Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Audition de M. Martin Ajdari, pressenti par M. le Président de la République pour occuper les fonctions de président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) (Mme Delphine Lingemann, rapporteure) 2
– Vote à bulletins secrets sur cette désignation, en application de l’article 13 de la Constitution 25
– Présences en réunion..............................27
Mercredi
18 décembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 20
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne M. Martin Ajdari, pressenti par M. le Président de la République pour occuper les fonctions de président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) (Mme Delphine Lingemann, rapporteure).
La présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour émettre un avis sur la nomination de M. Martin Ajdari à la présidence de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Cette nomination fait partie de celles sur lesquelles notre commission, en raison de ses compétences en matière de communication, doit se prononcer au préalable, en application de l’article 13 de la Constitution, ainsi que des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
Je rappelle qu’aux termes de cette procédure, si l’addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le président de la République ne peut pas procéder à la nomination.
Avant d’émettre notre avis, nous allons entendre M. Martin Ajdari, qui s’est rendu hier en fin de journée devant nos collègues de la commission de la culture du Sénat pour le même exercice. En conséquence, le dépouillement des votes des deux commissions aura lieu à l’issue de notre audition.
Monsieur Ajdari, cette audition va vous permettre de nous exposer votre projet pour l’Arcom, ainsi que la façon dont vous concevez le rôle de président d’une autorité dont les compétences n’ont fait que s’étendre au fil du temps et dont les décisions sont régulièrement critiquées.
Je souhaiterais, pour ma part, vous poser deux questions.
Tout d’abord, quel regard portez-vous sur la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, adoptée par le Sénat et inscrite à deux reprises à l’ordre du jour de notre assemblée sans avoir encore pu être discutée ? La création proposée de la holding France Médias vous semble-t-elle opportune ou porteuse de certains risques ?
En outre, que pensez-vous du contenu de la proposition de loi transpartisane visant à garantir le droit d’accès du public aux informations relatives aux enjeux environnementaux et de durabilité ? Signé par des députés provenant de huit groupes politiques différents, dont plusieurs siègent dans cette commission, ce texte s’intéresse au traitement médiatique des enjeux écologiques et complète les prérogatives de l’Arcom en lien avec la protection de l’environnement dans le domaine de la communication audiovisuelle et numérique.
Mme Delphine Lingemann, rapporteure. Comme Mme la présidente l’a indiqué, votre nomination ne pourra être effective qu’après un vote dans chaque commission compétente de l’Assemblée nationale et du Sénat, dans les conditions prévues par l’article 13 de la Constitution. En ce domaine, le Parlement dispose d’un pouvoir de blocage à la majorité qualifiée. La règle est simple : si l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions, votre nomination ne sera pas possible. En revanche, si cette majorité qualifiée négative n’est pas atteinte, votre nomination pourra être confirmée. Votre nomination repose cependant davantage sur une adhésion que sur un cumul de votes négatifs inférieur à 60 %. Voilà pourquoi il est important que votre audition nous éclaire sur votre parcours et, plus encore, sur votre projet pour l’Arcom.
Sur le premier point, votre parcours présente de réelles garanties puisque, conformément à l’article 4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, vous disposez de compétences « en matière économique, juridique ou technique » et d’une « expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel, ou des communications électroniques ».
Vous avez exercé des fonctions importantes au sein de l’audiovisuel public, puisque vous avez travaillé comme directeur général délégué de Radio France avant d’être secrétaire général de France Télévisions. Vous connaissez également bien le travail de l’administration chargée du suivi du secteur, puisque vous avez occupé pendant quatre ans et demi le poste de directeur général des médias et des industries culturelles (DGMIC) au sein du ministère de la culture. Vous êtes également intervenu dans le suivi politique de ces sujets, puisque vous avez été le directeur du cabinet de Mme Aurélie Filippetti puis de Mme Fleur Pellerin lorsqu’elles étaient ministres de la culture et de la communication.
Vos centres d’intérêt ne se limitent pas à l’audiovisuel : votre goût prononcé pour l’art lyrique et la danse vous a conduit, à deux reprises, à travailler au sein de l’Opéra national de Paris, une première fois de 2009 à 2010, et une seconde fois depuis 2020. Je ne sais pas si votre possible départ de l’Opéra national de Paris pour l’Arcom s’apparenterait à une forme d’« enlèvement au sérail », mais votre nomination soulève bien entendu l’intérêt de notre commission.
Depuis sa création en 2022, à la suite de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), l’Arcom s’est rapidement imposée comme un acteur clé du secteur de l’audiovisuel, de la communication et du numérique, au point que son nom résonne aujourd’hui de manière familière aux oreilles de nombreux Français.
Pour autant, seule une partie des missions de l’Arcom est aujourd’hui connue. Les missions de l’Autorité ne se limitent pas, tant s’en faut, à l’attribution des fréquences hertziennes et aux sanctions adressées aux éditeurs, c’est-à-dire aux chaînes de télévision et de radio. Les décisions rendues par l’Arcom en ce domaine et votre vision de ce sujet feront sans doute l’objet de nombreuses questions, mais je crois utile de rappeler que le rôle de l’Autorité ne se résume pas à C8 et à CNews. Dans la loi relative à la liberté de communication, pas moins de trente articles sont consacrés à l’Arcom.
Ainsi, le champ d’intervention de l’Arcom est particulièrement vaste. Outre la gestion de l’attribution des fréquences hertziennes, radiophoniques et télévisuelles, ainsi que la régulation des médias audiovisuels, l’Autorité nomme les présidents des trois sociétés nationales de programme. Elle surveille l’utilisation licite et illicite des œuvres protégées sur les réseaux numériques, protège les droits d’auteur et les droits voisins contre les atteintes en ligne, et joue un rôle dans la protection des mineurs contre l’exposition à la pornographie en ligne. Elle intervient également dans la lutte contre le piratage des droits sportifs. Enfin, elle soutient indirectement la création en vérifiant le respect des obligations de diffusion des œuvres audiovisuelles et cinématographiques ainsi qu’en contrôlant le respect des obligations d’investissement des éditeurs de services. L’Arcom est donc un acteur central de notre paysage audiovisuel et numérique.
Pour assurer ces missions, cette structure s’appuie sur un collège de neuf membres, un peu plus de 350 collaborateurs et un budget légèrement supérieur à 50 millions d’euros.
Les missions de l’Arcom sont régulièrement complétées par le législateur. Cela était déjà le cas au temps du CSA et de la Hadopi ; cela l’est encore aujourd’hui, puisque la loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a par exemple confié à l’Arcom le pouvoir de sanctionner et de bloquer administrativement les sites pornographiques ne respectant pas leur obligation pénale d’empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus.
J’espère que votre audition permettra d’évoquer l’ensemble des compétences de l’Arcom, et qu’elle ne se limitera pas à déterminer si vous êtes pour ou contre Cyril Hanouna ou Pascal Praud. De mon côté, je souhaiterais vous poser cinq questions.
La première concerne votre regard sur les évolutions annoncées du paysage audiovisuel sur la télévision numérique terrestre (TNT). Pour la première fois, l’Arcom n’a pas renouvelé les fréquences de deux éditeurs sortants, C8 et NRJ12, et a présélectionné les candidatures de deux autres candidats, Ouest France TV et Réels TV. Plus récemment, le groupe Canal+ a annoncé renoncer en juin 2025 aux quatre canaux qu’il occupait jusqu’alors sur la TNT pour ses chaînes payantes : Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport et Planète+. Ce retrait suscite des inquiétudes, même si Canal+ demeurera assujetti aux obligations de développement de la production d’œuvres cinématographiques figurant dans le décret « cabsat ».
Cette annonce du groupe Canal+ pose plus généralement la question de l’avenir de la TNT, sur laquelle je souhaiterais aussi entendre votre point de vue. La régulation audiovisuelle a en effet été conçue autour d’un modèle simple : en contrepartie de l’attribution d’une fréquence hertzienne, par nature limitée, les éditeurs sont soumis à différentes obligations et prennent des engagements relatifs à la qualité des programmes ou au financement de la création. Or les Français regardent de moins en moins la télévision par la TNT : la réception par internet, via les fournisseurs d’accès à internet (FAI), est devenue le premier mode d’accès à la télévision et poursuit sa progression. Contrairement aux fréquences hertziennes, le nombre de chaînes n’est pas limité techniquement via internet. Comment envisagez-vous donc l’avenir de la régulation de l’audiovisuel dans ce contexte de déclin de la TNT ?
Ma deuxième question concerne la mise en œuvre du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion par les éditeurs de services. Depuis l’arrêt Reporters sans frontières (RSF) du 13 février 2024, le Conseil d’État impose à l’Arcom de prendre en compte, pour évaluer le respect du pluralisme, les temps de parole de tous les intervenants, et plus seulement des personnalités politiques comme c’était le cas auparavant. Tenant compte de cette décision, l’Arcom a adopté le 17 juillet 2024 une délibération visant à en préciser les modalités d’application et a décliné ce principe dans les premières conventions conclues la semaine dernière avec des chaînes de la TNT. Nous souhaiterions savoir comment vous comptez mettre en œuvre cette délibération relative au respect du pluralisme des courants de pensée et d’opinion par les éditeurs de services. Quels équilibres préconisez-vous ? Comment le contrôle de l’Arcom devrait-il, selon vous, s’effectuer ?
Ma troisième question porte sur les conditions de déploiement de la radio numérique terrestre (DAB+). En tant qu’élue d’un département rural, le Puy-de-Dôme, je suis particulièrement attachée à ce que ce dispositif se déploie sans dégrader la qualité du service en milieu rural. Aujourd’hui, la couverture de la population métropolitaine par le DAB+ a dépassé 50 % ; on sait toutefois que les 50 % restants seront les plus difficiles à atteindre, surtout dans les territoires ruraux et ultramarins. Je vous écouterai donc sur ce point avec une attention particulière.
Ma quatrième question concerne la responsabilité confiée à l’Arcom par l’article 28 de la loi relative à la liberté de communication. L’Autorité est ainsi chargée de se pencher sur le temps consacré à la diffusion des programmes sportifs, l’objectif étant de garantir une « représentation équilibrée entre le sport féminin et le sport masculin », de favoriser la professionnalisation du sport féminin et d’assurer la diffusion du handisport, dont nous avons vu cet été, à l’occasion des Jeux paralympiques, qu’il pouvait intéresser un large public. Quelle serait votre feuille de route sur ces points ?
J’aimerais enfin appeler votre attention sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques en ligne. Sur son site internet, l’Arcom rappelle que, chaque mois, « 2,3 millions de mineurs, dont certains très jeunes, fréquentent des sites pornographiques auxquels l’accès devrait pourtant leur être empêché ». Sur ce sujet, l’Arcom a un rôle particulier à jouer, puisqu’elle a récemment établi un référentiel assorti d’exigences visant à renforcer la fiabilité du contrôle de l’âge des utilisateurs et à garantir le respect de la vie privée. La loi du 21 mai 2024 a également confié à l’Arcom des pouvoirs de sanction et de blocage administratif des sites pornographiques ne respectant pas la loi. La lutte contre la pornographie en ligne constituera-t-elle également un axe fort de votre projet ?
M. Martin Ajdari, proposé aux fonctions de président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Je suis très heureux et très honoré de me présenter devant votre commission et de me soumettre à votre vote, étant pleinement conscient de l’importance de la mission que le président de la République a proposé de me confier et dont vous avez rappelé le champ extrêmement vaste. Dans un environnement dont le rythme de mutation ne cesse de s’accélérer, l’Arcom est en effet appelée à jouer plus que jamais un rôle de premier plan, pour la qualité de l’information et du débat public, pour la diversité de la création, pour la protection des publics et, en définitive, pour le fonctionnement de notre démocratie. Pour cette raison, l’Arcom entretient un lien très étroit avec le Parlement et avec la commission des affaires culturelles.
Avant de vous exposer ma vision des principaux enjeux de l’Arcom dans les prochaines années, permettez-moi de revenir rapidement sur le parcours professionnel qui me conduit devant vous. Ce dernier présente une triple dimension : culturelle d’abord, mais aussi financière et européenne, grâce aux différentes responsabilités que j’ai exercées à Bercy, rue de Valois et, depuis près de cinq ans, à l’Opéra national de Paris. Ce parcours a par ailleurs une dominante assez nette, à savoir l’audiovisuel public, dont j’ai eu la chance de pouvoir explorer de nombreuses facettes.
À RFI et à Radio France, tout d’abord, j’ai travaillé auprès de Jean-Paul Cluzel, à l’époque où nous lancions les premiers podcasts et les premiers éléments de la radio numérique terrestre en France. J’ai ensuite exercé des fonctions à France Télévisions, auprès de Rémy Pfimlin, au moment où France 2, France 3, France 5 et RFO ont fusionné dans ce que l’on appelait à l’époque l’« entreprise unique » – les questions de holding et de fusion se posaient déjà ! J’ai par la suite élargi mon champ d’intervention à la tête de la DGMIC, où je me suis consacré au développement non seulement de l’audiovisuel, public et privé, mais aussi de la presse, du livre et de la musique, en relation étroite avec les différents maillons de ces industries : sociétés d’auteurs, producteurs de films et de musique, éditeurs de médias et de livres, distributeurs… L’ensemble de ces acteurs est essentiel à la vitalité de nos politiques culturelles.
Cette époque m’a permis de contribuer à plusieurs évolutions assez importantes du cadre juridique de l’audiovisuel. J’en citerai trois. Je pense d’abord à la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), qui a intégré dans notre dispositif de financement les plateformes de vidéo à la demande (VOD) ; cela permet aujourd’hui au secteur de bénéficier de 360 millions d’euros annuels supplémentaires. Je pense aussi à la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, qui a suscité à l’époque de nombreux débats, mais qui a marqué un tournant important dans le rapport du législateur au fait numérique. Je citerai enfin le projet de loi présenté par Franck Riester en 2020, dont l’examen a été suspendu par le covid mais qui a néanmoins abouti, sous la conduite de Roselyne Bachelot, à la création de l’Arcom au début de l’année 2022. Plusieurs dispositions du projet de loi initial se retrouvent par ailleurs dans la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle du sénateur Laurent Lafon, que votre commission avait prévu d’examiner ce mois-ci.
Pendant cette période, la DGMIC a aussi accompagné des évolutions importantes pour les médias et la presse. Je citerai simplement la loi de 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche, ainsi que la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse en 2019, qui constitue une autre avancée importante. Je n’oublie pas la création du Centre national de la musique (CNM), en 2019 également. Ces années intenses m’ont donné une conviction profonde, celle qu’il est possible et souhaitable de s’armer juridiquement et intellectuellement pour adapter nos politiques publiques aux bouleversements qu’engendrent les technologies et les usages numériques, aujourd’hui omniprésents. C’est fort de cette conviction que j’aspire aujourd’hui, si vous y consentez, à m’engager dans une nouvelle mission pour l’audiovisuel.
Je vous donnerai quelques éléments sur le projet qui m’inspire, avec la modestie toutefois de celui qui se trouve encore à l’extérieur de l’Arcom et ne dispose pas de l’expertise de toutes ses équipes et de son collège.
Avant toute chose, je voudrais saluer le bilan remarquable de l’Arcom et de son président, Roch-Olivier Maistre. La fusion du CSA et de la Hadopi, décidée par le législateur, a fait émerger un nouvel acteur, reconnu et respecté, doté d’une nouvelle identité et dont le rôle relève pour moi plus de celui d’un régulateur que d’un gendarme. Son périmètre est élargi aux nouveaux acteurs omniprésents dans la vie des Français que sont les plateformes numériques et les réseaux sociaux, et à de nouveaux défis, bien connus : le déferlement de la haine en ligne, la désinformation et l’exposition des enfants à la pornographie. Ce mandat est aussi celui de l’adoption du règlement sur les services numériques, qui donne à l’Arcom un rôle renouvelé, reposant sur des outils de régulation d’un genre nouveau, plus souples, coopératifs et permettant une plus grande supervision. Il s’agit maintenant de déployer cette compétence nouvelle. On connaît la forte attente qui existe sur la capacité à intégrer les nouvelles plateformes dans le champ de la régulation, ou du moins à ne pas les laisser complètement à l’extérieur de celui-ci.
Je compte donc m’appuyer sur cet acquis important et sur trois grands principes, qui l’ont inspiré et qui m’inspireront si vous y consentez : la liberté de communication, l’impartialité de la régulation et la collégialité de la décision.
La liberté de communication résulte de la loi de 1986, qui définit les missions de l’Arcom. C’est une loi de liberté, et en aucun cas une loi de censure ou de police de la pensée. La liberté de communication est le bien le plus précieux, dont l’exercice doit se conjuguer avec son corollaire, le principe de responsabilité, qui intervient dans un second temps.
Le deuxième principe est l’impartialité de la régulation, vis-à-vis de tous les courants de pensée et de tous les acteurs, tant publics que privés, qu’ils soient historiques ou plus récents.
La collégialité de la décision, enfin, est la garantie fondamentale de l’indépendance de l’institution. Elle est aussi un gage d’intelligence collective, compte tenu de la diversité des talents qui composent le collège.
Au cours des années à venir, ces principes devront être déployés au service de plusieurs grands enjeux que je tenterai de décrire à grands traits.
Le premier enjeu est celui que je regrouperai dans la notion un peu générique d’intérêt du public, aux dimensions nombreuses.
Il s’agit tout d’abord de l’objectif général de diversité et de qualité des programmes dans la gestion et l’attribution des fréquences. Ce sera l’un des enjeux du prochain appel à candidatures, en vue de l’arrivée à échéance, en 2027, des autorisations de la troisième vague de la TNT.
L’intérêt du public rejoint aussi la question de la numérotation, qui se pose avec une acuité inédite, ainsi que les perspectives de modernisation technologique, avec la généralisation de la télévision connectée, le développement des formats améliorés de diffusion – l’ultra-haute définition (UHD) – et le déploiement souhaitable du DAB+ sur tout le territoire.
Il s’agit également de poursuivre l’évolution engagée depuis plus de vingt ans pour que l’offre audiovisuelle soit plus représentative de la société française dans toutes ses composantes. Un récent rapport de l’Arcom montre qu’en matière de représentation des personnes en situation de handicap, beaucoup de progrès restent à faire. On ne peut que se féliciter de l’exposition formidable du parasport lors de la séquence olympique – un événement sur lequel il convient de capitaliser. Il faut aussi que la présence à l’antenne et le temps de parole effectif des femmes continuent de progresser. L’audiovisuel doit s’adresser à tous les Français et à tous les territoires, à commencer par les outre-mer.
L’intérêt du public, enfin, recouvre de plus en plus une exigence de protection : contre les contenus illicites ou nocifs, contre les risques addictifs – je pense ici à des enjeux majeurs de santé publique et d’éducation des jeunes publics –, contre les ingérences et influences extérieures. Sur ce dernier point, l’actualité montre régulièrement, et encore tout récemment en Roumanie, que le risque n’est pas que théorique.
Le deuxième grand enjeu est celui de la qualité et de la confiance dans l’information. Une enquête récente de la Fondation Jean Jaurès montre la perte de repères et de confiance dans l’information d’un grand nombre de concitoyens. Les médias traditionnels se trouvent confrontés à des menaces et à des risques bien identifiés : la décrédibilisation, la polarisation des débats, la paupérisation des acteurs… Je n’oublie pas les risques associés au développement de l’intelligence artificielle, même si ces derniers sont assortis de perspectives très prometteuses.
En matière d’information, je m’emploierai en particulier à avancer sur la question du pluralisme, en lien avec les éditeurs, afin de travailler aux modalités concrètes de traduction de la délibération récente adoptée par l’Arcom à la suite de la décision du Conseil d’État. J’aurai aussi à cœur d’accompagner les évolutions en matière de concentration auxquelles nous engage le règlement européen sur la liberté des médias. Ces sujets font l’objet de très nombreuses réflexions depuis quelques années, comme le montrent les travaux passionnants menés dans le cadre des états généraux de l’information, les propositions émises par votre commission et les travaux du Sénat. Il s’agit là de questions centrales pour la démocratie, qui renvoient à la compétence fondamentale du législateur. C’est donc dans le cadre que vous définirez que le régulateur pourra apporter sa pierre à l’édifice.
Une autre préoccupation majeure, non sans lien avec la précédente, est de veiller à la santé de l’écosystème des médias et de l’audiovisuel, car il ne peut y avoir d’ambition culturelle et éditoriale sans dynamisme économique. Trois objectifs sont à poursuivre à ce titre.
Il convient tout d’abord de soutenir la vitalité de notre création cinématographique audiovisuelle. La consolidation des acquis de la directive SMA, qui pourrait être réexaminée en 2026, est absolument prioritaire.
Le deuxième objectif est de réduire les asymétries de régulation entre les acteurs du numérique et les acteurs historiques. Ces derniers assurent 80 % du financement de la création, alors que les nouveaux acteurs numériques, dont une bonne moitié sont entièrement extra-européens, perçoivent plus de la moitié des recettes publicitaires – cette part devrait même s’élever à deux tiers à la fin de la décennie. Ce sera aussi l’occasion de se pencher sur le fonctionnement du marché publicitaire et de chercher les moyens d’accroître la transparence de ce dernier.
Le troisième objectif est de lutter contre le piratage des films, des séries et des droits sportifs – un enjeu évalué à 1,5 milliard d’euros par an. Certains progrès très encourageants ont pu être constatés grâce aux outils mis en place par le législateur depuis deux ou trois ans. La consommation illégale a diminué mais reste beaucoup trop élevée ; sa recrudescence depuis la rentrée dernière nous engage à aller plus loin et à faire en sorte que le régulateur puisse être plus réactif.
Le quatrième grand enjeu est celui de l’accompagnement des évolutions de notre audiovisuel public, qui représente 30 % de l’audience, à la télévision comme à la radio, et qui joue un rôle essentiel pour le financement de la création, pour l’accès à une information de référence, pour le rayonnement international de notre pays et pour la présence dans tous les territoires. L’actualité récente l’a montré dans un contexte dramatique, puisque la couverture du cyclone Chido a été possible dès les premières heures grâce aux équipes de Mayotte La Première. Le rôle et la singularité de l’audiovisuel public doivent être confortés, de même que son efficacité collective, à travers des coopérations plus étroites. La promulgation de la loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, qui est un acquis important, nous engage à définir les conditions de cette efficacité collective. J’y contribuerai à mon niveau, dans le cadre que vous aurez choisi.
Enfin, un dernier défi, plus prospectif, concerne l’anticipation du basculement, à l’horizon de la prochaine décennie, d’un monde centré sur la diffusion linéaire vers un monde plus largement délinéarisé, dont la régulation reste encore largement à inventer. La délibération récente de l’Arcom sur la mise en avant des services d’intérêt général montre d’une certaine façon la voie aux outils d’une régulation future. Il est clair que la TNT conservera longtemps des atouts et une attractivité importante – j’en veux pour preuve le succès du récent appel à candidatures de l’Arcom –, même s’il faut en parallèle se préparer aux défis du futur.
S’agissant des moyens et des modalités d’action et d’intervention de l’Arcom pour mettre en œuvre ces priorités, il est à noter tout d’abord que l’Autorité doit continuer de renforcer son expertise dans le domaine numérique. Le Parlement a bien voulu accroître ses moyens d’une vingtaine d’emplois en même temps qu’il lui a confié de nouvelles compétences. J’espère que ce mouvement pourra se poursuivre, mais la réponse devra aussi reposer sur des redéploiements internes à l’Arcom, dont je souhaite saluer la qualité et l’engagement des agents.
L’Arcom doit, par ailleurs, être plus que jamais ouverte à ses partenaires et fonctionner en réseau. Une coopération est essentielle aux niveaux européen et international, en particulier avec le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (Erga), qui va se transformer en Comité européen des services de médias. Au niveau national, une coopération renforcée est nécessaire avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), pour la mise en œuvre du règlement sur les services numériques, avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ou encore avec Viginum, dans le cadre de la lutte contre les tentatives d’ingérence extérieure.
Je veillerai à intensifier encore la pédagogie et la communication sur les enjeux de la régulation et sur le sens des décisions prises par l’Arcom. L’éducation aux médias et à la citoyenneté numérique est un élément central : c’est la condition de la confiance, et même de l’efficacité de la régulation.
J’ai commencé mon propos en soulignant l’enjeu des missions de l’Arcom pour le fonctionnement de la démocratie, je voudrais le conclure en évoquant l’enjeu de souveraineté qui lui est associé. Nous sommes passés d’un écosystème médiatique cloisonné, dominé par quelques grands diffuseurs nationaux, à un environnement ouvert et fragmenté, où les acteurs numériques, tous extra-européens – Netflix, Meta, X, TikTok et d’autres –, occupent une place centrale et où se jouent des compétitions, parfois des conflits ou des guerres, économiques, culturelles et informationnelles. L’Arcom doit être en première ligne et déployer une régulation efficace afin de contribuer à un audiovisuel dynamique et à un internet plus sûr.
Pour répondre à votre première question, madame la présidente, la proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle comporte en l’état actuel deux grands volets : un large volet sur l’audiovisuel public, et une série de dispositions générales relatives à l’efficacité et à l’évolution du paysage audiovisuel.
L’audiovisuel public, pour lequel j’ai ardemment travaillé, joue un rôle essentiel, que j’ai rappelé, pour le financement de la création, la qualité de l’information, la présence territoriale et la capacité de la France à rayonner à l’étranger. Ce rôle est majeur et doit être renforcé. Or le contexte de « média global » est beaucoup plus ouvert : les différents supports, qu’ils soient écrits – au format papier ou numérique –, audiovisuels, visuels ou sonores, convergent de plus en plus et sont utilisés par chacun des acteurs. Une mise en commun des moyens des uns et des autres peut être nécessaire pour atteindre une taille critique. Même rassemblé, l’audiovisuel public français reste un acteur de taille modeste dans la compétition informationnelle à l’échelle française, européenne et mondiale. Je le répète, il y a un enjeu de coopération, de mise en commun des forces des uns et des autres, des capacités technologiques et des capacités de projection, de captation de l’information sur tous les territoires. Face à l’intelligence artificielle, par exemple, on ne peut pas imaginer que trois ou quatre acteurs déploient individuellement des efforts dans leur domaine, alors que même réunis ils ne sont pas d’une taille excessive.
D’une certaine façon, les coopérations engagées dans le cadre de France Info et le rapprochement régional entre France Bleu et France 3 sont des initiatives allant dans ce sens. Il y a dix ans, personne n’aurait imaginé qu’elles puissent aller aussi loin ! Or, à l’instar de Roch-Olivier Maistre, beaucoup d’acteurs constatent aujourd’hui que ces progrès ne sont pas assez rapides. Il faut aller plus vite et pouvoir déterminer plus aisément une stratégie commune, appliquée par tous.
Le cadre doit évidemment être défini par le législateur. À titre personnel, la création d’une holding me semble intéressante en ce qu’elle permet de préserver l’autonomie de chaque société tout en disposant d’une direction intégrée à même de définir les sujets sur lesquels créer, thème par thème, une filiale ou une structure de projet, par exemple sur le numérique. Cela suscite toutefois des interrogations. Concernant France Médias Monde, en particulier, les craintes d’une sous-priorisation de la dimension extérieure par rapport à la dimension nationale peuvent se comprendre historiquement, et le débat est légitime. Pour ma part, je souhaite une capacité d’intégration de la décision plus forte, pour des coopérations plus actives et en pleine concertation avec les acteurs.
Vous m’avez aussi interrogé sur la proposition de loi visant à garantir le droit d’accès du public aux informations relatives aux enjeux environnementaux et de durabilité. L’écosystème médiatique et audiovisuel a une responsabilité très importante dans la sensibilisation des citoyens aux enjeux environnementaux. Cette mission est multiforme. Il existe un Observatoire des médias sur l’écologie, qui réunit des acteurs associatifs aux côtés de l’Agence de la transition écologique (Ademe) et de l’Arcom, qui le cofinancent ; cette instance couvre les médias audiovisuels, ainsi que la presse à partir de l’année prochaine. De son côté, l’Arcom a associé onze chaînes de télévision et huit chaînes de radio à son action en matière de sensibilisation aux enjeux relatifs à l’information sur l’écologie ; elle a par ailleurs intégré cette dimension dans les conventions qu’elle a passées. En outre, il me semble que tous les éditeurs sont aujourd’hui engagés dans des contrats « climat » portant sur la formation des journalistes, le décompte des sujets consacrés à l’écologie ou à l’environnement dans les actualités, la diffusion de messages de sensibilisation et la mise en avant d’annonceurs ayant eux-mêmes conclu des contrats « climat ». Tout un arsenal est ainsi déjà déployé par l’Arcom. Je n’ai pas aujourd’hui le recul suffisant pour dire s’il doit être assorti de mesures plus contraignantes. Du côté des annonceurs, il semble y avoir un moindre engagement et une moindre prise en compte de l’efficacité énergétique des biens et services qu’ils promeuvent. L’engagement de toute la filière doit être pris en considération. Il est par ailleurs tout à fait légitime que le législateur joue son rôle d’aiguillon sur ces sujets.
Je répondrai encore à quelques questions, notamment à celle relative au DAB+. Pour avoir longtemps travaillé au sein du groupe Radio France, je sais que la radio est un formidable média de l’intimité, de l’interactivité et de l’accompagnement. C’est aussi le média dans lequel les Français ont le plus confiance et qui assure un pluralisme extrêmement large, avec plus d’un millier de services autorisés, dont plusieurs centaines outre-mer. Le risque est que son déploiement sur le numérique soit limité et contraint, et que des supports moins libres et moins souverains, comme les smartphones, prennent plus de place. La FM est par ailleurs un très bon mode de diffusion, mais elle est limitée en nombre de services autorisés et en raison du coût de la diffusion. Le DAB+ est donc un projet enthousiasmant, dont le Livre blanc de la radio, publié par l’Arcom, présente tous les enjeux. Il est très important que l’ensemble de la filière de la radio se mobilise, avec l’aide des pouvoirs publics, pour favoriser la notoriété du DAB+ et permettre la bascule à l’échéance de 2030.
Avec les Jeux olympiques, mais déjà auparavant, nous avons constaté une présence bien plus forte du sport féminin à l’antenne. Les sports collectifs féminins tels que le football et le rugby gagnent en attractivité. J’ai le sentiment que le mouvement est en marche. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de renforcer les règles applicables, même s’il faut rester vigilant sur ce sujet.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous propose de répondre aux questions restantes dans quelques minutes, après les interventions des orateurs des groupes.
M. Philippe Ballard (RN). À court et moyen terme se pose la question de la survie de nos acteurs audiovisuels, radiophoniques et télévisuels, submergés par des normes désuètes, qui datent pour certaines du siècle dernier et ne sont absolument plus adaptées au marché actuel, marqué par l’explosion du numérique et l’essor des Gafam. Il est désormais urgent de tenir compte de la concurrence frontale que subissent les acteurs historiques français. Nous ne comptons plus les différents dispositifs anticoncentration qui brident le développement du secteur. Ce constat est partagé par de nombreux acteurs, dont des universitaires comme Francis Balle, ancien membre du CSA, qui considère que nos acteurs « souffrent d’un trop grand émiettement » et que la réglementation française devrait « se donner pour objectif la puissance des acteurs nationaux dans un univers, celui des médias, de plus en plus global ». Êtes-vous favorable à un assouplissement des règles anticoncentration pour que subsiste une souveraineté audiovisuelle française ?
En outre, l’Arcom a pour rôle de garantir une certaine neutralité des propos tenus sur les antennes. Comptez-vous exercer un réel contrôle des antennes de l’audiovisuel public, alors que de plus en plus de Français manifestent une certaine défiance envers les journalistes ? Il est inacceptable de continuer à avoir des émissions manquant gravement à leurs obligations de pluralisme sur les antennes du service public. Les exemples ne manquent pas. Je pense par exemple à une émission en public, sur France Inter, pendant la campagne des élections législatives, se vantant de s’opposer au Rassemblement national. Plus récemment, sur France 5, un présentateur est sorti de sa neutralité en reprochant à Boualem Sansal d’employer « les mots du colonisateur » et en n’apportant aucune contradiction à plusieurs intervenants qui accusaient gravement l’auteur emprisonné en Algérie. Je ne parle même pas des programmes aux dérives ouvertement wokistes, sur France 24 ou France.tv Slash, épinglés à de nombreuses reprises, ce qui avait d’ailleurs poussé le directeur des programmes à admettre « des erreurs et maladresses » dans la diffusion de certains contenus.
Mme Céline Calvez (EPR). L’Arcom exerce des missions déterminantes dans l’espace public : promouvoir et protéger la création française et européenne, soumise à une forte concurrence de l’attention qui met en jeu à la fois notre liberté et notre capacité d’influence ; assurer la régulation des acteurs techniques et économiques, des producteurs jusqu’aux éditeurs traditionnels ou émergents ; garantir le pluralisme et la cohésion sociale, plus nécessaires que jamais pour nos démocraties en ces temps de fatigue informationnelle et de bulle sociale. À ces dimensions est venue s’ajouter, plus récemment, la supervision des plateformes, pour laquelle la législation nationale et européenne n’a cessé d’étoffer les compétences du régulateur. Vous connaissez cette dimension européenne, qui fait écho au travail renforcé de coopération de l’Arcom avec les régulateurs des autres États membres, via l’Erga. En 2025, vous aurez à finaliser le renouvellement des fréquences TNT, de même que la renumérotation des chaînes sur ces services. Il vous faudra aussi, avec les membres du collège de l’Arcom, déterminer la candidature à retenir pour présider France Télévisions.
Les conclusions issues des travaux des états généraux de l’information ouvrent par ailleurs la voie à des évolutions. J’aimerais m’attarder sur les préconisations en matière de concentration des médias, au cœur du besoin d’investissement financier mais aussi de pluralisme et d’impartialité. Quelle est votre vision sur le sujet ?
Un autre défi est de mettre un terme aux asymétries entre les médias traditionnels et les médias plus récents. Faut-il tout libéraliser ou contraindre davantage les acteurs qui ne le sont pas assez ?
Du fait de la présentation de votre projet et considérant votre parcours, qui atteste d’une forte expertise, le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de votre nomination à la présidence de l’Arcom.
M. Aymeric Caron (LFI-NFP). Le plus grand échec de l’Arcom est probablement son incapacité à faire respecter le pluralisme et à empêcher le développement de la parole raciste et mensongère sur de nombreuses antennes. Ainsi, pendant la dernière campagne des législatives, Europe 1 a mis en place une émission politique quotidienne dédiée aux idées de l’extrême droite, avec des chroniqueurs d’extrême droite et des invités d’extrême droite. Cette émission a servi à taper sur le Nouveau Front populaire en général et sur La France insoumise en particulier. L’Arcom a réagi, mais si mollement que l’émission a presque continué comme si de rien n’était. Si l’Arcom est un gendarme de l’audiovisuel, elle n’a rien à voir avec ceux envoyés à Sainte-Soline : elle avertit beaucoup mais réprime rarement. Le journal Politis a d’ailleurs récemment interrogé d’anciens membres de l’Arcom, et l’un d’eux dit ceci : « L’Arcom est une machine lourde et à la ramasse face à l’agilité des chaînes d’information et d’opinion. » Que comptez-vous faire pour que l’Arcom soit enfin efficace, sachant que ce n’est pas qu’une question de moyens et d’outils ?
Comment l’Arcom a-t-elle pu renouveler la fréquence TNT d’une chaîne d’opinion islamophobe comme CNews, chaîne qui ne respecte pas ses obligations conventionnelles, qui a été sanctionnée à de multiples reprises mais qui continue de diffuser tous les jours des fake news ? Cette décision est absolument incompréhensible et discrédite l’institution. Vous objecterez peut-être que l’Arcom a éjecté C8 de la TNT. Certes, mais pour la remplacer par la chaîne d’un autre milliardaire, Daniel Křetínský. Cette chaîne de débats est portée par deux polémistes médiatiques, proches du Printemps républicain, qui se sont récemment illustrés par leur soutien aux crimes de guerre de l’armée israélienne à Gaza. Êtes-vous d’accord avec ces choix de l’Arcom pour la TNT ?
Enfin, vous venez de plaider pour que la télévision et la radio publiques françaises aient une présidence commune au sein d’une holding. Comment expliquez-vous que tous les syndicats des entreprises concernées, voire les directions, soient opposés à cette présidence commune ? Est-ce parce qu’ils n’en comprennent pas correctement les enjeux ?
Je vous demanderai de répondre à ces trois questions avec franchise et sans évitement, d’autant que nous n’avons pas d’a priori sur notre vote, qui dépendra donc de vos réponses.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). C’est sans doute la première fois qu’une autorité administrative indépendante comme l’Arcom concentre autant d’attention. Peut-être faut-il même rappeler qu’il ne revient pas aux autorités administratives d’être législateur à la place de ce dernier.
Je voudrais tout d’abord exprimer mon soutien à nos compatriotes de Mayotte et rendre hommage, monsieur Ballard, au service public de l’audiovisuel, qui est le seul à même d’informer nos concitoyens sur la situation dramatique à laquelle ils sont confrontés, via la bande FM ou la télévision dans les rares endroits où l’électricité a pu être rétablie. Je connais votre obsession, au Rassemblement national, pour tuer le service public de l’audiovisuel. N’en oubliez pas sa mission essentielle, y compris en matière d’intérêts souverainistes qui vous préoccupent.
Je voudrais aussi saluer la présidence de Roch-Olivier Maistre. Durant son mandat, l’Arcom a connu une montée spectaculaire, notamment en matière d’attentes sociétales et politiques. À travers lui, c’est à tous les agents de l’Arcom que je souhaite rendre hommage.
Monsieur Ajdari, je suis très heureux de vous retrouver ici. À l’évidence, votre parcours atteste de vos compétences pour exercer les fonctions de président de l’Arcom. Pour éclairer notre décision, je souhaiterais vous interroger sur plusieurs sujets, qui me paraissent fondamentaux, notamment pour garantir l’indépendance de l’Autorité. Quel est l’avenir de la plateforme de la TNT, compte tenu de l’annonce du retrait de Canal+ ? Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur la régulation audiovisuelle ? En outre, la décision du Conseil d’État du 13 février dernier a fait l’objet d’une délibération de l’Arcom, que j’estime incomplète. Qu’entendez-vous y apporter à l’avenir, si vous accédez à la présidence de cette autorité ?
Mme Virginie Duby-Muller (DR). Instance de régulation du secteur audiovisuel, l’Arcom est confrontée à de nombreux défis : renouvellement des fréquences de la TNT, réforme de l’audiovisuel public, régulation du numérique, financement de la création et défense du pluralisme.
Votre parcours témoigne d’une expérience riche dans le monde de la culture, avec notamment trois années à Radio France en tant que directeur général délégué, entre septembre 2006 et juin 2009, puis quatre années à France Télévisions, qui vous ont conduit à la fonction de secrétaire général.
Ma première question porte sur le projet de réforme de l’audiovisuel engagé avant la dissolution. Il devait être examiné pendant l’hiver mais a de nouveau été mis en pause du fait de la censure du gouvernement. Avec mon collègue Jérémy Patrier-Leitus, nous étions corapporteurs de la proposition de loi Lafon, adoptée au Sénat, et avions commencé un cycle d’auditions. Pourriez-vous esquisser votre vision de l’avenir de l’audiovisuel public et nous donner votre avis sur cette réforme, qui prévoit la création d’une holding et l’intégration de France Médias Monde ?
Ma deuxième question porte sur le renouvellement des fréquences de la TNT. Si vous êtes nommé président de l’Arcom, vous devrez appliquer des décisions prises par votre prédécesseur, en l’occurrence la fermeture de deux chaînes, C8 et NRJ12, et l’installation de deux nouveaux projets, Ouest France TV et Réels TV. De même, on entend beaucoup parler d’une évolution de la numérotation des chaînes et de la création d’un bloc de chaînes d’information. Comment envisagez-vous ces évolutions qui vont bouleverser l’audiovisuel public ?
En outre, l’Arcom a lancé en septembre 2023 une mission sur l’intelligence artificielle. Quel regard portez-vous sur cette technologie, qui représente certes une source d’innovation et de créativité, mais dont l’usage peut aussi constituer un problème voire un danger ? Comment envisagez-vous donc de mieux réguler les plateformes ?
Je conclurai mon intervention en évoquant la diffusion d’événements sportifs sur des chaînes payantes. La saison actuelle est marquée par des taux de visionnage illicites du championnat de France de football jamais vus, que ce soit sur les services IPTV ou sur des applications de messagerie comme Telegram. Comment comptez-vous mieux lutter contre ces pratiques illicites ?
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Ma première question concerne l’audiovisuel public, dont l’Arcom garantit l’indépendance, notamment par la nomination de ses dirigeants. Pour autant, lorsqu’on évoque la création d’une holding ou la fusion des entités de l’audiovisuel public, on envisage de concentrer le pouvoir exécutif de cet audiovisuel public dans une seule structure, voire dans une seule personne. Roch-Olivier Maistre parlait de la nécessité d’une présidence avec une vision, mais ne pensez-vous pas que ce mouvement peut nuire gravement à l’indépendance des médias audiovisuels publics, surtout dans un contexte où chaque décision budgétaire peut avoir un impact direct et extrêmement grave sur ces entreprises ?
Ma deuxième question porte sur les futures chaînes de la TNT et le renouvellement des conventions, désormais plus précises et certainement plus musclées que ne l’étaient les précédentes. Toutefois, le problème de ces dernières est surtout qu’elles n’étaient pas respectées et que l’Arcom a été obligée de prononcer des dizaines de sanctions à l’encontre de certaines chaînes, dont seize contre CNews en 2024. Si une chaîne ne respecte pas sa convention, que ce soit à la lettre ou dans l’esprit du pluralisme, il faut faire en sorte que les choses puissent s’arrêter. Malgré les sanctions prises, l’Arcom a fait montre d’une certaine forme d’impuissance. Comment faire pour que cette impuissance cesse et que l’intérêt général soit respecté pour l’ensemble des chaînes de la TNT ?
Mme Géraldine Bannier (Dem). Dans son enquête « L’exode informationnel » publiée la semaine dernière, la Fondation Jean Jaurès indique que « les Français sont des millions à fuir un écosystème médiatique saturé d’informations répétitives, anxiogènes et conflictuelles ». Ainsi, 43 % d’entre eux jugent peu important de s’informer, et 51 % estiment ne pas avoir confiance dans les médias d’information. Dans ce contexte bien peu rassurant, j’aimerais vous interroger sur la façon dont un téléspectateur lambda peut avoir facilement connaissance de la ligne éditoriale d’un média et, pour être très clair, de son positionnement politique lorsque celui-ci est assez manifestement revendiqué. Ne faudrait-il pas mettre en ligne, sur le site de l’Arcom, une forme d’indicateur de positionnement des médias sur l’échiquier politique, quitte à ce que cet indicateur repose sur une évaluation des téléspectateurs eux-mêmes ? Il paraîtrait normal qu’un téléspectateur peu versé dans l’univers des médias puisse être rapidement informé de la sensibilité idéologique des programmes qu’il regarde. Ce pourrait être une façon de restaurer un peu de la confiance des Français dans leurs médias, sans résoudre pour autant tout à fait le problème des contenus.
Permettez-moi enfin de saluer tout spécialement votre affinité particulière pour le territoire situé entre Laval et Châteaubriant.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Je salue à mon tour le travail des journalistes reporters d’images à Mayotte, qui permet de mesurer le désastre auquel nos concitoyens mahorais font face.
L’Arcom joue un rôle essentiel dans la crise de l’information que nous traversons – je dirais même dans la guerre de l’information à laquelle nous faisons face. Le choix de son prochain président revêt donc une importance particulière pour les législateurs que nous sommes, car nous aurons à travailler étroitement avec lui pour apporter des réponses ambitieuses, y compris législatives, aux menaces majeures qui pèsent sur le secteur. Progression préoccupante des fausses informations, ingérences étrangères, situation de quasi-monopole des plateformes et des acteurs du numérique, contenus illicites : les défis sont nombreux. J’ajouterai à cette liste les bouleversements des usages et des technologies numériques, conjugués à la crise des médias traditionnels, qui constituent des enjeux majeurs en matière de souveraineté. Il faut tenir compte de la concurrence des acteurs du numérique et poser la question de l’asymétrie de régulation entre les acteurs traditionnels et ces plateformes. Nous sommes à la croisée des chemins.
La nomination du prochain président de l’Arcom est sans doute l’une des plus importantes sur lesquelles notre commission aura à se prononcer. À ce titre, je veux saluer votre parcours, votre connaissance approfondie du secteur audiovisuel et votre vision, celle d’un véritable serviteur de l’État.
Je voudrais réaffirmer les principes qui nous paraissent devoir guider l’action de l’Arcom : principes de liberté et de responsabilité – pas de censure ni de police de la pensée, mais une responsabilité des acteurs –, garantie du pluralisme de l’information et de son corollaire, l’impartialité de l’Arcom vis-à-vis des courants de pensée et des acteurs privés comme publics, et principe de collégialité de la décision.
J’aimerais vous interroger sur les règles juridiques que nous pourrions instaurer pour répondre aux bouleversements technologiques. Je souhaite aussi vous demander d’approfondir votre réponse à la question de la holding, en précisant l’intérêt de sa création. Enfin, je voudrais vous interroger sur la possibilité de revendre les fréquences de la TNT au bout de cinq ans. La proposition de loi Lafon vise à ramener ce délai à deux ans : qu’en pensez-vous ?
Nous soutiendrons votre nomination.
M. Salvatore Castiglione (LIOT). Ma question concerne les radios associatives, qui constituent un lien social majeur pour la vitalité de nos territoires et un outil efficace pour relayer les initiatives locales, en donnant la parole aux acteurs de terrain et aux élus locaux. Certaines d’entre elles remplissent également un rôle important de transmission patrimoniale, car elles émettent en langues dites régionales. Les Français ne s’y trompent pas, car ces radios rassemblent près de 200 millions d’auditeurs. Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait initialement une réduction du fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER), une évolution contraire aux orientations définies par différentes initiatives telles que les états généraux de l’information, le Livre blanc de l’Arcom ou le printemps de la ruralité. Alors que l’enveloppe avait finalement pu être rétablie, la censure du gouvernement a eu raison du budget. Quelles solutions envisagez-vous pour assurer durablement la pérennité de ces structures si essentielles à nos territoires ?
M. Martin Ajdari. Concernant l’avenir de la plateforme TNT, je compléterai mon propos initial en précisant qu’on compte aujourd’hui 16 % d’utilisateurs dits exclusifs de la TNT. C’est une moyenne : la part peut être beaucoup plus élevée dans certains territoires ou parmi certaines tranches de la population. La TNT reste ainsi très importante aujourd’hui, même s’il faut toujours réfléchir à l’avenir. Le départ de Canal+ est par ailleurs restreint au payant, et cette évolution était envisagée, pour ne pas dire annoncée, depuis quelques années.
La question du pluralisme est l’une des plus importantes que vous m’avez posées. Lorsque ses règles ont été mises en place dans les années 1980, l’univers audiovisuel était bien plus restreint, avec beaucoup moins de chaînes ; aussi la garantie du pluralisme s’est-elle très longtemps limitée à la mesure du temps de parole. En février dernier, le Conseil d’État a considéré qu’il fallait retenir une lecture plus extensive de la loi et du concept de pluralisme, en l’étendant à l’ensemble des programmes et des intervenants. Invitée par le Conseil d’État à proposer des règles, l’Arcom s’est saisie de la question et a produit en quelques mois une délibération qui fixe quelques règles de bon sens visant à éviter un déséquilibre à la fois manifeste et durable s’agissant de la diversité des intervenants, des thématiques traitées à l’antenne et des positions exprimées. Cette délibération me semble pertinente et de bon sens. Je n’ai pas entendu qu’elle ait été critiquée dans son principe ni dans les termes retenus. Elle a d’ailleurs été traduite dans les conventions qui viennent d’être conclues avec les candidats à une fréquence TNT dont la reconduction ou l’attribution a été décidée récemment.
Tout l’enjeu sera de faire vivre ces règles de pluralisme avec les éditeurs, à partir des saisines d’auditeurs ou d’associations ayant le sentiment qu’elles ne sont pas respectées. C’est un défi, car leur application à la nature propre de chaque média ne va pas forcément de soi. Le travail est de taille. Le législateur devra peut-être repréciser certains éléments, car les principes sont aujourd’hui énoncés en termes généraux. Je le répète, le paysage médiatique s’est considérablement élargi, que ce soit dans le champ de la télévision ou du fait du développement du numérique. Du reste, les règles ont évolué dans certains pays, comme aux États-Unis. Le législateur peut se saisir de ce sujet s’il le souhaite. Cela ne me choque pas intellectuellement, compte tenu de la diversité du paysage médiatique actuel.
S’agissant du service public, le doute n’est pas permis : les règles qui s’appliquent aux chaînes publiques sont les mêmes que celles qui s’appliquent à toutes les chaînes audiovisuelles. L’Arcom intervient d’ailleurs régulièrement pour corriger d’éventuels déséquilibres dans les temps de parole ou d’antenne. Parce que le service public appartient à tous les Français, on peut espérer de sa part une plus grande exemplarité, mais ce sont bien les mêmes règles qui s’appliquent à tous, sans exception.
Concernant la maîtrise des propos tenus à l’antenne, j’ai entendu des avis sur certaines décisions adoptées par l’Arcom ou sur l’absence de sanctions prises dans tel ou tel cas de figure. Je ne peux évidemment pas me permettre de refaire l’instruction à la place du régulateur, d’autant que je n’ai pas tous les éléments de contexte. Encore une fois, le premier principe est celui de la liberté. Celle-ci peut permettre d’exprimer des points de vue controversés, qui piquent. Il faut simplement que la présentation des faits soit honnête. Il existe ensuite des procédures qui permettent à l’Arcom de sanctionner. J’entends que la sanction puisse sembler trop faible dans certains cas ou excessive dans d’autres, mais il me semble que le régulateur intervient quand il le doit et qu’il a pris des sanctions de manière régulière. Ces sanctions doivent-elles entraîner mécaniquement le retrait ou la non-reconduction de l’autorisation d’émettre ? Ce n’est pas ce que prévoit la loi aujourd’hui, et je n’ai aucune raison de penser que l’exercice de la régulation, collégial, par des personnes nommées par cinq autorités différentes, ait été défectueux.
À propos de la concentration du paysage audiovisuel et du fait que des milliardaires puissent intervenir pour soutenir des projets de chaînes, je rappellerai d’abord que l’appel à candidatures qui vient de se clore est imposé par la loi après quinze années d’utilisation de fréquence, et que la mise en concurrence des fréquences est également obligatoire dans le droit européen. La plupart des fréquences ont été reconduites ; certaines ne l’ont pas été. Il n’existe pas de droit automatique à la reconduction. Dans ce cadre, la présence de deux entrants – une chaîne centrée sur les territoires et une autre sur le documentaire et le débat européen – est aussi une façon de faire vivre le pluralisme de l’offre de programmes. Il importe que l’indépendance du travail des rédactions soit assurée et qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts entre les propriétaires et le traitement de l’information. Du reste, les états généraux de l’information se sont saisis de cette question, et plusieurs propositions de loi ont été déposées à ce sujet.
S’agissant du rôle de l’Arcom à l’ère du numérique, un premier enjeu a trait aux asymétries de régulation. Il s’agit d’intégrer les acteurs audiovisuels que sont les plateformes de vidéo, comme Netflix, dans le champ de la régulation. C’est le sujet de la directive SMA : le travail est en cours, et les plateformes se voient appliquer dans ce cadre des règles assez comparables à celles des acteurs nationaux. Un autre intérêt de la directive SMA pourrait être d’imposer aux plateformes de vidéo les règles relatives aux événements d’importance majeure.
Le second champ, beaucoup plus large, concerne la régulation des plateformes numériques, lesquelles font l’objet du règlement sur les services numériques. Sous l’égide de la Commission européenne se met en place, en réseau, une supervision des très grandes plateformes. Dans ce cadre, les règles sont assez différentes, car il ne s’agit pas tant de l’usage d’une fréquence que de la mise en place de services permettant aux citoyens d’échanger. La supervision consiste à définir et à faire respecter des règles de transparence et des obligations de retrait des contenus signalés, le tout assorti de sanctions financières. En ce sens, la supervision n’est pas faible, mais elle n’a pas du tout recours au même type d’outils.
De même, la protection des mineurs sur internet doit se mettre en place. Un référentiel d’accès aux sites pornographiques a été publié par l’Arcom, et le décret qui permettra la mise en œuvre de tout cet arsenal de mesures est paru ce matin même au Journal officiel. Le véritable enjeu de ces prochains mois sera de mettre en demeure les sites qui ne se conformeraient pas au référentiel, et d’engager si nécessaire des poursuites à leur encontre. Beaucoup d’entre eux mettent en avant l’absence de solutions techniques. Cela me semble tout à fait contestable : la filiale numérique de La Poste, Docaposte, se fait fort de proposer une solution de vérification d’identité garantissant le respect du droit à la vie privée.
Le champ de réflexion autour de l’intelligence artificielle est absolument immense. L’IA représente un défi, des menaces, mais aussi une opportunité à côté de laquelle il ne faudrait pas passer. Il convient aussi de prendre en compte les risques qu’emporte cette technologie pour la propriété intellectuelle et pour le financement des industries de média ou des industries créatives qui en dépendent. Une étude de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (Cisac) montre très bien les risques associés. Il faut trouver les moyens d’y faire face. Beaucoup de pistes ont été proposées. Il s’agit, d’une part, de permettre aux ayants droit de refuser l’utilisation de leurs œuvres pour l’entraînement des modèles, et d’autre part, en cas d’autorisation donnée – ce qui est une bonne chose, car cela permet d’entraîner les modèles avec du contenu de qualité –, d’assurer une rémunération et de lutter contre les deepfakes et l’ensemble des usurpations que le règlement sur les services numériques doit permettre de traiter.
Le paysage audiovisuel français n’est pas extrêmement concentré. Plusieurs groupes interviennent, dans le cadre des règles de concentration existantes. Celles-ci ont des défauts. Conçues il y a plusieurs décennies, elles sont parfois dépassées, comme la règle des deux sur trois, qui concerne à la fois la presse, la télévision et la radio. D’autres jouent leur rôle, telles que celles relatives au plafonnement du nombre de fréquences ou de la population couverte pour les groupes de radio. Leur maintien peut être remis en question, mais elles n’empêchent ni la variété du paysage audiovisuel ni l’existence de groupes assez puissants. Le débat doit ainsi se poursuivre, dans les mains du législateur. Plutôt que de supprimer des règles anticoncentration, il me semble plus opportun de les faire évoluer pour prendre en compte le concept de « média global » et la notion globale d’influence, comme cela ressort des états généraux de l’information. L’idée serait de tenir compte, en cas d’opération de concentration, de l’ensemble des terrains sur lesquels un groupe intervient : télévision, radio, internet, affichage, livre…
Monsieur Caron, vous doutez de l’efficacité des décisions de l’Arcom. Il me semble, pour ma part, que les sanctions peuvent atteindre des montants assez importants et qu’elles sont prises sans trembler.
Vous m’avez également interrogé sur la présidence commune de l’audiovisuel public, sur les menaces qu’elle pourrait induire et sur son acceptation par le corps social. Le même type de risque existait en 2010, au moment de la constitution de France Télévisions en entreprise unique. Cela n’a pas empêché la coexistence de lignes éditoriales un peu différentes entre les chaînes, ni la revendication et l’exercice par les rédactions de leur indépendance. De manière générale, je ne crois pas que les rédactions de l’audiovisuel public se plaignent d’un interventionnisme forcené. Bien qu’il y ait parfois des débats, la critique n’est pas permanente ni récurrente. Ainsi, après la fusion opérée en 2010, les craintes exprimées ne se sont pas confirmées. Aujourd’hui, le regroupement des forces constitue un enjeu très important, qui n’appelle pas d’unification éditoriale ; au contraire, c’est pour assurer une diversité éditoriale et une diversité de production de l’information dans des conditions propres à chaque rédaction ou à chaque support que nous devons mettre en commun des éléments qui relèvent de la stratégie et de la marque. La question de la marque inquiète, ce qui est normal, car elle touche aux habitudes de chacun. Néanmoins, avoir une marque unique permettant à l’audiovisuel public de se déployer et d’être référencé sur le numérique est un objectif qui ne semble pas contestable. De même, France Info est une très belle marque, qui a bénéficié à l’audience numérique des rédactions de France Télévisions – la création de la chaîne de télévision n’est pas un succès total, mais les craintes soulevées à l’époque pour la chaîne de radio et le web ne se sont pas vérifiées. Pour autant, les craintes sont légitimes, et il faut les traiter ; aussi le rythme des opérations doit-il être décidé par le législateur.
S’agissant des radios associatives, monsieur Castiglione, tous les acteurs de l’audiovisuel se sont réjouis du rétablissement des crédits du FSER, avec l’aide du Parlement. Que faut-il faire pour soutenir la diversité du tissu local ? Le développement le plus rapide possible du DAB+ est bien sûr l’une des réponses. Cela suppose de pouvoir accompagner les radios en question.
Vous avez évoqué, madame Bannier, l’accès du citoyen à l’information sur la ligne éditoriale des médias. La question est un peu délicate, car nous n’avons pas aujourd’hui de chaînes d’opinion, mais des chaînes ayant des couleurs éditoriales différentes. Les quatre chaînes d’information disponibles ont ainsi chacune leur identité propre, ce qui constitue d’ailleurs à mon avis l’un des succès de l’ouverture de la télévision aux chaînes d’information. Pour autant, ces chaînes ne sont pas supposées avoir d’opinion politique particulière, dans le cadre des règles du pluralisme qui s’appliquent à elles. Que chaque chaîne fasse sa promotion en mettant en avant sa couleur éditoriale est la meilleure façon d’assurer l’information du public. Au niveau de l’Arcom, je trouverais l’exercice que vous proposez un peu périlleux dans le cadre de la loi actuelle.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Anne Sicard (RN). En tant que président de l’Arcom, deux missions en lien avec des droits garantis par notre Constitution vous incomberont : la protection de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, en particulier dans les émissions d’information politique et générale, d’une part ; la garantie du respect strict de la déontologie, notamment de l’honnêteté et de l’indépendance de l’information, d’autre part. Or, selon qu’il s’agit des médias du groupe Bolloré ou de l’audiovisuel public, ces missions ne semblent pas faire l’objet du même degré de vigilance de la part du gendarme de l’audiovisuel. Allez-vous mettre un terme à cette distorsion de traitement sur France Inter, France Culture, France Info, France 2 et France 5, et veiller à ce que d’autres courants de pensée, plutôt de droite, soient aussi bien représentés sur ces antennes que ceux du centrisme de gauche, du macronisme de gauche, de l’écologie de gauche, de la gauche et bien sûr de l’extrême gauche ?
M. Christophe Marion (EPR). L’indépendance de l’Arcom, tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des éditeurs et des plateformes numériques, est centrale pour notre démocratie. Pourtant, des événements récents comme la décision du Conseil d’État sur les élections présidentielles ou les alertes régulières de RSF concernant les déséquilibres de temps de parole sur certaines chaînes d’information mettent en lumière les défis persistants auxquels votre autorité est confrontée. Quel regard portez-vous sur l’indépendance actuelle de l’Arcom ? Quelles actions concrètes envisagez-vous pour la renforcer, dans un paysage médiatique toujours plus fragmenté et polarisé ?
Par ailleurs, le champ de compétences de l’Arcom est à la fois vaste et complexe : pluralisme des médias, protection des publics, lutte contre les contenus illicites… Face à ces responsabilités, pensez-vous que l’Autorité dispose des moyens nécessaires ?
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). L’Arcom est censée garantir le pluralisme et le respect des règles sur nos ondes, pilier essentiel de la démocratie. Pourtant, qu’en est-il réellement ? Alors que des chaînes comme CNews accumulent les manquements, les propos stigmatisants, climatosceptiques, empreints de catholicisme intégriste et opposés à l’avortement, ainsi que d’autres infractions répétées à leurs obligations, l’Arcom se limite trop souvent à des sanctions pécuniaires presque anecdotiques au regard de la puissance financière des groupes qui contrôlent ces médias. Pire, malgré des dizaines de mises en garde et de sanctions – rien que quarante-sept ! –, CNews continue de diffuser, sans que la suspension de programme ou d’autres mesures réellement dissuasives ne soient décidées. Maintenant, le projet Réels TV, porté par un magnat des médias, Daniel Křetínský, dont les accointances idéologiques et les interventions dans le travail journalistique sont notoires, s’apprête à entrer sur la TNT. Où sont le souci du pluralisme et la garantie d’une information indépendante et honnête, à l’abri des influences économiques et politiques ? N’est-il pas urgent de revoir les critères d’attribution et de renouvellement des fréquences, afin de garantir enfin un pluralisme réel et une information indépendante ? Surtout, pensez-vous que l’Arcom puisse encore se contenter d’un usage timide de ses pouvoirs de sanction, alors que les atteintes aux principes fondamentaux de notre démocratie continuent de s’accumuler ?
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Une loi de juin 2023 a instauré une majorité numérique à 15 ans. Cela signifie que des jeunes doivent demander à leurs parents s’ils peuvent s’inscrire sur un réseau social, qui collecte leurs données. Par ailleurs, il est interdit aux jeunes de moins de 13 ans d’ouvrir un compte sur un réseau social. Or, selon la Cnil, la première inscription se fait en moyenne à l’âge de 8,5 ans, et la moitié des enfants de 10 à 14 ans possèdent un compte sur un réseau social. La loi de 2023 a prévu, pour les entreprises qui manquent à leurs obligations, une amende pouvant aller jusqu’à 1 % de leur chiffre d’affaires mondial. Toutefois, la mise en conformité de cette loi avec le droit européen est en attente, et ces amendes ne sont toujours pas appliquées. L’Arcom va-t-elle se saisir de ce dossier et faire appliquer la loi de 2023 et les sanctions qu’elle prévoit ?
Mme Pascale Bay (DR). L’Arcom s’est affirmée comme une autorité de régulation forte à l’égard des médias traditionnels ; en témoigne le refus récent de renouveler la fréquence TNT de C8 et de NRJ12. Cependant, l’Autorité n’a pas fait montre de la même efficacité pour contrôler les plateformes numériques, alors qu’il y a urgence. Propagation de fausses informations, influences étrangères, manipulation des masses, atteintes en tous genres : telle est la réalité sur de nombreuses plateformes. Le contrôle est compliqué par la difficile inculpation des internautes, la faible modération des plateformes et le manque d’effectivité des dispositions légales. Le régime de responsabilité mis en place par le règlement sur les services numériques de 2023 n’a pas encore donné de résultats probants, et certains doutent de l’effectivité réelle de ces dispositions. Ferez-vous de la régulation des plateformes le combat de votre mandat ? Quelle sera votre action pour lutter contre l’impunité des plateformes numériques ?
M. Thierry Perez (RN). Selon le dernier rapport de l’Arcom, les adolescents passent en moyenne près de quarante minutes par jour sur TikTok et plus de trente-cinq minutes sur Snapchat. Ces chiffres sont sans doute sous-estimés ; il n’en demeure pas moins qu’ils correspondent à la moitié du temps passé en ligne par les jeunes Français.
Cette surconsommation soulève deux problèmes majeurs. Sur TikTok, le volume colossal de vidéos publiées quotidiennement en France et en Europe rend leur contrôle extrêmement difficile. Les outils actuels semblent insuffisants pour analyser ce flux massif. Comptez-vous mettre en place de nouveaux dispositifs plus adaptés, comme l’intelligence artificielle, pour surveiller ces contenus et protéger nos enfants ? Sur Snapchat, le caractère éphémère des publications complique leur analyse et leur contrôle.
Si vous êtes nommé président de l’Arcom, autorité chargée de la régulation systémique des réseaux sociaux, quelles mesures concrètes proposerez-vous pour répondre à ces défis et assurer la protection des plus jeunes face à des contenus potentiellement dangereux ?
Mme Graziella Melchior (EPR). Le 12 décembre dernier, l’Arcom a validé l’arrivée sur la TNT de la chaîne Ouest France TV, portée par le groupe Ouest France. En tant que députée du Finistère, je me réjouis de cette nouvelle. En effet, Ouest France, premier quotidien français, doit son succès à une information de qualité, au plus près des attentes des Français, allant de leur territoire jusqu’à l’international. Avec pour slogan « La vie en vrai », la chaîne Ouest France TV se donne pour objectif de défendre la démocratie, la liberté d’information et de la presse, et de s’intéresser particulièrement aux sujets concernant la ruralité. Espérons que la ligne éditoriale de Ouest France, qui s’efforce de ne pas attiser les divisions de la société, soit toujours respectée, et que l’on montre que « la vie en vrai », ce n’est pas que des malheurs, mais aussi de belles réussites. On perçoit aujourd’hui plus que jamais à quel point les Français sont abreuvés d’informations parfois fausses, mais surtout négatives, provenant de toutes sortes de médias. De quelle manière envisagez-vous de contribuer à la meilleure diffusion d’une information relativement neutre, et même – rêvons un peu ! – d’une information positive ?
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). J’entends dans vos propos que vous vous inscrivez dans la continuité de votre prédécesseur, ce qui importe pour notre vote.
Vous vous êtes notamment félicité que l’Arcom soit davantage un régulateur qu’un gendarme ; or nous ne comprenons pas que l’Autorité n’ait pas été davantage gendarme avec CNews, et que cette chaîne ait été renouvelée malgré ses quarante-sept mises en garde. Combien de propos racistes, islamophobes, d’émissions intégristes hostiles au droit à l’IVG et de délires climatosceptiques faudra-t-il encore supporter avant que CNews ne subisse le même sort que C8 ? Vous avez vous-même évoqué la nécessité d’une diversité des thèmes ; or une étude de Sleeping Giants montre qu’il est question d’islam 365 jours par an sur CNews. Cela va-t-il continuer ainsi ?
Le remplacement de C8 par le projet Réels TV renforce l’emprise du milliardaire tchèque Daniel Křetínský, qui possède déjà un empire médiatique et un hebdomadaire comme Franc-Tireur, dont les éditorialistes vont visiblement animer la nouvelle chaîne. Considérez-vous que ce projet contribue à « la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels », qui est normalement l’un des critères de l’Arcom ?
J’aimerais enfin vous poser une dernière question sur la pertinence de demander le respect d’un ratio entre l’information et le commentaire.
M. Laurent Croizier (Dem). L’un des enjeux très importants de l’Arcom est d’observer et de réguler la façon dont les médias se saisissent de l’intelligence artificielle générative, qu’il s’agisse de la création de contenus, d’informations, d’images ou de vidéos. Des groupes de presse utilisent des outils génératifs permettant de produire, relire, corriger et mettre en forme des contenus, sans que la mention de l’utilisation de tels outils d’intelligence artificielle soit toujours présente. Comment envisagez-vous le rôle de l’Arcom pour conserver une information de qualité, sourcée et vérifiée, protéger les auteurs et assurer la transparence, la confiance et l’éthique ?
Mme Florence Joubert (RN). Ma question porte sur le mode de nomination des membres de l’Arcom. Le collège est constitué de neuf membres, dont trois sont désignés par le président de l’Assemblée nationale et trois par celui du Sénat, tandis que le président de l’Autorité est nommé directement par le chef de l’État. La quasi-totalité des membres du collège se trouvent ainsi liés au pouvoir politique. À une époque où la question de l’indépendance des médias est devenue à juste titre un enjeu majeur dans le débat public, ce mode de désignation peut paraître contradictoire. Le risque existe bel et bien que l’Arcom dévie du rôle essentiel qui lui est dévolu, à savoir garantir l’existence du pluralisme médiatique, pour devenir un simple outil au service du pouvoir en place. Ne pensez-vous pas que ce mode de nomination est devenu en partie inadapté aux enjeux contemporains et qu’il pourrait être légitime de réformer la façon dont certains membres de l’Autorité sont désignés ?
M. Bertrand Sorre (EPR). Le réseau des radios locales constitue un maillon essentiel de la diffusion d’informations de proximité, en particulier dans les territoires ruraux comme ceux de mon département, la Manche. Ces radios offrent une information de proximité adaptée aux réalités de terrain, parfois négligées par les médias nationaux. Toutefois, leur modèle économique reste très fragile, dépendant souvent de la publicité locale et des aides publiques. Quelles actions envisagez-vous pour garantir la pérennité des radios locales face à la concurrence des plateformes numériques et aux transformations du paysage médiatique ? Comment entendez-vous les soutenir afin qu’elles puissent continuer de remplir leur mission de service public ?
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). La décision récente du Conseil d’État comporte un volet sur l’indépendance et demande à l’Arcom une délibération sur ce sujet, qui n’a toujours pas été prise. Sur quelles bases l’adopterez-vous ?
En outre, il existe aujourd’hui un régime dérogatoire pour les chaînes de la TNT, qui ne paient pas de redevance pour l’occupation du domaine public. Êtes-vous favorable au paiement de cette redevance ?
Enfin, êtes-vous favorable aux propositions de RSF, qui souhaite que les conventions des chaînes d’information comportent un ratio minimum de hard news par rapport aux commentaires, et que ces mêmes chaînes signent une charte éditoriale permettant de connaître leur positionnement, non politique mais éditorial, afin de vérifier dans la durée la continuité des engagements pris ?
Mme Béatrice Piron (HOR). Je souhaiterais aborder la question cruciale de la numérotation des chaînes. Nous avons assisté ces derniers mois à des décisions importantes, ayant un impact direct sur l’offre audiovisuelle accessible aux Français. Je pense notamment à l’exclusion de la TNT de C8 et de NRJ12, ainsi qu’à l’annonce récente par le groupe Canal+ du retrait de quatre chaînes supplémentaires. Nous savons que la numérotation des chaînes est un enjeu central pour leur visibilité. Quels moyens envisagez-vous pour dialoguer avec les groupes audiovisuels comme Canal+ ou d’autres ? Quelles actions l’Arcom peut-elle conduire pour anticiper ces retraits et leurs impacts ? Comment comptez-vous garantir l’équité et la transparence dans les futures décisions sur la numérotation, en veillant à ce que ni les grands groupes ni les chaînes indépendantes ne soient désavantagés ?
M. Éric Liégeon (DR). Vous êtes décrit comme un homme de dossiers, à la voix rare mais au regard affûté, fin connaisseur des mondes culturel et audiovisuel. Dans un contexte de mutation des usages, de concurrence des plateformes numériques et de débat autour du rôle des chaînes de télévision, si vous deviez transposer une mesure concrète issue de vos précédentes fonctions pour donner à l’Arcom une valeur ajoutée immédiate, quelle serait-elle ? Par ailleurs, à un moment où l’Arcom doit faire face à des polémiques, notamment sur la réattribution des canaux de diffusion, comment garantirez-vous une régulation qui respecte à la fois la pluralité et l’équité, sans risque de biais ou d’influence politique ? Quelles leçons tirez-vous de vos expériences passées pour restaurer la confiance et renforcer l’autorité de l’Arcom ?
M. Aly Diouara (LFI-NFP). En 2022, les personnes perçues comme non blanches représentaient 15 % de celles vues à la télévision. Ce chiffre, qui provient de l’Arcom, est accablant : il illustre une sous-représentation flagrante dans un pays pourtant censé incarner sa riche diversité. Il reflète un manque cruel d’inclusivité et d’ouverture de nos médias, qui concerne aussi les personnes en situation de handicap. Nous avons la responsabilité de briser ce plafond de verre médiatique. Il est impératif d’encourager des politiques ambitieuses pour que nos écrans reflètent enfin toutes les facettes de notre société. Diversité des origines, égalité entre les femmes et les hommes, visibilité des handicaps : ce combat est aussi celui de l’égalité républicaine. Voir, c’est exister. Nous devons agir pour que chaque citoyen se sente légitime dans l’espace commun que représentent la télévision et les médias. Quelle sera votre feuille de route pour garantir plus de diversité dans les médias, notamment ceux de l’audiovisuel public ?
M. Belkhir Belhaddad (EPR). Alors que le dopage reste, pour le sport professionnel et amateur, un fléau qu’il faut combattre au quotidien, les services de télévision qui diffusent des contenus sportifs contribuent à la lutte contre ce phénomène et à la protection des personnes pratiquant des activités physiques et sportives. L’Arcom veille au respect de ces obligations légales ; dans son rapport sur ce sujet, elle a souligné l’engagement des acteurs audiovisuels, puisqu’en 2023, trente-quatre des trente-six chaînes nationales concernées se sont conformées pleinement ou partiellement à leurs obligations. Cette sensibilisation du public aux risques que comportent les pratiques dopantes doit perdurer et être renforcée. Un sport propre et la pratique saine d’une activité physique doivent faire partie intégrante de l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Malgré des résultats satisfaisants, comment pouvons-nous aller plus loin dans la contribution des services de télévision à la lutte contre le dopage et à la protection des publics ayant une pratique sportive ?
Mme Isabelle Rauch (HOR). L’enquête récente de la Fondation Jean Jaurès fait état de la fatigue informationnelle que ressentent les Français, qui fuient de plus en plus un espace médiatique saturé d’informations répétitives et anxiogènes. Dans ce contexte, est-il absolument nécessaire de maintenir autant de chaînes d’information en continu sur la TNT ? En effet, la soutenabilité économique des projets devrait être l’un des critères essentiels pris en compte pour accorder ou refuser une autorisation d’usage des fréquences.
Je souhaiterais par ailleurs revenir sur votre avis quant à l’efficacité du mille-feuille de sanctions prévues par les conventions. Appelleriez-vous à la suppression de la caducité quinquennale des mises en demeure, inscrite dans la loi de 1986, afin que l’Arcom puisse prendre en compte les manquements passés des chaînes et vérifier les mesures mises en œuvre par le candidat pour corriger les manquements relevés ?
Mme Véronique Riotton (EPR). Ma question porte sur la supervision des plateformes en ligne et des réseaux sociaux. Nous échouons collectivement dans le contrôle de l’accès de nos jeunes aux images et dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : malgré l’intervention du législateur, en 2023, en matière de régulation de l’espace numérique, nous constatons que les jeunes ont aujourd’hui accès, la plupart du temps à 11 ans, à des images pornographiques. Nous avons souhaité l’année dernière la mise en œuvre d’une expérimentation visant à retirer les contenus pornographiques pouvant être qualifiés d’actes de barbarie et de torture, mais le décret nécessaire n’a toujours pas été publié. Quelle place l’Arcom va-t-elle prendre dans cette lutte pour que la régulation soit réellement efficace ?
M. Fabien Di Filippo (DR). Dans votre première intervention, vous avez pointé la responsabilité des parents en matière d’accès des enfants et des très jeunes enfants à la pornographie, notamment via les smartphones ou les tablettes, que ce soit sur les plateformes de streaming ou sur les réseaux. Il est vrai que l’accès à la pornographie est devenu très facile, puisque moins de vingt secondes sont nécessaires pour trouver de tels contenus. En cinq ans, le nombre de jeunes enfants ayant accès à ces sites a été multiplié par un et demi. Ils sont 2,3 millions chaque mois. Les enseignants et les éducateurs font remonter des informations très préoccupantes : ils observent notamment une sexualisation des comportements dès l’âge de 6, 7 ou 8 ans, dans des proportions importantes. Il faut donc mener une action de régulation beaucoup plus forte. Combien de sanctions et de blocages de ces plateformes ont-ils été opérés par l’Arcom ces derniers mois ? Êtes-vous prêt à agir très fortement et très rapidement contre les réseaux sociaux et les plateformes, avec les outils du nouveau décret, afin de sanctionner ces opérateurs, y compris financièrement ?
M. Martin Ajdari. S’agissant de l’honnêteté et du pluralisme, je le redis, les mêmes règles s’appliquent au service public, qui a un devoir d’exemplarité. Le régulateur fait son travail, dans le cadre des saisines dont il fait l’objet.
L’indépendance s’apprécie au vu de plusieurs critères, dont les chaînes doivent apporter la preuve. Le régulateur n’a pas relevé, à la suite de sa délibération de juillet, de problème majeur relatif à l’indépendance de CNews, alors qu’il a engagé avec cette chaîne un débat sur la question du pluralisme.
Concernant l’accès des mineurs aux différents services en ligne, il est possible que je n’aie pas une connaissance complète du dossier. Je sais néanmoins que l’Arcom a des compétences en matière de vérification des modalités d’accès aux sites offrant des contenus pornographiques et qu’elle a publié un référentiel à ce sujet, dans le cadre des lois de 2020 et 2024 sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique. La question de l’accès aux réseaux sociaux est plus large. Cependant, pour éviter que les enfants et les adolescents n’accèdent trop tôt à des contenus pornographiques, il ne suffit pas que les sites opèrent les contrôles qui leur incombent : il faut aussi agir plus en amont sur le paramétrage des smartphones et des différents outils informatiques, afin que les parents puissent effectivement vérifier que leurs enfants n’ont pas accès à ces contenus dangereux.
Les questions relatives à l’efficacité de la régulation numérique renvoient également à un débat très large. Les outils de cette régulation, notamment le règlement européen sur ce sujet, sont très récents ; ils prévoient néanmoins des sanctions assez fortes. En outre, les échanges avec les plus grandes plateformes doivent être menés par la Commission européenne, éventuellement avec le régulateur du pays où est installé l’opérateur en question. À cet égard, il est intéressant de noter que le régulateur irlandais, compétent à l’égard de bon nombre d’acteurs, est assez proactif.
Puisque le nom de TikTok a été cité, une enquête a été conduite, avec la participation des différents régulateurs et coordinateurs nationaux, sur le service TikTok Lite, qui est extrêmement addictif. Ces échanges ont conduit TikTok à retirer ce service. D’autres enquêtes sont en cours sur Meta, Pornhub et X ; si les engagements ou les réponses ne sont pas jugés satisfaisants, des sanctions pourraient être prises.
Je comprends votre impatience et votre perplexité sur tous ces sujets, mais quelque chose est en train de se construire, en réseau, au niveau européen. C’est en effet une priorité, non seulement pour l’Arcom, mais aussi pour les autres régulateurs européens, car ces questions sont communes, qu’il s’agisse de la protection des publics ou de la lutte contre les déstabilisations et les ingérences extérieures.
Pour répondre à d’autres questions posées sur l’honnêteté et le pluralisme, je ne peux que renvoyer aux obligations qui figurent dans les conventions, s’agissant notamment de la séparation entre l’information et le commentaire, ou encore de la présentation honnête des points de vue. À charge pour les chaînes de respecter ces obligations, et éventuellement pour le régulateur de prononcer des sanctions, a posteriori, en fonction des procédures applicables. Si les critères fixés par la loi ou les conditions d’exercice de la régulation paraissent insatisfaisants à la représentation nationale, rien n’empêche de les faire évoluer, mais ceci est de la responsabilité du législateur, non du régulateur.
Le mode de nomination des membres du collège de l’Arcom est fixé par la loi et me semble apporter des garanties du fait de la légitimité démocratique que détiennent les autorités de nomination. D’autres règles pourraient exister, mais ce n’est pas au régulateur de les proposer.
À propos des radios locales, monsieur Sorre, je vous renvoie à la réponse que j’ai faite au sujet des radios associatives : j’ai évoqué le rôle du fonds de soutien et, demain, du DAB+. Il s’agit là d’un champ d’intervention auquel l’Arcom est très attachée, et elle continuera à l’être si j’en assure la présidence.
Concernant la numérotation et les questions assez aiguës qui se posent en ce moment, j’ai noté que le président de l’Arcom, lors de sa présentation à la presse des résultats de l’appel à candidatures, a annoncé qu’il apporterait des réponses à la suite d’une consultation rapide, d’ici au mois de janvier. Je laisserai donc la régulation actuelle s’en occuper. Lorsque le législateur a donné au régulateur la possibilité de procéder à des rapprochements thématiques au sein du bloc de la TNT, les chaînes d’information ont été évoquées dans les débats législatifs. Cela fait donc partie des éléments à prendre en compte, même si ce n’est pas le seul.
Monsieur Diouara, la représentation à l’antenne de la diversité de la société est une priorité. Depuis vingt ans, la diversité est prise en compte de plus en plus ardemment par le régulateur. Nous sommes certainement partis de loin, mais nous progressons, sur la base de chartes, de codes de bonnes conduites, d’une corégulation sous l’égide de l’Arcom et parfois d’obligations. La direction prise est la bonne, et elle continuera d’être suivie.
Une délibération adoptée en 2017 impose aux chaînes qui diffusent des programmes sportifs de participer à la lutte contre le dopage et de diffuser des messages invitant les sportifs à préserver leur santé. Le récent bilan dressé par l’Arcom est très positif : en 2023, sur trente-six chaînes nationales soumises à ces obligations, vingt-huit les appliquaient pleinement, et seules deux ne les appliquaient pas du tout – l’année précédente, c’était trois chaînes sur trente-trois. Certes, il est possible de progresser encore, en rendant ces programmes plus substantiels et en faisant en sorte qu’ils soient diffusés au plus près des compétitions sportives réunissant le public le plus large.
Enfin, madame Rauch, vous avez évoqué l’étude de la Fondation Jean Jaurès, la perte de repères du public en matière d’information et le nombre de chaînes d’information sur la TNT. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait trop de chaînes d’information, ni au sens où l’on ne saurait distinguer l’identité de chacune, ni au sens où leur audience baisserait, puisque depuis qu’elles sont au nombre de quatre, leur audience a augmenté. La question peut néanmoins être posée régulièrement.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous remercie pour toutes les réponses que vous nous avez apportées. Je vais vous raccompagner avant que notre commission procède au vote sur votre nomination.
La séance est suspendue à onze heures trente-cinq et reprise à douze heures vingt.
*
Délibérant à huis clos, la commission se prononce par un vote au scrutin secret, dans les conditions prévues à l’article 29-1 du règlement, sur cette proposition de nomination.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 57
Bulletins blancs ou nuls, ou abstentions : 3
Suffrages exprimés : 54
Avis favorables : 35
Avis défavorables : 19
La séance s’achève à douze heures trente.
Présents. – M. Rodrigo Arenas, M. Raphaël Arnault, Mme Bénédicte Auzanot, M. Erwan Balanant, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, Mme Pascale Bay, M. José Beaurain, M. Belkhir Belhaddad, Mme Béatrice Bellamy, M. Bruno Bilde, M. Arnaud Bonnet, M. Idir Boumertit, Mme Soumya Bourouaha, M. Xavier Breton, M. Joël Bruneau, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Aymeric Caron, M. Salvatore Castiglione, M. Roger Chudeau, M. Alexis Corbière, M. Pierrick Courbon, M. Laurent Croizier, Mme Julie Delpech, M. Aly Diouara, Mme Virginie Duby-Muller, M. Philippe Fait, M. José Gonzalez, M. Emmanuel Grégoire, M. Steevy Gustave, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Céline Hervieu, M. Sacha Houlié, Mme Tiffany Joncour, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Jean Laussucq, Mme Annaïg Le Meur, Mme Sarah Legrain, M. Eric Liégeon, Mme Delphine Lingemann, M. Christophe Marion, Mme Graziella Melchior, Mme Marie Mesmeur, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Michelet, M. Jérémie Patrier-Leitus, M. Thierry Perez, Mme Béatrice Piron, Mme Lisette Pollet, M. Christophe Proença, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux, Mme Véronique Riotton, M. Aurélien Saintoul, Mme Nicole Sanquer, M. Arnaud Sanvert, Mme Anne Sicard, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, Mme Prisca Thevenot
Excusés. – Mme Farida Amrani, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Bartolomé Lenoir, M. Frédéric Maillot
Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Fabien Di Filippo