Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) :

– mission « Économie » :

. Avis Économie sociale et solidaire (M. Paul Midy, rapporteur pour avis) 2

. Avis Communications électroniques et économie numérique (M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis)  19

 


Mercredi 16 octobre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 7

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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Dans le cadre de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Paul Midy, les crédits de l’action 04 « Économie sociale, solidaire et responsable » du programme 305 « Stratégie économique » de la mission « Économie ».

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous débutons ce matin l’examen pour avis des crédits de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025. Le budget a été présenté par le Gouvernement le 10 octobre, alors que la loi organique relative aux finances publiques (Lolf) dispose que le projet de loi de finances initiale doit être déposé au plus tard le 1er octobre. Nous connaissons les raisons de ce retard, mais nous ne pouvons que déplorer cette situation, qui nous conduit à travailler dans des délais particulièrement courts.

En guise de remarque liminaire, je rappelle simplement l’importance économique du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec 2,4 millions d’emplois et plus de 160 000 entreprises.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers l’ensemble des acteurs que nous avons auditionnés malgré un agenda contraint. L’économie sociale et solidaire, qui a été consacrée par la loi Hamon de 2014, n’est pas seulement une alternative au modèle économique traditionnel : c’est un modèle en soi, une véritable voie de transformation s’appuyant sur la juste répartition de la valeur créée, une gouvernance participative et de solides objectifs sociaux et environnementaux. Malgré ces fondements solides, ce modèle est encore méconnu et les moyens qui lui sont alloués demeurent insuffisants. Pourtant, il représente environ 10 % de notre PIB et 14 % de l’emploi privé, et permet à la puissance publique d’éviter des milliards d’euros de coûts.

Le constat est alarmant : les crédits du projet de loi de finances pour 2025 sont bien en deçà des besoins réels. Ainsi, les crédits dédiés à l’ESS au sein de l’action 04 du programme 305 Stratégies économiques enregistrent une baisse de 18,8 % en autorisations d’engagement (AE) et de 24,9 % en crédits de paiement (CP). Concrètement, cela se traduit par moins de moyens pour accompagner les acteurs de la transition écologique, les acteurs sociaux et ceux qui, sur le terrain, œuvrent au quotidien pour l’inclusion sociale, ainsi que par moins d’investissements pour l’innovation sociale. J’émets donc un avis défavorable à l’ensemble des crédits de l’action 04 du programme 305.

Dans un contexte budgétaire et économique particulièrement difficile, la première ambition doit être de renforcer le soutien de l’État à l’accompagnement des acteurs de l’ESS, dans la continuité de la dynamique des dernières années. J’en profite pour saluer le travail de l’ancienne ministre chargée de l’économie sociale et solidaire, Olivia Grégoire.

La baisse des crédits de l’action 04 est une menace directe pour le développement de l’ESS, alors qu’elle constitue un levier essentiel pour de nombreuses politiques publiques : accompagnement des plus vulnérables, lutte contre la précarité, insertion, retour à l’emploi, désertification de certains territoires et transition écologique. Ce n’est pas seulement une question de financements, c’est aussi une question de priorités. Nous proposerons donc plusieurs amendements, d’abord pour augmenter les crédits budgétaires alloués au soutien aux têtes de réseau à l’ESS, qui sont les « chevilles ouvrières » de l’accompagnement et du suivi des acteurs de l’ESS au quotidien ; ensuite, pour renforcer le dispositif local d’accompagnement (DLA) ; et enfin pour poursuivre le développement des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), véritables laboratoires d’innovation sociale favorisant les synergies au cœur des territoires.

Le secteur de l’ESS répond aux besoins sociaux et anticipe les défis économiques et environnementaux, dans un contexte de désertification de certains territoires, de dégradation de certains services publics et d’augmentation des inégalités. Ces structures sont souvent les premières à intervenir et à innover. Elles sont un levier crucial pour maintenir des emplois là où le marché traditionnel ne le fait pas et pour innover dans des domaines où les entreprises traditionnelles ne perçoivent pas de rentabilité immédiate. Elle permet de tisser des ponts solides entre le monde économique et le secteur social et constitue un filet de sécurité indispensable pour garantir la cohésion, notamment en faveur des plus fragiles.

Les financements alloués à l’ESS ne sont pas de simples dépenses, mais des investissements dans notre avenir collectif. Chaque euro investi dans l’ESS permet de créer de la valeur économique, mais aussi d’éviter des coûts sociaux importants pour la puissance publique. Dans certains territoires, l’ESS représente plus de 20 % des emplois ; elle incarne le « premier kilomètre de l’intérêt général ». Il est donc temps de la reconnaître davantage dans nos politiques publiques et dans les mécanismes économiques du pays.

Deuxième ambition : reconnaître pleinement la contribution exceptionnelle des acteurs de l’ESS et les intégrer dans le droit commun. Il s’agit de construire à court et moyen terme un cadre pérenne qui leur permette de s’épanouir et de jouer pleinement leur rôle au service de l’intérêt général. Pour donner plus de visibilité aux acteurs de l’ESS, je propose de créer un compte satellite dédié pour mesurer avec précision l’impact économique et social du secteur afin de fonder nos décisions politiques sur des données fiables.

Je recommande aussi qu’un orange budgétaire regroupant l’ensemble des financements dédiés à l’ESS soit présenté en annexe du projet de loi de finances. Le ministère des finances nous a fait parvenir cette année un panorama des crédits affectés par l’État à l’ESS, soit un montant de 15 milliards, mais ce suivi doit être fait systématiquement à chaque projet de loi de finances.

Il faut faciliter l’accès des entreprises de l’ESS aux marchés publics et aux différents types d’aides. Trop souvent, les organisations de l’ESS n’entrent pas dans les cases des dispositifs d’aide aux entreprises, mais cela peut changer. Je rappelle que, pendant la crise du Covid, le Gouvernement a porté une attention particulière au versement d’aides aux structures spécifiques de l’ESS. Il faut désormais les intégrer dans le droit commun.

Je suggère également une revue des écarts fiscaux entre les entreprises de l’ESS et les entreprises traditionnelles en vue d’une harmonisation des régimes. La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une forme d’impôt de production, a baissé. Beaucoup des entreprises de l’ESS ne la payent pas, mais pourquoi ne pourraient-elles pas bénéficier par exemple d’une baisse de la taxe sur les salaires, qui pèse sur l’emploi dans le secteur ?

L’innovation sociale et écologique doit être valorisée au même titre que l’innovation technologique. Je propose donc un mécanisme similaire au crédit d’impôt recherche (CIR) pour les entreprises qui font de l’innovation sociale et écologique.

Troisième ambition, enfin, alors que nous fêtons cette année le dixième anniversaire de la structuration de l’ESS par la loi Hamon : doubler le poids et l’impact de l’ESS dans les dix prochaines années, grâce à une mobilisation nationale et à un plan stratégique à moyen et long terme, afin que l’ESS devienne un moteur de la transformation économique et sociale.

Pour ce faire, je propose notamment une loi de programmation pluriannuelle dédiée à l’ESS pour garantir une trajectoire budgétaire cohérente selon des objectifs clairs. Il s’agit d’éviter les aléas et les fluctuations budgétaires annuelles, d’autant que beaucoup d’acteurs de l’ESS sont financés par des subventions qui peuvent beaucoup varier d’une année sur l’autre.

Autre proposition : mieux orienter l’épargne vers les investissements à impact social et environnemental. L’ESS ne peut pas prospérer sans un soutien financier accru et une forte implication citoyenne.

Le plan « France 2050 », plan d’investissement que j’appelle de mes vœux, devra, avec sa dotation de 100 milliards, poursuivre le soutien du plan France 2030 à l’innovation écologique, mais il devra également intégrer l’innovation sociale afin de soutenir les acteurs de l’ESS, qui sont des laboratoires d’innovation sociale et constituent de nouveaux modèles économiques durables et inclusifs.

La création et la croissance d’entreprises sociales doivent être encouragées. Je propose donc de créer un statut de jeune entreprise innovante à impact, qui cumulerait les avantages du statut de la jeune entreprise innovante (JEI) avec les spécificités de l’agrément entreprise solidaire d’utilité sociale (Esus) ou des sociétés commerciales de l’ESS. Il permettrait de générer des cotisations sociales et ouvrirait droit à une réduction d’impôt sur le revenu de 50 % pour les particuliers investissant dans ce type d’entreprise. Il est important de traiter les sociétés de l’ESS à l’égal des entreprises traditionnelles, pour lesquelles ce type d’incitation existe déjà.

Le plan de mobilisation en faveur de l’ESS exige une animation nationale et territoriale. Je propose donc de renforcer le soutien au financement et à l’activité des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (Cress), car l’ESS repose sur une dynamique qui est souvent très ancrée territorialement.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Frédéric Weber (RN). Il est temps de poser un regard lucide sur l’ESS car, telle qu’elle nous est aujourd’hui présentée, elle n’est rien d’autre qu’une fausse économie, reposant avant tout sur des subventions publiques, des aides massives de l’État et une vision idéologique, bien souvent teintée de néomarxisme. Elle n’a plus grand-chose à voir avec l’esprit d’entreprise.

Il faut en effet distinguer entre deux ESS : d’un côté, celle qui existait bien avant l’ESS actuelle et qui s’est construite sans aide extérieure, sans le soutien de l’État et surtout sans l’ombre d’une idéologie politique – je veux parler des coopératives agricoles et des mutuelles ; de l’autre, l’ESS d’aujourd’hui, qui s’apparente davantage à une économie artificielle reposant sur un financement public parfois excessif. Les structures qui vivent principalement de subventions, sans capacité à générer une véritable valeur ajoutée économique, se sont multipliées. Elles sont devenues des appareils éloignés des réalités du terrain et sont bien souvent animées par des objectifs politiques ou idéologiques qui n’ont rien à voir avec l’économie.

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit une baisse de près de 25 % des crédits de paiement alloués à cette ESS. En 2022, l’État a alloué plus de 10 milliards à l’ESS, principalement à des associations, sous forme de subventions et de prestations de services. C’est la preuve que l’ESS est une économie sous perfusion de l’État, incapable de s’autofinancer de manière durable. Ce modèle n’est pas viable. La réduction des crédits alloués à l’ESS doit donc être l’occasion d’une remise en question. Certains acteurs ont une unité réelle, mais l’ESS doit se réinventer. Elle doit se fixer des objectifs qui lui permettent d’atteindre une véritable viabilité économique. Cette transformation est essentielle pour éviter des plans sociaux d’ampleur. Il est également regrettable que certaines structures de l’ESS soient de plus en plus influencées par des agendas politiques.

Nous devons soutenir la vraie économie, celle qui s’est bâtie sans perfusion d’argent public, comme les coopératives agricoles qui œuvrent chaque jour pour notre souveraineté alimentaire. Cessons de financer une ESS dévoyée qui s’éloigne toujours davantage de la réalité économique.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Je ne partage pas du tout votre propos. L’ESS compte 120 000 associations qui œuvrent dans le sport, l’insertion sociale ou le soutien aux plus vulnérables. Elle compte également des coopératives, des fondations, des mutuelles exerçant des activités allant de la banque à la grande distribution. Elles suivent des modèles de gouvernance et de gestion des profits très intéressants.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Contrairement aux tristes affirmations de notre collègue du Rassemblement national, l’ESS est un pilier fondamental de l’économie française : elle représente 10 % de notre PIB, regroupe plus de 20 000 structures sur l’ensemble de notre territoire et emploie plus de 2,3 millions de personnes, soit près de 15 % des actifs du secteur privé. Les acteurs de l’ESS suivent un modèle d’action économique non lucrative qui est complémentaire du modèle capitaliste traditionnel et qui repose sur les principes de partage de la valeur, de gouvernance démocratique et de finalité sociale et environnementale.

J’ai notamment eu l’occasion de défendre ce modèle à New York, en 2022, comme membre de la délégation France ESS, afin de soutenir une résolution de l’ONU défendant les écosystèmes de l’ESS en tant que réponse efficace aux problématiques environnementales et sociales de notre temps.

Votre rapport relève les nombreuses difficultés auxquelles fait face ce secteur. Elles justifient notre soutien, notamment en termes budgétaires, mais aussi en termes d’adéquation avec les normes. Je tiens à saluer le travail de notre ancienne collègue Fanta Berete, qui, lors de l’examen de la loi sur le partage de la valeur en 2023, avait défendu avec succès l’obligation d’expérimenter ce dispositif pour toutes les entreprises de l’ESS générant des excédents de capital au moins égaux à 1 % des recettes pendant trois exercices consécutifs. Ces entreprises peuvent en effet générer des profits.

Quelles sont vos préconisations pour intégrer les acteurs de l’ESS au droit commun, afin notamment qu’ils puissent bénéficier de dispositifs aujourd’hui réservés aux entreprises privées à but lucratif, comme le CIR ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Mes propositions s’inscrivent dans la lignée des travaux que vous avez menés avec Fanta Berete. Je propose notamment une revue complète des dispositifs pour intégrer l’ensemble des acteurs de l’ESS dans le droit commun, au niveau national et européen. L’Union européenne réalise un bon travail dans ce domaine et la France est une référence en Europe. N’oublions pas la cohérence du soutien à l’ESS au niveau international – vous avez mentionné les travaux de l’ONU.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Avec une baisse de 25 % des crédits, on ne pouvait pas faire un budget plus déconnecté du réel. « Hallucinant », « insultant », « humiliation », « carnage » : ces mots sont ceux des principaux acteurs de l’ESS face à votre projet de loi de finances. Pourtant, l’ESS est un secteur porteur, où les besoins en recrutement devraient encore s’intensifier dans les années à venir. Ce secteur est l’héritier des associations ouvrières, des coopératives de consommateurs et des sociétés de secours mutuel. Il pèse un poids considérable et est en pleine croissance. Histoire de le saigner davantage, s’ajoute à cette baisse l’effort budgétaire de 5 milliards d’euros demandé aux collectivités territoriales. Ces coûts de rabot auront des répercussions sur l’ESS, qui est en première ligne des baisses de soutien des collectivités.

Vous vous gargarisez de ce que l’ESS apporte et rapporte, mais, pour féliciter ses acteurs, vous leur donnez des « miettes » : 0,004 % du budget de l’État. Dans ma circonscription, en Isère, l’ESS compte 4 000 établissements et emploie 45 000 personnes. Au niveau national, elle compte 220 000 structures, employant 2,4 millions de salariés, et représente 10 % du PIB, soit quelque 280 milliards.

Avec ces choix budgétaires, certaines structures seront contraintes de supprimer des emplois, voire d’arrêter leurs activités. Ils démontrent le manque de volonté politique de conforter le développement de l’ESS, ainsi qu’une indifférence teintée de mépris.

L’ESS est pourtant un pilier de l’économie française. Renforcer l’ESS, c’est renforcer les principes généraux de la gestion des communs et de la démocratie économique et sociale, et c’est aussi renforcer le développement économique et la création d’emplois non délocalisables. Pour la soutenir, nous avons déposé des amendements visant à constituer un fonds de conversion à l’ESS, à créer une administration déconcentrée entièrement dédiée à l’ESS, à augmenter l’enveloppe du DLA et à créer un orange budgétaire de l’ESS.

Notre groupe émettra donc un avis défavorable sur les crédits de la mission.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Nos avis sont alignés.

Les crédits que nous examinons sont répartis dans une enveloppe d’une vingtaine de millions dédiée à l’accompagnement des acteurs et des têtes de réseau qui animent le secteur. Cette enveloppe ne représente qu’une toute petite partie du financement global de l’ESS. Pour la première fois, nous avons obtenu un rapport consolidé sur les dépenses de l’État qui montre qu’en 2022, le financement de l’ESS s’élevait à environ 15 milliards d’euros : 10 milliards en subventions et en prestations de services de l’État, dont 9 milliards pour les associations, 4,5 milliards de dépenses fiscales et 1 milliard de contrats aidés. Il faut aussi compter les collectivités territoriales et la protection sociale. Ces budgets sont sûrement en réduction, mais nous le saurons quand nous aurons un orange budgétaire.

Mme Valérie Rossi (SOC). Les diverses auditions et la mission que vous avez menées ont largement prouvé l’utilité de l’ESS, si certains en doutaient.

Les députés du groupe Socialistes et apparentés sont consternés face à la drastique réduction des crédits de l’ESS. Pour quel objectif ? Les documents budgétaires n’en disent rien. C’est le prix de la mauvaise gestion budgétaire de votre formation de politique depuis sept ans que doit payer l’ESS. Quelle belle manière de marquer les dix ans de la loi Hamon ! Cette coupe claire ne mobilisera que 0,009 % des 40 milliards d’économies que vous cherchez.

Il n’y a cependant aucune surprise : depuis sept ans, les gouvernements successifs ont fait le siège de l’ESS pour tenter d’étendre aux acteurs du marché classique les avantages propres à l’ESS, comme l’agrément Esus, brouillant ainsi les lignes et noyant l’esprit initial de l’ESS.

Avec ce budget en forte baisse, c’est tout un écosystème de 220 000 structures employant 2,4 millions de salariés qui sera fragilisé, alerte le président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes). Le président d’ESS France voit dans cette baisse une humiliation et s’attend à des plans sociaux dans le secteur. Le constat est identique du côté du Mouvement associatif, qui représente les associations du secteur. Cette baisse s’étend au-delà du programme dont vous êtes le rapporteur, avec par exemple une réduction de près 30 % du fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER), qui soutient plus de 770 radios associatives en France. C’est un désastre.

Je suis néanmoins heureuse que vous partagiez notre point de vue sur ce budget d’austérité. Nous comptons sur vous pour nous aider à rétablir les crédits de l’ESS : transformez vos paroles en actes et faites rimer ambition avec concrétisation – sans quoi nous rejetterons les crédits du programme.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Au cours des sept dernières années, les crédits ont progressé, ainsi qu’en attestent les tableaux du rapport. Si je soutiens le nouveau gouvernement, je ne suis pas aligné à 100 % avec l’ensemble de ses orientations. Ainsi, je considère que ce serait une erreur de baisser les crédits de l’ESS dans ce contexte. J’ai déposé des amendements – certains sont identiques aux vôtres – visant à augmenter les crédits, dans la continuité de l’action menée par l’ancienne majorité présidentielle.

M. Guillaume Lepers (DR). Dans votre rapport, vous exprimez une vive inquiétude quant à la baisse de 25 % pour les crédits de paiement et de 19 % pour les autorisations d’engagement alloués à l’accompagnement des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Cette diminution, qui concerne notamment le soutien aux têtes de réseaux de l’ESS, les dispositifs locaux d’accompagnement et les pôles de coopération économique, risque non seulement de limiter l’envergure de l’ESS mais également d’augmenter les dépenses publiques à terme. L’ESS représente 14 % des emplois privés et constitue un modèle économique innovant, qui permet de contenir la dépense publique dans des domaines comme la protection sociale, l’emploi ou les services publics.

L’ESS joue un rôle fondamental dans des territoires souvent marginalisés, en difficulté économique ou isolés. Dans ma circonscription du Lot-et-Garonne, l’association de la régie du territoire de la vallée du Lot agit comme une structure d’insertion des publics les plus fragiles et multiplie les nombreux dispositifs solidaires en collaboration avec les collectivités territoriales.

Mais dans le contexte tendu que nous connaissons, il faut faire des économies. Vous proposez des pistes pour améliorer l’efficience des moyens alloués à l’ESS, par exemple le regroupement de tous les financements dans un document de politique transversale, qui permettra d’en renforcer la coordination, la visibilité et la cohérence.

Quelles autres pistes proposez-vous pour maximiser l’efficacité des financements publics alloués à l’ESS ? Il faut hélas faire mieux avec moins, en encourageant les synergies entre programmes et l’utilisation optimale des ressources existantes. Malgré les coupes budgétaires, le rôle essentiel de l’ESS dans notre économie et notre société est-il préservé ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. En effet, nous devons redresser les finances publiques et être très précautionneux des deniers publics. C’est pourquoi je distingue l’enveloppe de 15 milliards d’euros, qui inclut 9 milliards d’euros de subventions versées aux associations, des crédits alloués à l’ESS – 20 millions d’euros –, dédiés à l’accompagnement. Étant donné que l’enveloppe de 15 milliards d’euros baissera sans doute, il est d’autant plus important de mettre l’accent sur les crédits d’accompagnement qui visent à aider les acteurs à se développer, ainsi qu’à diversifier leurs sources de financement.

Du reste, nous devons être vigilants quant à cette enveloppe de 15 milliards, abondée par plusieurs ministères, qui finance de nombreuses politiques publiques. Il nous appartient de hiérarchiser les priorités entre les différentes politiques publiques. Certes, nous ne disposons pas encore d’un orange budgétaire, dont je souhaite l’élaboration car il permettrait d’examiner le budget sous un autre angle et de vérifier sa pertinence et sa cohérence avec les priorités politiques.

M. Boris Tavernier (EcoS). On ne pouvait pas présenter un budget plus déconnecté de la réalité, des besoins du terrain et du quotidien des Français. Les millions de bénévoles et employés de l’ESS subissent une « humiliation » d’autant plus injuste qu’ils assurent partout en France le premier kilomètre de l’intérêt général. « Humiliation » : c’est le mot fort employé par la principale structure représentative de l’ESS en France. Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi Hamon, nous pouvions attendre une meilleure reconnaissance de ce que fait l’ESS pour notre pays.

Vous ne vous y trompez pas en donnant un avis défavorable à l’adoption des crédits et en soulignant que les moyens alloués à l’ESS sont clairement insuffisants eu égard aux besoins réels du secteur. Vous dénoncez à raison le décalage persistant entre, d’une part, ce que représente réellement l’ESS et ce qu’elle apporte à nos territoires et, d’autre part, les dotations budgétaires dont elle bénéficie.

Après des crédits gelés en 2024, le projet de loi de finances pour 2025 dote l’action 04, Économie sociale, solidaire et responsable du programme 305 – qui finance des têtes de réseaux, des dispositifs locaux d’accompagnement, des pôles territoriaux de coopération économique et des contrats à impact social – de 15,6 millions d’euros en crédits de paiement et de 16,8 millions d’euros en autorisations d’engagement, soit une diminution respective de 18 % et de 24,9 %. Est-ce bien raisonnable pour l’économie de demain compte tenu des ambitions et de l’envergure d’un secteur qui représente 10 % du produit intérieur brut et 14 % des emplois privés en France ?

Par ailleurs, d’autres budgets qui concourent à l’ESS sont fragilisés, notamment les crédits du programme 147 dédiés à la politique de la ville, fortement réduits, ou bien ceux dédiés à l’insertion par l’activité économique, qui demeurent sous-dimensionnés.

À cette première cure d’austérité succédera une seconde : une baisse du financement de l’ESS par les collectivités territoriales, mises à rude épreuve dans ce projet de loi de finances, est à prévoir.

Ce budget est humiliant et insultant. Derrière les chiffres, il se traduira par une perte de vitalité économique, sociale et démocratique dans tous les territoires, en particulier dans les quartiers populaires et les zones rurales où, contre toute idée reçue, des structures de l’ESS sont bel et bien présentes et parfois bien seules face à un retrait de l’État et des services publics.

Dans ma circonscription, à Lyon, le dispositif Apprentis solidaires de l’Afev, après trois ans d’expérimentation réussie auprès de plusieurs centaines de jeunes, devait faire l’objet d’une convention. Dès l’annonce du budget d’austérité, ce projet s’est arrêté. Ainsi, quatre salariés sont au chômage technique à Lyon, une soixantaine l’est en France et des centaines de jeunes, désireux de s’engager et d’entrer en apprentissage, ne pourront être accompagnés.

Il est donc important de renforcer immédiatement le soutien aux acteurs de l’ESS. Plus généralement, une programmation pluriannuelle des financements alloués à l’ESS est nécessaire pour permettre à l’économie de demain de s’épanouir. Comment expliquez-vous qu’elle soit sous-financée de manière persistante ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. C’est une excellente question. L’un des points principaux est la difficulté à mesurer l’impact de ce secteur. En démocratie, il faut être capable de présenter des résultats, d’expliquer à nos concitoyens les raisons pour lesquelles on doit allouer des moyens à un secteur, et dire combien il rapporte. Par exemple, je soutiens avec énergie les entreprises, en particulier les jeunes entreprises innovantes, car j’explique qu’elles sont rentables – j’utilise ce mot à dessein –, chiffres à l’appui, étant donné le nombre d’emplois et la dynamique économique qu’elles créent.

Or, il est parfois difficile de mesurer l’impact de l’ESS en l’absence d’indicateurs communs et mesurés, voire reconnus au niveau international. Je salue tous les travaux consacrés à cette question depuis la publication du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, notamment ceux menés récemment par le mouvement Impact France, qui a mesuré les coûts évités. Selon les estimations du mouvement Impact France, pour 1 euro investi dans l’ESS, la dépense publique évitée est réduite d’1,3 euro. Il serait donc nécessaire de définir des critères permettant de mesurer les coûts évités, afin de montrer à nos concitoyens que l’ESS est un investissement très rentable.

M. Pascal Lecamp (Dem). Dans le PLF pour 2025, les crédits alloués sont en baisse de 18,8 % en autorisations d’engagement et de 24,25 % en crédits de paiement, ce qui suscite de nombreuses inquiétudes. L’ESS, qui représente 10 % du PIB et 14 % des emplois privés, joue un rôle crucial en France en apportant des solutions locales aux défis sociaux et environnementaux.

Par exemple, dans ma circonscription, l’écologie industrielle et territoriale (EIT) Sud Vienne, dont le modèle économique est tout juste équilibré, recycle avec succès les déchets industriels de la région. Réduire les financements alloués à ce secteur pourrait freiner son développement territorial, ainsi que le lancement de ce type d’initiatives à fort impact social et écologique.

C’est pourquoi nous pourrions réfléchir à l’instauration de mesures fiscales distinctes des aides directes que nous examinons aujourd’hui. Vous avez proposé d’aligner le soutien à l’innovation sociale sur les dispositifs d’investissement en matière d’innovation technologique, lesquels sont facilement identifiables car ils répondent à des critères définis. Dispose-t-on de critères tout aussi clairs s’agissant des investissements en matière d’innovation ? Comment garantir que ces investissements soient reconnus et soutenus de manière pertinente ?

Vous avez mentionné la nécessité de faciliter l’accès des acteurs de l’ESS aux marchés publics. L’Union européenne travaille à une réforme des directives en matière de marchés publics. Cette piste est-elle envisagée pour soutenir l’ESS ? Comment pourrait-on s’assurer que ces nouvelles directives prennent en compte les particularités des structures de l’ESS tout en respectant les règles de la concurrence ?

Enfin, vous avez souligné l’importance de simplifier l’accès des acteurs de l’ESS au financement européen. Ces fonds, comme le Fonds social européen (FSE) ou le Fonds européen de développement régional (Feder), sont souvent gérés au niveau régional. Dans quelle mesure les régions pourraient-elles mieux accompagner les acteurs de l’ESS, afin de les aider à monter leur dossier ? Serait-il pertinent de renforcer leur rôle pour mieux flécher ces financements vers des projets d’innovation sociale ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Il faut renforcer l’innovation sociale. Le plan France 2030, qui est un excellent outil, a eu un énorme impact sur les innovations technologiques et de rupture, mais n’a pas mis l’accent sur l’innovation sociale en matière de santé, d’accompagnement et d’éducation. Certaines structures, qui contribuent à atteindre nos objectifs politiques de transition écologique et d’innovation sociale, doivent être aussi bien, voire mieux accompagnées que les autres. Je pense, par exemple, à la start-up Commune, qui propose des logements collectifs à des familles monoparentales ; à la start-up May, qui accompagne les parents durant les mille premiers jours de l’enfant ; à la start-up Murphy, qui recycle des appareils ménagers.

Les outils, tels que le plan France 2030, qui est une source de financement importante, doivent donc s’adapter. De la même manière que BPIFrance a lancé le plan deeptech car il est plus difficile de financer les technologies disruptives que l’innovation marginale, il faut établir un plan en matière d’innovation sociale. En outre, les acteurs de l’ESS doivent bénéficier d’incitations fiscales.

Enfin, l’accompagnement de l’ESS en régions est important. C’est pourquoi je propose d’augmenter les crédits alloués aux Cress, dont le rôle est d’accompagner les acteurs de l’ESS lorsqu’ils demandent une subvention à un fonds européen – cette démarche est très compliquée.

M. Xavier Albertini (HOR). Je m’interroge sur votre proposition d’intégrer l’ESS dans le droit commun, car ce pilier essentiel de notre économie serait dilué dans l’économie générale. Jusqu’où souhaitez-vous aller ? N’y aura-t-il pas un événtuel risque de distorsion de concurrence et de perte de spécificité de l’ESS ? Dans ce cas, et compte tenu de la nécessité pour l’ESS de s’autofinancer en partie du fait de la baisse des crédits budgétaires qui lui sont alloués, envisagez-vous de développer des outils pour vérifier si l’ESS ne chercherait pas des ressources supplémentaires dans des domaines qui ne relèvent pas de son secteur ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. De nombreux acteurs de l’ESS sont exclus d’une multitude de dispositifs d’aides, en raison de leur spécificité juridique – par exemple, les Esus, les sociétés coopératives de production (Scop) et les coopératives. En intégrant les acteurs de l’ESS dans le droit commun, il ne s’agit pas de réduire nos ambitions mais plutôt de traiter ces acteurs comme tout le monde car ils ne sont pas suffisamment bien traités – et non l’inverse.

À cet égard, Olivia Grégoire n’a pas oublié les acteurs de l’ESS lors de la création de nouvelles aides durant le Covid. L’intervention de ces acteurs doit également être privilégiée lorsque leur action a un impact positif sur la transition écologique, l’emploi, les politiques d’insertion.

Du reste, les acteurs demandent la définition de secteurs au sein desquels leur intervention serait favorisée – éducation, santé, accompagnement des plus vulnérables. En Belgique, certains secteurs sont réservés aux acteurs de l’ESS. Je propose d’engager cette réflexion pour les soutenir. L’ESS est un modèle en soi et non une simple solution de rechange.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Nous regrettons la baisse du budget de l’ESS et nous sommes également défavorables au vote de ces crédits. Évitons de généraliser, comme certains intervenants l’ont fait : la majorité des actions menées par ce secteur ont un grand intérêt pour les territoires et leurs habitants.

Je regrette qu’on ne puisse procéder à des transferts de crédits. Les contrats aidés, auxquels était alloué 1 milliard d’euros, avaient une réelle plus-value : ils constituaient la première étape de l’intégration dans le monde du travail.

Nous devons aider ces acteurs. Dans les Vosges, nous avons été sensibilisés à la baisse dommageable des crédits alloués aux petites radios locales associatives – Radio des Ballons, Résonance FM – qui diffusent des informations locales. Il conviendrait de distinguer les secteurs en fonction de l’impact que la baisse des crédits aurait sur eux.

Comment pourrions-nous simplifier les dispositifs, afin de dégager un gain financier sans pour autant affecter les revenus des acteurs ? La simplification administrative est nécessaire à tous les niveaux et doit concerner l’ensemble des dispositifs, notamment les demandes de subventions.

Par ailleurs, vous avez parlé de votre expérience en tant qu’entrepreneur dans le privé. Soyons vigilants quant à la concurrence déloyale qui pourrait s’exercer entre une entreprise du secteur ESS, très subventionnée, et une entreprise du secteur privé, moins aidée et au sein de laquelle l’entrepreneur a pris des risques personnels.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Des orientations politiques claires doivent être prises quant à l’utilisation de l’enveloppe des 15 milliards. Le sujet des radios locales pose la question de l’information de nos concitoyens, garantie de la démocratie, dans un contexte où l’information qui circule sur les réseaux sociaux est dévoyée et pleine de fake news. Il est vital pour notre démocratie que les crédits alloués à ces radios ne baissent pas.

Par ailleurs, les dispositifs doivent être simplifiés à tous les niveaux. On souhaite que le coût de la distribution des subventions et des aides soit le plus faible possible, ce qui implique de mener un énorme travail de transformation de l’État.

S’agissant de la concurrence déloyale, il est important de différencier les secteurs : on peut prendre la décision politique de privilégier, dans certains secteurs, les acteurs dont l’activité lucrative est limitée ou qui n’exercent pas d’activité lucrative.

M. André Chassaigne (GDR). Rapporté à l’importance du secteur, le budget d’intervention du ministère chargé de l’ESS a toujours été dérisoire. Cette année, c’est le pompon : les crédits baissent de 25 % et s’élèvent à 20 millions contre 25 millions en 2024.

Benoît Hamon, le président d’ESS France, l’a bien exprimé : « Il y a dix ans, la loi ESS reconnaissait les monnaies locales complémentaires. […] Le Gouvernement vient d’inventer une monnaie nationale complémentaire réservée à ses échanges financiers avec l’ESS (l’économie sociale et solidaire) : le #blabla qui remplace l’euro quand il s’agit de soutenir les entreprises et organisations qui composent l’ESS. Un chèque en blabla se libelle de la manière suivante : " l’ESS, c’est formidable ! ", " l’ESS a tenu le pays debout pendant le covid ", " l’ESS, ce sont des modèles d’entreprendre essentiels qui placent l’humain au cœur ", " [s]ans les 2,4 millions de salariés et millions de bénévoles dans l’ESS, la cohésion sociale disparaîtrait ". Et bla et bla et bla… Un chèque en #blabla rapporté en euros dans la proposition de budget 2025, ça donne quoi ? […] 5 millions en moins sur un budget déjà minimaliste qui soutenait des programmes, déjà très peu chers, qui agissent en faveur du développement des acteurs de l’ESS dans les territoires et de l’innovation sociale. On ne pouvait pas faire budget plus déconnecté du réel, des besoins du terrain et du quotidien des Français. Les millions de bénévoles et employés de l’ESS subissent là une humiliation d’autant plus injuste qu’ils assurent partout en France, le 1er kilomètre de l’intérêt général. (Ehpad, crèches, cliniques, centres de soin, ressourceries, coopératives de transport, de l’énergie, de la communication, épiceries solidaires, mutuelles, banques alimentaires, entreprises d’insertion, associations culturelles et sportives, écologie citoyenne, entreprises sociales et fondations d’entreprises, etc.). »

Cette mise à la diète du budget de l’ESS s’inscrit dans une politique construite de désengagement de l’État. Dans le même temps, adoptant une vision d’inspiration anglo-saxonne, on invite certains acteurs de l’ESS à se tourner vers des financements ou des partenariats privés. Ne craignez-vous pas que les financeurs privés mettent la main sur les engagements associatifs qu’ils pourraient limiter ou instrumentaliser ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Je suis d’accord avec vous sur les « chèques en blabla » et ce n’est pas du tout ce que je propose ; l’axe relatif à l’innovation sociale du plan France 2050, que j’appelle de mes vœux dans mon avis budgétaire, doté d’une enveloppe de 100 milliards, ne se verrait pas allouer quelques milliers d’euros – mais il ne fera pas non plus l’objet d’un chèque en blanc.

Nous sommes très attentifs aux propositions de Benoît Hamon, que nous avons reçu en premier lors des auditions que nous avons menées, car sa loi de 2014 a structuré l’ESS.

Enfin, le désengagement de l’État n’est pas l’ambition du plan de mobilisation nationale que je préconise. Les crédits provenant du secteur privé doivent compléter les aides publiques. Nous devons développer des dispositifs de levée de fonds, car nous pourrions récupérer beaucoup d’argent chez les acteurs privés.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Olivia Grégoire (EPR). Je tiens à tordre le cou aux idées reçues véhiculées par le Rassemblement national, qui considère que l’ESS serait sous perfusion, administrée et inefficace. Deux exemples : à Tarnos, d’abord, 1 100 stagiaires sont formés chaque année et 300 salariés travaillent au sein du pôle territorial de coopération économique (PTCE), qui réalise 30 millions de chiffre d’affaires annuel. Ensuite, l’Esus Phoenix, qui lutte contre le gaspillage alimentaire, réalise, depuis 2021, un chiffre d’affaires de près 10 millions d’euros et est implantée dans plusieurs pays européens. Il y a des entreprises rentables dans le secteur de l’ESS ; c’est une économie à part entière, même si c’est une économie à part.

Que pensez-vous de la diversification des financements, notamment d’une modification du plafond de la poche solidaire des fonds 90-10 ? Que pensez-vous de la proposition de Benoît Hamon d’orienter une fraction du produit des taxes parafiscales acquittées par les entreprises de l’ESS – produit perçu par les chambres de commerce et d’industrie (CCI) et les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) – vers les acteurs de l’ESS, afin d’augmenter leur budget ?

M. Romain Daubié (Dem). Pourriez-vous nous donner quelques exemples précis illustrant la notion de coûts évités ?

M. André Chassaigne (GDR). Dans ce contexte de vaches maigres, d’autres acteurs publics, notamment BPIFrance, la banque des territoires et la Caisse des dépôts (CDC), participent au financement de l’ESS. Ne croyez-vous pas qu’un mandat clair quant au financement de l’ESS devrait être donné à ses institutions ? À cet égard, BPIFrance ne respecterait pas tous ses engagements. Certains crédits annoncés ne sont jamais consommés, notamment du fait des conditions drastiques pour les obtenir.

Ne faudrait-il pas davantage soutenir les reprises d’entreprise par les salariés sous forme d’une coopérative et des initiatives comme l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée, et garantir le financement durable des structures d’éducation populaire, contraintes de rechercher sur le marché des expédients pour survivre ?

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. L’ESS n’est pas une économie inefficace, bien au contraire. Le travail associatif accompli par des bénévoles coûte beaucoup moins cher que celui que réaliserait l’État ou un acteur privé. En revanche, on ne sait pas bien mesurer l’efficacité du secteur, ce qui ne permet pas de démontrer l’intérêt de le soutenir.

S’agissant de la diversification des financements, je suis très favorable à l’augmentation du plafond de la poche solidaire des fonds 90-10, que nous avions déjà votée dans la loi « attractivité » – je vous remercie pour votre action, madame Grégoire. Nous devons continuer à aller dans ce sens.

Comme je l’ai indiqué dans mon rapport, je suis favorable à la proposition d’ESS France défendue par son président : il serait sans doute bon d’engager une réflexion sur la possibilité de consacrer une petite fraction des taxes perçues par les CCI et les CMA au financement les têtes de réseaux, des Cress en particulier. Il faut donner à ces dernières les moyens d’alimenter une dynamique forte, à l’instar de celle que promeut la French Tech, pour animer le réseau des acteurs et les mettre en lumière.

Monsieur Daubié, je vous remercie d’avoir souligné l’importance des coûts évités. Prenons deux exemples concrets. Le retour à l’emploi d’une personne ayant été longtemps au chômage obtenu grâce au travail mené sur plusieurs mois par des bénévoles au sein d’associations représente un coût évité élevé pour nos collectivités, si l’on met en regard le montant des subventions et le coût de chaque chômeur pour les finances publiques – 30 000 à 40 000 euros en moyenne. De la même manière, l’application de la start-up May, grâce à un tchat sur lequel des professionnels – des sages-femmes, par exemple – répondent en direct aux questions de parents et futurs parents en matière de fertilité et de périnatalité, permet de limiter l’engorgement des urgences et le recours à de nouvelles prestations de santé, ce qui correspond à autant de dépenses que n’a pas à supporter la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Cela vaut donc le coup de soutenir ce genre d’initiatives.

Monsieur Chassaigne, de manière générale, nous devons nous donner une ambition plus forte afin d’améliorer l’accès des acteurs de l’ESS aux financements. Certains, du fait de leurs particularités, ne peuvent obtenir d’aides de l’État ou des collectivités locales, raison pour laquelle j’ai insisté sur la nécessité d’un alignement sur le droit commun. Il importe aussi de les accompagner dans la recherche de financements susceptibles de renforcer leurs assises, au-delà de la quête de petites subventions. Les Cress pourraient ainsi les aider à suivre les procédures complexes que suppose l’obtention de fonds européens, souvent sous-utilisés. Ne faisons pas de chichis : il ne faut pas exclure non plus les acteurs privés. Certes, les choix opérés par certaines structures de l’ESS – mode de partage de profits, absence de lucrativité ou lucrativité limitée – détournent des investisseurs privés, mais le potentiel de financement privé est largement sous-exploité en France.

 

Article 42 et État B : Crédits du budget général

 

Amendements II-CE31 de M. Paul Midy et II-CE11 de M. Manuel Bompard (discussion commune)

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (Csess) recommande d’augmenter les crédits du dispositif local d’accompagnement (DLA) de 6 millions sur quatre ans. Faute de pouvoir déposer des amendements portant sur plusieurs années, je vous invite à franchir une première étape avec une hausse de 1,5 million pour l’année prochaine.

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Conformément aux préconisations d’ESS France et du mouvement associatif, nous proposons d’augmenter les crédits alloués au DLA de 6 millions d’euros.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Nous partageons le même objectif, monsieur Bompard, mais l’augmentation de 6 millions que vous proposez doit se déployer sur quatre ans, soit 1,5 million par an. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien.

Mme Olivia Grégoire (EPR). Il est indispensable de préserver le financement du DLA et des PTCE, dispositifs vitaux pour l’ESS. J’ai veillé à m’en assurer autant que possible lorsque j’étais secrétaire d’État, en maintenant puis en augmentant les crédits qui leur sont dédiés. Votre amendement a donc tout mon soutien, monsieur le rapporteur pour avis.

La commission adopte l’amendement II-CE31, l’amendement II-CE11 ayant été retiré.

 

Amendements identiques II-CE32 de M. Paul Midy et II-CE21 de M. Manuel Bompard et amendement II-CE13 de Mme Valérie Rossi (discussion commune)

M. Paul Midy (EPR). Nous procédons par étapes. L’amendement II-CE32, amendement essentiel visant à maintenir le montant des crédits de l’action 04 au même niveau que celui de 2024, sera suivi d’amendements portant sur des augmentations de crédits pour certaines sous-actions.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Le modèle sur lequel repose l’ESS nécessite un soutien renforcé ; or, avec ce budget d’austérité, le Gouvernement réduit les crédits qui lui sont consacrés. La baisse est de 18,65 % pour les autorisations d’engagement – 15,63 millions d’euros contre 19,22 millions – et de 24,81 % pour les crédits de paiement – 16,82 millions contre 22,38 millions. Compte tenu de l’importance des enjeux, nous proposons d’annuler ces coupes scandaleuses, qui prennent « la forme d’une humiliation » pour ESS France.

Mme Valérie Rossi (SOC). Cette baisse, je le répète, suscite mon incompréhension. Dans ma circonscription des Hautes-Alpes, l’ESS représente un emploi sur cinq. Que vais-je dire aux directeurs de radios locales, très actives sur ces territoires, et aux directeurs de structures d’insertion par l’activité économique ou d’aide à domicile ?

Notre amendement visant comme le vôtre, monsieur le rapporteur pour avis, à revenir sur la forte diminution des crédits alloués à l’ESS, je le retire bien volontiers.

La commission adopte les amendements identiques II-CE32 et II-CE21, l’amendement II-CE13 ayant été retiré.

 

Amendements identiques II-CE7 de M. Manuel Bompard et II-CE15 de Mme Valérie Rossi

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Notre amendement vise à financer la constitution d’un fonds de conversion des entreprises à l’économie sociale et solidaire. Il s’agit là encore d’une proposition d’ESS France.

Mme Valérie Rossi (SOC). Un tel fonds encouragerait et accompagnerait la transformation d’entreprises privées lucratives qui le souhaitent vers l’ESS. Il lèverait les deux principaux freins à cette évolution, d’une part, en favorisant le transfert de la propriété, d’autre part, en fournissant un accompagnement en matière d’ingénierie.

Pour assurer la recevabilité financière de notre amendement, l’augmentation de 2 millions serait compensée par une réduction du même montant des autorisations d’engagement et crédits de paiement de l’action 23 Industrie et services du programme 134 Développement des entreprises et régulations.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Avis de sagesse. Si je soutiens la création d’un tel fonds – elle figure parmi les propositions de mon rapport –, il me paraît fondamental de concentrer l’effort sur l’accompagnement des têtes de réseaux. C’est à cette priorité que vont les augmentations budgétaires que je propose dans mes amendements, pour un montant de 8 millions d’euros, soit plus de 50 % de l’enveloppe globale consacrée à l’ESS dans le présent budget.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Bien sûr, l’accompagnement des têtes de réseaux a son importance mais, sans attendre que ses effets se fassent sentir, il importe aussi de soutenir la conversion des entreprises. Alors que de nombreux chefs d’entreprise s’apprêtent à prendre leur retraite, la reprise sous forme de coopérative apparaît comme un bon moyen d’étendre le champ de l’ESS et de maintenir le tissu industriel. Je citerai l’exemple de l’entreprise Duralex, dont les salariés ont défendu avec succès un projet de société coopérative de production pour éviter la liquidation.

Mme Olivia Grégoire (EPR). Monsieur Tavel, nous faisons en effet face à un mur s’agissant des transmissions et des reprises d’entreprises, mais cet enjeu dépasse le champ de l’ESS. Il me semble plus intéressant de travailler à la réforme et à la modernisation de statuts intégrés dans la loi Hamon, en particulier les sociétés anonymes à participation ouvrière (Sapo), pour éviter que certaines entreprises ne vivent que de la perfusion de subventions publiques, alors que d’autres, situées au cœur de l’ESS, sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) ou Scop, parviennent à être lucratives.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Partant de la contrainte du rétablissement des finances publiques, je propose une augmentation de 50 % par rapport à la copie gouvernementale. Certains voudraient que nous allions plus loin, mais cela représente tout de même une hausse des crédits par rapport au niveau auquel ils se situaient ces dernières années.

Ces 8 millions d’euros, il me paraît important de les concentrer sur l’accompagnement des têtes de réseaux, mais vos arguments en faveur de la conversion sont fondés et l’on pourrait envisager une répartition autre, avec 6 millions pour les têtes de réseaux et 2 millions pour le fonds de conversion. C’est la raison pour laquelle je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte les amendements identiques.

 

Amendement II-CE34 de M. Paul Midy.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Il vise à augmenter de 400 000 euros le budget alloué aux têtes de réseaux de l’ESS.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-CE33 de M. Paul Midy, II-CE8 de Mme Claire Lejeune, II-CE14 et II-CE16 de Mme Valérie Rossi (discussion commune).

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter de 3 millions d’euros les crédits de la sous-action 1, en particulier pour soutenir les Cress, qui ont vocation à animer le réseau des acteurs de l’ESS et à les accompagner, alors que leurs difficultés vont aller croissant.

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). L’amendement II-CE8, issu d’une recommandation d’ESS France, propose d’augmenter de 2,5 millions les crédits consacrés au dispositif d’accueil, d’information et d’orientation des Cress.

Mme Valérie Rossi (SOC). L’amendement II-CE14 a le même objectif que le précédent. Quant à l’amendement II-CE16, il vise, avec 1 million de crédits supplémentaires, à aider les Cress à remplir la mission qui leur a été confiée d’établir la liste des entreprises de l’ESS à l’échelle régionale et nationale et d’assurer sa consolidation. Précisons que cette liste permet notamment de répondre aux besoins des établissements bancaires et des organismes finançant et accompagnant ces entreprises.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Je vous invite à retirer ces trois amendements au profit de mon amendement II-CE33. D’une part, il propose une augmentation de crédits plus forte – 3 millions d’euros, contre 2,5 millions ou 1 million. D’autre part, il est de portée plus générale, puisqu’il concerne la totalité de la sous-action 1, ce qui donne davantage de flexibilité au Gouvernement, notamment à la nouvelle ministre chargée de l’économie sociale et solidaire, et à l’administration pour décider où affecter les crédits.

Mme Olivia Grégoire (EPR). Forte de mon expérience gouvernementale, j’estime qu’il est en effet bon de laisser des marges de manœuvre à l’exécutif au niveau central. En 2020, sur une enveloppe totale de 19 millions d’euros, 11 millions relevaient des Cress, 8 millions de l’administration centrale. Je ferai une remarque impertinente à l’heure où il est de plus en plus question de déconcentration et de décentralisation : le « r » de Cress a toute son importance et peut-être pourrions-nous suggérer aux régions d’augmenter leur part dans le financement de ces chambres, abondé pour plus de la moitié par le budget l’État, alors que son poids est moindre dans les mécanismes de financement.

Mme Valérie Rossi (SOC). Il me semble que si l’on ajoute les 2,5 millions d’euros de mon premier amendement au million du second, on aboutit à une somme supérieure aux 3 millions du vôtre, monsieur le rapporteur.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Vos amendements portant sur la même sous-action, on ne peut cumuler les augmentations qu’ils visent : c’est soit l’une, soit l’autre, soit aucune des deux. Mon amendement est donc mieux-disant que les trois autres avec lesquels il est en discussion commune.

La commission adopte l’amendement II-CE33.

En conséquence, les amendements II-CE8, II-CE14 et II-CE16 tombent.

 

Amendements II-CE9 de Mme Alma Dufour et II-CE17 de Mme Valérie Rossi (discussion commune).

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Notre amendement a pour objet de financer, à hauteur de 1 million, la création d’une administration déconcentrée entièrement dédiée à la mise en œuvre des politiques de l’État en faveur du développement de l’ESS.

J’ajoute, monsieur le rapporteur pour avis, que la présentation que vous faites de vos propositions d’augmentation me paraît excessive. La copie du Gouvernement est en net recul par rapport à l’enveloppe consacrée à l’ESS l’année dernière. Sans doute serait-il plus honnête de fonder votre comparaison sur les chiffres du PLF pour 2024.

Mme Valérie Rossi (SOC). Pour soutenir la création d’une administration déconcentrée dédiée l’ESS, il est proposé de majorer de 1 million les crédits de l’action 04.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Monsieur Bompard, l’ingénieur que je suis,aime la précision en matière de chiffres. Je vous indique donc que l’augmentation que je propose est de 50 % par rapport au budget prévu pour cette année et de 25 % par rapport aux crédits du PLF précédent, soit dix fois plus que l’inflation attendue l’année prochaine.

Je partage votre ambition de créer une administration déconcentrée consacrée à l’ESS et considère qu’elle doit faire l’objet de discussions dans le cadre du plan national de mobilisation, mais vous conviendrez avec moi que 1 million d’euros est une somme insuffisante. À court terme, il paraît utile de viser l’efficacité de l’existant : il importe de s’assurer que les agents des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) consacrent le temps nécessaire à l’examen des demandes d’agrément Esus et à d’autres procédures administratives. Demande de retrait.

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Je maintiens notre amendement : même si cette somme est insuffisante, il faut marquer notre volonté de donner une impulsion à la création de cette administration.

Mme Olivia Grégoire (EPR). Le mieux est l’ennemi du bien. Je salue votre ambition, mais l’urgence n’est pas tant de créer une nouvelle administration pour l’ESS que de rationaliser le fonctionnement des administrations existantes, ce qui n’implique pas forcément de procéder à des coupes budgétaires. Sur le terrain, certains acteurs de l’ESS ignorent même que les Cress existent ou qu’ils peuvent s’adresser aux personnes chargées de l’ESS au sein des préfectures, j’ai pu le constater à de nombreuses reprises. Mon objectif, que je n’ai rempli qu’à moitié, a été de mettre en place dans chaque préfecture un équivalent temps plein (ETP) dédié à l’ESS, alors que celle-ci est toujours mélangée avec les activités culturelles, la vie associative, la jeunesse, ne représentant que des tiers ou des quarts d’ETP. De grâce, faisons d’abord en sorte que cet accueil spécifique soit assuré.

Mme Valérie Rossi (SOC). Pour les mêmes raisons que M. Bompard, je maintiens mon amendement, signe fort adressé aux acteurs de l’ESS.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. J’ajoute un argument : la proposition d’augmentation que vous faites ne porte pas sur la bonne ligne budgétaire.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement II-CE35 de M. Paul Midy

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Il s’agit d’augmenter les crédits consacrés aux PTCE, dont nous avons souligné le rôle primordial, de 300 000 euros, soit une hausse de 13 % par rapport à 2024.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements II-CE10 de Mme Claire Lejeune et II-CE18 de Mme Valérie Rossi (discussion commune).

Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). L’amendement II-CE10 vise à créer un programme d’accompagnement national centré sur l’écosystème de l’ESS afin de favoriser l’accès aux fonds du plan France 2030.

Mme Valérie Rossi (SOC). Nous considérons que les entreprises de l’ESS ont un rôle à jouer dans le déploiement de ce plan d’investissement destiné à rattraper le retard industriel de notre pays, à investir massivement dans les technologies innovantes et à soutenir la transition écologique. Par cet amendement, nous entendons faciliter le déploiement de consortiums d’entreprises de l’ESS afin de faciliter leur accès aux appels à projets, auxquels très peu d’entre elles sont candidates, compte tenu de leurs statuts.

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Je partage l’ambition qui sous-tend vos amendements. À moyen et long terme, nous devons préparer la suite du plan France 2030 avec un plan de France 2050 doté de 100 milliards dédiés aux innovations technologiques et sociales et aux technologies de rupture. À court terme, il faut davantage mobiliser les fonds de France 2030 pour les acteurs de l’ESS. Nous avons déjà adopté 9 millions de crédits supplémentaires afin de les accompagner dans leurs démarches pour accéder à ces financements : vos amendements sont satisfaits et je vous demande de bien vouloir les retirer.

Au-delà, je mettrai l’accent sur la nécessité de modifier les pratiques et la structure des appels à projets. Je m’engage à demander aux équipes de France 2030, au sein du secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et de BPIfrance, de porter une attention particulière aux acteurs de l’ESS, en vue notamment de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent pour se porter candidats aux appels à projets.

La commission rejette l’amendement II-CE10, l’amendement II-CE18 ayant été retiré.

 

Après l’article 59

 

 

Amendements identiques II-CE28 de M. Paul Midy et II-CE20 de Mme Alma Dufour

M. Paul Midy, rapporteur pour avis. Nous demandons la création d’un orange budgétaire qui nous permette de disposer, chaque année, d’une vision transversale des crédits de l’ESS. À ce propos, je salue le travail qu’avait accompli l’administration, à la demande du Parlement et sous la conduite d’Olivia Grégoire, pour nous donner une telle vision d’ensemble sur l’année 2022.

Mme Olivia Grégoire (EPR). J’ai fait créer au sein de la direction générale du Trésor, en 2020 ou 2021, le Bessi (bureau économie sociale et solidaire et investissements à impact), composé d’une dizaine de fonctionnaires formidables qui se tiennent à la disposition de la représentation nationale, des acteurs nationaux et régionaux de l’économie sociale, ainsi que des entreprises désireuses de profiter des financements du plan France 2030.

La commission adopte les amendements.

 

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*   *

 

Puis, la commission a procédé à l’examen pour avis, sur le rapport de M. Jérôme Nury, des crédits se rapportant aux Communications électroniques et à l’économie numérique de la mission « Économie ».

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Les crédits relatifs aux communications électroniques et à l’économie numérique, au sein de la mission Économie, recouvrent les dépenses publiques en faveur du déploiement des réseaux numériques et de l’inclusion numérique, ainsi que les budgets de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et de l’Agence nationale des fréquences (ANFR).

Nous avons tous conscience du caractère particulier de ce projet de loi de finances, dans le contexte actuel de dégradation des finances publiques : l’objectif fixé par le Gouvernement est de ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025. Les crédits sur lesquels porte mon avis budgétaire ont été mis à contribution pour atteindre cet objectif, mais dans une mesure qui me semble raisonnable, c’est-à-dire sans mettre en cause l’avenir de nos réseaux.

Je me propose de vous détailler rapidement, dans une première partie, les principales évolutions des crédits destinés aux communications électroniques, avant de faire un point d’étape sur le plan France Très Haut débit et le New Deal mobile. Je reviendrai enfin, en conclusion, sur quelques priorités numériques pour l’année 2025, en lien avec ces constats.

Venons-en, pour commencer, aux crédits « Numérique » de la mission Economie du projet de loi de finances pour 2025.

Ces crédits sont ceux du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » et du programme 343 « Plan France Très Haut Débit ».

Un premier constat s’impose : ces crédits participent à l’effort global de réduction des dépenses publiques engagé dans le présent projet de loi de finances.

Le programme 134 connaît en effet une baisse de 20 % de ses autorisations d’engagement (hors titre 2) et de 9 % de ses crédits de paiement (sur le même périmètre). Sont ainsi prévus 2,5 milliards d’euros (Md€) d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement pour la totalité du programme. Un peu plus de 730 millions d’euros (M€) en autorisations d’engagement et en crédits de paiement sont consacrés à l’action Développement des postes, des télécommunications et du numérique, pilotée par la direction générale des entreprises (DGE).

L’action 13, qui correspond au budget de l’Arcep, est dotée de 22 M€ d’autorisations d’engagement et de 25 M€ de crédits de paiement.

Ces chiffres appellent plusieurs remarques.

Pour ce qui concerne le programme 134, la baisse des crédits ne concerne que marginalement les crédits affectés au numérique : elle touche essentiellement des actions en lien avec l’industrie, les services et Business France.

Par ailleurs, le budget de l’Arcep est en très légère hausse avec 22 M€ en autorisations d’engagement et 25 M€ en crédits de paiement. L’Autorité m’a indiqué avoir fait un effort de gestion interne pour créer un équivalent temps plein (ETP) et bénéficier de transferts d’ETP afin d’assurer ses nouvelles missions, telles que la régulation de la donnée et le contrôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi).

Enfin, l’ANFR voit son budget baisser fortement par rapport à l’année dernière, ce qui paraît logique compte tenu de la fin des Jeux olympiques. En 2024, l’Agence avait bénéficié de crédits très importants, de 59 nouveaux ETP accordés en deux fois pour mener à bien l’ensemble de ses missions, ainsi que d’une dotation budgétaire supplémentaire de 11 M€ sous forme d’une subvention d’investissement et de fonctionnement. Ces crédits ne sont logiquement pas reconduits ; le financement de l’ANFR consiste désormais exclusivement en une subvention pour charges de service public à hauteur de 42,5 M€ – un montant raisonnable.

Les crédits du programme 343 « Plan France Très Haut Débit » apparaissent en forte baisse. Sont actuellement prévues, pour 2025, des enveloppes de 47 M€ en autorisations d’engagement, soit une baisse de 50 %, et de 247 M€ en crédits de paiement, soit une baisse de 46 %.

L’ouverture de nouvelles autorisations d’engagement concerne principalement l’action n° 03 « Inclusion numérique », qui finance les conseillers numériques des maisons France Services, à hauteur de 27 M€. Les autres nouvelles autorisations d’engagement sont inscrites au sein de l’action n° 02 « Autres projets concourant à la mise en œuvre du plan France Très Haut Débit », dont les crédits sont multipliés par trois pour atteindre 19 M€ en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Cette forte hausse s’explique par la création d’un dispositif visant à soutenir le financement des raccordements complexes en domaine privé. S’agissant du financement des réseaux d’initiative publique (RIP) et après une première annulation de crédits à hauteur de 117 M€ en crédits de paiement et de 38 M€ en autorisations d’engagement au mois de février dernier, les crédits proposés au sein du projet de loi de finances sont en retrait par rapport à l’année dernière, avec seulement 220 M€ (raccordements complexes compris) – contre 422 M€ inscrits dans la loi de finances initiale pour 2024.

En tant que rapporteur, j’ai interrogé les pouvoirs publics – notamment l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) – afin de savoir si ces montants seraient suffisants. On m’a répondu, au sujet de l’annulation opérée en février 2024, qu’une réévaluation des besoins des collectivités et les retards parfois pris par les bénéficiaires de ces fonds permettaient de décaler le décaissement des crédits sans le ralentir. Très concrètement, cela signifie que cette coupe budgétaire n’a pas eu d’effet sur le rythme de déploiement des réseaux, mais que les crédits doivent être bien calibrés dans le projet de loi de finances pour 2025. C’est le sens de mon amendement II-CE36, qui vise à abonder cette ligne de 50 M€.

Malgré cette incertitude, je considère que les baisses demeurent mesurées et que les budgets accordés à l’Arcep et à l’ANFR sont satisfaisants. Je donnerai donc un avis favorable à l’adoption de ces crédits, sous réserve des ajustements que je proposerai pour La Poste et les réseaux d’initiative publique (RIP).

J’en viens à l’état d’avancement du plan « France Très Haut Débit » et du New Deal mobile. Les deux premiers jalons du plan « France Très Haut Débit » semblent avoir été respectés : une grande partie des Français peuvent accéder au « bon haut débit » depuis la fin de l’année 2020 et au « très haut débit » depuis 2023, grâce à la fibre ou à une autre technologie. Il reste néanmoins des cas particuliers, dont les pouvoirs publics sont tout à fait conscients. Je pense notamment aux territoires ultramarins, en particulier la Guyane et La Réunion.

S’agissant du rythme de déploiement, les choses avancent bien, mais des inquiétudes légitimes s’expriment quant à la finalisation du plan. Si le taux de locaux raccordables à la fibre optique jusqu’au domicile (FTTH) était de 89 % fin juin, les déploiements en zone très dense sont à l’arrêt. Nombre de ces raccordements ne sont pas achevés. Dans les zones moins denses d’initiative privée que sont les zones Amii (Appel à manifestation d’intention d’investissement) et Amel (Appel à manifestation d’engagements locaux), le régulateur a mis, à raison, la pression sur les opérateurs qui étaient en train de renoncer à leurs engagements de complétude. Les nouveaux engagements signés par les opérateurs doivent permettre d’améliorer encore la couverture et de limiter les retards constatés. Nous devons évidemment être vigilants quant à la bonne volonté des uns et des autres. L’inquiétude est moindre dans les zones RIP, où le rythme est satisfaisant et devrait permettre, dans la plupart des cas, la généralisation de la fibre autour de l’objectif fixé – sauf exceptions. Cela montre la qualité de l’engagement des acteurs de terrain, des opérateurs ainsi que des collectivités, qui sont souvent maîtres d’ouvrage dans ce domaine.

En définitive, s’agissant du plan « France Très Haut Débit », la principale difficulté tient au respect de l’objectif de généralisation de la fibre optique. Rappelons que cet objectif n’était pas inscrit dans la phase initiale du plan : il a été ajouté en 2020, eu égard au succès des premiers déploiements. Une chose est sûre : si l’écrasante majorité des Français pourront, comme promis, être raccordés à la fibre d’ici à la fin de l’année 2025, le taux de raccordement ne sera pas de 100 % des locaux – les projections issues du relevé géographique de l’Arcep donnent plutôt des taux compris entre 95 % et 98 % selon les zones concernées.

Ce constat appelle, à mon sens, deux remarques.

En premier lieu, il pose la question de la faisabilité technique et financière de l’objectif du « 100 % fibre ». S’il semble techniquement possible de s’approcher de cet objectif, sa rationalité financière est plus discutable : les raccordements les plus complexes peuvent en effet coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros, alors que d’autres solutions existent et s’avèrent même de plus en plus performantes.

En second lieu, nous devons nous pencher sur le problème spécifique des raccordements complexes, dont l’évaluation n’est pas aisée. Le chiffre de quatre cent mille à cinq cent mille raccordements, qui circule beaucoup, ne concerne que les raccordements complexes au sein du domaine public, où les ressources en génie civil sont insuffisantes. Mais il existe également des raccordements complexes dans le domaine privé ; ils sont alors à la charge du propriétaire ou du promoteur, ce qui pose une difficulté supplémentaire. Le Conseil général de l’économie, qui relève du ministère de l’économie et des finances, estime que cette situation concerne de 6 % à 8 % des locaux privés, soit 1,1 à 1,4 million de propriétaires, pour un coût total compris entre 640 M€ et 1 Md€. Le dispositif prévu dans le présent projet de loi de finances pourrait paraître insuffisant, le montant budgété n’étant que de 16 M€ ; il me semble au contraire adapté, dans la mesure où il est expérimental et où il ne revient sans doute pas à l’État d’absorber la totalité du surcoût dans le domaine privé.

Sur le New Deal mobile, je serai assez bref pour ne pas empiéter sur les travaux que notre collègue Éric Bothorel et moi-même conduirons dans le cadre d’une mission d’information. Le New Deal mobile est, globalement, un succès. Cet accord a permis de généraliser la couverture mobile en 4G, de la densifier et de réduire les « zones blanches ». Dans son point d’étape de février dernier, l’Arcep le dit clairement : la part du territoire située en zone blanche, qui est aujourd’hui de 1,9 %, a été divisée par dix entre 2018 et 2022. Le dispositif de couverture ciblée, dont l’efficacité est unanimement saluée, a grandement contribué à atteindre ce résultat. Ce taux de 1,9 % peut paraître très faible, mais il est encore beaucoup trop élevé pour les habitants des zones concernées. Dès lors, que faire ? Les besoins sur le terrain sont évidents – les équipes-projets les ont d’ailleurs fait remonter à l’ANCT, qui évalue à près de deux mille le nombre de sites supplémentaires qui pourraient être nécessaires. Il nous faudra donc trouver, avec Éric Bothorel, le meilleur équilibre, afin de répondre à ces demandes tout en gardant à l’esprit le contexte budgétaire dans lequel nous nous trouvons.

Seuls les résultats relatifs à la couverture des axes routiers et ferroviaires ne sont pas encore complètement convaincants. Les indicateurs de l’Arcep s’améliorent, mais la réalité semble parfois différente sur le terrain. Du reste, la connectivité en mobilité présente des difficultés particulières. Nous devons néanmoins veiller au juste développement de cette couverture mobile, particulièrement nécessaire pour nos concitoyens.

En conclusion, j’aimerais fixer quatre priorités pour l’année à venir en matière de numérique.

La première priorité est de reprendre la discussion des projets et propositions de loi ayant pour but de simplifier le déploiement des réseaux. Je pense notamment à la proposition de loi de notre collègue Bothorel visant à simplifier et accélérer la couverture mobile du territoire, ainsi qu’au projet de loi de simplification de la vie économique, en cours d’examen au Sénat. Les mesures contenues dans ces textes correspondent à des demandes que les acteurs du secteur ont réitérées lors des nombreux échanges que j’ai eus avec eux.

La deuxième priorité concerne la fermeture du réseau cuivre : il convient de mieux faire connaître cette perspective et de s’assurer du maintien de la qualité de service, ainsi que de la disponibilité de la fibre, lorsqu’arrivera l’échéance, comme le prévoit la réglementation.

La troisième priorité tient à l’avenir du New Deal mobile : je n’y reviens pas, car ce sera l’objet de notre mission d’information.

La dernière priorité est d’ordre fiscal : il faut continuer de soutenir une action forte au niveau européen pour mettre fin à l’asymétrie fiscale entre les grandes plateformes, qui injectent beaucoup de contenus, et les opérateurs, qui financent le bon dimensionnement des réseaux. À ce sujet, j’ai formulé quelques pistes qui pourraient être utilement approfondies.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie d’avoir souligné les gros efforts restant à accomplir dans les outre-mer dans le domaine du numérique.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Julien Gabarron (RN). La data est l’or du XXIe siècle. Pour maîtriser cette ressource stratégique, il est indispensable de disposer d’un réseau performant et d’infrastructures de cloud souveraines et sécurisées.

Bien qu’il accompagne le développement des infrastructures et le soutien à l’économie numérique, le projet de loi de finances pour 2025 n’est pas à la hauteur des enjeux. Le budget alloué au déploiement de la fibre optique et à la réduction de la fracture numérique est insuffisant, notamment dans les zones rurales. L’objectif initial de généralisation de la fibre d’ici 2025 semble hors de portée et le manque de fermeté envers les opérateurs privés contribue à cet échec. Malgré les nouvelles prérogatives confiées à l’Arcep par la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, dite loi « Sren », notamment en matière d’attribution et de contrôle des infrastructures de cloud, l’Autorité manque de moyens pour relever ces défis. Nous comprenons qu’élaborer un budget implique de faire des choix, mais toute tergiversation quant au renforcement de notre souveraineté numérique entraînera un retard et une vulnérabilité irrattrapables par rapport à nos concurrents.

Parlons justement de nos concurrents : notre dépendance aux technologies étrangères est dangereuse et compromet notre souveraineté numérique. Pire encore : au lieu de démanteler les antennes Huawei, comme le prévoyait la loi de 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles, les gouvernements successifs ont prolongé leur utilisation jusqu’en 2031, alors même qu’apparaissent les prémices d’une guerre économique avec la Chine. Demain, la guerre numérique sera une réalité, mais nous restons désarmés et ne serons pas prêts.

Parlons maintenant de la fracture numérique, un sujet à peine effleuré dans ce projet de loi. Il est inadmissible qu’en 2025, des millions de Français, notamment en zone rurale, soient encore privés d’accès aux services numériques de base. Une révision complète de la gouvernance et des priorités du plan « France Très Haut Débit » est indispensable ; elle passera par un renforcement des pouvoirs de l’Arcep, qui doit pouvoir adopter des mesures contraignantes au lieu de se contenter d’audits. La couverture du territoire stagne, aux alentours de 90 %, alors que le plan de sortie du cuivre suit sa feuille de route. Pour parvenir à une couverture de 100 % du territoire – un objectif non négociable – et connecter les derniers kilomètres, qui sont les plus coûteux et les moins rentables, nous avons besoin de mécanismes incitatifs et de moyens de contrôle rigoureux des prestataires et des opérateurs. Le plan « France Très Haut Débit » et le New Deal mobile ne seront un succès que lorsque le dernier usager sera connecté.

En matière de cybersécurité, favorisons l’émergence de champions nationaux et européens en adoptant des mesures fiscales ambitieuses, en instaurant la préférence nationale dans les marchés publics concernant la sécurité et les infrastructures critiques, et en exerçant un contrôle strict sur les acquisitions étrangères dans les secteurs stratégiques. La sécurité numérique n’est pas une simple ligne budgétaire, c’est une question de survie économique et nationale.

Ce projet de loi ne va pas assez loin. Le numérique n’est clairement pas une priorité pour le Gouvernement, qui apprécie mal les enjeux et n’accorde pas aux acteurs du secteur des moyens suffisants. Défendons une vision ambitieuse pour la France, celle d’une nation souveraine dans le domaine du numérique, capable de protéger ses citoyens et de garantir l’accès de tous aux technologies de demain. La France mérite mieux que d’être une simple consommatrice des technologies des autres. Nous avons les talents, les compétences et le souhait de devenir un leader dans le domaine du numérique, mais cela nécessite des choix stratégiques audacieux, des investissements significatifs et, surtout, une volonté politique forte que ce projet de loi ne traduit pas.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Je souscris à vos propos sur la réalisation de l’objectif « 100 % fibre » en 2025. Je suis d’ailleurs allé dans ce sens dans mon rapport. On voit cependant que la fibre ne sera pas suffisante et qu’il faudra se tourner vers d’autres technologies.

S’agissant du renforcement de la souveraineté numérique, je ne peux là encore qu’être d’accord avec vous, mais il sera difficile de rattraper le train que nous avons raté il y a dix ou quinze ans. Nous voulons surtout que les grandes plateformes soient soumises à l’impôt national, auquel elles échappent aujourd’hui – ce qui leur évite de participer au renforcement de nos infrastructures.

En ce qui concerne la fracture numérique, vous avez également raison, mais permettez‑moi de vous rappeler que le budget prévoit 27 M€ pour financer les fameux « conseillers numériques » très utiles dans les territoires ruraux.

M. Éric Bothorel (EPR). Alors que le contexte actuel exige des économies, force est de constater que ce budget sécurise globalement des dispositifs en faveur de l’économie numérique qui ont fait leurs preuves, à quelques exceptions près.

Au sein du programme 134, je salue les 2,1 M€ consacrés au déploiement du filtre antiarnaques, même si je regrette vivement que le groupement d’intérêt public « Action contre la cybermalveillance » (GIP Acyma) ne soit pas chargé de la mise en œuvre de ce dispositif. Je salue aussi l’intention du Gouvernement de revenir sur la baisse de 50 M€ des crédits alloués au groupe La Poste, dans le cadre du contrat de présence postale territoriale indispensable pour nos concitoyens.

S’agissant du programme 343, votre rapport souligne le succès du plan « France Très Haut Débit ». Malgré des délais légèrement supérieurs aux objectifs, l’État a été au rendez-vous et poursuit son engagement. Le lancement d’une expérimentation de financement des raccordements privés, à hauteur de 16,1 M€, est une excellente chose.

En revanche, le projet de loi de finances divise quasiment par deux les crédits alloués au dispositif des conseillers numériques France Services, qui passent de 41,8 M€ à 27,8 M€ : pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Vous souscrivez aux réformes des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau (Ifer) fixe et mobile, en précisant toutefois qu’il n’est pas opportun de les mener cette année. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Enfin, vous appelez à la reprise de la discussion du projet de loi de simplification de la vie économique et de ma proposition de loi visant à simplifier et accélérer la couverture mobile du territoire, dont l’examen a été interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale. Ces textes comportent des mesures de simplification attendues par les acteurs du secteur et nos concitoyens. Je souhaite, comme vous, qu’ils soient examinés rapidement par notre assemblée.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Nous n’avons pas la certitude que le Gouvernement ait réellement décidé de revenir sur la baisse des crédits alloués à La Poste. Voilà pourquoi je défendrai tout à l’heure un amendement visant à abonder cette ligne des 50 M€ qui me paraissent indispensables pour que La Poste puisse assurer ses missions au titre de l’aménagement du territoire.

S’agissant des raccordements complexes, qui peuvent concerner des zones publiques comme privées, nous abordons le nœud du problème, notamment dans les territoires ruraux où il est parfois nécessaire de tirer plusieurs kilomètres de câbles, ce qui coûte très cher tant à nos concitoyens qu’aux gestionnaires de réseaux et d’infrastructures. L’expérimentation qui pourrait être tentée en 2025 méritera d’être suivie avec la plus grande attention, avant une éventuelle généralisation en 2026.

Si l’État continue d’accompagner le déploiement des conseillers numériques, conformément à ses engagements, il n’est pas prévu qu’il finance ce dispositif de manière pérenne. Certes, il prendra encore en charge la rémunération d’une partie de ces personnels en 2025, mais cette dépense reviendra progressivement aux collectivités locales, qui sont les employeurs des conseillers numériques.

Enfin, j’entends votre remarque sur l’Ifer mobile. Il est encore possible de travailler sur ce sujet, mais il ressort des auditions que nous avons menées que les opérateurs formulent beaucoup moins de demandes qu’ils ne le faisaient il y a quelques années à propos de l’Ifer fixe, qui a été plafonnée.

M. Manuel Bompard (LFI-NFP). La saignée concoctée par le gouvernement de Michel Barnier sous le regard bienveillant du Rassemblement national n’épargne pas le développement du réseau internet. Nous en avions déjà eu un avant-goût quand Bruno Le Maire avait annulé, en février, 117 M€ du plan « France Très Haut Débit » – ce n’est pas une paille, c’est un quart du budget qui s’envole d’un trait de plume en cours d’année ! Le budget 2025 aggrave encore la situation : les crédits de « France Très Haut Débit » sont inférieurs de 45 M€ à ce qui était annoncé pour 2025 dans le projet de loi de finances de l’année précédente.

L’avancement du plan ou les besoins en matière de réseaux numériques justifient-ils une telle baisse ? Évidemment non : la couverture numérique du pays stagne et le rythme des déploiements a fortement ralenti en 2024. C’est le cas dans des zones rurales, bien sûr, mais aussi dans des villes. Marseille, la deuxième ville de France, dont je suis le député, fait ainsi partie des métropoles les moins bien loties, avec un taux de couverture de seulement 75 % mi-2022. Il reste cinq millions de locaux à rendre raccordables à la fibre, et la « coupe » de Bruno Le Maire a mis un coup d’arrêt au traitement des raccordements complexes. L’objectif de généralisation de la fibre fin 2025 est donc hors d’atteinte, comme le souligne le rapport.

L’accès au très haut débit doit être possible à un prix abordable. Nous constatons à ce sujet une hausse inquiétante des tarifs depuis 2020. Selon l’Arcep, la facture moyenne d’un abonnement internet à haut débit a augmenté de plus de trois euros par mois depuis 2022, soit une hausse tarifaire de 10 %, les box les moins chères étant les plus touchées. Alors qu’ils captent les bénéfices des politiques publiques, les opérateurs privés n’assument pas leurs engagements relatifs au développement du réseau : les raccordements dans les zones d’initiative privée ont chuté, alors que les revenus dégagés par les abonnements internet ont augmenté de près de 7 % en un an.

Enfin, de l’aveu même de monsieur le rapporteur pour avis, le budget de l’Arcep est en deçà des besoins. Après déduction de l’inflation, il apparaît en stagnation et si l’on tient compte des nouvelles missions confiées à l’Autorité, on s’aperçoit que ce sont des économies qui lui sont demandées. Or ces économies de « bouts de chandelle » entravent sa capacité à mener ses missions d’intérêt général.

Nous voulons garantir le droit d’accès à internet, car il s’agit d’un réseau essentiel. Pour ce faire, nous devons nous donner les moyens de couvrir tout le pays. Non seulement ce budget ne concourt pas à la réalisation de cet objectif, mais il nous en éloigne. Vous l’aurez compris, le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ne votera pas les crédits de cette mission.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. J’entends vos inquiétudes quant à l’annulation de 117 M€ en février 2024. Nous avons cependant interrogé l’ANCT, ainsi qu’un certain nombre de partenaires de l’État, à commencer par les opérateurs des RIP et les collectivités locales, qui nous ont assuré que cette annulation de crédits n’avait pas eu de conséquence sur le déploiement des réseaux accompagnés.

Le budget prévu pour 2025 a été ajusté en fonction des reports de crédits non consommés les années précédentes. Je rappelle que les RIP sont déployés à des vitesses différentes sur le territoire et que le décaissement des crédits par l’État intervient au fur et à mesure. Par ailleurs, l’ANCT dispose de réserves qui pourront être mobilisées en 2025. Je conviens cependant que le budget prévu est un peu juste ; c’est pourquoi je défendrai tout à l’heure un amendement visant à abonder de 50 M€ les crédits du programme, afin que l’État puisse honorer ses engagements l’année prochaine.

Vous évoquez un ralentissement du plan, mais il faut bien préciser les choses : ce ralentissement concerne surtout les zones denses, c’est-à-dire les zones Amii et Amel, où aucun cofinancement n’est prévu par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse des collectivités locales ou de l’État. Je vous ai indiqué tout à l’heure que l’Arcep avait mis la pression sur les opérateurs dans ces zones, ce qui pourrait accélérer le déploiement des réseaux.

Vous avez enfin parlé d’une hausse des prix. Je conviens que nous devons être vigilants sur ce point et nous assurer que nos concitoyens ont accès à internet et à la téléphonie mobile à des tarifs corrects. L’augmentation que vous évoquez concerne cependant des forfaits proposant un peu plus de services, de data et de vidéo à la demande (VOD). Il faut aussi en tenir compte.

M. Karim Benbrahim (SOC). Permettre l’accès au haut et au très haut débit est un enjeu d’égalité entre les territoires et entre les citoyens : en effet, il s’agit là d’une condition à la réussite des projets tant collectifs qu’individuels. La réussite du déploiement du haut et du très haut débit constitue donc, pour le groupe Socialistes et apparentés, un point de vigilance tout particulier. Les objectifs en la matière sont globalement tenus ; cependant, comme le souligne votre rapport, pas moins de 4,7 millions de locaux restent non raccordables à la fibre à un an de l’objectif calendaire fixé. Permettez-moi de regretter qu’Orange, encore détenu à 25 % par l’État et ses opérateurs, ait choisi la voie contentieuse pour contester les mises en demeure de l’Arcep concernant les déploiements en zone Amii. L’opérateur historique a pourtant une responsabilité, notamment sociétale, qui devrait l’inciter à mobiliser ses moyens pour investir dans le réseau.

Vous soulignez dans votre rapport que seuls les réseaux d’initiative publique stimulent encore la dynamique de déploiement du réseau au-delà de sa trajectoire naturelle ; vous indiquez dans le même temps que des interrogations demeurent quant au besoin de crédits budgétaires. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de rouvrir des autorisations d’engagement pour accompagner le développement de ces RIP et pensez-vous qu’il faille élargir le dispositif aux raccordements les plus complexes, afin d’achever plus vite le déploiement dans ces zones ?

Que préconisez-vous pour accompagner au mieux nos concitoyens face à la fin du réseau cuivre, à la lumière notamment de ce qui a été fait lors de la bascule vers la télévision numérique terrestre (TNT) ?

À ce stade des débats, nous constatons que les objectifs définis sont globalement tenus, mais que la trajectoire budgétaire retenue ne permet pas une couverture territoriale pleinement conforme à ces objectifs. Nous nous abstiendrons donc lors du vote sur les crédits de cette mission.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Nous partageons tous votre volonté d’assurer l’égalité d’accès des territoires au haut et au très haut débit. C’est le sens de l’engagement de l’État au côté des collectivités locales et des opérateurs. On dénombre encore un peu moins de cinq millions de locaux non raccordables. Il faudra déterminer, dans les mois qui viennent, s’il est opportun que la totalité des locaux soient raccordables à la fibre, étant donné le contexte budgétaire et l’ampleur du financement que devraient apporter les opérateurs. On peut se demander s’il ne conviendrait pas de recourir à des technologies alternatives qui fonctionnent de mieux en mieux, telles la 5G ou le satellite.

Orange a certes choisi le contentieux, mais doit s’en mordre les doigts car son recours a été rejeté et l’entreprise a dû s’acquitter d’une amende de 26 M€.

Il ne me paraît pas nécessaire d’avoir des autorisations d’engagement additionnelles en faveur des RIP, car leur déploiement touche à sa fin : il n’y a pas lieu d’accélérer les opérations, ni de lancer de nouveaux réseaux. Les RIP couvrent à présent l’ensemble du territoire, en complément de l’action des opérateurs dans les zones Amii et Amel.

Enfin, les crédits pour 2025 permettront d’adopter des mesures en faveur des raccordements complexes.

M. Vincent Rolland (DR). L’évaluation que vous avez faite du déploiement du réseau de la fibre sur le territoire national dans le cadre du plan « France Très Haut Débit » et du New Deal mobile montre que si les choses avancent, des motifs d’inquiétude subsistent : je pense, notamment, au recours à la sous-traitance. Il faut se féliciter des efforts réalisés, tout en ayant conscience que l’on peut encore améliorer le déploiement de la fibre. Nous avons été trop longtemps habitués à la cascade des sous-traitants et aux problèmes liés à des raccordements défectueux.

Sur la partie budgétaire à proprement parler, notre groupe ne peut que se satisfaire de la relative stabilité des crédits, eu égard au contexte. Alors que l’objectif du Gouvernement est de ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025, le maintien des crédits du numérique à un tel niveau révèle la volonté de préserver l’investissement dans nos zones rurales, ce qui est essentiel pour leur attractivité. La couverture 4G ne doit pas être l’apanage des zones métropolitaines. En outre, nous ne pouvons qu’approuver les propos du rapporteur sur les réflexions relatives à un éventuel deuxième New Deal.

L’Arcep doit, plus que jamais, soutenir les collectivités. En Savoie, XpFibre ne donne pas entièrement satisfaction – à cet égard, je ne peux que souscrire à votre recommandation relative à la conduite d’audits par l’Arcep. On nous signale l’installation de poteaux sur le domaine privé, même lorsque l’enfouissement est demandé. Dans les territoires de montagne, le cadre naturel – en particulier, la neige et les intempéries – exige la prise en compte de ce type de demandes. La qualité n’est pas au rendez-vous.

Enfin, je voudrais insister sur l’importance des crédits affectés aux agences postales accueillies par les communes et les points-relais commerçants. En effet, ces agences sont indispensables au monde rural. Une diminution des financements devrait être compensée par nos communes pour garantir un service qui ne relève pourtant pas de leur compétence. Le contrat de présence postale territoriale doit être défendu. Nous ne pourrons que souscrire à l’amendement que vous avez déposé en ce sens, qui vise à réaffecter 50 M€ de crédits.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Vous avez raison, il y a encore quelques mois, nous étions très inquiets face à la cascade de sous-traitants. Nous avions souligné, lors de l’audition des quatre opérateurs, combien cela créait de problèmes. Depuis lors, la filière a amélioré son organisation. La sous-traitance en cascade a pris fin : désormais, il ne peut plus y avoir que deux sous-traitants derrière un opérateur. Ensuite, des procédures ont été instituées pour garantir une plus grande qualité, notamment en matière de raccordement – il s’agit d’éviter, en particulier, qu’un fournisseur d’accès assure la connexion d’un client en débranchant un autre client. Les changements apportés semblent aller dans le bon sens.

Dans les zones de montagne et, plus généralement, dans les zones Amel et Amii, l’État doit être très vigilant sur l’activité des opérateurs d’infrastructures. L’Arcep, quant à elle, doit faire appliquer l’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques, qui l’autorise à demander à ces opérateurs d’assurer – conformément aux engagements qu’ils ont pris vis-à-vis des collectivités – les raccordements dans les délais prévus. Je suis certain, d’ailleurs, que l’Autorité y veille.

Il me paraît indispensable de renforcer l’accompagnement de La Poste par l’État dans le cadre des missions d’aménagement du territoire, qui sont essentielles pour le maintien des agences postales communales et intercommunales, ainsi que des points-relais de La Poste, qui nous sont très chers.

M. Benoît Biteau (EcoS). Élu d’une zone rurale, je suis très attaché à ce que l’accès au haut et au très haut débit ne soit pas l’occasion, une fois de plus, de tenir à l’écart les territoires ruraux. La dématérialisation, qui avance de façon galopante, peut être une réponse adaptée au monde rural, qui est éloigné des centres de décision, mais il faut veiller à ce qu’elle n’aille pas plus vite que le déploiement des réseaux du haut et du très haut débit.

Les zones rurales ne sont pas seulement résidentielles : elles accueillent aussi des activités économiques et professionnelles. Alors qu’on demande aux agriculteurs d’être toujours plus performants et plus proches des outils numériques, il faut rappeler que la connexion au haut et au très haut débit leur est indispensable pour l’emploi d’outils modernes. Des technologies telles que le satellite et la 5G pourraient, comme vous l’avez suggéré, être mises à la disposition du monde rural.

Je m’interroge sur un phénomène récurrent dans les zones rurales, à savoir la multiplication de pylônes qui pourraient être mutualisés. Un opérateur en particulier – Free, pour ne pas le citer – les installe d’une manière un peu sauvage, alors qu’il pourrait utiliser les structures existantes. Il me paraît incroyable qu’on ne puisse pas mutualiser les équipements en place.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Pour être également élu dans une circonscription rurale, je suis tout aussi attaché que vous à ce que les habitants de ces territoires aient accès aux mêmes infrastructures que les citadins. Sans la puissance publique, on le sait, les investisseurs privés ne viendraient pas chez nous. C’est le sens du plan « France Très Haut Débit » et du New Deal mobile. Les opérateurs, qui cherchent logiquement la rentabilité, avaient dans un premier temps mis les campagnes de côté.

Les territoires ruraux abritent en effet des activités économiques. Dans le cadre des RIP, d’ailleurs, on vise en premier lieu le fibrage des zones d’activité pour accompagner les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME).

La question des pylônes est récurrente : on voit bien, en effet, qu’on en installe plus qu’avant dans les territoires ruraux. Toutefois, les procédures prévoient bien leur mutualisation entre la distribution d’électricité, assurée par Enedis, et le déploiement de la fibre. Cela étant, des calculs de charge sont effectués pour vérifier qu’un pylône est en mesure d’accueillir un réseau supplémentaire. Par ailleurs, on ne dispose pas de fourreaux partout, ce qui impose parfois l’ajout de poteaux – il y a trente ou quarante ans, le cuivre avait été mis en pleine terre.

Mme Louise Morel (Dem). L’objectif qui apparaît en filigrane du New Deal mobile est la généralisation de la couverture en fibre optique sur l’ensemble du territoire national. À cet égard, on peut se réjouir du fait que, dès 2020, 100 % des locaux étaient éligibles au bon haut débit et qu’au 31 mars 2023, la totalité des locaux étaient considérés comme éligibles au très haut débit, dont 86 % par le biais d’une technologie filaire.

Pourtant, les perspectives pour 2025 inquiètent. Le budget des communications électroniques et numériques est marqué par une réduction préoccupante des crédits, notamment concernant le déploiement du très haut débit sur l’ensemble du territoire. Les financements dédiés aux réseaux d’initiative publique accusent ainsi une baisse de 52 %. Les habitants de nos circonscriptions nous font part régulièrement de leurs inquiétudes.

Comment pouvons-nous garantir que les zones rurales et isolées – en particulier, les territoires de montagne – ne soient pas les laissées-pour-compte dans un contexte de réduction des financements ? Quelles mesures peut-on envisager pour inciter les opérateurs à respecter leurs obligations dans ces zones où l’accès au numérique est essentiel ?

Ensuite, s’agissant des raccordements complexes, vous évoquez la possibilité de créer une structure financière pour sécuriser le financement des raccordements situés sur le domaine public, sans recourir directement aux deniers publics. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Enfin, vous traitez de la question cruciale de la taxation des géants du numérique et de leur contribution au financement des infrastructures numériques. À l’échelle européenne, des discussions sont en cours dans le cadre du projet Befit (Business in Europe : Framework for Income Taxation). Dans votre rapport, vous évoquez des pistes pour assurer une « contribution juste » (fair share) des plateformes numériques. Pouvez-vous nous apporter des précisions, notamment au sujet des difficultés techniques soulevées par l’Arcep ?

Vos réponses et le sort réservé aux amendements conditionneront le vote de notre groupe.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Il faut en effet se réjouir que la généralisation de la fibre optique, pilotée par l’État depuis plusieurs années, porte ses fruits. Elle n’a pu se faire que grâce à l’engagement massif de l’État, des collectivités locales – en premier lieu, des conseils départementaux et régionaux – et des opérateurs. Nous devons veiller à ce que cette dynamique, qui est proche de son aboutissement, parvienne effectivement à son terme.

Pour ce qui est des crédits, quelques ajustements me paraissent nécessaires. La réaffectation de 50 M€ que je vous propose par amendement garantirait, selon les différents acteurs et l’ANCT, qui gère ces financements, que le déploiement des RIP soit mené à son terme. Nous nous trouvons, rappelons-le, dans la phase finale – beaucoup de RIP sont réalisés à 90 ou 95 % –, ce qui explique la diminution des crédits.

En ce qui concerne les zones rurales, il faut partir du principe que nous n’aurons pas la fibre optique partout fin 2025. Il faut absolument que nous nous tournions vers d’autres technologies et que nous obligions les opérateurs, en zone Amii ou Amel, à respecter leurs engagements ; la loi permet à l’Arcep de le faire.

S’agissant des raccordements complexes, qui seront très coûteux, il nous appartient de mettre tout le monde autour de la table – opérateurs d’infrastructures, fournisseurs d’accès à internet et acteurs des RIP – pour trouver des solutions de financement.

M. Max Mathiasin (LIOT). Grâce aux efforts des collectivités territoriales, de l’État et des opérateurs, nous devrions parvenir à un taux de couverture moyen de 95 % d’ici à la fin 2025. Mais ce n’est qu’une moyenne. Au-delà de ces chiffres, en apparence positifs, il reste des territoires – et donc un certain nombre de nos concitoyens – privés de connexion, ce à quoi nous ne pouvons pas nous résoudre. Il faut maintenir les efforts, dans la dernière ligne droite, pour que soit tenue la promesse d’apporter la fibre sur tout le territoire – dans l’Hexagone comme outre-mer, en ville comme en zone périurbaine, en zone rurale comme en montagne.

Toutefois, telle n’est pas l’orientation prise par ce budget, qui s’inscrit plutôt dans le prolongement de la décision prise par Bruno Le Maire en février 2024 de rogner de 155 M€ les crédits dédiés aux RIP dans le plan « France Très Haut Débit ». Dans ces conditions, les zones complexes ne pourront pas être raccordées. En outre, l’accélération du raccordement à la fibre s’est traduite par une dégradation de la qualité : il arrive que l’opérateur branche un client en débranchant son voisin et que des armoires soient vandalisées. Tout cela entraîne des déconnexions fréquentes des usagers du réseau de la fibre. Ne crions donc pas victoire trop vite s’agissant du plan « France Très Haut Débit ».

La présence territoriale de La Poste suscite également des inquiétudes. Nous appelons le Gouvernement à tenir ses engagements et à revenir sur la décision, inscrite dans le projet de loi de finances, de diminuer de 50 M€ le budget dédié à l’aménagement du territoire.

Sur ces deux sujets, nous présenterons des amendements. Nous entendons défendre la cohésion des territoires et garantir à chacun, quel que soit son lieu de résidence, l’accès à des services essentiels.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. En février dernier, le ministre Bruno Le Maire avait rogné de 117 M€ les crédits du plan « France Très Haut Débit », mais cela n’a aucunement affecté la vitesse de déploiement des RIP. Il faut toutefois veiller à ce que nous disposions des crédits nécessaires, en 2025, pour mener à son terme le fibrage du pays comme il était prévu.

Je partage votre inquiétude concernant la sous-traitance, mais la qualité de cette dernière semble s’être véritablement améliorée d’après les éléments probants en notre possession. Il nous appartient d’être vigilants dans les territoires. Nous avons beaucoup de remontées à ce sujet. Les opérateurs ont, me semble-t-il, revu leurs procédures, ce qui a permis de retrouver une certaine qualité dans les raccordements – je pense aux branchements dans les armoires.

Je partage également votre inquiétude quant à l’outre-mer, où beaucoup reste à faire pour assurer le raccordement à la fibre. À Mayotte, le projet de RIP n’est pas encore lancé, ce qui appelle la mobilisation des élus nationaux et locaux.

Je suis, comme vous, attaché à la mission d’aménagement du territoire de La Poste. C’est pourquoi je vous proposerai, par amendement, de rétablir les 50 M€ que le Gouvernement a essayé discrètement de faire disparaître.

M. André Chassaigne (GDR). Dans votre rapport pour avis, vous mettez l’accent sur le plan « France Très Haut Débit », dont l’objectif est de permettre à tous les Français d’avoir accès, d’ici à la fin 2025, à une connexion par fibre optique. De ce fait, il a été décidé de fermer le réseau cuivre, ce qui a pour conséquence de laisser à l’abandon des personnes fragiles et isolées qui bénéficient parfois d’une téléassistance.

Actuellement, plus de quatre Français sur cinq peuvent théoriquement être raccordés à la fibre optique, ce qui ne veut pas forcément dire qu’ils le sont effectivement. Ainsi, l’UFC-Que choisir a révélé, dans une étude de 2023, la situation déplorable dans laquelle se trouvent des dizaines de milliers de particuliers en raison de malfaçons techniques, de débranchements sauvages, de rendez-vous non honorés ou de réparations effectuées plusieurs semaines après le signalement.

Le gouvernement précédent n’a pris aucune mesure pour remédier à cette situation. Êtes-vous favorable à la création d’un véritable « droit opposable » au très haut débit, resté jusqu’à présent lettre morte ? De fait, les opérateurs ne tiennent pas leurs engagements, notamment en matière de déploiement, lequel stagne dans de nombreux territoires dont la couverture demeure incomplète.

Nous prenons acte de la mise en œuvre dans le présent budget d’un dispositif expérimental de financement des raccordements privés à hauteur de 16,1 M€, mais nous regrettons l’amputation de 52 % des moyens alloués aux RIP et la diminution tout aussi spectaculaire des crédits relatifs à l’inclusion numérique. Destinés au recrutement de quatre mille « conseillers numériques » auprès de France Services, ces crédits visaient pourtant à lutter contre l’illectronisme. Ce phénomène, qui touche encore 15 % de la population française, suscite beaucoup d’angoisse et alimente le sentiment d’abandon de ceux qui vivent dans ce qu’il faut bien appeler des « territoires oubliés de la République ».

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. En effet, nous avons grandement besoin des conseillers numériques, notamment dans les territoires ruraux, où la disparition des services publics de proximité oblige nos concitoyens, dont beaucoup ne maîtrisent pas les nouvelles technologies, à faire certaines démarches sur internet. Toutefois, ce dispositif a vocation à être pris en charge, à terme, par les collectivités, puisqu’il était prévu que l’État ne le finance que pendant trois ans. On peut espérer, au demeurant, que nos concitoyens acquièrent progressivement une meilleure maîtrise de ces technologies.

S’agissant de l’abandon du réseau cuivre, je suis, là encore, d’accord avec vous : nous devons être très vigilants. En effet, le décommissionnement peut avoir des conséquences dramatiques pour des personnes âgées qui bénéficient d’une téléassistance ou d’une téléalarme. Il faut donc, en liaison avec les opérateurs et les maires, préparer, plusieurs mois à l’avance, les personnes concernées au basculement vers la fibre.

Quant à l’entretien de ce réseau, il est vrai que l’opérateur historique, dont c’est la responsabilité, ne l’assure pas toujours correctement. Il arrive ainsi que des câbles de cuivre traînent dans des fossés et ne soient pas réparés avant plusieurs mois ; c’est intolérable. L’opérateur prétend consacrer cinq cents millions d’euros à cet entretien : j’ai du mal à le croire. En tout état de cause, il doit réviser ses procédures – à nous de faire pression sur lui en ce sens – pour être plus réactif, à l’instar d’Enedis, par exemple, qui intervient très efficacement sur le réseau électrique.

M. Benoît Biteau (EcoS). Je reviens à mes fameux pylônes. Leur capacité à accueillir des émetteurs a été vérifiée, les gaines existent, mais le fait est qu’un opérateur – toujours le même, Free – refuse de coopérer. Même les maires ne parviennent pas à lui imposer d’utiliser les pylônes existants !

 

Article 42 et état B : Crédits du budget général

 

Amendement II-CE22 de Mme Claire Lejeune et amendements identiques II-CE37 de M. Jérôme Nury et II-CE23 de M. Christophe Naegelen (discussion commune).

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). L’amendement II-CE22 vise à défendre les crédits alloués à La Poste pour financer ses missions de service public.

Alors qu’on nous présente les agences postales communales et les relais commerçants comme une solution de rechange aux bureaux de poste, dont un nombre croissant est menacé de fermeture – cinq dans ma seule circonscription ! –, on constate que cette prétendue mesure alternative est elle-même fragilisée par une baisse de crédits de 50 M€. Nous nous opposons à cette logique de dégradation continue.

Des amendements ont été déposés afin de revenir sur cette baisse – et nous les soutiendrons si le nôtre n’est pas adopté –, mais les 50 M€ proposés ne nous paraissent pas suffisants. Nous proposons, quant à nous, d’abonder le programme « Développement des entreprises et régulations » de 130 M€, soit l’équivalent du montant du plan d’économies engagé par La Poste, plan qui aurait pour conséquence la suppression de plusieurs milliers d’emplois dont nous avons besoin pour assurer la présence du service public postal sur l’ensemble du territoire.

Ne nous contentons pas d’empêcher la diminution des moyens du service public postal ; au contraire, renforçons-les !

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Monsieur Tavel, j’entends votre volonté de soutenir La Poste : nous sommes tous attachés à nos facteurs – qui, dans les territoires ruraux, offrent un véritable service de proximité et contribuent à maintenir le lien entre les habitants –, comme à nos bureaux de poste, qu’ils soient gérés directement par l’entreprise nationale ou par les communes et les intercommunalités, voire aux points-Poste. Toutefois, outre que l’argumentation de votre exposé sommaire s’égare quelque peu, le montant des crédits proposé, soit 130 M€, est très éloigné de l’évaluation par l’Arcep des moyens nécessaires à l’exécution de la mission de service public universel que La Poste assume pour l’État.

Votre amendement me paraît donc déraisonnable. C’est pourquoi je vous invite à le retirer et à soutenir mon amendement II-CE37, qui vise à rétablir les 50 M€ de crédits que le Gouvernement propose de supprimer. Ainsi l’État ne pourra pas prendre prétexte de la diminution de cette ligne budgétaire pour changer la donne, en remettant en cause le maintien de bureaux de poste dans le cadre des relations contractuelles entre les collectivités territoriales et La Poste, ou en modifiant la manière dont celle-ci rémunère les commerces de proximité, dont la survie serait menacée si le forfait était remplacé par un pourcentage.

M. Max Mathiasin (LIOT). L’amendement II-CE23 est identique à celui du rapporteur pour avis. La diminution des ressources de La Poste aurait en effet pour conséquence de priver du service postal ceux de nos concitoyens qui vivent dans des zones reculées ou oubliées de notre territoire, où les services publics manquent déjà cruellement. Ce serait, sinon une faute, du moins une erreur fondamentale.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Qui peut le plus peut le moins : les 50 M€ proposés par nos collègues sont nécessairement compris dans notre amendement. Par ailleurs, le contrat de présence postale territoriale doit être renégocié dans les mois qui viennent et nous serons peut-être amenés à examiner un texte législatif relatif à La Poste. En adoptant notre amendement, notre commission montrerait qu’elle est, s’agissant de cette question, très attentive et exigeante.

La commission adopte l’amendement II-CE22.

En conséquence, les amendements II-CE37 et II-CE23 tombent.

 

Amendement II-CE25 de M. Christophe Naegelen.

M. Max Mathiasin (LIOT). Il s’agit de rétablir les crédits affectés au plan « France Très Haut Débit » que le Gouvernement a annulés en février 2024, à savoir 155 M€, répartis comme suit : 38 M€ en autorisations d’engagement et 117 M€ en crédits de paiement.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Le contexte économique et budgétaire nous incite à être précis concernant les engagements de l’État en 2025. Lors de nos auditions, l’ANCT, comme les différents RIP ou l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), nous ont indiqué que la vitesse de déploiement est telle que nous n’aurons besoin que de 50 M€ supplémentaires en 2025. Or je rappelle, d’une part, que le plan « France Très Haut Débit » bénéficiera de reports de crédits de ces dernières années et, d’autre part, qu’environ 100 M€ ont été mis de côté à l’ANCT pour les RIP.

Je comprends vos inquiétudes, mais il me paraît inutile d’allouer au plan « France Très Haut Débit » une somme qui, de toute façon, ne sera pas dépensée en 2025. Je vous invite donc à retirer votre amendement au bénéfice de mon amendement II-CE36 à suivre, qui vise à abonder ce plan à hauteur de 50 M€.

L’amendement est retiré.

 

Amendement II-CE36 de M. Jérôme Nury.

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Je l’ai défendu.

Mme Louise Morel (Dem). Je souhaiterais savoir si les 50 M€ dont il est question dans cet amendement sont, d’une manière ou d’une autre, liés aux 130 M€ de l’amendement II-CE22. Car, si nous l’adoptons, nous aurons, en l’espace de trois minutes, augmenté les dépenses de l’État de 180 M€…

M. Jérôme Nury, rapporteur pour avis. Je comprends votre remarque. N’oublions pas cependant qu’il faudrait, pour cela, que le gage soit levé. Je ne suis pas certain que nos bonnes intentions aillent jusqu’au bout, chers collègues. Nous verrons…

Mme la présidente Aurélie Trouvé. En outre, nous ne savons pas si le Gouvernement aura ou non recours à l’article  49.3 de la Constitution pour l’adoption du budget…

La commission adopte l’amendement II-CE36.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 16 octobre 2024 à 9 h 30

Présents.  M. Xavier Albertini, M. Henri Alfandari, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Maxime Amblard, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Éric Bothorel, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Stéphane Buchou, Mme Françoise Buffet, M. Sylvain Carrière, M. André Chassaigne, M. Romain Daubié, M. Julien Dive, M. Inaki Echaniz, M. Frédéric Falcon, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, M. Antoine Golliot, Mme Géraldine Grangier, Mme Olivia Grégoire, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Laure Lavalette, Mme Nicole Le Peih, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Hervé de Lépinau, Mme Sandra Marsaud, M. Max Mathiasin, Mme Manon Meunier, M. Paul Midy, Mme Louise Morel, M. Christophe Naegelen, M. Philippe Naillet, Mme Sandrine Nosbé, M. Jérôme Nury, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, Mme Valérie Rossi, M. Matthias Tavel, M. Boris Tavernier, M. Lionel Tivoli, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber

Excusés.  M. Laurent Alexandre, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, Mme Christine Engrand, M. Charles Fournier, M. Harold Huwart, Mme Hélène Laporte, M. Robert Le Bourgeois, M. Laurent Lhardit, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet