Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition conjointe de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle droits de l’enfant et M. Antoine Touron, conseiller parlementaire 2
– Présences en réunion.............................1717
Lundi
31 mars 2025
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 43
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à dix-huit heures.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne conjointement, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle droits de l’enfant, et M. Antoine Touron, conseiller parlementaire.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pour clore cet après-midi de travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires, nous recevons Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle droits de l’enfant et M. Antoine Touron, conseiller parlementaire.
Nous connaissons tous le rôle du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante, qui a repris depuis 2011 les missions du Défenseur des enfants.
La Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 reconnaît, dans son article 28, le droit à l’éducation avant de préciser que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention ». Nous sommes bien là au cœur de nos préoccupations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Claire Hédon, M. Éric Delemar, Mme Marguerite Aurenche et M. Antoine Touron prêtent successivement serment.)
Pour commencer, pouvez-vous nous indiquer si vous disposez de données permettant de mesurer les violences commises par des adultes sur des enfants en milieu scolaire, notamment le nombre de réclamations que vous avez reçues au cours des dernières années et pour l’année en cours ? Quelle est la nature des suites que vous avez pu y donner ?
Mme Claire Hédon, Défenseure des droits. Je vous remercie de me donner la parole, ainsi qu’à mon équipe, en la personne de M. Delemar, mon adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, et de Mme Aurenche, cheffe du pôle défense des droits de l’enfant et magistrate.
La question des droits de l’enfant parcourt l’intégralité de l’institution et pas seulement le pôle spécialisé, puisqu’elle concerne aussi les usagers de services publics, la déontologie des forces de sécurité sur la façon dont est entendu un enfant, la lutte contre les discriminations et les lanceurs d’alerte. Notre institution a hérité des forts pouvoirs d’enquête de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde). Ils nous ont notamment permis de faire ressortir certaines difficultés.
Nous n’avons pas attendu l’actualité pour nous pencher sur cette question. Nous alertons l’éducation nationale depuis des années sur cette réalité préoccupante et nos premières décisions remontent à plus de dix ans. Cela dit, nous ne voyons qu’une petite partie de ce qu’il se passe, car de nombreux parents ne savent pas qu’ils peuvent s’adresser à notre institution dans ce genre de circonstances.
Après avoir rendu plusieurs décisions, nous avons publié en 2019 un rapport dédié aux droits de l’enfant « Enfant et violence : la part des institutions publiques ». Nous y dressions déjà un constat accablant, que je rappelle à chaque ministre de l’éducation nationale et à chaque premier ministre depuis le début de mon mandat. La gravité de la situation n’est ni mesurée ni prise en compte par les plus hautes sphères de l’État.
Nous sommes régulièrement saisis de situations d’enfants disant avoir subi des violences de la part de professionnels au sein d’établissements scolaires et de services périscolaires et extrascolaires. Le pôle défense des droits de l’enfant a ainsi traité cinquante-deux dossiers relatifs à des difficultés entre adultes et enfants dans le domaine de l’éducation en 2024, quatre-vingt-dix-sept en 2023, soixante-trois en 2022, quarante-trois en 2021 et trente-et-un en 2019. Ces chiffres sont toutefois à prendre avec précaution, car ces dossiers concernent les violences du personnel scolaire comme périscolaire, donc également les crèches et le milieu de la petite enfance. Toutefois l’examen des faits rapportés dans les saisines nous permet d’affirmer que les violences exercées par des adultes – en particulier des enseignants – sur des élèves dans des établissements scolaires sont prédominantes.
Les violences signalées auprès de l’institution sont souvent de nature verbale et psychologique – brimades, humiliations, dénigrements ou propos racistes –, mais elles peuvent aussi être de nature physique – enfant attrapé violemment par le bras, traîné par terre ou projeté contre un meuble, comme dans une décision que nous avons rendue récemment.
De manière générale, nous constatons trop souvent une minimisation par les autorités de certaines violences exercées par les adultes à l’égard d’enfants « désobéissants ». Nous sommes aussi régulièrement amenés, dans le cadre de nos décisions, de nos recommandations et de nos observations en justice, à rappeler l’interdiction des violences aux professionnels intervenant auprès des enfants.
Nous avons ainsi présenté récemment des observations devant la Cour de cassation dans le cadre d’une affaire relative à des violences éducatives, dont le pourvoi est toujours pendant. La jurisprudence a pu, par le passé – il est important de se souvenir d’où l’on vient –, reconnaître un droit de correction, notamment au profit du maître, en lui conférant un fait justificatif l’exonérant de responsabilité pénale. L’état des connaissances en sciences sociales et en neurosciences sur les conséquences des violences sur les enfants impose aujourd’hui que soit réaffirmée l’interdiction des violences sous toutes leurs formes, physiques et psychologiques. Cette affaire ne concerne pas des violences dans un établissement scolaire, mais elle nous éclaire sur le regard que notre société continue de porter sur l’enfant, pourtant sujet de droit.
Je veux maintenant aborder quatre points sur lesquels nous souhaitons appeler votre attention, et qui répondent à certaines des questions que vous nous avez envoyées. Premier point : les dispositifs existants pour traiter les violences ne sont pas suffisamment exploités. Deuxième point : la parole de l’enfant, lorsqu’il se plaint du comportement d’un adulte, n’est pas toujours suffisamment bien accueillie et exploitée, si bien qu’on entend souvent que l’enfant n’a pas parlé alors que nous constatons qu’il a parlé, mais n’a pas été entendu. Troisième point : les enfants sont confrontés à des difficultés persistantes dans le traitement judiciaire des situations qu’ils subissent. Quatrième point : l’importance de la prévention par l’éducation à la sexualité et l’information sur les droits.
J’aimerais donc vous alerter en premier lieu sur le manque de réactivité des services de l’État dans la prise en compte des violences au sein des établissements scolaires.
Nous constatons que les allégations de violences commises par des enseignants, des directeurs d’école, des chefs d’établissement ou du personnel de vie scolaire continuent à être régulièrement rapportées par les élèves. Malgré les alertes lancées par les familles, ces dénonciations ne semblent pas toujours recevoir l’attention qu’elles méritent. Je précise que notre rôle dans ces dossiers n’est pas de déterminer la véracité des violences évoquées, mais de veiller à ce que les autorités compétentes prennent les mesures nécessaires pour garantir les droits et la sécurité des enfants.
Nous constatons que l’administration et les directions d’établissements scolaires manquent souvent de réactivité face aux dénonciations de faits de violences. Ces faits peuvent être banalisés, voire ignorés, et ils ne s’accompagnent donc pas toujours des mesures nécessaires, comme des rappels d’obligations professionnelles, la mise en place de tutorats, des suspensions conservatoires ou des sanctions disciplinaires quand les faits sont avérés.
Peu d’enquêtes administratives, même dans les cas d’alertes graves et répétées, sont réalisées. Il arrive souvent que les acteurs aient du mal à identifier la procédure de l’enquête administrative : qui en est responsable et à quel niveau ? Quand la déclencher ? Or elle pose un cadre pour l’audition des professionnels, des enfants, victimes et témoins, et constitue un outil important pour déterminer ce qui s’est passé et pour y apporter la réponse la plus respectueuse des droits de l’enfant.
Lorsqu’une enquête administrative est diligentée, elle est souvent minimale et se trouve diluée dans une démarche d’accompagnement pédagogique du professeur. Elle peut en outre être interrompue dès qu’une enquête pénale est en cours. Les professionnels concernés estiment devoir s’aligner sur les conclusions de la procédure judiciaire et préfèrent éviter tout risque d’interférence. Pourtant, le parquet ne demande pas systématiquement une telle suspension. Il le fera notamment s’il craint que l’enquête administrative interfère avec la procédure pénale. Nous rappelons régulièrement que ces deux enquêtes poursuivent des objectifs distincts et ne doivent pas être confondues. Dans de nombreuses situations, aucune poursuite disciplinaire n’est engagée lorsque l’enquête pénale est classée sans suite. Pourtant, même si les faits ne relèvent pas d’une qualification pénale, le comportement du professionnel est parfois avéré et pourrait justifier une réponse de l’éducation nationale. Les enfants et les familles ne sont pas ou sont peu informés des suites données à leur plainte.
Il est important que la réponse aux actes reprochés soit adaptée et permette d’assurer la protection des élèves et que l’interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l’égard des enfants soit clairement posée. Dans des situations où des violences ont pourtant été établies de manière réitérée, il arrive que le professeur mis en cause soit simplement muté dans un autre établissement sans que la problématique sous-jacente soit réellement traitée. Or il est indispensable que cette mutation s’accompagne d’un suivi et d’un accompagnement du professeur : nous le recommandons régulièrement. Au-delà des questions relatives à la pédagogie, les inspections doivent aussi s’attacher à la manière d’être du professeur, sans quoi le comportement litigieux risque de perdurer.
Lorsque les violences persistent, il est rare que soit envisagé le transfert d’un professeur dans des services administratifs pour qu’il ne soit plus en contact avec des élèves. Il nous semble crucial que les services de l’État portent une attention particulière aux conditions dans lesquelles les professeurs exercent leur mission et apportent un soutien adapté, notamment quand ils rencontrent des difficultés et expriment un mal-être.
Nous avons recommandé au ministère de l’éducation nationale d’inclure dans la formation initiale et continue des enseignants des premier et second degrés des modules obligatoires de formation aux droits et besoins fondamentaux de l’enfant et à la lutte contre toute forme de violence. Nous défendons également l’idée d’inscrire dans le code de l’éducation et dans le code de l’action sociale et des familles l’interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l’égard des enfants, comme cela a été fait dans le code civil en 2019 au sujet de l’exercice de l’autorité parentale. Cela peut sembler symbolique, mais, à certains moments, les symboles sont importants.
Malgré ces recommandations, notre institution peine à obtenir des réponses étayées de la part du ministère de l’éducation nationale, des établissements scolaires ou des services académiques, notamment lorsque notre demande porte sur des dossiers administratifs des personnels.
Je voudrais vous donner un exemple qui n’est malheureusement pas isolé, dont j’ai parlé à la ministre il y a quinze jours. J’ai rendu une décision le 25 juillet 2022, notifiée au rectorat, pour faire suite au comportement très problématique d’un professeur qui disait aux élèves des phrases du genre : « Vous avez atteint le degré zéro de l’apprentissage. » J’y recommandais notamment la mise en œuvre d’une procédure interne de traitement des difficultés relatives au comportement d’un professionnel de l’éducation nationale envers les élèves. Malgré nos relances, nous n’avons jamais reçu de réponse écrite.
S’agissant de ma recommandation relative à la formation des professionnels sur les droits de l’enfant et la protection contre toute forme de violence, je pense particulièrement à une décision que nous avons rendu le 16 avril 2021 à la suite de faits de violences physiques et morales – insultes, gifles, punitions sous forme de privation de récréation et utilisation de surnoms tels que « zozo des îles » – commis par un enseignant sur des élèves de CM1. L’enquête administrative des services académiques a conclu que l’enseignant devait faire évoluer ses pratiques professionnelles, mais que son comportement ne justifiait ni suspension ni sanction disciplinaire.
Une enquête judiciaire a été menée après le dépôt d’une plainte par les parents d’un élève. Des auditions ont eu lieu, notamment celles de huit anciens élèves de l’enseignant. À cette occasion, le procureur de la République a indiqué que l’enquête judiciaire était terminée. Les agissements de l’enseignant n’ont fait l’objet que d’un rappel à la loi dans le cadre d’une alternative aux poursuites.
Nous avons tout de même poursuivi notre instruction du dossier et avons dans ce cadre sollicité des explications de l’administration sur l’absence de mesures disciplinaires et sur le suivi des élèves potentiellement traumatisés. L’inspection académique a reconnu que l’enseignant avait déjà reçu un avertissement quelques années plus tôt pour des gestes inadaptés envers des élèves dans une autre école. En raison de la clôture de l’enquête judiciaire et de l’absence de condamnation, l’administration a jugé qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre l’enquête administrative ni de prononcer des sanctions disciplinaires. L’enseignant a néanmoins été encouragé à demander une mutation sans que cela constitue un déplacement d’office. Au cours de notre instruction, la mère d’une élève nous a saisis en indiquant que sa fille avait été admise à l’hôpital après avoir évoqué des pensées suicidaires. Lors d’un entretien avec un psychologue, cette jeune fille a partagé sa peur de l’enseignant en raison des violences et des humiliations qu’il faisait subir à d’autres élèves.
Nous avons finalement envoyé une note récapitulative à l’inspection académique, au directeur de l’école et au ministère de l’éducation nationale, dans laquelle nous soulignions des manquements dans la prise en compte des droits et de la protection des enfants. Le ministère a indiqué que l’enseignant avait pris sa retraite au cours de notre instruction, rendant impossible toute procédure disciplinaire ultérieure. Il a insisté sur la nécessité d’améliorer la prise en compte de la parole des enfants victimes ou témoins de violences en milieu scolaire et de mieux distinguer les procédures administratives et judiciaires. Il a également indiqué sa volonté de prendre en compte la recommandation d’inscrire dans la loi l’interdiction de tout châtiment corporel ou traitement humiliant à l’égard des enfants, et non plus seulement dans les règlements intérieurs. Cela n’a toujours pas été fait.
Ce manque de réactivité de la part des services de l’éducation nationale montre que la question des violences subies par les enfants dans les établissements scolaires demeure insuffisamment prise en compte malgré nos alertes répétées. Il est pourtant possible de concilier le respect de la présomption d’innocence du professionnel mis en cause, le droit du travail et la nécessité d’agir lorsque des éléments crédibles rendent les faits dénoncés vraisemblables.
J’en viens à la question de la parole de l’enfant, qui n’est pas suffisamment bien recueillie lorsqu’il se plaint du comportement d’un adulte.
Pour détecter les situations de danger ou d’abus sexuels sur les mineurs, la parole de l’enfant doit être réellement écoutée et prise en compte. Il faut savoir observer ses changements de comportement et mettre en place un climat rassurant qui encourage l’enfant à se confier et à poser des questions. Notre rapport annuel de 2020 consacré aux droits de l’enfant, « Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte », contient plusieurs recommandations : informer l’enfant de son droit à être entendu et assisté par un adulte s’il le veut, former les professionnels, et améliorer le recueil de la parole de l’enfant au sein de l’école. Il n’est pas rare que, dans le cadre de nos instructions, les services de l’éducation nationale invoquent l’absence de professionnels formés. La mission éducative impose pourtant cette responsabilité, qui pourrait être celle des infirmiers scolaires – il faut en recruter davantage – accompagnés par des assistants sociaux ou des psychologues scolaires.
L’écoute de l’enfant ne suffit pas si un climat bienveillant n’a pas été instauré avant le recueil de sa parole. Il faut également s’assurer que des actions concrètes peuvent être engagées, ce qui est très difficile pour l’éducation nationale. Nous préconisons la mise en œuvre de mesures conservatoires à l’encontre de tout professionnel intervenant dans un établissement scolaire dès lors que des faits de violence rapportés revêtent un caractère de vraisemblance et de gravité qui doit être évalué en fonction de l’âge de l’enfant.
J’insiste sur la nécessité de mener des enquêtes administratives complètes et approfondies et sur celle de renforcer le dialogue entre l’éducation nationale et les familles lorsqu’un enfant manifeste des signes de mal-être à l’école ou exprime des inquiétudes concernant un adulte. Un tel dialogue permet d’assurer un suivi et d’informer des suites données à la parole de l’enfant. Il faut écouter l’enfant qui se plaint, mais aussi les autres élèves de la classe et de l’établissement afin de prendre en compte leur situation et, le cas échéant, de repérer d’autres enfants victimes.
Une procédure interne de traitement des difficultés relatives au comportement d’un professionnel doit être mise en place afin de faciliter l’identification des acteurs compétents à chaque étape de la procédure. Elle doit être diffusée à l’ensemble des établissements et des services concernés. Il n’existe pas de protocole local sur le traitement de ces situations par une enquête administrative. Seul un guide national à destination de l’inspection générale sur les procédures disciplinaires est disponible. Les écoles sont donc souvent perdues face aux enquêtes administratives.
Le 119 permet à toute personne de signaler, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une situation mettant un enfant en danger. Nous avons souligné, dans notre rapport annuel de 2019, l’importance de doter les plateformes téléphoniques dédiées à la lutte contre les violences faites aux enfants de ressources nécessaires afin de répondre à l’ensemble des appels reçus sur des plages horaires étendues. Nous constatons que ce service ne dispose toujours pas de moyens suffisants pour assurer une prise en charge immédiate des appels, ce qui peut décourager l’enfant au bout du fil et l’amener à ne pas rappeler. Par ailleurs, une consultation réalisée auprès de nos jeunes ambassadeurs des droits (Jade) a montré que les numéros d’accès à ces plateformes sont très mal connus des enfants et des adolescents. Les Jade se rendent régulièrement dans les écoles, collèges et lycées pour parler des droits de l’enfant et de la lutte contre les discriminations. Le fait que des jeunes s’adressent à des enfants ou d’autres jeunes facilite le dialogue et le recueil de paroles inquiétantes.
Nous avons mis en place un système de traitement de ces paroles à deux niveaux. Premier niveau : information auprès du pôle défense des droits de l’enfant pour savoir ce qui doit être fait. Il peut s’agir notamment, après un échange avec l’établissement, de signalements au procureur ou à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip). Le deuxième niveau est le recueil de la parole par nos Jade, que nous avons accompagnés, surtout psychologiquement, à cette fin. Je les rencontre en octobre lors de leur arrivée en formation, puis en janvier. J’ai été frappée de voir leur préoccupation quant au nombre important de signalements, qui, nous le constatons au sein du pôle défense des droits de l’enfant, est en augmentation.
Je souhaite maintenant évoquer les difficultés auxquelles les enfants sont confrontés dans le traitement judiciaire des situations qu’ils subissent. Dans les dossiers de dénonciation d’infraction sexuelle sur mineur, nous avons remarqué que certaines enquêtes judiciaires sont menées de manière trop succincte. Trop souvent, les professionnels en contact quotidien avec l’enfant – enseignants, éducateurs, professionnels médico-sociaux – et l’entourage de l’enfant – proches et voisins – ne sont ni sollicités ni entendus. Or ces enquêtes constituent le socle de nombreuses décisions ultérieures, notamment celles du juge aux affaires familiales et du juge des enfants. De plus, les délais d’enquête que nous observons sont souvent incompatibles avec l’urgence des situations.
Nous avons rendu en 2019 une décision dans le cadre d’une plainte pour viol sur une mineure de 15 ans. Dans cette affaire, aucun acte d’enquête n’avait été réalisé pendant les dix-sept mois séparant la première audition de la victime de celle du mis en cause. La procédure totale, entre le dépôt de la plainte et le jugement, a duré cinq ans.
Tout au long d’une telle procédure, l’enfant se retrouve souvent seul. Dès le dépôt de plainte, l’adulte qui l’accompagne est fréquemment exclu des auditions sans qu’un administrateur ad hoc soit désigné pour l’assister. Il est également seul face à l’ensemble de la procédure judiciaire, sauf lorsqu’il bénéficie d’un avocat dont la présence n’est, à ce jour, pas toujours obligatoire, et qui n’est nécessairement spécialisé.
L’enfant et ses parents sont également seuls face à la décision de classement sans suite. Elle ne leur est pas toujours notifiée et, lorsque c’est le cas, elle n’est quasiment jamais expliquée, ni dans sa teneur ni dans sa portée. Pire encore, aucun accompagnement psychologique n’est mis en place, ni pour l’enfant ni pour ses parents, que ce soit durant la procédure ou après le classement sans suite.
Je voudrais conclure par un mot rapide sur l’importance des cours d’éducation sexuelle et de l’information à la vie affective des enfants. Nous y avions consacré une partie de notre rapport annuel de 2017 et nous en parlons dans l’ensemble de nos rapports annuels consacrés aux droits de l’enfant. La mise en place dès la rentrée 2025 du programme d’éducation à la vie affective, relationnelle, et à la sexualité est une bonne chose. Un tel programme permettra de renforcer l’estime de soi et de faciliter les prises de parole.
De façon générale, je suis frappée par le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant est très insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Les enfants sont plus souvent considérés comme des objets que comme des sujets de droit. Les préoccupations des adultes, souvent d’ailleurs organisationnelles ou relationnelles, prennent le pas sur l’expression de mal-être des enfants et sur leur parole. Je suis profondément inquiète quant à la capacité de mon institution à se faire entendre face à l’émergence, dans le débat public, de sujets qui nous préoccupent depuis longtemps. Nous sommes un observatoire précieux, utile aux pouvoirs publics, qui est insuffisamment écouté. Cette situation me rappelle celle de la maltraitance dans les Ehpad : nous alertions déjà sur l’ampleur dramatique du phénomène près d’un an avant la publication du livre de Victor Castanet. Faut-il attendre plus de victimes et plus de tragédies, avant de prendre pleinement conscience de la gravité de ces violences à l’encontre d’enfants ?
Il est urgent de mettre en place des mesures concrètes et efficaces. Elles passent par le contrôle des établissements et par le suivi des professionnels afin que l’école puisse garantir la sécurité des enfants, favoriser leur apprentissage et préserver leur épanouissement. C’est un devoir de la nation.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je salue votre détermination à suivre le devenir de vos recommandations, qu’elles soient issues du rapport de 2019 ou de celui de 2020.
Pointant l’empilement des rapports, plusieurs associations de victimes ont émis des doutes sur l’utilité de notre commission d’enquête. Nous sommes résolus à tout faire pour ne pas les décevoir et nous nous attacherons à la traduction réglementaire ou législative des mesures que nous proposerons.
Pour remédier à l’insuffisante application de vos recommandations que vous dénoncez, des changements dans la structure et le fonctionnement de votre institution vous semblent-ils nécessaires ? Faut-il vous doter de pouvoirs supplémentaires, notamment à l’égard des signalements recueillis par le 119 ?
S’agissant de l’action territoriale, les délégués entretiennent-ils des relations régulières avec les rectorats, les directions académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) et les directions diocésaines ? Les Jade sont-ils parfois invités à des réunions institutionnelles ou ne participent-ils qu’à des réunions avec d’autres enfants ?
Quelle est votre place dans la mise en œuvre du plan interministériel de protection de l’enfance – les hauts fonctionnaires du ministère de l’éducation l’ont évoqué mais nous n’en avons guère entendu parler sur le terrain ?
Enfin, l’enfance en danger n’apparaît pas, à ce jour, dans la feuille de route de la haute-commissaire à l’enfance, fraîchement nommée.
En résumé, je souhaite recueillir vos éventuelles suggestions pour améliorer l’organisation institutionnelle.
Mme Claire Hédon. J’ai une pensée pour les enfants et les familles. Face aux drames qu’ils vivent, l’évocation des moyens de l’institution a quelque chose d’incongru.
Nous sommes dotés de pouvoirs d’enquête importants mais pas de pouvoirs de contrainte, qui sont, à juste titre, l’apanage de la justice. Notre institution est complémentaire de cette dernière. Le colloque, organisé avec la Cour de cassation et le Conseil d’État, sur le Défenseur des droits et le juge en février dernier a bien montré l’importance d’une telle complémentarité. En revanche, il serait bon que nos recommandations soient un peu plus suivies d’effet et que nos alertes aient des conséquences concrètes.
Il arrive que les délégués territoriaux soient saisis d’une affaire de ce type. Ils cherchent alors à organiser une médiation. Quand il s’agit de faits graves ou lorsque la médiation échoue, les dossiers sont transmis au pôle défense des droits de l’enfant.
Les Jade, qui sont au nombre de quatre-vingts environ, peuvent être invités dans des réunions institutionnelles. Nous sommes là aussi confrontés à l’insuffisance de nos moyens. Les Jade font l’objet d’un partenariat avec les collectivités territoriales, qui ne sont pas épargnées par les difficultés financières. Nous savons déjà que certaines régions ont l’intention de retirer leur financement. La pérennité des Jade est aujourd’hui menacée. Pourtant, voilà un dispositif qui ne coûte pas cher – les Jade sont des volontaires du service civique – et qui joue un rôle essentiel. Il montre ce que devrait faire l’éducation nationale : informer tous les enfants de leurs droits.
De manière plus générale, la question des moyens financiers est cruciale. Nous les avons comparés à ceux de nos homologues européens : nous sommes les plus pauvres d’Europe, et ce dans tous les domaines. En matière de droits des enfants, le budget de l’ombudsman en Grèce est supérieur au nôtre de 70 %. Comment peut-on envisager, lors de l’examen des lois de finances, de rogner encore les moyens des autorités administratives indépendantes ? Ma première préoccupation reste toutefois de résoudre à la source le problème des violences faites aux enfants.
Nous jouons un rôle d’alerte essentiel. Nous sommes utiles au Parlement – il en est pleinement conscient, la preuve, nous y sommes souvent entendus – et au gouvernement pour alerter sur ce qui ne va pas.
J’irai évidemment rencontrer la nouvelle haute-commissaire pour lui rappeler l’urgence à agir pour mieux protéger les enfants. Dans ce domaine, nous avons rendu sept décisions dans des départements ainsi qu’une décision-cadre, des enquêtes sont en cours dans quatre départements.
M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint de la Défenseure des droits en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant. Nous constatons tous les jours la distorsion totale entre les plans pour lutter contre les violences faites aux enfants et la réalité de terrain. Cela appelle un changement de paradigme. Dans les médias, on n’entend parler que de la violence des enfants. Les enfants seraient responsables de tous les maux de l’éducation nationale. Certains de nos débats actuels pénalisent les enfants.
L’école reste le premier espace de vie sociale pour la majorité des enfants et, à ce titre, elle doit pouvoir continuer à jouer pleinement son rôle en intégrant des enfants d’une diversité de plus en plus grande – je pense aux enjeux de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap mais aussi de la mixité sociale –, tout en fixant des cadres et des objectifs communs ainsi qu’en respectant les droits et les besoins de l’enfant, donc de l’élève.
On n’y arrive pas, on ne veut parler que de l’élève, on ne veut pas voir l’enfant. Or, pour les enfants, l’école est bien plus qu’un lieu de passage pour l’élève, elle est un lieu de vie puisqu’elle rythme une grande partie de celle des enfants de 3 à 18 ans. L’élève s’y voit enseigner des connaissances, des apprentissages, des disciplines et l’enfant, le vivre ensemble, la citoyenneté, la différence, la diversité ; il y noue des liens d’amitié et affectifs très forts et y connaît parfois des ruptures, qui marqueront toute une vie.
Songez que, plus on s’occupe de l’élève, plus on est formé ; plus on s’occupe de l’enfant, moins on est formé. L’école est le réceptacle de nombreuses tensions sociétales. Dans une société hyperindividualisée de l’ici et maintenant, du tout-connecté, où le sommeil des enfants devient un temps non disponible pour les réseaux sociaux, on les traite comme des individus et non plus comme des enfants, on nie leur vulnérabilité. Plus que jamais, les besoins d’écoute, d’explication, de compréhension et d’équité sont primordiaux chez les enfants.
Dès leur plus jeune âge, il faut prendre la parole des enfants au sérieux. Cela ne veut pas dire les prendre au mot mais il faut leur garantir que s’ils bafouillent ou se trompent, ils ne seront ni moqués par les autres élèves voire par les profs, ni évalués de manière négative.
Apprendre à écouter, prendre le temps d’écouter, c’est le premier rempart à la violence. Mais encore faut-il les reconnaître comme des alter ego. Alter ego signifie autre que soi, mais cet autre que soi est doté des mêmes droits humains que vous et moi – c’est le sens de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’enfant devient détenteur de l’ensemble des droits de l’homme dès sa naissance. La différence de cet autre que soi n’est pas réductible à sa taille, donc à son soi-disant manque de force.
Rappelons-nous les images particulièrement choquantes d’une enseignante en train de violenter un enfant de 3 ans dans une école il y a plusieurs mois. La loi du 2 juillet 2019 n’a pas du tout irrigué la société ; elle n’a pas permis de développer une culture en la matière.
Nous connaissons les effets des violences et des humiliations sur le cerveau et le corps de l’enfant : sidération, stress, perte de confiance en soi, troubles de l’attention. Nous savons également que des violences psychologiques précèdent toujours les violences physiques.
Dans le climat de tension actuel, ne sous-estimons pas non plus le risque chez les enfants de reproduire des schémas de violence. Notre société laisse accroire que le simple fait d’être plus fort physiquement et doté de davantage de pouvoir autoriserait les adultes à attraper, frapper, marquer le corps des enfants. C’est tout sauf de l’autorité. Entre adultes, on ne règle pas nos différends en utilisant la force.
Pour dépasser la valeur symbolique de la loi de 2019, le fait que votre commission d’enquête propose l’inscription de l’interdiction des violences éducatives dans tous les codes – code de l’éducation, code de la santé, code du sport – constituerait un marqueur fort de la lutte contre les violences.
Mme Claire Hédon. Il faudrait que l’éducation nationale réponde à nos demandes. Je suis effrayé du nombre de fois où nous n’obtenons pas de réponses.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ma question ne portait pas seulement sur les moyens mais aussi sur l’articulation avec le plan interministériel.
Mme Claire Hédon. Il n’y a pas d’articulation ou de concertation avec nous.
La loi organique pose bien l’obligation de nous répondre et de nous transmettre les pièces que nous demandons. Très souvent, l’éducation nationale ne nous répond pas, quand elle ne refuse pas tout simplement de nous communiquer les dossiers de professeurs. On peut parler de délit d’entrave. Nous n’avons jusqu’à présent fait aucune démarche pour le faire constater mais nous allons peut-être commencer.
Depuis que j’ai pris mes fonctions, j’ai eu affaire à sept ministres. À chaque fois, j’ai l’espoir que cela va s’améliorer donc je leur laisse le temps de répondre.
M. Éric Delemar. Nous avions plaidé en faveur d’un maintien du nombre de postes dans l’éducation nationale malgré la baisse de la démographie afin de mieux prendre en charge l’inclusion scolaire, les violences et le soutien aux professionnels.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous faites état d’une forte hausse des signalements auprès des Jade. Comment l’expliquer ? Peut-on y voir une libération de la parole consécutive à l’affaire Bétharram ?
Dans les cinquante-deux dossiers qui concernent les violences en milieu scolaire en 2024 – 97 en 2023 –, s’agit-il d’établissements publics, privés sous contrat ou privés hors contrat ?
Enfin, comment expliquez-vous la méconnaissance du 119 alors que l’affichage du numéro est obligatoire dans les établissements scolaires ? Est-ce lié à un défaut d’affichage constaté par les Jade, à la multiplication des numéros d’appel, ou à la difficulté pour un enfant de se saisir d’un dispositif comme celui-là, d’autant plus quand il voit son appel rester sans suite ?
Mme Claire Hédon. La hausse des signalements par les Jade concerne tous les domaines. Il peut s’agir aussi de violences familiales comme de violences entre jeunes.
Les cinquante-deux dossiers concernent des réclamations. Les signalements correspondent à des cas dans lesquels les Jade ont entendu une parole que nous qualifions d’inquiétante – par exemple, un enfant rapportant des attouchements de la part de son père ou son grand-père. Il n’est pas forcément question de violence des enseignants.
Il est compliqué pour nous de savoir si les violences éducatives concernent seulement les écoles ou parfois l’accueil en périscolaire, les centres de loisirs ou même les crèches. Le public et le privé sont concernés, mais le premier l’est majoritairement. Nous avons très peu de réclamations qui concernent le privé, ce qui ne veut pas du tout dire que cela n’existe pas. Cela signifie que nous ne sommes pas forcément dans le radar des parents et des autres enseignants. Il serait intéressant d’essayer de comprendre pourquoi les réclamations portant sur le privé sont si rares.
Quant à la méconnaissance du 119, cela prouve qu’il ne suffit pas de mettre une affiche. Je suis absolument persuadée que l’affiche n’a de sens que si l’enfant a entendu parler du 119 à l’école. S’il n’a pas été informé, ce n’est pas une affiche qui suffira à lui indiquer la marche à suivre ; d’où l’importance des Jade qui parlent aux enfants de ce numéro et des autres.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous pointez un manque de réactivité de l’État, qui ne vérifie pas toujours que les autorités compétentes ont pris les mesures nécessaires, et vous évoquez même une forme de délit d’entrave de la part de l’éducation nationale lorsque vous demandez un document. S’agit-il d’une spécificité de ce ministère ou cela peut-il arriver avec d’autres ?
Mme Claire Hédon. Il s’agit d’une spécificité du ministère de l’éducation nationale. L’autre administration auprès de laquelle nous avons également des difficultés à obtenir des réponses est l’administration pénitentiaire. En revanche, nous obtenons des retours de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ou de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), par exemple, ainsi que du ministère de la santé ou des départements, s’agissant de la protection de l’enfance. Une telle absence de réponse est donc bien spécifique à l’éducation nationale.
Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle défense des droits de l’enfant. À l’absence de réponse s’ajoute le fait que les réponses obtenues sont très succinctes : alors que nous demandons des informations précises sur les actions du ministère, nous recevons des réponses en trois points très brefs et constatons des refus de nous communiquer certains documents, dont les dossiers disciplinaires des professeurs. Est-ce dû à une méconnaissance de nos pouvoirs, que pourtant nous leur expliquons ? Toujours est-il que les services refusent de nous communiquer des éléments précis.
Mme Claire Hédon. Il est également arrivé que des personnes refusent de se présenter à une convocation de nos services : il nous a fallu contacter le ministre et rappeler nos pouvoirs pour que l’audition ait lieu. Il y a donc bien une résistance, certaines personnes contactées estimant qu’elles pouvaient ne pas venir.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. De nombreuses affaires anciennes et scandaleuses ont éclaté dans la presse, dont celle de Bétharram qui est à l’origine de la création de notre commission d’enquête, ou encore celle du village d’enfants, placés par l’État, à Riaumont, dans ma région, pour laquelle 200 personnes ont été auditionnées dans le cadre des dernières plaintes – la responsabilité de l’État était donc engagée. De nombreux établissements du privé et du public – dans une moindre mesure – ainsi que des structures d’accueil telles que les villages d’enfants comportent encore des internats.
Vous disposez d’un pouvoir d’autosaisine, lorsque vous l’estimez nécessaire. Les affaires très récentes du début de cette année, qui démontrent d’ailleurs l’ampleur du phénomène au-delà des rapports publiés par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), ont-elles une incidence sur votre programme annuel d’actions, notamment concernant la défense des droits des enfants ? Vous autosaisissez-vous sur les affaires survenues dans certains lieux ?
Mme Claire Hédon. S’agissant de la protection de l’enfance, nous nous sommes effectivement autosaisis dans certains départements : parfois, nous avons été saisis par des travailleurs sociaux mais, dans d’autres départements, ce sont des magistrats qui nous ont alertés sur le fait que des décisions de placement ou d’accompagnement en milieu ouvert qu’ils avaient prises n’étaient pas appliquées. Dans ce cas, les magistrats n’ayant pas, en application de la loi organique, la faculté de nous saisir, nous nous sommes autosaisis. Cela donne alors lieu à un travail de trois ans avant de rendre une décision-cadre ; quatre enquêtes sont encore en cours dans les départements.
En revanche nous ne nous sommes pas autosaisis des affaires qui font actuellement la une des médias, notamment celle de Bétharram. Il s’agit en effet de faits anciens et je ne suis pas sûre que notre institution apporterait la moindre plus-value. Néanmoins il nous arrive de nous autosaisir, même si je n’ai pas d’exemples récents en matière de violences scolaires.
Pour en revenir aux faits que vous avez évoqués, nous pourrions penser qu’il s’agit de l’histoire ancienne ; dans le cas de Bétharram, ce sont de vieilles histoires qui ressortent. Toutefois, ce type d’affaires existe encore. Il y a toujours des situations très précises de violences psychologiques et physiques, au cours desquelles des enfants se font traiter de nuls, sont tirés par les bras ou par les cheveux, reçoivent un coup sur la tête avec un bloc de feuilles ou s’entendent proférer des humiliations, du genre : « Va t’acheter des yeux ! », « Tu as le temps pour aller chez le coiffeur, mais pas pour faire tes devoirs ! », « Tu crois que tes parents peuvent obtenir ton changement de classe ? » – c’était une demande des parents, tant les choses se passaient mal avec l’enseignant. De telles phrases et de tels gestes perdurent et c’est pourquoi je voulais insister sur le fait que ces situations existent encore.
Pour répondre à votre question, nous ne pouvons pas nous autosaisir tout le temps et, s’agissant de l’affaire Bétharram, je ne sais pas ce que notre institution apporterait de plus, étant donné qu’il s’agit d’événements anciens. Nous pourrions, certes, nous autosaisir pour savoir si les faits perdurent, mais nous ne disposons pas d’alerte quant à une possible mise en danger des enfants actuellement à Bétharram.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pour être plus précise, le contexte dans lequel la libération de la parole et les révélations ont été faites vous conduit-il à modifier votre programme d’actions et à identifier certains points de vigilance, notamment lorsque la presse fait état d’alertes sur des événements plus récents ou des violences scolaires systémiques, avec une part d’omerta de la part d’institutions qui ne favorisent pas la libération de la parole – loin de là –, pour préserver leur réputation ? Avez-vous organisé une réunion de crise pour examiner ces situations particulières ou insisté sur vos recommandations en matière de droits de l’enfant ? Vous dites que le ministère reste sourd à vos demandes depuis longtemps. Il y a, certes, la libération de la parole de personnes relativement âgées mais il y a aussi des cas actuellement, et nous sommes en situation de crise. Cela vous incite-t-il à modifier vos priorités en matière de droits de l’enfant pour l’année 2025 ?
Mme Claire Hédon. Ce que j’essaie de vous expliquer, c’est qu’il s’agit d’une priorité depuis toujours. Ce qui m’agace, c’est qu’on en parle subitement, alors que nous alertons sur ces questions depuis quatorze ans, c’est-à-dire depuis la création de notre institution, et nous rendons des décisions sur des situations inadmissibles. Le sujet n’est donc pas nouveau et il ne s’agit pas de renforcer un travail que nous menons depuis quatorze ans. Le problème, c’est que nous ne sommes pas entendus, malgré nos alertes.
En ce moment, dix-huit dossiers sont en cours d’instruction au sein de l’institution. Notre souci est donc de continuer à les instruire : dans cinq d’entre eux, des violences physiques sont évoquées, avec des gestes brutaux qui vont des gifles aux coups ; dans l’un d’eux, un collégien a développé une phobie scolaire, à la suite du retour de l’enseignant dans son établissement ; deux dossiers concernent des faits d’agressions sexuelles, l’un dans un collège public et l’autre dans un lycée privé. Nous enquêtons sur ces situations et continuons à faire notre travail. Néanmoins, j’y insiste, cela fait quatorze ans que nous le faisons et quatorze ans que nous ne sommes pas entendus sur cette question.
M. Éric Delemar. Toutes les décisions de la Défenseure des droits sont soumises à un collège de personnalités qualifiées extérieures, nommées par l’Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental (Cese), parmi lesquelles figurent des professeurs de droit, un pédopsychiatre et d’anciens parlementaires. Les décisions sont examinées par ce collège et sont adressées aux mis en cause, au ministère de tutelle par l’intermédiaire du Dasen ou du recteur. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de caméras que cela enlève quoi que ce soit à l’étendue du phénomène que vous rappelez et qui nous ramène à notre réalité, au quotidien. Nous avons beaucoup parlé de la violence des enfants – et à juste titre –, notamment en matière de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement. Toutefois, pour diverses raisons, il n’y a pas le même entrain à parler des violences des adultes à l’encontre des enfants.
Mme Claire Hédon. S’agissant des internats, il n’y a pas, à ma connaissance, de réclamations ou de décisions dans ce domaine.
Mme Marguerite Aurenche. Nous avons peu d’autosaisines en la matière. Lorsqu’il s’agit de faits déjà très médiatisés, sur lesquels tout le monde est alerté, notre plus-value sera moindre puisque tout le monde est déjà sur le pont. Notre rôle consiste davantage à nous intéresser aux défaillances institutionnelles des services publics et privés.
Mme Claire Hédon. Néanmoins, sur le sujet de la protection de l’enfance, nous nous sommes autosaisis de plusieurs situations.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). Votre expertise est bien sûr nécessaire et vous avez montré à cette commission d’enquête que beaucoup reste à faire afin de faire face aux trop nombreuses violences dont sont encore victimes les enfants dans le cadre scolaire.
Selon certains témoignages, il arrive que des professeurs aient connaissance de faits commis par leurs collègues, sans les dénoncer pour autant. Et ceux qui osent le faire peuvent se retrouver broyés. Cela soulève donc la question de l’omerta systémique de l’école et de l’institution, qui minimise les faits ou cherche à décourager celles et ceux qui voudraient les dénoncer de manière directe ou indirecte.
Signaler les présomptions de violence sur un enfant est une obligation légale faite aux enseignants, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Pourtant, force est de constater le faible taux de remontées et le fait que celles-ci concernent majoritairement des cas de violences au sein de la famille. Lorsque MeToo inceste a surgi, nous avons considéré que la communauté éducative pouvait être le premier rempart face à de tels faits, mais nous n’avons pas imaginé qu’autant de violences pouvaient également provenir de l’intérieur de l’école.
Face aux freins que peuvent représenter la peur de se tromper, d’affronter ses collègues ou d’être étouffé par la hiérarchie, avez-vous des recommandations pour améliorer la procédure des signalements au titre de l’article 40 ? Comment garantir, lorsque la violence provient de l’institution elle-même, que les professeurs seront bien accompagnés et protégés ? Faudrait-il ouvrir la possibilité d’anonymiser le signalement au procureur de la République ou instaurer une sanction pour non-signalement ?
Mme Claire Hédon. Votre question me fait penser à l’importance d’un accompagnement psychologique des victimes, des autres élèves de la classe et des parents lorsque des faits sont allégués. En définitive, elle renvoie aux lanceurs d’alerte, pour lesquels une procédure spécifique existe. Je peux vous dire que nous avons des lanceurs d’alerte dans ce domaine, même si je ne peux préciser où puisque, s’ils le sont, c’est qu’ils veulent garder l’anonymat et être protégés. Ce qui est compliqué, c’est que les faits se déroulent souvent dans la classe, dans laquelle il n’y a pas d’autres adultes pour les constater. Ceux qui nous alertent n’ont donc souvent que des échos, de plus en plus nombreux, sur des agissements. Il existe donc une procédure spéciale pour les dénonciations faites par des lanceurs d’alerte, en vertu de laquelle ils peuvent garder l’anonymat. Bien sûr, nous pouvons être saisis de faits relevant de l’article 40. Néanmoins, ce sont des faits généralement plus sournois.
M. Éric Delemar. Rappelons que la violence isole toujours la victime. Les enfants n’ont pas de corporation susceptible de les aider, ni de coopération en dehors d’eux-mêmes. Parfois, les parents sont aussi en difficulté ou n’osent pas dénoncer un agissement ; a contrario, d’autres vont se présenter à l’école trop rapidement, de manière belliqueuse ou d’une mauvaise manière. Par conséquent, les enfants sont très vite isolés et ne disposent pas d’un espace pensé pour l’accueil et le recueil de leur parole par des adultes tiers, éloignés de la hiérarchie de l’établissement, dans un contexte de difficultés à recruter dans les métiers de l’humain, de fonctionnements parfois technocratiques et de perte de sens dans certaines institutions. Non seulement les enfants sont isolés, mais ils cumulent parfois les violences, les humiliations et les brimades. Et, malheureusement, on s’y intéresse davantage lorsque ce sont eux qui passent à l’acte, c’est évident.
M. Paul Vannier, rapporteur. Une dernière question, pour bien comprendre. Il vous arrive d’enquêter sur des situations qui vous sont signalées ou à la suite d’une autosaisine. Enquêtez-vous parallèlement à une enquête judiciaire ou administrative ? Faites-vous nécessairement un signalement au titre de l’article 40 lorsque des faits graves vous sont rapportés ? Comment les choses s’organisent-elles concrètement ?
Mme Claire Hédon. Dans le cas graves, nous faisons naturellement un signalement au titre de l’article 40, pour ce qui n’est pas de notre ressort. Nous pouvons continuer à mener notre enquête en parallèle de l’enquête judiciaire, en ayant l’obligation d’informer le procureur de la République et d’obtenir l’autorisation d’instruire, selon qu’une affaire est renvoyée au pénal ou non. Nous sommes donc très complémentaires de la justice, d’autant que nous ne nous intéressons pas exactement aux mêmes choses : en effet, nous ne cherchons pas à qualifier les faits, mais plutôt à identifier la réponse de l’institution et de l’éducation nationale, c’est-à-dire comment l’enfant a été entendu et quelles mesures ont été prises – notamment l’éloignement de l’enseignant mis en cause lorsque les faits sont suffisamment graves et avérés.
Permettez-moi de saluer votre commission d’enquête. Ces commissions jouent un rôle essentiel pour mettre en avant certains sujets, formuler des propositions et faire en sorte que les choses bougent. Au fond de nous, nous l’attendions : il fallait que cette question soit abordée et que les parlementaires s’en emparent. C’est pourquoi je tenais à vous remercier.
La séance est levée à dix-neuf heures.
Présents. – M. Arnaud Bonnet, Mme Fatiha Keloua Hachi, M. Jean-Claude Raux, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer