Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et vote sur le projet de nomination (Mme Julie Laernoes, rapporteure) 2
Mercredi 16 octobre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 4
Session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente
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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), dont la nomination est proposée par le Président de la République aux fonctions de président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et vote sur le projet de nomination (Mme Julie Laernoes, rapporteure).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. En application de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous entendons M. Pierre-Marie Abadie, directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), que le Président de la République propose de nommer à la présidence de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui, conformément à la loi du 21 mai 2024, deviendra l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) au 1er janvier 2025.
L’audition est publique et sera suivie d’un vote par scrutin secret effectué par appel nominal, hors la présence de M. Abadie. Aucune délégation de vote ne sera possible. Le dépouillement du scrutin aura lieu mercredi 23 octobre 2024 à l’issue de l’audition de M. Abadie par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Mme Julie Laernoes, désignée rapporteure de cette proposition de nomination, a élaboré un questionnaire préalablement adressé à M. Abadie, dont les réponses très détaillées vous ont été transmises.
Monsieur le directeur général, la proposition de votre nomination avait été communiquée juste avant la dissolution de l’Assemblée nationale. La présidence de M. Doroszczuk arrivant à son terme le 12 novembre 2024, ce calendrier visait notamment à vous permettre de remplir une mission de préfiguration du rapprochement entre l’ASN et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui deviendra effectif au 1er janvier 2025. Cette mission a finalement été conduite par les responsables des deux instances. Je précise que si vous êtes nommé président de l’ASN avant la fin de l’année 2024, vous deviendrez automatiquement président de l’ASNR, sans qu’il soit nécessaire de vous auditionner à nouveau.
La commission a auditionné récemment le président de l’ASN, M. Doroszczuk, et le directeur général de l’IRSN, M. Niel, qui nous ont permis de faire le point sur l’avancement du rapprochement entre les deux institutions. Je rappelle toutefois que l’objet de cette séance n’est pas de nous prononcer sur cette fusion mais sur votre nomination, proposée dans le prolongement d’une carrière tout entière consacrée au service de l’État, en particulier dans le secteur de l’énergie.
Mme Julie Laernoes, rapporteure. Quelles que soient nos positions sur la politique énergétique, nous considérons tous la sûreté nucléaire comme un bien commun qu’il faut préserver à tout prix. Cela est d’autant plus important que la France est le pays le plus nucléarisé au monde.
Dans un contexte où notre système de sûreté est en passe de subir une profonde mutation et où la filière nucléaire est confrontée à des défis complexes, le futur président de l’ASN devra faire preuve d’une vigilance accrue, d’indépendance et de transparence. Si le démantèlement de l’IRSN et la mise en place de l’ASNR aboutissent, le successeur de M. Doroszczuk aura la tâche immense de construire avec l’ensemble des agents, dans un délai très contraint, une structure pleinement capable d’assurer la sûreté, comme le font depuis vingt ans l’ASN et l’IRSN.
Que les initiatives parlementaires visant à abroger ou repousser la réforme aboutissent ou pas, les défis à surmonter en matière de sûreté nucléaire sont immenses. Je pense au vieillissement du parc nucléaire, à l’exploitation des réacteurs au-delà de la durée prévue, à la saturation des capacités de stockage des déchets et matières nucléaires, aux nouveaux enjeux du secteur autour des réacteurs de type EPR 2 et des petits réacteurs modulaires (SMR), à la protection contre les cybermenaces ou encore à l’adaptation au changement climatique.
Dans les réponses exhaustives apportées à notre questionnaire, vous vous déclarez prêt à relever ce défi. Si vous possédez toutes les qualités requises, l’expérience nécessaire dans le secteur de l’énergie et un parcours ancré dans la chose publique, votre nomination se heurte toutefois à un point qui pourrait nuire à la crédibilité de notre autorité de sûreté nucléaire. En tant que directeur de l’Andra, vous avez en effet conduit le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) et déposé une demande d’autorisation de création auprès de l’ASN. Ce projet est controversé et suscite une opposition. Les inquiétudes relatives à la sûreté de ce stockage à long terme sont légitimes. Sachant que vous en avez été l’un des principaux promoteurs, se pose de fait, sans remettre en cause votre intégrité, un conflit moral semblable à celui d’une personne en situation de valider le permis de construire de sa propre maison.
Je vous remercie pour les réponses complètes et détaillées que vous nous avez apportées sur ce point par écrit. Pour autant, la situation paraît inextricable. Comment accepter que le président de l’autorité de sûreté doive se déporter d’un sujet majeur placé sous sa responsabilité ? Comment pourrez-vous exercer pleinement la présidence de l’ASN si vous vous déportez de toutes les décisions relatives au plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et à l’Andra, c’est-à-dire aux chantiers majeurs à venir dans le domaine de la sûreté nucléaire ? Si votre nomination était confirmée, cette situation risquerait de saper la confiance du public dans l’autorité que vous seriez amené à présider. La perception d’une collusion entre l’organe de contrôle et l’industrie qu’elle est censée surveiller serait désastreuse. En une période où les enjeux de sûreté nucléaire sont plus que jamais mis à l’épreuve, nous ne pouvons pas nous permettre d’émousser davantage cette confiance.
J’appelle par conséquent l’ensemble des membres de la commission à donner un avis défavorable à votre nomination.
M. Pierre-Marie Abadie. Je suis très honoré de me présenter enfin devant cette commission en vue de ma nomination à la présidence de l’ASN et de la future ASNR.
Je le fais à l’issue d’un parcours diversifié de haut fonctionnaire, à la croisée de l’industrie et de l’action publique, mais toujours au service de l’intérêt général. Je pense apporter à l’autorité de sûreté, aujourd’hui et demain, ma connaissance approfondie du secteur de l’énergie et du nucléaire ainsi que ma pratique du monde administratif et des établissements publics, y compris de recherche. Le fait de n’être issu ni de l’ASN, ni de l’IRSN et de n’être intervenu d’aucune manière dans le projet de réforme me confère par ailleurs le recul et l’indépendance nécessaires.
Je dispose enfin d’une expérience du dialogue social en interne et des échanges avec les parties prenantes, dont le Parlement, auquel je rends régulièrement compte, sous une forme ou une autre, depuis plus de vingt-cinq ans.
Bien évidemment, le sujet que vous évoquez a été au cœur de nos réflexions dès que la présidence de l’ASN m’a été proposée voici quelques mois. Avant d’être directeur général de l’Andra, je suis avant tout haut fonctionnaire et j’ai toujours été à ce titre attaché à une éthique forte. L’Andra est une agence particulière. Elle n’est pas promoteur de projet, mais maître d’ouvrage délégué pour le compte de l’État. Elle n’agit que dans le cadre des lois votées par le Parlement et du mandat qui lui est donné par l’État, au travers notamment du PNGMDR et des missions de service public qu’elle réalise en appui aux pouvoirs publics. Pour autant, l’Andra est exploitant de deux installations nucléaires et du projet Cigéo. La situation que vous décriviez est explicitement mentionnée dans le règlement intérieur du collège de l’ASN, qui prévoit alors le déport du président ou du commissaire concerné. Je ne participerai donc ni aux discussions préparatoires, ni au débat, ni à la décision prise par les quatre autres commissaires sur les sujets concernant directement l’Andra. Je procéderai de manière transparente et officielle : tout sera tracé. Je ne contribuerai pas non plus aux avis rendus sur l’actuel PNGMDR et sur les études réalisées dans ce cadre par l’Andra, ni à la préparation du futur PNGMDR, à l’horizon de deux ans.
L’instruction de Cigéo est en cours et devrait se conclure en 2028. Je compte appliquer le déport durant l’ensemble de mon mandat et ne pas intervenir sur le sujet, sous quelque forme que ce soit. Le dossier a été déposé. Il doit à présent être instruit et vivre sa vie, sans moi.
Je précise que le déport ne concernera que 1 ou 2 % du total des avis et expertises rendus par l’IRSN et l’ASN.
Je rappelle que s’il y a eu préfiguration, ce fut sans préfigurateur. Je n’ai en effet pas souhaité, en l’absence d’audition par cette commission, seule en mesure de m’apporter la légitimité nécessaire, prendre de contacts formels avec les cadres dirigeants des deux institutions, les organisations syndicales et les équipes. Cela m’aurait en effet conduit à m’installer dans le paysage avant de m’être présenté devant vous ce qui ne me semblait pas correct.
En ce qui concerne les grands enjeux de sûreté, j’entends m’inscrire dans la continuité de mes prédécesseurs et dans le contexte décrit par Mme la rapporteure. Je ne vais donc pas paraphraser le président de l’ASN, ni le rapport annuel sur l’état de sûreté, mais je soulignerai six enjeux ou principes directeurs auxquels je suis très attaché et que j’ai développés dans le questionnaire.
Je considère en premier lieu que la régulation doit être forte de son indépendance et de sa compétence, reconnue en France et à l’international et légitime car elle écoute et rend des comptes à ses pairs, aux parties prenantes et bien évidemment au Parlement.
L’anticipation est le deuxième principe majeur. De nombreux enjeux de long terme, parfois complexes au plan technique, se présentent à nous, parmi lesquels l’allongement de la durée de vie des réacteurs, l’adaptation au changement climatique et le vieillissement des usines du combustible. Cela suppose dès à présent la mise en œuvre de travaux de recherche, d’acquisition de connaissances, chez les exploitants mais aussi à l’IRSN, à l’ASN puis à l’ASNR. Les sujets à investiguer sont nombreux et concernent notamment les matériaux et le vieillissement des équipements non remplaçables. Il est également indispensable de prévoir des temps de discussion avec les parties prenantes, car les enjeux sont considérables.
Il importe par ailleurs de conserver des marges et d’assurer la cohérence d’ensemble du système. Le parc de réacteurs nucléaires français a été construit sur une période très courte, de manière standardisée. Cet élément constitue une force, car il nous permet de disposer d’un retour d’expérience, mais aussi une fragilité face aux incidents génériques, nous l’avons vu par exemple avec la corrosion sous contrainte. Les usines du combustible ont quant à elles connu des tensions ces dernières années. Il convient donc de conserver des marges non seulement physiques, en production, en entreposage de matières et de déchets, mais aussi temporelles face aux risques de retard des grands projets.
Quatrième axe directeur, l’innovation représente à la fois une chance et un défi, autour des réacteurs SMR, de l’intelligence artificielle ou des nouveaux traitements médicaux. Elle peut soulever des questions complexes, techniques, de régulation et même éthiques. Elle nécessite de travailler différemment avec les start-up, c’est-à-dire davantage en amont des procédures d’autorisation, comme l’IRSN et l’ASN ont commencé à le faire. Cela suppose de prévoir suffisamment tôt les débats nécessaires et le temps à y consacrer. Dans cet environnement, la priorité sera toujours donnée à la sûreté, à la résilience, parfois même à une forme de conservatisme prudent.
Le cinquième mot-clé est la performance de la filière face à un effort inédit de travaux et d’investissements. Loin d’être l’ennemie de la performance, la sûreté en est l’une des composantes. La filière doit gagner en qualité de production et en conduite de projet. Un projet qui se déroule bien et dont les coûts sont maîtrisés contribue à la sûreté. L’autorité de sûreté devra donc continuer à promouvoir le déploiement de la culture de sûreté et la qualité dans la conduite des projets dans l’ensemble de la filière, incluant la sous-traitance.
Le dernier défi est celui des moyens et des compétences. Il s’agit évidemment d’un enjeu de budget, de ressources humaines et d’attractivité.
Il importe également, sans pour autant ignorer les signaux faibles, de s’intéresser aux bons sujets au bon moment, c’est-à-dire suffisamment tôt dans le développement des projets.
Le sujet de la radioprotection et des enjeux du nucléaire de proximité dans l’industrie et le secteur médical requiert la plus grande vigilance, car il concentre la majeure partie des incidents sur les personnes, souvent par défaut de culture et de radioprotection.
J’en viens évidemment à la création de la nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection. Je rappelle d’abord que le modèle français est avant tout le fruit de l’histoire. Il existe dans le monde des modèles, dual et intégré, chacun présentant des avantages et des inconvénients qu’il convient de clairement percevoir pour savoir comment conduire le projet de fusion.
Le modèle dual permet une séparation nette entre expertise et décision, ainsi qu’une organisation de chaque entité en adéquation avec ses besoins. Le problème tient au fait que chaque institution a tendance à vouloir s’affirmer, y compris face à l’autre.
Le modèle intégré offre une cohérence stratégique, une meilleure lisibilité, une gestion intégrée des compétences, mais requiert une grande rigueur dans les processus.
Au-delà des cultures et des histoires différentes de l’ASN et de l’IRSN, ces instances ont assurément des valeurs communes. Je pense notamment à l’intérêt général, à la rigueur scientifique et technique, à la préoccupation constante de la sûreté, à la transparence. L’enjeu est d’explorer les potentialités et les possibilités du modèle intégré en matière de pilotage stratégique, opérationnel, de gestion des compétences et des parcours, tout en préservant les forces du modèle dual, caractérisé par la rigueur des processus et de l’expertise.
Quatre enjeux ont été clairement identifiés lors des débats relatifs à la réforme de l’autorité de sûreté.
Le premier est l’articulation entre décision et expertise. L’instruction est un processus de maturation semblable à une colonne à distiller, dont chaque étage doit produire ce qui est attendu pour nourrir la prise de décision. L’expertise doit avoir un mandat large et se conclure de manière formalisée et tracée. Elle peut être questionnée, notamment par les groupes permanents d’experts. L’expert doit dire toute la technique mais résister à la tentation de prescrire une solution. Il doit mettre en lumière les certitudes, les incertitudes et les enjeux qui s’y rapportent. Vient ensuite la phase préparatoire à la recommandation de la décision. L’instructeur s’appuie pour ce faire sur l’expertise, mais intègre dans son raisonnement d’autres éléments tels que la faisabilité, la temporalité, la proportionnalité aux risques. L’un des enjeux prioritaires pour l’ASNR sera de poser les processus de manière proportionnée, tracée et rigoureuse. Cette dimension, mentionnée lors des précédentes auditions, me paraît assez consensuelle.
D’autres enjeux méritent également que l’on s’y intéresse : je pense à la gestion des compétences, à l’animation des communautés, à la programmation des actions, aux échanges avec les parties prenantes. Ces aspects réunissent l’expertise et l’instruction, au-delà de la spécificité des postures et des métiers. Nous disposons pour animer le collectif de nombreux outils de management des organisations. Je souhaite que l’on puisse les explorer, les tester, les expérimenter pour assurer une animation d’ensemble de l’activité, tout en restant vigilant quant au respect des processus précédemment décrits.
Le deuxième enjeu réside dans la recherche, dimension essentielle à mes yeux. L’expertise se construit au contact d’une recherche solide. Il s’agit d’une force reconnue de l’IRSN, mais cela fait aussi partie de la posture interrogative de toute autorité de sûreté. La recherche doit être partenariale et attractive, y compris pour les doctorants. Avant même la réforme, la soutenabilité de la recherche au sein de l’IRSN était questionnée par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES) dans son rapport de mars 2023. La nouvelle autorité de sûreté devra se doter d’une programmation scientifique et déterminer les domaines matures où maintenir des compétences, les thèmes émergents et les conséquences du nouveau contexte de reprise du nucléaire. Il lui faudra également définir ses activités de cœur de métier dans lesquelles elle sera leader et celles qui nécessiteront une consolidation des partenariats avec des organismes en pointe dans des domaines comme l’intelligence artificielle. La construction de cette programmation impliquera de renforcer le conseil scientifique et de s’appuyer sur une fonction stratégique de directeur scientifique portant les questions de programmation, de partenariat et d’intégrité.
Le troisième enjeu, très discuté, est celui du dialogue avec la société. En réalité, il ne s’agit pas d’un sujet de débat : le dialogue est selon moi l’un des piliers de la légitimité d’une autorité de sûreté. L’IRSN a été précurseur en matière d’expertise pluraliste et de dialogue technique. La concertation menée avec le Haut Comité pour la transparence et l’information de la sécurité nucléaire (HCTISN) et l’Association nationale des comités et commissions locales d’information (Anccli) sur les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 mégawatts constitue également un précédent intéressant. Pour autant, la situation est confuse. Il existe une multitude de comités et de démarches. L’articulation entre dialogue et gouvernance devrait être mieux explicitée et le dialogue sortir de l’entre-soi. Il s’agit selon moi d’une activité stratégique, qui doit être placée auprès du collège et nourrir la gouvernance stratégique sans s’y substituer, car une autorité indépendante ne saurait partager sa responsabilité. Le dialogue est un ensemble, composé d’information, de mobilisation des parties prenantes, de montée en compétences, de concertation. Je vois une logique à faire travailler tous les métiers ensemble sans les fondre. Je souhaite m’appuyer sur le HCTISN pour construire dans ce domaine une feuille de route stratégique à l’échelle de l’ASNR.
Le dernier défi est celui des moyens, appréhendés non seulement sous l’angle du budget, mais aussi des ressources humaines, des compétences et de l’attractivité. L’enjeu sera de parvenir à se doter rapidement, dès la première année, d’un plan d’action ambitieux en matière de parcours diversifiés, d’animation de la communauté des managers et de gestion prospective des emplois. Il faudra porter une attention toute particulière au fonctionnement interne, en veillant à la maturité du contrôle interne et à la performance des fonctions support.
En me présentant à vous, je sais que je m’adresse aussi à l’ensemble des personnels de l’ASN et de l’IRSN. Si vous confirmez ma nomination, nous serons tous, au 1er janvier 2025, nouveaux au sein de l’ASNR, chacun avec son parcours, son métier, ses inquiétudes, ses attentes, mais tous au service de la mission commune que constitue la sûreté nucléaire. Mon souhait est de passer d’une interrogation sur le « pourquoi » de la réforme à un questionnement sur le « pour quoi faire », à l’horizon d’un an, deux ans, quatre ans, six ans. Cela implique que nous démarrions l’aventure ensemble dès le 1er janvier 2025, avec un comité de direction et un commandement unifiés, un pilotage et une conduite du changement intégrés, une communication d’une seule voix à l’attention des personnels, avec l’ambition partagée d’assurer l’indépendance et la reconnaissance de l’autorité de sûreté. Cela passera par la compétence, la rigueur et l’efficience des méthodes de travail, ainsi que par la capacité à échanger en interne et à se consacrer aux bons sujets au bon moment, d’où un enjeu stratégique et programmatique. Sur le plan humain, je souhaite que nous formions à cette échéance un véritable collectif, dans la diversité de nos cultures.
La démarche pour relever les défis et atteindre les objectifs fixés sera nécessairement progressive. Il s’agira, au bout d’une année, de s’assurer que la nouvelle structure fonctionne bien, dispose d’une organisation pérenne, de processus robustes et d’un plan d’action en matière de ressources humaines. À un horizon de deux ans, il conviendra d’avoir développé une stratégie pour l’ASNR, notamment dans les domaines de la recherche et du dialogue avec la société. D’ici quatre ans, de nouveaux ajustements organisationnels seront certainement nécessaires, car de telles entités sont faites pour vivre et évoluer.
Mon objectif n’est pas de vous demander un chèque en blanc : je souhaite en effet, comme l’a prévu la loi, rendre compte régulièrement de mes actions et décisions à votre commission, ainsi qu’à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupes.
M. Nicolas Dragon (RN). La relance du nucléaire civil doit intervenir dans un cadre de sûreté très élevé, auquel nos compatriotes sont attachés. Ils sont également soucieux de préserver la souveraineté énergétique de la France, aujourd’hui mise à mal.
L’avenir de la nation française repose en partie sur le pilier énergétique, essentiel au développement et à la réindustrialisation du pays. La fourniture de courant, indispensable au quotidien, doit reposer sur notre production nucléaire, jadis la moins chère et la plus abondante d’Europe. Mais l’ouverture à la concurrence, l’indexation des prix de l’électricité sur le gaz et l’installation massive d’éoliennes ont modifié la donne et abouti au saccage généralisé du fleuron national que constitue l’industrie nucléaire, forte de ses 220 000 emplois. Les événements sont toutefois en train de s’inverser au regard de la forte demande d’électricité attendue dans notre pays dans les prochaines décennies. La relance de notre industrie nucléaire requiert de l’excellence, de la compétence et de la volonté. Il y a urgence à agir, pour prolonger les cinquante-six réacteurs que compte le parc nucléaire, finir de mener à bien l’ouverture complète du premier EPR français à Flamanville, mener le futur plan de construction de plusieurs nouveaux EPR et développer les petits réacteurs modulaires qui sont une solution d’avenir.
Il est urgent enfin de procéder à la réforme de l’autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection au 1er janvier 2025, pour gagner en rapidité tout en maintenant une sécurité constante.
Dans ce contexte, pouvez-vous nous préciser les contours de votre future gouvernance si d’aventure le Parlement valide votre candidature ? En ces temps de calamité budgétaire, pensez-vous disposer des moyens nécessaires ? Pouvez-vous enfin nous faire part de l’état d’avancement du projet Cigéo ?
M. Pierre-Marie Abadie. L’autorité de sûreté n’a pas vocation à décider de la politique énergétique ; elle doit en revanche porter une voix forte sur les grands enjeux liés à cette politique. Cela passe par une réflexion sur l’anticipation de l’allongement de la durée de vie des installations nucléaires pour ne pas avoir à choisir à terme entre la sécurité de l’approvisionnement et la sûreté, et sur le renouvellement du parc afin de ne pas devoir prolonger excessivement l’utilisation des centrales nucléaires existantes. Le troisième point de vigilance concerne les usines du combustible, pour lesquelles il convient d’anticiper les décisions et de mener les instructions techniques pour déterminer les unités à remplacer, comme l’usine Melox, et celles, dont le site de La Hague, pour lesquelles des investissements doivent être effectués.
La gouvernance comporte deux niveaux. La direction générale des services aura la responsabilité de l’ensemble de l’ASNR et gèrera l’instruction, l’expertise et la production des dossiers pour le collège. Ce dernier a pour vocation de prendre les grandes décisions d’orientation, de manière collégiale. J’insiste sur le fait que le président de l’ASN, puis de l’ASNR, n’en est pas le président directeur général : il préside un collège, au sein duquel les décisions sont prises collectivement. Cette organisation permet de tempérer les pouvoirs du président, de traiter les questions déontologiques précédemment évoquées et d’aboutir à une décision éclairée.
Bien évidemment, il est impératif d’assurer à l’autorité de sûreté les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission, aujourd’hui et demain. La préparation du budget 2025 impliquait de garantir la continuité des moyens alloués à la nouvelle instance, cette dernière étant le fruit de la réunion d’une autorité administrative, intégralement financée par des dotations budgétaires, et d’un établissement public sous-doté, disposant également de ressources tierces, mais consommant sa trésorerie et son fonds de roulement.
Le deuxième enjeu était de traiter les effets liés à la fusion, en matière notamment de TVA et de recettes transférées au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
Le troisième défi visait à couvrir les surcoûts liés au démarrage de la nouvelle entité. Le président Doroszczuk vous a alertés sur le niveau de dotation de l’autorité de sûreté et le manque de 37 millions d’euros. En matière de gouvernance la force d’une autorité administrative indépendante (AAI) réside dans sa capacité à s’adresser directement à vous, ce que ne peut pas faire un directeur général d’établissement public, qui a un devoir de loyauté à l’égard des arbitrages rendus par ses tutelles. Sur les 37 millions manquants, 20 ont été remis dans le projet de loi de finances (PLF) en base. Les 17 millions restants viendraient en première analyse de rescrits fiscaux, en cours de discussion. Si cela ne devait pas aboutir, je serai amené, si je suis en fonction, à attirer à nouveau l’attention sur la question des moyens attribués à l’autorité de sûreté. J’ajoute que les sommes mentionnées ne sont pas destinées à payer les effectifs, mais à assurer le fonctionnement de l’entité. Il est donc d’autant plus important d’en disposer.
Le dossier Cigéo a été déposé en janvier 2023. Il est désormais entre les mains de l’ASN et de l’IRSN. L’instruction technique, prévue pour durer une trentaine de mois, doit se dérouler en trois temps : le premier groupe permanent a déjà eu lieu, le deuxième va se tenir en novembre 2024 et le troisième à la mi-2025. L’Andra remettra alors à jour son dossier afin de le mettre à l’enquête publique probablement à la fin 2026. Dans cette logique, le décret serait attendu pour fin 2027 ou début 2028. Je ne m’occuperai en aucune manière de ce dossier durant toute la durée de mon mandat : la préparation du décret s’effectuera sous l’autorité des services et les décisions seront prises sous la responsabilité des quatre commissaires du collège.
M. Anthony Brosse (EPR). La fusion de l’ASN et de l’IRSN a fait l’objet d’âpres débats au printemps dernier, tant sur l’opportunité de ce rapprochement que sur sa forme juridique ou ses missions. Le statut d’AAI vous semble-t-il de nature à protéger l’indépendance de l’ASNR et à la préserver de toute pression ?
La fusion a été longuement préparée, dans le cadre d’une douzaine de groupes de travail composés de représentants de chacune des entités. Avez-vous pu anticiper votre prise de fonction dans le cadre d’une démarche de préfiguration et engager un travail de réflexion aux côtés des salariés voués à être regroupés au sein d’une seule et même structure ?
Lors de l’examen du projet de loi portant création de l’ASNR, de nombreux débats ont concerné la transparence des décisions. La constitution d’un conseil scientifique et d’une commission d’éthique et de déontologie a finalement été retenue. Ces dispositifs vous semblent-ils de nature à permettre une totale transparence, sans contestation possible, des décisions prises par le collège ? Envisagez-vous un cloisonnement complet entre les personnes responsables respectivement du volet expertise et de la prise de décision ? Pourriez-vous nous préciser le rôle du directeur scientifique ?
L’attractivité de l’ASNR est enfin un enjeu majeur, afin notamment d’éviter une fuite des cerveaux vers l’industrie, au détriment du contrôle et de la sûreté. Avez-vous pu échanger à ce propos avec le ministère de l’énergie ? Je rappelle que le ministre d’alors, Roland Lescure, s’était engagé à suivre de près ce dossier pour garantir des rémunérations attractives face aux acteurs privés qui bénéficient de financements importants avec le développement des EPR et des SMR.
M. Pierre-Marie Abadie. L’autorité de sûreté tire son indépendance non seulement de son statut d’AAI, mais aussi de la force de la collégialité et du fait que le collège est nommé pour un mandat non renouvelable et le président pour six ans non révocables et non renouvelables. L’indépendance de l’autorité est ainsi garantie par la loi. L’IRSN tenait son indépendance de la force de son expertise, mais était un établissement public sous tutelle ministérielle. La nouvelle autorité de sûreté, forte du statut d’AAI, gagnera donc en indépendance et ne rendra compte que devant le Parlement.
Je n’ai pas été préfigurateur, pour les raisons précédemment évoquées. Pour autant, je ne me suis pas désintéressé du sujet et j’ai bien évidemment réfléchi à la manière dont je pourrais aborder au mieux la situation. Si ma nomination est confirmée par le Parlement, j’engagerai à partir de début novembre 2024 une phase de prise de contact et d’écoute. Je rencontrerai dans ce cadre les comités exécutifs des deux institutions, les équipes, les directeurs et bien évidemment les organisations syndicales et intersyndicales. Je prendrai également connaissance, de façon très détaillée, de l’état d’avancement des réflexions menées au sein des groupes de travail, notamment des difficultés à lever pour être au rendez-vous du 1er janvier 2025.
Dans un deuxième temps, je m’appliquerai à poser progressivement la méthode. La première année sera essentiellement axée sur l’identification des objectifs et des éléments pour redonner du sens à la réforme, tout en s’assurant du bon fonctionnement et de la pérennisation de la structure. Les deux années suivantes permettront de construire une stratégie de recherche, de dialogue et une programmation. L’élaboration de la stratégie est l’une des missions dévolues au collège, en lien avec les équipes et le management. Je souhaite vraiment mobiliser la chaîne managériale, indispensable à la conduite du changement. Nous nous appuierons également sur des comités extérieurs et une interaction avec les parties prenantes. Le conseil scientifique doit être renforcé et participer étroitement à la construction des diverses stratégies. La déontologie doit être clarifiée et lisible afin d’assurer de manière proportionnée les allers-retours entre l’ASNR et l’extérieur, élément clé dans les cheminements de carrière des experts et des chercheurs.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NFP). Si le vote des parlementaires vous confirme au poste de président de l’ASN, puis de la future ASNR, vous aurez à instruire des dossiers que vous avez, en tant que directeur général de l’Andra, déposés auprès de l’ASN. Je pense notamment à la demande d’autorisation de création du très contesté centre industriel de stockage géologique Cigéo, à Bure, dans la Meuse. Ce projet comptera 250 kilomètres de galeries creusées à 500 mètres sous terre, dans lesquelles seront enfouis quelque 83 000 mètres cubes de déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue et de haute activité. Il s’agit en réalité d’un projet de poubelle atomique géante, sans réversibilité ni possibilité de contrôle à long terme sur les déchets enfouis. Nous n’avons aucune garantie quant à la stabilité et à l’imperméabilité des sols à très long terme. Nous préparons ainsi une contamination radioactive irréversible, qui exposera les générations futures et l’ensemble du vivant à un danger majeur.
Sans surprise, collectifs et associations opposés à ce projet s’insurgent contre votre nomination, en raison de l’évident conflit d’intérêts qu’elle soulève. Les salariés de l’ASN et de l’IRSN s’en sont également émus. Votre déport dans le traitement de ce dossier n’est pas une garantie suffisante d’autant que la création de la future ASNR signe la fin de la transparence du processus décisionnel en matière de sûreté nucléaire, à moins que vous nous annonciez votre volonté de faire publier les avis des experts en amont de la décision.
D’une manière générale, le conflit d’intérêts que vous incarnez pose le problème de la fusion à marche forcée de l’IRSN et de l’ASN. Est-il souhaitable et raisonnable que des experts se trouvent placés sous l’autorité hiérarchique d’une personne chargée de prendre la décision sur les questions de sûreté nucléaire ?
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera contre votre nomination.
M. Pierre-Marie Abadie. Cigéo n’est pas le projet de l’Andra, mais de l’État. Il a fait l’objet de trois votes du Parlement. L’Andra ne défend pas d’intérêts propres : elle s’en tient, en tant qu’établissement public, aux mandats qui lui sont donnés par le Gouvernement et le Parlement et conduit des projets en qualité de maître d’ouvrage délégué de l’État.
Je ne répondrai pas à vos questions sur Cigéo, car je suis présent devant vous non au titre de ma fonction de directeur général de l’Andra mais en tant que personne proposée pour occuper la présidence de l’autorité de sûreté nucléaire. Le dossier a été déposé et est en cours d’instruction. Je vous ai indiqué que je ne m’occuperai pas de Cigéo : le moins que je puisse faire est donc de ne pas en faire la promotion.
Je précise que les services et les experts seront sous l’autorité hiérarchique du directeur général de l’ASNR et non du président.
La transparence et le dialogue avec la société sont nécessaires. Ces valeurs sont promues par l’ASN et le seront par l’ASNR. Le débat ne portait pas en l’occurrence sur le bien-fondé de la publication des expertises mais sur sa temporalité. Nous avons collectivement fait le constat que, sur des expertises durant quelques mois, la publication successive des différentes contributions créait une impression absolument cacophonique. Je pense notamment à l’exemple du couvercle de la cuve du réacteur de Flamanville. Il semble opportun de publier simultanément les avis, afin de faciliter la compréhension du processus de maturation de l’instruction technique, composée d’expertises successives, questionnées par le groupe permanent d’experts afin de conduire vers une décision. La progressivité de la démarche n’est absolument pas mise en lumière par la publication successive des avis d’experts.
Pour les instructions au long cours, conduites sur plusieurs années, il apparaît préférable de publier les avis périodiquement, lors des grands franchissements de jalons. L’instruction du dossier Cigéo doit par exemple durer trente mois : il est impensable d’attendre le 31e mois pour publier l’ensemble des travaux. Il est donc prévu que chacune des trois étapes de l’expertise donne lieu à la publication simultanée de l’expertise de l’IRSN, de l’avis du groupe permanent des experts et de l’éventuelle lettre de suite de l’ASN. Cela s’est produit une première fois en juin 2024. Il s’agit d’une bonne méthode, qui met en lumière le caractère progressif de l’instruction. Publier séparément les documents crée une impression de confusion et ne rend pas compte de l’articulation des travaux des différentes instances.
M. Gérard Leseul (SOC). La loi du 21 mai 2024, que nous avons été nombreux à combattre, a finalement été adoptée. La nouvelle autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection doit se mettre en place à compter du 1er janvier 2025. Mener une réforme d’une telle ampleur et d’une telle complexité en moins de sept mois ne nous a jamais semblé réaliste.
J’ai compris que vous ne remettiez pas en cause la date de la fusion. Or il existe des différends importants entre l’IRSN et l’ASN sur le rapprochement entre expertise, instruction et décision. L’organisation transitoire de l’ASNR semble procéder à une simple juxtaposition des unités d’expertise de l’IRSN et des unités d’instruction et de décision de l’ASN. Quelle est votre vision de la séparation entre expertise et décision au sein de la future ASNR ? Vous paraît-il souhaitable que des personnels soient expert un jour et décideur le lendemain ? Vous semble-t-il raisonnable que des experts soient placés sous l’autorité hiérarchique d’une personne chargée de prendre la décision ?
L’une des craintes exprimées lors de la discussion du projet de loi portait sur un risque d’affaiblissement des activités de recherche, que vous avez qualifiées d’essentielles. Cette crainte vous semble-t-elle fondée ? Quelle place donner dans l’ASNR aux recherches en sûreté et en radioprotection de l’humain et de l’environnement ? Comment comptez-vous garantir le meilleur niveau de recherche et attirer des chercheurs de qualité au sein d’une autorité administrative ?
Le risque de perte de transparence est un autre sujet d’inquiétude. Vous semble-t-il utile de publier les avis des experts en toute circonstance ou estimez-vous que certaines situations particulières exigeraient de ne pas les rendre publics ?
Les activités d’expertise portées par la direction de l’expertise nucléaire de défense de l’IRSN vont être transférées au ministère des armées, ce qui va nécessiter une convention afin que les experts spécialistes de l’ASNR puissent contribuer à l’expertise sur les installations nucléaires de bases secrètes. Comment comptez-vous maintenir la cohérence entre sûreté civile et de défense ?
Inversement, l’expertise en matière de sûreté des installations nucléaires civiles ne sera pas au sein de l’ASNR : comment pensez-vous garantir le maintien de la cohérence entre exigence de sécurité et de sûreté ?
Il reste moins de cinquante jours ouvrés avant que la création de l’ASNR devienne effective. Il nous semblerait plus sage pour la sûreté et la sécurité, donc pour la protection de nos concitoyens, de reporter cette échéance. Estimez-vous plus opportun de la repousser de six ou de douze mois ?
M. Pierre-Marie Abadie. Le 1er janvier 2025, il s’agira simplement de juxtaposer les directions et les processus, sans rien y changer. Je tiens à vous rassurer sur le fait que les fonctions métiers et les fonctions essentielles de la sûreté ne connaîtront pas d’activité dégradée.
Les débats portent essentiellement sur l’organisation. La question est complexe et nécessite selon moi de partir des objectifs : que veut-on faire ? Nous souhaitons tout d’abord disposer d’expertises articulées avec la décision : cela renvoie à l’enjeu des processus. Nous voulons également traiter des dossiers comme ceux des enjeux de programmation pluriannuelle d’instruction, du partage des grands sujets émergents et de la gestion des compétences. Bien que les postures et les métiers soient différents, les compétences mobilisées sont assez proches : un instructeur travaillant sur un dossier complexe dispose d’une compétence technique, peut-être moins pointue, différente et plus intégrante que celle d’un expert, mais bien réelle. Plus globalement, il s’agit d’animer les communautés. À ce stade, j’ignore quel outil managérial choisir pour y parvenir, entre le management hiérarchique, fonctionnel, d’organisation matricielle et l’animation des communautés. La gamme est large et j’ai le sentiment qu’il faut expérimenter par domaine, afin de déterminer l’outil le mieux approprié pour créer un effet de communauté, tout en respectant les processus.
En matière de recherche, j’ai déjà esquissé les enjeux de programmation, qui impliquent non seulement de disposer des moyens nécessaires, mais aussi de définir des priorités. J’ai pu constater, à partir des éléments disponibles publiquement, que l’IRSN s’appuyait sur un document extrêmement stratégique d’une quinzaine de pages, très littéraire, élaboré sous la présidence de M. Repussard, et sur une liste programmatique des activités à mener. Il manque selon moi, entre les deux, une réflexion visant à déterminer, pour chaque domaine, son degré de maturité, les gains de connaissance nécessaires, l’existence d’un éventuel enjeu de maintien des compétences, la meilleure manière d’aborder les sujets émergents et les actions de veille à mener. Cet exercice permettrait ensuite de définir les aspects susceptibles d’être traités en interne et ceux nécessitant le recours à des partenariats. L’IRSN a développé récemment de nombreux partenariats, qu’il convient d’analyser afin de préciser ceux qui méritent d’être renforcés. Je pense par exemple aux recherches concernant l’intelligence artificielle : l’IRSN n’est pas leader dans ce secteur et devra chercher des partenaires extérieurs, comme l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria).
Vous m’avez demandé si certains avis ne devaient selon moi pas être publiés. Les règles relatives au secret industriel et au secret de la défense s’appliquent dans ce domaine. J’ai toutefois pu constater d’expérience que cela ne concernait qu’un nombre extrêmement réduit d’avis. De manière générale, les expertises sont rédigées et construites de manière à pouvoir être rendues publiques.
J’en viens à la question relative à la direction de l’expertise nucléaire de défense (DEND). Avant même d’être pressenti pour présider l’ASNR, j’avais le souci que cette réforme ne conduise pas à éloigner les équipes de la DEND de leurs autres collègues chargés de l’expertise. La DEND a en effet besoin de l’expertise du reste de l’IRSN et inversement sur les petits réacteurs et les questions de sécurité. Savoir si la sécurité doit être rapprochée de la sûreté est un sujet récurrent. La décision a finalement été prise de les conserver séparément. Pour autant, ces deux secteurs doivent se parler. Il est important que le lien soit maintenu et la communauté de l’expertise conservée. Je suis de ce point de vue rassuré par le fait que les équipes de la DEND restent sur le site de Fontenay. Il conviendra par ailleurs d’établir des conventions entre la DEND et l’ASNR pour que les échanges de compétences puissent se poursuivre. Enfin, après avoir passé cinq années au cabinet du ministre de la défense, je connais suffisamment le secteur pour savoir que je maintiendrai une relation très proche avec le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les activités et installations intéressant la défense (DSND), afin d’assurer une communauté de concept et de méthodologie en matière de sûreté, tout en laissant la DSND s’adapter aux conditions spécifiques de l’exigence opérationnelle de la force de frappe.
M. Jean-Pierre Taite (DR). Lors de son audition le 24 septembre 2024, le président de l’ASN a précisé que, compte tenu du délai restreint entre la promulgation de la loi et la création de l’ASNR, le projet d’organisation transitoire privilégiait une stabilité fonctionnelle et géographique permettant d’assurer la continuité de l’activité et des missions. Cela suppose une direction générale unifiée, le maintien en l’état et la juxtaposition des entités cœur de métier de la sûreté, de la santé, de l’environnement et de la radioprotection, ainsi qu’un rapprochement des personnels exerçant des fonctions support transverses et de pilotage au sein d’entités nouvelles. Ce projet d’organisation a été soumis aux instances représentatives des personnels de l’ASN et de l’IRSN, qui ont émis un avis défavorable, l’une estimant que la réforme devrait être repoussée au 1er janvier 2026, l’autre que le projet présenté n’allait pas assez loin.
Selon l’article 16 de la loi relative à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, il revient au collège de l’ASN de préparer un projet d’organisation et de règlement intérieur en vue de leur adoption au 1er janvier 2025. Ce collège est en train d’étudier les avis et les propositions qui les accompagnent. Il était prévu qu’il auditionne les directions générales des deux entités la semaine prochaine, avant de prendre position sur les suites à donner. Vous deviez effectuer un travail de préfiguration permettant d’apporter un éclairage sur cette fusion. Estimez-vous que les conditions sont réunies pour une bonne application de la loi dès le 1er janvier 2025 ? L’ASNR sera-t-elle alors en capacité d’exercer ses fonctions ?
Force est de constater que s’il existe une filière de gestion pour 90 % des déchets nucléaires, ceux-ci ne représentent que 10 % de la radioactivité contenue. En l’absence de filière de gestion sûre, un effort reste à fournir pour trouver des solutions de gestion des déchets à haute activité et à faible activité mais vie longue. Il n’est pas concevable d’afficher de nouvelles ambitions pour le nucléaire sans dégager de moyens pour que les déchets soient gérés de manière définitive ou entreposés dans de bonnes conditions : les deux dimensions doivent aller de pair. Il s’agit d’une question de crédibilité. Quelle sera votre politique en la matière ?
Le groupe de la Droite républicaine votera en faveur de votre nomination.
M. Pierre-Marie Abadie. J’ai suffisamment d’expérience en tant que directeur d’administration et d’établissement public pour ne pas sous-estimer les questions d’intendance et de fonctionnement. Pour autant, j’ai la conviction que l’ASNR doit être installée à la date prévue. Nous devons aux personnels de mettre fin à la phase intermédiaire d’incertitude. La construction de l’organisation future dans laquelle ils viendront s’intégrer doit commencer dès le 1er janvier 2025. Il est essentiel de disposer d’une autorité et d’un comité de direction communs, d’une équipe soudée, d’un management mobilisable et d’une communication unifiée vers les personnels. Or cela n’est pas effectif : nous sommes face à deux institutions, dont les directeurs et managers se trouvent dans des situations difficiles, pris dans des conflits de loyauté entre les organisations actuelle et future, et dont les personnels ne bénéficient pas d’une communication fluide et unifiée. Il convient donc de basculer véritablement dans une conduite du changement intégrée au 1er janvier 2025.
Cela étant dit, certains sujets doivent être traités en priorité. J’insiste sur le fait que les processus métiers seront préservés. Le choix de juxtaposer les organisations conduira à ce que la production des expertises et des avis se poursuive en début d’année sans perturbation. Les éventuelles tensions pourront concerner l’intendance, les fonctions support, les aspects comptables, mais en aucun cas les processus métiers ou la gestion de crise, qui ne seront pas soumis à un fonctionnement dégradé. Une gestion de crise intégrée et un centre de crise unique ont été testés avec succès voici une dizaine de jours. Les aspects de sûreté seront donc pleinement opérationnels.
Parmi les sujets incontournables restant à gérer, certains ne doivent pas obligatoirement être réglés au 1er janvier 2025. Ainsi les questions importantes de logo, de messagerie ou de rapprochement informatique sont à traiter rapidement, susceptibles de connaître des perturbations, mais ne sont pas des fonctions vitales.
En revanche, il faut impérativement être à cette date en capacité de verser les salaires, d’encaisser les recettes et de payer les contrats. Si cela a une dimension essentiellement comptable, les ressources humaines sont aussi concernées puisque payer les personnels suppose qu’ils soient affectés à des fonctions.
À ma connaissance, les cinq décrets nécessaires pour fonctionner ont ou vont faire l’objet d’une saisine du Conseil d’État. Les derniers arbitrages sont en cours. Une vigilance toute particulière est exercée sur la question des biens, droits et obligations, afin de gérer le plus simplement possible l’apport de la partie principale de l’IRSN à l’ASN.
Le deuxième sujet majeur est celui de l’affectation des personnes. Il suppose d’identifier les préfigurateurs des directions, en cascade, afin d’assurer l’affectation de chacun à son poste futur. Là encore, il faut mesurer l’exacte ampleur de la tâche, sachant que la plupart des personnels conserveront leur poste, par juxtaposition ou par absence de changement de métier. Seuls une trentaine de collaborateurs sur un effectif global de 2 000 agents sont concernés par un changement de poste, de périmètre ou une situation de doublon. La situation est donc gérable.
Le point de vigilance le plus fort est dirigé vers la comptabilité et le processus de paye. L’objectif est essentiellement de parvenir à connecter le dispositif de gestion de l’IRSN sur le logiciel Chorus de l’État et de mettre à disposition l’actuelle agence comptable auprès du contrôleur budgétaire du ministère. Objet d’inquiétude il y a une quinzaine de jours, la question semble clarifiée.
S’agissant des rémunérations, un test est prévu en décembre 2024 pour s’assurer que les salaires pourront être versés en janvier 2025.
Chaque jour permet de résoudre des problèmes techniques afin de garantir un démarrage de l’activité au 1er janvier prochain.
J’insiste sur la nécessité de peser les risques résiduels de perturbation au regard des conséquences négatives d’un report sur la conduite du changement et in fine sur les personnels plongés dans l’incertitude.
Si j’ai la ferme intention de ne pas m’occuper du dossier Cigéo, il n’en demeure pas moins que l’autorité de sûreté sera vigilante sur la question des déchets et veillera à ce que l’ensemble du système conserve des marges physiques, pour s’assurer de sa capacité à entreposer déchets et combustibles, mais aussi temporelles, dans la mesure où les projets prennent souvent du retard.
Mme Lisa Belluco (EcoS). Notre groupe est et restera opposé à la fusion entre l’ASN et l’IRSN et votera contre votre nomination à la tête de l’ASN, puis de l’ASNR, pour des raisons évidentes de conflit d’intérêts.
Jusqu’à présent, notre modèle de sûreté nucléaire reposait sur quatre piliers : EDF, l’exploitant responsable de la sûreté, l’ASN, le gendarme devant contrôler l’exploitant, l’IRSN, l’expert chargé d’apporter un appui technique, et la société civile, informée et consultée. Ce modèle a fait ses preuves. Le Gouvernement précédent a pourtant pris le parti de le détruire en dissolvant l’IRSN, son expertise et son indépendance, et en instaurant un retour à la simple information du public, afin que la société civile n’ait plus voix au chapitre. Les justifications de ce choix demeurent obscures. Il a manifestement été décidé de troquer notre sûreté nucléaire contre des économies insignifiantes et quelques hypothétiques mois de procédure administrative en moins pour le développement d’un éventuel nouveau parc nucléaire.
Au vu de votre parcours, nous ne doutons pas, monsieur Abadie, de vos compétences en matière de sûreté nucléaire. Vous avez cependant, en tant que directeur de l’Andra, engagé votre responsabilité sur les dossiers de déclaration d’utilité publique et de demande d’autorisation de création de nombreux projets, dont celui du centre industriel de stockage géologique destiné aux déchets de haute activité et moyenne activité à vie longue. Si vous êtes nommé, vous serez amené à présider l’instance chargée d’autoriser ou non la création de Cigéo. Or vous aurez un intérêt manifeste à autoriser ce projet, indépendamment de considérations sur son opportunité ou les risques qu’il présente. Vous avez indiqué que vous souhaitiez vous déporter de ce dossier et de l’ensemble des sujets liés à l’Andra. Nous l’entendons, mais même dans ce cas de figure, votre influence sur le collège, en votre qualité de président, sera indubitable. Votre nomination sèmerait le doute sur l’impartialité de l’autorité.
En conséquence, le groupe Écologiste et social ne peut accepter votre nomination à la tête de l’ASN et de l’ASNR et appelle l’ensemble des collègues à le suivre, afin que ne soit pas entachée l’image de sérieux et d’indépendance de l’autorité de sûreté.
M. Pierre-Marie Abadie. Les quatre piliers du modèle dual français de sûreté nucléaire et de radioprotection sont le fruit d’une longue histoire, caractérisée par la sortie progressive du CEA de la sûreté, dans ses aspects de contrôle, puis d’expertise, et par le rapprochement entre sûreté et radioprotection, avec notamment la création de l’ASN en 2006. Ce modèle présente des avantages, mais aussi des inconvénients : dans un contexte de multiplication des enjeux émergents, il peut conduire à un défaut d’effort collectif de programmation et d’alignement stratégique. Le modèle intégré, privilégié dans d’autres pays, suppose des processus très rigoureux pour articuler expertise et décision, mais donne la possibilité d’explorer de nouveaux sujets comme la gestion des compétences, la programmation stratégique, la programmation des actions ou le partage des enjeux futurs. Dans ce schéma, la recherche joue un rôle majeur et apportera à la nouvelle autorité une force accrue.
Le dialogue avec la société sera maintenu, développé et structuré à l’échelle de l’ensemble de l’autorité de sûreté. Cela permettra de mieux articuler les actions, de choisir le meilleur moment pour organiser les concertations. La concertation sur les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 mégawatts, conduite conjointement par l’ASN et l’IRSN, avec l’Anccli et le HCTISN, en constitue une parfaite illustration : ce processus, positionné très en amont de l’arrivée des instructions des examens de sûreté, a été jugé collectivement très satisfaisant. Il faut parvenir à généraliser ce type de démarche, pour identifier les moments et les formats les plus appropriés.
Il convient également d’avoir avec le public un dialogue plus puissant. J’ai consulté récemment le rapport de la mission de conseil de la Commission nationale du débat public (CNDP) pour développer l’ouverture à la société de l’IRSN. Si l’ambition affichée a été en partie réalisée, certains objectifs n’ont pas été atteints : je pense notamment à la mobilisation des publics au-delà de l’entre-soi des experts institutionnels ou non institutionnels, qui pourrait être améliorée, ou encore à la sensibilisation de nouveaux publics, dans le cadre éventuellement de conférences citoyennes. Approfondir ces axes me semble nécessaire pour l’expertise, mais plus encore pour une autorité de sûreté. Il est important de mettre au débat des sujets comme l’allongement de la durée de vie du parc nucléaire, les SMR ou les nouveaux traitements médicaux, qui revêtent une dimension éthique, sociétale et d’évaluation socio-économique. Ces aspects doivent être traités avec les experts et au-delà. Je ne doute pas d’une part qu’il soit possible de mieux faire en matière de dialogue avec la société, d’autre part que la nouvelle autorité de sûreté le permettra, en conjuguant les énergies, les métiers et les compétences. Le dialogue est un tout : il mêle l’information, la mobilisation des publics, la formation, la montée en compétence des experts et des citoyens et la tenue de concertations, au bon moment et sur les bons sujets.
M. Mickaël Cosson (Dem). La mission de préfiguration de la fusion entre l’ASN et l’IRSN, à laquelle vous avez indiqué ne pas avoir participé, a sans doute permis de comprendre les dynamiques internes de chacune des deux institutions afin qu’elles puissent par la suite travailler efficacement de concert pour la sécurité de tous.
Cette fusion continue néanmoins à susciter des interrogations, en externe comme en interne. Il est donc crucial de rassurer l’opinion publique et les experts sur la capacité de la France à maintenir dans le domaine de la sûreté nucléaire la rigueur de contrôle qui a fait sa réputation à l’échelle internationale. L’un des principes fondamentaux de la réforme est de garantir une séparation claire entre les agents responsables de l’expertise technique des dossiers et ceux chargés de prendre les décisions finales en matière de sûreté. Cette distinction est perçue comme une garantie essentielle de l’indépendance des analyses. Comment envisagez-vous de mener cette séparation et quelles mesures prévoyez-vous pour assurer l’indépendance de l’expertise ?
La communication et la transparence vis-à-vis du public sont des éléments essentiels. Avez-vous noté des freins, des difficultés à résoudre afin d’atteindre les ambitions que vous affichez ?
Face aux enjeux de la souveraineté énergétique et au contexte de plus en plus concurrentiel, comment comptez-vous rendre plus attractifs les métiers de la sûreté nucléaire, retenir les talents et en attirer de nouveaux ?
Enfin, comment pensez-vous procéder, en matière de gestion des déchets, pour sortir d’une économie linéaire et parvenir à une économie circulaire dans laquelle les matières considérées aujourd’hui comme des déchets n’en seront plus ?
M. Pierre-Marie Abadie. L’autorité de sûreté doit absolument maintenir une forte capacité d’expertise, d’instruction et de contrôle. Cela se mesure grâce aux processus internes, mais aussi par la confrontation avec les tiers, avec les pairs, au niveau scientifique et à l’échelle des autorités de sûreté, en France et à l’international.
La question du lien entre expertise et instruction n’est pas propre à l’ASN et à l’IRSN. J’ai déjà pratiqué cela dans le cadre de l’Andra, où coexistent des chercheurs, des ingénieurs, des personnes chargées de conduire des projets et d’autres de s’occuper de sûreté. Le travail s’effectue tout au long de la chaîne de compétences et s’articule autour de notes scientifiques intégrées et de documents projets. Chacun fait son métier. L’expert doit effectuer sa tâche de manière ouverte, interrogative, dire toute la technique et rien que la technique, faire part des certitudes, qualifier les incertitudes et les risques entourant le dossier, sans pour autant céder à la tentation de prescrire des solutions. Les éléments fournis sont ensuite questionnés, éventuellement dans le cadre d’un groupe permanent, pour les dossiers complexes. Il appartient alors à l’instructeur d’utiliser les données de l’expertise et de les intégrer dans un contexte plus large mêlant des considérations de temporalité, de faisabilité et de priorisation. Ce type de démarche doit être entretenu, encouragé et développé. Cela s’effectue en général assez naturellement.
Les questions d’organisation sont d’un autre ordre. Je n’ai pas l’intention d’arriver avec une solution toute faite. Mon souhait est d’avoir toute latitude pour explorer, expérimenter avec les personnes concernées, au regard des objectifs poursuivis, les modes de fonctionnement et les outils managériaux susceptibles d’être utilisés pour créer, au-delà des processus, un véritable collectif autour de l’instruction et des grands équipements.
L’un des enjeux de la première année de fonctionnement sera d’analyser, métier par métier, carrière par carrière, les inquiétudes et les incertitudes de chacun, afin d’envisager la meilleure manière d’y répondre, dans les constructions de parcours ou la rémunération. Cette réflexion interviendra dans un contexte de grande mobilité du marché, qui touche l’ensemble des acteurs du secteur nucléaire. Le taux de chômage des cadres se trouve ainsi à un niveau frictionnel et il est impératif de maintenir, voire développer l’attractivité des métiers de la sûreté nucléaire. Cela passe bien évidemment par les rémunérations, mais aussi par les possibilités de parcours et la qualité de vie au travail. Cet aspect devra être travaillé, autour d’une marque employeur.
M. Vincent Thiébaut (HOR). Votre parcours professionnel à la croisée de l’administration, de la recherche et du secteur de l’énergie est de bon augure dans la perspective de votre nomination. Le groupe Horizon accueille cette proposition avec bienveillance.
La situation n’est pas sans soulever de questions d’ordre déontologique mais les éléments que vous nous avez apportés lors de cette audition et en réponse au questionnaire nous satisfont.
Vous allez devoir relever un défi de taille en réalisant la fusion. Nous avons pu évaluer l’ampleur de la tâche lors des auditions des actuels directeurs de l’ASN et de l’IRSN. Plusieurs années seront vraisemblablement nécessaires. Vous devrez notamment fédérer les équipes de la nouvelle structure autour d’un projet commun et de valeurs partagées. Le dialogue social constitue dans ce contexte un enjeu majeur, afin que chacun se sente à sa place, épanoui et trouve du sens à sa mission. Quelle vision managériale allez-vous adopter ? Comment pensez-vous réussir à réunir les hommes et les femmes de l’ASN et de l’IRSN pour mener à bien cette fusion et faire de l’ASNR la belle entité que nous appelons de nos vœux ?
M. Pierre-Marie Abadie. Une chose est sûre : je n’entends pas arriver avec un plan finalisé alors que je n’ai pas encore entendu le comité de direction, les managers, les directeurs et les organisations syndicales des deux entités.
Je sais néanmoins que plusieurs principes guideront mon action. Le 1er janvier 2025, nous serons tous nouveaux au sein de l’ASNR : chacun arrivera avec sa culture, son métier, ses forces, ses inquiétudes. Il s’agira d’accueillir les doutes et les craintes, de ne pas être dans le déni. Il faudra également s’attacher à considérer qu’au-delà des différences culturelles qui feront la richesse de l’ASNR, les équipes partagent des valeurs communes, qu’il conviendra d’explorer afin qu’elles deviennent le bien collectif de la nouvelle autorité, au service de sa mission ultime de sûreté et de radioprotection. Je pense par exemple à des notions centrales comme la rigueur, la compétence, l’indépendance ou la transparence.
Il me semble par ailleurs essentiel de partir des objectifs. Dans toutes les réformes que j’ai conduites, j’ai pris appui sur les finalités de l’action, avant même de présenter des modalités d’organisation.
Ma démarche sera nourrie par un dialogue avec les personnels. Le soutien de la chaîne managériale sera essentiel pour construire les évolutions, les stratégies et les porter auprès des agents. Cela s’effectuera évidemment dans le strict respect du dialogue social avec les organisations syndicales. J’ai une pratique de l’administration, mais aussi des établissements publics et je suis par exemple habitué à présider le comité social et économique (CSE) de l’Andra. Même si ce rôle est en général plutôt dévolu au directeur général, je souhaite m’impliquer fortement dans le dialogue avec les organisations syndicales et rencontrerai très rapidement les deux intersyndicales, si vous validez ma nomination.
J’insiste sur le fait que la démarche sera nécessairement progressive. La première année, je m’attacherai à faire fonctionner le système, avec une priorité donnée aux enjeux de ressources humaines, notamment à la gestion de la diversité des statuts, ainsi qu’à la construction d’une organisation cible. Pour autant, je souhaite que nous ne soyons pas totalement accaparés par les aspects purement gestionnaires, afin de pouvoir élaborer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et travailler à l’attractivité de l’ensemble de l’autorité. Il faudra ensuite, à un horizon d’environ deux ans, construire des stratégies et mener le travail programmatique au regard des principaux enjeux. Nous devrons ainsi absolument être au rendez-vous des grands jalons relatifs à l’allongement de la durée de vie des réacteurs, aux usines du cycle ou à l’interaction avec les SMR. Je n’oublie pas les enjeux de la radioprotection dans le monde médical : un travail de programmation devra également être mené.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Le groupe LIOT juge inopportune la réforme de la sûreté nucléaire voulue par le précédent gouvernement. Elle désorganise un système performant à un moment clé pour la filière, caractérisé par la relance d’un nouveau programme nucléaire, la prolongation de la durée de vie de certains réacteurs et le développement de nouvelles technologies, dont les SMR. Les instances qui veillent à la sécurité et à la sûreté nucléaires n’ont jamais été confrontées à une telle charge de travail. C’est la raison pour laquelle nous avions prôné une stabilité du système et un renforcement de ses moyens. Le Gouvernement en a décidé autrement et a choisi d’imposer une réforme contre l’avis des premiers concernés : les salariés. Cette faute est susceptible de ralentir la relance de l’atome.
La création de cette nouvelle autorité ayant été décidée, il nous faut lui donner les moyens de sa réussite. L’enjeu est important ; aussi notre groupe ne s’opposera-t-il pas à votre nomination. Votre parcours parle en votre faveur et votre connaissance des enjeux énergétiques et des risques associés au nucléaire font de vous la personne idoine. Nous accueillons en outre positivement la nomination d’une personnalité extérieure à l’ASN et à l’IRSN, afin de limiter tout risque de traitement de faveur à l’égard des salariés de l’une ou l’autre.
Quelques questions subsistent toutefois. L’intersyndicale de l’IRSN a par exemple alerté sur l’impossibilité que l’ASNR soit pleinement opérationnelle au 1er janvier prochain. Bien que vous vous montriez très optimiste, une fusion est toujours délicate et s’effectue dans des conditions angoissantes pour une grande partie du personnel. Nous vous invitons à ne pas négliger les problèmes d’intendance et de ressources humaines et serons particulièrement vigilants sur ce point durant les premiers mois de l’exercice.
La transparence est une condition sine qua non de l’acceptabilité du nucléaire. L’IRSN a joué un rôle important en appliquant cette notion à ses méthodes de travail. Nous espérons que la nouvelle organisation fera de même et œuvrera en toute transparence, afin de rassurer la population française.
La loi a prévu des dispositions que nous jugeons insuffisantes pour la séparation entre le processus d’expertise, de recherche et d’instruction et celui de la décision, qui est renvoyée au règlement intérieur. Quelle est votre position ? Êtes-vous par exemple favorable à ce qu’une personne puisse occuper un poste d’expert et de décideur sur deux dossiers différents ? Vous paraît-il souhaitable que des experts se trouvent sous l’autorité hiérarchique d’une personne chargée de la décision ?
M. Pierre-Marie Abadie. La question de la charge de travail et du fonctionnement est un point de vigilance. Lors de l’annonce de la réforme, nous étions plusieurs à nous inquiéter du risque de perturbation des organisations et du fonctionnement qu’elle risquait d’entraîner. Je salue le fait que les équipes restent pleinement mobilisées. Les instructions avancent, se déroulent dans de bonnes conditions, les expertises sont rendues, le travail se poursuit. Le fonctionnement en matière de sûreté n’est absolument pas dégradé.
Je ne suis pas d’un optimisme béat au regard des difficultés à résoudre d’ici le 1er janvier : je connais suffisamment les problèmes d’intendance pour ne surtout pas les sous-estimer. Il m’apparaît tout d’abord que les fonctions essentielles doivent absolument être opérationnelles : ce chantier doit être une priorité à la fois pour l’État, l’ASN et l’IRSN. La direction générale des finances publiques et le ministère de l’économie et des finances sont mobilisées pour que ces fonctions soient correctement assurées à la date prévue. Cela concerne tout d’abord les ressources humaines et passe par la nomination des préfigurateurs et le positionnement de chacun dans l’organigramme. S’y ajoutent les enjeux de comptabilité. J’insiste sur le fait que la possibilité d’un fonctionnement dégradé ne concerne pas les fonctions de sûreté. J’attire enfin votre attention sur le fait que les risques résiduels seront moins importants que les conséquences d’un report de la réforme sur les personnels et la conduite du changement. Les personnels s’inquiètent soit à propos de questions opérationnelles immédiates, soit sur leur avenir à horizon d’un an. Avancer sur ce second point suppose de passer rapidement à une autorité commune, avec une équipe de direction soudée, engagée dans une conduite intégrée du changement. Les sujets les plus immédiats doivent être réglés sans attendre et les salariés doivent être informés régulièrement et systématiquement.
M. Marc Chavent (UDR). Notre groupe ne s’opposera pas à votre nomination car vous nous paraissez sincère et compétent.
Je reste néanmoins sceptique quant au bien-fondé de la fusion : j’ignore si la nouvelle organisation permettra d’améliorer l’efficience du système, tout en réduisant les coûts.
Les petits réacteurs modulaires de nouvelle génération présentent des enjeux spécifiques en matière de sûreté et de sécurité. La prolifération potentielle de ces installations et la multiplication des acteurs suscitent des inquiétudes. Comment anticipez-vous cette perspective, dans un contexte général de manque de moyens, notamment humains ? Quelle sera votre politique en matière de contrôle des installations, mais surtout de collecte, de transport et de traitement des déchets spécifiques produits par les SMR ?
M. Pierre-Marie Abadie. S’il est assurément positif qu’un effort d’innovation et de recherche soit effectué dans le domaine du nucléaire, il ne faut pas ignorer les nombreuses interrogations que cela soulève. Les réacteurs innovants, beaucoup moins matures que les installations classiques à eau pressurisée, posent en effet des défis techniques, mais aussi des questions de recherche susceptibles de concerner les porteurs de projet, le CEA, et potentiellement l’IRSN et demain l’ASNR, sur un certain nombre de thèmes en lien avec la sécurité des réacteurs.
Certaines technologies intrinsèquement plus sûres peuvent aussi soulever des questions complexes relatives à la régulation et aux objectifs de sûreté. En effet, ces réacteurs ont vocation à être positionnés dans des usines, des industries, proches des habitations et des zones urbanisées, et pourraient être largement téléopérés. Le premier enjeu sera donc de travailler sur les objectifs de sûreté à leur attribuer. Les autorités de sûreté y réfléchissent dans un groupe de travail commun européen.
La question de la prolifération de ces installations est également centrale. Sans doute faudra-t-il effectuer un tri à un moment donné.
Comment par ailleurs obtenir les combustibles parfois complexes nécessaires au fonctionnement de ces réacteurs ? Que faire des déchets produits ? Même si une prise de conscience de ces enjeux est en cours, il est évident que certains porteurs de projet sous-estiment les questions liées au cycle et aux usines du combustible, en amont et en aval.
Ces réacteurs soulèvent enfin des questions de régulation. Pour l’instant, les porteurs de projet sont des start-up, avec lesquelles l’autorité de sûreté, l’IRSN, l’Andra ou le CEA développent des interactions adaptées à leur mode de fonctionnement, en amont de tout dossier d’autorisation, de façon à pouvoir formuler en ligne courte des points d’alerte et des retours. Cela ne vaut pas instruction. Par la suite, ces projets donneront lieu à des dépôts de dossiers par des exploitants et seront instruits par l’autorité de sûreté. Cela suppose, de la part des exploitants, l’existence de compétences techniques et financières et posera, au niveau de la régulation, la question de savoir qui pourra conduire ces projets le moment venu. Les start-up n’en seront clairement pas capables. C’est habituel en matière d’innovation, mais il faut rester vigilant.
Il faudra enfin imaginer des interactions avec la société, sous forme d’actions de communication ou de débats, afin que les enjeux posés par ces réacteurs soient clairement définis et partagés.
J’espère qu’un tri s’effectuera dans le foisonnement originel des initiatives et que le nombre de projets sera finalement réduit, ce qui permettra de sérier les moyens consacrés à l’instruction des dossiers.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Bérenger Cernon (LFI-NFP). Je souhaite exprimer mon inquiétude concernant l’inspection du travail dans le secteur nucléaire. Contrairement aux procédures en vigueur dans d’autres domaines, qui prévoient que les inspections soient réalisées par des fonctionnaires employés par le ministère du travail, cette tâche incombe à l’ASN et incombera bientôt à l’ASNR. Je trouve étrange que l’inspection des conditions de travail soit réalisée en interne ou presque. Seriez-vous favorable à ce que l’inspection du travail soit effectuée par les inspecteurs du ministère du travail ?
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). En tant que députée de la 7e circonscription de Seine-et-Marne, je me dois de faire preuve d’une vigilance toute particulière sur les enjeux de sûreté nucléaire. Ma circonscription abrite en effet le fort de Vaujours, que la société Placoplâtre entend reconvertir en carrière. Or ce site a accueilli des essais nucléaires, à l’origine d’une importante contamination des sols qui n’est toujours pas dissipée. En 2017, lors de travaux de terrassement, des employés de la société Placoplâtre ont découvert des objets contaminés à l’uranium dans une zone pourtant déclarée sûre. Le 24 mai 2018, quatre nouveaux points de contamination ont été découverts. Placoplâtre assure prendre toutes les précautions pour dépolluer les sols et éviter d’extraire du gypse radioactif. Dans un rapport du 9 novembre 2023, l’ASN estimait toutefois que les contrôles pouvaient être améliorés. Si vous êtes nommé président de l’ASN, quelle garantie pouvez-vous nous apporter dans ce dossier, pour la santé des travailleurs et des habitants ?
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Si vous êtes nommé président entendez-vous diriger l’ASNR comme elle a été pensée par ceux qui en ont mûri le projet, c’est-à-dire faire en sorte qu’elle renonce à ses exigences d’augmentation de sûreté des installations nucléaires à l’occasion des visites décennales, renforce sa proximité avec les exploitants qu’elle contrôle et avec le pouvoir exécutif, et organise l’opacité plutôt que le dialogue avec le public ? Si tel est le cas, nous ne pourrons soutenir votre candidature.
Nous redoutons en outre que la dissolution de l’IRSN dans l’ASN ne conduise à la disparition de sa contribution à l’enquête internationale Inworks sur les effets des faibles doses de radioactivité sur la santé des travailleurs sous statut. Pouvez-vous nous rassurer, voire nous promettre que cette étude sera élargie aux travailleurs sous-traitants du nucléaire ?
M. David Magnier (RN). La France fait face à des choix cruciaux pour maintenir son parc nucléaire opérationnel. Selon la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétiques de la France, 70 % de notre électricité provient de réacteurs vieillissants, ce qui pose des questions sur la prolongation de leur durée de vie au-delà de quarante ou soixante ans. Le vieillissement des infrastructures suscite des préoccupations de sûreté et engendre des coûts considérables pour l’État et les consommateurs. Face aux incidents récents comme celui de la corrosion sous contrainte, qui ont montré la vulnérabilité du parc nucléaire face aux défauts génériques, entendez-vous prendre des mesures spécifiques pour renforcer la surveillance des réacteurs et éviter que des anomalies techniques n’affectent la production d’électricité, compromise par des interruptions prolongées ?
M. Sébastien Humbert (RN). Alors que le nucléaire fait partie des énergies décarbonées indispensables à l’indépendance énergétique de la France, la question du retraitement des déchets fait parfois l’objet d’une instrumentalisation politique de la part des opposants à cette énergie. L’autorité de sûreté nucléaire précise que certaines substances radioactives mises en jeu dans le cycle du combustible nucléaire, considérées comme valorisables, ne le sont qu’en partie. La France s’est pourtant engagée dans la voie du retraitement de ses déchets nucléaires et la société Orano indique le maîtriser jusqu’à 96 %. Peut-on envisager à moyen terme de ne plus recourir à l’encapsulage ou à la vitrification ? Comment améliorer la rentabilité du retraitement, qui constitue assurément un enjeu stratégique ?
M. Julien Guibert (RN). Les finances publiques étant exsangues, il semble nécessaire de réfléchir à des pistes d’optimisation budgétaire au sein de nos institutions. Votre expérience vous permet-elle d’envisager des axes de synergie entre l’Andra et l’ASN, notamment par la mutualisation de services ou la fusion de fonctions similaires ?
Pensez-vous que la future ANSR doive être la seule entité à détenir un pouvoir de fermeture d’installations nucléaires civiles pour toute raison autre que politique ?
M. Vincent Descoeur (DR). La question de l’attractivité des métiers de l’ASN et de l’IRSN me semble majeure dans un contexte marqué par des démissions et par un engagement du Gouvernement en faveur de la revalorisation des salaires, afin de faire face au risque d’évasion de compétences vers un secteur privé jugé plus rémunérateur. Vous avez évoqué un plan d’action ambitieux dans ce domaine et abordé l’équation budgétaire. Pouvez-vous préciser les grands axes de ce plan ? Avez-vous obtenu des garanties budgétaires vous permettant d’espérer mener à bien cette indispensable évolution de la politique de ressources humaines de l’autorité de sûreté nucléaire ?
M. Peio Dufau (SOC). Si votre nomination est confirmée, il vous appartiendra de nommer le directeur général de l’autorité de sûreté. Comment choisirez-vous cette personne, qui jouera un rôle central et devra chercher l’adhésion de l’ensemble du personnel ?
La nouvelle autorité réunira par ailleurs des salariés de droit privé, des contractuels de droit public et des fonctionnaires. Quelles difficultés soulève la cohabitation de ces statuts et comment comptez-vous faire émerger une culture d’entreprise propre ?
L’intersyndicale de l’IRSN indique qu’à quarante-sept jours travaillés de la création de l’ASNR, ni la structure budgétaire et comptable ni les processus de versement des rémunérations aux salariés de droit privé, de paiement des fournisseurs et de transfert des droits, biens et obligations entre l’IRSN, l’État et le CEA ne sont consolidés. La question du report de l’entrée en vigueur de la réforme se pose donc. Qu’en pensez-vous ?
Mme Danielle Brulebois (EPR). Dans les longs débats relatifs à la fusion, l’Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND) et le CEA ont été peu souvent évoqués. Le ministère des armées est pourtant le deuxième exploitant nucléaire français et la dissuasion nucléaire constitue la clé de voûte de notre stratégie de défense. Le fait que vous ayez occupé pendant cinq ans les fonctions de conseiller pour les affaires industrielles au sein du ministère de la défense est de nature à nous rassurer, puisque vous allez pouvoir établir des collaborations avec le DEND. Cela nous semble particulièrement utile dans un contexte d’avancées technologiques rapides au profit de la garantie de la sûreté et de la fiabilité des armes nucléaires en France. Se pose aussi la question du traitement des déchets nucléaires des armes nucléaires. Nous vous serions reconnaissants de nous préciser comment vous envisagez la collaboration avec le CEA et l’ASND.
M. Pierre-Marie Abadie. À ma connaissance, le fonctionnement de l’inspection du travail assurée par des inspecteurs assermentés de l’ASN apporte toute satisfaction. Aucune difficulté particulière n’a été signalée. Ce n’est donc pas un sujet prioritaire d’évolution. Il est important de disposer d’inspecteurs du travail formés et habitués aux spécificités du monde nucléaire et à sa technicité.
En ce qui concerne le site du fort de Vaujours, je ne saurais vous apporter de meilleure réponse que celle que vous a déjà donnée le président Doroszczuk. Je peux en revanche vous indiquer que la question des sites contaminés fait partie des sujets surveillés par l’ASN et demain par l’ASNR. Ces enjeux ne doivent pas être méconnus. L’Andra intervient sur les sites orphelins au titre de ses missions de service public. Il est absolument nécessaire de traiter les sites et les sols pollués. Cela fera partie des questions que l’ASNR continuera à suivre de près grâce à son expertise.
Vous m’avez interrogé sur les relations entre l’autorité de sûreté et les exploitants. Chacun doit rester dans son rôle. L’autorité contrôle, en toute indépendance, et l’exploitant exploite. Il est par ailleurs important que la culture de sûreté soit assurée par l’exploitant, qui en est le premier responsable, mais aussi par ses sous-traitants. L’un des enjeux, a fortiori dans le contexte de réinvestissement en matière de grand carénage des installations existantes ou de nouveau nucléaire, est que la qualité de conduite de projet se décline dans l’ensemble de la chaîne. L’idée selon laquelle la sûreté coûterait cher et viendrait nuire à la performance est largement répandue, à tort. Les deux aspects ne sont pas antinomiques. La performance inclut la sûreté. Bien gérer la sûreté contribue à la performance et est au cœur de la démarche de qualité. Ce n’est pas la sûreté qui crée la complexité. Il est important que l’autorité de sûreté continue à être présente sur les questions de performance, de qualité et de conduite de projet, comme elle l’a fait avec l’IRSN. Nous avons connu ces dernières années des cas de fraude, de malfaçons sur la chaîne de production et de sous-traitance : cela traduit souvent un défaut de culture de sûreté. L’autorité de sûreté a clairement investi ces sujets, en matière d’inspection, de contrôle et de mobilisation de la filière. Ce travail devra se poursuivre, en lien avec les organisations professionnelles et dans le cadre des inspections menées sur le terrain par l’autorité de sûreté et l’actuel IRSN. Il est essentiel de diffuser la culture de sûreté tout au long de la chaîne de sous-traitance.
Je ne saurai répondre précisément à la question relative aux effets des faibles doses de radioactivité, si ce n’est pour dire que ce sujet nécessite de faire preuve de vigilance. Il faudra continuer à développer de l’expertise et de la recherche dans ce domaine. La question de l’effet de seuil est régulièrement soulevée. L’expertise et les contrôleurs de l’ASN ont une approche prudente de ce sujet et penchent pour une absence de seuil et une progression linéaire des effets des faibles doses, analyse qui semble confirmée par les dernières études parues.
La réutilisation des combustibles usés par le retraitement et un jour des mox usés par des réacteurs à neutrons rapides ne fera pas disparaître totalement les déchets. Il est important pour l’autorité de sûreté que le caractère valorisable des déchets soit crédible. Ainsi, dans les orientations fixées dans le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, un effort particulier est demandé par l’État et l’ASN aux producteurs de déchets, qui doivent documenter et étayer la crédibilité de la valorisation des matières. En effet, une matière sans aucune perspective de réutilisation doit être requalifiée en déchet.
Il n’existera aucune synergie entre l’Andra et l’ASNR, pour toutes les raisons précédemment évoquées. Chacun doit rester dans son rôle. En revanche, se dessinent pour l’autorité comme pour toute institution des enjeux de performance collective et d’efficience. L’un des premiers leviers est d’être sur les bons sujets au bon moment, sans pour autant négliger les signaux faibles. Il convient en outre de développer des actions proportionnées, en utilisant les bons outils et des méthodes adaptées. La hiérarchisation des enjeux ne doit évidemment pas conduire à se désintéresser de certains sujets. Il faut par exemple continuer à être vigilant sur le nucléaire de proximité, qui est à la source de la majorité des incidents de personne dans le pays.
Je n’ai pas de plan arrêté pour améliorer l’attractivité. Mon expérience me permet toutefois d’avoir une idée assez précise des leviers à actionner. Cela englobe bien évidemment les rémunérations, mais aussi les perspectives de carrière, l’attractivité des métiers et la qualité de vie au travail. Le télétravail ou des crèches sont des atouts importants sur un marché très concurrentiel. Les équipes travaillent déjà sur la marque employeur. Il sera intéressant de développer cela à l’échelle de l’ASNR et de projeter l’image de cette nouvelle structure sur le marché de l’emploi.
Je suis convaincu de la nécessité de tenir le calendrier prévu et de respecter l’échéance du 1er janvier 2025.
J’ai indiqué dans ma réponse écrite que l’important, au-delà de la désignation du directeur général, était la nomination du comité exécutif (Comex). En effet, les directeurs généraux qui composent cette instance sont véritablement ceux qui, au plus près du directeur général et du collège, conduiront le changement, géreront le management et assureront la performance de l’autorité de sûreté. Ce Comex devra être équilibré et refléter les différents parcours, cultures et métiers de l’ASNR. Il lui faudra être soudé et travailler en interaction et en loyauté avec le collège. Le directeur général lui-même devra être compétent en matière de nucléaire, de radioprotection et de sûreté et capable d’effectuer le lien entre stratégie et volet opérationnel. Il lui faudra également faire preuve de qualités humaines, de diplomatie et de capacité de dialogue, pour animer les équipes, bâtir des compromis et conduire la transformation.
Chacun viendra à l’ASNR avec sa culture, son histoire, ses métiers. Pour autant, il existe, me semble-t-il, entre l’ASN et l’IRSN des valeurs communes, sur lesquelles il faudra travailler afin de créer un véritable collectif, une cohésion d’équipe. Je pense à des éléments assez évidents comme la compétence, la rigueur, la posture interrogative, la culture de la sûreté ou encore le sens de l’intérêt général.
Vous m’avez enfin interrogé sur les liens avec la défense et notamment sur les relations entre l’autorité de sûreté nucléaire et l’ASND. Les transferts de personnels concernent les spécialistes de la dosimétrie, qui vont aller au CEA et y rester, ainsi que les personnels de la DEND, qui vont quant à eux être transférés au CEA afin d’être mis à disposition de l’ASND. L’autorité de sûreté nucléaire de défense présente des spécificités liées à la confidentialité et au maintien de la force de dissuasion et de la permanence opérationnelle : cela explique que cette autorité ait été créée à part et placée sous l’autorité du ministre. Il existe toutefois, en matière de sûreté, des communautés de sujets qui invitent l’ASND et l’ASNR à travailler en lien étroit. Cela concerne par exemple les objectifs de sûreté sur des installations équivalentes, les petits réacteurs qui s’apparentent à ceux de la propulsion navale ou encore l’assainissement et le démantèlement des installations. Ce dernier aspect représente un travail de longue haleine mené depuis longtemps par les deux instances. Cela s’est produit notamment lorsqu’il a été demandé au CEA de revoir la priorisation des opérations de démantèlement en les hiérarchisant au regard de la sûreté et en traitant en premier lieu, sous contrainte budgétaire, les points sources les plus importants. Les relations étroites tissées avec l’ASND devront évidemment être maintenues.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Merci pour la qualité de vos réponses. Vous avez su, je crois, nous rassurer quant à votre impartialité et votre neutralité dans les fonctions que vous serez amené à exercer si votre nomination est confirmée.
Nous partageons votre volonté de tout mettre en œuvre pour garantir la continuité de la sûreté nucléaire et de la radioprotection au plus haut niveau de l’État.
Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 16 octobre 2024 à 9 h 30
Présents. - M. Christophe Barthès, M. Fabrice Barusseau, Mme Lisa Belluco, M. Sylvain Berrios, M. Nicolas Bonnet, M. Jean-Yves Bony, M. Jean-Michel Brard, M. Anthony Brosse, Mme Danielle Brulebois, M. Lionel Causse, M. Pierre Cazeneuve, M. François-Xavier Ceccoli, M. Bérenger Cernon, M. Marc Chavent, M. Mickaël Cosson, M. Stéphane Delautrette, Mme Julie Delpech, M. Vincent Descoeur, M. Peio Dufau, M. Aurélien Dutremble, M. Romain Eskenazi, M. Auguste Evrard, M. Philippe Fait, M. Denis Fégné, Mme Sylvie Ferrer, M. Marc Fesneau, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Clémence Guetté, M. Julien Guibert, M. Sébastien Humbert, Mme Sandrine Josso, Mme Chantal Jourdan, Mme Julie Laernoes, Mme Sandrine Le Feur, Mme Julie Lechanteux, Mme Claire Lejeune, M. Stéphane Lenormand, M. Gérard Leseul, M. David Magnier, M. Matthieu Marchio, M. Pascal Markowsky, Mme Julie Ozenne, M. Jimmy Pahun, Mme Sophie Panonacle, Mme Constance de Pélichy, Mme Christelle Petex, M. Loïc Prud'homme, M. Xavier Roseren, M. Fabrice Roussel, Mme Anaïs Sabatini, M. Bertrand Sorre, Mme Ersilia Soudais, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean-Pierre Taite, M. David Taupiac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, M. Antoine Vermorel-Marques, Mme Anne-Cécile Violland, M. Frédéric-Pierre Vos
Excusés. - M. Gabriel Amard, M. Jean-Victor Castor, M. Pierre Meurin, M. Marcellin Nadeau, M. Raphaël Schellenberger
Assistaient également à la réunion. - M. Nicolas Dragon, M. Maxime Laisney, M. Jean-Luc Warsmann