Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition conjointe de responsables du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche : Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), M. Jean Hubac, chef du service de l’accompagnement des politiques éducatives, M. Boris Melmoux-Eude, directeur général des ressources humaines (DGRH), M. Laurent Belleguic, sous-directeur des personnels enseignants, d’éducation et des psychologues de l’éducation nationale, Mme Marine Camiade, directrice des affaires financières (DAF), M. Lionel Leycuras, sous-directeur de l’enseignement privé, M. Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques (DAJ), Mme Marie Noémie Privet, sous-directrice des affaires juridiques de l’enseignement scolaire, de la jeunesse et des sports, M. Christophe Peyrel, chef du service de défense et de sécurité, et Mme Adeline Joffre, adjointe au chef du service 2
– Présences en réunion..............................35
Lundi
31 mars 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 42
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
— 1 —
La séance est ouverte à quinze heures cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne conjointement, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), M. Jean Hubac, chef du service de l’accompagnement des politiques éducatives, M. Boris Melmoux-Eude, directeur général des ressources humaines (DGRH), M. Laurent Belleguic, sous-directeur des personnels enseignants, d’éducation et des psychologues de l’éducation nationale, Mme Marine Camiade, directrice des affaires financières (DAF), M. Lionel Leycuras, sous-directeur de l’enseignement privé, M. Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques (DAJ), Mme Marie Noémie Privet, sous-directrice des affaires juridiques de l’enseignement scolaire, de la jeunesse et des sports, M. Christophe Peyrel, chef du service de défense et de sécurité, et Mme Adeline Joffre, adjointe au chef du service.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons cet après-midi nos travaux d’enquête en recevant des représentants du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Initialement, nous avions prévu d’entendre séparément la direction générale de l’enseignement scolaire, la direction des affaires financières et la direction des affaires juridiques. Cependant, compte tenu de l’imbrication étroite de leurs compétences sur les sujets qui nous préoccupent, nous avons opté pour une audition conjointe, incluant également d’autres services essentiels à une vision globale.
Cette audition vise à clarifier la répartition des responsabilités entre les différents services, notamment concernant les établissements privés sous contrat, ainsi que le rôle de chacun en cas de signalement de violence dans un établissement.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Caroline Pascal, M. Jean Hubac, M. Boris Melmoux-Eude, M. Laurent Belleguic, Mme Marine Camiade, M. Lionel Leycuras, M. Guillaume Odinet, Mme Marie Noémie Privet, M. Christophe Peyrel et Mme Adeline Joffre prêtent successivement serment.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pour débuter, pouvez-vous nous décrire la procédure mise en place par l’éducation nationale lorsqu’un personnel d’un établissement scolaire est alerté d’une situation de violence commise par un adulte sur un enfant dans l’enceinte de l’établissement ? Si les procédures diffèrent entre les établissements publics et privés, veuillez préciser les deux cas de figure. Je vous cède la parole.
Mme Marine Camiade, directrice des affaires financières (DAF) du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Mesdames et messieurs les députés, permettez-moi tout d’abord d’apporter quelques précisions liminaires avant de répondre à votre question.
Comme vous l’avez souligné, vous avez devant vous les principales directions du ministère impliquées dans les questions que votre commission souhaite aborder aujourd’hui. Je vais brièvement rappeler les compétences de chacune.
La direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco) est responsable de toutes les questions pédagogiques et éducatives pour l’ensemble du ministère, y compris l’enseignement privé. Elle représente le ministère dans le travail interministériel sur la protection de l’enfance.
La direction générale des ressources humaines (DGRH) pilote la gestion RH des enseignants du public et de l’ensemble des personnels du ministère. Pour les enseignants du privé, c’est la direction des affaires financières (DAF) qui est pilote et qui applique les règles transversales définies par le ministère et la DGRH.
La direction des affaires juridiques (DAJ) a des compétences clairement définies.
Quant à la direction des affaires financières, je suis présente ici en tant que responsable du programme de l’enseignement privé, ce qui englobe les aspects budgétaires, réglementaires et RH de ce secteur.
Le haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint est présent, car il est responsable des questions de protection des personnes au sein du ministère et joue un rôle crucial dans la gestion des signalements.
Nous avons suivi avec une grande attention les précédentes auditions, notamment les témoignages des associations de victimes. Au nom de la ministre et de l’ensemble de notre administration, je tiens à exprimer notre profonde émotion face à ces témoignages et à réaffirmer tout notre soutien aux victimes et aux associations qui les représentent.
Face à la gravité des faits révélés, la ministre a d’ores et déjà annoncé plusieurs actions, sur lesquelles nous pourrons revenir, visant à faciliter le recueil de la parole, améliorer le traitement des signalements et renforcer les contrôles.
Bien que les responsabilités soient d’abord individuelles – celles des agresseurs d’enfants qu’il convient de poursuivre autant que possible – notre administration considère que la gravité des faits exige un examen approfondi et critique de nos procédures et de ce qui ne fonctionne pas. Nous serons très attentifs à vos travaux et nous engageons à répondre à toutes vos questions, à collaborer pleinement avec vous pour mener cet examen exhaustif de la situation actuelle.
Notre objectif est que, à l’avenir, l’organisation de l’État et des institutions protège efficacement tous les élèves, qu’ils soient dans l’enseignement public ou privé, contre la réitération d’abus qui ne seraient pas connus, considérés ou sanctionnés.
M. Christophe Peyrel, chef du service de la défense et de sécurité. La chaîne de signalement au ministère relève des services du haut fonctionnaire de défense et de sécurité. En cas d’alerte concernant une situation de violence, la responsabilité première incombe au chef d’établissement ou au directeur d’école en vue d’assurer la sécurité des personnes au sein de leurs établissements.
Lorsqu’ils sont saisis d’un tel signalement ou d’une alerte, ils doivent immédiatement prendre les premières mesures de protection des victimes. Cela peut impliquer l’appel des services de secours ou de sécurité et la mise en œuvre des premiers signalements au procureur ou à la cellule de recueil d’informations préoccupantes (Crip). Dans les cas de harcèlement, ils doivent proposer les numéros dédiés à cet effet.
Le chef d’établissement doit ensuite signaler l’incident via l’application « Faits établissement ». Cet outil permet un recueil rapide et structuré du signalement grâce à un système de cases à cocher. Il guide également le chef d’établissement dans les étapes indispensables à suivre, rappelant les réflexes essentiels. Par exemple, en cas de violence, l’application propose automatiquement la saisine éventuelle du procureur et de la Crip, garantissant ainsi que toutes les diligences immédiates nécessaires sont menées.
Pour les faits les plus graves, dont font partie les violences contre les personnes, l’application utilise un système de cotation. Ces signalements sont transmis instantanément à la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) et au rectorat. Ces services peuvent mettre à disposition du directeur ou du chef d’établissement des moyens départementaux ou académiques. Il s’agit par exemple de solliciter des psychologues, des infirmiers, des médecins, des équipes de sécurité.
Si les faits lui paraissent graves, le rectorat peut décider de les signaler aux directions concernées du ministère. Il s’assure ainsi que l’académie a mis en œuvre les bonnes diligences dans l’immédiat pour la protection des personnes.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous allons, dans le cadre de cette audition, vous adresser une série de questions et j’en aurai de plusieurs ordres. Je commencerai par vous, madame Pascal, qui êtes aujourd’hui directrice générale de l’enseignement scolaire, et qui étiez, encore récemment, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Vous êtes probablement l’une des mieux placées aujourd’hui pour nous éclairer sur ce qui constitue un enjeu de notre commission : le contrôle des établissements en matière de prévention de violences par les différents services de l’État.
Je voudrais aborder un cas précis avec vous, celui du collège Stanislas où l’Inspection générale a mené une inspection approfondie en 2023, après avoir été saisie par le directeur de cabinet du ministre de l’époque, M. Pap Ndiaye. Il vous écrit le 21 février 2023 pour vous indiquer que son attention a été attirée par plusieurs articles de presse. En effet, dans les mois qui précèdent cette saisine par le cabinet du ministre, des articles ont été publiés, notamment celui de Mediapart qui décrit un climat homophobe systémique dans cet établissement.
L’inspection est conduite en juin 2023, un rapport est transmis en juillet 2023 au ministre, et vous, madame Pascal, déclarez le 10 octobre 2024 sur France 2, dans l’émission Complément d’enquête : « Nous n’avons extrait aucun élément caractérisé qui permettait de dire que l’établissement avait un comportement homophobe ». Vous ajoutez « Nous n’avons eu aucun témoignage d’élèves nous disant qu’ils avaient été eux-mêmes stigmatisés ou victimes d’homophobie ».
Nous confirmez-vous ces déclarations tenues lors de cette émission en octobre 2024 ?
Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire (Dgesco). Je confirme effectivement avoir été cheffe de l’Inspection générale à l’époque mentionnée. Concernant l’enquête sur le collège Stanislas, je tiens à apporter les précisions suivantes.
Premièrement, notre rapport a conduit à un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale contre un parent chargé de l’enseignement du catéchisme. Des propos problématiques avaient été clairement identifiés et signalés à deux reprises. Durant l’enquête, l’établissement avait déjà retiré à cette personne la responsabilité de cet enseignement.
Deuxièmement, notre rapport a mis en évidence un climat fortement genré au sein de l’établissement, pouvant conduire à des inégalités de traitement. Nous avons notamment relevé des problèmes dans le règlement intérieur et certaines activités périscolaires telles que les voyages scolaires ou les week-ends d’intégration. Nous avons fermement recommandé à l’établissement de revoir son règlement intérieur et d’adopter un comportement plus égalitaire entre filles et garçons.
Concernant spécifiquement la question de l’homophobie, notre conclusion, basée sur plus d’une centaine de témoignages recueillis auprès d’élèves, de professeurs et de parents d’élèves, n’a pas permis d’établir l’existence d’une homophobie systémique ou institutionnelle. Ces témoignages ont été obtenus à la suite d’un appel à témoins et sur la base d’un échantillon représentatif de la communauté éducative.
Je regrette si certains élèves n’ont pas osé s’exprimer devant l’Inspection générale comme ils ont pu le faire ultérieurement auprès de journalistes. Cependant, je me dois de souligner que notre mission d’inspection portait sur la situation de l’établissement au moment de l’enquête, notamment sous la direction en place à cette période. Les recommandations que nous avons formulées visaient à mettre le règlement intérieur et les pratiques de l’établissement en conformité avec les valeurs de la République.
Il est important de noter que certains témoignages d’élèves apparus ultérieurement dans les médias concernaient une période antérieure, sous une direction précédente, entre 2015 et 2018 approximativement. L’Inspection générale pourra vous fournir la date exacte du changement de direction lors de son audition prévue le 8 avril.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je vous rappelle, madame la directrice générale, que vous êtes sous serment. Je vais évoquer, non pas des témoignages rapportés par des élèves devant la presse, mais des témoignages rapportés par des élèves devant l’Inspection générale. Vous savez que nous disposons d’un pouvoir qui nous permet d’accéder à une série de documents et aux procès-verbaux d’auditions conduites par les inspecteurs généraux à Stanislas, notamment des procès-verbaux des élèves et des parents d’élèves auditionnés. Je vais vous lire quelques extraits, donc des propos rapportés devant les inspecteurs de l’Inspection générale. Vous venez de nous dire que ces inspecteurs n’avaient relevé aucun propos homophobe.
Je cite C., une élève du lycée, auditionnée le 16 mai 2023. Elle déclare : « L’année dernière, en janvier, mon préfet a fait une fixation sur la façon de m’habiller car j’avais un pull coloré, considérant que c’était un pull faisant de la propagande LGBT. À toutes les récréations, j’ai entendu l’insulte "PD" devant des préfets, sans que les élèves soient repris. »
Je cite maintenant des parents d’élèves, auditionnés le 16 mai 2023 : « Il nous a raconté une anecdote – ce parent parle de son enfant – au sujet d’un groupe de garçons assis et qu’un préfet leur a dit "On n’est pas dans le Marais, ici" ».
Audition de A., élève auditionnée par l’Inspection générale le 8 juin 2023 : « Dans le cours de l’une de mes amies, l’année dernière, l’aumônier a demandé à une fille qui portait un masque bariolé pourquoi elle portait un masque d’homosexuel. » Même élève, même témoignage : « La préfète de ma sœur avait repris des filles dans sa classe parce qu’elles avaient des ourlets extérieurs, signe homosexuel. »
F., parent d’un élève, auditionné le 9 juin 2023 : « Les enfants ont reçu une influence homophobe pendant des heures de catéchèse. »
Autre F., parent d’élève auditionné le 17 mai 2023, rapportant des propos en cours de catéchisme tenus pendant un encadrant : « Quand on est catholique, on ne peut pas être homosexuel, ça se soigne. »
Je vous ai lu une série de témoignages d’élèves et de parents tenus devant les inspecteurs, qui décrivent des violences homophobes, des insultes homophobes, des agressions homophobes, qui ne sont pas celles d’un seul encadrant – peut-être du parent d’élève que vous évoquiez et dont on retrouve en effet la trace dans le rapport –, mais d’une série de personnes : des préfets, des surveillants, des enseignants de catéchèse, plusieurs personnels de l’établissement.
Vous venez, madame la directrice générale, de nous dire qu’il n’y avait pas de témoignages d’homophobie rapportés dans le cadre de cette inspection générale. Or, il y en a toute une série. Nous n’en trouvons pas la trace dans le rapport de l’Inspection générale sur Stanislas. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Mme Caroline Pascal. Je n’ai pas été suffisamment claire. En effet, je rappelle simplement les méthodes de l’Inspection générale. Les inspecteurs généraux vont sur le terrain et interrogent, relèvent, recueillent un certain nombre de témoignages. Ensuite, ils travaillent conjointement pour croiser ces témoignages et s’assurer, ou non, de la prise en compte qu’ils doivent en faire.
Dans les cas que vous avez cités, le cas du parent catéchiste a été, me semble-t-il, traité. S’agissant du cas de cette jeune élève qui portait un pull multicolore, je rappelle que le rapport, à la page 14, aborde le sujet.
Je précise que les inspecteurs généraux travaillent collégialement, en compagnie d’un référent pour essayer d’expliciter et de mettre au jour l’ensemble des analyses ou des conclusions qu’ils peuvent tirer de ces témoignages.
Il a été considéré, dans la relation qui unissait l’élève au préfet, que nous n’étions pas en mesure de savoir si la situation relevait exactement de ce que vous avez qualifié à l’instant d’homophobie. Le préfet s’était excusé, avait montré une attention à cet élève pour l’aider à poursuivre sa scolarité et donc, au vu de l’ensemble de la situation, les inspecteurs généraux n’avaient pas considéré qu’il montrait une caractéristique d’homophobie institutionnelle, comme je l’ai dit.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous nous expliquez, alors qu’il y a des séries de témoignages décrivant des comportements, des insultes et des agressions homophobes, que l’Inspection générale n’est pas à même déterminer s’il s’agit ou non d’homophobie. Pourtant, en page 24 du rapport de l’Inspection générale, nous trouvons une citation d’élève – l’une des très rares que contient ce rapport. Elle dit la chose suivante : « Je n’ai pas eu connaissance d’homophobie, je connais des gens homosexuels dans ma promo, ils ne sont pas embêtés. » La seule citation d’élève qui figure dans le rapport de l’Inspection générale est une citation qui blanchit l’établissement, qui consiste à nier le fait qu’il y a de l’homophobie au sein de celui-ci, alors que les procès-verbaux d’audition font état d’au moins quatre à cinq témoignages décrivant des faits de violences homophobes, d’insultes, d’agressions homophobes. Là encore, comment expliquez-vous cette contradiction ?
Mme Caroline Pascal. Encore une fois, je répète la même chose. Les inspecteurs généraux, dans leur mission et dans leur rédaction, sont totalement libres des analyses qu’ils font et établissent eux-mêmes ce qu’ils peuvent considérer comme de l’homophobie institutionnelle ou non. Je le répète, ils n’avaient pas conclu à de l’homophobie institutionnelle. Pour autant, ils avaient bien indiqué qu’il y avait un climat qui pouvait conduire à des réflexions ou à des comportements ponctuels et individuels d’élèves qui étaient, dans la majorité des cas, sanctionnés par l’établissement.
Les inspecteurs généraux sont eux-mêmes en mesure de prendre dans les témoignages ce qu’ils considèrent aller dans le sens de leur analyse générale. Encore une fois, je ne crois pas me tromper en disant que, notamment, le témoignage de la jeune élève au sujet de son pull figurait bien en page 14 du rapport.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ce rapport, lorsqu’il évoque l’homophobie, la décrit comme révolue, renvoyant à la période de 2012, celle de la Manif pour tous. Or, nous traitons ici de témoignages relatant des faits survenus en 2022 et 2023. Ce rapport, à l’instar de vos propos, tend à réduire le problème à la dérive d’un seul individu, un catéchiste, alors que ces témoignages mettent en cause toute une série d’encadrants.
Madame la directrice générale, je souhaite vous demander si, lorsque vous étiez à la tête de l’Inspection générale, vous avez reçu des consignes du cabinet du ministre ou du ministre lui-même concernant la rédaction de ce rapport sur le collège Stanislas.
Mme Caroline Pascal. Non, je n’ai reçu aucune instruction particulière.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour mieux comprendre la conception de l’Inspection générale, j’aimerais savoir si elle a pour vocation de répondre à la commande politique du ministre ou de garantir les droits des élèves, notamment leur protection face à des violences homophobes ? Je rappelle que ces violences sont attestées par de nombreux témoins dans les procès-verbaux d’audition associés à ce rapport d’inspection.
Mme Caroline Pascal. L’Inspection générale est une autorité indépendante. Sa mission n’est pas de protéger le ministre ou son cabinet, mais d’établir une réalité qu’elle est en mesure de constater à travers des témoignages croisés par les inspecteurs généraux et l’analyse qu’ils en font. Dans le rapport en question, environ cent personnes ont été entendues. Vous avez mentionné quatre ou cinq cas individuels et ponctuels d’homophobie. Le rapport indiquait certes une évolution, mais soulignait également que des progrès restaient à faire. Une fois les conclusions de l’Inspection générale rendues, il incombe aux opérationnels que celle-ci a rencontrés – en l’occurrence l’académie de Versailles, le rectorat et la direction diocésaine – de prendre le relais. Il leur revient ensuite de mettre en œuvre les mesures préconisées dans un plan d’action comportant plusieurs recommandations, portant notamment sur la révision du règlement intérieur et sur l’attention à porter à toutes les activités relevant du caractère propre, en particulier sur la vie de l’établissement, le climat scolaire et toutes les activités extrascolaires.
M. Paul Vannier, rapporteur. Madame la directrice générale, je suis très surpris. Vous avez d’abord affirmé qu’aucun fait avéré d’homophobie n’avait été présenté à l’Inspection générale. Puis vous avez reconnu que quatre à cinq mentions d’homophobie avaient été recueillies par les inspecteurs généraux chargés de ce contrôle.
Mme Caroline Pascal. J’ai précisé qu’il n’y avait pas d’homophobie institutionnelle de l’établissement selon les conclusions du rapport de l’Inspection générale. Vous disposez, et c’est légitime, de l’ensemble des procès-verbaux d’audition. Ces mentions n’ont pas été interprétées comme la preuve d’une homophobie institutionnelle portée par l’établissement, mais plutôt comme le signe d’un climat fortement genré, qui a été condamné par l’Inspection générale.
M. Paul Vannier, rapporteur. Lorsque plusieurs élèves déclarent être victimes de comportements homophobes de la part de plusieurs membres du personnel encadrant de l’établissement, vous ne qualifiez pas cela d’homophobie institutionnelle ?
Mme Caroline Pascal. Dans ce cas précis, il s’agissait de personnels identifiés. J’ai évoqué le parent catéchiste et le préfet impliqué dans l’incident avec l’élève au pull coloré. L’analyse collégiale des inspecteurs généraux a conclu qu’il n’y avait pas d’homophobie institutionnelle dans ces situations.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaite poursuivre notre réflexion sur les méthodes d’inspection, qui constituent un élément essentiel du contrôle de l’État, bien que ce ne soit pas le seul aspect à considérer. L’application des contrats d’association et d’autres sujets entrent également en jeu. Je vais m’appuyer sur l’exemple de l’inspection générale menée à Stanislas et le comparer aux inspections que nous avons analysées, notamment à Bétharram lors de notre visite à Pau, où une inspection académique était en cours.
Concernant les points que vous avez évoqués, madame, je souhaiterais que vous précisiez la méthodologie et la doctrine, écrite ou informelle, qui guide ce travail auprès des élèves lors d’une inspection.
Ma première question porte sur les critères objectifs, s’ils existent, déclenchant une inspection, générale ou académique. Je reprends l’exemple de Bétharram, qui a suscité une forte attention médiatique et a été à l’origine de notre commission d’enquête. Dans ce cas, seule une inspection académique de quatre jours a été menée, alors que vous décrivez ici, pour Stanislas, une inspection au niveau général. Les critères sont-ils clairement définis ou nécessitent-ils d’être affinés ?
Ma deuxième question concerne les entretiens, un aspect crucial pour mon collègue Paul Vannier et moi-même, notamment en ce qui concerne la libération de la parole. Comment s’effectue le choix des élèves, parents et enseignants auditionnés lors d’une inspection ? Existe-t-il une doctrine précise ? Vous avez mentionné un panel représentatif. Ce panel est-il demandé au chef d’établissement, comme ce fut le cas à Bétharram où le chef d’établissement nous a indiqué avoir été sollicité en amont par l’inspecteur pour préparer un certain nombre d’entretiens ? Je parle ici d’un panel représentatif aux yeux du chef d’établissement. S’agit-il d’un panel représentatif croisé selon une sélection aléatoire ? Vous avez également évoqué un appel à témoins. Dans ce cas, peut-on considérer qu’il s’agit de volontaires ? Je pousse donc le questionnement : arrive-t-il que des élèves non volontaires et non sélectionnés dans le panel représentatif soient convoqués sur place pour témoigner ? Cette question s’applique tant aux inspections générales qu’académiques. Comment sont choisis et préparés ces entretiens ?
Ma troisième question porte sur les méthodes des inspecteurs généraux, qui diffèrent peut-être de celles des inspecteurs académiques. Vous avez mentionné des entretiens, des comptes rendus, un partage collectif, ce qui garantit le croisement des points de vue pour interpréter les témoignages. Vous avez également évoqué les libres analyses des inspecteurs. Au sein de cette formation et de ces méthodes de travail, quels sont les critères, sont-ils formalisés, comment sont-ils élaborés pour déterminer, par exemple dans le cas d’une agression homophobe, s’il s’agit d’un problème systémique ou de cas isolés ?
Enfin, toujours concernant ces méthodes d’inspection générale, comment les entretiens individuels sont-ils restitués ? J’ai récemment eu connaissance d’une inspection en cours dans un établissement de ma région où un élève, après avoir répondu à l’ensemble des questions d’un inspecteur, s’est vu proposer une relecture qui, selon lui, ne lui permettait pas de corriger véritablement ce qui avait été dit, notamment si les questions étaient orientées. Cela soulève la question de la capacité à refléter fidèlement ce que l’élève souhaitait exprimer lors de l’entretien avec l’inspecteur.
Je pousse ces questions, car nous traitons d’un sujet systémique et de libération de la parole individuelle, qui est particulièrement complexe et qui, parfois, n’a pas pu s’exprimer en raison de l’organisation de notre système. Je suis conscient que mes questions sont nombreuses et que différentes personnes pourraient y répondre, mais cela nous permet d’approfondir notre travail.
Mme Caroline Pascal. Je vais commencer par répondre à vos questions, bien que je pense qu’elles devront être approfondies lors de l’audition de l’Inspection générale.
Concernant les trois points que vous soulevez, et d’après mes connaissances jusqu’en juillet dernier, les enquêtes administratives font l’objet d’un vade-mecum, qui est un guide de l’enquête administrative destiné à l’ensemble des inspecteurs généraux. Ces derniers sont spécifiquement formés à l’enquête administrative.
Il est important de noter que tous les inspecteurs généraux ne sont pas nécessairement aptes, volontaires ou formés pour mener des enquêtes administratives. Il s’agit d’une équipe spécialisée au sein de l’Inspection générale. Ils reçoivent une formation spécifique sur le recueil de la parole, car vous avez raison de souligner la difficulté majeure que représente la libération de la parole d’un témoin. Des formations à l’entretien d’enquête administrative sont donc dispensées. Ce vade-mecum et ces formations ont également été transmis par l’Inspection générale aux inspections académiques.
Je tiens à souligner que si le nombre d’enquêtes administratives a considérablement augmenté au cours des cinq dernières années, la formalisation de l’enquête et des méthodes n’a cessé de progresser. Vous aurez sans doute remarqué la différence entre l’enquête de 1996 concernant Bétharram et celle d’aujourd’hui. Désormais, que ce soit au niveau général ou académique, ce n’est plus jamais un inspecteur seul qui mène l’enquête. Le travail d’analyse, que vous avez qualifié d’interprétation, se fait en équipe. Cette équipe est généralement paritaire, composée d’hommes et de femmes, et de spécialités ou de profils différents, afin d’éviter les biais.
Concernant les critères objectifs de déclenchement d’une inspection générale ou académique, je laisserai peut-être mes collègues ou l’Inspection générale elle-même répondre plus en détail. Cependant, je peux dire que le déclenchement d’une inspection générale est généralement le signe soit d’une volonté politique forte de la part du ministre, soit de la gravité ou de la complexité de la situation à laquelle le ministère est confronté.
Pour ce qui est des entretiens, comme je l’ai mentionné précédemment, le modèle de l’enquête administrative prévoit l’établissement d’un panel représentatif des personnels et des élèves délégués, par exemple. La demande en est faite au chef d’établissement. De plus, dans toutes les enquêtes administratives, un appel à témoins est lancé pour que tout élève volontaire ou toute personne volontaire, qu’il s’agisse d’un professeur ou d’un personnel de l’établissement, puisse également témoigner s’il le souhaite. Il arrive fréquemment que ces entretiens soient proposés à l’extérieur de l’établissement, notamment à la direction départementale des services de l’éducation nationale, afin de limiter davantage les risques de biais ou de pression.
Enfin, concernant la restitution des entretiens individuels, je prends note de vos remarques et je pense que l’Inspection générale en fera de même. Il est vrai que, notamment dans le cadre des enquêtes administratives, le témoin peut, à la lecture de son témoignage, le corriger autant qu’il le souhaite. J’entends votre préoccupation concernant le temps qui lui est accordé pour cela. Après correction, le témoin signe le document, ce qui, pour l’Inspection générale comme pour l’inspection académique, atteste que le témoin se reconnaît dans les propos rapportés.
Pour avoir lu un certain nombre de témoignages, vous constaterez qu’ils sont pris sur le vif et ne sont pas retravaillés par l’Inspection générale. Il s’agit véritablement de la prise de notes de ce qui est dit.
J’entends vos préoccupations, notamment concernant les élèves. Je rappelle que si les élèves sont mineurs, ils peuvent être accompagnés d’un parent ou d’une autorité, ce qui est également important pour la restitution du témoignage.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite aborder d’autres questions, qui concernent cette fois le plan de contrôle des établissements privés sous contrat, sur lequel vous travaillez depuis plusieurs mois. Dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire, j’aimerais vous interroger, madame Camiade, sur une note que vous avez adressée le 16 mai 2024 au directeur de cabinet de la ministre. Dans ce document détaillant le plan de contrôle, vous préconisez un échange avec le secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec) sur le principe de ce plan, tout en précisant qu’il ne faut pas aller jusqu’à une co-construction. Pourriez-vous nous expliquer les raisons de cette recommandation spécifique ?
Mme Marine Camiade. Effectivement, j’ai recommandé, en accord avec le souhait de la ministre, que le principe de ce plan de contrôle soit exposé et partagé avec le Sgec. Il ne s’agissait pas de remettre en question la légitimité du plan, qui est incontestable, mais plutôt d’expliquer notre approche. Notre intention était de partager avec eux les objectifs et la méthodologie, sans pour autant co-programmer, co-construire ou co-organiser les contrôles.
Sur cette base, nous avons collaboré avec les académies et l’Inspection générale pour élaborer un type de contrôle adapté. Je tiens à souligner qu’en matière de contrôle des établissements privés sous contrat, hormis l’expertise de l’Inspection générale, nous disposions de peu de précédents, de méthodes établies ou de formations spécifiques. Les académies étaient très demandeuses d’un cadre rappelant les textes, les objectifs et les spécificités de l’enseignement privé. C’est pourquoi nous avons développé un guide de contrôle, distinct d’un guide d’enquête administrative, couvrant les aspects pédagogiques, administratifs et de vie scolaire. Nos échanges avec le Sgec ont permis de clarifier certaines ambiguïtés dans ce domaine encore peu exploré et de réaffirmer notre analyse du rôle de l’État et du périmètre du contrôle.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il est en effet évident qu’il ne faut pas co-programmer ni co-construire les contrôles avec les entités qui en seront l’objet. Cependant, lorsque cette note de mai 2024 est devenue une directive de la ministre aux recteurs d’académie, les représentants de l’enseignement catholique se sont retrouvés associés au plan de contrôle. Dans le cadre de l’instance de dialogue régional sous la présidence effective du recteur d’académie, il est prévu d’organiser un dialogue régulier entre les autorités académiques et le comité académique de pilotage de l’enseignement catholique. Ce dispositif, mis en place après le « protocole Pap Ndiaye », vise à présenter la démarche et le cadre général du plan de contrôle.
On observe donc un changement significatif entre la proposition initiale de la DAF, qui visait à ce que l’administration garde la maîtrise du plan de contrôle, et la note finale de la ministre, dès lors que l’enseignement catholique est intégré au processus au niveau des diocèses et des académies. Cette situation soulève des interrogations, car il est surprenant que les établissements qui seront contrôlés puissent avoir accès à des informations leur permettant de connaître, chaque année, les établissements ciblés par le contrôle et, potentiellement, le moment où ces contrôles seront réalisés.
Je souhaite poursuivre en vous interrogeant sur un autre aspect de cette note du 16 mai 2024, qui aborde la question des moyens alloués au contrôle. À cette date, soixante équivalents temps plein (ETP) avaient déjà été théoriquement attribués au contrôle des établissements privés sous contrat et hors contrat. Dans votre note, vous insistez sur la nécessité d’employer ces moyens exclusivement au contrôle des établissements privés et de leurs enseignants, et non au contrôle de l’instruction en famille, comme cela semble être une pratique répandue. Pourriez-vous développer les raisons de cette mise en garde que vous adressez au directeur de cabinet de la ministre ?
Mme Marine Camiade. Concernant votre première remarque, la formulation adoptée dans la note de la ministre pour lancer les contrôles n’était pas en contradiction avec mes recommandations. L’intention était de reproduire au niveau local le dialogue que nous avions établi avec le Sgec au niveau national, en informant les instances locales de l’enseignement catholique des objectifs et des modalités des contrôles.
Il est important de préciser que le guide de contrôle prévoit deux types de contrôles : les contrôles programmés, qui devaient être la norme, et les contrôles inopinés, qui devaient rester l’exception. Ce guide a été rédigé il y a plus d’un an, et nous l’avons depuis modifié pour tenir compte des nombreux signalements reçus ces derniers mois. L’objectif n’était pas d’établir une co-construction ou une co-programmation des contrôles, mais plutôt d’engager un dialogue avec les responsables diocésains pour qu’ils puissent relayer les objectifs auprès des chefs d’établissement.
Concernant les moyens, le renforcement s’est fait en plusieurs étapes. En 2023, soixante ETP ont été alloués aux académies pour le contrôle des établissements sous contrat. À cette époque, les académies étaient encore très sollicitées par le contrôle des établissements hors contrat, qui devait être exhaustif dans leur première année de fonctionnement. Il y avait par ailleurs une réforme de l’instruction en famille, qui nécessitait beaucoup de moyens. Nous avions clairement indiqué à la DAF que ces moyens étaient destinés au déploiement d’un plan de contrôle sur le privé. Une enquête a révélé que les académies avaient bien reçu ces renforts, mais qu’elles les avaient principalement utilisés pour finaliser les contrôles en attente sur le hors contrat et l’instruction en famille.
Face à ce constat, la ministre Nicole Belloubet a souhaité donner des instructions claires. C’est elle qui a fixé des objectifs quantitatifs ambitieux, allant même au-delà de nos recommandations initiales. Elle a demandé que 40 % des établissements soient contrôlés d’ici 2027, dont 10 % sur place et 30 % sur pièces.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite insister sur votre choix consistant à ce que les soixante ETP soient exclusivement consacrés au contrôle des établissements privés sous contrat. La note ministérielle aux recteurs n’emploie pas le terme « exclusivement », mais « prioritairement ». Cette nuance, loin d’être anodine, résulterait d’une intervention de Mme Laloux, conseillère pédagogique de la ministre et actuelle conseillère d’éducation du premier ministre François Bayrou. Cette même conseillère aurait suggéré d’intégrer les représentants de l’enseignement catholique aux discussions aux niveaux diocésain et académique. Cette intervention du cabinet ministériel me semble cruciale, car elle conduit à ne pas suivre intégralement les recommandations de l’administration. Mon interprétation, en tant que rapporteur, est que les moyens prévus ne seront finalement pas exclusivement affectés au contrôle et que les établissements contrôlés auront un droit de regard sur la mise en œuvre du plan de contrôle.
Concernant le guide du contrôle des établissements privés sous contrat, le premier groupe de travail chargé de son élaboration s’est réuni le 12 mai 2023, avec pour objectif initial une publication au second semestre 2023. Or, ce guide n’a été publié que très récemment. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons de ces reports successifs ?
Mme Marine Camiade. L’élaboration de ce guide a effectivement nécessité un temps conséquent. Nous avons mené des échanges approfondis avec l’Inspection générale, les académies et plusieurs groupes de travail. L’instabilité ministérielle de cette période a indéniablement compliqué le processus de validation, retardant ainsi la publication du guide, finalement diffusé en novembre 2024. Nous reconnaissons ce retard par rapport à notre programmation initiale.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous avez présenté ce guide pour la première fois aux secrétaires généraux des académies le 13 novembre 2024. Au-delà de l’instabilité ministérielle et des changements durant cette période, existe-t-il d’autres facteurs explicatifs de ces reports ? Le dialogue avec le Sgec pourrait-il avoir joué un rôle dans ces délais successifs ?
Mme Marine Camiade. Effectivement, comme vous avez pu le constater dans les documents communiqués, le dialogue avec le Sgec a révélé certaines incompréhensions de sa part concernant deux points cruciaux du guide.
Premièrement, le Sgec considérait comme illégitime la capacité juridique de l’État à exercer un contrôle sur la vie scolaire. Pour nous, il ne faisait aucun doute que la vie scolaire relevait pleinement et légitimement du champ de contrôle de l’État.
Deuxièmement, se posait la question de la catéchèse, de la pastorale et de l’enseignement de culture religieuse. Le Sgec souhaitait distinguer la pastorale, engageant la foi, de l’enseignement de culture religieuse, qui ne l’engage pas, estimant que ce dernier pouvait être imposé aux élèves. Nous avons sollicité l’avis de la DAJ sur ce point. L’analyse de la DAJ a conclu que ces deux types d’enseignements devaient rester facultatifs, nécessitant l’adhésion explicite des parents lors de l’inscription dans l’établissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. En complément, monsieur Odinet, quel cadre juridique régit ce dialogue avec le Sgec, sachant que la loi Debré ne mentionne que des établissements individuels et non des réseaux, la relation contractuelle étant en principe directe entre l’État et chaque établissement ? Sur quelle base juridique le ministère a-t-il engagé des discussions sur des questions aussi fondamentales avec ce secrétariat général, absent des textes législatifs, sauf erreur de ma part ?
M. Guillaume Odinet, directeur des affaires juridiques (DAJ). Vous avez raison, le Sgec n’apparaît effectivement pas dans les textes législatifs. Il est important de noter qu’aucune loi n’est nécessaire pour établir un dialogue. Ce dialogue n’est d’ailleurs pas institutionnalisé et ne constitue en aucun cas une forme de négociation ou de concertation officielle prévue par les textes. Il s’agit simplement d’une pratique établie.
M. Paul Vannier, rapporteur. Étant donné l’absence de cadre juridique organisant ce dialogue, on pourrait s’interroger sur le fait qu’il ne soit pas étendu à d’autres réseaux d’établissements. Comme vous le savez probablement, il existe d’autres réseaux se réclamant des confessions musulmane, juive, ou encore d’orientations laïques ou de langues régionales. Vos services entretiennent-ils un dialogue similaire, avec la même profondeur, avec ces autres réseaux ?
Mme Marine Camiade. Nous maintenons effectivement un dialogue similaire avec l’ensemble des autres réseaux représentant les établissements, qu’ils soient laïcs ou d’autres confessions. Cependant, il faut reconnaître que ce dialogue n’atteint pas la même profondeur ni la même régularité qu’avec l’enseignement catholique. Il convient de rappeler que l’enseignement catholique représente 96 % de l’enseignement privé sous contrat.
Néanmoins, nous organisons des échanges annuels avec les autres réseaux concernant les contrôles. Nous les avons notamment réunis pour leur présenter les grandes lignes du guide et échanger sur ses principes. Nous les consultons également lors de réformes importantes et discutons chaque année de l’allocation des moyens pour leur réseau.
M. Paul Vannier, rapporteur. Cependant, puisque le « protocole Pap Ndiaye », par exemple, n’est pas un accord exclusif entre le ministère de l’éducation nationale et le Sgec, les autres réseaux d’établissements sont-ils représentés au niveau départemental et académique, comme le sont les représentants du réseau catholique, notamment dans le cadre de la mise en place de ce plan de contrôle ?
Mme Marine Camiade. Les autres réseaux sont généralement moins représentés dans toutes les académies, ce qui explique que le dialogue se déroule plus souvent au niveau national. Les académies, quant à elles, dialoguent directement avec les établissements. Il faut noter que certains types de réseaux ne sont pas présents dans chaque académie.
Concernant les questions de mixité, un travail plus approfondi a effectivement été mené avec l’enseignement catholique, du fait de sa part prépondérante dans l’enseignement privé sous contrat. Néanmoins, les enjeux de promotion de la mixité sociale et scolaire ont été largement partagés avec les autres réseaux. Nous les avons réunis, et ils se sont également engagés à promouvoir cette mixité dans leurs propres établissements.
Quant au statut juridique du Sgec, comme pour les autres têtes de réseau, nous ne requérons pas nécessairement de justification juridique. Ces instances sont pour nous des moyens de dialogue, permettant de définir des priorités et de partager des informations avec les établissements sur l’ensemble du territoire.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. S’agissant spécifiquement de la promotion de la mixité sociale et scolaire, pouvez-vous nous détailler les actions concrètes mises en place ? Y a-t-il eu des échanges approfondis avec les établissements privés pour comprendre comment cette promotion s’est effectuée ? Quel est l’état d’avancement actuel ? Procédez-vous à des vérifications, des incitations ? Disposez-vous de comptes rendus ou de travaux internes sur ce sujet au sein de vos établissements ?
Mme Marine Camiade. Le protocole mixité prévoit trois actions principales.
Premièrement, nous finalisons actuellement une base de données en ligne visant à assurer la transparence sur les indicateurs de mixité et le financement des établissements privés, ainsi que sur les taux de poursuite d’études. Malgré quelques difficultés techniques d’agrégation, sa mise en ligne est imminente.
Deuxièmement, nous avons instauré une modulation des moyens alloués aux établissements privés en fonction de leur engagement dans des démarches de mixité. La DAF a récemment transmis des instructions aux académies, leur fournissant des leviers pour ajuster les moyens. Pour la prochaine rentrée, les académies privilégient les contractualisations avec les établissements présentant déjà des taux de mixité élevés ou s’engageant dans des projets de recrutement plus diversifiés sur le plan scolaire et social. Elles modulent également les moyens à leur disposition, notamment les enveloppes pour le financement des missions relevant du pacte et des heures supplémentaires, afin de favoriser les établissements les plus mixtes.
Troisièmement, nous avons fixé des objectifs chiffrés d’augmentation du taux de boursiers, particulièrement dans les établissements bénéficiant des mêmes aides que les établissements publics. Il est encore trop tôt pour évaluer les résultats de cette mesure, les taux de boursiers pour cette rentrée n’étant pas encore stabilisés. Je pense que cet objectif nécessitera du temps pour monter en puissance.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je souhaite apporter un complément sur une autre question. Le contrôle des établissements privés hors contrat s’effectue principalement et obligatoirement lors de leur première année d’existence. Comme vous le savez, de nombreux établissements hors contrat tentent l’aventure d’une ouverture, parfois éphémère, dans une ville ou une région.
Par ailleurs, l’instruction en famille pour le motif 4 a engendré des inspections annuelles. Les inspecteurs ont été mobilisés sur ces contrôles de première année d’ouverture des écoles hors contrat. Comment parvenez-vous aujourd’hui, avec l’enveloppe des EPT, à vous concentrer clairement sur les établissements sous contrat, bien plus nombreux et nécessitant un contrôle ?
Mme Marine Camiade. Nous avons défini des objectifs chiffrés pour les académies et nous en assurons un suivi trimestriel. Nous les surveillons de près pour observer la montée en puissance des contrôles. Les académies devront rendre des comptes sur ces objectifs quantitatifs.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le Sgec – que nous allons auditionner mercredi – va devenir un interlocuteur. Il convient de préciser les conditions de ce dialogue, qui n’est prévu par aucun texte. Le Sgec a la particularité, contrairement aux autres têtes de réseau, d’être l’émanation d’une autorité ecclésiastique, la Conférence des évêques de France. En tant que juriste, comment analysez-vous cette situation ? La jugez-vous compatible avec la loi de séparation des églises et de l’État de 1905, dont l’article 2 dispose que l’État ne reconnaît aucun culte ? Or, l’État et le ministère de l’éducation nationale s’engagent précisément dans un dialogue régulier et approfondi avec le représentant de la Conférence des évêques de France.
M. Guillaume Odinet. Je ne pense pas que l’article 2 de la loi de 1905 ait jamais été interprété comme interdisant tout dialogue avec les cultes. Cette disposition ne concerne pas directement ce sujet. Le ministère de l’éducation nationale, comme d’autres ministères, entretient des dialogues avec les autorités des différents cultes. Ni la laïcité de l’État, ni l’interdiction de reconnaissance ou de subventionnement des cultes n’y font obstacle. Il est cependant crucial que ce dialogue n’amène en aucun cas l’État à partager sa compétence ou l’exercice de celle-ci avec le Sgec ou d’autres acteurs. Les compétences attribuées à l’État par la loi ne peuvent être partagées avec d’autres acteurs. Cela ne signifie pas que l’État s’interdit de dialoguer. Dans de nombreuses situations, l’État dialogue avec un acteur avant d’exercer une compétence, et c’est important qu’il le fasse. Néanmoins, il est essentiel que cela ne conduise pas à une délégation indue de sa compétence ou même à un exercice partagé.
M. Paul Vannier, rapporteur. La loi laïque n’interdit pas le dialogue, mais nous discutons de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques publiques, notamment les politiques de contrôle. Le fait que cette politique de contrôle et ce plan de contrôle soient discutés avec les représentants d’une organisation émanant de la Conférence des évêques de France ne semble-t-il pas questionner le respect de la loi de séparation ? Je m’interroge spécifiquement sur l’élaboration conjointe avec ce réseau.
M. Guillaume Odinet. Je ne pense pas qu’il y ait de question sur la laïcité, qui n’interdit en aucune manière le dialogue ou l’échange. Comme je l’ai souligné, il existe une limite : on ne peut pas partager une compétence. En matière scolaire, la laïcité s’articule de manière particulière avec un autre principe constitutionnel : la reconnaissance et la protection du caractère propre des établissements. Cela permet à des établissements non laïques d’être associés au service public. Il serait paradoxal que cette logique conduise à ne pas échanger avec des établissements chargés du service public dont le ministère a la responsabilité et la tutelle.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. J’ai été surprise lorsque vous avez évoqué le temps et la difficulté à évaluer ce point de contrôle nouvellement instauré. Cette nouveauté est positive, car elle correspond à une prise de conscience de la nécessité de contrôler plus régulièrement et systématiquement l’ensemble des établissements privés sous contrat. Notre premier étonnement, en abordant ce sujet, a été de constater que les établissements hors contrat sont finalement soumis à des inspections et des contrôles plus systématiques que ceux sous contrat, dont certains n’ont fait l’objet d’aucun contrôle pendant vingt ou trente ans.
Entre le 12 mai 2023 et la mi-2024 ou la sortie du guide, vous avez mentionné des questionnements difficiles à trancher, comme celui de savoir si l’enseignement des religions, à l’instar de la pastorale, devait être considéré comme un enseignement obligatoire ou facultatif. Cela m’étonne, car il me semble que c’est plutôt une question de fond sur ce qui doit être enseigné dans le cadre général du service public de l’éducation assuré par ces établissements privés, plutôt qu’une réflexion survenant au moment de l’élaboration d’un plan de contrôle systématique.
Pendant toutes ces années, des questions fondamentales n’avaient jamais été tranchées, ce qui a retardé la mise en place de contrôles opérationnels sur ces établissements privés. Durant cette période, si l’on remonte au ministère de Ségolène Royal, de nombreux faits de violences sexuelles avaient déjà été signalés, avec 277 nouvelles affaires sur une même année scolaire. La ministre avait alors demandé un suivi régulier de tous les faits de violences sexuelles commis par des personnels de l’éducation nationale, tant dans le public que dans le privé, avec un pilotage annuel des chiffres.
Ma question est donc la suivante : est-ce que tout ce temps consacré à l’élaboration de nouvelles modalités de contrôle a permis de progresser et de continuer à piloter sérieusement la lutte contre les violences sexuelles, psychologiques ou physiques commises par des personnels de l’éducation nationale ? Suiviez-vous, au niveau de la Dgesco, les suites administratives, conservatoires et judiciaires de ces affaires ? Comment s’effectuait ce pilotage ? Existait-il, par exemple, un groupe de travail ou un comité de pilotage régulier, annuel, depuis ces années-là, parallèlement à votre travail sur les nouvelles modalités de contrôle ?
M. Christophe Peyrel. Je tiens à préciser que parmi les signalements d’incidents et de faits graves obligatoirement transmis par les personnels de direction, il existe une catégorie spécifique pour les violences sexuelles et sexistes. Nous y avons également ajouté, il y a environ deux ans, une catégorie pour les violences liées à l’orientation sexuelle. Ces types d’atteintes font l’objet d’un suivi particulier dans le cadre plus large des violences contre les personnes. Cette dernière catégorie englobe non seulement les violences sexuelles, mais aussi les atteintes verbales et les violences physiques. Ainsi, nous assurons un suivi global des violences aux personnes, avec une attention particulière portée à ces sous-catégories spécifiques.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaite revenir sur un point crucial. Depuis l’époque où Mme Royal était ministre déléguée à l’enseignement scolaire, la question du suivi des agressions commises par des personnes en position d’autorité se pose. Nous connaissons déjà en partie la situation au regard des catégories figurant dans « Faits établissement » – nous reviendrons ultérieurement sur les améliorations à apporter à cet égard. Cependant, ma question porte sur l’évolution du suivi au niveau ministériel depuis ces années. Comment le ministère, que ce soit au sein d’une direction spécifique ou de manière transversale, assure-t-il un suivi régulier des violences psychologiques, physiques ou sexuelles perpétrées par un membre de l’éducation nationale en position d’autorité ou par un membre d’un établissement sous contrat ? Existe-t-il un système de pilotage défini et quelles en sont les modalités ?
M. Christophe Peyrel. Ces catégories font l’objet d’un suivi particulièrement attentif. Toutes ces violences sont systématiquement transmises au rectorat. Sur l’ensemble des faits signalés et enregistrés dans les établissements chaque année, environ 20 % sont jugés suffisamment graves pour être transmis au ministère. Parmi ces transmissions, une grande majorité concerne des violences aux personnes. C’est à partir de ces données que nous effectuons un suivi plus approfondi et que nous nous assurons de la mise en place de mesures préventives et réactives appropriées.
Je peux citer, à titre d’exemple, le plan d’avril 2024 pour la protection des établissements, des écoles, des personnels et des élèves. Ce plan stipule clairement l’obligation de signalement immédiat et la nécessité de protection. C’est l’une des façons dont nous prenons en compte ces violences.
Cependant, je ne suis pas en mesure de fournir plus de détails sur la période postérieure à 1998, n’ayant pas de vision complète à ce stade.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pour conclure sur ce point, je souhaite préciser ma question. En tant que chef du service de défense et de sécurité au sein de ce ministère, disposez-vous d’un outil de pilotage annuel spécifique aux violences commises par des adultes en position d’autorité sur des enfants, en distinguant bien cette catégorie des autres ? Ma question est très précise : êtes-vous en mesure de fournir des chiffres exacts pour l’année scolaire 2023-2024 concernant ces cas particuliers, parmi les données remontées au niveau national ?
M. Christophe Peyrel. Effectivement, pour l’année scolaire précédente, nous disposons de données précises. Nous pourrons vous fournir ces chiffres dans le cadre du questionnement formel. Pour l’année 2023-2024, notre application de signalement a recensé environ 1 200 cas de violences impliquant des personnels. Plus précisément, nous avons comptabilisé 1 198 cas, qui se répartissent comme suit : 280 cas de violences sexuelles (24 %), 461 cas de violences physiques (38 %), et 457 cas de violences verbales (38 %).
Violette Spillebout rapporteure. Pouvez-vous nous indiquer le nombre de signalements au procureur concernant ces types de faits, ainsi que les suites administratives et judiciaires qui leur ont été données ?
M. Christophe Peyrel. Je ne suis pas en mesure de vous fournir ces informations immédiatement. L’obtention de ces données s’avère plus complexe, car notre application a été principalement conçue pour le signalement immédiat. L’amélioration du suivi des suites données fait partie des évolutions nécessaires à apporter au système. Nous allons examiner cette question, mais je ne peux pas vous communiquer de chiffres fiables aujourd’hui concernant les suites données à ces signalements.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Au-delà des chiffres et de l’application, comment assurez-vous concrètement le suivi des 1 198 faits signalés ?
M. Christophe Peyrel. Le suivi de ces cas relève principalement de la responsabilité des acteurs locaux de l’éducation nationale : chefs d’établissement, directeurs d’école, inspecteurs de l’éducation nationale, ainsi que des services départementaux ou académiques. Ces services doivent s’assurer que l’application « Faits établissement » est correctement utilisée. Cette application comporte des cases à cocher qui guident automatiquement les utilisateurs sur les actions à entreprendre.
Notre rôle est de veiller à ce que toutes les mesures initiales de sécurité, de protection, de réaction et de dépôt de plainte soient mises en œuvre. Le guide que j’ai mentionné précédemment sert de référence pour rappeler systématiquement la nécessité de signaler immédiatement et automatiquement toutes les violences aux personnes.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je tiens à préciser que je ne parlais pas du signalement initial, mais bien du suivi ultérieur de ces cas. Concernant les 1 198 faits signalés, comment assurez-vous leur suivi au niveau national, au-delà de la gestion déconcentrée ? Pouvez-vous nous dire combien de procédures ont été déclenchées au titre de l’article 40 ? Quelles en ont été les suites ? Y a-t-il eu des dépôts de plainte et des suites judiciaires ?
M. Christophe Peyrel. Je ne suis pas en mesure de vous fournir ces informations précises aujourd’hui. J’espère que les recherches que nous pourrons effectuer dans l’application nous permettront d’obtenir ces données, bien que les croisements nécessaires soient complexes à réaliser.
Ce que je peux affirmer avec certitude, c’est que nous insistons depuis de nombreuses années sur l’obligation pour les personnels de direction de procéder à ces signalements automatiquement, dès lors que les situations le justifient et que les faits sont avérés ou apparaissent suffisamment graves.
Au niveau national, je ne peux pas m’engager aujourd’hui à vous fournir des chiffres détaillés sur les suites données à ces 1 198 cas, dont les 280 cas de violences sexuelles. Je ne dispose pas actuellement des informations complètes sur le traitement de tous ces signalements.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Il nous a été rapporté à plusieurs reprises que, notamment dans les établissements publics, malgré une bonne gestion de la chaîne déconcentrée, il existe un problème de centralisation des informations au niveau national. Par exemple, si une personne ayant commis des violences sur un enfant change d’académie, les informations ne sont pas nécessairement centralisées au niveau national. C’est un enjeu crucial. La question est de savoir comment, au niveau de l’État et du ministère de l’éducation, vous centralisez tous les signalements et assurez le suivi de leur devenir. Vous semblez indiquer que vous n’êtes pas réellement en mesure de le faire faute d’un outil adapté.
M. Christophe Peyrel. Je tiens à préciser que dès qu’un signalement met en cause la responsabilité potentielle d’un personnel, il est automatiquement transmis à la direction générale des ressources humaines ou à la direction de l’encadrement, selon le type de personnel concerné.
De plus, nous avons donné des instructions l’année dernière aux académies pour assurer un rapprochement immédiat entre les services du cabinet rectoral, chargés de recevoir les signalements et de traiter les violences, et les services des ressources humaines. L’objectif est de garantir un suivi dans le dossier du personnel potentiellement mis en cause.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour bien comprendre, sur ces 1 200 signalements, vous ne vous assurez pas au niveau central que chacun d’entre eux ait fait l’objet d’une judiciarisation ?
M. Christophe Peyrel. Nous nous assurons que les responsables locaux effectuent les démarches nécessaires, mais nous ne sommes pas en mesure aujourd’hui de vérifier au niveau central que tous ces faits ont fait l’objet des suites judiciaires appropriées. L’organisation actuelle du ministère et les limites de notre unique application « Faits établissement » ne nous permettent pas d’assurer un tel suivi exhaustif au niveau national.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ce nombre – 1 200 cas – nous paraît énorme. Vous mentionnez souvent les violences aux personnes, ce qui n’est pas la même chose puisqu’elles pourraient inclure les violences entre élèves. Cela paraît beaucoup pour les victimes potentielles, mais c’est assez peu en termes de traitement et suivi pour un ministère. Ce n’est pas un volume insurmontable.
Certains cas ne donnent pas lieu, j’imagine, à des suites judiciaires. Les signalements font l’objet d’un traitement – nous y reviendrons. En revanche, vous dites que comme ces 1 200 cas concernent des personnels de l’éducation nationale, ils sont transmis à la DRH. Assure-t-elle un suivi des mesures conservatoires, immédiates, de protection de l’enfant ? Ce que nous avons vu avec le 119 ou les associations, c’est qu’un signalement par l’établissement doit donner lieu à une mesure de protection en quelques jours.
Quel pilotage assurez-vous s’agissant des mesures conservatoires et disciplinaires, s’il y en a ?
M. Boris Melmoux-Eude, directeur général des ressources humaines (DGRH). En matière de mesures conservatoires, ce sont les autorités académiques qui sont compétentes, le recteur pour les personnels du second degré et le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen) pour les personnels du premier degré.
En ce qui concerne les mesures disciplinaires, la compétence en matière de sanctions pour les personnels du premier degré relève exclusivement du recteur qui peut déléguer ensuite cette compétence au Dasen. Pour les personnels du second degré, les sanctions les plus faibles du groupe 1 et du groupe 2 relèvent du recteur. Les sanctions les plus élevées relèvent du ministre, cette compétence étant donc exercée par la direction générale des ressources humaines.
Notre intervention au niveau ministériel se produit dans deux cas : soit pour les sanctions relevant des groupes 3 ou 4, soit pour les cas de violence ou d’atteinte à l’intégrité physique et morale des élèves, conformément à la circulaire du 20 avril 2016. Cette circulaire impose un regard croisé académie-ministère pour déterminer le quantum de sanction approprié, ainsi qu’une transmission systématique des dossiers au ministère pour suivi.
Nous sommes généralement informés soit directement par les autorités académiques, soit via les remontées de la cellule interministérielle de veille et d’alerte. Nous menons ensuite des enquêtes pour établir l’ensemble des sanctions infligées et assurons le suivi de ces dossiers. Ces données sont intégrées à une enquête nationale conduite pour l’ensemble de la fonction publique d’État par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).
Je précise que nous ne disposons pas de statistiques sur les mesures prises par les autorités académiques. Nos données statistiques se limitent aux sanctions disciplinaires une fois prononcées.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Disposez-vous des chiffres pour 2024 ?
M. Boris Melmoux-Eude. Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2024, l’enquête ayant été lancée il y a seulement deux semaines. En revanche, je peux vous communiquer les données des trois dernières années, soit 2021, 2022 et 2023.
Pour contextualiser ces chiffres, nous utilisons la typologie définie par la DGAFP pour l’ensemble de la fonction publique d’État. Trois catégories sont pertinentes pour notre discussion : « incorrections, violences et insultes », « violences sexuelles et sexistes » et « mœurs ». Il est important de noter que ces catégories peuvent inclure des fautes commises envers d’autres personnels, pas uniquement envers les élèves.
Voici la répartition des sanctions pour le premier degré selon ces trois catégories :
– incorrections, violences et insultes : 41 en 2021, 43 en 2022, 62 en 2023 ;
– violences sexuelles et sexistes : 11 en 2021, 9 en 2022, 11 en 2023 ;
– mœurs : 2 en 2021, 3 en 2022, 0 en 2023.
Pour le second degré :
– incorrections, violences et insultes : 70 en 2021, 111 en 2022, 91 en 2023 ;
– violences sexuelles et sexistes : 52 en 2021, 42 en 2022, 37 en 2023 ;
– mœurs : 2 en 2021, 3 en 2022, 2 en 2023.
Concernant les radiations prononcées au titre de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, qui permet à l’autorité disciplinaire de radier les personnels condamnés définitivement par la justice pour des faits de cette nature, nous en dénombrons : 6 en 2021, aucune en 2022, et 9 en 2023 pour le premier degré ; 21 en 2021, aucune en 2022 et 17 en 2023 pour le second degré.
Ces chiffres détaillés vous seront communiqués par écrit.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ces chiffres concernent-ils uniquement l’enseignement public ?
M. Boris Melmoux-Eude. En effet, ces données ne concernent que l’enseignement public, la direction générale des ressources humaines n’étant compétente que pour les personnels de l’enseignement public.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous n’avez donc aucune visibilité sur des faits équivalents dans l’enseignement privé sous contrat ?
M. Boris Melmoux-Eude. La direction générale des ressources humaines n’a effectivement aucune visibilité sur ces situations dans l’enseignement privé sous contrat.
Mme Marine Camiade. Concernant les enseignants du privé sous contrat, qui sont également des agents du ministère, notre processus est moins élaboré que celui de la DGRH. Une enquête est en cours auprès des académies pour recenser les procédures disciplinaires contre les agents des établissements privés sous contrat. Nous leur avons également demandé le nombre de procédures déclenchées au titre de l’article 40. Si votre commission a besoin d’informations supplémentaires, nous pourrons approfondir nos questions.
Pour l’enseignement privé, l’ensemble de la procédure disciplinaire suit exactement les mêmes règles que celle du public en termes de consignes. Les instructions de 2016, faisant suite à l’affaire Villefontaine, concernaient autant les enseignants du public que du privé, avec des obligations de sanctions sévères en cas de violences contre des enfants. Sa spécificité réside dans le fait que la gestion des cas est entièrement déconcentrée, contrairement à ce que l’on constate pour l’enseignement public puisque les cas les plus graves remontent au niveau national auprès de la DGRH. Nous procédons par enquête et nous vous fournirons les données recueillies. Si vous avez besoin d’informations complémentaires, nous pouvons ajouter des questions à l’enquête en cours.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour clarifier, les recteurs et les Dasen sont également chargés des sanctions disciplinaires pour les personnels du ministère sous contrat dans l’enseignement privé.
J’ai deux questions complémentaires. La première concerne le volume des mesures disciplinaires. Environ 10 % des 1 200 signalements donnent lieu à une traduction disciplinaire. Comment expliquez-vous cet écart ?
Par ailleurs, pour revenir à la question de la judiciarisation éventuelle de ces signalements, vous avez indiqué, si j’ai bien compris, que vous transmettez à l’administration déconcentrée une consigne visant à s’assurer qu’il y ait une suite judiciaire. Cependant, vous n’avez pas centralisé à ce jour le nombre de ces suites provenant des inspections académiques ou des rectorats.
Disposez-vous d’informations en provenance de la Chancellerie sur le nombre de procédures judiciaires qui peuvent chaque année concerner les personnels relevant du ministère de l’éducation nationale, tant dans les établissements publics que dans les établissements privés sous contrat ?
M. Christophe Peyrel. Je souhaite apporter une précision importante concernant les données que je vous ai communiquées. Elles se rapportent effectivement aux violences impliquant des personnels, ce qui peut inclure des allégations de violences qui auraient été commises par ces derniers. C’est l’une des limites inhérentes à ces signalements immédiats : nous ne disposons pas toujours des suites données à ces affaires.
En réponse à votre question, nous ne recevons pas de retour systématique de la part de la Chancellerie au niveau national concernant les suites judiciaires données à ce type de saisines, sauf peut-être dans quelques cas exceptionnels.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il me semble qu’en 2016 une convention nationale a été établie entre le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la justice. Son objectif était de rendre opérationnelles les communications régulières entre ces deux ministères, notamment concernant les condamnations. Cette convention visait à garantir que les informations sur les condamnations soient effectivement transmises, afin d’éviter qu’une personne condamnée, dont vous n’auriez pas eu connaissance à temps, puisse être réaffectée dans un établissement. Cela permettrait d’éviter des situations où, deux ans plus tard, on découvre qu’un individu avait commis des violences sexuelles dans une autre académie. Cette convention est-elle réellement en place ? Dans ce contexte, quels sont les moyens mis en œuvre pour sécuriser le processus et prévenir le scénario que je viens d’évoquer ?
M. Guillaume Odinet. Il n’existe pas de statistiques centralisées à notre niveau. Le changement majeur ne concerne pas tant les statistiques que la remontée individuelle d’informations, qui est effectivement mise en place. Cependant, il n’y a pas de centralisation de ces remontées. Ces dispositifs découlent de la loi de 2016, qui a instauré deux mécanismes principaux dans le code de procédure pénale. Le premier permet au parquet d’informer, à sa discrétion, les autorités académiques. Le second, plus contraignant, est défini par l’article 746-47-4 du code de procédure pénale. Il prévoit une obligation de signalement pour certaines condamnations, et même parfois pour des mises en examen, concernant un certain nombre d’infractions spécifiques. À ma connaissance, ce dispositif ne fait pas l’objet d’un recensement centralisé de l’ensemble des signalements, mais il est effectivement mis en œuvre et concerne aussi bien le secteur public que le secteur privé.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pourriez-vous préciser quel type de recensement existe, si vous affirmez qu’il n’y a pas de recensement centralisé ?
M. Guillaume Odinet. Je vous prie de m’excuser si je n’ai pas été suffisamment clair. Je voulais souligner qu’il n’existe pas, à ma connaissance, de recensement centralisé regroupant l’ensemble des signalements émanant de tous les parquets de France. Néanmoins, une procédure est en place : le parquet est tenu d’informer l’administration lorsqu’un agent est mis en examen ou condamné pour certaines infractions spécifiques, conformément aux termes de la loi. Ces signalements individuels permettent à l’administration de prendre, le cas échéant, des mesures conservatoires ou d’engager une procédure disciplinaire. L’administration dispose ainsi d’éléments d’information actualisés et peut, si nécessaire, solliciter des compléments auprès du parquet. Cependant, je n’ai pas connaissance d’une centralisation globale de tous ces signalements provenant de l’ensemble des parquets français.
M. Paul Vannier, rapporteur. Concernant l’articulation entre les procédures administratives disciplinaires et les procédures judiciaires, nous avons pu constater, notamment lors de nos échanges à Bordeaux, que l’administration semble parfois hésiter à prendre une mesure disciplinaire ou conservatoire, préférant attendre une éventuelle décision judiciaire. Comment gérez-vous les situations où ces deux possibilités coexistent ? Comment éviter que l’attente d’une décision judiciaire par l’administration, conjuguée à la lenteur potentielle de cette décision, conduise au maintien en poste d’individus ayant fait l’objet de signalements pour des faits de violence ?
M. Boris Melmoux-Eude. Monsieur le rapporteur, permettez-moi d’apporter plusieurs éléments de réponse à votre question.
Premièrement, dès qu’un agent est soupçonné d’avoir commis une faute grave, le recteur a le pouvoir de prendre des mesures conservatoires, notamment la suspension du personnel concerné. Le code général de la fonction publique dispose que cette suspension ne peut excéder quatre mois, sauf si une procédure pénale est engagée. Ainsi, des mesures conservatoires, qui ne sont pas des mesures disciplinaires, peuvent être prises sans attendre le déclenchement d’une enquête.
Deuxièmement, il existe effectivement un principe d’indépendance entre les procédures disciplinaires et pénales. Ces deux procédures peuvent être menées simultanément, l’autorité disciplinaire n’étant pas subordonnée à l’autorité judiciaire pour prendre des sanctions.
Troisièmement, dans les cas que nous évoquons, qui concernent des atteintes à l’intégrité physique et morale de nos élèves et qui relèvent donc directement de la compétence du juge pénal, compte tenu de la gravité des sanctions potentielles comme la révocation, notamment dans le cadre de l’article L. 911-5 du code de l’éducation, il peut être jugé préférable d’attendre la condamnation définitive du juge. Dans ces circonstances, le personnel concerné reste suspendu.
Quatrièmement, en ce qui concerne la direction générale des ressources humaines, il peut arriver que nous ne soyons pas systématiquement informés d’une condamnation pénale impliquant une interdiction d’exercer pour un personnel de l’éducation nationale. Nous pouvons être informés soit directement par les parquets, soit par le référent justice académique qui reçoit les décisions de justice. Dans ce cas, nous transmettons l’information, la compétence de révocation pour les personnels du second degré relevant du recteur. Il nous arrive également d’échanger directement avec les parquets pour connaître précisément la nature de l’infraction pénale commise, afin d’en tirer toutes les conséquences dans le cadre des procédures disciplinaires.
Je dois cependant souligner que cette fluidité d’information entre les parquets et l’institution, que ce soit au niveau national ou académique, n’est pas systématique et varie selon les cas.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Votre dernière phrase résume parfaitement l’écart que nous percevons entre les réponses qui démontrent l’existence de nombreuses procédures de signalement demandées aux personnels de terrain, et la réalité du terrain où nous avons constaté un fort sentiment d’isolement face à des décisions complexes, dont une partie n’est pas entièrement protocolisée.
C’est sur ces aspects que nous avons ressenti une véritable attente des personnels confrontés à ces situations, au niveau des rectorats comme des établissements. Nous pensons notamment aux directeurs d’écoles qui, malgré une charge de travail déjà conséquente, doivent gérer ces situations au cas par cas, sans compter l’impact émotionnel des révélations. Ils éprouvent de grandes difficultés à prendre des décisions de manière sécurisée, en s’assurant prioritairement de la protection des enfants et d’un rétablissement rapide de la situation. C’est là une préoccupation majeure de notre commission d’enquête.
Dans cette optique, j’ai une question directe concernant le suivi des signalements. Considérez-vous que les services de protection de l’enfance dans les départements, en particulier les Crip, sont compétents pour traiter les violences commises sur des enfants en milieu scolaire ?
M. Guillaume Odinet. D’un point de vue juridique, nous estimons que oui. D’ailleurs, parmi les recommandations régulièrement émises figure la transmission des signalements à la cellule de recueil des informations préoccupantes, y compris pour les cas survenant en milieu scolaire.
M. Paul Vannier, rapporteur. Avant de passer à d’autres sujets, je souhaite aborder une dernière question concernant le contrôle des établissements privés sous contrat. Vous avez constaté, grâce à un questionnaire, que ces contrôles sont menés de manière hétérogène sur le territoire. En effet, dans l’académie de Nantes, un seul contrôle a été effectué sur 1 139 établissements au cours des six dernières années. En revanche, dans l’académie de la Martinique, l’ensemble des 32 établissements privés sous contrat ont été inspectés durant la seule année 2023. Comment expliquez-vous cet écart significatif entre un contrôle exhaustif en Martinique et une quasi-absence de contrôle dans l’académie de Nantes, où les établissements privés sont pourtant particulièrement nombreux ?
Mme Marine Camiade. Concernant la situation en Martinique, nous avons effectivement été surpris par les données fournies par l’académie. Je pense qu’il y a peut-être eu une confusion dans l’interprétation de notre question sur le type de contrôles effectués. Il existe en effet plusieurs types d’interventions dans les établissements sous contrat. Par exemple, tous les enseignants font l’objet de rendez-vous de carrière, qui sont des formes d’inspection. Il est possible que la Martinique ait considéré avoir rempli toutes ses obligations de contrôle pour l’année en question en incluant ces évaluations. Je vous réponds avec une certaine prudence, n’ayant pas vérifié directement auprès de l’académie en question. Ce qui est certain, et il faut le reconnaître, c’est que les contrôles au sens où nous l’entendons actuellement – c’est-à-dire un examen global du fonctionnement de l’établissement, du respect des clauses du contrat, des comptes et de l’administration – étaient rares au cours des années précédentes. Nous devons le souligner.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je souhaite aborder une question prospective et exprimer une inquiétude. L’année scolaire prochaine verra la mise en place du programme d’éducation à la vie affective et aux relations sexuelles pour tous les niveaux. Ce n’est pas un enseignement ordinaire et il nécessitera une formation spécifique. Je m’interroge sur les actions de formation prévues pour les enseignants. Cette éducation, plus que d’autres, pourrait amener certains élèves à révéler des situations de violence dont ils sont victimes. Les chiffres de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) estiment qu’un enfant sur dix, soit environ trois à quatre élèves par classe, pourrait être victime directe de violences sexuelles ou d’inceste. Je souhaite savoir ce qui est prévu pour recueillir et traiter ces témoignages.
Au vu des auditions que nous avons menées, je suis actuellement très préoccupée. Nous disposons d’un protocole efficace pour les risques d’attentats, avec un plan d’action et des entraînements réguliers dans les écoles publiques. Je m’interroge sur l’existence de protocoles similaires pour gérer la libération potentielle de la parole des enfants victimes de violence. J’ai l’image d’un système complexe avec de nombreuses failles potentielles.
Mme Caroline Pascal. Le programme d’éducation à la sexualité s’inscrit dans un plan plus large de protection de l’enfance. Il existe déjà une page dédiée sur Éduscol, relative aux situations où le recueil de la parole peut être nécessaire. Cela constitue à la fois un élément de professionnalisation des enseignants et un point de vigilance. Au-delà, nous nous concentrons particulièrement sur le traitement des situations de violence sexuelle en milieu scolaire, mais aussi, et surtout, sur les violences intrafamiliales qui peuvent être révélées dans le cadre scolaire.
Nous avons mis en place des programmes de formation qui couvrent la sensibilisation des élèves aux problématiques de violence sexuelle intrafamiliale, le repérage et le signalement des élèves victimes, ainsi que la formation des personnels pour accueillir la parole et l’accompagnement par des associations spécialisées. C’est un sujet extrêmement sensible, comme vous le soulignez à juste titre. Nous avons multiplié les ressources sur ces pages spécifiques. Enfin, les enseignants ne sont pas seuls car les services sociaux en faveur des enfants sont immédiatement sollicités en cas de suspicion.
Le programme d’éducation à la sexualité, demandé en 2023 par le ministre Pap Ndiaye et publié le 6 février 2025 après une longue période de consultation et de concertation avec les professeurs, les associations et les familles, s’articule autour de trois axes principaux.
Nous avons débuté la semaine dernière le programme de formation des équipes pédagogiques, des cadres et des référents académiques, qui seront ensuite chargés de déployer cette formation auprès des équipes volontaires. Ce premier plan national de formation s’est tenu à Paris et sera décliné en ateliers de formation avec deux à trois personnes par circonscription et une personne par collège et par lycée. Ce n’est qu’une première étape, car ce programme a vocation à s’étendre beaucoup plus largement, sur sept ans. Nous proposons également un programme d’autoformation accessible sur une plateforme dédiée, ainsi que des journées de formation en présentiel.
Pour répondre précisément à votre question sur la difficulté du recueil de la parole, c’est une problématique plus large. Le programme d’éducation à la sexualité pourrait effectivement faire émerger des suspicions de situations de violence. Je vous renvoie à la page Éduscol sur la protection de l’enfance, qui traite de l’émergence de ces situations de manière plus globale, au-delà du cadre spécifique de ce programme. Néanmoins, l’un des axes du programme porte sur l’apprentissage du consentement, le respect de soi et de son corps, la reconnaissance de son intimité, etc. Ces éléments doivent permettre aux enfants de prendre conscience et de mettre des mots sur les situations qu’ils vivent.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je vous remercie pour ces précisions. Cependant, je m’interroge : la formation dispensée aux enseignants ne comporte-t-elle pas un volet spécifique sur la possibilité que cette éducation amène certains enfants à exprimer des violences subies ? Vous renvoyez à une page de ressources en ligne Éduscol, ce qui me semble insuffisant face à l’ampleur potentielle du phénomène. Quel protocole précis est prévu pour s’assurer que cette parole soit correctement entendue, traitée, et que les suites nécessaires soient engagées de manière appropriée ?
Mme Caroline Pascal. En renvoyant à cette page de ressources, nous mettons à disposition des enseignants des outils et des démarches concrètes pour qu’ils ne se retrouvent pas isolés face à ces situations. La recommandation principale est de s’adresser immédiatement aux assistants sociaux et aux services sociaux en faveur de l’enfant, afin que la parole soit prise en compte par des professionnels. Le rôle de l’enseignant est de recueillir le signalement, puis de travailler en collaboration avec le service social en faveur de l’enfant pour traiter cette parole, déterminer les suites à donner et effectuer le signalement auprès du chef d’établissement, puis du directeur académique des services de l’éducation nationale.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je souhaite aborder plusieurs points concernant les sanctions envers les établissements privés. Tout d’abord, à la suite de l’article paru ce matin dans Libération sur un établissement privé à Pau, accusé de pratiques contraires à la laïcité, d’un enseignement rétrograde de l’éducation sexuelle, et faisant l’objet d’une information judiciaire pour harcèlement moral et détournement de fonds publics, je m’interroge sur les critères déclenchant la fermeture d’un établissement. Le ministère s’est contenté hier de délivrer un simple avertissement. Quelle est la nature exacte d’un tel avertissement ? Existe-t-il une ligne rouge au-delà de laquelle le ministère envisage réellement des sanctions, voire la fermeture d’un établissement ne respectant pas son contrat ? Combien de signalements et d’avertissements sont nécessaires avant que le ministère ne décide de réviser un contrat ?
Nous prenons connaissance, dans les affaires qui émergent actuellement, de centaines de cas de violence sur plusieurs décennies. Nous sommes bien d’accord, une telle situation ne pourrait évidemment pas se produire aujourd’hui…
J’ai également deux questions complémentaires. Premièrement, une information est-elle diffusée aux personnels pour les inciter, en tant que fonctionnaires, à passer uniquement par la voie hiérarchique, à l’exclusion d’un signalement en tant que citoyens ?
Deuxièmement, en cas de manquement d’un chef d’établissement, comme dans l’affaire Bétharram, quelles sont les procédures mises en place pour émettre les avertissements nécessaires ?
Mme Marine Camiade. Concernant les établissements privés, nous disposons de plusieurs leviers d’action. Tout d’abord, des procédures disciplinaires peuvent être engagées contre les chefs d’établissement, comme dans le cas que vous avez cité. Ensuite, nous pouvons adresser des mises en demeure ou des avertissements aux établissements pour qu’ils se conforment aux termes de leur contrat. Pour les manquements les plus graves et répétés, nous avons la possibilité de retirer le contrat des établissements concernés. Enfin, nous pouvons fermer les établissements lorsque la santé, la sécurité, l’utilisation des fonds publics ou l’enseignement ne sont pas conformes aux attentes.
Il existe donc différents niveaux de sanctions possibles. Cependant, la jurisprudence est assez limitée en la matière, ce qui rend difficile l’établissement de lignes directrices précises. Nous sommes au début de la mise en place de ces contrôles et procédures de recrutement renforcés.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Voulez-vous dire que ce système n’est pas encore efficace ? Par exemple, pour la période 2020-2024, il n’y a eu quasiment aucun retrait de contrat. S’il y a eu des retraits de contrats, quels établissements ont été concernés ?
Mme Marine Camiade. Il y a eu les retraits de contrats d’Averroès et d’Al-Kindi.
M. Paul Vannier, rapporteur. Qu’est-ce qui peut fonder la rupture du contrat d’association ?
M. Guillaume Odinet. Il est important de distinguer le privé hors contrat du privé sous contrat. Le privé sous contrat a conclu un accord avec l’État, l’associant au service public de l’enseignement et le soumettant aux obligations qui en découlent.
La loi Gatel, récemment adoptée, a revu le système de contrôle et de sanction des établissements privés hors contrat. Elle a instauré une mesure de fermeture administrative basée sur un processus en deux étapes : d’abord l’observation de manquements par une autorité de l’État, puis une mise en demeure. Si les manquements persistent, la sanction est binaire : fermeture temporaire ou définitive. Quelques mesures ont déjà été prises en application de cette loi, créant un début de jurisprudence sur le niveau de gravité justifiant une fermeture.
Pour le privé sous contrat, le code de l’éducation prévoit la possibilité de mettre fin au contrat en cas de manquement grave. Des cas récents, encore en contentieux, soulèvent des questions juridiques sur la définition d’un manquement grave et sur la prise en compte d’éléments extérieurs au contrat.
Concernant le cas que vous avez évoqué d’un établissement ayant fait l’objet d’une importante couverture médiatique, une procédure disciplinaire extraordinaire a été engagée contre le chef d’établissement, en vertu de l’article L. 914-6 du code de l’éducation. Cet article confère à l’État un pouvoir disciplinaire supplémentaire sur les chefs d’établissements privés, allant du blâme à l’interdiction d’exercer. La sanction prononcée a été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Pau, qui l’a jugée excessive. Nous attendons maintenant le jugement sur le fond.
Ces sujets nécessitent encore des éclaircissements jurisprudentiels pour déterminer précisément le niveau de gravité correspondant à chaque niveau de sanction.
M. Paul Vannier, rapporteur. Estimez-vous nécessaire, avant une éventuelle décision de rupture du contrat d’association, qu’une mise en demeure soit adressée à l’établissement afin d’évaluer sa réponse aux préconisations qui pourraient être formulées à la suite d’une inspection ?
M. Guillaume Odinet. Elle n’est pas nécessaire pour les établissements sous contrat, contrairement aux établissements privés hors contrat pour lesquels le code la prévoit. Néanmoins, il pourrait être souhaitable, pour un certain nombre de manquements, d’instituer une forme de contradictoire préalable ou un système de mise en demeure. La direction des affaires juridiques a d’ailleurs recommandé cette approche, précisément pour éviter l’effet de surprise lié à la cessation du contrat.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous aviez en effet formulé cette proposition. Le collège Stanislas, par exemple, a reçu une série de recommandations qui sont en cours d’examen. À l’inverse, d’autres établissements, que vous avez cités, ont vu leur contrat d’association rompu sans qu’aucune préconisation de même nature ne leur soit transmise. Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?
M. Guillaume Odinet. De nombreux éléments entrent en compte dans l’appréciation d’un dossier, notamment la gravité des faits constatés et l’urgence éventuelle de la situation. Comme je l’ai mentionné, il y a toujours une part d’appréciation quant à l’opportunité de telle ou telle mesure. Nous évaluons si les faits sont suffisamment répétés, graves ou multiples. Nous examinons également s’il s’agit de problèmes auxquels il peut facilement être remédié, auquel cas une mise en œuvre peut sembler plus appropriée. Nous considérons aussi la nature structurelle des fautes. Dans certains cas, alors même qu’il y serait le cas échéant remédié, la faute peut être jugée suffisamment grave pour que l’État décide néanmoins de mettre fin au contrat.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je tiens à souligner que les deux seuls établissements ayant vu leur contrat d’association résilié sans préconisations préalables sont deux lycées rattachés au réseau des établissements musulmans : le lycée Averroès et le lycée Al-Kindi. Hormis ces deux cas, je ne connais qu’un seul exemple de rupture de contrat d’association depuis 1959 et le vote de la loi Debré, survenu dans les années 1980 dans l’académie de Toulouse ; mais peut-être avez-vous d’autres exemples à citer. Cette observation suscite-t-elle un commentaire de votre part ?
M. Guillaume Odinet. Cela n’appelle pas de commentaire de ma part.
M. Paul Vannier, rapporteur. C’est donc un pur hasard si ce sont deux établissements faisant partie du réseau musulman qui ont vu leur contrat rompu sans que des recommandations leur soient transmises, alors qu’il existe, je le rappelle, 7 500 établissements privés sous contrat dans le pays et que la loi Debré est en vigueur depuis soixante-cinq ans.
M. Guillaume Odinet. Je n’ai pas de statistiques exhaustives sur les cas de résiliation. Et non, ce n’est pas un pur hasard, puisque nous ne prenons pas de décisions aléatoires. Comme je vous l’ai expliqué, ces décisions sont motivées par les faits constatés, leur gravité, leur caractère remédiable ou non et l’ensemble des éléments que je viens de vous exposer.
M. Paul Vannier, rapporteur. Qui évalue cette gravité ? Sont-ce les préfets qui prennent la décision finale ? Le ministère de l’éducation nationale a-t-il le dernier mot ? Ou la décision de rupture du contrat d’association est-elle plutôt prise en dernière instance du côté des préfets ou du ministère de l’intérieur ?
M. Guillaume Odinet. Il s’agit effectivement d’une décision qui relève du gouvernement. Cependant, le préfet ne représente pas uniquement le ministère de l’intérieur.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaite ajouter une question sur le même sujet. La résiliation d’un contrat prévoit-elle la réunion d’une commission de concertation ? Cette pratique semble peu maîtrisée aujourd’hui par les préfets parce qu’elle est très rare. Pouvez-vous préciser si, à chaque fois qu’une décision de rupture de contrat est envisagée, cette commission de concertation se réunit ? À l’inverse des exemples cités, existe-t-il des cas où des commissions de concertation ont abouti à la décision de ne pas résilier un contrat ?
Mme Marine Camiade. La réunion de cette commission est obligatoire si l’on envisage de remettre en cause le contrat. Nous n’avons pas connaissance de commissions qui se seraient réunies pour des projets de résiliation de contrat et qui n’auraient pas abouti.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Vous avez répondu à mon collègue Arnaud Bonnet qu’une procédure était en cours contre le directeur et que c’est principalement lui qui concentre toutes les problématiques de l’établissement dont nous parlons. Or, j’ai lu un article ce matin sur ce sujet dont j’aimerais vous citer quelques passages.
« Une inspection générale a bien eu lieu dans la foulée et un rapport a été rédigé en juin 2024, mais le rectorat de Bordeaux et le ministère de l’éducation nationale ont toujours voulu le garder secret ».
Je rappelle ici que les rapports sont en principe communicables à tout citoyen. Je vous demande donc de le communiquer aux députés membres de la commission d’enquête.
Je poursuis : « Plus grave encore, une inspection menée en 2021 avait déjà pointé de graves dérives et certaines n’ont jamais cessé. À l’époque, dix-neuf signalements pour atteintes à la laïcité avaient été remontés par des professeurs. »
« Dans leur rapport de seize pages, les inspecteurs constatent que cet établissement ne respecte pas le code de l’éducation, qui exige que les cours soient dispensés "selon les règles et programmes de l’enseignement public" et que l’instruction religieuse ne soit jamais obligatoire. C’était déjà le cas en 2021, cela l’est toujours en 2024. »
« Le rapport montre également comment le directeur de l’établissement refuse d’appliquer la réforme des programmes de 2016, pourtant imposée par une circulaire. »
« Pour finir, l’inspection constate d’importants manquements au contrat d’association, qui permet pourtant à l’Immaculée-Conception de recevoir de très grosses subventions. Les préconisations présentées au directeur lors du premier contrôle de 2021 "n’ont été respectées que partiellement et n’ont pas empêché de nouveaux contournements" ».
Mes questions sont donc les suivantes : vous avez évoqué une part d’interprétation dans votre réponse à ma collègue rapporteure. Qui effectue cette interprétation ? On peut aussi légitimement se demander combien de temps on laisse place à l’interprétation, sachant que le premier rapport que je cite date d’il y a quatre ans, qu’il y a eu pas moins de dix-neuf signalements et que cela concerne plus de 2 600 élèves.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Les rapporteurs ont demandé communication de ce rapport qui doit être en cours de transmission.
M. Guillaume Odinet. Je commencerai par répondre sur le caractère communicable du rapport d’inspection et les raisons pour lesquelles il n’a pas été communiqué.
Effectivement, les rapports d’inspection sont généralement des documents administratifs communicables aux personnes qui en font la demande. Il existe cependant des exceptions à ce droit de communication, notamment lorsque le rapport est préparatoire, c’est-à-dire qu’il préconise des décisions qui n’ont pas encore été prises, ou lorsque sa communication est susceptible de porter atteinte à une procédure pénale. Or, le rapport en question avait conduit à la saisine du parquet. Ce sont les deux raisons pour lesquelles il avait été jugé non communicable sur le fondement du code des relations entre le public et l’administration.
Je note que le rapport a été demandé par les rapporteurs. L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 ne prévoit pas les mêmes exceptions, sous la seule réserve de l’absence d’atteinte au respect de la séparation des pouvoirs. C’est pourquoi nous avons demandé à la Chancellerie de nous confirmer que nous pouvions bien le communiquer. Nous le ferons dès que possible.
Concernant l’appréciation de la gravité s’agissant de la mesure disciplinaire dont nous parlions, elle relève du recteur. Comme nous l’avons dit, la décision de mettre fin au contrat relève du préfet. J’entends ce que vous dites sur le très fort degré de gravité de la situation. Sans préjuger des décisions de justice qui seront rendues, je ne peux que constater que la décision disciplinaire prise à l’égard du directeur a été jugée excessive par le juge des référés du tribunal administratif de Pau. Nous attendons le jugement sur le fond. C’est le seul point que je peux relever sur ce sujet qui fait l’objet d’une procédure en cours.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Je souhaite réitérer la seconde partie de mes questions, car elle concerne plus d’un million de personnels, dont 850 000 enseignants, chargés de détecter et potentiellement signaler les violences. Je m’interroge sur la hiérarchisation au sein de l’éducation nationale entre les obligations des fonctionnaires, sous l’autorité du chef d’établissement, et le devoir citoyen.
Mme Marine Camiade. Le signalement ne doit pas obligatoirement transiter par le chef d’établissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’ai une dernière série de questions concernant l’application « Faits établissement ». La ministre d’État a récemment évoqué son intention d’étendre son périmètre aux établissements privés sous contrat. S’agit-il d’une initiative récente ou existe-t-il des antécédents à ce projet ?
M. Christophe Peyrel. Durant mon mandat, l’extension de « Faits établissement » à l’enseignement privé sous contrat a été officiellement annoncée dans le plan d’avril 2024. Nous y avons travaillé intensivement tout au long de l’année 2024, de janvier à novembre. Nous avons collaboré avec le Sgec pour sélectionner des établissements tests et définir les conditions d’extension proposées par le ministère de l’éducation nationale. Ces conditions concernent principalement la sécurité numérique, un aspect crucial compte tenu des changements dans les circuits de communication entre le ministère et les établissements, ainsi que des cyberattaques subies par les espaces numériques de travail l’année précédente. Nous avons également travaillé sur l’organisation des liens avec les représentations locales des établissements privés sous contrat. En octobre ou novembre, nos équipes informatiques ont présenté les possibilités d’instauration de « Faits établissement » au comité des systèmes d’information de l’enseignement privé. La récente décision de la ministre accélère ce processus, et nous sommes désormais prêts à mettre en œuvre cette ouverture dans un avenir très proche.
Mme Marine Camiade. Il est important de rappeler le cadre spécifique du secteur privé concernant la vie scolaire. Le chef d’établissement a une obligation de signalement, comme tout citoyen, en cas de menace sur la sécurité d’un enfant. Cette obligation, prévue par le code pénal, implique un signalement au procureur, à l’académie et au conseil départemental. Ces règles sont clairement établies et régulièrement rappelées par nous-mêmes, le Sgec et l’ensemble des réseaux. Cependant, concernant les modalités et outils de signalement, le principe de liberté d’organisation du chef d’établissement prévaut dans le privé sous contrat, conformément à l’article R. 442-39 du code de l’éducation. C’est pourquoi, jusqu’à présent, nous avons proposé cette application à l’enseignement catholique sans pouvoir l’imposer. La décision de la ministre d’État vise à modifier le droit pour rendre « Faits établissement » obligatoire pour tous les établissements. Cette évolution est cruciale car, comme mentionné en début d’audition, nous ne disposons que de remontées très partielles des signalements provenant des établissements privés sous contrat, en raison de cette différence de motivation par rapport aux établissements publics.
M. Paul Vannier, rapporteur. Concernant cette chronologie, je dispose d’une note commandée à la DAJ en 2019 examinant la possibilité juridique d’étendre l’application « Faits établissement » aux établissements privés sous contrat, bien avant la note de 2024 que vous avez mentionnée. De plus, un compte rendu d’une réunion entre la Dgesco et la DAF d’octobre 2020 aborde également cette perspective et conclut que la DAF informera le Sgec de l’évolution à venir de l’application « Faits établissement » et de son approbation pour son utilisation par les établissements privés. Je m’interroge sur la raison de cette complexité, étant donné qu’aujourd’hui encore, la ministre travaille à l’élaboration d’un décret pour élargir cette application, alors que le sujet est manifestement en discussion depuis près de six ans. Pourquoi un délai aussi long entre les premières notes commandées, les premières réunions de travail, et la publication imminente de ce décret ?
Mme Marine Camiade. Les premiers échanges avec le Sgec s’inscrivaient clairement dans un cadre à droit constant que je vous ai décrit. Nous avons proposé à l’enseignement catholique d’utiliser cet outil sur la base du volontariat. La volonté de la ministre d’État est de revenir sur ce principe de volontariat, ce qui nécessite une modification des textes réglementaires. Cela n’était pas du tout l’esprit des travaux initiaux que vous mentionnez, menés par la DAJ et la DAF à l’époque. L’intention n’était alors pas d’imposer l’utilisation de l’outil.
M. Paul Vannier, rapporteur. Cette proposition au Sgec sur la base du volontariat s’est-elle toujours heurtée à un refus depuis 2019-2020 ?
Mme Marine Camiade. Il n’y avait pas d’opposition formelle, mais plutôt un rappel constant de la liberté de choix de chaque chef d’établissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous assistez probablement la ministre dans la préparation de ce décret. La rédaction est-elle discutée avec le Sgec notamment ?
Mme Marine Camiade. Non.
M. Paul Vannier, rapporteur. Si l’application « Faits établissement » était étendue aux établissements privés sous contrat, quels types de faits seraient remontés par ces établissements ? Je précise ma question : s’agirait-il uniquement des faits survenant durant les heures d’enseignement ou également de ceux pouvant se produire pendant les temps d’internat ou de vie scolaire, qui sont des moments non couverts par le contrat d’association au sens strict ?
Mme Marine Camiade. L’objectif est véritablement d’élargir le champ à l’ensemble des faits. Il est important que l’établissement soit considéré dans sa globalité, y compris s’agissant de la vie scolaire et de l’internat. Concernant la catégorisation des faits et le mode d’emploi de l’application que les chefs d’établissement devront utiliser, nous discuterons avec l’enseignement catholique pour préciser ces aspects.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le circuit de remontée des informations sera-t-il exactement le même entre établissements publics et établissements privés sous contrat ?
Mme Marine Camiade. Oui, ce sera le même circuit. Le Sgec souhaiterait également que les diocésains soient impliqués dans ces questions et dans la promotion de plans d’action pour la protection des personnes vulnérables et des élèves. Ils désirent aussi obtenir un retour d’information sur ce qui sera remonté via l’application.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Cela signifie-t-il qu’il y a déjà eu des échanges avec le Sgec concernant les modalités du décret d’application ?
Mme Marine Camiade. Nous n’avons pas sollicité leur avis sur le décret en tant que tel, mais nous souhaitons échanger avec eux sur les modalités de fonctionnement du dispositif.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. D’après ce que vous venez de dire, le Sgec a exprimé des souhaits. Sous quelle forme ces échanges ont-ils eu lieu ?
Mme Marine Camiade. Nous avons organisé une réunion à la suite des annonces de la ministre pour discuter de la manière dont nous allions procéder.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. J’ai cru comprendre que l’application « Faits établissement » comporte quatre catégories principales, notamment une sur les atteintes aux biens immobiliers – peut-être la moins importante pour nous aujourd’hui –, une sur les atteintes à la laïcité, et une sur les violences qui englobe tout sans distinction entre celles commises par un adulte ou un élève. Envisagez-vous d’utiliser des catégories différentes pour le secteur privé sous contrat ? S’agira-t-il exactement du même logiciel ? Certains champs seront-ils exclus, par exemple la catégorie des atteintes aux biens ?
Je comprends que tout cela est en cours, même si le projet est envisagé depuis six ans. Le fait de devoir produire un décret pour rendre l’utilisation de l’application obligatoire et son renseignement effectif nécessite un temps de négociation, ce que je peux entendre. Quelle est votre estimation du délai nécessaire pour que ce dispositif soit opérationnel dans les établissements ?
Mme Marine Camiade. Je peux apporter deux éléments de réponse. Certaines catégories ne s’appliqueront pas à l’enseignement catholique, notamment les atteintes à la laïcité, dans une certaine mesure, en raison du régime particulier applicable à ces établissements en la matière. Par ailleurs, le décret est prêt à être publié.
M. Guillaume Odinet. Je souhaite apporter quelques précisions sur les deux points évoqués. Le champ d’application doit être adapté au contrôle exercé par l’État sur les établissements d’enseignement privés sous contrat. Initialement, nous envisagions de le limiter à l’enseignement, mais nous estimons désormais que cette restriction n’est pas nécessaire. Nous pouvons nous appuyer sur le contrôle plus large que l’État exerce sur ces établissements, notamment au titre de sa mission de protection de l’enfance et de la jeunesse. Cette approche nous permet d’inclure tous les faits les plus graves, en particulier ceux qui font l’objet de cette commission d’enquête.
Concernant le décret, je tiens à souligner qu’il n’y a pas de négociation en cours. Il s’agit d’un décret en Conseil d’État qui doit préalablement être examiné par le Conseil supérieur de l’éducation. Cette procédure implique un délai de consultation d’environ un à deux mois.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je souhaite attirer votre attention sur un schéma issu du compte-rendu d’une réunion entre la DAF, la Dgesco et le Sgec du 14 juin 2024. Ce document illustre le processus envisagé pour la remontée des faits dans l’enseignement privé sous contrat via l’application « Faits établissement ». Il révèle une différence de traitement pour certains faits, notamment au niveau départemental. Contrairement à l’enseignement public où la transmission est automatique pour les faits de niveaux 2 et 3, le schéma montre que dans la procédure propre au Sgec, cette transmission n’est plus automatique.
Cette disparité soulève des interrogations, car vous nous avez assuré que les procédures seraient désormais identiques. Je cherche donc à obtenir la confirmation que ce schéma ne représente qu’une étape intermédiaire dans les discussions engagées avec le Sgec il y a plusieurs mois. Pouvez-vous garantir qu’à l’avenir, tous les faits de violence, qu’ils surviennent sur le temps scolaire ou périscolaire dans des établissements privés sous contrat, seront systématiquement remontés au niveau de l’inspection académique, du rectorat et du ministère de l’éducation nationale ?
Mme Marine Camiade. C’est précisément l’objectif que nous poursuivons, avec une absence de filtre dans la remontée des informations. En revanche, il sera nécessaire d’informer les autorités diocésaines de manière concomitante ou dans les plus brefs délais.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour quelle raison est-il nécessaire d’informer les autorités diocésaines ?
Mme Marine Camiade. Cette information est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de personnels qui ne relèvent pas directement du ministère de l’éducation nationale.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Concernant l’application « Faits établissement », nous sommes dans une phase d’accélération d’un processus préparé de longue date, visant à étendre au secteur privé un dispositif existant déjà dans le public. Nous souhaitons que cette extension soit mise en œuvre le plus rapidement possible. Cependant, les auditions menées par notre commission révèlent que cette application n’est pas une solution miracle.
Plusieurs points méritent notre attention. Premièrement, les modalités de pilotage aux niveaux régional et national ne sont pas encore pleinement opérationnelles. Nos échanges avec les recteurs ont mis en lumière des disparités importantes entre les académies, notamment en ce qui concerne les retours du système judiciaire. Des améliorations significatives restent à apporter, tant dans l’exploitation des données que dans la saisie initiale des informations.
Actuellement, c’est l’intervention du chef d’établissement qui déclenche l’enregistrement dans l’application. Cette procédure ne risque-t-elle pas de constituer un frein à la remontée d’informations dans certaines situations ? Je pense particulièrement aux cas où le capital réputationnel de l’établissement pourrait être en jeu, ou lorsque des liens affectifs existent entre le chef d’établissement et la personne mise en cause. Ce risque n’est-il pas exacerbé dans les établissements privés sous contrat, potentiellement en concurrence pour le recrutement d’élèves ?
Mme Marine Camiade. Il est évident que l’application « Faits établissement » n’est qu’un outil parmi d’autres pour favoriser la remontée des signalements. Le ministère a mis en place d’autres dispositifs complémentaires. Nous déployons des questionnaires destinés à l’ensemble des élèves, y compris dans le secteur privé. Nous demandons également aux académies, lors de leurs contrôles, de mettre en place des dispositifs d’écoute pour l’ensemble des élèves et de la communauté éducative. Cela peut prendre la forme d’une cellule téléphonique au niveau de l’académie ou, comme l’a fait l’académie de Versailles lors de contrôles récents, d’une diffusion d’un numéro d’appel à l’ensemble des familles et des élèves pour recueillir d’éventuels témoignages. L’application « Faits établissement » n’est donc qu’une composante de notre stratégie globale de remontée des signalements.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pour conclure sur le sujet de la prévention des violences en milieu scolaire, pouvez-vous nous préciser comment la politique menée dans ce domaine – politique dont la Dgesco assure l’animation – outille concrètement les élèves face aux violences potentiellement commises par des adultes encadrants ou avec leur complicité ? Ce point fait-il l’objet de discussions lors des dialogues stratégiques de performance que vous menez avec les académies ?
Mme Caroline Pascal. Effectivement, ce sujet est systématiquement abordé lors de nos échanges avec les recteurs et les Dasen, notamment dans le cadre des dialogues stratégiques de performance. Nous mettons l’accent sur la mise en œuvre du plan d’action interministériel relatif à la protection de l’enfance et sur le cadre de formation fourni à l’ensemble des enseignants. Il est important de souligner que les enseignants bénéficient également d’un accompagnement soutenu de la part des personnels sociaux et de santé dans ce domaine.
La formation s’étend aussi aux personnels sociaux et de santé, incluant les assistants de service social, les infirmiers, les médecins et les psychologues de l’éducation nationale. Tous ces professionnels reçoivent une formation approfondie sur la protection de l’enfance, conformément aux circulaires définissant leurs missions respectives.
La séance s’achève à dix-sept heures trente-cinq.
Présents. – M. Rodrigo Arenas, M. Arnaud Bonnet, M. José Gonzalez, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Sarah Legrain, Mme Marie Mesmeur, Mme Lisette Pollet, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer