Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la proposition de loi d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation (n° 386) (M. Charles Fournier, rapporteur) 2
Mercredi 12 février 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 57
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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La commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation (n° 386) (M. Charles Fournier, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. La proposition de loi d’expérimentation pour l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation figure en troisième position à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Écologiste et social, le 20 février prochain. Elle comporte cinq articles, dont l’objet est de définir les principes d’une sécurité sociale de l’alimentation, d’en déterminer les objectifs et de mettre en place un dispositif expérimental s’appuyant sur un fonds national d’expérimentation, dont la gestion serait confiée à une association. Pour chaque expérimentation locale, un parlement alimentaire et une caisse primaire administrée par un comité local seraient créés.
Cinquante amendements ont été déposés et aucun n’a été déclaré irrecevable.
M. Charles Fournier, rapporteur. La présentation de ce texte sera l’occasion d’aborder la question majeure de l’alimentation dans notre pays.
Le droit à l’alimentation a été reconnu par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui l’a renforcé en avril 2020. Toutefois, il n’est pas consacré dans notre corpus juridique. Aucun texte ne le rend applicable. Notre proposition de loi marquerait donc une première étape dans sa concrétisation.
Pour répondre d’emblée à certains commentaires, le droit à l’alimentation n’est pas le droit de manger gratuitement. Il s’agit de garantir l’accès à une alimentation correspondant aux besoins de nos concitoyens. Beaucoup d’entre eux connaissent la précarité alimentaire et ne peuvent pas choisir ce qu’ils mettent dans leur assiette. Ils sont 38 % à reconnaître qu’ils ont déjà eu recours à l’aide alimentaire. Les étudiants sont de plus en plus nombreux à faire la queue pour en bénéficier. Dans notre pays, de 1,8 à 2,4 millions de personnes feraient appel aux banques alimentaires et cinq millions de nos compatriotes ne mangeraient pas à leur faim.
Parallèlement, notre système agricole connaît de graves difficultés. Environ 20 % des paysans vivent en deçà du seuil de pauvreté. On « marche sur la tête » : ils produisent beaucoup, mais cette production ne leur permet pas de dégager un revenu leur permettant de vivre.
Enfin, nous ne maîtrisons plus ce qui se trouve dans notre assiette et nous ignorons les risques éventuels liés à notre alimentation. La démocratie alimentaire n’existe plus.
De nombreuses mesures ont été imaginées pour faire face à ces problèmes. Des systèmes de chèques alimentaires ont été créés pour ceux qui n’avaient pas les moyens de se nourrir. Des instances dédiées ont été installées. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont également ouvert une voie de coopération intéressante. Néanmoins, si toutes ces solutions sont nécessaires, elles ne constituent pas une réponse systémique et globale. Elles sont donc impuissantes à faire disparaître un phénomène ancien et qui ne cesse de s’amplifier.
Nous proposons de remettre au goût du jour une idée ancienne, puisqu’elle s’inspire de la sécurité sociale créée en 1945. Ce modèle permet de nous protéger face à un risque. À terme – j’insiste sur ce point –, il pourrait être étendu à l’alimentation. Certains diront que l’alimentation n’est pas un risque, mais la maternité ou la vieillesse ne le sont pas non plus ! Par ailleurs, ne pas pouvoir se nourrir constitue bien un risque. De plus en plus de personnes sont obligées de sauter régulièrement des repas. Le risque en matière alimentaire concerne aussi la santé. Dans notre pays, le coût écologique et sanitaire de la « malbouffe » est évalué à 19 milliards d’euros par an. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) va plus loin, en considérant que son impact sur l’ensemble de la société dépasserait les cent milliards par an, notamment en raison de la perte de productivité des entreprises due aux maladies liées à une mauvaise alimentation. Les sommes en jeu sont donc considérables.
Ayant fait ces constats, des associations, des syndicats agricoles et diverses structures ont, depuis 2019, décidé d’expérimenter une sécurité sociale de l’alimentation. Je tiens à leur rendre hommage, car ils ont inspiré notre proposition de loi.
Nous proposons une expérimentation sur le modèle de « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Il ne s’agit pas de mettre en œuvre dès maintenant une sécurité sociale de l’alimentation, qui supposerait l’universalité, des cotisations perçues sur les revenus du travail ou du capital, etc. Toutes ces dimensions restent à explorer. Notre texte vise seulement à ouvrir un chemin.
Aujourd’hui, une quarantaine d’expérimentations sont menées en France. Je vous invite à découvrir comment elles se déroulent. À Montpellier, plus de six cents personnes bénéficient de la caisse alimentaire créée il y a plusieurs années et le dispositif monte en puissance. Des projets sont également en cours dans le département de la Gironde ou à Lyon. Des territoires urbains sont concernés, mais aussi des territoires ruraux, comme à Cadenet ou Dieulefit.
Ces expérimentations bénéficient déjà de soutiens publics, qui sont toutefois inégaux et insuffisants pour leur permettre d’aller jusqu’à leur terme. La Caisse des dépôts et consignations, qui a été auditionnée, s’est montrée très favorable à ces projets. Elle en accompagne d’ailleurs quelques-uns. Les acteurs de la protection sociale, notamment des caisses de sécurité sociale comme la Mutualité sociale agricole (MSA), sont également intéressés. Ils sont prêts à s’engager. Beaucoup ont demandé à être auditionnés et à être mentionnés dans le texte, alors que ce n’était pas prévu à l’origine. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a aussi transmis une contribution expliquant qu’elle participe à des expérimentations. Le contexte est donc très favorable.
De nombreux acteurs pensent qu’il faut expérimenter. Cela suppose de créer un droit spécifique, afin de tester des règles qui ne seront applicables que dans certains territoires. L’expérimentation, dans les sciences, c’est aussi tester une idée – et cela vaut ici en matière politique. D’où la nécessité d’impliquer des chercheurs, ce que prévoit le texte, pour évaluer les résultats et réfléchir aux conditions d’une pérennisation. Certains d’entre eux travaillent depuis longtemps sur ces sujets.
Pour conclure, j’aborderai la question du financement. Des hypothèses ont été formulées dans la perspective d’une généralisation de cette sécurité sociale de l’alimentation. Une aide mensuelle de 150 euros a été évoquée. Quant au coût, il pourrait s’élever à 120 milliards d’euros. Certains vont crier à la catastrophe ! Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’argent public, puisque le dispositif reposerait sur le principe de la socialisation et de la redistribution, donc sur des cotisations, dont les modalités seraient à définir.
Par ailleurs, si l’on se souvient que le coût direct de la « malbouffe » atteint 19 milliards et son coût sociétal plus de cent milliards, on s’aperçoit que les ordres de grandeur ne sont donc pas si éloignés.
Les montants sont en outre inférieurs à ceux que représentent la plupart des branches de la sécurité sociale.
Après la seconde guerre mondiale, la France était dans une situation économique dramatique. Quand il a défendu son projet, Ambroise Croizat s’est heurté aux mêmes arguments que ceux qui nous sont opposés aujourd’hui.
Notre proposition de loi a pour objet de définir cette sécurité sociale de l’alimentation, de constituer un fonds national d’expérimentation – comme pour les territoires « Zéro chômeur de longue durée » – afin de disposer de financements complémentaires de l’État et de préciser les modalités de gouvernance des futurs projets. Elle prévoit également un gage en contrepartie de la charge créée.
Le droit à l’alimentation est un sujet sérieux, qui mérite un débat de qualité. J’espère que nous pourrons éviter la caricature et avoir une discussion approfondie.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Frédéric Weber (RN). Derrière un discours tonitruant de solidarité et de justice sociale se cache un texte à la rédaction désastreuse et totalement inapplicable. Il repose sur une vision idéologique biaisée, qui ne protège en rien notre souveraineté alimentaire ni le travail de nos agriculteurs.
Tout d’abord, cette proposition de loi est inapplicable, car les mécanismes de financement de la caisse primaire pour l’alimentation censée permettre l’expérimentation ne sont pas détaillés. Rien n’est prévu pour assurer son équilibre budgétaire ou pour garantir qu’elle ne deviendra pas une charge supplémentaire pour les contribuables.
Par ailleurs, certains exploitants et certaines chaînes de distribution pourraient être favorisés en raison de leur proximité idéologique avec les promoteurs du texte. Les critères de conventionnement des produits alimentaires ne sont ni transparents ni neutres. Nous refusons que la distribution alimentaire devienne un outil militant au détriment des professionnels qui nourrissent réellement les Français. La proposition de loi ignore les chambres d’agriculture, les organisations représentatives du secteur agricole et les pôles de financement des cantines scolaires. Comment prétendre parler de politique alimentaire sans consulter ceux qui sont en première ligne, dont les agriculteurs ? Ces oublis majeurs démontrent une approche purement idéologique et non pragmatique.
Enfin, la proposition de loi impose une fracture dogmatique, dictée par une minorité qui cherche à imposer ses préférences alimentaires et ses canaux de distribution à l’ensemble des Français. Sous couvert d’égalité et d’accès à une alimentation saine, nous voyons émerger une volonté de contrôle des choix alimentaires des citoyens, par la définition centralisée des produits éligibles. Cette approche idéologique et les manœuvres militantes sous-jacentes sont en totale opposition avec la réalité des personnes en situation de précarité alimentaire. En outre, le texte ne respecte pas les spécificités locales et culturelles de notre alimentation.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons fermement à cette proposition de loi. Nous refusons une expérimentation floue, coûteuse et, de toute façon, inapplicable. Le Rassemblement national défend une agriculture libre, souveraine et respectueuse des réalités économiques de nos territoires. Nous souhaitons des solutions pragmatiques, promues par nos agriculteurs, nos chambres d’agriculture et nos collectivités locales.
M. Charles Fournier, rapporteur. Contrairement à ce que vous prétendez, nous renvoyons à la démocratie locale le choix des distributeurs et des producteurs. La grande distribution n’est pas citée, mais l’agriculture biologique – un terme qui vous aurait mis encore plus en colère – ne l’est pas non plus. Les caisses locales pourront librement conclure des conventions avec les différents acteurs. Nous n’imposons pas de positions idéologiques. En revanche, nous faisons confiance aux citoyens, qui privilégieront probablement des aliments produits pas très loin de chez eux – donc français, comme vous le souhaitez.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, les ménages consacrent environ un cinquième de leur budget à l’alimentation ; c’est 40 % de moins qu’en 1960. En quelques décennies, les modes de consommation ont changé : moins de repas sont pris à domicile ; le temps consacré à leur préparation a diminué, favorisant l’utilisation de produits déjà transformés et l’achat de plats cuisinés ; le lien à la terre s’est également distendu, faisant de l’alimentation un sujet annexe, voire une contrainte. Ces évolutions ne sont pas sans conséquences sur la santé de nos concitoyens, mais également sur le dynamisme de notre agriculture.
Votre proposition de loi a le mérite d’ouvrir le débat et je vous en remercie. Cependant, je ne crois pas du tout à une sécurité sociale de l’alimentation. Ce projet soulève d’emblée une difficulté conceptuelle. En effet, la sécurité sociale a été créée – je cite l’ordonnance de 1945 – pour « garantir les travailleurs et les familles contre les risques de toute nature ». Or, l’alimentation n’est pas un risque, mais un besoin qui nous concerne tous.
Ces considérations peuvent sembler philosophiques. Pourtant, elles ont des effets concrets, en particulier s’agissant du financement du système. Les risques n’affectent que certaines personnes ou certains moments de la vie. La situation est différente pour l’alimentation. Dans ce domaine, instaurer une sécurité sociale nous mettrait dans une posture déraisonnable : nous verserions de l’argent à des caisses qui nous le rendraient pour que nous achetions notre nourriture, avec moins de liberté de choix qu’aujourd’hui et des coûts de gestion en plus !
La réorientation des flux financiers devrait certes permettre d’accéder à une alimentation de meilleure qualité. Néanmoins, dans l’hypothèse d’une généralisation du dispositif, ce qui est votre objectif, nos concitoyens seraient privés de la liberté de choisir leur alimentation. Cela ne me paraît pas sain.
Si nous sommes sceptiques quant à la généralisation d’une telle approche, nous constatons que de nombreuses initiatives ont été lancées pour en expérimenter les principes. Vous l’avez d’ailleurs rappelé. Dans le cadre du programme « Mieux manger pour tous » et du programme national pour l’alimentation (PNA), l’État accompagne également des projets de ce type. Alors qu’il nous est sans cesse reproché de compliquer le droit et de multiplier les normes, il nous semble malvenu d’adopter une loi supplémentaire qui autoriserait ce qui est déjà permis.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’opposera à votre proposition de loi.
M. Charles Fournier, rapporteur. Comme je l’ai indiqué, la vieillesse ou la maternité ne sont pas des risques. Les principes de la sécurité sociale n’ont pas été édictés uniquement pour faire face à des risques, mais pour nous protéger de manière plus générale. En outre, l’alimentation est, d’une certaine façon, devenue un risque. Elle l’est pour les cinq millions de Françaises et de Français qui ne mangent pas à leur faim. Elle l’est pour nous tous quand nous ne savons pas précisément ce qui est dans notre assiette.
L’alimentation doit être considérée comme un « commun », auquel tous nos concitoyens doivent pouvoir accéder grâce à la socialisation et à la redistribution.
Des expérimentations existent, mais nous voulons leur donner un cadre, pour qu’elles soient moins disparates et que des enseignements puissent en être tirés. Puisque vous ne semblez pas vous opposer à ces initiatives, vous devriez soutenir notre proposition de loi, qui permettra de les analyser et de les évaluer.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Aujourd’hui, la sécurité sociale paraît presque naturelle en France. Pourtant, elle est l’un de nos plus beaux acquis sociaux. Créée après la seconde guerre mondiale, elle permet de garantir l’accès à la santé de tous les citoyens, quels que soient leurs revenus. Grâce à un système de cotisations sociales, elle rétablit un peu de justice dans un monde inégalitaire.
Même si certains essayent de la remettre en cause, la sécurité sociale s’est imposée dans le domaine de la santé, car elle est essentielle pour préserver la dignité des individus. Nous constatons toutefois que de plus en plus d’étudiants, de personnes âgées isolées ou de familles avec enfants font appel à l’aide alimentaire. La France compte désormais 9,3 millions de personnes sous le seuil de pauvreté et 16 % de la population est touchée par la précarité alimentaire. Paradoxalement, les agriculteurs et agricultrices, qui nous nourrissent, sont également concernés, car les prix payés aux producteurs ne leur permettent pas de vivre dignement. Dans notre pays, un ménage agricole sur cinq vit sous le seuil de pauvreté.
Contrairement à ce qui existe en matière de santé, le droit fondamental d’accéder à une alimentation digne n’est pas garanti en France. Depuis quelques années, l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation a ainsi fait son apparition.
Une cotisation sociale assurerait l’universalité du droit à l’alimentation. Tous les citoyens recevraient chaque mois une somme leur donnant accès à une alimentation de qualité. Une approche démocratique leur permettrait de choisir leur alimentation, d’accompagner la création de filières dans leur territoire et de donner la priorité aux productions locales, garantissant une rémunération digne aux agriculteurs.
Depuis 2019, un collectif d’associations s’est constitué autour de cette idée de sécurité sociale de l’alimentation. Dans le Vaucluse, le comité local de l’alimentation de Cadenet (Clac) a organisé une miniconvention citoyenne pour réfléchir à des filières d’alimentation locales. L’association « Vers un réseau d’achat en commun » (Vrac) travaille à la constitution de groupements d’achat et à la démocratisation de l’alimentation dans les quartiers populaires. Le collectif « Les Pieds dans le plat » cherche à adapter la restauration collective aux productions locales. Partout en France, des expérimentations sont en cours. La proposition de loi est bienvenue, car elle permettra de les étendre et d’y engager l’État.
Parce qu’il est urgent de repenser le système agricole et alimentaire français, La France insoumise soutiendra ce texte.
M. Charles Fournier, rapporteur. Vous avez évoqué la rémunération des producteurs, sur laquelle je n’ai peut-être pas assez insisté.
Nos concitoyens continueront d’acheter de la nourriture indépendamment de la sécurité sociale alimentaire, car 150 euros par mois ne seront pas suffisants. Ils seront donc libres de leurs choix et, dans le cadre du système que nous proposons, seront partie prenante de la démocratie alimentaire. Nous devons reprendre le contrôle de ce qui est dans nos assiettes.
La sécurité sociale alimentaire est un moyen d’intervenir directement dans la chaîne de production et de distribution, d’accompagner les transformations agricoles dans les territoires et d’apporter des revenus réguliers aux agriculteurs. Les caisses alimentaires le font déjà, notamment à Lyon.
Mme Chantal Jourdan (SOC). Si le droit à l’alimentation est reconnu comme un droit fondamental depuis 1948, 38 % des Français sont confrontés à la précarité alimentaire. Nous devons trouver des solutions pour faire face à cette urgence.
L’expérimentation d’une sécurité sociale alimentaire nous semble être une réponse pertinente. Au sein de notre groupe, certains ont des doutes au sujet de sa généralisation, mais ce texte permettrait de franchir une première étape vers l’accès à une alimentation saine et de qualité pour tous. Les associations ne peuvent plus relever seules ce défi ; elles nous l’ont rappelé lors des auditions. Des solutions systémiques doivent donc voir le jour.
La proposition de loi permettrait, par ailleurs, d’améliorer la soutenabilité de notre système agricole par une meilleure rémunération des agriculteurs. La promotion d’une alimentation saine et durable accompagnerait en outre la transition vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Nos concitoyens pourraient aussi se réapproprier la question de l’alimentation. L’animation du dispositif permettrait de cibler différents publics, afin de tendre au respect du droit à une alimentation de qualité, saine et durable.
Les principes d’universalité, de démocratie et de solidarité présents dans ce texte nous tiennent particulièrement à cœur. Il est l’occasion de créer un cadre national, ouvrant la voie à l’évaluation d’un dispositif novateur permettant de faire évoluer démocratiquement la lutte contre la précarité alimentaire. Nous y sommes donc favorables.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je comprends les doutes quant à la généralisation, car j’en ai également – si ce n’était pas le cas, je l’aurais directement proposée sans passer par l’étape de l’expérimentation ! Pour le moment, il s’agit bien de tester et d’explorer différentes voies, en fixant un cadre et en donnant une perspective.
Parmi les quarante projets en cours, plusieurs modèles sont à l’œuvre. Il faudra évaluer leurs résultats. Par exemple, à Dieulefit, dans la Drôme, trois prix sont proposés pour les produits agricoles. Le premier correspond à la juste rémunération des producteurs. Le deuxième est un prix « social », pour ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à une alimentation de qualité. Enfin, le troisième intègre une contribution permettant de financer ce mécanisme.
M. Julien Dive (DR). La précarité alimentaire touche plus d’un tiers des Français ; dans le même temps, un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Garantir à chacun l’accès à une alimentation de qualité, tout en assurant enfin une rémunération digne à ceux qui la produisent, est une nécessité.
Cette proposition de loi soulève une question majeure. Toutefois, la réponse qui y est apportée repose sur des bases fragiles, tant sur le plan financier que sur celui de sa mise en œuvre.
La Droite républicaine se bat pour que les agriculteurs perçoivent un prix juste. C’est d’ailleurs l’objet du rapport d’évaluation que nous avons remis hier avec nos collègues corapporteurs. Nous menons ce combat grâce aux négociations commerciales ou aux différentes lois Egalim. Le fait que, dans certaines filières, la rémunération ne couvre pas les coûts de production est inacceptable. Le problème fondamental ne réside pas uniquement dans l’accès à l’alimentation, mais aussi dans le partage de la valeur au sein de la chaîne alimentaire.
Nous sommes également engagés dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et nous avons soutenu plusieurs dispositifs législatifs en ce sens, notamment à l’initiative de notre collègue Guillaume Garot. Sa proposition de « Territoires zéro faim » visait à éradiquer la précarité alimentaire par des solutions locales adaptées aux réalités du terrain. Elle reposait sur une exonération de TVA pour les denrées destinées à l’aide alimentaire et sur une expérimentation mobilisant l’ensemble des acteurs au sein de territoires pilotes.
En France, le gaspillage alimentaire représente dix millions de tonnes par an, soit une perte estimée à seize milliards d’euros. Chaque Français jette en moyenne trente kilos de nourriture chaque année, dont sept kilos de denrées encore emballées. Ce scandale moral et économique exige une réaction forte et cohérente.
Plutôt que d’inventer de nouveaux dispositifs administratifs, renforçons l’existant ! Les dons alimentaires doivent être mieux encadrés. La restauration collective doit être accompagnée pour mieux gérer ses approvisionnements. L’éducation et la sensibilisation doivent également être renforcées dès le plus jeune âge pour réduire le gaspillage.
L’accès des jeunes à une alimentation de qualité constitue un enjeu majeur. Il est inacceptable que des étudiants soient contraints de choisir entre se nourrir et payer leur loyer. Nous soutenons donc le développement des « Frigos solidaires », les cantines universitaires qui offrent une solution aux plus précaires et tous les dispositifs dont le renforcement permettrait d’améliorer la situation.
Votre proposition de loi repose sur un modèle tripartite associant l’État, les collectivités et les citoyens. Mais aucune évaluation budgétaire précise n’est fournie. Quel sera le coût des caisses alimentaires locales ? Comment sera financé le parlement alimentaire censé décider des produits conventionnés ? Quel sera l’impact sur les finances publiques ? Quelle sera la contribution demandée à chacun d’entre nous ? Sans réponse à ces questions, nous ne pouvons engager des dépenses potentiellement considérables pour un système qui ne présente aucune garantie de viabilité. Dans un contexte où le déficit public dépasse 5 % du PIB, où les collectivités territoriales peinent à boucler leur budget et où les Français subissent déjà une pression fiscale élevée, nous devons faire preuve de responsabilité.
Vous soulevez une question majeure – qu’il aurait sans doute été préférable d’aborder dans le cadre d’une proposition de résolution plutôt que dans celui d’une proposition de loi – mais la réponse que vous y apportez ne nous convainc pas, notamment en ce qui concerne son financement.
Vous avez évoqué l’intérêt de la MSA pour le déploiement d’un tel dispositif. Je l’invite à se concentrer sur le calcul des retraites des agriculteurs sur leurs vingt-cinq meilleures années, avant de s’occuper de ce qui ne lui a pas été demandé !
M. Charles Fournier, rapporteur. Nous partageons les constats, ce qui nous permet de débattre, même si nous sommes en désaccord sur les solutions. Vous souhaitez conserver les dispositifs en place, alors qu’ils n’ont pas démontré leur efficacité.
Les produits défiscalisés auxquels ont accès les plus vulnérables sont des invendus. Ils leur sont imposés. Par conséquent, ces personnes ne choisissent pas leur alimentation. Je ne suis pas favorable à un tel système.
Je propose une réponse systémique, capable de traiter différents sujets. Mon objectif est à la fois de permettre aux producteurs d’être mieux rémunérés et à tous les citoyens d’accéder à une alimentation saine et de qualité.
Quant à la MSA, elle n’a pas dit qu’elle voulait gérer le dispositif. En tant qu’organisme de protection sociale, elle pourrait néanmoins participer à des expérimentations.
M. Boris Tavernier (EcoS). Donner du pouvoir à nos concitoyens, leur faire confiance, ne pas vouloir systématiquement décider à leur place : voici la proposition qui nous est faite.
Le texte que nous examinons vise à faciliter le déploiement d’expérimentations locales inspirées de la sécurité sociale de l’alimentation. Grâce à l’engagement de citoyens, de paysans, de chercheurs ou d’associations, cette idée gagne du terrain. La sécurité sociale de l’alimentation, c’est la France, la belle, la grande : c’est l’union entre une institution héritée des luttes ouvrières passées et le plaisir populaire de se retrouver pour manger. Elle permet une reprise en main démocratique de notre assiette et constitue une promesse pour l’avenir. Comme la santé, l’accès à une alimentation de qualité devrait être un droit.
Dans de nombreux territoires – dans le Rhône, la Drôme, en Gironde, dans le Vaucluse, l’Hérault, l’Aude et ailleurs –, en ville comme à la campagne, un nombre croissant de citoyens s’organisent pour relever le défi de bien se nourrir sans appauvrir ceux qui produisent. Ils transforment une question trop souvent posée dans des termes individuels en une question collective, faisant ainsi émerger des solutions qui paraissent évidentes et donnent lieu à une multitude d’aventures humaines. En créant des caisses d’alimentation ou d’investissement, en rencontrant des paysans, des commerçants, des chercheurs, ils font avancer la réflexion, se forment et, surtout, ils décident. En décidant de leur alimentation, du niveau de cotisation ou des modalités d’expérimentation, nos concitoyens redeviennent souverains. Grâce à ces expérimentations, des paysans sortent la tête de l’eau et rencontrent de nouveaux acheteurs soucieux et respectueux de leurs conditions de travail, des commerçants retrouvent dans leur magasin de quartier des clients que l’inflation en avait chassés, des boulangers ou des bouchers voient de nouvelles têtes, celles de gens qui n’avaient jamais osé ou jamais pu pousser la porte de leur boutique.
Rassurez-vous, nous ne proposons aucune révolution. Il ne s’agit que d’une expérimentation des plus raisonnables. Dans un contexte où la précarité alimentaire augmente et où l’agriculture connaît de graves difficultés, la sécurité sociale de l’alimentation est une piste à explorer, comme nous y invite le Haut Conseil de la santé publique ou le Conseil national de l’alimentation. Ne pas saisir cette occasion de transformer le système alimentaire, de permettre à chacun de choisir son alimentation et d’assurer des conditions de rémunération justes à nos paysans serait fort regrettable.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je voudrais évoquer la question du coût. J’ai fait des estimations à partir des projets en cours. Le coût de fonctionnement de la caisse de Montpellier, par exemple, s’élève à 450 000 euros par an. Dans une phase d’expérimentation comme celle qui vous est proposée, nous aurions besoin de 15 à 35 millions d’euros au maximum. Vous conviendrez que ce n’est pas ruineux pour les finances publiques ! En outre, la participation de l’État diminuerait progressivement, au rythme de l’augmentation des cotisations volontaires. Au bout de cinq ans, nous évaluerions les résultats et nous déciderions de l’évolution du système.
Mme Louise Morel (Dem). Nous remercions le rapporteur pour son travail et son engagement sincère. Au sein du groupe Les Démocrates, nous partageons la volonté de permettre l’accès de tous à une alimentation saine et durable, de rémunérer dignement les agriculteurs et de privilégier les productions locales. Ces sujets méritent toute notre attention, ainsi qu’un débat sérieux et dépassionné. Il n’est pas acceptable qu’un grand nombre de nos concitoyens ne puissent pas accéder à une alimentation saine.
Cependant, nous sommes très réservés quant aux solutions proposées ici. Comme vous l’avez rappelé, la sécurité sociale vise à assurer un risque, ce qui justifie la cotisation. En matière d’alimentation, ce n’est pas de cela qu’il s’agit : c’est plutôt une redistribution monétaire que vous envisagez ; le terme de sécurité sociale semble donc inapproprié.
Par ailleurs, le Parlement a déjà adopté de nombreux dispositifs destinés à lutter contre la précarité alimentaire. Or la plupart d’entre eux n’ont pas fait l’objet d’une évaluation sérieuse, nécessaire avant d’envisager d’autres mesures. En 2020, nous avons instauré le Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire (Cocolupa). S’y ajoute la mesure « Alimentation locale et solidaire » du plan « France relance ». Puis le programme national pour l’alimentation a prévu de « développer les initiatives territoriales de lutte contre la précarité alimentaire ». En 2024, 30 millions d’euros ont été mobilisés par le programme « Mieux manger pour tous ». Plus de 60 % de la surface agricole utile est, par ailleurs, couverte par 451 projets alimentaires territoriaux. Enfin, la loi Egalim a permis d’engager un important travail interministériel pour renforcer l’aide à la tarification sociale des cantines rurales.
Nous devons évaluer les résultats de tous ces dispositifs, pour décider de les adapter ou de les supprimer. En outre, si notre groupe partage l’ambition de votre proposition de loi, il estime que certaines informations y sont insuffisantes, notamment en ce qui concerne l’évaluation financière et les modalités de mise en œuvre.
M. Charles Fournier, rapporteur. Tous les dispositifs que vous avez cités sont exclusivement financés par de l’argent public, ce qui n’est pas le cas du système que je propose. Celui-ci repose en effet sur une socialisation et une redistribution. Il nous ferait sortir des schémas classiques d’aide et de réparation. Nous pouvons prendre le temps de les évaluer – certains l’ont déjà été –, mais nous savons qu’ils sont inefficaces.
Mon objectif n’est pas de remettre en cause tout ce qui a été fait, mais d’évoluer progressivement vers un autre système, moins dépendant des financements publics et qui permettrait d’éviter d’autres dépenses. J’ai notamment cité les conséquences de la malbouffe sur notre économie. L’approche que je défends est systémique et créerait une chaîne vertueuse. Elle permettrait de lutter contre la précarité alimentaire, de renforcer la démocratie alimentaire et de garantir une juste rémunération aux agriculteurs.
M. Thierry Benoit (HOR). L’Insee estime que deux à quatre millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire distribuée par les associations. Un tel chiffre ne peut pas nous laisser insensibles. Votre proposition de loi soulève un problème dont nous sommes tous conscients.
Vous avez indiqué que quarante expérimentations étaient en cours et rappelé que les dispositifs et les instances s’étaient multipliés. Avant d’adopter d’autres mesures, nous aurions intérêt à nous interroger sur leur pertinence et à en évaluer les résultats.
L’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation coûterait, selon vos estimations, 120 milliards d’euros. Un tel impact financier me paraît nécessiter un projet de loi plutôt qu’une proposition de loi.
Nous devons aussi évaluer les différents outils qui existent, comme les projets alimentaires territoriaux, le programme national « Nutrition-santé » ou le Conseil national de l’alimentation – qui fonctionne depuis un an sans président !
Je ne conteste nullement votre sincérité, mais nous devons commencer par remettre à plat nos politiques publiques de l’alimentation. Nous pourrions peut-être revenir à l’idée de chèque alimentaire défendue par Christiane Lambert, il y a une dizaine d’années.
M. Charles Fournier, rapporteur. Une remise à plat me semble effectivement nécessaire. Ma proposition de loi ne l’exclut pas. Au contraire, elle préconise une solution systémique, qui éviterait l’empilement de dispositifs ponctuels, orientés uniquement vers la réparation et impuissants à résoudre un problème qui ne cesse de s’aggraver.
Je serais heureux que le Gouvernement s’empare du sujet, mais, pour le moment, je défends ma proposition de loi. Celle-ci ne concerne qu’une expérimentation et ne coûtera donc pas 120 milliards d’euros. Cette somme est une estimation dans l’hypothèse d’une généralisation du système. En outre, elle ne serait pas intégralement à la charge de l’État, puisque le financement proviendrait aussi de cotisations.
L’instauration de ces cotisations posera une question d’acceptabilité sociale. Nous devrons réfléchir à la forme qu’elles prendront. Les sommes en jeu ne me paraissent toutefois pas excessives au regard des dépenses que nous engageons aujourd’hui et des coûts cachés liés à ce que nous ne faisons pas ou que nous faisons mal.
M. André Chassaigne (GDR). J’ai des doutes concernant cette proposition de loi. Néanmoins, il ne s’agit que d’une expérimentation. En outre, le projet suscite un bouillonnement démocratique dans plusieurs régions : des citoyens, des consommateurs, des producteurs et des chercheurs s’engagent dans un mouvement que nous ne pouvons pas refuser d’accompagner.
Le poète René Char disait : « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne. » Cette formule me semble parfaitement appropriée. L’expérimentation peut nous permettre d’avancer et de trouver des solutions pour résorber la précarité alimentaire.
En bon communiste – même si je n’ai pas fait l’école de Moscou –, je suis très attaché à la sécurité sociale d’Ambroise Croizat. Comme plusieurs orateurs l’ont souligné, le terme de « sécurité sociale » semble inapproprié pour définir ce projet. Je ne me focaliserai pas sur les mots, mais soyons attentifs à ne pas dévoyer cette belle conquête qu’est la sécurité sociale. Celle-ci est avant tout fondée sur l’universalité, ce qui signifie que chacun cotise en fonction de ses moyens et reçoit selon ses besoins.
Dans le cadre de l’expérimentation, le financement serait assuré par les cotisations des personnes participantes, par un abondement des collectivités territoriales – qui ont déjà beaucoup de difficultés financières, mais qui pourraient faire ce choix en vertu du principe de libre administration – et par une contribution du fonds national d’expérimentation.
Vis-à-vis des territoires « Zéro chômeur de longue durée », j’étais sceptique, mais je reconnais que le dispositif qui s’est installé à Thiers, dans ma circonscription, a produit des résultats. Par conséquent, je soutiendrai ce texte. Plusieurs députés de mon groupe, notamment d’outre-mer, l’ont d’ailleurs signé. En Martinique ou à La Réunion, la précarité alimentaire est très prégnante et il faut essayer de trouver des solutions. Plutôt que de l’assombrir, je préfère donc éclairer le chemin, en vous demandant comment le système pourrait, à l’issue de l’expérimentation, évoluer vers une dimension plus universelle.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je comprends que vous puissiez avoir des doutes. Pour les lever, il faut expérimenter ! Comme vous l’avez souligné, on assiste dans ce domaine à un véritable bouillonnement démocratique. J’ai auditionné des citoyens qui sont parties prenantes de ces projets ; ils m’ont livré des récits absolument extraordinaires.
Je n’ai pas fait le choix de proposer d’expérimenter une cotisation universelle dès maintenant. Tout d’abord, je ne savais pas comment rendre cette option juridiquement valide. Comment justifier d’imposer un prélèvement dans certains territoires et pas dans d’autres ? Je crois qu’il est trop tôt pour s’engager dans cette voie. À l’issue de cette première expérimentation, je préconiserai d’en lancer une autre permettant d’aller vers une cotisation universelle.
J’ai choisi à dessein l’intitulé de ma proposition de loi. Il s’agit d’aller vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation, mais, pour le moment, celle-ci n’est pas d’actualité, car le système ne repose pas sur un principe d’universalité. L’expérimentation sera menée par des citoyens qui cotiseront de manière volontaire. Cette approche me paraît raisonnable et correspond à ce qui se passe actuellement dans les territoires. À terme, nous devrons cependant imaginer d’autres solutions.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Sans surprise, le groupe UDR s’opposera à cette proposition de loi. Nous partageons les préoccupations énoncées, mais la solution présentée nous semble une porte ouverte vers un projet collectiviste. En outre, ce texte n’est pas nécessaire, car rien n’empêche le développement d’initiatives privées, qui d’ailleurs existent déjà.
Dans la mesure du possible, nous considérons que la liberté doit primer. Instaurer une cotisation pour l’équivalent d’un ticket de rationnement nous semble dévoyer l’objectif initial de la sécurité sociale. Celle-ci nous protège face à un risque. Or l’alimentation n’est pas un risque, mais une dépense courante.
Votre texte propose seulement une expérimentation. Cependant, la question du financement n’est pas sérieusement traitée. Comme vous l’avez indiqué, le système ne repose pas seulement sur de l’argent public, mais si nous constatons un déficit au bout de six mois, il faudra le combler avec les finances de l’État, c’est-à-dire avec l’argent de ceux qui n’ont rien demandé. Comme d’habitude, on prétend donner du pouvoir aux citoyens, alors qu’il s’agit de faire supporter par autrui le coût de choix individuels. Ce modèle infantilisant n’est pas le nôtre !
Quarante expérimentations sont en cours et les collectivités locales disposent de l’autonomie leur permettant, si elles le souhaitent, de les subventionner. Par ailleurs, une multitude de mécanismes, qui peuvent sans doute être améliorés (ou supprimés s’ils sont inefficaces), existent déjà, comme la prise en compte des ressources et du quotient familial dans la restauration scolaire, la défiscalisation ou le soutien de l’État aux associations d’aide alimentaire. Nous disposons également de programmes comme « Mieux manger pour tous », d’agences et d’initiatives financées par le contribuable. Nous devons d’abord en dresser un bilan et envisager de les adapter. Malheureusement – je ne vous le reproche pas –, nous n’avons pas d’évaluations. C’est pourtant nécessaire pour prendre des décisions sereinement.
La pauvreté, la malnutrition et la rémunération des petits agriculteurs sont trois sujets prioritaires, mais nous ne pensons pas qu’une illusion collectiviste alourdissant le poids de l’État dans la vie des Français – donc la bureaucratie – permettra d’augmenter la liberté et le bien-être de nos concitoyens. En outre, vous évoquez la perspective d’une cotisation universelle, comme s’ils n’étaient pas assez imposés.
Compte tenu de la complexité et de l’opacité du paysage actuel, nous avons davantage besoin d’évaluation et de rationalisation que de rationnement.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je ne sais pas quel sens vous donnez au terme de « collectivisme ». S’il s’agit de jouer collectif, c’est effectivement le sens de cette proposition de loi. Je souhaite que la question alimentaire ne soit pas une question individuelle, mais qu’elle soit partagée, y compris du point de vue financier. Il ne s’agit pas, au contraire, de faire peser sur l’État le coût du système. Celui-ci reposerait sur des caisses alimentaires locales, qui décideraient notamment du conventionnement. Il s’agit bien de liberté et du choix des citoyens.
Il n’est pas question de créer un impôt supplémentaire, mais une cotisation. Le principe sous-jacent est celui de la socialisation. J’ai déjà répondu à l’objection selon laquelle l’alimentation ne correspondrait pas à un risque. La sécurité sociale de l’alimentation permettrait d’agir en amont.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Stéphane Travert (EPR). Je suis favorable à ce que chacun puisse accéder à une alimentation sûre, saine et durable, mais plutôt que créer une structure supplémentaire, à savoir les parlements locaux, pourquoi ne pas s’appuyer sur une instance comme le Conseil national de l’alimentation ou sur des associations de dons alimentaires, par exemple Les Restos du cœur ou Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires (Solaal) ? Avez-vous échangé avec ces différents acteurs ?
M. Charles Fournier, rapporteur. Je me suis inspiré des expérimentations en cours, dans lesquelles ces parlements existent.
J’ai auditionné l’ensemble des acteurs de la précarité. À l’origine, ils étaient plutôt sceptiques vis-à-vis du système que je propose, mais beaucoup d’entre eux commencent à s’y intéresser. Le texte reconnaît d’ailleurs leur expertise. Ils seront partie prenante des projets.
Au niveau national, nous créons un fonds et une structure pour le gérer. Nous aurions peut-être pu trouver une autre solution, mais il s’agit du modèle que je propose.
M. René Pilato (LFI-NFP). Plusieurs orateurs ont indiqué qu’ils ne soutiendraient pas cette proposition de loi. Ils défendent un modèle économique qui oblige un tiers des ménages français à sauter au moins un repas par jour. Des parents se privent de nourriture pour faire manger leurs enfants.
Contrairement à ce que certains prétendent, ces situations constituent un risque. Un enfant qui ne mange pas à sa faim n’apprendra pas correctement à l’école. Il accumulera du retard, nécessitera un accompagnement particulier et coûtera plus cher à la société.
L’initiative de notre collègue Charles Fournier comble une carence du modèle économique actuel. J’aimerais d’ailleurs recueillir son avis sur les conséquences du budget qui vient d’être adopté pour 2025. La sécurité sociale de l’alimentation ne sera-t-elle pas plus que nécessaire ? Les demandes d’aide alimentaire ne vont-elles pas augmenter ?
M. Charles Fournier, rapporteur. Lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais déposé un amendement de 15 millions d’euros. Il a été adopté en commission des finances, ce qui montre que la nécessité de soutenir les expérimentations a été reconnue. Malheureusement, il a disparu dans la suite de la procédure budgétaire.
Je suis persuadé que la précarité va augmenter. Pour cette raison, nous avons besoin de solutions structurantes. L’expérimentation que je propose permettrait d’avancer dans cette voie.
M. Dominique Potier (SOC). Je salue l’engagement de notre collègue Charles Fournier et du groupe écologiste. Comme Chantal Jourdan l’a indiqué, le débat existe au sein du groupe socialiste. La généralisation d’une sécurité sociale alimentaire ne fait pas l’unanimité. Pour ma part, je suis très proche de la position d’André Chassaigne.
Comme dans le cas des territoires « Zéro chômeur de longue durée », ce dispositif n’apportera peut-être pas de réponse structurante, mais permet de poser des questions sur la lutte contre la précarité et de nourrir le débat. C’est la raison pour laquelle nous le soutiendrons.
Certains, notamment à l’extrême droite, dénoncent le collectivisme. Pourtant, quand 1 000 euros d’argent privé financent de la publicité sur l’alimentation – pour coloniser nos imaginaires, comme le dit François Ruffin –, 1 euro seulement d’argent public est consacré à la diffusion d’informations sanitaires. Où est la liberté ? Où est la servitude ?
M. Charles Fournier, rapporteur. Il me semble que la réponse est dans votre question.
En effet, des sommes colossales sont dépensées pour faire la promotion de certains produits. Il conviendrait de réorienter une large part de ces dépenses afin de soutenir les dispositifs d’accès à l’alimentation plutôt que de nourrir – mal, en l’occurrence les imaginaires.
M. Benoît Biteau (EcoS). On nous objecte des risques économiques, mais la sécurité sociale alimentaire pourrait bien être une vraie source d’économies budgétaires en prévenant des risques d’une autre nature.
Parce qu’on a de faibles revenus, on devrait participer au dérèglement climatique, à l’effondrement de la biodiversité, s’alimenter de manière néfaste pour sa santé ? Avec l’argent public que l’on consacre à réparer ces dégâts, on pourrait financer la sécurité sociale de l’alimentation. Ce redéploiement permettrait de limiter les risques aussi bien économiques que de fond, et il profiterait tant aux mangeurs qu’aux producteurs. Le chemin est simple. Il suffit d’un peu de volonté et de courage politique.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je souscris à votre plaidoyer.
L’évaluation est indissociable de l’expérimentation. Elle concernera non seulement les projets qui seront autorisés en vertu du texte, mais aussi les autres dispositifs existants, afin d’envisager des articulations entre eux, notamment.
M. Stéphane Vojetta (EPR). Je réagis à l’affirmation de notre collègue Pilato selon laquelle un tiers des Français, soit 22,3 millions de personnes, sauterait un repas par jour.
Nos débats doivent être étayés par des sources fiables. La commission n’a pas vocation à verser dans le misérabilisme, elle doit s’en tenir aux faits.
M. Charles Fournier, rapporteur. Il n’y a pas ici de misérabilisme ! Cela étant dit, on ne peut pas accepter que soient sans cesse reportées les réponses à ceux qui ne mangent pas à leur faim – et il en existe beaucoup. Je vous renvoie aux travaux de l’institut Rousseau et de la FAO ainsi qu’aux nombreux rapports publiés sur le sujet – les données sont accessibles à tous. La proposition de loi s’appuie sur tous ces éléments, elle n’est pas le fruit d’une affabulation.
Mme Valérie Rossi (SOC). Je voudrais faire état de l’expérimentation qui a commencé en janvier dans les Hautes-Alpes, sous la houlette d’une personne recrutée par une structure de l’économie sociale et solidaire. Elle prend la suite du dispositif « Soli’Agri », mis en place lors du premier confinement par le conseil départemental et destiné à mettre en relation les producteurs locaux et les associations caritatives. Ce dispositif ayant fait ses preuves, il a été décidé, avec le soutien des associations et des producteurs, d’expérimenter une sécurité sociale de l’alimentation pour laquelle tous les espoirs sont permis.
M. Charles Fournier, rapporteur. Vous évoquez l’une des quarante expérimentations en cours. J’invite chacun à s’y intéresser de plus près. Il leur manquait un cadre commun et propice à l’évaluation, ce à quoi le texte cherche à remédier.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Je m’exprime en tant que transfuge de la commission des affaires sociales. On connaît le coût pour la sécurité sociale de la malbouffe, du fait de ses conséquences sur la santé telles que l’obésité, le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. Mais, lorsque l’on cherche des pistes d’économies, on se heurte continuellement au fait que la prévention n’entre pas dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale. L’expérimentation proposée est une solution bienvenue, particulièrement pour les publics les plus précaires.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je vous remercie d’évoquer les coûts en matière de santé d’un système alimentaire défaillant. On pourrait mentionner également les coûts écologiques et sociaux. La sécurité sociale de l’alimentation, si elle devait être généralisée, permettrait de rétablir un équilibre. Il s’agit à ce stade d’une expérimentation visant à s’assurer de la pertinence de ce concept.
Article 1er : Principes et objectifs de la sécurité sociale de l’alimentation
Amendement de suppression CE4 de M. Antoine Villedieu
Mme Géraldine Grangier (RN). L’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation part d’un bon principe, mais la garantie d’une alimentation de qualité doit être couplée à celle d’une juste rémunération de nos agriculteurs. Or la proposition de loi oublie l’essentiel : les producteurs français.
En effet, le texte ne donne aucune assurance que ces derniers seront bien les premiers bénéficiaires du dispositif. Il ouvre la voie à un système flou dans lequel l’argent public pourrait financer des produits importés, issus de modèles agricoles qui ne respectent ni nos normes ni nos exigences de qualité. Nous le refusons catégoriquement : les aides publiques doivent aller en priorité à ceux qui nourrissent la France, pas à des exploitations étrangères.
En outre, le dispositif est redondant : le code de la santé publique ainsi que le code rural et de la pêche maritime comportent déjà des dispositions pour garantir une alimentation saine et lutter contre la précarité alimentaire.
M. Charles Fournier, rapporteur. Si vous admettez que le principe est bon, pourquoi ne pas soutenir l’expérimentation qui vise à l’appliquer ?
Je fais confiance aux citoyens pour choisir, pour la part de leur alimentation financée par la sécurité sociale, des produits locaux, donc français, ce qui devrait vous rassurer. Avis défavorable.
M. Boris Tavernier (EcoS). J’ai participé à de nombreuses expérimentations dans le cadre de mon engagement associatif et je peux vous assurer que les gens font les bons choix ; ils ont envie de soutenir leur territoire, les paysans et les commerces locaux. Faites le tour des expérimentations et vous serez rassurée.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CE37 de M. Charles Fournier et CE8 de Mme Chantal Jourdan (discussion commune)
M. Charles Fournier, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à supprimer le mot « principe » pour conserver seulement celui d’« universalité ».
Mme Chantal Jourdan (SOC). Mon amendement, dans le même esprit, substitue « universalisme » à « principe d’universalité ».
M. Charles Fournier, rapporteur. Je vous invite à le retirer.
L’amendement CE8 ayant été retiré, la commission adopte l’amendement CE37.
Amendement CE9 de Mme Valérie Rossi
Mme Valérie Rossi (SOC). Il s’agit d’un amendement rédactionnel ayant le même objet que celui précédemment défendu par le rapporteur, à propos cette fois de la solidarité.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CE17 de M. Sylvain Carrière
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Les associations et le collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation recommandent l’usage des termes « cotisation sociale » plutôt que de celui de « contribution », puisqu’il s’agit d’appeler les citoyens à cotiser pour garantir à tous l’accès à l’alimentation.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je suis favorable à cette rédaction, qui permet d’harmoniser l’ensemble du texte.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CE38 de M. Charles Fournie, rapporteur.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement rédactionnel CE10 de Mme Chantal Jourdan.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE39 de M. Charles Fournier, rapporteur.
En conséquence, l’amendement CE2 de M. Antoine Villedieu tombe.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : Mise en place d’un cadre expérimental national
Amendement de suppression CE29 de Mme Géraldine Grangier
Mme Géraldine Grangier (RN). Sur le plan budgétaire, le dispositif constitue une charge supplémentaire considérable pour l’État et les collectivités territoriales. Sur le plan économique, il menace la liberté de choix des consommateurs et des producteurs. Par ailleurs, loin de s’intégrer aux projets alimentaires territoriaux, il les dénature en introduisant une lourdeur administrative incompatible avec la logique décentralisée et d’adaptation aux territoires qui les caractérise.
Enfin, il n’apporte aucune solution aux difficultés d’accès à une alimentation de qualité pour tous. Il serait plus pertinent de soutenir la filière agricole française et de favoriser la production locale que de créer un système d’assistance généralisé.
M. Charles Fournier, rapporteur. Précisément, il ne s’agit pas d’un système d’assistance puisque chacun cotisera en fonction de ses moyens et recevra en fonction de ses besoins, conformément au principe qui gouverne la sécurité sociale.
S’agissant du coût de l’expérimentation, je l’ai estimé, dans sa version la plus généreuse, entre 15 et 35 millions d’euros, à rapporter aux 150 millions de l’aide alimentaire et aux 20 milliards de dépenses de santé causées par la malbouffe. Nous sommes loin de la gabegie financière que vous dénoncez. Avis défavorable.
M. Benoît Biteau (EcoS). Je suis sidéré par l’absence de vision globale de la part de ma collègue.
Je le répète, notre modèle agricole oblige à dépenser des sommes pharaoniques pour réparer les dégâts qu’il cause à des ressources vitales telles que l’eau et l’air, mais aussi à la biodiversité, dont l’agriculture a besoin pour produire, et au climat, dont la situation constitue la principale menace pesant sur notre souveraineté.
L’argument budgétaire n’est pas recevable : si l’enveloppe dédiée à ces solutions curatives était redéployée au profit de mesures de prévention, nous disposerions des moyens nécessaires. Tout le monde y gagnerait, le mangeur comme le producteur.
M. Boris Tavernier (EcoS). Vous demandez la liberté de choix en matière d’alimentation pour nos concitoyens. Mais aujourd’hui, ils n’en disposent pas : ils consomment par défaut pour des raisons économiques, mais aussi géographiques – il existe de nombreux déserts alimentaires en France –, ou encore à cause du matraquage publicitaire évoqué par Dominique Potier.
Au contraire, si l’on adopte la sécurité sociale de l’alimentation, les citoyens se réuniront pour décider comment se nourrir et défendre les paysans.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE40 de M. Charles Fournier, rapporteur.
Amendement CE1 de M. Frédéric Maillot
M. Charles Fournier, rapporteur. Je suis favorable à l’amendement, qui propose de réserver au moins deux expérimentations aux territoires d’outre-mer.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE35 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). L’amendement vise à préciser que les professionnels conventionnés auprès desquels les bénéficiaires de la sécurité sociale achètent des produits alimentaires peuvent être de diverse nature – producteurs, distributeurs, restaurateurs.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CE33 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). Il s’agit de souligner la finalité des expérimentations : contribuer à soutenir un système agricole et alimentaire plus juste et durable. Au-delà de la démocratisation de l’accès à l’alimentation, elles sont des catalyseurs de développement social et territorial. Elles dynamisent le système alimentaire local et assurent une sécurité économique aux agriculteurs et aux commerces alimentaires de proximité.
M. Charles Fournier, rapporteur. L’amendement insiste aussi sur la complémentarité avec les PAT. Avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CE41 de M. Charles Fournier, rapporteur.
Amendement CE3 de M. Antoine Villedieu
M. Patrice Martin (RN). Face à la crise agricole et aux ravages des traités de libre-échange et de la concurrence déloyale, nous devons agir pour protéger notre agriculture et garantir notre suffisance alimentaire.
Or que propose le texte ? Un système qui trie les agriculteurs : ceux, conventionnés – selon des critères flous –, qui ont le droit de vendre leurs produits aux personnes rattachées à une caisse et les autres, les exclus, les oubliés. Cette fracture est inacceptable, alors que tous nourrissent la France. Nous refusons cette vision dogmatique et défendons une agriculture libre, forte et indépendante.
L’amendement tend à redéfinir les objectifs de la politique agricole : l’autosuffisance alimentaire nationale et la valorisation des filières agricoles françaises dans l’innovation et la recherche.
Les écologistes veulent nous imposer un modèle biaisé, contrôlé et soumis à des injonctions idéologiques. Nous prônons une souveraineté agricole réelle, une recherche au service des agriculteurs et un soutien concret à nos producteurs.
M. Charles Fournier, rapporteur. Votre propos est caricatural. Il n’est écrit nulle part dans le texte ce que vous prétendez y avoir lu. Nous laissons aux caisses alimentaires la liberté de choix des produits. Je fais confiance aux citoyens pour choisir des produits locaux et ainsi favoriser nos agriculteurs et leurs revenus.
M. Benoît Biteau (EcoS). Vous ne pouvez pas opposer sécurité sociale de l’alimentation et PAT. Ce sont deux dispositifs parfaitement complémentaires.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE42 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur. Il s’agit de clarifier les dispositions relatives au comité, composé de scientifiques et de citoyens, qui est chargé d’évaluer les expérimentations.
L’amendement reprend les dispositions de l’amendement CE12, qui demande une analyse des catégories socioprofessionnelles bénéficiaires du dispositif.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CE11 de Mme Valérie Rossi et CE12 de Mme Chantal Jourdan tombent.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Article 3 : Création d’un fonds national d’expérimentation
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE43 de M. Charles Fournier, rapporteur.
Amendement CE14 de Mme Manon Meunier
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Le collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation insiste sur la nécessité d’associer les citoyens et les citoyennes à la structure chargée de bâtir la sécurité sociale. Forts de l’expérience des conventions citoyennes, nous faisons le pari de l’intelligence collective. Entre des citoyens tirés au sort et venant de tous horizons, le consensus est très fréquent dès lors qu’ils ont suivi les mêmes formations et se sentent investis de cette responsabilité.
C’est aussi parce que je crois en l’intelligence du peuple français que je pense, comme le rapporteur, que les citoyens iront naturellement vers la production locale.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je vous demande de retirer l’amendement.
J’en ai déposé un autre à l’article 4 dont l’objet est notamment de renforcer la participation des citoyens au sein des caisses alimentaires, lieu où les décisions se prennent.
L’article 3, lui, concerne la structure ayant vocation à sélectionner les expérimentations qui seront menées. Son conseil d’administration comprendra notamment dix représentants des parlements de l’alimentation, si les amendements en ce sens sont adoptés, ainsi que des associations et acteurs promouvant la sécurité sociale de l’alimentation. La participation des citoyens ne me semble pas pertinente à un tel niveau, d’autant qu’elle est largement assurée par ailleurs.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Je maintiens l’amendement. J’entends votre argument, mais nous faisons bénéficier les citoyens tirés au sort d’une formation spécifique assurée par les représentants que vous avez mentionnés.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE44 de M. Charles Fournier, rapporteur.
Amendement CE20 de M. Frédéric Weber
M. Frédéric Weber (RN). La proposition de loi est purement idéologique. Elle ne relève en rien les défis de notre agriculture. Pire, elle alourdit la machine administrative et crée de nouvelles charges pour les Français.
Outre la dérive budgétaire, elle présente un danger majeur : elle ne fixe aucune règle quant à la nature des produits qui seront achetés par les personnes affiliées à la sécurité sociale de l’alimentation. Rien ne garantit que l’argent public servira à soutenir nos éleveurs et nos producteurs. En revanche, le texte ouvre un boulevard aux produits ultratransformés, aux viandes cultivées en laboratoire et à la FoodTech, financée par des intérêts étrangers qui rêvent de remplacer l’élevage traditionnel par des cultures cellulaires.
Un rapport de l’École de guerre économique, publié en décembre 2024, apporte de nombreux éclairages sur les ingérences étrangères qui utilisent des associations et organisations d’activistes pour affaiblir l’élevage français et imposer un modèle alimentaire hors-sol fondé sur des substituts artificiels.
L’amendement est un garde-fou indispensable pour limiter les dégâts que pourrait causer une expérimentation hasardeuse et empêcher que l’argent public ne finance des produits menaçant notre modèle agricole et notre souveraineté alimentaire.
M. Charles Fournier, rapporteur. L’idéologie est plutôt dans votre lecture du texte. Nulle part il n’y est écrit ce que vous prétendez. Au contraire, il permet la liberté, le soutien aux agriculteurs à l’échelon local et vise à leur garantir des revenus.
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Je rappelle que le Rassemblement national a voté en faveur de l’internalisation de l’Institut national de l’origine et de la qualité (Inao) – en d’autres termes, sa suppression – qui protège nos labels, nos appellations d’origine protégée ou contrôlée (dont bénéficient les viandes françaises), donc l’alimentation et l’agriculture françaises.
Le Rassemblement national a également rejeté notre amendement au projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole visant à imposer de la viande française dans la restauration collective au motif qu’il était trop coûteux.
Je vous demande de faire preuve d’un peu de cohérence.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CE45 et CE46 de M. Charles Fournier, rapporteur.
Amendement CE5 de M. Antoine Villedieu
M. Frédéric Weber (RN). Alors que la dette publique atteint un niveau abyssal et que le déficit de la sécurité sociale devrait s’établir à 23 milliards d’euros en 2025, il est totalement irresponsable de vouloir ajouter une septième branche à cette dernière pour financer l’alimentation des Français. Qui va payer ? Encore une fois, les contribuables et les collectivités déjà exsangues.
Cette proposition de loi est une illusion : elle ne résout rien et ne fait qu’aggraver la dette. Au lieu de protéger nos agriculteurs et de renforcer notre souveraineté alimentaire, elle crée un système bureaucratique et opaque dans lequel l’argent public pourrait financer des produits étrangers sous prétexte de critères environnementaux absurdes. Nous refusons que des normes biaisées favorisent les importations au détriment des produits français. Pourquoi subventionner des productions étrangères alors que nos agriculteurs souffrent ? Pourquoi imposer des critères susceptibles d’exclure les territoires d’outre-mer, qui contribuent pourtant à notre richesse agricole ?
Par notre amendement, nous plaçons la reconquête de notre souveraineté alimentaire au cœur du dispositif. Nous exigeons ainsi que seules les filières françaises bénéficient des financements. Nos agriculteurs n’ont pas besoin d’une usine à gaz idéologique mais d’un soutien efficace et pragmatique.
M. Charles Fournier, rapporteur. Vous défendez des amendements, comme si vous vouliez enrichir le texte, mais vous étiez opposés d’emblée à celui-ci : ce n’est qu’un prétexte pour exposer votre position idéologique.
À vous entendre parler de « système bureaucratique et opaque », je m’inquiète de votre conception de la sécurité sociale et de ce que vous en feriez si vous étiez au pouvoir.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CE47 de M. Charles Fournier et CE31 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). L’amendement vise à ajouter dix représentants des parlements de l’alimentation dans la gouvernance de l’association chargée de la gestion du fonds national d’expérimentation. Qui de mieux placé pour faire un bilan pertinent des expérimentations que les citoyens qui auront participé à celles-ci ?
La commission adopte les amendements.
Amendement CE32 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). Il s’agit d’inclure la Caisse des dépôts et consignations dans la gouvernance de l’association chargée de la gestion du fonds national d’expérimentation. Bras armé financier de l’État, la Caisse des dépôts dispose d’une expertise en matière de financement de la transformation des systèmes alimentaires territoriaux.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CE48 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur. L’amendement a pour objet de compléter la composition du conseil d’administration par des représentants de caisses de sécurité sociale ou d’organismes d’assurance maladie complémentaire.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE34 de M. Boris Tavernier
M. Boris Tavernier (EcoS). Il s’agit d’intégrer dans la gouvernance de l’association susnommée des représentants du secteur de la restauration ou de la restauration collective, afin de refléter la diversité des acteurs susceptibles d’être conventionnés.
M. Charles Fournier, rapporteur. Avis favorable.
M. Thierry Benoit (HOR). J’écoute les débats, je lis les amendements et les craintes que j’exprimais dans mon intervention liminaire se confirment. Sous couvert d’une expérimentation, nous allons tout droit vers une usine à gaz – un fonds géré par une association, des parties prenantes en pagaille… et nous ne sommes qu’au stade de la commission ! Une fois encore, nous succombons à la maladie française qui abîme notre pays depuis des années.
Il serait plus sage que le Parlement évalue les quarante expérimentations en cours et en tire des propositions à soumettre au Gouvernement.
Je m’abstiendrai ici, mais je proposerai au groupe Horizons de s’opposer au texte dans l’hémicycle. Nous ne sommes pas raisonnables, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Continuons ainsi et le pays ne s’en sortira pas.
M. Charles Fournier, rapporteur. La proposition de loi répond à une demande de celles et ceux qui expérimentent actuellement.
Monsieur Benoît, je vous invite, comme nous sommes plusieurs à l’avoir fait, à déposer des amendements pour simplifier le dispositif – qui, au demeurant, reproduit celui créé pour « Territoires zéro chômeur de longue durée », expérimentation que vous aviez soutenue.
Si nous associons de nouveaux acteurs à la gouvernance du fonds, c’est aussi parce que certains en ont manifesté le souhait – c’est le cas des représentants de la restauration collective.
La pluralité des parties prenantes, normale s’agissant d’un système agroalimentaire, n’est pas synonyme de dispositif ingérable. Sinon, il ne reste qu’à décider tout seul.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE49 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de clarification.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CE16 de Mme Manon Meunier tombe.
Amendements identiques CE15 de M. Sylvain Carrière et CE30 de M. Boris Tavernier
Mme Manon Meunier (LFI-NFP). Nous proposons de supprimer la référence au cahier des charges, comme le demande le collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation, afin de laisser libre cours à l’intelligence collective.
M. Charles Fournier, rapporteur. Je suis favorable à ces amendements de simplification.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, les amendements CE28 de Mme Géraldine Grangier et CE13 de Mme Chantal Jourdan tombent.
La commission adopte l’article 3 modifié.
Article 4 : Gouvernance et fonctionnement des expérimentations locales
Amendement CE50 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur. Après avoir entendu les différents acteurs, je propose une réécriture complète de l’article 4. Elle vise à rendre plus lisible la gouvernance et à consacrer le rôle des citoyens dans les choix opérés au niveau local, s’agissant notamment du conventionnement : chaque caisse locale sera administrée par un conseil de citoyens, auquel sera associé un comité des parties prenantes.
Mme Louise Morel (Dem). Ce qui me pose problème, c’est le mode de financement de ces expérimentations. J’ai donc déposé deux amendements visant à supprimer les alinéas 13 et 14, qui créent une charge pour l’État – sur laquelle il ne me semble pas que la réécriture revienne.
M. Charles Fournier, rapporteur. Supprimer les financements, ce serait transformer le fonds en un fond. Je préfère que l’on conserve le « s » !
La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rédigé.
En conséquence, les autres amendements tombent.
Article 5 : Gages
Amendement CE25 de Mme Louise Morel
Mme Louise Morel (Dem). Cet amendement vise à éviter que des budgets trop importants soient alloués au financement de ce dispositif.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CE26 de Mme Louise Morel.
La commission rejette l’article 5.
Titre
La commission adopte l’amendement rédactionnel CE36 de M. Charles Fournier, rapporteur.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mercredi 12 février 2025 à 9 h 35
Présents. - M. Laurent Alexandre, M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Maxime Amblard, M Antoine Armand, M. Christophe Barthès, M. Karim Benbrahim, M. Thierry Benoit, M. Benoît Biteau, M. Jean-Luc Bourgeaux, M. André Chassaigne, M. Romain Daubié, M. Julien Dive, M. Frédéric Falcon, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Julien Gabarron, Mme Géraldine Grangier, Mme Zahia Hamdane, Mme Mathilde Hignet, Mme Chantal Jourdan, Mme Julie Laernoes, M. Maxime Laisney, M. Thomas Lam, Mme Hélène Laporte, Mme Laure Lavalette, Mme Marie Lebec, M. Robert Le Bourgeois, M. Pascal Lecamp, M. Guillaume Lepers, M. Alexandre Loubet, M. Bastien Marchive, Mme Sandra Marsaud, M. Patrice Martin, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, M. Paul Midy, Mme Louise Morel, M. Jérôme Nury, M. Stéphane Peu, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, M. François Piquemal, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, Mme Valérie Rossi, M. Boris Tavernier, Mme Mélanie Thomin, M. Stéphane Travert, Mme Aurélie Trouvé, M. Jean-Pierre Vigier, M. Stéphane Vojetta, M. Frédéric Weber
Excusés. - M. Henri Alfandari, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin, Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback, M. Joseph Rivière, M. Matthias Tavel
Assistaient également à la réunion. - M. Sylvain Carrière, M. François Ruffin