d'approfondir les débats.
Cette proposition de résolution est un acte politique, symbolique et diplomatique au moment où les négociations de cessez-le-feu battent leur plein à Doha. Après les échecs des processus de Nairobi et Luanda, les États-Unis actionnent leur diplomatie pour imposer à la RDC et au Rwanda de se mettre autour de la table pour discuter un cessez-le-feu et aboutir à un accord de paix dans la région des Grands Lacs. Cette région nous est connue, familière, car la RDC est le plus grand pays francophone : aussi est-il de notre devoir de lui envoyer un message de paix. Ni la Commission européenne ni la Haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité ni la France, notamment par la voix de son Parlement, ne peuvent accepter que la Realpolitik l'emporte sur le droit international. Nous ne pouvons pas continuer à nous réfugier derrière le silence ou la prudence diplomatique quand des peuples entiers sont victimes d’exactions. Notre responsabilité, en tant que député, est d’affirmer que le Rwanda soutient le M 23, en conformité avec les dires des Nations unies, que les minerais de sang circulant dans nos circuits commerciaux valent des sanctions et que la paix ne sera possible que si la communauté internationale se montre ferme, cohérente et exigeante.
Mes chers collègues, la crise dans la région des Grands Lacs n'est pas un simple conflit régional, elle est le révélateur des limites de notre action internationale ; elle interroge notre cohérence, notre courage, notre capacité à défendre nos principes. Le 13 mai dernier, lors de la cérémonie des Flammes à Paris, l’artiste francophone canadien, d'origine rwandaise, Corneille, affirmait : « en tant que Rwandais, j'aimerais apporter mon soutien le plus sincère, mon affection la plus profonde à tous ceux qui souffrent en ce moment à l'est du Congo. La ville de Goma m'est chère parce que c'est la première ville qui m'a accueilli quand j'ai quitté le Rwanda. Il y a ces pouvoirs qui veulent nous prêter des combats qui ne nous appartiennent pas. Et je vous implore, je vous demande de rester patients. Ces pouvoirs ont ce talent-là. Mais nous, en tant qu'artistes, on a aussi un autre talent, celui de l'amour. Aussi longtemps, d’aussi loin que je me souvienne, les Congolais, ce sont mes sœurs, ce sont mes frères. On va essayer de rester en amour ».
M. Hervé Berville (EPR). Cette PPRE aborde un sujet majeur, celui d’un conflit qui l’est tout autant, dans une région trop longtemps reléguée aux marges de notre attention collective. Depuis des décennies, ce conflit ensanglante la région des Grands Lacs, chaque jour il coûte la vie de civils innocents, notamment celles de femmes et d’enfants. Le groupe Ensemble pour la République (EPR) condamne, sans ambiguïtés, toutes les formes de violence dans cette région, qu’il s’agisse des exactions du M 23 ou de toutes les milices se livrant à des actions violentes, à l’est du Kivu et dans le pays congolais. Face à cette spirale de violence, nous appelons tous les États, toutes les milices à prendre leur responsabilité pleine et entière. C’est l’esprit dans lequel notre collègue Amelia Lakrafi conduit une mission diplomatique pour rechercher la paix.
Monsieur le rapporteur, en vous écoutant je me dis que tout le monde pourrait adhérer à vos propos. Toutefois, entre vos écrits et vos paroles, la réalité n’est pas la même. Certains termes de votre proposition de résolution européenne (PPRE), sont un peu baroques et appellent des commentaires. Tout d’abord, vous parlez de « génocide rwandais ». Or monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le génocide rwandais n’existe ni en droit international ni dans les faits. Je dois dire que je n’aurais jamais pensé entendre parler de génocide rwandais dans cette commission. Il y a eu un génocide, celui des Tutsis. Écrire « génocide rwandais » dans votre PPRE revient à nier la réalité vécue par les Tutsis au Rwanda ainsi qu’à nier la réalité de ce crime contre l’humanité. Nier le passé revient finalement à dire que, depuis des décennies, le Rwanda est responsable de l’instabilité de cette région.
Vous évoquez l’action du M 23 alors que vous passez sous silence l’action des 120 autres milices qui, depuis plus de trente ans, se livrent à des pillages. Parler de l’instabilité de cette région sans évoquer tous les fauteurs de troubles n’est-ce pas la volonté de faire endosser la responsabilité au seul M 23 de ce qui se passe dans l’est du Kivu ?
Cette proposition de résolution n’est ni un facteur de paix ni un facteur de médiation, son objet vise à attiser les haines en niant à la fois la réalité du génocide des Tutsis et la responsabilité de l’ensemble des milices se livrant à des exactions, depuis plus de trente, dans cette région. Les Nations Unies ont également parfaitement documenté ces faits.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Monsieur Berville, mes chers collègues, je vous invite à vous reporter à la neuvième ligne de l’exposé des motifs de la proposition de résolution. Il est très clair, il mentionne « le génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994 ». Cette proposition de résolution s’appuie sur le dispositif de la résolution 2 773 du Conseil de sécurité des Nations Unies (CSNU). Je vous remercie de condamner le M 23. Les Nations Unies condamnent le soutien du Rwanda au M 23, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, M. Jean-Noël Barrot, également.
La rédaction de la PPRE et du rapport se sont appuyés sur les résolutions et les documents établis par les groupes d’expert des Nations Unies. Si vous inventez une fake news dès la neuvième ligne de l’exposé des motifs de cette PPRE, il va vous être très difficile de lire la suite. Cette proposition de résolution reprend l’expression « génocide des Tutsis » et s’appuie sur les résolutions des Nations Unies. Peut-être que vous ne lisez plus les résolutions des Nations Unies ? Peut-être que le droit international n’a plus de sens pour vous ? Cela entrerait, en effet, en cohérence avec les positions que vous affirmez sur les sujets internationaux.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Cette proposition de résolution s’inscrit dans la continuité d’un travail d’alerte mené avec d’autres depuis plusieurs années maintenant ainsi qu’après un déplacement effectué, à Goma, en octobre 2023.
Le rapporteur l’a rappelé, la situation s’est encore dégradée. Les villes de Goma et de Bukavu sont tombées, ce qui n’est pas sans rappeler les heures les plus sombres pour l’est du Congo. N’oublions pas que les « première » et « deuxième » guerres du Congo ont fait plusieurs millions de morts. Tout cela est documenté dans le projet « Mapping » des Nations Unies. L’une des raisons expliquant le retard de la France à condamner le Rwanda réside justement dans ces tentatives de jeter l’opprobre sur ceux dénonçant la violence de la situation dans l’est du Congo, comme si cette dénonciation de la violence revenait à nier le génocide des Tutsis au Rwanda. La France a finalement pris la parole mais bien après les Nations Unies et d’autres grandes puissances.
J’insiste : notre texte est clair et nous ne mélangeons pas les choses. Il y a eu un génocide atroce des Tutsis au Rwanda. D’ailleurs, lorsque le président de la République a décidé de rendre public le rapport Duclert, nous avons été les premiers à le saluer et en soutenir les conclusions. Les communiqués de notre mouvement politique sur ce sujet sont publics. Ces faux procès sont assez désagréables et ne rendent pas justice aux centaines de milliers de personnes actuellement menacées par la famine. En outre, ce texte ne nie d’aucune manière la présence d’autres mouvements armés non soutenus par le Rwanda. Nous savons que la situation est complexe. Toutefois, le Rwanda est la seule puissance souveraine à intervenir directement, ce que l’ONU reconnaît aujourd’hui. Dans la dernière phase de l’offensive il y avait des soldats rwandais : sinon comment expliquer la présence de chars lourds ? C’est pour cela que nous interpellons notre diplomatie pour demander au Rwanda de mettre fin à son soutien au M 23.
Ce texte s’inscrit dans une dynamique nationale et internationale : l’ONU a condamné à plusieurs reprises la responsabilité du Rwanda dans son soutien au M 23. Le Parlement européen, dans une récente résolution, a également appelé la Commission à suspendre le protocole d’accord entre l’Union européenne et le Rwanda sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières critiques. Nous demandons que la Commission prenne en compte cette demande. Et nous nous réjouissons d’une reprise des négociations entre les autorités du Rwanda et celles de Kinshasa.
Nous aurions toutefois aimé que la France soit davantage à la manœuvre dans ce dossier. Nous restons mobilisés pour que toute la lumière soit faite sur ce conflit. En près de vingt ans de guerre, nous pouvons compter des millions de morts ainsi que des centaines de milliers de personnes menacées.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Différents processus de paix, engagés à Nairobi ou Luanda, ont échoué. Actuellement, à Doha, les États-Unis, tentent de trouver une issue en permettant une médiation entre les deux pays impliqués dans le conflit. Plusieurs rapports des Nations unies affirment que l’intégrité territoriale de la RDC a été violée. Ma proposition de résolution n’a pas d’autre objectif que de faire respecter le droit international en cohérence avec la résolution du CSNU et les différents rapports de l’ONU.
Je ne cherche pas à créer des polémiques. La PPRE est claire, elle rappelle l’existence du génocide Tutsi mais ne passe pas sous silence la situation critique actuelle : une crise régionale permanente pour des millions de personnes. Il est de notre responsabilité d’envoyer un message de paix et d’appuyer les résolutions européennes et les textes des Nations unis déjà adoptés.
Mme Céline Thiébaut-Martinez (SOC). Sake, Goma, Bukavu… Ces derniers mois, ces villes sont tombées les unes après les autres aux mains du M 23. Depuis sa résurgence spectaculaire, à la fin de l’année 2021, cette milice meurtrière, soutenue par le Rwanda, a intensifié ses offensives au nord et au sud Kivu, multipliant les violations des droits de l’Homme envers les populations locales.
Selon la Haute Commissaire adjointe des Nations unies aux droits de l’Homme, depuis janvier 2025, 602 personnes auraient été victimes d’exécutions extrajudiciaires et sommaires, commises par l’ensemble des parties au conflit. Selon le gouvernement de la RDC, le chiffre serait plutôt de 7 000 victimes. Aujourd’hui, on comptabilise 7,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays dont 3,8 millions dans les deux seules provinces du Kivu.
Ces faits n’étant pas exhaustifs, notre groupe salue l’initiative de cette résolution. Le CSNU, par sa résolution 2773, adoptée en février 2025, a exprimé sa vive préoccupation quant aux graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, commises par le M 23, mais également par d’autres groupes armés. Toujours selon la Haute Commissaire adjointe, entre janvier et février 2025, les violences sexuelles liées au conflit ont augmenté de 270 %.
Pour autant, nous ne saurions adopter une position trop rapide sur ce conflit aux enjeux géopolitiques majeurs et aux implications régionales profondes car ses causes ne sont ni politiques ni historiques mais géopolitiques. Le Rwanda exporte massivement des minerais extraits des riches régions minières congolaises.
Au-delà des violations inacceptables des droits humains, le risque d’un embrasement régional doit nous alerter. Parmi les neuf pays voisins de la RDC, nombre d’entre eux dont l’Afrique du Sud maintiennent une présence militaire sur le sol congolais. L’adoption d’un accord de paix, par la voie de la médiation, doit rester notre boussole.
Cette PPRE est nécessaire. Elle succède à la première résolution européenne demandant de suspendre le protocole d’accord entre l’Union européenne et le Rwanda sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières critiques. Il n’est pas acceptable que l’Union continue à financer, même indirectement, la guerre menée par ce pays.
Pour autant, dresser un constat général de la situation en République démocratique du Congo dans l’exposé des motifs de la PPRE aurait été le bienvenu, notamment pour décrire la myriade de groupes armés qui sévissent dans l’est du pays. Toute tentative de comparaison entre le génocide des Tutsis, ayant conduit à un million de morts, et la situation actuelle ne nous paraît pas adéquate.
Notre groupe s’oppose à l’emploi généralisé des termes « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » alors même que la Cour pénale internationale (CPI) n’a pas terminé ses travaux d’enquête. Il ne nous semble pas non plus acceptable de soutenir militairement les forces congolaises alors que l’ONU dénonce des exactions commises par toutes les parties.
Notre groupe a donc déposé plusieurs amendements afin d’affiner cette proposition de résolution européenne. Leur adoption nous permettrait de voter en faveur de ce texte.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Le génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994, est évoqué en tant qu’événement critique créant une zone de tension dans cette région. Ce volet historique est nécessaire pour comprendre la situation actuelle.
La communauté internationale, par l’intermédiaire du Parlement européen et de l’ONU, doit faire entendre la voix de la paix pour faire cesser une situation qui n’a que trop duré. Les pays en capacité d’agir doivent le faire. Nous saluons l’action des États-Unis : nous souhaitons que le processus de paix commencé à Doha aille à son terme afin que les populations civiles soient préservées.
Nous sommes ouverts à la discussion de vos amendements. Il faut garder en mémoire que notre proposition de résolution a été rédigée à la suite de la prise des villes de Goma et Bukavu, avant le commencement des pourparlers de paix, à Doha.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Il n’est que temps de condamner les massacres commis dans l’est de la République démocratique du Congo et d’appeler à la fin de l’implication rwandaise dans les violences qui ravagent le Kivu. Toutefois, nous ne pouvons pas passer sous silence la présence des autres milices armées qui commettent également des exactions et participent à l’engrenage de terreur s’abattant sur les civils.
Depuis janvier, le bilan est effrayant : plus de 7 000 morts, des enfants exécutés, des villes entières tombées aux mains des rebelles du M 23, militairement appuyé par Kigali. À Goma et Bukavu, la Croix-Rouge ramasse les corps à même le sol. Ce n’est pas une guerre, c’est un massacre. Les femmes en paient un tribut particulièrement lourd car les violences sexuelles sont utilisées comme une arme de guerre pour instaurer la terreur. Nous, Français, Européens, nous ne pouvons pas continuer à détourner le regard comme nous l’avons fait depuis plusieurs mois.
Il faut prendre de la hauteur et regarder ce qui nourrit ces violences. Derrière les armes se cachent des intérêts économiques et, derrière ces intérêts, notre modèle de consommation. Le coltan, le tungstène, la cassitérite, tous ces minerais extraits illégalement en République démocratique du Congo avant d’être blanchis par le Rwanda alimentent nos smartphones, nos batteries, notre transition énergétique.
La situation au Congo est aussi le visage du néo-colonialisme écologique : des vies humaines sacrifiées pour nourrir la course aux ressources minières nécessaires aux grandes puissances. Ce visage ne se limite pas au Kivu : on le retrouve en Amazonie, où l’exploitation minière illégale et les projets d’agro-industrie détruisent les territoires indigènes pour produire du soja et extraire l’or destiné aux marchés occidentaux.
On le retrouve au Sahel, où l’uranium du Niger, exploité pendant des décennies pour alimenter nos centrales nucléaires, n’a jamais permis aux Nigériens d’avoir de l’électricité. On le retrouve à Madagascar, où la ruée vers le graphite, indispensable à nos batteries dites « vertes », provoque déforestation, pollution des sols et déplacement de populations rurales.
Dans tous ces cas, la logique est commune : celle d’un modèle économique qui prétend verdir ses bilans climatiques tout en externalisant ses violences sociales et écologiques ailleurs. Un modèle qui, pour se décarboner ici, détruit là-bas, qui continue de considérer les pays du sud comme des réservoirs de matières premières et non comme des partenaires égaux. Ce colonialisme écologique, souvent maquillé en coopération ou en développement durable, alimente les conflits et affaiblit les États.
Nous ne pouvons pas défendre les droits humains tout en entretenant un système qui les piétine dès qu’ils entrent en contradiction avec nos intérêts économiques. Tant que nos entreprises continueront à utiliser des ressources sans rendre des comptes, tant que l’Union européenne signera des accords d’approvisionnement avec des régimes violant les droits humains, nous serons complices. Nous avons besoin d’un embargo immédiat sur les minerais rwandais, d’un mécanisme de certification transparent et d’un plan international pour garantir une exploitation des ressources au service des peuples et non au service des multinationales et des seigneurs de guerre.
Cette proposition de résolution doit être un point de départ pour exiger la justice, mais aussi pour interroger profondément nos responsabilités. La paix ne viendra pas sans justice ni sans un changement radical de notre rapport au monde.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Vous avez raison. Dans ces conflits armés, les premières personnes touchées sont les plus vulnérables, les femmes et les enfants. Le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) évoque le chiffre de sept millions de déplacés à l’est de la République démocratique du Congo.
La transition écologique ne doit pas se faire au détriment des personnes vulnérables et des Congolais de l’est du pays. Ces minerais stratégiques sont exportés, puis transformés en Chine avant d’alimenter le marché européen. Il nous faut émettre un veto et réfléchir à nos manières de consommer et de concevoir cette transition.
Je remercie le groupe Ecolo-Socialiste pour le retrait de leurs amendements.
M. Pascal Lecamp (Dem). Depuis plus de vingt ans, l’est de la RDC est meurtri par des conflits d’une extrême violence. Ce qui avait commencé par des tensions ethniques s’est transformé en une guerre économique où la lutte pour le contrôle de ressources précieuses alimente la souffrance des populations. Les groupes armés, dont le M 23, soutenu par le Rwanda, exploitent illégalement les minerais au prix de massacres, de violences sexuelles et de déplacements massifs de population civile.
Ces faits sont graves et notre devoir en tant que parlementaires est d’y répondre car la France n’a jamais été, et ne sera jamais, du côté de ceux qui oppriment, exploitent ou bafouent les droits démocratiques fondamentaux. Nous avons toujours été au côté des peuples qui luttent pour leur dignité, pour leur sécurité, pour leur souveraineté.
Néanmoins, agir avec efficacité c’est aussi tenir compte du travail des gens engagés. Depuis plusieurs mois, la France a joué un rôle moteur en portant la résolution 2 773 au CSNU, en impulsant des sanctions ciblées au niveau européen, en soutenant les médiations africaines ainsi qu’en apportant une aide humanitaire concrète sur le terrain. Ce chemin n’est certes pas spectaculaire mais il est solide. Il repose sur le dialogue, sur le droit et sur le respect des équilibres régionaux.
C’est pourquoi nous vous appelons aujourd’hui à voter contre cette résolution, non par indifférence, non par désaccord sur les intentions mais par responsabilité. Affirmer nos principes c’est aussi préserver des dynamiques diplomatiques pouvant faire avancer la paix, que la France a contribué à initier et qu’il faut renforcer et non contrarier.
Restons engagés, fermes et lucides, au service des peuples qui souffrent en RDC ou dans le reste du monde. Aidons les démocraties fragilisées et restons en appui aux initiatives prises par le ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères, M. Jean-Noël Barrot.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. La France tient effectivement la plume au Conseil de Sécurité des Nations Unies. J’en fais état dans mon rapport : nous avons auditionné le Quai d’Orsay ainsi que l’envoyé spécial de la France pour la région des Grands Lacs.
Vous parlez d’aide humanitaire, aujourd’hui il n’y a pas de pont humanitaire parce que l’aéroport de Goma n’est plus accessible. Quand il y a une situation de tension ou de crise dans le monde, il faut savoir prendre les actions menant à la paix.
La durée du conflit, plus de vingt ans, a été évoquée à plusieurs reprises, mais les tensions n’ont pas été uniformes : en 2012, il y a eu un arrêt des combats du fait des sanctions prises et des pressions diplomatiques exercées.
Sommes-nous capables de parler de sanctions pour d’autres conflits dans le monde ? Oui. Toutefois, lorsqu’il s’agit de l’Afrique, ou de l’est de la RDC les sanctions ne sont plus évoquées. Je rappelle à nouveau les origines de ce conflit. En 2012, selon les rapports des experts des Nations Unies, les exactions des milices du M 23 ont cessé suite à la prise de sanctions.
M. Aurélien Rousseau (SOC). Je serais assez tenté, évidemment, comme beaucoup d’entre nous de vous suivre pour condamner la situation dans les Grands Lacs compte tenu du soutien, documenté, des autorités rwandaises au M 23.
Malheureusement, entre vos propos, dont le renvoi très régulier au droit international ou aux résolutions de l’ONU, et ce qui est mentionné dans le dispositif de votre résolution, il y a loin de la coupe aux lèvres. Vous écrivez, notamment, dès le douzième alinéa, que cette partie de la RDC serait victime de crimes contre l’humanité.
Non, l’ONU ne qualifie pas les exactions commises par les différentes milices de crimes contre l’humanité. La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête pour crimes internationaux. Cela peut être un crime contre l’humanité, un crime de guerre ou tout autres types d’exactions.
Pour moi cette résolution évoque un relativisme insidieux du génocide des Tutsis au Rwanda. Le Parlement français deviendrait ainsi le premier et seul parlement au monde à qualifier de crime contre l’humanité la situation en RDC alors que la France aura été la dernière à le faire à propos du génocide des Tutsis au Rwanda.
L’article 24 du dispositif propose d’interdire toutes participations du gouvernement français à des évènements sur le territoire du Rwanda. Cela ne signifie-t-il pas d’interdire à la France de participer à toutes les commémorations du génocide des Tutsis au Rwanda ? C’est inacceptable.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Vous auriez parfaitement pu déposer des amendements en amont de nos débats. Par ailleurs, c’est vous qui faites un parallèle entre l’alinéa 12 du dispositif de la PPRE et le génocide des Tutsis, en 1994. Si vous souhaitez amender, déposez des amendements mais ne dressez pas des parallèles fallacieux !
Vous le rappelez, la CPI a diligenté une enquête. Monsieur le ministre, si dans un an les faits de crimes de guerre sont établis, allons-nous devoir nous revoir ici même pour revoter une résolution conforme à ce que la CPI aura établi ?
Concernant l’alinéa 24, nous avons déjà su établir des boycotts diplomatiques avec d’autres pays. Je rappelle dans l’exposé des motifs qu’il serait, en effet, problématique que l’ambassadeur de France, au Rwanda, ne puisse pas participer à la cérémonie de commémoration du génocide des Tutsis. En cela je rejoins la proposition d’amendement socialiste !
M. Laurent Mazaury (LIOT). Le groupe LIOT est depuis longtemps pleinement mobilisé pour dénoncer les exactions terribles qui, malheureusement, perdurent en RDC. Depuis des dizaines d’années, le peuple congolais est sujet aux crimes les plus graves dont les femmes sont les premières victimes, le viol étant utilisé presque systématiquement comme une arme de guerre.
C’est pourquoi notre groupe, par la voix de Madame Frédérique Dumas puis de celle de Monsieur Bertrand Pancher, a déposé, en 2022, une proposition de résolution réclamant la mise en place des propositions du projet « Mapping » de l’ONU relatives aux violations les plus graves des droits de l’Homme, commises entre 1993 et 2003, en appelant à la mise en œuvre d’une stratégie de justice transitionnelle ainsi qu’à celle d’une enquête internationale indépendante contre les violences commises depuis 2002.
C’est pourquoi, je ne peux que soutenir les différents alinéas de votre proposition de résolution condamnant les crimes commis à l’encontre des populations civiles, appelant le gouvernement et la Commission européenne à exiger la fin des attaques militaires, et à condamner les violations du droit international humanitaire et des droits humains.
Néanmoins, certaines de vos propositions me semblent contre-productives. Certains alinéas demandent une rupture totale de nos relations avec le Rwanda alors que le manque de dialogue pourrait d’autant plus, selon nous, cristalliser le conflit.
Par ailleurs, vous appeler à suspendre les accords économiques avec le Rwanda alors que cela pourrait avoir des conséquences directes et graves sur la population rwandaise. Dans votre résolution, vous appelez au gel de l’aide publique au développement dispensée à Kigali. Pour nous, punir la population, les populations, n’est jamais une bonne solution !
Aussi, en l’état, je voterai donc contre cette proposition de résolution européenne. Néanmoins, avec l’esprit constructif, qui caractérise notre groupe, j’attends la discussion des amendements, notamment ceux déposés par nos collègues socialistes pour adopter une position définitive.
Quel que soit mon vote final, il ne signifiera nullement une absence de soutien au peuple congolais, ni le refus d’une plus grande fermeté, ni celui de sanctions à l’encontre de ceux qui tuent, humilient ou détruisent tout être humain.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Je vous remercie, ainsi que votre groupe pour votre soutien constant aux populations en difficulté dans cette région. Les amendements déposés par le groupe socialiste permettront d’éclairer certaines de vos positions. Cette PPRE s’inscrit dans la continuité du vote de la résolution 2 773 du CSNU.
M. Hervé Berville (EPR). Vous écrivez bien, ligne 18 : « génocide rwandais ». Cette expression n’existe ni en droit international ni dans l’Histoire. C’est la première fois qu’un parlement parle d’un « génocide rwandais ». Cela signifie clairement que vous niez le génocide des Tutsis au Rwanda.
Ensuite, vous avez une approche plus insidieuse. Vous écrivez que l’afflux de réfugiés, il y a vingt ans, a créé la situation d’instabilité actuelle. Comme si les génocidaires rwandais en étaient la cause ! Vous mettez sur le même plan les exactions commises au Congo, que nous devons condamner, et le génocide des Tutsis pour mieux le minorer, pour mieux le nier.
En outre, vous passez totalement sous silence la responsabilité du gouvernement congolais, c’est incroyable ! Les rapports des Nations Unies ont bien établi que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) avaient commis des viols, des crimes, Vous n’en parlez pas ! Le premier responsable de la situation au Congo est le gouvernement congolais ! Par exemple, au Katanga, région qui se fait également piller, on ne trouve aucune présence rwandaise. Or, vous n’en parlez pas, parce que la volonté qui se cache derrière cette PPRE est de faire des Rwandais et des Tutsis les principaux coupables, alors même que la responsabilité de la situation relève du gouvernement congolais.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Avant la ligne 18, il y a la ligne 9, qui fait état du génocide des Tutsis, en 1994. Ensuite, l’exposé des motifs n’a pas de valeur normative, c’est le dispositif qui en a une. Vous nous avez habitués, malheureusement, à chercher ce type de polémique Monsieur Berville.
En tout état de cause, les rapports des Nations Unies sont là. Vous évoquez la responsabilité des FDLR, mais il a déjà été rapporté qu’il s’agissait d’un montage photographique.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Je regrette que par son opposition à toute forme de condamnation de la politique du gouvernement du Rwanda, notre collègue Berville nous accuse d’être des négationnistes. Je le dis, et je le redis : la première occurrence du terme de « génocide » dans l’exposé des motifs de la PPRE prend cette forme : « le génocide des Tutsis, au Rwanda, en 1994 ». La PPRE reprend les conclusions du rapport Duclert que mon mouvement politique a salué lors de sa publication. C’est un procès grave que vous nous faites : vous opposez des souffrances !
Par ailleurs, toutes les parties au conflit sont citées dans la proposition de résolution. À aucun moment il n’est dit que seuls le M 23 et le Rwanda seraient responsables de la violence en RDC ! En revanche, il est bien écrit que nous condamnons le seul État souverain directement engagé dans le soutien à un groupe armé et dont l’armée nationale s’est engagée dans les dernières phases de l’offensive. Donc oui, cette PPRE vise en particulier le gouvernement d’un État, celui du Rwanda.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Les propos que vous avez tenus Monsieur Berville sont extrêmement graves car ils sont une interprétation fallacieuse de ce qui est écrit. Nulle part dans ce texte l’existence du génocide des Tutsis au Rwanda n’est niée. Nous sommes engagés, depuis longtemps, sur ce sujet, sur la célébration de sa mémoire ainsi que sur la responsabilité de la France et de son armée. Je ne vous permets pas de parler d’une manière aussi mensongère et caricaturale. Cette attitude ne vous honore pas, Monsieur le député : elle salit le travail de mémoire et l’engagement nécessaires concernant les crimes commis pendant le génocide des Tutsis.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous commençons l’examen des amendements.
Amendement n° 4 de M. Carlos Martens Bilongo
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Amendement rédactionnel, qui précise que « les articles 21, 24 et 31 du Traité sur l’Union européenne » sont visés.
L’amendement n° 4 est adopté.
Amendement n° 5 de M. Carlos Martens Bilongo
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Amendement rédactionnel, qui précise que « l’article 214 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne » est également visé à l’alinéa 7.
L’amendement n° 5 est adopté.
Amendement n° 1 de Mme Céline Thiébault-Martinez
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement vise à retirer les mentions de « crime de guerre » et « crimes contre l’humanité » figurant à l’alinéa 12 pour qualifier plus exactement les crimes actuels commis en RDC.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Avis favorable.
L’amendement n° 1 est adopté.
Amendement n° 6 de M. Carlos Martens Bilongo
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Amendement rédactionnel qui vise à mentionner les institutions compétentes auxquelles la PPRE s’adresse, en l’occurrence, le « Gouvernement et la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité commune ainsi que le Conseil de l’Union européenne ».
L’amendement n° 6 est adopté.
Amendement n° 12 de Mme Céline Thiébault-Martinez et n° 7 de M. Carlos Martens Bilongo (discussion commune)
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement propose une réécriture de l’alinéa 23 demandant l’arrêt des différents accords de coopération militaire avec le Rwanda. Il s’agit d’une reprise de la formulation contenue dans la résolution adoptée par le Parlement européen, en février 2025, concernant le gel de l'assistance militaire et sécuritaire aux forces armées rwandaises.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. J’émets un avis favorable.
M. Hervé Berville (EPR). L’alinéa 23 révèle bien votre vision caricaturale, puisque vous appelez la France à cesser toute forme de coopération militaire avec le Rwanda. Ce n’est pas la première fois que le Parlement français est à côté de la plaque au sujet du Rwanda : il l’était déjà en 1993, en 1994, et en 1995. Nous sommes en 2025 et c’est toujours le cas.
Aucun pays africain, hormis le Congo, ne considère que le gouvernement rwandais est le principal responsable de la situation au Congo. Certains de nos collègues font régulièrement remarquer qu’il faudrait écouter davantage l’Afrique en cessant de la voir à travers un prisme néocolonial. Pourtant, encore une fois, le Parlement se permet de condamner un pays africain, de le mettre au ban de la communauté internationale, comme nous l’avons fait en 1994.
Si cette proposition de résolution venait à être adoptée, ce serait la première fois qu’un pays européen qualifierait le génocide des Tutsis de « génocide rwandais ». Ce serait une tache indélébile pour notre Assemblée.
M. Aurélien Rousseau (SOC). L’amendement déposé par notre collègue vise à reprendre précisément les termes employés dans la résolution qu’a adoptée le Parlement européen en février 2025. De la même manière, l’amendement n° 1 tendait à reprendre la rédaction des résolutions du Conseil des droits humains de l’ONU et du Conseil de sécurité, qui évoquent des crimes internationaux et non des crimes contre l’humanité. En la matière, la précision et l’exactitude sont essentielles. Je remercie le rapporteur d’y avoir donné un avis favorable.
La commission adopte l’amendement n° 12.
L’amendement n° 7 est retiré.
Amendement n° 2 de Mme Céline Thiébault-Martinez et n° 8 de M. Carlos Martens Bilongo (discussion commune)
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’amendement n° 2 vise à supprimer l’alinéa 24 en ce qu’il pourrait empêcher le gouvernement français de prendre part aux cérémonies de commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda.
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. J’émets un avis favorable et retire l’amendement n° 8.
L’amendement n° 8 est retiré.
M. Hervé Berville (EPR). Je vous remercie, Madame la députée, d’avoir déposé cet amendement important. Empêcher la France de participer à la commémoration du génocide des Tutsis irait à l’encontre du travail de mémoire, d’histoire et de reconnaissance que nous devons mener, et ce d’autant plus que notre pays a une responsabilité dans ce qui s’est passé.
Il y a eu, au cours des derniers mois, des tentatives pour empêcher la commémoration du génocide ou salir la mémoire des Tutsis. Des artistes qui souhaitaient organiser à Paris un concert en solidarité avec les populations civiles au Congo ont tenu à le programmer le 7 avril. Parmi toutes les dates possibles, il a fallu qu’ils choisissent le jour de la commémoration du génocide des Tutsis – et la France insoumise leur a apporté son soutien. Le Préfet de police, que nous avions averti, est heureusement intervenu pour imposer le report du concert eu égard aux risques de troubles à l’ordre public.
De manière insidieuse, mais néanmoins évidente, vous essayez d’instrumentaliser les exactions commises au Congo pour relativiser, voire nier, le génocide des Tutsis. Cela illustre bien la haine dont ils sont toujours l’objet dans la région.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Nous avons fait savoir à ces artistes que nous n’irions pas au concert s’il se tenait à cette date-là. C’est simple, clair et net.
L’amendement n° 2 est adopté.
Amendement n° 9 de M. Carlos Martens Bilongo
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.
L’amendement n° 9 est adopté.
Amendement n° 10 de M. Carlos Martens Bilongo
M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur. Cet amendement vise à insérer un alinéa pour appeler la Commission européenne à suspendre le protocole d’accord entre l’Union européenne et le Rwanda sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières critiques, signé le 19 février 2024.
L’amendement n° 10 est adopté.
Amendement n° 3 de Mme Céline Thiébault-Martinez et n° 11 de M. Carlos Martens Bilongo (discussion commune)
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Cet amendement tend à supprimer les alinéas 29 et 30, qui invitent à suspendre tous les accords économiques avec le Rwanda et à fournir un soutien accru aux forces armées congolaises.
Nous souhaitons privilégier une formulation qui favorise l’apaisement en réaffirmant notre attachement au processus de médiation en cours entre le Rwanda et la République démocratique du Congo.
L’amendement n° 3 est adopté.
En conséquence, l’amendement n° 11 tombe.
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Mme Danièle Obono doit présenter, en sa qualité de référente Climat, environnement, énergie et transports de notre commission, une communication sur les suites de la COP 16 relative à la diversité biologique.
Mme Danièle Obono, référente Climat, environnement, énergie et transports. Chers collègues, la seizième conférence des parties sur la diversité biologique a peu retenu l’attention médiatique et politique au regard de l’importance de son objet, alors que l’humanité fait face à la sixième extinction de masse.
Partout dans le monde, la biodiversité recule à cause du dérèglement climatique, des pollutions, ou de la déforestation. Au cours des cinquante dernières années, les populations d’animaux sauvages ont diminué de 73 %. Les effectifs d’espèces emblématiques, indispensables à l’équilibre de nos écosystèmes, sont en chute libre. Or, si la population d’une espèce descend sous un certain seuil, elle risque de ne plus être en mesure de remplir son rôle habituel dans le fonctionnement des écosystèmes. Les services que ces derniers procurent aux êtres humains s’en trouvent eux aussi compromis. Nous nous rapprochons dangereusement de plusieurs points de bascule, dont le franchissement endommagerait les systèmes vitaux de la terre et déstabiliserait les sociétés.
La COP 16 s’est déroulée en deux temps, à Cali, en Colombie, fin octobre 2024, puis à Rome, fin février 2025. Cette conférence des parties émane de la Convention sur la diversité biologique élaborée et ratifiée en marge de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement qui s’est tenue à Rio en 1992. Elle vise à atteindre les objectifs posés par la Convention, et à les amender si besoin, de même que la COP sur les changements climatiques et la COP sur la désertification dans leurs domaines respectifs.
Ces objectifs sont définis à l’article 1er de la Convention : « la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments, et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques ».
Cette seizième réunion avait pour mot d’ordre « Faire la paix avec la nature ». Elle a connu un certain retentissement compte tenu de l’importance des conclusions qui y ont été adoptées, la présidente de la COP et ministre de l’environnement colombienne, Susana Muhamad, allant même jusqu’à évoquer une « COP des peuples ».
Trois points en particulier méritent d’être mentionnés : la reconnaissance du rôle des peuples autochtones et des communautés locales dans la préservation de la biodiversité ; le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques ; et l’adoption d’une stratégie de mobilisation des ressources pour faire en sorte que les financements soient à la hauteur des enjeux.
Concernant les peuples autochtones, les conclusions marquent une avancée vers une plus grande inclusion et une reconnaissance de l’importance de toutes les communautés humaines dans la préservation de notre planète. La présidente de la COP a ainsi qualifié les peuples autochtones de « gardiens de la nature ». À l’heure des raidissements idéologiques, de la fermeture des frontières et des esprits, c’est un signal fort envoyé au monde.
Au-delà de la force du symbole, qui a largement contribué au rayonnement de la COP 16, ces conclusions porteront des effets juridiques importants. Concrètement, à l’avenir, les populations autochtones seront consultées par le biais d’un organe subsidiaire permanent qui participera à l’élaboration des projets de conclusions des futures COP sur la biodiversité.
Pour rappel, 476 millions de personnes, soit plus de 6,2 % de la population mondiale, sont considérées comme autochtones. Les terres qu’elles occupent concentrent plus de 80 % de la biodiversité. Ces communautés sont donc particulièrement affectées par la destruction des écosystèmes et la disparition des espèces. La prise en compte de leur voix est une nécessité, et nous devons veiller à ce que cet organe bénéficie du poids et de l’écoute qu’il mérite dans les futures COP.
La deuxième décision importante consiste en la création du fonds de Cali, qui doit permettre le partage des avantages découlant de l’utilisation d’informations issues du séquençage génétique. Ce fonds sera abondé sur la base du volontariat par les grandes entreprises des secteurs bénéficiant le plus des informations génétiques numérisées, afin de permettre une redistribution de ces bénéfices.
Les secteurs ciblés sont ceux qui bénéficient directement ou indirectement de l’utilisation du séquençage génétique pour leurs activités commerciales : produits pharmaceutiques, cosmétiques, biotechnologies, sélection végétale et animale. Les institutions de recherche et les bases de données publiques sont exclues du périmètre.
Au sein de ces secteurs, les entités qui dépassent au moins deux des trois seuils (à savoir, total des actifs : 20 millions de dollars, ventes : 50 millions de dollars et bénéfices : 5 millions de dollars) calculés en moyenne sur les trois années précédentes seront invitées – mais non obligées – à verser au fonds 1 % de leurs bénéfices ou 0,1 % de leurs recettes.
Le groupe de travail de la Convention sur la diversité biologique attend entre 1 et 10 millions de dollars par an de contributions de la part des entreprises. Ces fonds seront ensuite administrés par les Nations unies et redistribués équitablement aux autorités nationales en charge de la biodiversité. Il est prévu qu’au moins la moitié des financements réponde aux besoins déterminés par les peuples autochtones eux-mêmes.
En France, l’Office français de la biodiversité – dont certains dans notre assemblée souhaitent la suppression, comme l’ont montré les débats sur le texte "Simplification" – devrait assurer le versement des fonds fléchés vers la France. Ce rôle s’ajouterait aux autres missions de l’OFB, qui sont d’intérêt général.
Enfin, la troisième décision concerne le financement de la biodiversité. Ce cadre a fait l’objet de débats importants, qui ont abouti à une solution que beaucoup jugent insatisfaisante : l’adoption d’une feuille de route sur le mode de financement, qui remet à plus tard la prise de décision.
Comme l’ont résumé les personnes que nous avons auditionnées lors des travaux préparatoires à cette communication, il s’agit d’une sorte d’accord sur le désaccord. Le désaccord principal, entre pays du Nord et pays du Sud, tient au fait que les premiers souhaiteraient réformer le Fonds pour l’environnement mondial, qui héberge lui-même le Fonds mondial pour la biodiversité, tandis que les seconds préféreraient la création d’un nouveau fonds ad hoc, arguant de la complexité de l’architecture actuelle.
Quelle que soit la solution choisie, le constat est clair : il faut augmenter considérablement la mobilisation des ressources pour la biodiversité, afin de respecter la cible 19 du cadre de Kunming-Montréal, adopté lors de la COP 15, qui vise à mobiliser au moins 200 milliards de dollars d’ici 2030, soit 20 milliards par an d’ici 2025, puis 30 milliards par an d’ici 2030. Or, à ce jour, le Fonds mondial pour la biodiversité n’a été abondé qu’à hauteur de 396 millions de dollars.
Alors, finalement, que retirer de cette COP 16 chers collègues ? Deux choses d’après moi.
D’abord, le fait que le multilatéralisme n’est pas mort. La communauté internationale est encore capable de s’accorder, de parler d’une même voix, en écoutant celles des autres, notamment des peuples autochtones. C’est l’un des grands enseignements, et un message d’espoir envoyé par cette COP, dans un contexte plus qu’instable au niveau international.
Ensuite, que le multilatéralisme est laborieux et nécessite un travail et un investissement constants. C’est une diplomatie du temps long, du consensus progressivement acquis, de la négociation pied à pied pour arriver à une position d’équilibre. Ces grands-messes, comme sont parfois présentées les COP, sont souvent décevantes pour les acteurs qui les suivent et les citoyennes et citoyens engagés dans les mobilisations écologiques. Cette fois-ci n’a pas fait exception : aucun mot sur les modes de financement qui seront concrètement mis en œuvre, aucune forme de contrainte pour les entreprises afin de contribuer au fonds de Cali.
Cela fait partie des critiques portées par un certain nombre d’organisations de défense des droits humains et des droits environnementaux. Face à l’urgence, en pleine sixième extinction de masse causée par l’activité humaine, les actes des nations du monde ne sont, à ce jour, pas à la hauteur de leurs paroles.
Qui, pour contrôler le respect des engagements internationaux, ce qu’on appelle en termes techniques, la redevabilité ? À quand des mécanismes obligatoires ? L’Union européenne peut et doit jouer un rôle pionnier et montrer l’exemple. Cette COP est un signal encourageant, mais aussi un signal d’alerte. Le temps presse.
Le nouveau retrait des États-Unis d’Amérique de l’accord de Paris sur le climat, initié par Donald Trump en janvier 2025, donne à notre continent et à notre coalition européenne une responsabilité nouvelle. Les années à venir sont décisives pour l’humanité. Face au bouleversement climatique et à ses effets irréversibles, nous devons et pouvons être à la pointe de la lutte pour la sauvegarde de nos écosystèmes, tout en garantissant une vie digne pour toutes et tous. Nous en avons les moyens, financiers, techniques et humains, en France comme en Europe, et l’intérêt général humain le commande.
Il s’agit désormais de faire preuve de volontarisme politique et de passer aux actes, en Europe comme en France, pour réaliser et obtenir que les objectifs de cette dernière COP16 soient atteints.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP). Votre communication intervient à point nommé, puisque demain aura lieu la Journée internationale de la biodiversité. Cette date célèbre l’adoption, en 1992, de la Convention sur la diversité biologique.
Nous sommes confrontés à une urgence. Le déclin de la biodiversité est alarmant : en cinquante ans, les populations d’animaux sauvages ont chuté de 73 % et 9 % des espèces d’abeilles et de papillons sont aujourd’hui menacées. Il ne s’agit pas seulement d’un déclin, mais bien d’une sixième extinction de masse, qui progresse à un rythme accéléré.
Il y a quelques années, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques a publié un rapport de 1 800 pages, rédigé par 150 experts issus de cinquante pays sur l’état de la biodiversité. Ce travail scientifique de référence dresse un constat édifiant : un million d’espèces, soit une sur huit, est menacé d’extinction à court terme. Le taux de disparition des espèces est aujourd’hui mille fois supérieur au rythme naturel. Concrètement, 40 % des amphibiens, 33 % des coraux, 25 % des mammifères et 13 % des oiseaux pourraient disparaître dans les décennies à venir. Il y a donc une urgence absolue à agir. La vie humaine dépend de cette biodiversité : 75 % des cultures destinées à notre alimentation dépendent de la pollinisation par les insectes.
Dans ce contexte, la COP 16 a permis de négocier un accord multilatéral censé engager l’ensemble des parties. Cela montre que la diplomatie des biens communs est non seulement nécessaire, mais possible.
Nous devons toutefois faire preuve de lucidité et de cohérence. Il est positif que la France respecte ses engagements en matière de financement de la biodiversité. Mais si nous voulons réellement enrayer son effondrement, il faut s’attaquer frontalement aux causes structurelles.
À quoi bon mettre en place un mécanisme de financement fondé sur le volontariat des multinationales, si, dans le même temps, le président Macron et le chancelier Scholz torpillent la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises ?
Protéger la biodiversité suppose un changement profond et radical de notre modèle de production. Les insectes disparaissent, notamment à cause de l’usage massif des pesticides, et l’agrobusiness est l’un des moteurs de cette érosion. Or, les pays de l’OCDE continuent de soutenir ce modèle à hauteur de 100 milliards de dollars par an.
Les engagements pris lors de la COP 16 vont dans le bon sens. Pourtant, nous faisons le contraire dans notre propre assemblée. La semaine prochaine, nous examinerons la proposition de loi Duplomb, qui vise à reautoriser les néonicotinoïdes. Les études scientifiques sont claires : ces substances sont hautement toxiques pour les abeilles et les insectes. Il n’existe aucune distinction d’espèce lorsque ces produits sont répandus.
Les votes à venir diront qui est réellement prêt à défendre la biodiversité et à amorcer une véritable bifurcation écologique, et qui, au contraire, est prêt à sacrifier le vivant au profit de l’agrobusiness.
Mme Danièle Obono, référente Climat, environnement, énergie et transports. Le manque de cohérence des prises de position aux niveaux international et national est problématique. De ce qui ressort des auditions que nous avons menées, l’Union européenne parle d’une seule voix au sein des institutions internationales, avec une approche cohérente et constructive, ce qui a été remarqué et considéré comme positif.
Néanmoins, cette approche ambitieuse à l’échelon international est contredite par les actes au niveau européen et des États membres. Ainsi, les réglementations dites « omnibus » participent à des formes de déréglementation, notamment au niveau écologique.
Il est donc important que l’Union européenne et la France puissent traduire très concrètement dans leurs politiques les engagements pris au niveau international plutôt que de fragiliser ce cadre par la mise en œuvre de politiques contraires à la défense de la diversité biologique.
Il est également important de préciser les enjeux en explicitant l’impact de la perte de biodiversité. Il ne s’agit pas seulement d’apprécier l’existence d’une faune bien peuplée et d’une flore verdoyante. Cela a un impact direct sur la survie de l’humanité via, par exemple, l’agriculture.
Finalement, une cohérence globale est nécessaire, au niveau international, européen et français entre des prises de position positives et des actes politiques qui le sont parfois moins.
La séance est levée à 16 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Hervé Berville, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Céline Calvez, Mme Sophia Chikirou, Mme Mathilde Hignet, M. Jean Laussucq, M. Arnaud Le Gall, M. Pascal Lecamp, M. Laurent Mazaury, Mme Danièle Obono, Mme Nathalie Oziol, M. Aurélien Rousseau, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Céline Thiébault-Martinez
Excusés. - Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy, Mme Estelle Youssouffa