Compte rendu

Commission
des affaires économiques

 Audition de Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. 2

 Informations relatives à la commission...................26

 


Mercredi 20 novembre 2024

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 26

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de Mme Aurélie Trouvé,

Présidente


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La commission des affaires économiques a auditionné Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous accueillons aujourd’hui Madame Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, pour évoquer sa feuille de route ministérielle, mais aussi les mobilisations des agricultrices et des agriculteurs et les suites à leur donner, y compris sur le plan législatif.

Notre agriculture se trouve à un moment charnière. Elle est plus que jamais dans la tourmente ; la colère gronde dans les fermes. La forte hausse des prix de l’énergie et des intrants fragilise la trésorerie des exploitations et les maladies déciment les troupeaux, sans que les éleveurs reçoivent de soutien. Une nouvelle saison s’ouvre, et il n’y a pas de vaccin disponible contre la fièvre catarrhale ovine (FCO) de sérotype 8 : nous avons renoncé à en produire ou à organiser en urgence des achats groupés. Des agriculteurs produisant sous signe de qualité subissent la chute de la demande de leurs produits en raison de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens. Plus globalement, la France a perdu en dix ans un quart de ses fermes. Les exploitations sont de plus en plus grandes, de plus en plus concentrées, de plus en plus endettées et de plus en plus difficiles à transmettre dans un cadre familial. Sur le plan commercial, les déficits se creusent année après année dans les secteurs des fruits et légumes, de la viande et des protéines végétales. Si l’on exclut le vin, la France est devenue importatrice nette de produits agricoles et alimentaires.

L’agriculture a pris la mesure des défis écologiques, mais a besoin de soutien pour effectuer sa conversion. Or, le budget dédié à l’agriculture, qui a donné lieu à un rapport pour avis de notre collègue Jean-Luc Fugit, serait en diminution de 6 %. C’est pourquoi notre commission a voté des crédits supplémentaires pour accompagner cette conversion, soutenir la lutte contre les épizooties, favoriser l’installation des jeunes, développer les protéines végétales ou accompagner le plan de souveraineté de la filière fruits et légumes. Quel sort connaîtra le texte du projet de loi de finances (PLF) issu de l’Assemblée nationale ? Quelles évolutions entendez-vous apporter au projet initial, que beaucoup d’entre nous estiment insuffisant ?

Les agriculteurs attendent également la concrétisation de nombreux engagements pris au cours des dix-huit derniers mois. Je pense aux avances de trésorerie, aux prêts garantis par l’État (PGE) et aux 75 millions d’euros (M€) annoncés pour indemniser les pertes provoquées par la FCO, dont les agriculteurs attendent toujours le décaissement.

En matière législative, quelles sont les perspectives pour le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA), qui, selon moi, fait l’impasse sur la régulation des revenus agricoles et des prix ? Qu’est-il prévu pour répondre à la demande majeure formulée par les agriculteurs, à savoir des prix leur permettant de vivre dignement de leur travail ? À cet égard, nous espérons que la mission d’évaluation transpartisane de la loi du 18 octobre 2021, dite « Égalim 2 », dont j’étais corapporteure avec nos collègues Julien Dive, Harold Huwart et Richard Ramos, aboutira à des propositions en ce domaine.

Cela serait d’autant plus nécessaire que, du fait de la concentration des grandes entreprises de la transformation et de la distribution, les agriculteurs subissent une très forte pression. La déplorable décision de Lactalis d’abandonner la collecte du lait auprès de trois cents éleveurs, il y a quelques semaines, en est l’illustration. Ce groupe n’ayant pas, à ce jour, donné suite à notre demande d’audition, je crois pouvoir dire, au nom de l’ensemble des commissaires, que nous ne comptons pas en rester là, la protection des agriculteurs constituant pour nous une priorité.

Une menace encore plus grande pèse sur l’agriculture familiale du pays : l’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur, autre motif de la colère des agriculteurs. Quelle est votre position et celle du Gouvernement à ce sujet ? Nous confirmez-vous votre opposition à cet accord, quelles qu’en soient les conditions ? Pensez-vous encore possible d’obtenir une minorité de blocage au niveau européen ?

Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt. Dans le contexte que chacun connaît, contraint sur le plan budgétaire et tendu sur les plans social et international, l’exercice de clarté auquel vous me conviez est indispensable. Il doit permettre de répondre aux inquiétudes que nos concitoyens expriment, au premier rang desquelles celles des agriculteurs, sur le cap que la France souhaite tenir en matière agricole. Ces inquiétudes sont vivaces, l’actualité en témoigne.

Depuis le début de la semaine, les agriculteurs manifestent leurs doutes sur le projet que la nation nourrit pour ceux qui la nourrissent. Le retour des manifestations souligne la force d’une crise qui vient de loin et que traverse une profession en perte de revenus, en perte de repères et parfois même en perte de sens. Alors que la confiance qui unit l’État au monde agricole est entamée par de trop longs mois sans réponse, je m’efforce depuis soixante jours d’y consacrer l’action la plus résolue. Notre rôle, le mien et le vôtre, est désormais de nous engager dans une transformation profonde du quotidien de nos agriculteurs et dans un soutien sans faille à notre production nationale.

Pour atteindre ces objectifs avec votre aide, trois temps politiques doivent être distingués. Le premier, celui des urgences, est déjà advenu, car les crises s’additionnent, frappent en tous lieux du territoire et nécessitent des mesures de soutien puissantes, rapides et ciblées.

L’urgence est d’abord sanitaire. Face à la recrudescence des maladies vectorielles, l’État a organisé une réponse reposant sur deux piliers : un pilier vaccinal, avec la mise à disposition gratuite de près de douze millions de doses pour la FCO3 ; un pilier indemnitaire, avec le déploiement d’un fonds d’urgence exceptionnel de 75 M€ – d’abord réservé aux pertes directes ovines et bovines induites par la FCO3, puis étendu à la FCO8 pour les pertes ovines – auquel s’ajoute la mobilisation du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), pour les pertes bovines dues à la FCO8.

Nous n’en restons pas là. Afin de tirer toutes les leçons de cette crise, je lancerai, dès le mois de janvier, de grandes « Assises du sanitaire » en vue de rénover la gouvernance et le financement de notre gestion sanitaire et de renforcer le maillage vétérinaire en zone rurale. On ne peut pas continuer ainsi à attendre la survenue d’une prochaine maladie vectorielle : il faut réorganiser, anticiper, faire de la prévention, parce que les budgets ne suffiront plus à faire face à la multiplication de ces maladies. Il s’agit de repenser collectivement la stratégie à suivre, avec les services du ministère, les représentants des branches professionnelles, les vétérinaires, les chercheurs et les chambres d’agriculture.

L’urgence est ensuite économique. La succession d’épisodes climatiques violents a fragilisé les trésoreries de nombreux exploitants. L’État a répondu présent en déployant immédiatement des mesures de soutien, comme l’aide à la reconstruction à la suite des inondations ou l’aide en faveur de l’agriculture biologique. Dans un cadre budgétaire serré, elles ont représenté un effort pour nos comptes publics de près de 310 M€, qui témoigne de la priorité donnée à nos agriculteurs.

Parallèlement, j’ai décidé de lancer un dispositif d’aide à la trésorerie, dont j’ai précisé les modalités la semaine dernière. Il répond à deux types de difficulté, l’une conjoncturelle
– par exemple, une mauvaise récolte qui n’affecte pas la situation habituelle de
l’exploitation –, l’autre plus structurelle. Pour la première, avec les banques, Bpifrance et divers partenaires, nous avons imaginé un prêt de 50 000 euros à un taux bonifié de 1,75 % – ramené à 1,5 % pour les nouveaux installés, nécessairement plus fragiles puisqu’ils doivent faire face à de multiples engagements financiers. Pour les exploitations confrontées à des difficultés structurelles, l’engagement financier doit être plus important : nous prévoyons des prêts garantis par l’État à proportion de 70 % et pouvant aller jusqu’à 200 000 euros. Ces deux dispositifs d’aide, dont nous avons vérifié la pertinence auprès des professionnels, seront laissés à la main des préfets et des partenaires financiers.

L’urgence est, enfin, de tenir parole. C’est d’abord la promesse que tient le budget que nous avons présenté. Il maintient une enveloppe significativement supérieure à celle de 2023, qui représente un engagement de 25,6 milliards d’euros et consacre des mesures attendues par les agriculteurs depuis 2018, comme l’annulation de la hausse de la taxe sur le gazole non routier (GNR) ou la pérennisation du dispositif d’exonération de cotisations patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (Tode).

C’est ensuite la promesse que tient le projet de loi d’orientation agricole, texte que votre commission a considérablement enrichi. Je le dis clairement, je n’attends qu’une chose : que le Sénat reprenne sa discussion afin qu’il achève son parcours législatif. Ce n’est peut-être pas la « loi du siècle », mais elle comporte des mesures que les agriculteurs attendent ; ils ne cessent de nous le dire, y compris durant leurs manifestations. Il faut donc que nous soyons au rendez-vous. À cet égard, tout en étant consciente que je m’adresse ici à des experts du droit parlementaire, je profite de cette audition pour rappeler certaines réalités constitutionnelles dont on ne saurait s’exonérer sans faire preuve de malhonnêteté intellectuelle : la fin de l’année est réservée, dans sa quasi-intégralité, à la discussion des textes budgétaires. Que l’on ne me fasse pas de mauvaises querelles sur ce point, l’examen du PLOA ne pouvait intervenir avant. Je me suis battue pour que ce projet de loi bénéficie d’une sorte de préséance, en obtenant, avec l’accord dérogatoire de la conférence des présidents du Sénat, une avancée à mi-janvier du premier créneau disponible pour son examen. Cela a même supposé de déplacer l’examen d’autres textes prévus dans la semaine du Gouvernement. Son entrée en vigueur, très attendue par la profession, se fera ensuite dans le délai le plus court possible.

Tenir parole, c’est enfin la promesse que vous concrétisez. De multiples propositions de loi, comme celles des députés Nicole Le Peih et Jean-Marc Fugit ou des sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville, peuvent contribuer à apporter aux agriculteurs les réponses qu’ils attendent sur bien des sujets.

Vous le voyez, dans l’urgence, l’État prend ses responsabilités et témoigne de son engagement irrévocable à protéger les agriculteurs frappés par les crises. Pour autant, je ne me fais aucune illusion et je sais l’ampleur des chantiers qu’il reste à mener. C’est pourquoi, après ce premier temps des urgences, en vient un deuxième, celui de la reconquête du sens.

La perte de sens dans les professions agricoles doit tous nous alerter, tant elle s’illustre parfois cruellement. Un suicide est un drame, un suicide par jour est une tragédie. Voilà la réalité du monde paysan. Cette perte de sens, nous pouvons l’enrayer. Cela suppose de notre part de restituer aux agriculteurs deux pouvoirs : le pouvoir de produire et le pouvoir de vivre.

Le pouvoir de produire : non pas produire pour produire, mais produire pour nourrir, car c’est la vocation première d’un agriculteur. Restituer ce pouvoir de produire, c’est d’abord abandonner le logiciel décroissant qui s’est installé par dogmatisme et qui privilégie les interdictions à l’innovation. Sur ce point, je serai intraitable. En matière phytosanitaire, je m’engage à ne jamais charger la barque française plus que ne l’est la barque européenne. Mon action se concentrera d’abord sur l’innovation, à travers la recherche de solutions de traitement alternatives, par exemple en prolongeant en 2025 le financement du plan d’action stratégique pour l’anticipation du potentiel retrait européen des substances actives et le développement de techniques alternatives pour la protection des cultures (Parsada). Pour ceux qui l’ignorent, ce plan vise à anticiper les futures interdictions par l’Union européenne (UE). Il faut s’y préparer, car, une fois décidées, nous ne pouvons plus nous y opposer puisque nous sommes membres de l’Union européenne. Cela suppose de s’y prendre suffisamment à l’avance, car la recherche a besoin d’un temps relativement long pour avancer. Mon action passera aussi par le soutien au biocontrôle, parce que je ne considère pas, par dogmatisme, que la seule solution réside dans le phytosanitaire.

Restituer le pouvoir de produire, c’est ensuite poursuivre le chantier titanesque de la simplification. Je m’y suis immédiatement attelée car, sous le poids des normes, la « ferme France » ploie dangereusement. Comme je l’ai annoncé fin octobre, les agriculteurs bénéficieront dès l’année prochaine du contrôle administratif unique. Cette mesure, très attendue par le secteur, s’inscrit dans le respect des engagements pris par l’État. Il ne s’agit toutefois que de la première pierre de l’édifice de la simplification, car mon ambition en la matière est plus grande : faire table rase des normes inutiles qui contraignent l’acte de produire. Mon objectif est simple : je veux que les paysans passent plus de temps dans les champs et les étables et moins derrière leurs bureaux. Pour ce faire, mes équipes travaillent d’arrache-pied et peignent avec méthode toute la paperasse et les interdits qui détournent les agriculteurs de leur mission de nourrir.

Ce pouvoir de produire n’aurait que peu de valeur s’il ne s’accompagnait pas d’un véritable pouvoir de vivre.

Redonner le pouvoir de vivre aux paysans, c’est d’abord s’attaquer à la question du revenu et donc des prix. À cet égard et malgré ses apports, force est de constater que la loi Égalim présente des limites. Avec ma collègue Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la consommation, nous avons lancé une réflexion il y a un mois pour adapter le cadre des relations commerciales. Les organisations professionnelles agricoles y sont, bien entendu, associées et leurs revendications pleinement prises en compte.

Redonner le pouvoir de vivre aux agriculteurs, c’est aussi traiter la question de la retraite. Parce qu’elle est la chambre d’écho des inégalités de la vie, la retraite frappe les agriculteurs parfois plus durement que le travail. Pour remédier à ces difficultés, le gouvernement a inscrit dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) une réforme dite des « vingt-cinq meilleures années » pour le calcul des droits. C’est une mesure de justice sociale, qui récompense les efforts d’une vie de labeur. Il faut désormais l’inscrire dans le marbre. Je compte sur vous.

J’en viens au troisième temps, celui de la projection dans l’avenir. Trois combats prioritaires doivent être menés de front. Le premier, c’est celui du renouvellement des générations. Si les chantiers que j’ai d’ores et déjà évoqués y contribuent largement en renforçant l’attractivité des métiers, il est indispensable d’y adjoindre des mesures de formation et, là aussi, de simplification. Pour ce faire, le projet de loi d’orientation agricole sera notre principal vecteur. Le choc d’attractivité qu’il prévoit permettra de former 30 % d’apprenants supplémentaires d’ici à 2030 et nombre de mesures, comme la création du réseau France Services Agriculture, simplifieront l’installation des agriculteurs, dont nous nous sommes beaucoup préoccupés ces dernières années, mais aussi la transmission de leurs exploitations, enjeu sur lequel il nous faut aussi nous pencher – il fait l’objet d’une mission que j’ai confiée à l’inspection de mon ministère.

Le deuxième combat, c’est celui que nous devons mener face au changement climatique, dont les agriculteurs sont les premières victimes. Pour les protéger, les chantiers devant nous sont nombreux. Il s’agit de déployer des plans d’adaptation de pans entiers de notre agriculture. Les exemples que je vais donner se rapportent à la concrétisation d’engagements pris auprès des agriculteurs en début d’année. C’est ainsi que j’ai lancé la mise en œuvre opérationnelle du plan « Agriculture Climat Méditerranée », après plusieurs mois de sommeil. Doté de 50 M€ en 2025, il permettra d’ici à la fin de l’année la labellisation par les préfets d’une cinquantaine de territoires du pourtour méditerranéen et apportera un accompagnement financier aux filières les plus affectées par le dérèglement climatique, tout en favorisant la diversification.

Dans le même sens, l’accès à l’eau pour l’irrigation des exploitations est un impératif majeur qui appelle une gestion raisonnée de cette ressource. Je me suis rendue deux fois en Occitanie, car cette région souffre plus particulièrement du changement climatique. Ce que j’y ai vu est dramatique. Je garde en mémoire des vergers calcinés de soif, comme brûlés au lance-flammes. Je le dis très clairement : ceux qui empêchent l’accès à l’eau dans ces territoires condamnent à mort l’agriculture. La deuxième initiative que j’ai prise en ce domaine est le lancement du fonds hydraulique, fonds d’investissement doté de 20 M€ en 2024 et que j’entends pérenniser en 2025 afin de financer les quarante-huit projets de gestion innovante de l’eau en France issus du premier appel à projets dont je viens d’annoncer les lauréats.

Ces mesures d’adaptation seraient vaines si elles ne s’accompagnaient pas de mesures de lutte contre le changement climatique. C’est tout le sens de l’action que je mène pour la captation du carbone et le travail de reforestation, qui a déjà atteint 46 000 hectares et se poursuit avec l’allocation de 487 M€ pour la forêt dans le projet de loi de finances. À cela s’ajoute un plan de lutte contre les incendies, dûment financé et ciblant les massifs les plus à risque.

Enfin, le combat pour l’avenir de notre agriculture, c’est celui de notre souveraineté alimentaire et il suppose d’abord de protéger nos agriculteurs contre les accords commerciaux déloyaux. Promouvoir les clauses miroirs, à condition de pouvoir contrôler leur application, telle est la position que je soutiendrai lors des prochaines négociations. Il faut que l’Europe sorte enfin du déni. Sur le Mercosur, je le dis et je le répète : c’est non. Face aux centaines de milliers de tonnes de viande et de sucre qui pourraient se déverser dans nos supermarchés, au mépris de nos normes de production, la France se dressera comme un mur. Cette position, nous la tenons fermement dans les discussions avec nos partenaires européens et je me rendrai dès vendredi à Varsovie pour poursuivre ce travail de conviction.

Retrouver des pans entiers de notre souveraineté alimentaire, c’est aussi assumer une posture conquérante par le renforcement de notre compétitivité. En ce qui concerne les exploitants, le travail est d’abord fiscal. L’augmentation jusqu’à 30 % du taux de dégrèvement appliqué à la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) et l’exonération de 30 % de la réintégration de la dotation pour épargne de précaution (DEP) en cas de sinistre climatique concourent directement à cet objectif, pour un montant de 64 M€. Au total, l’allègement des charges s’élève à 300 M€ dans le budget pour 2025, mais encore faut-il qu’il soit adopté.

Renforcer la compétitivité, c’est aussi offrir aux agriculteurs un accès aux moyens de production égal à celui de leurs concurrents. J’ai ainsi relancé le « comité des solutions » qu’avait mis en place ma collègue Agnès Pannier-Runacher. Ce comité travaillera à rythme soutenu sous mon patronage, alors que des filières seront confrontées à des impasses inconnues dans d’autres pays d’Europe. J’ai évoqué celle de la noisette, hier, mais il y en a d’autres. S’agissant de la compétitivité des transformateurs, le Gouvernement poursuivra les efforts engagés dans le cadre du plan « France 2030 », qui représente déjà 2,3 milliards d’euros investis dans l’ensemble de la chaîne agroalimentaire.

Je veillerai à ce qu’une attention particulière soit portée à nos territoires ultramarins, qui doivent prioritairement réduire leur dépendance et trouver de meilleurs débouchés. Sur ce sujet, j’émets une alerte. Les industries agroalimentaires représentent une part essentielle de l’emploi de territoires souvent isolés et contribuent positivement à notre balance commerciale. Elles connaissent, elles aussi, une période de turbulence. Alors prenons garde, mesdames, messieurs les députés, à ne pas nous engager dans la voie de la surcharge fiscale, car ce qui est en jeu à travers elles, c’est une part de notre cohésion nationale. Je fais allusion aux diverses taxes sur les produits en fonction de leur taux de sel, de sucre ou de gras : prêtons attention aux conséquences économiques de ces mesures, dont les effets sur les comportements sont loin d’être avérés.

Répondre aux urgences, redonner du sens, nous projeter dans l’avenir, voilà le travail que je vous propose de partager. Ensemble, je nous sais capables de tendre vers le seul objectif qui compte : renouer la confiance entre le pays et les paysans.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Hélène Laporte (RN). Nous vous rejoignons sur de nombreux constats, mais la colère plus que légitime des agriculteurs appelle maintenant des actes.

Vous avez reçu les représentants de la filière de la noisette, dont le département du Lot-et-Garonne, où est située ma circonscription, est le premier producteur en France. Au bord du précipice, la filière a perdu cette année de 50 % à 70 % de ses récoltes par rapport à 2023, du fait des attaques des ravageurs. Or cette situation n’avait rien d’une fatalité : ces dégâts auraient pu être évités si les producteurs avaient eu accès à l’acétamipride, seul produit phytosanitaire réellement efficace contre le balanin et la punaise diabolique. La France est le seul pays européen à l’avoir totalement interdit depuis 2018, alors que l’Italie, son principal concurrent, y a accès. Vous avez dit vouloir vous engager à ne jamais charger la barque française plus que ne l’est la barque européenne : en voilà un bon exemple. S’agissant du calendrier, pouvez-vous nous assurer que tout sera mis en œuvre par votre ministère pour que nos producteurs aient accès à l’acétamipride dès cet hiver, en vue de la campagne 2025 ? Si ce n’est pas le cas, toute la filière disparaîtra.

S’agissant de la viticulture, vous avez annoncé, le 5 novembre, devant les représentants du monde viticole, plusieurs mesures destinées à soulager les exploitations exsangues après l’enchaînement d’événements climatiques et épidémiques ayant notamment lourdement touché le vignoble du Lot-et-Garonne. Toutefois, au cours des débats parlementaires, vous vous êtes montrée évasive s’agissant de la « moyenne olympique », dont le mode de calcul actuel conduit à indemniser insuffisamment les pertes de récoltes, après plusieurs années consécutives de mauvaises récoltes. Votre prédécesseur Marc Fesneau avait dit vouloir réviser ces modalités dans la réglementation européenne. Qu’en est‑il ? Les nouveaux prêts que vous avez annoncés constitueront tout de même un endettement de plus pour les exploitants.

Ma dernière question porte sur les relations commerciales. Nos éleveurs laitiers du nord de l’Aquitaine, regroupés dans l’association d’organisations de producteurs (AOP) Sunlait, sont acculés par le refus de Savencia de signer de nouveaux contrats-cadres pour pouvoir aligner les prix payés aux producteurs sur le moins-disant. Vous avez annoncé une énième loi « Égalim » au printemps, alors que les dispositions de la loi « Égalim 1 » – notamment l’interdiction de pratiquer des prix abusivement bas – ne sont toujours pas correctement appliquées. Comment comptez-vous faire pour qu’elles le soient ?

Mme Annie Genevard, ministre. S’agissant de la filière de la noisette, vous avez raison : nous nous trouvons dans une impasse. J’ai reçu les représentants d’Unicoque ; la coopérative rassemble pas moins de trois cents producteurs, qui sont dans une détresse absolue. Je suis convaincue que l’interdiction de l’acétamipride, qui permet de lutter contre les punaises diaboliques et les balanins, a été une erreur. Ce produit est autorisé dans tous les autres pays de l’Union européenne ; or, à ma connaissance, ce ne sont pas des empoisonneurs de leurs populations. Le débat, nous l’aurons ; simplement, il nous faut passer par la loi. Le PLOA ne peut faire partie de ce cheminement, mais une proposition de loi sera prochainement examinée au Sénat. En attendant, je me tiens prête pour un entretien particulier avec vous, madame la députée.

S’agissant de la moyenne olympique, l’Union européenne l’applique de manière stricte et conformément aux textes qui réglementent les aides d’État et la politique agricole commune (PAC). Tenter d’obtenir une modification de cette notion auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) serait assez long et probablement risqué. En revanche, il nous est possible, dans le cadre de la stratégie que je m’emploie à défendre, de demander à la Commission européenne de modifier la réglementation de la PAC – d’autant que les discussions sur la nouvelle PAC vont s’ouvrir – ainsi que l’encadrement des aides d’État, afin de permettre aux États membres de mobiliser davantage la « boîte orange ».

J’ajoute qu’à ma demande, une médiation a été conduite au ministère pour rapprocher Sunlait et Savencia. Le dialogue a été renoué et j’ai le plaisir de vous annoncer qu’il y aura un accord entre le groupe agroalimentaire et l’AOP.

Mme Nicole Le Peih (EPR). Les cas d’influenza aviaire hautement pathogène se multiplient en Europe et en France, et la situation en Bretagne, région clé de l’aviculture française, est particulièrement inquiétante. Dans cette région, neuf foyers ont été recensés depuis l’été dernier : un en Ille-et-Vilaine, cinq dans mon département, le Morbihan, et trois dans le Finistère. Cette crise menace gravement la filière avicole, qui est le pilier de notre économie locale, et fragilise nos éleveurs, déjà durement éprouvés par des crises sanitaires répétées. La France a relevé son niveau de risque, qui est passé de « modéré » à « élevé ». Ce signal fort doit impérativement s’accompagner de mesures concrètes et rapides pour éviter que nos exploitations agricoles ne soient affectées de manière irréversible. Quelles sont celles que le Gouvernement envisage de prendre, notamment en matière de compensation financière ?

Les contrôles de qualité aux frontières sont un deuxième sujet de préoccupation. En théorie, l’importation en Europe de viandes traitées aux antibiotiques ou aux hormones de croissance est interdite. En pratique, la traçabilité demeure imparfaite. Des audits réalisés par la Commission européenne ont relevé des failles dans les contrôles, notamment pour les viandes en provenance du Brésil : un audit a ainsi démontré l’incapacité de garantir l’absence d’œstradiol, hormone pourtant interdite en Europe. À la suite de ces défaillances, ce pays a dû temporairement suspendre ses exportations de viandes bovines vers l’Union européenne. Comment la France peut-elle et entend-elle garantir le respect strict des normes sanitaires européennes, essentielles pour préserver la confiance des consommateurs et protéger nos filières agricoles ?

Mme Annie Genevard, ministre. S’agissant de la grippe aviaire : si un seul cas est détecté, l’État perd le statut de « pays indemne » et ne peut plus exporter. Cette maladie a décimé des élevages entiers et l’État, en responsabilité, a investi massivement pour sauver ces filières.

La réponse est apportée en trois volets. Premièrement, le renforcement de la biosécurité, qui passe par la claustration des élevages les plus importants pour empêcher leur contamination par les oiseaux migrateurs, particulièrement importante cette année. Deuxièmement, la vaccination pour empêcher la propagation du virus : elle est efficace, puisque celle-ci reste limitée. Troisièmement, la surveillance assurée par les éleveurs et les vétérinaires, qui demande un énorme effort – chaque éleveur garde en mémoire ce qui s’est passé il y a quelques années.

Nous avons relevé le niveau de risque à « élevé », car, précisément, nous ne voulons prendre aucun risque quant à la propagation de cette maladie. Au début du mois de décembre, nous aurons des décisions à prendre en concertation avec les filières, que je rencontrerai très prochainement.

Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Stop à l’hypocrisie ! Partout, le Gouvernement, dont vous êtes membre, se dit opposé au traité de libre-échange avec le Mercosur pour protéger nos agriculteurs, mais ce n’est qu’une position hypocrite.

D’abord, vous n’êtes contre cet accord qu’en l’état. Vous souhaitez conclure un accord qui comporterait des clauses miroirs. Or, on le sait, les clauses miroirs ne sont pas et ne seront pas respectées. J’en veux pour preuve celle qui interdit d’importer en France du bœuf ayant reçu des hormones de croissance. La direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne vient de publier un rapport qui démontre l’absence de toute traçabilité sur la présence ou non d’œstradiol, une hormone cancérigène, dans les 41 000 tonnes de viande importées en Europe depuis le Brésil, pays du Mercosur qui utilise massivement cette hormone. Nous importons donc déjà sûrement, sans le savoir, du bœuf aux hormones en Europe, et nous ne pourrons jamais obtenir de contrôle fiable. Par ailleurs, de nombreux cas de corruption de contrôleur ont été relevés. Donc conclure cet accord avec des clauses miroirs revient simplement à le conclure.

Ensuite, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen prépare le splitting de l’accord, c’est-à-dire la séparation de ce traité en deux parties : l’une relative aux échanges commerciaux et l’autre traitant des autres conditions. Avec ce procédé, les États membres de l’Union européenne perdent tout droit de veto, puisqu’en cas de majorité parmi ces États, l’accord commercial sera adopté. Pourquoi Emmanuel Macron ne fait-il rien pour s’opposer à ce splitting ? Peut-être, au fond, que l’adoption de l’accord, auquel il fait mine de s’opposer, l’arrangerait.

Enfin, Monsieur Macron soutient la création d’un fonds d’indemnisation européen pour accompagner les agriculteurs, futures victimes de l’accord avec le Mercosur. C’est se moquer du monde ! D’un côté, vous ferez subir une concurrence monstrueuse aux éleveurs ; de l’autre, vous compenserez leur préjudice avec l’argent de la caisse européenne. Ce n’est pas sérieux.

Nous ne sommes pas dupes. Nous savons que, derrière ce traité, il y a des intérêts financiers pour l’industrie automobile européenne, celle du luxe et l’agro-industrie française. Tout le monde comprend ce qui est en train de se passer : vous dites non à l’accord en l’état pour faire taire la colère, mais lorsque Bruxelles vous aura accordé quelques clauses miroirs inefficaces, vous l’accepterez. Et l’élevage et la souveraineté alimentaire de la France seront sacrifiés sur l’autel des profits de ceux qui en font déjà le plus. J’espère que le débat que le groupe La France insoumise a demandé permettra à l’Assemblée nationale de se prononcer pour ou contre le traité de libre-échange avec le Mercosur – et non pour ou contre des clauses miroirs qui ne seront jamais respectées. En attendant, je suis contre ce traité injuste et pour la souveraineté alimentaire de notre pays.

Mme Annie Genevard, ministre. Le rapport de la direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne, qui a en effet révélé la présence d’hormones de croissance interdites en France et en Europe – et, de ce fait, l’inefficacité du contrôle sanitaire au Brésil – est préoccupant. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles il faut rejeter cet accord.

Mais aussi, parce qu’il déséquilibrerait des filières fragiles. D’aucuns s’amusent à dire qu’il équivaut à importer un steak par personne et par an. En réalité, cela se ferait au prix de la déforestation, ici, et de nos prairies, là. Notre filière de l’élevage en souffrirait incontestablement.

La deuxième raison de notre opposition, c’est le risque de splitting en deux parties (un accord commercial et un accord-cadre), ce qui serait un déni de démocratie absolu. Nous nous opposons fermement à ce traité : je ne sais comment le dire pour vous en convaincre.

Mme Valérie Rossi (SOC). Lundi soir, j’étais jusqu’à minuit avec les agriculteurs de mon département des Hautes-Alpes. Depuis plusieurs mois, le monde agricole se mobilise avec courage et exemplarité partout en France – et plus largement en Europe – pour alerter les pouvoirs publics sur ses conditions de travail toujours plus dégradées, la surtransposition des normes, les prix non rémunérateurs, les soucis liés au pastoralisme, la prédation, les maladies, la chute des récoltes et la concurrence déloyale exacerbée. Inlassablement, les agriculteurs répètent qu’ils veulent non pas de l’argent, mais vivre dignement de leur travail.

« L’accord avec le Mercosur est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », m’a dit le président de la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. Il mettrait les éleveurs de volailles en concurrence avec des fermes usines brésiliennes jusqu’à cinquante fois plus importantes que leurs exploitations ; les éleveurs bovins face à des cheptels sud-américains de plus de dix mille têtes, traités avec des antibiotiques de croissance et de nombreux produits phytosanitaires interdits dans l’Union européenne ; les producteurs de maïs français et européens face à la concurrence des Argentins et des Brésiliens, qui utilisent des produits phytopharmaceutiques interdits depuis plus de vingt ans en France. Cette concurrence déloyale est inacceptable.

Profondément opposé à cet accord de libre-échange, qui serait une triple faute sociale, économique et environnementale, le groupe Socialistes et apparentés a fait adopter, le 5 novembre dernier, par la commission des affaires européennes, une proposition de résolution européenne. Celle-ci vise à s’opposer à l’adoption de cet accord en l’absence de mesures miroirs conditionnant l’accès au marché européen, ainsi qu’à toute scission du traité qui permettrait de s’affranchir du vote des parlements nationaux ; à inverser la charge de la preuve par la certification des modes de production par un organisme indépendant agréé par l’Union et placé dans les pays tiers ; à instaurer une limite résiduelle égale à zéro pour les pesticides interdits dans les produits importés ; à harmoniser les règles sanitaires et environnementales entre les États membres de l’Union européenne ; à étendre à de nouvelles catégories de produits les dispositions concernant l’indication du pays d’origine ou du lieu de provenance s’appliquant aux denrées alimentaires consommées dans l’Union européenne.

Notre résolution présente une nouvelle méthode pour garantir le juste échange et protéger nos agriculteurs dans la durée. Elle mettrait fin à l’importation massive de produits ne respectant pas nos normes sociales ni nos normes environnementales, puisqu’ils seraient contrôlés et certifiés dans les pays d’origine, avant toute exportation. Nous invitons toutes celles et tous ceux qui sont mobilisés sur cette question à soutenir cette résolution, en cours de discussion au Parlement.

Le Président de la République et vous-même avez annoncé ne pas soutenir l’accord en l’état, et un débat sur ce traité aura lieu à l’Assemblée nationale, le 26 novembre prochain. Toutefois, l’opposition à cet accord ne suffit pas à garantir la protection des agriculteurs : il faut revoir les modalités de contrôle de l’ensemble des produits agricoles et alimentaires qui sont importés sur le sol européen. Seriez-vous prête à envisager l’instauration, dans le pays d’origine des produits destinés à l’export vers l’Union européenne, d’un réel contrôle réalisé par un organisme indépendant agréé et contrôlé par celle-ci ?

Mme Annie Genevard, ministre. On n’importe du bœuf que les meilleurs morceaux, pas le bœuf entier. Il faut donc rapporter le tonnage de bœuf importé aux morceaux qui seront directement concurrencés sur nos marchés. Par ailleurs, il y a un effet cumulatif, puisque les importations provenant du Mercosur s’ajouteront à celles qui concurrencent déjà nos marchés.

On ne peut pas admettre que l’agriculture soit la variable d’ajustement et que ce soit toujours l’élevage, au premier chef, qui subisse la concurrence déloyale résultant des accords de libre-échange.

Si, à l’issue du débat sur l’accord avec le Mercosur, la représentation nationale se dresse à l’unanimité contre cet accord, cela aura un poids politique. Il faut mener ce combat, même s’il est compliqué.

M. Julien Dive (DR). Ma position sur la loi d’orientation agricole n’a pas changé d’un iota : je suis toujours convaincu de la nécessité d’une loi de programmation qui donnerait une perspective réelle à l’ensemble de la profession. À l’époque, nous avions bataillé ensemble pour améliorer un texte qui a apporté des premières réponses au monde agricole. Je me réjouis des initiatives parlementaires qui visent à donner des perspectives au monde agricole. C’est l’une des revendications des agriculteurs, parmi la centaine sur lesquelles ils se mobilisent depuis un an.

La question des retraites en est une autre. Madame la ministre, vous faites partie des parlementaires qui avaient voté à l’unanimité la loi de 2023 relative aux retraites agricoles, désormais calculées sur la base des vingt-cinq meilleures années et non plus de l’intégralité de la carrière. Nous avions fait en sorte que la Mutualité sociale agricole (MSA) puisse mettre le dispositif en œuvre au 1er janvier 2026. Mais le politique s’étant encore fait dépasser par l’administration, nous avons dû déposer un amendement à l’article 22 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 pour que la mesure soit bien appliquée à la date prévue. Malheureusement, les débats en séance se sont arrêtés avant l’examen de cet article.

Vous nous avez dit compter sur nous. À mon tour, je compte sur vous pour convaincre les sénateurs d’adopter un amendement similaire dans le projet de loi de financement et pour nous assurer, quelque issue que connaisse ce texte, que le budget de la sécurité sociale pour 2025 comportera bien une telle mesure.

Mme Annie Genevard, ministre. Je salue votre engagement sur ce texte, auquel vous êtes attaché. Cette réforme est attendue de longue date ; qu’elle n’ait pas été appliquée est vécu comme une injustice profonde. Lorsque la loi a été votée, la MSA a demandé de décaler l’entrée en vigueur du dispositif de deux ans afin qu’elle puisse la mettre en œuvre. Nous avons refusé que cette réforme soit appliquée à compter de 2028, même de manière rétroactive ; j’ai indiqué au président de la MSA qu’elle entrerait bien en vigueur au 1er janvier 2026. Tel sera le cas et le dispositif sera ajusté lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale par le Sénat. Vous pouvez compter sur moi comme je sais pouvoir compter sur vous.

M. Benoît Biteau (EcoS). Les agriculteurs sont au bord des routes et se rappellent à notre mémoire car ils rencontrent de graves difficultés de revenu. C’est cette grande détresse, cette grande souffrance qui est au fondement de leur action. Ils nous interpellent, nous, les élus ; sachons les aider efficacement en écartant certains biais.

En particulier, il faut cesser d’opposer écologie et économie. Ceux qui avancent vers davantage d’écologie trouvent aussi des solutions économiques. La Commission européenne et plusieurs études apportent un éclairage sur ce qui menace la productivité de la « ferme Europe » et donc le revenu des agriculteurs : ce sont principalement l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique. Voilà ce que nous devons combattre pour être au rendez-vous de la souveraineté alimentaire, qui est la garantie à la fois de l’alimentation pour toutes et tous mais aussi d’un revenu digne et décent pour les agriculteurs.

Les zones humides s’inscrivent également dans cette problématique de l’écologie contre l’économie. Leur rôle est négligé et c’est ainsi qu’on a vu des inondations sans précédent en Espagne et en France, à Givors. Celles-ci sont certes liées au dérèglement climatique, mais ce ne sont pas des catastrophes naturelles : elles sont anthropiques, c’est-à-dire liées à des aménagements du territoire malheureux, dans lesquels l’agriculture joue un rôle. Les inondations autant que les épisodes de sécheresse sont liés à la suppression des zones humides, qui sont pourtant des territoires stratégiques.

Pour rester sur le sujet de l’eau, j’entends que vous souhaitez donner accès à l’eau au plus grand nombre. Actuellement, 6 % seulement des agriculteurs y ont accès. Attention à ne pas envisager des solutions qui ne concerneraient qu’une faible frange du monde agricole !

Enfin, l’agriculture joue un rôle important dans la préservation de la santé ; elle entretient un lien évident avec l’alimentation, la qualité de l’eau et la qualité de l’air. Nous devons l’accompagner. J’espère que vous entendrez l’appel de Lorient, qui vise à soutenir l’agriculture biologique dont nous aurons besoin pour relever tous les défis.

Mme Annie Genevard, ministre. Je n’oppose pas l’écologie et l’économie ; je veux un juste équilibre entre les deux. La biodiversité et la souveraineté alimentaire passent par la diversité des cultures et leur pérennité, qui font la grandeur et la richesse de l’agriculture française. Les petites cultures contribuent à la biodiversité agricole. Lorsqu’elles sont menacées par l’insuffisance de la production ou l’impossibilité de combattre les ravageurs, la biodiversité est aussi menacée.

Les zones humides sont en effet très importantes. À ce titre, la liste Ramsar donne un statut aux zones humides d’importance internationale. Néanmoins, lorsque l’agriculteur demande que sa parcelle soit classée, c’est en réalité l’ensemble de ses parcelles qui le sera, ce qui pose certains problèmes.

M. Pascal Lecamp (Dem). Je souhaite témoigner ma solidarité totale avec le mouvement agricole. Il était inévitable. Au mois de janvier, nous avons été nombreux à nous rendre sur les barrages et dans les fermes pour échanger avec les agriculteurs. Au Salon international de l’agriculture, en février, des promesses étaient sur la table : quelques avancées rapides d’ordre administratif proposées par les préfets et des textes ambitieux relatifs à l’installation, aux revenus et au foncier. La tâche était immense, mais la situation des agriculteurs nous commandait de travailler vite. Nous nous y sommes attelés avec votre prédécesseur Marc Fesneau, avec l’examen du projet de loi d’orientation agricole. Mais au mois de juin, tout s’est arrêté. Nous sommes en novembre et nous n’avons adopté ni la LOA ni de texte sur les revenus.

Cerise sur le gâteau, la Commission européenne, présidente en tête, pousse désormais à l’adoption de l’accord avec le Mercosur. Je pensais que, dans ses conclusions du 22 mai 2018, le Conseil de l’Union européenne avait gravé dans le marbre le caractère mixte de cet accord – et donc un volet commercial indissociable du reste du texte.

Nous connaissons la feuille de route : adoption de la LOA, évaluation et correction de la loi Egalim, préparation de la prochaine PAC 2028-2032. Il est grand temps d’avancer et je sais que vous partagez ce sentiment, madame la ministre.

Je me réjouis que vous ayez récemment instauré, avec le Premier ministre, le contrôle administratif unique. Je souhaite cependant vous alerter : en amont de ce contrôle, les agriculteurs reçoivent par mail une liste de documents à transmettre de plus de deux pages. J’ai ici celle qui a été demandée à un agriculteur de la Vienne, que j’ai rencontré lundi soir autour d’un feu de la colère. Ce document est édifiant sur l’écart entre le politique et l’administration.

Les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Ménonville ont proposé, dans leur rapport budgétaire, d’intégrer les groupements de défense sanitaire (GDS) aux chambres d’agriculture. Que pensez-vous de cette idée ? Des éleveurs ovins de mon territoire m’ont fait part de leur avis. À première vue, elle semble assez dangereuse, dans la mesure où les chambres d’agriculture risquent de devenir juge et partie.

En outre, nous devons réfléchir à la possible réouverture automatique du droit à l’erreur à la suite de la publication tardive des instructions techniques relatives à la PAC. Chaque année, des agriculteurs sont pénalisés injustement ; c’est un des ferments de la colère.

Enfin, je vous remercie de vos propos sur l’accès à l’eau dans le cadre d’une gestion raisonnée et de la pérennisation du fonds hydraulique lancé l’an dernier, dont près d’un quart de l’enveloppe a bénéficié à mon département.

Mme Annie Genevard, ministre. S’agissant de la loi Egalim, nous devons légiférer avant le mois d’avril. Le rapport que votre commission prépare servira de base à la réflexion.

Sur le contrôle administratif unique, je suis preneuse de votre document.

Quant à la fusion des GDS avec les chambres l’agriculture, elle n’est pas à l’ordre du jour. Nous discuterons de cette question lors des assises du sanitaire.

S’agissant de l’accès à l’eau, l’un des quarante-huit projets que j’ai labellisés permet l’accès à l’eau de 180 agriculteurs. L’un des critères de labellisation est l’accès collectif à l’eau.

M. Thierry Benoit (HOR). Je concentrerai mon propos sur l’application des directives européennes sur le terrain, en m’appuyant sur un cas d’école dans ma circonscription : les polders du Mont-Saint-Michel et du Marais de Dol.

Les agriculteurs doivent mettre en œuvre les bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7). Il y en a pour les rotations des cultures, d’autres pour les zones humides et les tourbières… Tout cela est d’un compliqué ! Ils doivent aussi respecter la directive « Nitrates », qui prévoit des dérogations en fonction du taux d’argile des terrains mais qui ne sont pas systématiquement accordées.

Pour réconcilier agriculture, alimentation et environnement, ne faudrait-il pas placer les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) sous la même autorité ?

Dans le prolongement de ce qu’ont voulu le gouvernement Attal et votre prédécesseur Marc Fesneau, vous avez instauré le contrôle administratif unique ; je vous en félicite. Si vous souhaitez être une ministre ambitieuse et audacieuse, fusionnez les corps de contrôle de l’agence des services de paiement, des directions départementales des territoires (DDT), des services régionaux de l’alimentation (qui appliquent le plan Écophyto) et des directions départementales de la protection des populations (DDP). Cette fusion garantirait l’efficacité du contrôle administratif, qui serait simplifié.

Mme Annie Genevard, ministre. Je vous propose de nous rencontrer afin que vous exposiez à mes services et à mon cabinet votre deuxième proposition. En tout état de cause, nous voulons simplifier, ce qui requiert en effet de l’audace. Il faut bousculer les choses. De fait, le contrôle administratif unique n’allait pas de soi ; on en parlait depuis plusieurs mois, mais personne ne l’avait mis en œuvre. Je suis résolue à donner un élan.

S’agissant de la directive « Nitrates », personne – y compris les principaux intéressés – ne comprend rien à cette directive essentielle, ce qui pose problème. La démarche qui a été lancée en Bretagne a vocation à être déployée dans les autres régions ; nous avons entamé ce travail avec l’ensemble des présidents et des préfets de région. Les préfets sont une autorité incontournable en matière agricole.

M. André Chassaigne (GDR). Puisque vous avez fait le constat de la perte de sens, cela signifie que vous voulez donner du sens à notre politique agricole. Le seul bon sens populaire n’y suffira pas, car, au fond de tout, c’est le fanatisme libéral qui oriente la politique agricole commune. Je ne vois pas comment redonner du sens sans s’attaquer aux fondements même de cette politique agricole commune ; sans cela, tout ne sera que baratin.

On voit bien, dans ces accords de libre-échange auxquels je suis opposé de manière générale, que l’agriculture est toujours la monnaie d’échange – je l’avais fait reconnaître, devant la commission des affaires européennes, par un commissaire européen : l’agriculture était la contrepartie à donner pour vendre des voitures ou des services. Résultat : année après année, la consommation de nos propres produits alimentaires décline et notre production s’affaiblit. Il faut une nouvelle politique agricole.

Je suis favorable à la PAC. En 1958, la conférence de Stresa avait donné les orientations pour atteindre les objectifs d’une politique agricole et alimentaire commune, en les assortissant d’un cadre protecteur pour l’agriculture européenne. La France doit faire preuve de volontarisme politique et demander à l’Union européenne l’organisation d’une conférence pour parler des problèmes liés aux orientations de la PAC.

Enfin, les plans stratégiques nationaux sont complètement décalés. Leur contenu était déjà conservateur, tenant du saupoudrage, mais avec les dernières mesures prises, ils n’ont plus de sens. Peut-on encore parler d’agriculture durable, compte tenu de ces évolutions au niveau de l’Union européenne ? Le sens peut prendre plusieurs directions ; mais le sens profond de la PAC, il ne faut pas l’oublier.

Mme Annie Genevard, ministre. Je ne parlerai peut-être pas d’un « fanatisme libéral » de l’Union européenne et les choses évoluent de façon intéressante. La souveraineté alimentaire européenne, à l’époque où l’évoquait Christiane Lambert, ancienne présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), était considérée comme une atteinte à la libre concurrence, qui a longtemps été la religion de l’Union européenne. Désormais, on admet que la souveraineté alimentaire, européenne ou française, peut être une entrave à ce libéralisme qui nous fragilise. C’est donc une évolution importante que de pouvoir en affirmer la défense comme un des objectifs de la politique agricole commune. Ce sont des questions qu’il faudra aborder lors des discussions relatives à la nouvelle PAC, en conférence ou sous une autre forme.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. À l’Assemblée nationale, nous demandons régulièrement de débattre des réformes de la PAC ainsi que des plans stratégiques nationaux, que les marges de manœuvre des États membres de plus en plus importantes rendent essentiels.

M. Charles Alloncle (UDR). Comme d’autres députés, j’étais auprès des agriculteurs, à Montpellier. Tous m’ont fait part de leurs craintes à propos de l’accord avec le Mercosur.

Cet accord est le symbole de la naïveté de la France, qui accepte le « deux poids, deux mesures » de la Commission européenne. D’un côté, la Commission impose des normes absurdes à nos agriculteurs ; de l’autre, elle importe d’outre-Atlantique des produits qui ne les respectent pas. L’Autorité européenne de sécurité des aliments reconnaît elle-même que 12 % des produits que nous importons du Brésil contiennent des traces de pesticides interdits dans l’Union européenne.

Cet accord, c’est aussi le symbole de la naïveté de vos nouveaux alliés, les macronistes. Ils nous expliquaient, sûrs de leur talent, qu’avec Emmanuel Macron, Stéphane Séjourné et tous ces cadors de la diplomatie, la France serait de retour et que sa voix serait incontournable en Europe. Quel camouflet leur serait infligé si l’accord était scindé en deux, de sorte que le volet commercial puisse être adopté contre la volonté de la France ! Je souhaite sincèrement que vous réussissiez à convaincre nos homologues de bloquer cet accord ou, à tout le moins, à imposer des clauses miroirs.

Toutefois, le Mercosur ne fait que révéler la perte de compétitivité de notre agriculture et donc la nécessité, à plus long terme, de procéder à des réformes structurelles. En quelques années, nous sommes passés d’une économie de production à une économie de consommation. Notre dépendance ne cesse de croître : sur les douze dernières années, notre excédent commercial a fondu, passant de 11,9 à 5,3 milliards d’euros. Un rapport sénatorial signale que 70 % des pertes de part de marché agricole résultent directement de la dégradation de notre compétitivité. Il n’existe pas trente-six solutions pour retrouver celle-ci : il faut alléger le coût du travail, la fiscalité de production, les normes et les exigences environnementales étouffantes. C’est grâce à ces leviers, combinés à des gains de productivité, que les agriculteurs retrouveront enfin le chemin de l’exportation. Quelles mesures concrètes comptez-vous annoncer rapidement pour réactiver ces leviers de compétitivité ?

Mme Annie Genevard, ministre. S’agissant de l’accord avec le Mercosur, vous avez raison : 145 des 427 substances actives autorisées au Brésil sont interdites en Europe ; les limites maximales de résidus y sont six fois supérieures ; 145 molécules de base y sont autorisées en agriculture biologique, contre soixante en Europe. Si l’accord était adopté, la distorsion serait donc considérable, en matière d’utilisation de produits phytosanitaires, entre les pays du Mercosur et les États européens.

Pour améliorer la compétitivité de notre agriculture, il faut baisser les charges des exploitants – c’est ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2025 –, simplifier et augmenter les rendements, qui conditionnent le revenu des agriculteurs. C’est pourquoi nous réfléchissons au traitement des productions dans le cadre du comité des solutions.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous propose à présent de compléter vos réponses sur divers points. Je pense à l’accès au vaccin contre le sérotype 8 de la fièvre catarrhale ovine, qui n’est pas produit en France.

Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, notre commission a adopté plusieurs amendements, dont l’un est relatif au plan « Fruits et légumes ». Certains budgets nous semblent en effet mériter, sinon d’être confortés, du moins de ne pas trop baisser. Quelle est votre position sur le texte initial du Gouvernement ?

Enfin, certains orateurs sont revenus sur les limites des PGE, qui, tôt ou tard, devront bien être remboursés, ainsi que sur les dates de décaissement, qui inquiètent notamment les Jeunes agriculteurs.

Mme Annie Genevard, ministre. Le budget de 2024 était atypique, car il était en hausse de 1,3 milliards d’euros par rapport à l’année précédente. Cette augmentation était allouée, pour l’essentiel, à la transition énergétique et, du reste, elle n’a pas trouvé entièrement son affectation. Toujours est-il qu’il faut comparer ce qui est comparable et qu’il convient donc d’analyser le budget pour 2025 au regard de celui de 2023 : or il lui demeure supérieur et j’y reviendrai.

S’agissant du vaccin contre la FCO8, nous rencontrons de véritables difficultés du point de vue de notre souveraineté sanitaire. En effet, nous dépendons de la capacité de production des trois laboratoires qui existent – il y en a deux en Espagne et un en France. Or, le laboratoire français nous a annoncé qu’il ne pourrait pas produire de vaccins contre la FCO8 et la maladie hémorragique épizootique (MHE) avant le mois de juin. Cette question doit impérativement être abordée lors des Assises du sanitaire, qui se tiendront au mois de janvier.

Quant aux prêts, je suis d’accord avec vous, leur sédimentation a une limite. C’est pourquoi l’examen de la situation bancaire du demandeur figurera parmi les critères d’attribution, de manière à ne pas l’exposer à des risques. Pour l’essentiel, les prêts garantis par l’État ont été demandés par des viticulteurs. Je précise que le PGE-covid a dû être suivi d’un PGE-sortie du covid. Il est évident que, dans cette perspective, des prêts de consolidation, voire de restructuration, sont nécessaires. Toutefois, je le rappelle, ces prêts nous ont été demandés par les organisations professionnelles des agriculteurs.

Enfin, nous avons commencé à décaisser l’aide visant à indemniser la surmortalité constatée dans les élevages ovins et bovins – le guichet est ouvert depuis lundi dernier. Quant au décaissement des prêts, le dispositif a été « capé » vendredi dernier, grâce au travail accompli par mon cabinet avec les banques, Bpifrance et le ministère chargé des finances. Le prêt conjoncturel de 50 000 euros sera décaissé avant la fin de l’année et celui de 200 000 euros au mois de janvier. Ces délais sont exceptionnellement courts.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Pascal Lecamp (Dem). Pour que le prêt au taux de 1,75 % garanti par l’État puisse être mis en œuvre, Bpifrance doit bénéficier d’une dotation complémentaire sur la ligne 134. Or, dans la version initiale du projet de loi de finances, aucun crédit n’est alloué à cette ligne. Avez-vous la garantie que celle-ci sera bien abondée ?

Mme Annie Genevard, ministre. Je vous confirme que la prise en charge sera effective sur notre budget.

M. Christophe Barthès (RN). Les abattoirs sont fragilisés par le resserrement des marchés asiatiques des coproduits, également appelés « cinquièmes quartiers », et par la forte diminution du prix de leur rachat par les entreprises d’équarrissage. Or le cinquième quartier est l’un des derniers moyens pour les abattoirs de dégager la petite marge nécessaire à leur survie. Quelle action le gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour améliorer la situation économique de cette filière et favoriser le cinquième quartier ?

Plusieurs chambres d’agriculture ont pris fait et cause pour le maintien d’abattoirs dans les territoires ; je pense à la chambre d’agriculture du Lot et à l’abattoir de Saint-Céré ou à celle du Lot-et-Garonne et à l’abattoir de Villeneuve-sur-Lot. Quel appui, notamment financier, l’État peut-il leur apporter pour faire en sorte que le maillage territorial reste le plus vivace possible ?

Enfin, plusieurs acteurs estiment que l’abattage à la ferme n’est pas une bonne solution en raison de son coût et de ses difficultés de mise en œuvre ; d’autres l’envisageraient uniquement pour les abattages d’urgence. Quelle est votre position ?

Mme Annie Genevard, ministre. La question des abattoirs est fondamentale. La décapitalisation des animaux de boucherie et l’augmentation des coûts de production ont fragilisé un certain nombre d’entre eux ; je pense, par exemple, à celui de Blancafort. Or ils jouent un rôle essentiel dans la valorisation du travail des éleveurs.

Le ministère de l’agriculture a donc engagé des démarches pour préserver le maillage territorial et garantir la pérennité de nos filières d’élevage. C’est l’objet de la stratégie Abattoirs, lancée en 2023. Je souhaite notamment améliorer la synergie entre les différents services de l’État dans le cadre du plan de relance entré en vigueur dès 2021, qu’il faut poursuivre. Par ailleurs, le plan renforcé de reconquête de notre souveraineté sur l’élevage est assorti d’un fonds de garantie de 50 M€, mobilisable pendant cinq ans pour soutenir les abattoirs identifiés comme stratégiques pour un territoire ou une filière.

Quant à votre question sur les coproduits, nous y répondrons par écrit pour être le plus précis possible.

M. Éric Bothorel (EPR). Depuis plusieurs semaines, se multiplient les enquêtes, comme celle du youtubeur G Milgram, sur la « géobiologie », cette pratique ésotérique dépourvue de fondement scientifique établi et qui prétend rééquilibrer les énergies. Pourtant, certaines chambres d’agriculture salarient des géobiologues ou proposent des formations dans ce domaine, possiblement éligibles au crédit d’impôt. Des géobiologues sont même régulièrement missionnés par des chambres pour déterminer la position des éoliennes, moyennant quelques milliers d’euros.

Les chambres d’agriculture étant des établissements publics financés par l’argent public, cette pratique devrait faire l’objet de la plus grande attention, qui plus est dans un contexte d’économies budgétaires. À cet égard, un rapport du ministère de l’agriculture de décembre 2023, qui souligne la rigueur dont feraient preuve les géobiologues professionnels, suscite des interrogations. Pouvez-vous donc nous préciser la position de votre ministère sur la géobiologie et nous indiquer les mesures prises pour que l’argent public ne finance pas ces pratiques ésotériques ?

Mme Annie Genevard, ministre. Il est établi que les animaux sont sensibles aux courants électriques parasites. Cela dit, les géobiologues, qui se définissent comme des spécialistes des relations de l’environnement, des constructions et des modes de vie avec le vivant, s’appuient sur des connaissances techniques empiriques – électricité, observation des animaux, psychologie de l’éleveur – et des principes ésotériques. La Confédération nationale de géobiologie compte 210 personnes inscrites dans son annuaire officiel, parmi lesquels des agents de chambre d’agriculture.

Il nous faut donc développer des travaux de recherche avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur le sujet. Mais les chambres d’agriculture se sont saisies de la question et sont vigilantes.

M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Les agriculteurs crient leur détresse de ne pas pouvoir vivre dignement de leur travail : un agriculteur sur cinq gagne moins de 6 100 euros par an et dix mille emplois agricoles disparaissent chaque année.

Dans l’Aveyron, l’élevage de qualité façonne l’économie et les paysages ; il ne peut pas être en compétition avec les bœufs aux hormones détaxés. Entre un modèle d’agriculture familiale rémunérateur et l’accord destructeur entre l’Union européenne et le Mercosur, il faut choisir. Pour l’instant, la proposition de résolution déposée par le groupe LFI-NFP a été écartée. Les macronistes et les députés LR seraient prêts à soutenir cet accord en cas de clauses miroirs, lesquelles sont pourtant totalement inefficaces. Quant au RN, il a voté, en 2020, contre le rejet de cet accord au Parlement européen. Collègues, rejetons ensemble l’accord UE-Mercosur et instaurons un protectionnisme solidaire !

Que comptez-vous faire pour défendre nos paysans et empêcher la Commission européenne de nous tordre le bras ?

Mme Annie Genevard, ministre. Oui, il faut défendre la singularité et la force de l’élevage français, qui est familial. Je sais, pour venir d’une région où ce modèle est très présent, que nous devons continuer de le promouvoir. Votre proposition de résolution a été écartée, mais nous avons promu l’idée d’un débat, qui sera, je crois, utile et qui vous permettra de faire valoir vos arguments.

Par ailleurs, nous menons un intense travail diplomatique ; je me rendrai en Pologne, en fin de semaine, avec Sophie Primas et le Premier ministre. Si le débat devant l’Assemblée nationale se concluait par un vote unanime, la France pourrait affirmer sa position, qui, quoi que vous en disiez, sera observée avec attention.

Mme Valérie Rossi (SOC). En juillet dernier, le Gouvernement lançait un plan « Agriculture Climat Méditerranée » afin d’accompagner les agriculteurs dans les territoires affectés par le dérèglement du climat méditerranéen.

Depuis un an, le département des Hautes-Alpes a été fortement touché, alternativement, par des inondations à répétition et d’importantes périodes de sécheresse. Plusieurs porteurs de projet haut-alpins pourraient donc déposer des dossiers dans le cadre de ce plan. Or, sauf modification récente du périmètre, mon département ne fait pas partie de ceux qui ont été identifiés comme les plus exposés au risque climatique. Je vous prie donc de bien vouloir réétudier le zonage du plan pour y inclure le département des Hautes-Alpes, qui, contrairement à ce qu’indique son nom, est fortement soumis à l’influence méditerranéenne.

Mme Annie Genevard, ministre. Ce qui a prévalu dans la conception de ce plan hydraulique, c’est la volonté d’amener l’eau là où l’agriculture en a besoin. De fait, dans certains territoires, il n’est plus possible de cultiver, faute d’eau en quantité suffisante. Il faut donc y réutiliser les eaux usées, remettre à niveau l’adduction, rehausser les dispositifs de collecte… Sans aller jusqu’à créer des mégabassines, qui suscitent toujours beaucoup d’émotion, il nous faut aussi organiser la collecte de l’eau pour qu’elle puisse être utilisée par l’agriculture.

Le plan n’a donc pas pour vocation de lutter contre les conséquences des désordres climatiques. Cependant, j’examinerai attentivement si certaines de ses propositions pourraient correspondre à l’architecture de votre département.

M. Vincent Rolland (DR). S’il existe une crise dans la crise agricole, c’est bien celle qui est liée, depuis de nombreuses années, à la prédation et aux attaques incessantes du loup contre les troupeaux d’ovins, attaques qui n’épargnent pas les chevaux ni les bovins. La convention de Berne, qui protège le loup, doit être revue au mois de décembre. La France plaidera-t-elle, à cette occasion, pour un déclassement du loup, qui permettrait d’augmenter les prélèvements ? Il n’est pas rare de voir des meutes traverser nos villages, ce qui est insupportable pour la vie locale et surtout, pour les agriculteurs.

Mme Annie Genevard, ministre. J’ai longtemps appelé de mes vœux une position officielle de la France sur cette question. Nous l’avons enfin : notre pays a demandé que le loup soit déclassé d’espèce « strictement protégée » à espèce « protégée ». Il ne s’agit pas d’éradiquer le loup, mais de rétablir un équilibre et de donner la priorité au soutien aux éleveurs et au pastoralisme. De fait, l’état de conservation de l’espèce est désormais satisfaisant. J’espère donc que la convention de Berne, qui se prononce à la majorité, fera droit à notre demande.

En revanche, la directive « Habitat », qui est la traduction communautaire de cette convention, ne peut être modifiée qu’à l’unanimité. Or trois pays se sont opposés au déclassement du loup : l’Irlande, l’Espagne et le Portugal. Nous devons donc mener un travail diplomatique pour les convaincre de nous rejoindre, car c’est uniquement à cette condition que nous pourrons procéder à des prélèvements plus importants.

C’est un dossier que je suis depuis fort longtemps et auquel j’accorde une très grande attention, tant je sais le désespoir ressenti par les éleveurs qui constatent, le matin, les dégâts causés à leurs animaux par les loups.

M. Benoît Biteau (EcoS). À propos des zones humides, vous avez évoqué la convention de Ramsar, mais cet outil n’est pas le bon. Cinq pôles relais nationaux, validés par le ministère de la transition écologique, ont élaboré un réseau partenarial de définition et de caractérisation des zones humides. Ce répertoire est le plus sérieux, le plus robuste et le plus exhaustif dont nous disposons. Mieux vaut donc l’utiliser plutôt que le dispositif de la convention de Ramsar, qui repose sur le volontariat et n’est pas particulièrement robuste !

Mme Annie Genevard, ministre. Le dispositif des bonnes conditions agricoles et environnementales relatif aux zones humides et aux tourbières (BCAE 2) correspond précisément au croisement de la convention de Ramsar et du réseau que vous évoquez.

M. Benoît Biteau (EcoS). Quel est l’intérêt de ce croisement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Le dispositif de la convention de Ramsar fait partie de l’écoconditionnalité de la PAC. Les exploitants qui se portent volontaires dans ce cadre font œuvre utile, d’autant qu’ils acceptent des contraintes particulières pour protéger les zones humides. Ce n’est pas rien !

M. Henri Alfandari (HOR). Vous avez eu raison de rappeler que l’agriculture ne peut pas être la variable d’ajustement des accords internationaux, mais notre principal problème tient au manque de compétitivité de la « ferme France ». À cet égard, notre collègue Julien Dive a insisté, avec raison, sur la notion de programmation. Nous sommes parvenus à inscrire, à l’article 1er de la LOA, une logique de consommation par filière et des objectifs de production par filière au regard des consommations nationales qu’il serait utile de consolider.

Par ailleurs, nous sommes nombreux à être attachés à la simplification évoquée par notre collègue Thierry Benoit. On pourrait imaginer, à cet égard, que l’Office français de la biodiversité (OFB) rejoigne les brigades environnementales de la gendarmerie. Nous devrions tous être inquiets de ce que même des ingénieurs agricoles ne savent pas remplir les formulaires BCAE !

Mme Annie Genevard, ministre. La simplification est un des leviers sur lesquels agir pour améliorer la compétitivité. Vous venez d’en citer un exemple : quand on ne comprend pas ce qu’on nous demande, il y a un problème.

Je crois que votre collègue Dive insistait moins sur la notion de « programmation » que sur celle de « conception » : vers quelle agriculture voulons-nous aller ? Je rappelle que nos agriculteurs ont toujours obéi aux programmations de l’État.

M. Henri Alfandari (HOR). Ils sont très résilients ! (Sourires.)

Mme Annie Genevard, ministre. En effet ! Quand on leur a demandé de monter en gamme puis de développer l’agriculture biologique, ils l’ont fait. Mais il y a des limites aux exigences qu’on leur impose ; cette limite, c’est la production et la capacité à vivre de son travail.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je me permets de préciser qu’au Brésil, le coût du foncier est quasiment nul en raison de la déforestation et qu’il serait donc difficile de se doter des mêmes facteurs de compétitivité que les agriculteurs brésiliens – fort heureusement, d’ailleurs…

Mme Hélène Laporte (RN). « En l’état », dites-vous, l’accord avec le Mercosur n’est pas acceptable. Mais comment pourrait-il l’être ? On parle de clauses miroirs, mais on est incapables de s’assurer que des hormones de croissance n’ont pas été utilisées !

Au reste, pourquoi nous solliciter pour débattre à nouveau, le 10 décembre, du projet d’accord ? Notre assemblée s’y est déjà opposée à une écrasante majorité le 13 juin 2023 – sans votre concours, d’ailleurs, chers collègues de LFI. En octobre, on m’a refusé l’examen d’une proposition de résolution. Nous avons un peu le sentiment d’être baladés !

Mme Annie Genevard, ministre. Le contrôle est déterminant, mais il ne peut s’exercer qu’au niveau européen : si nous le mettions en œuvre au niveau français, les produits passeraient par le port de Rotterdam. Si le prochain débat se conclut par un vote unanime contre l’accord…

Mme Hélène Laporte (RN). Nous nous sommes déjà prononcés !

Mme Annie Genevard, ministre. Certes, mais l’actualité nous impose d’y revenir. Chaque fois que les parlementaires ont la possibilité de s’exprimer sur une question majeure, il me paraît normal qu’ils le fassent. Au demeurant, de nouvelles questions sont apparues : je pense à celle, fondamentale, de la scission de l’accord, qui peut nous priver de débat. Ce serait une offense à la démocratie et aux pays fondateurs de l’Union européenne. Il faut pouvoir le dire !

M. Jean-Pierre Vigier (DR). La crise est profonde. Nos agriculteurs, confrontés aux aléas climatiques et sanitaires, ont plus que jamais besoin de soutien. Vous avez travaillé vite et bien pour annoncer des aides et des dispositifs administratifs et financiers. Ils sont les bienvenus, mais nos agriculteurs réclament également un choc de simplification, car la paperasse administrative, les lourdeurs réglementaires et la multiplication des contrôles sont autant d’entraves à leur activité. À cet égard, le contrôle administratif unique que vous avez annoncé marque une première avancée.

Comment garantir que les décisions prises au niveau national seront bien appliquées rapidement et efficacement sur le terrain ? Nos agriculteurs comptent sur nous !

Mme Annie Genevard, ministre. Votre question est fondamentale. Lorsqu’on prend une décision, il faut l’accompagner pour vérifier qu’elle est bien appliquée. Je procédais déjà ainsi en tant que maire. En ce qui concerne le contrôle administratif unique, nous avons choisi, avec mon directeur de cabinet, de mobiliser les préfets de région et de département. Nous leur avons déjà transmis la circulaire en l’assortissant d’un mode d’emploi et nous leur demanderons de nous tenir informés de sa mise en œuvre.

M. Julien Gabarron (RN). Notre viticulture meurt, alors que les exploitants demandent raisonnablement de ne gagner que 15 centimes de plus par bouteille vendue afin de pouvoir vivre dignement de leur travail. Les négociants, intermédiaires, distributeurs et restaurateurs peuvent absorber ce coût sur leurs marges. Que comptez-vous faire concrètement pour que nos agriculteurs puissent, comme le permettent l’article 17 de la loi Egalim du 30 octobre 2018 et l’article 442-7 du code de commerce, vendre enfin leur production au prix juste ?

Mme Annie Genevard, ministre. En effet, notre viticulture va mal, pour des raisons conjoncturelles, mais aussi structurelles – par exemple, la déconsommation de vin rouge. J’ai reçu l’ensemble de la filière, qui en convient : des dispositions particulières sont nécessaires. Parmi celles-ci figurent : le plan d’arrachage de 120 M€ ; le plan stratégique viticole, que la profession m’a remis et qui devra être doté de moyens, en particulier pour les coopératives ; l’allégement des charges MSA, qui sera porté à 50 M€ ; les prêts bonifiés et garantis, qui s’adressent également aux viticulteurs. Je me suis rendue sur le terrain à plusieurs reprises, notamment dans les Pyrénées orientales et dans l’Aude, qui ont particulièrement souffert de la sécheresse. Je suis très attentive à la situation.

M. Stéphane Travert (EPR). Lundi, une action syndicale à vocation pédagogique s’est déroulée dans le Cotentin, au cœur de ma circonscription ; elle visait à entretenir les cours d’eau et à curer les fossés pour améliorer l’écoulement de l’eau et éviter ainsi les inondations dont de nombreux territoires ont été victimes. Depuis dix ou quinze ans, cet entretien n’est plus effectué par crainte de pénalités ou de sanctions parfois très lourdes – ou à cause d’une procédure jugée trop complexe, qui crée de facto des relations tumultueuses avec les services de l’État. Le fait de passer d’un régime d’autorisation très complexe à un régime de déclaration ne serait-il pas une marque de confiance envers les agriculteurs, qui sont les premiers défenseurs de leur outil de travail et de leur environnement ?

Mme Annie Genevard, ministre. Je partage votre préoccupation. La crainte est telle, en effet, qu’on préfère ne pas entretenir les cours d’eau plutôt que de s’exposer à des sanctions. C’est absurde ! Au début de l’année, le curage ponctuel a été soumis à déclaration et non à autorisation, mais il faut aller beaucoup plus loin. L’inspection générale de l’agriculture et celle de l’environnement se sont vu confier une « mission flash » sur la simplification du cadre législatif et réglementaire. Je m’appuierai sur leur rapport pour proposer des mesures de simplification réglementaire, plus rapides et plus faciles à mettre en œuvre que des mesures législatives. En tout cas, je puis vous assurer que je jouerai, dans ce domaine, un rôle moteur au côté de ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui est chargée de ce dossier.

Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Je porte la voix des éleveurs ovins du nord du Limousin et de tant d’autres : face aux épidémies de FCO, ils se sentent abandonnés ; la FCO3 fait bien l’objet d’une indemnisation, mais pour la FCO8, les résultats ne sont pas là. Les éleveurs du sud sont coincés entre le risque économique que représente la vaccination et le risque sanitaire. Ne pouvant engager des sommes démentielles, ils se trouvent contraints d’attendre que le virus touche leur troupeau. Quand apporterez-vous de véritables réponses à l’élevage ovin extensif, qui préserve les paysages ?

Mme Annie Genevard, ministre. J’ai évoqué les difficultés liées à la perte de souveraineté sanitaire et la disponibilité des vaccins en fait partie. La surmortalité des ovins et des bovins provoquée par la FCO3 sera indemnisée par le fonds d’urgence à hauteur de 75 M€, fonds qui servira également à indemniser les pertes en ovins causées par la FCO8 : le traitement sera donc identique, peut-être selon un calendrier différent. Pour les bovins touchés par la FCO8, l’indemnisation dépendra du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental, abondé par l’État à hauteur de 65 %, ainsi que par une contribution des agriculteurs. Tous les ovins et bovins atteints de fièvre catarrhale donneront donc lieu à indemnisation.

M. Jean-Luc Fugit (EPR). Vous avez relancé le comité des solutions qui permet de savoir, pour chaque production végétale, de quelles substances disposent les agriculteurs des différents pays européens – je vous en remercie. Ce travail met au jour les impasses techniques où se trouvent nos agriculteurs. Depuis plusieurs mois, les arboriculteurs du Rhône me font part des difficultés croissantes qu’ils rencontrent à cause de la succession de retraits de substances actives. Ce lundi, ils m’ont informé de la prochaine restriction d’usage de trois nouvelles molécules : le captane, la flonicamide et le fluopyram. Or les interdictions ne seront pas identiques dans tous les pays européens : c’est inacceptable ; par exemple, la France autoriserait une application de flonicamide par an, un an sur deux, contre deux applications par an dans les pays voisins. Que comptez-vous faire ? Accepteriez-vous de rencontrer les arboriculteurs du sud du département du Rhône, où se trouve un verger expérimental ? Nous serions ravis de vous accueillir.

Mme Annie Genevard, ministre. Le Premier ministre a déclaré aujourd’hui au Sénat qu’il ne voulait plus de distorsion entre les réglementations européennes et les nôtres. Les produits interdits au niveau européen le sont également chez nous, sans discussion. En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi ceux qui sont autorisés au niveau européen seraient interdits en France : on constate des divergences entre les agences. On répertorie 900 usages, dont 545 correspondent aux besoins de traitement exprimés par nos filières : là se situe notre marge de manœuvre. Ces 545 usages sont couverts par 75 produits. Le temps imparti m’empêche de développer davantage, mais je vous enverrai une réponse écrite concernant les trois substances que vous avez citées.

M. Patrice Martin (RN). Si l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur était ratifié, 99 000 tonnes de viande bovine seraient importées sur le Vieux Continent avec des droits de douane réduits, sans compter les autres matières agricoles, qui font l’objet de quotas gargantuesques et attendent d’inonder le marché européen. Ces 99 000 tonnes s’ajouteront aux trois cent mille tonnes importées chaque année dans le cadre des contingents tarifaires issus des règles de l’OMC, qui établissent des tarifs préférentiels déjà très favorables au Mercosur. Le règlement des différents accords commerciaux n’est plus opérationnel depuis 2019 et le cycle des négociations commerciales est au point mort depuis vingt-trois ans. Les États-Unis et la Chine imposent davantage de protectionnisme. Quand prendrez-vous acte de la fin de la mondialisation sauvage ? Il faut imposer à l’Union européenne le juste échange afin de garantir à nos agriculteurs que le commerce international ne leur sera pas systématiquement défavorable.

Mme Annie Genevard, ministre. Nous importons la moitié des poulets que nous mangeons – 80 % de ceux consommés hors foyer. Avec l’accord, nos producteurs perdront encore des capacités d’écoulement. Les parties de bœuf qui seront importées depuis les pays du Mercosur seront en concurrence directe avec celles produites par nos éleveurs, déjà confrontés à une baisse de la consommation de viande. Nous devons donc nous montrer d’une extrême fermeté.

M. Guillaume Lepers (DR). La filière « Noisette », très implantée dans le Lot-et-Garonne, se trouve dans une situation critique. Ma circonscription, notamment, compte plus de trois cents producteurs. Depuis 2020, la France est le seul pays au monde à interdire l’usage de l’acétamipride, dont la toxicité sur les abeilles n’est pourtant pas avérée. Depuis, le balanin et la punaise diabolique ravagent les vergers. Les alternatives étant inefficaces, on estime que plus de 75 % des récoltes de cette année seront perdues. Pour répondre à la demande, la France se retrouve obligée d’importer des noisettes étrangères, qui bénéficient des traitements qui nous sont interdits : c’est totalement absurde ! L’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a maintenu l’autorisation de l’acétamipride le 15 mai. En attendant une évolution législative pérenne, pouvez-vous nous assurer que la filière bénéficiera d’une dérogation d’usage de 120 jours pour effectuer le traitement du printemps, comme ce fut le cas en 2018 et en 2020 ? Cela permettrait simplement de survivre.

Mme Annie Genevard, ministre. Les représentants de la filière nous ont exposé leur analyse juridique et nous l’avons étudiée. Malheureusement, nous ne pouvons pas accorder de dérogation, parce que le législateur a inscrit l’interdiction de cette substance dans la loi. Seule une autre loi peut modifier cette disposition.

M. Sylvain Carrière (LFI-NFP). La viticulture traverse une crise sans précédent. Les viticulteurs sont aux abois et, avec eux, les habitants des territoires qui dépendent de la vigne. Le plan stratégique de la filière vitivinicole vise à relever les défis qui s’imposent à elle : baisse tendancielle de la consommation de vin ; accumulation de stocks faute d’ajustement de la production ; préférence pour les vins moins alcoolisés, quand la hausse des températures tend à augmenter le degré d’alcool ; aléas climatiques qui déciment les cultures ; aléas géopolitiques, comme les taxes qu’impose la Chine sur les vins et spiritueux et celles que les États-Unis vont rétablir après l’élection de Trump. Comment appliquerez-vous ce plan pour accompagner la filière ? Quelles mesures seront déployées et à quelles échéances ?

Mme Annie Genevard, ministre. J’ai déployé le plan d’arrachage, doté de 120 M€ et dont 108 M€ ont été consommés. Tout un travail a été accompli en matière de soutien à la trésorerie, avec les deux types de prêts. Je rencontre régulièrement les représentants de toutes les filières vitivinicoles. Je suis allée deux fois visiter des producteurs dans le sud ; j’ai vu leurs difficultés, structurelles et conjoncturelles – liées au climat. Il faut réfléchir à l’avenir de la filière. Le plan stratégique est essentiel : nous allons travailler avec les viticulteurs pour l’appliquer au mieux, dès le début de l’année prochaine. Je discute très régulièrement avec les représentants des filières.

M. Stéphane Buchou (EPR). Sur le littoral atlantique (la presqu’île de Guérande, les îles de Ré et de Noirmoutier), la fleur de sel se ramasse à la main, en surface, après cristallisation, depuis des siècles. Or dans les autres régions productrices, la mécanisation et l’industrialisation prévalent, trompant les consommateurs sur la marchandise. Il est donc nécessaire de définir en droit la « fleur de sel », sous peine de voir disparaître les quelque six cents petits producteurs de l’Atlantique, dont le savoir-faire ancestral appartient à notre patrimoine. Soutenez-vous le travail que j’ai engagé en ce sens ?

Mme Annie Genevard, ministre. La fleur de sel est un trésor culinaire que nous devons protéger, comme nous devons transmettre les savoir-faire ancestraux de sa production. Je partage votre combat. Les questions de la protection, de la définition et de l’harmonisation des règles sont fondamentales et il faudra les résoudre en lien avec l’Union européenne. Il faut explorer toutes les modalités de protection géographique et d’indication de qualité. Je vous propose que nous y travaillions ensemble.

M. Eric Liégeon (DR). Nos agriculteurs, déjà confrontés à des défis colossaux et fragilisés par les crises économiques, climatiques et sanitaires, doivent encore faire face à des vagues d’agribashing, orchestrées par des associations radicales. Leurs attaques prennent des formes graves : destruction de cultures, attaques de projets de retenue d’eau, campagnes de dénonciation publique injustifiées. Au-delà des dégâts matériels, ces actes malveillants sapent le moral et la dignité de ceux qui nous nourrissent et façonnent nos paysages, jouant un rôle central dans la vie des territoires. Nous devons protéger les agriculteurs contre ces attaques physiques et morales, qui ont une part dans les manifestations en cours.

Mme Annie Genevard, ministre. L’agribashing participe au malaise des agriculteurs, montrés du doigt et injustement mis en accusation par des idéologues, des extrémistes, parfois des terroristes, capables de s’en prendre physiquement aux forces de l’ordre qui protègent des installations. Vous avez évoqué les retenues d’eau, mais les plantations sont également concernées : j’ai parlé hier au téléphone avec un agriculteur dont la parcelle, tout juste semée, avait été piétinée – son travail était ruiné. Le Conseil d’État vient de valider le suivi des actions de nature idéologique des militants écologistes. La cellule Déméter de la gendarmerie s’y emploie. Cette décision est une victoire.

M. Joseph Rivière (RN). Dans l’océan Indien, la saison cyclonique a commencé le 15 novembre. Or certains agriculteurs n’ont toujours pas été indemnisés des conséquences des cyclones de janvier. Pourriez-vous accélérer cette indemnisation et simplifier les démarches administratives correspondantes ?

L’exportation des produits agricoles de La Réunion vers le reste du territoire national et vers l’Union européenne se heurte à des barrières administratives et douanières. Pourriez‑vous intervenir pour faciliter l’écoulement de nos productions ?

Mme Annie Genevard, ministre. Vos questions sont très précises ; nous vous enverrons une réponse circonstanciée.

Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, madame la ministre.

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Informations relatives à la commission

La commission a nommé Mme Hélène Laporte, M. Stéphane Travert et M. Dominique Potier co-rapporteurs dans le cadre de la séance thématique de contrôle du 15 janvier 2025, pour laquelle le groupe RN a choisi le thème : « Un an après la crise agricole, quel bilan pour les agriculteurs ? ».

 


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mercredi 20 novembre 2024 à 16 h 35

Présents.  M. Laurent Alexandre, M. Henri Alfandari, M. Charles Alloncle, M. Christophe Barthès, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Éric Bothorel, M. Stéphane Buchou, Mme Françoise Buffet, M. Julien Dive, M. Julien Gabarron, M. Maxime Laisney, Mme Hélène Laporte, Mme Nicole Le Peih, M. Robert
Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Patrice Martin, Mme Manon Meunier, M. Joseph Rivière, M. Vincent Rolland, Mme Valérie Rossi, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Frédéric Weber

Excusés.  M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin, M. Nicolas Meizonnet, M. Philippe Naillet

Assistaient également à la réunion.  M. Sylvain Carrière, M. André Chassaigne, M. Jean-Luc Fugit, M. Eric Liégeon, M. Bastien Marchive