Compte rendu

Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire

 Audition de M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation 2

 


Mercredi 5 mars 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 32

Session ordinaire de 2024-2025

Présidence de

Mme Sandrine Le Feur,

Présidente

 


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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire – deux volets auxquels nous attachons une importance égale.

Vos attributions sont considérables. Au titre de la politique d’aménagement du territoire et de décentralisation, vous êtes responsable du dialogue avec les collectivités territoriales, de la cohésion économique et sociale des territoires, de la promotion de leur attractivité et de leur développement économique. Vous pilotez les politiques de la ruralité et de la ville, celles du logement et du renouvellement urbain, de la construction, de l’urbanisme et de l’aménagement foncier, celles des transports, de leurs infrastructures et de l’équipement. Enfin, vous participez avec les ministres concernés à l’élaboration de la législation fiscale dans ces domaines. Cette première audition est donc l’occasion d’échanger sur vos priorités.

Quelle place accordez-vous à la résilience des territoires face au changement climatique ? La difficulté aiguë que rencontrent certaines communes à simplement s’assurer est un signal que nous devons prendre au sérieux. L’adaptation au changement climatique doit traverser toutes nos politiques.

D’autre part, face à la réduction de la biodiversité, l’objectif zéro artificialisation nette des sols (ZAN) est crucial pour favoriser un développement équilibré. Sa territorialisation n’en est pas moins compliquée. Il faut donner aux élus locaux des moyens d’action renforcés pour permettre son application, sans revenir sur les objectifs de la loi « climat et résilience ». Quelle est votre position sur la proposition de loi sénatoriale visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace) ? Les auditions de la mission d’information présidée par Marcellin Nadeau, dont Constance de Pélichy et moi sommes corapporteures, font état d’un besoin de stabilité normative et d’accompagnement des élus plutôt que d’un énième revirement.

D’ici au projet de loi de finances (PLF) pour 2026, êtes-vous ouvert à une réflexion sur l’amélioration des dispositifs fiscaux afin de donner aux collectivités territoriales les moyens d’agir ? À ce sujet, où en est le rapport que le gouvernement devait remettre au Parlement en janvier 2024 en vertu de la loi du 20 juillet 2023 ?

Enfin, l’ancien Premier ministre Michel Barnier a saisi trois inspections générales pour étudier la rationalisation des dépenses d’ingénierie territoriale et l’opportunité de fusionner trois opérateurs publics : l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Quels bénéfices précis pourraient, selon vous, justifier une telle fusion ?

M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Merci, mesdames et messieurs les députés, pour cette invitation à m’exprimer devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Mon ministère et celui de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, piloté par Agnès Pannier-Runacher, sont liés par des projets et par l’ambition de placer le développement durable des territoires au cœur de leurs actions.

Les compétences de mon ministère ont été élargies afin de favoriser une approche globale de l’aménagement du territoire. Elles intègrent désormais les transports et le logement, qui s’ajoutent aux politiques de la ville et de la ruralité. En effet, les mobilités et le logement, qui conditionnent en premier lieu l’accès à l’emploi, aux services, aux transports et aux commerces de proximité, sont les composantes essentielles d’un aménagement durable et équilibré. Cet ensemble de compétences est donc cohérent.

Il nous faut renouveler notre modèle d’aménagement du territoire face aux défis actuels. Notre approche doit tenir compte des nouvelles formes d’intervention de l’État et de la montée en puissance des collectivités depuis la décentralisation, comme des enjeux environnementaux, qui, mêlés aux questions démographiques, sociales et environnementales, nous obligent à anticiper sur le long terme. Pour planifier cette transition, il faut conforter et préciser les compétences des collectivités tout en affirmant une vision nationale. Nous avons besoin d’un État stratège capable de fixer avec l’ensemble des acteurs un cap ambitieux, résolument tourné vers le développement durable et engagé de manière cohérente sur vingt-cinq ans – ce que j’ai dit hier au Sénat.

Les collectivités territoriales doivent être au cœur des stratégies d’aménagement pour lesquelles elles disposent déjà d’outils essentiels : les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ; les plans Action cœur de ville, les programmes Petites Villes de demain ou Villages d’avenir et les possibilités de contractualisation avec l’État. Ces actions prolongent, je ne l’oublie pas, d’anciennes politiques d’aménagement construites autour des villes d’appui et des bourgs centres. Ces dispositifs, qui abordent simultanément le développement économique, la transition écologique, la cohésion sociale et l’urbanisme, intègrent par nature le développement durable et permettent la concrétisation de projets structurants pour l’aménagement du territoire : la rénovation des logements – qui doit être renforcée, en particulier celle des copropriétés, publiques comme privées –, le soutien à l’économie circulaire et aux services de proximité, sans oublier le développement du numérique, pressé par l’arrivée de l’intelligence artificielle.

Pour clarifier le rôle accru des collectivités territoriales, l’État doit parler d’une seule voix. C’est pourquoi nous souhaitons analyser et clarifier les missions de nos opérateurs. J’entends aussi renforcer les prérogatives des préfets, garants de l’action publique locale, afin qu’ils puissent utiliser leur droit de dérogation, légitime au regard de la diversité du territoire, et adapter les normes nationales aux réalités du terrain tout en accompagnant les élus.

Les transports, qui conditionnent la possibilité de vivre et de travailler dans des zones périurbaines, rurales ou enclavées, restent une question centrale pour nombre de nos concitoyens. Notre politique en la matière doit veiller à la fois à la décarbonation et au désenclavement. Il nous faut pour cela vaincre des résistances, en particulier celles du Medef, alors même que le transport ferroviaire, les lignes d’aménagement du territoire et les autres mobilités innovantes offrent de solides moyens d’action aux salariés comme aux entreprises, si elles sont articulées à une planification écologique et aux besoins spécifiques de chaque bassin de vie. Enfin, répartir les infrastructures de transports implique de penser les mobilités en fonction des dynamiques démographiques futures, afin de proposer une offre de transports respectueuse du climat et qui garantisse une équité de desserte entre les territoires.

Depuis hier, on ne cesse de m’interroger, à l’Assemblée comme au Sénat, sur l’objectif zéro artificialisation nette des sols, avec quelques autres questions sur la politique de l’eau et de l’assainissement. Pendant que les questions se répètent à l’envi, le monde bouge. J’en appelle à une compréhension plus globale, inscrite dans une réflexion internationale.

Le ZAN est un pilier de la stratégie élaborée pour lutter contre l’artificialisation des terres, préserver les ressources agricoles et renforcer la résilience des territoires. Nous y sommes attachés puisqu’il représente un engagement national majeur tout autant qu’une ambition européenne. Cela dit, je regrette que son application soit aussi descendante : le ZAN est défini au niveau européen, complexifié au niveau national – ce à quoi excelle notre administration – puis au niveau régional, ce qui oblige les communes à appliquer des décisions que, bien souvent, elles ne font que découvrir. C’est à cette application que nous devons réfléchir, sans perdre de vue le cap de la résilience des territoires. Nous sommes en effet conscients du rôle essentiel des élus locaux dans la planification écologique et, la France de Fernand Braudel montrant sa diversité tous les jours, nous veillons à ce que les contraintes d’application du ZAN soient mieux adaptées aux réalités du terrain. Le maintien d’un haut niveau d’exigence environnementale est parfaitement compatible avec la défense d’intérêts locaux.

Le logement est aussi un enjeu majeur de l’équilibre territorial et de la transition énergétique. Il faut encourager sa construction dans les zones déjà urbanisées et favoriser une densification raisonnée, que j’aime à appeler « heureuse ». Cette idée fait sourire, c’est d’ailleurs l’objectif, mais je suis la preuve vivante qu’elle fonctionne et permet d’être réélu : maire de Dijon, j’ai œuvré à la densification de la ville tout en protégeant les espaces agricoles. Pour le dire simplement, nous devons densifier en élevant la hauteur des constructions plutôt qu’en favorisant leur étalement. En outre, des mesures financières accompagnent les collectivités qui investissent dans la construction ou la rénovation de logements pour améliorer leur performance énergétique. La logique est bien celle de la transition écologique et de l’aménagement durable : construction et réhabilitation favorisent à la fois la réduction de l’empreinte carbone – que tous les élus locaux ont en tête – et la lutte contre la précarité et l’isolement.

Nous devons intégrer le changement climatique de manière transversale aux politiques d’aménagement du territoire pour pouvoir nous y adapter. Nous disposons aujourd’hui des retours d’expérience de collectivités audacieuses. La métropole de Dijon a par exemple mené de front transition écologique et innovation technologique en associant une gestion optimisée de l’eau, de l’énergie et des mobilités à des politiques innovantes face aux aléas climatiques. Comme de nombreuses autres initiatives locales, elle montre qu’il est possible de concilier vitalité économique et préservation de l’environnement – qui fonctionnent d’ailleurs parfaitement ensemble. Mon ministère soutiendra ces démarches à la fois exemplaires et cohérentes avec notre vision globale.

Notre politique d’aménagement du territoire doit s’inscrire dans le temps long d’une génération pour relever les défis posés par la transition écologique, l’évolution des modes de vie et le besoin d’équilibre entre les métropoles et les espaces moins denses – cela, afin que les générations futures n’aient pas à porter le poids de notre inaction. De tels objectifs seront impossibles à atteindre sans les collectivités territoriales, fers de lance de l’action politique de proximité, et sans un État stratège qui fixe des règles et des priorités tout en donnant aux territoires la latitude de les adapter.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Matthieu Marchio (RN). L’application rigide de la politique technocratique du ZAN entrave l’aménagement du territoire en imposant aux communes des territoires ruraux et périurbains des restrictions drastiques qui les condamnent à une décroissance forcée, tandis que les grandes métropoles continuent leur expansion au mépris des réalités locales. Les élus locaux, garants du développement harmonieux des territoires, sont pris au piège de la rigidité des quotas d’artificialisation des sols qui les empêchent d’aménager des logements et des équipements publics comme d’accueillir des entreprises. Le résultat ? Une asphyxie économique, une hausse des prix du foncier et l’exode contraint d’un grand nombre de nos compatriotes.

Dans le Nord, plusieurs communes sont frappées de plein fouet par cette politique. Dans ma circonscription, l’exemple récent de l’inondation des terres agricoles d’Auberchicourt met en lumière les défis auxquelles ces communes sont confrontées, l’application aveugle du ZAN bloquant à la fois leur développement et l’aménagement d’infrastructures de drainage adaptées. Les habitants, subissent, eux, une double peine en voyant leurs terrains devenir impraticables et toute perspective d’aménagement leur être refusée.

Le Rassemblement national s’oppose à cette conception de l’aménagement du territoire et exige une approche différenciée, selon les spécificités des territoires. Les communes rurales doivent pouvoir se développer sans les contraintes dictées depuis Paris par une administration hors-sol. Il est donc urgent de revoir le cadre du ZAN pour donner aux maires la possibilité de répondre aux besoins de leurs administrés sans être corsetés par des règlements inadaptés. La transition écologique ne doit pas être un prétexte pour entraver tout développement économique et social. Nous plaidons pour une concertation réelle avec les élus locaux et l’instauration d’un droit au développement équilibré des territoires et nous demandons que les collectivités soient pleinement associées aux décisions d’aménagement afin de concevoir des projets adaptés. Loin de la bureaucratie centralisée, les élus locaux doivent avoir les moyens de revitaliser leurs territoires en facilitant l’installation d’entreprises et de services publics de proximité. Quand le gouvernement prendra-t-il en compte les réalités des territoires et mettra-t-il fin à cette logique punitive qui freine leur aménagement et les condamne à l’immobilisme ?

M. François Rebsamen. Comme je l’ai dit, nous travaillons dans le cadre de décisions européennes qui s’imposent à nous et que la France a adaptées dans la loi « climat et résilience », issue de la réflexion d’un collectif de citoyens. Depuis son adoption, les gouvernements ont agi en concertation avec les collectivités territoriales mais, malgré leur volonté de se rapprocher du terrain, ils se sont arrêtés au niveau régional. Les régions adoptent ainsi des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), qui suscitent globalement la satisfaction des élus locaux – on le constate lorsqu’on évoque leur suppression – et parfois leur mécontentement : voilà la réalité de la vie dans les territoires.

L’objectif de sobriété foncière est toutefois essentiel et il est compris par tous les maires au niveau local. Il faut tenir les objectifs fixés à l’horizon 2050 tout en assouplissant suffisamment le cadre pour que les communes puissent faire face à des situations comme celle que vous évoquez sans pénaliser les habitants. Je rappelle que les organisations agricoles sont le plus souvent heureuses – pas toujours, il est vrai –qu’une sobriété foncière accrue limite la consommation de leurs terres. Il faut donc avancer ensemble dans un souci de cohérence. Nous espérons que la loi que nous présenterons répondra à vos attentes.

Mme Olga Givernet (EPR). Monsieur le ministre, merci pour l’exposé de vos orientations en matière d’aménagement et de cohésion des territoires. Ces orientations confirment la volonté de renforcer la capacité des territoires à s’autodéterminer avec le soutien de l’État. Différents outils, comme les CRTE et le plan France 2030, contribuent à favoriser la transition énergétique et le développement de services de proximité et connaissent de belles réussites, comme les maisons France Services, qu’il convient de pérenniser. Le contexte budgétaire contraint ne doit pas nous conduire à détricoter ces politiques publiques apportées dans les territoires.

Notre commission a lancé une mission d’information sur le rôle du transport ferroviaire dans le désenclavement des territoires. Nous avons également la volonté de consolider l’implantation industrielle. Cependant, les contraintes administratives freinent ces projets. Selon vous, est-il possible de concilier simplification et décentralisation avec l’accompagnement de ces projets et la pérennisation de nos politiques publiques ? Les opérateurs comme l’Ademe, le Cerema et l’ANCT, qui apportent un soutien financier et d’ingénierie aux acteurs locaux, resteront-ils aussi performants en cas de fusion ? Quelle organisation administrative serait à même de garantir la continuité de nos politiques publiques ?

M. François Rebsamen. Une démarche interministérielle, lancée par le Premier ministre, pilotée par la direction du budget et conduite par différents organismes, vise à définir et évaluer les missions menées par les administrations centrales et déconcentrées et par les opérateurs de l’État afin, je le reconnais, d’optimiser les coûts et les moyens. Le ministère de l’aménagement du territoire et celui de la transition écologique ont ainsi demandé aux cinq inspecteurs de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) une revue de leurs projets, qui nous sera livrée d’ici à la fin du mois de mars. Des propositions précises seront présentées au mois de juin.

Nous nous interrogeons effectivement sur le rôle et la place de ces opérateurs historiques. Sachez que le Cerema compte 2 500 agents, l’Ademe, 1 250, et l’ANCT près de 380. Ceux-ci doivent définir leurs propres missions ; or la quasi-totalité des élus ne connaissent pas précisément celles du Cerema. En outre, les opérateurs n’ont pas vocation à remplacer les services des ministères concernés, dont ils ne sont que les agents. Nous les avions créés sur le modèle de l’Europe du Nord : des ministères aux effectifs faibles et des agences dynamiques et puissantes. Or en France, nous avons gardé nos ministères parfois pléthoriques et ajouté des opérateurs qui déterminent des politiques sans qu’elles ne soient ni conçues ni avalisées par le gouvernement. Ainsi, l’ANCT révèle chaque année des programmes très intéressants, comme Action cœur de Ville ou Villages d’avenir, qui correspondent à des politiques autrefois menées par les départements, les régions ou l’État pour le développement des centres-bourgs ou des communes d’appui – celles qui ont des charges de centralité au sein des communautés de communes et qu’il faut accompagner pour éviter la désertification.

Une fois achevée la revue des missions des opérateurs, notre méthode consistera à les évaluer, à penser une nouvelle organisation de l’aménagement du territoire et à définir les moyens dont nous avons besoin.

Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Monsieur le ministre, vous répondiez hier aux questions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique. Vous avez démontré que vous étiez un honorable praticien, guérissant les malades de toutes les maladies, exceptées celles dont il meurt.

Vous avez laissé entendre à plusieurs reprises votre soutien aux collectivités locales, réaffirmant l’importance cruciale d’un partenariat État-collectivités et la nécessité de préserver leur capacité d’action. En réalité, vous vous contentez de passer le ripolin sur le corset financier qui les asphyxie. Dans le dernier budget – non voté puisqu’adopté par 49.3 – le fonds Vert a vu ses autorisations d’engagement passer de 2,5 milliards à 1 milliard d’euros, soit une baisse de 60 %. Pourtant, d’après l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), les besoins des collectivités pour atteindre les objectifs de décarbonation sont évalués à 12 milliards d’euros supplémentaires par an sur la période 2021-2030, un doublement par rapport à leur niveau de 2021. Or sans outils économiques et budgétaires adaptés, nous ne parviendrons ni à atteindre nos objectifs climatiques ni à maîtriser notre budget, tant le coût de l’inaction est élevé. Comme le disait radicalement l’ancien ministre de la transition écologique Christophe Béchu, si nous n’investissons pas maintenant, le prix à payer demain sera dix fois plus élevé.

Vous reconnaissez que la planification écologique doit s’appuyer sur les collectivités et que c’est même la condition sine qua non d’une politique ambitieuse de lutte contre les bouleversements climatiques. Alors pourquoi, monsieur le ministre, ne redressez-vous pas la barre ?

M. François Rebsamen. Je suis sensible à vos propos. Je n’essaye pas de passer de la pommade sur une jambe de bois, puisque je connais parfaitement les difficultés financières auxquelles notre pays est confronté. Le contexte politique étant ce qu’il est, et face à la nécessité de rééquilibrer nos finances nationales, nous avons dû élaborer un budget vaille que vaille.

Les collectivités territoriales y prennent une part minime. Le gouvernement de Michel Barnier avait initialement envisagé un prélèvement de 5 milliards d’euros sur leurs recettes de fonctionnement. Cette ponction a été ramenée à 2 milliards d’euros.

Le dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) a été ramené de 3 milliards d’euros à 1 milliard. Au cours des trois prochaines années, à raison d’un versement par an, cette somme sera intégralement reversée aux collectivités locales, pour 90 % directement et pour 10 % par abondement du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic).

Même si elles ne représentent que 7 à 8 % de l’endettement du pays, les collectivités territoriales sont conscientes qu’elles doivent participer à l’effort collectif, ce que nous leur demandons à hauteur de 4 %. J’avais obtenu, avant la commission mixte paritaire (CMP), que la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui va directement aux communes, soit augmentée de 290 millions d’euros – 150 millions pour la dotation de solidarité rurale (DSR) et 140 millions pour la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). Or la CMP, dans sa grande sagesse, a divisé par deux l’augmentation de la DGF pour reverser 150 millions à la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL). J’aurais préféré que cette somme aille aux dépenses de fonctionnement des communes, car les dotations d’investissement sont souvent des variables d’ajustement pour équilibrer les finances.

Le fonds Vert, qui n’existait pas il y a encore quelques années, a financé 18 000 projets sur l’ensemble du territoire, tournés, pour partie, vers les territoires ruraux. Un tiers du fonds est dirigé vers des communes de moins de 10 000 habitants. Son effet de levier est massif, de l’ordre de 1 à 4 : un euro de fonds Vert conduit à 4 euros d’investissement d’autres partenaires. Cet instrument à la disposition des collectivités locales reste donc d’actualité. Les préfets dirigent ces fonds selon une liste de référence que nous leur adressons. Ils financent la transition écologique à travers, par exemple, des réseaux de chaleur ou des politiques en faveur du vélo. Il est vrai que le fonds Vert a été ramené à 1,15 milliard d'euros, mais ce niveau est déjà le fruit d’un long combat. La dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) a quant à elle été maintenue à 1,017 milliard d’euros et la DSIL à 380 millions.

Nous observons aussi une fluctuation de l’effectivité des engagements financiers en fonction des cycles électoraux. Comme nous sommes en fin de cycle, notamment municipal, les investissements importants des collectivités ont déjà été programmés et il n’y aura pas de lancements de nouveaux projets. Il est certain que plusieurs milliards auraient été plus confortables, mais il faut participer à l’effort de redressement. Avec des autorisations de crédits de paiement équivalentes aux autorisations d’engagement, nous pourrons faire face aux demandes des collectivités locales.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je précise qu’une grande partie des projets éligibles au fonds Vert sont aussi éligibles aux fonds européens, dont les crédits ne sont pas complètement consommés.

M. Fabrice Roussel (SOC). Monsieur le ministre, alors que les collectivités territoriales ont une bonne gestion de leur fonctionnement, vous avez annoncé une baisse du soutien de l’État de plus de 2 milliards d’euros pour 2025. Mais puisque le budget de nombreux dispositifs diminue et que les cotisations sociales augmentent, le Comité des finances locales (CFL) évalue plutôt la perte pour les collectivités à 7 milliards d’euros. Les bons élèves de la dépense publique compensent donc les erreurs d’un État qui, depuis 2017, n’a cessé de fragiliser leur autonomie en supprimant des impôts locaux comme la taxe d’habitation ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Vous souhaitez placer les collectivités au cœur de l’aménagement du territoire mais elles sont empêchées d’agir. Certains départements sont dans une situation financière difficile et, alors qu’ils jouent un rôle crucial en matière de politiques sociales, vous les exposez à des conséquences très graves en les contraignant à diminuer leurs investissements et à réduire leur soutien à la culture, au sport, aux associations, aux communes et aux intercommunalités.

Du côté de nos objectifs écologiques, je regrette comme ma collègue la diminution du fonds Vert, alors que les besoins pour la transition écologique sont évalués à 12 milliards d’euros. Comment permettrez-vous aux collectivités territoriales d’investir durablement dans la transition écologique ? Vous avez évoqué la décarbonation des mobilités et la rénovation des bâtiments publics, qui nécessitent un budget important. De même, comment favoriserez-vous l’arrêt de l’imperméabilisation des sols sans donner aux collectivités les moyens financiers de reconstruire la ville sur elle-même ? La création d’un fonds territorial climat (FTC) de quelques dizaines de millions d’euros, prélevés sur le fonds Vert, sera insuffisante.

Face à cette asphyxie budgétaire, leur redonnerez-vous un levier fiscal digne de financer les services publics ? Vous avez annoncé au Sénat des économies supplémentaires sur le budget de l’État pour réduire le déficit : pouvez-vous nous éclairer sur les coupes à venir pour votre ministère ?

M. François Rebsamen. J’ai cru entendre le réquisitoire d’André Laignel qui, effectivement, a évalué à 7 milliards d’euros le prélèvement sur les collectivités territoriales cette année. Malgré son expertise en matière de finances locales, il obtient ce résultat en additionnant les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement, et je n’y souscris pas.

Je souhaite apporter des éléments de correction. Sur les 2,2 milliards de prélèvements annoncés sur les recettes de fonctionnement des collectivités territoriales, le milliard venant du Dilico sera rendu. Contrairement, il est vrai, à ce qui avait été promis, 1,2 milliard viendra du gel des fractions de TVA allouées aux collectivités territoriales à leur niveau de 2024, auquel il faut ajouter la hausse de la cotisation des employeurs à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales (CNRACL). Celle-ci aura des conséquences budgétaires jusqu’en 2030, et vise à redresser les comptes relatifs aux agents hospitaliers et ceux des collectivités locales.

Tous les maires et les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’accordent sur la nécessité de maîtriser les comptes de la CNRACL, qui, lorsqu’elle était bénéficiaire, était allègrement ponctionnée pour compenser les régimes déficitaires. Mais, à force de ponctions et à force d’embauches de contractuels plutôt que d’agents territoriaux, le déséquilibre risque de s’accroître à l’horizon 2030. À l’instar des élus locaux, le ministère sait qu’il faut y remédier et a demandé une enquête et des propositions à trois inspections générales. Une table ronde aura lieu au mois d’avril pour étudier ce qu’il faut revoir et comment d’autres acteurs pourraient participer dans les années à venir.

Pour avoir été membre du gouvernement sous une partie de la présidence de François Hollande, l’évocation de l’année 2017 me fait sourire. Cette période a été celle d’une baisse terrible de la DGF des collectivités territoriales – j’en garde un si mauvais souvenir que j’ai voulu l’augmenter de 300 millions cette année – à un moment où des ponctions très élevées ont accentué les inégalités. En effet, à commune équivalente, la DGF va parfois du simple au double en fonction de sa situation il y a cinquante ans – une commune autrefois touristique et qui ne le serait plus, par exemple. Soulignons qu’après avoir accusé une forte baisse en 2017, le montant de la DGF est ensuite resté à l’identique, tandis que de nouvelles dispositions d’investissement ont été créées et se maintiennent : le fonds Vert, la DSIL, la DETR et la dotation politique de la ville (DPV).

Alors que le congrès des Départements de France avait ovationné Michel Barnier, j’ai demandé à François Sauvadet, son président, pourquoi il se plaignait des mesures adoptées par le gouvernement depuis janvier. Nous avons divisé par trois les ponctions sur leurs recettes et cinquante départements en sont totalement exonérés. Nous avons augmenté de 0,5 point les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), ce qui représente un effort de 700 millions d’euros. Je reconnais qu’une trentaine de départements sont en grande difficulté : pour ceux-là, chaque million pouvant être apporté par des fonds immédiats pèsera positivement. Les départements recevront des excédents de TVA, de l’ordre de 57 millions d’euros, qui ont pu être dégagés malgré l’écart de 10 milliards d’euros, à savoir 220 milliards prévus par Bercy et 210 milliards de recettes réelles de la TVA pour 2024.

Les communes vont avoir du mal à continuer sans lien fiscal avec leurs habitants. Un impôt « de résidence » est nécessaire au lien entre les citoyens et les collectivités. Certaines communes, généralement des communes de banlieue ressortissant des politiques de la ville et comptant majoritairement des locataires, n’ont parfois que 20 % ou 30 % de citoyens propriétaires de foncier bâti et versant la taxe foncière, tandis que d’autres ont 80 % de participants à l’impôt local. Cela ne peut pas durer longtemps. Certains m’accuseront de vouloir recréer la taxe d’habitation, mais il faut réfléchir à une taxe ou une contribution minime qui concrétise le lien entre, d’une part, des citoyens qui attendent des services publics et, de l’autre, ce que la collectivité leur rend.

Mme Constance de Pélichy (LIOT). Monsieur le ministre, je souhaite prolonger l’échange que nous avons eu dans l’hémicycle sur le Dilico. Sans entrer dans des comptes d’apothicaire, je souhaite savoir quand et comment les collectivités territoriales devant construire leur budget obtiendront des informations fiables, et non plus des estimations produites par l’Association des maires de France (AMF) et des présidents d’intercommunalité ou des administrateurs de l’Assemblée nationale ou du Sénat. La relation de confiance entre l’État et les collectivités est en jeu.

Alors que de nombreuses taxes locales ont été supprimées, tantôt on augmente le Fpic, tantôt on ajoute un Dilico… Les collectivités territoriales n’ont ni la visibilité, ni la prévisibilité nécessaires pour inscrire leurs projets dans le temps. Pourtant, comme pour une entreprise, cette capacité à prévoir est essentielle.

Par ailleurs, l’autonomie financière et fiscale de la plupart des collectivités a été progressivement coupée, que l’on pense à la taxe d’habitation, à la CVAE ou aux conseils régionaux, qui ne perçoivent plus que la taxe sur les cartes grises. Il est indispensable que l’État soit au rendez-vous d’une grande stratégie financière et fiscale à destination des collectivités territoriales. C’est un pan essentiel pour une décentralisation réussie.

Enfin, nous devons collectivement être à la hauteur des enjeux du ZAN. Il serait terrible d’assouplir ou de revoir nos objectifs à la baisse ; il faut plutôt lever les freins à l’application de la loi. C’est une question de survie. J’ai bien entendu les commentaires du Rassemblement national et j’anticipe les débats animés qui suivront la présentation du rapport de la mission d’information sur l'articulation des politiques publiques ayant un impact sur l'artificialisation des sols. Un des enjeux du ZAN est la compréhension globale des sujets sur lesquels il porte et nous devrons tous, l’État y compris, faire preuve de pédagogie.

M. François Rebsamen. Madame la députée, je suis ravi de prolonger nos échanges hors du temps contraint de l’hémicycle. D’abord, un mea culpa : il est indispensable d’informer le plus rapidement possible les collectivités sur leurs dotations et prélèvements, ce que feront les préfets dès demain. Je croyais que les associations d’élus transmettraient ces informations, une erreur à corriger, d’autant plus que certaines collectivités ne seront pas concernées comme elles l’avaient prévu, le Dilico ayant été ramené à 1 milliard. Pour la métropole d’Orléans, il reste, de mémoire, un prélèvement de l’ordre de 1,4 million d’euros, contre 6 ou 7 millions, et pour la ville d’Orléans, un prélèvement de 140 000 euros, contre 1 million initialement prévu. Je regrette que ces bonnes nouvelles n’aient pas encore été transmises.

Les deux critères retenus pour cette contribution sont le potentiel fiscal par habitant et le revenu par ménage, connus pour toutes les communes de France. En Côte-d’Or, par exemple, les communes taxées sont Puligny-Montrachet, Meursault, Pommard, Beaune ou enfin la commune de 1 200 habitants de Vosne-Romanée, où le revenu moyen est de 65 000 euros par habitant. D’autres communes, marquées par l’histoire industrielle, sont davantage pénalisées. Le dispositif Sautarel de rééquilibrage apportera des corrections l’an prochain. Je veillerai à ce que ces prélèvements, abaissés et plus justes, soient rendus aux communes comme prévu. Ils sont calculés à partir des données 2024 et feront l’objet de quelques ajustements. Je préfère d’ici là donner des montants à la louche que de laisser les collectivités dans l’incertitude au moment de la préparation des budgets.

Il faut donner aux collectivités locales la prévisibilité qu’elles attendent sur trois ans au minimum. Toutes les familles politiques ont déjà débattu de l’opportunité de créer un budget spécifique pour les collectivités locales, pour lequel j'ai milité parce qu’il permettrait d’avoir un engagement et une adaptation de la fiscalité sur trois ans. Les élections municipales de 2026 remettront cette possibilité en jeu.

L’objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050 ne sera pas revu à la baisse. Cependant, je vise à rendre le ZAN applicable et, indépendamment du rapport de force entre les chambres, j’écoute attentivement les parlementaires, parmi lesquels les sénateurs, qui sont souvent des élus locaux émérites comprenant la réalité du terrain. Sans renier l’objectif du ZAN, je souhaite que l’étape de vérification intermédiaire soit décalée à 2034. Nous avons besoin de souplesse car les Sraddet sont, à l’heure actuelle, plus ou moins avancés et efficaces. Il faudrait en outre donner aux EPCI la possibilité de mutualiser les hectares de garantie rurale de leurs communes.

M. Vincent Descœur (DR). Monsieur le ministre, nombreux sont les sujets de votre ministère qui intéressent les parlementaires comme les élus locaux. Parmi eux, le ZAN suscite émotion, incompréhension voire opposition, en particulier dans les territoires ruraux qui vivent parfois cette disposition comme une injustice. En effet, alors que les territoires ruraux ne sont pas responsables de la surconsommation d’espaces agricoles, ils sont invités ou plutôt condamnés à faire le même effort de sobriété que les autres.

Au Sénat, vous avez plaidé pour un report à 2034 de l’étape intermédiaire de réduction de moitié du rythme d’artificialisation des sols et vous avez proposé que l’hectare de garantie rurale soit mutualisé, par exemple, à l’échelon régional. Nous saluons cette volonté de dialogue. Néanmoins, les élus locaux de tous bords attendent si fortement que ces trajectoires de réduction de l’artificialisation soient établies en concertation et selon les spécificités des territoires qu’ils risquent de ne pas s’en satisfaire. Il est possible de partager le même objectif mais aspirer à des méthodes différenciées. Pouvez-vous nous préciser les intentions du gouvernement concernant la proposition de loi sénatoriale dite Trace ?

Par ailleurs, les auditions menées par la mission d’information sur l’adaptation de l’aménagement des territoires au changement climatique, que je préside, nous ont permis d’identifier différents enjeux : ils concernent tout autant les infrastructures et les aménagements que la gouvernance et la répartition de l’effort financier entre les collectivités, l’État et les assureurs. Pensez-vous que les moyens mobilisés par l’État – fonds Barnier, fonds Vert et fonds territorial climat – pourront évoluer à la hausse face au mur d’investissements qui s’annonce ?

Enfin, dans le domaine préoccupant de la lutte contre les inondations, ni la gouvernance, ni les moyens de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) ne semblent adaptés aux enjeux colossaux auxquels les territoires les plus exposés sont confrontés. Partagez-vous ce constat ? Comment proposez-vous d’y remédier ?

M. François Rebsamen. La proposition de loi « Trace » des sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc procède de la loi « climat et résilience » de 2023. Les parlementaires adoptent des lois très complexes pour ensuite s’étonner qu’il soit difficile de les appliquer ! La simplification parlementaire a souvent tendance à complexifier les choses. Comme les élus locaux, je souhaite revenir à une comptabilisation en espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), notion plus simple que celle d’artificialisation. La loi prévoit aussi la création de conférences régionales de gouvernance (CRG) de la politique de réduction de l’artificialisation des sols, particulièrement complexes, notamment dans leur composition. La première fois que j’en ai entendu parler, je me suis dit : « C’est quoi ce machin ? ». On peut sûrement trouver mieux.

J’ai proposé une étape intermédiaire en 2034 parce qu’en 2024, certaines régions, et non des moindres, n’avaient toujours pas adopté leur Sraddet. La répartition des hectares de garantie rurale n’était donc pas planifiée. Renoncer au caractère prescriptif des Sraddet permettrait, d’une part, d’éviter la perte de temps causée par les ratiocinations au niveau régional et, d’autre part, de simplifier la vie locale en faisant confiance au bloc communal, au cœur de notre démocratie. C’est cependant au Parlement, et non au ministre, de définir ces objectifs qui, sans majorité, se dessineront probablement sur une ligne de crête, voire en CMP.

Concernant l’assurabilité des communes, je souhaite lancer les assises de l’assurabilité à l’hôtel de Roquelaure. Ces assises réuniront les compagnies d’assurances, les présidents d’associations d’élus locaux et, naturellement, le ministre de l’économie et des finances qui exerce sa tutelle. Pour répondre aux aléas climatiques à court terme, l’état de catastrophe naturelle existe depuis longtemps et permet aux assurances d’agir, notamment pour les particuliers. Toutefois, l’assurance des communes doit aussi intégrer la question des violences urbaines. À Mâcon, le maire a vu flamber plusieurs bâtiments qui doivent être assurés à 1 million d’euros chacun, une somme dont il ne dispose pas. Nous pourrons, je l’espère, trouver des solutions, quitte à passer par des négociations en gré à gré ou à faire pression sur les compagnies d’assurances. Enfin, les évènements climatiques autrefois exceptionnels liés à la sécheresse, aux inondations, aux vents ou au recul du trait de côte sont devenus très fréquents : je prendrai des initiatives pour que les communes puissent s’assurer sur le long terme.

Je rappelle que la ruralité, qui ne compte que 15 % de la population, représente 26 % de la consommation d’espace. Les organisations agricoles, et même les jeunes agriculteurs, attendent de la sobriété foncière et des dispositifs contraignants. S’il est rare qu’on préfère vendre une terre pour faire une gravière, cela arrive, et il faut l’empêcher.

Concernant le Gemapi, je n’ai pas de réponse à apporter, n’ayant pas réussi à l’installer dans mon agglomération de Dijon en raison de l’opposition des autres EPCI. Il s’agit en outre du périmètre du ministère de la transition écologique.

Mme Marie Pochon (EcoS). « Que pouvez-vous bien trouver à faire à la campagne ? Tout, excepté le temps de le faire », disait Rudyard Kipling. En effet, le temps, dans nos petits villages, n’est pas aussi court qu’ailleurs. Ce temps, c’est celui des kilomètres de route sinueuse à parcourir pour accéder au bureau de poste, à la gendarmerie, aux commerces ou à l’école de nos gosses – quand la classe n’a pas fermé, puisque 47 postes ont été supprimés cette année dans la Drôme. C’est, pour les maires de communes rurales, le temps que prend chacune des interventions en urgence qu’ils sont seuls à prendre en charge depuis la fin de l’autonomie financière des collectivités. C’est celui qu’il faut à un animateur de la maison France Services, située à 30 kilomètres, pour les dépêtrer d’un dossier d’aides en attendant que la secrétaire de mairie revienne, une matinée par semaine. C’est celui de la connexion internet, du réseau téléphonique qui dysfonctionne. En fin de compte, le seul temps qui diminue cruellement dans nos campagnes est celui de la vie car, du fait de la désertification médicale, l’espérance de vie y est de deux ans moindre qu’en ville.

Nous devons être radicalement ambitieux pour nos campagnes. Après que des milliers de personnes que l’on n’écoutait plus se sont réunies sur les ronds-points pour se faire entendre et face aux bouleversements causés par l’artificialisation, le changement climatique, le tout numérique, la disparition des services publics et l’isolement, nous n’avons pas le droit de faire perdurer les promesses non tenues et les incertitudes qui augmentent les difficultés de nos élus.

C’était l’objectif du plan France ruralités, lancé en juin 2023. Or sur les 100 médicobus prévus d’ici à la fin 2024, l’ANCT n’en compte que seize, et une infime minorité roule réellement. S’agissant des mobilités, malgré la multitude de projets locaux, seuls 30 millions d’euros restent alloués par an aux mobilités rurales, même pas tous décaissés. L’Observatoire des dynamiques rurales, censé garantir des concertations en amont de la définition de la carte scolaire, reste sous-utilisé. Quant aux Villages d’avenir, sur les 4 000 communes ayant demandé une ingénierie d’accompagnement, 1 500, pourtant dans une dynamique de projet, n’ont pas pu être accompagnées. Et si peu, sinon rien, pour la transition écologique, mis à part la baisse de 60 % des montants du fonds Vert et les menaces sur le ZAN ou sur les crédits de la rénovation thermique. Quand ces enjeux seront-ils enfin prioritaires ? Monsieur le ministre, un autre temps manque cruellement dans nos campagnes : celui qu’il nous reste pour faire face aux impacts dévastateurs de l’inaction climatique.

M. François Rebsamen. Je connais les difficultés du monde rural et les efforts faits dans votre département pour y remédier, du moins en partie. Sans les élus locaux, ces difficultés seraient bien plus importantes : je mesure le respect que la nation leur doit. Ceux-ci, comme vous le dites, composent avec la demi-journée de travail par semaine des secrétaires de mairie et font face à des complexifications et des difficultés d’ingénierie. De ce côté, le Cerema, qui compte tout de même 2 500 agents, soit vingt-cinq par département, devrait pouvoir répondre aux besoins en intervenant auprès des préfets. Quant à l’État, il pourrait avoir une autre vocation que de sanctionner a posteriori, pour plutôt aider en amont en fournissant cette ingénierie.

Je connais les difficultés du monde rural pour avoir été conseiller départemental, conseiller régional, maire et même sénateur et pour avoir travaillé dans un département qui, sur 707 communes, en comptait 200 de moins de 100 habitants et comportait des zones désertes. Seule la capacité inventive de leurs élus, à travers des regroupements pédagogiques communaux, a permis de sauver des classes. Nous devons aujourd’hui mener des études démographiques pour ne pas rénover des classes qui fermeront bientôt et concentrer nos efforts là où ils sont nécessaires.

Les maisons France Services sont au nombre de 3 000 : ce n’est pas rien, même si celles-ci sont parfois à une demi-heure de route, contrairement à l’idée qui veut que dans un département tous les services soient à un quart d’heure. Cela dépend, entre autres, de la qualité des routes. Avoir une maison France Services à proximité n’est néanmoins pas négligeable.

Le programme Villages d’avenir a eu des conséquences positives, de même que le programme Petites villes de demain, qui a permis la reconnaissance de formes de centralité.

Les mobilités rurales sont désormais prises en charge par les régions, et parfois les départements par délégation. Il ne m’appartient pas de juger de la pertinence de ce transfert de compétence aux régions. J’observe que des cars circulent et que ces collectivités font le plus possible.

Pour ces différentes raisons, nous voulons créer un véritable statut de l’élu local. Il faut en effet encourager les élus dont vous parlez, et j’espère qu’à l’orée de la journée des droits des femmes je serai suivi sur la parité qu’il faut apporter dans les communes de moins de 1 000 habitants.

M. Hubert Ott (Dem). Plus de quarante ans après les lois de décentralisation, la situation de la France reste intermédiaire : ni pleinement décentralisée, ni totalement centralisée. Ce statut coterritorial dans lequel notre pays s’est figé nuit à l’efficacité de l’action publique et pèse sur nos finances – un coût estimé à 7,5 milliards par le rapport Ravignon. À l’heure où nous travaillons à la maîtrise du déficit, il faut nous intéresser à l’efficacité des services publics qui découlent de l’organisation territoriale. La loi Notre du 7 août 2015 entendait clarifier le rôle des collectivités, faciliter le redressement économique et renforcer les solidarités. Dix ans plus tard, citoyens et élus locaux font état d’un sentiment d’éloignement face à de trop grosses structures régionales, plus technocratiques que démocratiques. Plusieurs rapports de la Cour des comptes soulignent que les grandes régions coûtent plus cher, complexifient le millefeuille administratif et éloignent les décisions des habitants. L’ensemble est désormais incompréhensible pour nos concitoyens et inefficace pour l’État et les collectivités. Une réforme territoriale bien conçue pourrait être un levier puissant pour renforcer la démocratie locale, moderniser l’action publique et opérer concrètement la transition écologique.

L’Alsace a montré une voie en donnant naissance, par la fusion de ses deux départements, à la collectivité européenne d’Alsace (CEA). Ce premier pas, essentiel et très attendu, n’est pas encore pleinement satisfaisant : la CEA doit devenir une collectivité qui regroupe à la fois les compétences du département et de la région et intègre de nouvelles compétences utiles et stratégiques. C’est ce qu’attendent 92,4 % des Alsaciens, consultés en février 2022. Une telle organisation clarifierait enfin le schéma entre l’État, la CEA, les intercommunalités et les communes, adapterait l’action publique aux réalités locales et permettrait une application plus rapide et plus cohérente de politiques environnementales – aménagement du territoire, gestion de l’eau, lutte contre l’artificialisation des sols, préservation de la biodiversité, développement des mobilités douces, etc. – grâce à une gouvernance simplifiée et une dotation en moyens consolidée.

Alors que nos territoires aspirent à plus de clarté et que l’Alsace offre un cadre idéal pour un lancement rapide et ambitieux, le gouvernement est-il prêt à réfléchir à une organisation territoriale pragmatique, clarifiée et adaptée aux défis du XXIe siècle comme aux aspirations partagées de simplification et de réduction de la dépense publique ?

M. François Rebsamen. La réponse est non. Une nouvelle organisation territoriale de la République est effectivement indispensable mais ses enjeux relèvent des débats pour les élections présidentielles de 2027. Nous ne sommes pas en mesure de la faire avancer actuellement. J’ai transmis d’innombrables rapports en matière d’organisation territoriale à différents premiers ministres et à deux présidents de la République. J’ai été commissaire du gouvernement de Pierre Joxe au moment de la loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République, et je faisais partie de son cabinet en 1983 lors des premières lois de décentralisation. Je comprends donc ce que vous dites et reconnais que certaines régions actuelles, issues de fusions, ne correspondent à rien. Malheureusement, la région Grand Est est opposée à ce que vous proposez et une réforme est impossible parce qu’on ne peut pas modifier certaines limites départementales. Mais qui sait si le prochain président de la République ne suivra pas mes préconisations, à la différence de ses prédécesseurs ? Il serait impossible aujourd’hui de défusionner les régions créées par la loi Notre, au lendemain de laquelle de nombreux élus m’ont dit être lassés de telles réorganisations de périmètre.

M. Xavier Roseren (HOR). Ayant été maire, je souligne la dégradation des relations entre les collectivités territoriales et les assurances du fait de l’augmentation des sinistres, que ceux-ci soient liés aux phénomènes climatiques violents ou aux émeutes. De plus en plus de communes peinent ainsi à trouver un assureur et sont obligées de consentir à la hausse des primes et des franchises. Ces difficultés s’expliquent aussi par les dysfonctionnements structurels du marché, notamment le manque de concurrence et la faible rentabilité. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie et des finances, avait confié à Alain Chrétien, maire de Vesoul, et à Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, une mission sur l’assurabilité des collectivités territoriales. Leur rapport propose de conforter la dotation de solidarité aux collectivités victimes d’événements climatiques (DSEC) et de mettre en place un dispositif d’indemnisation du risque d’émeutes inspiré du dispositif existant pour les catastrophes naturelles. En mai dernier, votre prédécesseure, Dominique Faure, a annoncé que l’État étudierait la création d’un fonds de garantie alimenté par les assureurs. Vous-même avez évoqué la sélection de courtiers, le recours à des procédures en gré à gré plutôt qu’à des appels d’offres et le dialogue renforcé avec les assureurs sur leurs pratiques commerciales. Enfin, le 20 février, vous avez annoncé une réunion avec les principaux acteurs et les élus pour identifier des solutions rapides et durables. Ces rencontres ont-elles eu lieu ? Quelles ont été leurs conclusions ? Quelles sont les prochaines étapes ?

M. François Rebsamen. Comme je l’ai dit, nous organiserons prochainement un Roquelaure de l’assurabilité dans nos locaux, en lien avec le ministère de l’économie et des finances. Ces assises se fonderont sur les constats du rapport de Jean-Yves Dagès et Alain Chrétien : l’augmentation prohibitive des primes et des franchises, le nombre insuffisant d’acteurs de l’assurance dans certaines parties du territoire, les appels d’offres infructueux, la difficulté à mesurer et appréhender les nouveaux risques, la résiliation anticipée des contrats, le durcissement des conditions d’accès à l’assurance. Il faut, d’une part, créer un dispositif d’accompagnement et des outils d’assistance pour permettre aux collectivités de mieux calibrer leurs besoins. D’autre part, la métropole de Dijon donne l’exemple réussi d’une mutualisation des demandes d’assurance, qui a permis à onze communes d’être assurées en constituant, avec la ville de Dijon, un marché plus large. Il faut enfin viser une plus grande efficacité des outils de solidarité nationale et ne pas hésiter à garantir : j’étudierai de près les dotations du fonds de garantie que vous mentionnez car 100 millions d’euros est peut-être trop peu. Il va falloir dynamiser et consolider le marché des assurances aux collectivités en simplifiant au maximum, avec une stratégie de prévention coordonnée. Je ferai en sorte que le dossier avance dans les mois à venir.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Monsieur le ministre, je suis député de Guyane, une région fort lointaine, et qui représente 8,4 millions d’hectares. Vous avez tout à l’heure employé la formule « C’est quoi ce machin ? ». Mais, monsieur le ministre, la politique de la France vis-à-vis de la Guyane, c’est quoi ce machin ? La Guyane est un territoire immense, extrêmement en retard en matière d’aménagement : sept communes sur vingt-deux y sont totalement enclavées ; il n’y a que 400 kilomètres de routes, réalisées en 500 ans de présence, et 1 200 kilomètres de pistes en terre. Et pourtant, l’amendement que nous avons déposé pour que le malus écologique ne soit pas applicable sur les véhicules tout-terrain en Guyane a été rejeté par le gouvernement.

Un territoire qui n’est pas aménagé est occupé par d’autres. Depuis quarante ans, les garimpeiros exploitent l’or. Il y a vingt ans, alors que la Guyane avait le troisième port de pêche ; Paris et l’Europe, en deux mesures politiques, ont brisé l’industrie de la pêche. Aujourd’hui, ce sont des flottes coréennes qui pillent les eaux guyanaises. Les Guyanais n’en peuvent plus.

Nous avons expliqué à M. Béchu qu’il y avait 97 % de forêts en Guyane et qu’on ne pouvait pas y appliquer le ZAN parce que la sobriété foncière n’avait pas de sens. Il nous a répondu que la Guyane, c’était la France et qu’elle devait participer à la protection de l’environnement. Mais s’il y a 97 % de forêts, c’est parce que les Guyanais ont participé : ils l’ont toujours protégée ! Les Guyanais ne peuvent pas faire plus que les autres. Sachez qu’ils meurent de l’enclavement total, car oui, celui-ci est total. Comment peut-on accepter qu’une ministre nous demande de nous contenter d’une piste en terre améliorée entre Saint-Laurent et Maripasoula ? Le président de la République n’a qu’à venir proposer cette alternative aux Guyanais ! Voilà la réalité des rapports entre la Guyane et la France.

En ce qui concerne l’habitat, des dizaines de milliers de squats s’installent partout. Quand, une nuit, le feu s’y déclarera, des milliers de personnes mourront ! Je pense en cela aux collègues de La Réunion et de Mayotte. La réalité de la Guyane, c’est aussi l’impossibilité de coopérer avec les pays environnants. Nous parlons de transition écologique : vous paraît-il normal que des produits brésiliens quittent le Brésil pour Rungis, pour ensuite revenir sur les étals de Guyane ? Que les agriculteurs guyanais voient leur bétail mourir parce qu’il n’y a pas de coopération possible avec le Brésil pour fabriquer des produits alimentaires pour les animaux ? Je suis en colère car cela fait trois ans que je viens dans cette commission pour dire la même chose.

En outre, aucune politique publique n’est prévue pour notre dynamique démographique hors norme : il n’y a pas en France un seul territoire comme le nôtre, où, comme à Saint-Laurent par exemple, il faudrait construire une école par an ! Et quand on nous propose un centre hospitalier universitaire, c’est en réhabilitant un hôpital totalement obsolète. Que sont les Guyanais pour vous ? À quoi ont-ils droit ? À vous entendre parler de multimodalité, quand il y a, en France hexagonale, des trains, des routes et des avions pour desservir le territoire ?

Monsieur Rebsamen, vous êtes le ministre de la décentralisation. Vous devez écouter les élus locaux. À deux reprises, les élus de Guyane ont voté à l’unanimité pour avoir un article propre et une autonomie afin de décider de l’accès et de la maîtrise des ressources. Puisque la France ne sait pas investir, il faut que nos collectivités aient assez de financements et de recettes pour pouvoir construire les routes et mener à bien l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, la Guyane est un puits de ressources totalement abandonné aux mains des activités illégales.

M. François Rebsamen. Cela fait deux fois que j’entends votre cri du cœur pour la Guyane, région dont je connais la situation pour avoir des amis à Saint-Laurent-du-Maroni. Je partagerai ce cri du cœur avec le ministre des outre-mer, Manuel Valls, et lui conseillerai de vous rencontrer et de vous rendre visite là-bas. Nous devons trouver des solutions sur les sujets que vous avez évoqués.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Le ministre des outre-mer n’a pas d’argent pour bâtir la Guyane, vous le savez très bien !

M. François Rebsamen. Vous n’en auriez pas plus dans le cadre de l’autonomie. Il faut y croire.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Julie Ozenne (EcoS). Monsieur le ministre, avec la proposition de loi dite Trace, le Sénat modifie profondément la mise en œuvre du ZAN en supprimant l’objectif national intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation d’ici 2031, en reportant les échéances de mise en conformité des documents d’urbanisme à 2029 et en introduisant de nombreuses exceptions. Cette proposition de loi prévoit en effet d’exclure temporairement du décompte de l’artificialisation des sols différents projets, notamment industriels, de logements sociaux et d’énergie renouvelable, et d’ouvrir une possibilité d’exemption pour des projets d’envergure nationale ou européenne ainsi qu’une mutualisation au niveau régional. Enfin, l’État pourrait classer certains projets comme relevant des raisons impératives d’intérêt public majeur, leur accordant ainsi un régime dérogatoire.

Comment le gouvernement prévoit-il d’appliquer l’article L. 411-1 du code de l’environnement dans ce contexte ? Comment compte-t-il assurer aux collectivités territoriales les moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre une véritable transition foncière, alors que le fonds territorial climat et le fonds Vert ont été considérablement réduits ?

M. Sébastien Humbert (RN). Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur l’installation du Dilico, qui ne prend pas en compte les capacités financières réelles des collectivités territoriales. Ce dispositif vient déstabiliser les budgets de communes déjà touchées par des dotations en baisse. Dans ma circonscription, la commune de Vittel, qui compte moins de 5 000 habitants, pourrait par exemple être ponctionnée à hauteur de 177 000 euros alors que la surtaxe sur les eaux minérales qui lui est versée par Nestlé a diminué de plus d’1,5 million d’euros en deux ans en raison d’une baisse de production. Cet exemple montre que, malgré des recettes fiscales en forte baisse, certaines communes ont été retenues pour participer au redressement des comptes publics, sans tenir compte de leur nombre d’habitants ou de leur caractère rural. Comment justifier la nécessité d’un nouvel effort financier pour ces collectivités de taille modeste, notamment celles qui, comme Vittel, ont des charges de centralité ?

M. Sylvain Carrière (LFI-NFP). En tant que ministre de l’aménagement du territoire, une de vos principales missions est de veiller à ce que la consommation d’espaces naturels à artificialiser se fasse de manière rationnelle et en accord avec les objectifs environnementaux. Sans garde-fou, c’est l’anarchie, comme sur le chantier de l’A69 où l’État, sous la pression d’entreprises privées, a contourné le droit de l’environnement pour artificialiser 400 hectares d’espaces naturels. Une anarchie similaire se prépare sur le chantier du contournement ouest de Montpellier (COM) où Vinci Autoroutes a la mainmise sur l’agenda médiatique. Malgré les rapports scientifiques comme celui du Shift Project, indiquant que les impacts négatifs du COM sont sous-évalués, les intérêts privés prennent le dessus sur l’intérêt général. Le développement des infrastructures de transport doit se faire dans le respect des objectifs climatiques. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que le COM et les cinquante-cinq autres projets routiers aujourd’hui contestés en France sont considérés comme d’intérêt majeur ?

M. Béranger Cernon (LFI-NFP). La part des mobilités dans l’aménagement du territoire est cruciale et a un coût important pour les collectivités. Le désengagement de plus en plus important de l’État en la matière et son report sur les collectivités interroge et inquiète, notamment pour l’avenir du transport ferroviaire. Le premier ministre a donc souhaité relancer le débat sur le versement mobilité. Le président d’Intercommunalités de France, et à travers lui les intercommunalités, s’oppose à son versement aux régions : selon lui, la possibilité des régions de lever cette ressource mettrait les intercommunalités en concurrence les unes avec les autres pour un résultat plus que modeste. Il est évident que toutes les régions ne seront pas logées à la même enseigne : une récente étude montre déjà les écarts de tarifs qu’il existe pour un trajet en train de 50 kilomètres. Quelle est votre position sur ce sujet ? Comment comptez-vous éviter ces déséquilibres territoriaux qui s’accélèrent ?

Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Monsieur le ministre, l’installation des zones à faibles émissions (ZFE) devient progressivement effective dans nos agglomérations, cela dans le chaos auquel on s’attendait. Contrairement à d’autres groupes politiques qui se moquent de la santé publique comme du climat, nous ne sommes pas opposés par principe aux ZFE. Toutefois, leur mise en application pratique relève du scandale : les investissements en matière de transports en commun n’ont pas été faits ; le désenclavement des territoires n’est pas assuré ; les ventes de véhicules électriques sont en chute libre du fait d’une politique industrielle calamiteuse et d’un reste à charge trop élevé pour les ménages modestes. Cette impréparation de l’État, le manque de moyens donnés aux collectivités pour assurer la mise en place des ZFE dans des conditions d’équité vont introduire des inégalités massives en matière de droit à la mobilité. Monsieur le ministre, savez-vous combien de millions de nos concitoyens vous pénaliserez en prolongeant cette politique sans que l’État n’assure aux citoyens leur droit à la mobilité ?

M. Jimmy Pahun (Dem). Monsieur le ministre, je suis élu d’une circonscription de bord de mer et voyais le ZAN d’un bon œil. Or beaucoup d’élus de communes littorales continuent à bâtir et à artificialiser les terres alors qu’il y a de l’espace disponible une cinquantaine de kilomètres plus loin. Comment voyez-vous l’urbanisation qui progresse dans les grandes villes et en bord de mer ? Comment la relancer dans des territoires moins peuplés ? Par ailleurs, dans les zones côtières, nous ne pouvons plus loger tout le monde à cause de l’augmentation du coût du logement et du foncier, qui ne permet plus aux jeunes de s’installer.

M. Fabrice Barusseau (SOC). J’ai été très surpris par votre réponse à notre collègue Vincent Descoeur concernant la Gemapi, alors même que l’installation de cette compétence dans votre collectivité s’est révélée très difficile. Cette compétence interroge beaucoup d’élus locaux, son interprétation restant très fluctuante selon les acteurs. Ne serait-il pas utile de mieux la définir tout en donnant aux collectivités les moyens d’ingénierie indispensables à sa mise en place, ne serait-ce que pour expertiser les ouvrages qui leur sont confiés ? Ceux-ci sont trop souvent en mauvais état. Cette question ne relève pas seulement du ministère de la transition écologique, elle est centrale pour le ministère de l’aménagement du territoire, par exemple en matière de prévention des inondations.

Mme Marie Pochon (EcoS). Monsieur le ministre, le budget pour 2025 a acté la création d’un fonds territorial climat d’un montant de quelques dizaines de millions d’euros prélevés sur le fonds Vert qui a, lui, été divisé par deux en un an – passant de 2,5 milliards en 2024 à 1,15 milliard en 2025. Le nouveau fonds territorial climat devrait être versé aux intercommunalités dotées d’un plan climat et sur la base de critères démographiques, pour financer des projets structurants d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique. Notre inquiétude sur le fonds territorial climat est double : d’une part, ses montants semblent plus symboliques que proportionnés aux besoins, et d’autre part, ses fonds risquent d’être utilisés pour des projets non prioritaires au titre de la planification écologique. Quelles modalités d’application le gouvernement entend-il retenir pour que ce fonds finance réellement des projets utiles à la planification écologique des territoires ?

M. Jean-Victor Castor (GDR). Une mission d’information menée par cette commission s’est rendue en Guyane et a rendu le rapport Aménagement et développement durable du territoire de Guyane afin d’en finir avec ce paradoxe qui consiste à garder la Guyane sous cloche tout en oubliant ses habitants. Je vous invite à le lire, en particulier les préconisations très simples qu’il contient, car vous avez manifestement une mauvaise connaissance de ce territoire. Vous verrez que son aménagement ne relève pas strictement du ministère des outre-mer et qu’il faut une loi de programmation à la hauteur de ses besoins et de son retard.

Mme Marie Pochon (EcoS). Les mesures du budget 2025 qui ponctionnent certaines recettes et ajoutent de nouvelles charges aux collectivités font peser le risque d’une dégradation de leurs capacités d’autofinancement et donc d’une atonie de l’investissement local dans les prochaines années. Les besoins sont pourtant estimés à plus de 10 milliards d’euros annuels supplémentaires pour la seule décarbonation. De ce que nous comprenons, de nouvelles mesures d’économie seront recherchées pour le prochain PLF. Au vu de votre refus de prélever de nouvelles recettes, ces mesures pourraient peser sur notre capacité à anticiper notre avenir climatique, affectant à la fois la survie de l’humanité, qui semble un détail aux yeux de certains, et notre maîtrise budgétaire à mesure que ces investissements seront repoussés. Comment comptez-vous assurer que le PLF pour 2026 ne viendra pas contraindre davantage les capacités d’investissement des collectivités en la matière ?

M. François-Xavier Ceccoli (DR). Monsieur le ministre, je donnerai un exemple du déploiement complexe du ZAN dans les territoires. Jusqu’à récemment, j’étais maire d’une commune disposant de 6 kilomètres de bord de mer, un littoral protégé depuis plus de vingt ans et où aucune construction n’est autorisée, même pour les hangars agricoles. Dans la mesure où la loi « littoral » touche l’ensemble d’une commune, certains hameaux, pourtant situés à 4 ou 5 kilomètres de la mer, ne peuvent pas bâtir puisque, vieux de plusieurs siècles, ils ne relèvent pas de ces hameaux nouveaux prévus par la loi. Le déploiement du ZAN n’est donc pas opportun sur tous les territoires, notamment la Corse.

M. Mickaël Cosson (Dem). Député des Côtes-d’Armor, je suis aussi un ancien agent du ministère de l’aménagement du territoire. Les collectivités vont avoir, comme il y a vingt ans, d’importants besoins en ingénierie pour répondre aux enjeux environnementaux. La difficulté sera celle du financement. À l’heure où les chambres des comptes contrôlent les comptes locaux, nous devons parler de dette environnementale et sortir de l’investissement des collectivités les actions qu’elles entreprennent pour la transition écologique. Sinon, elles risquent de ne plus répondre aux autres engagements sur lesquels on les attend. En ce qui concerne le ZAN et l’aménagement du territoire, nous avons besoin que les services déconcentrés apportent plus de souplesse, plutôt que d’interdire la construction d’un vestiaire entre deux terrains de football au nom de la loi « littoral ». Il est possible que le ZAN se passe de manière plus zen !

M. François Rebsamen. L’objectif du ZAN est maintenu. En 2034, nous dresserons un bilan intermédiaire de l’objectif de réduction de 50 % de l’artificialisation des sols. Nous débattons de l’opportunité d’installer une deuxième date de vérification intermédiaire. Ce n’est pas une punition, mais plutôt un moment fort qui permettra d’évaluer l’avance ou le retard des collectivités vers l’objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050. Sans étape intermédiaire, ce que proposent certains sénateurs, nous risquons de nous rendre compte bien trop tard que les efforts ont été insuffisants pour atteindre cet objectif.

Oui, il faut de la souplesse, qu’il est parfois difficile de définir dans les territoires où s’appliquent à la fois la loi « littoral » et la loi « montagne » et pour lesquels nous devons trouver des solutions. La loi doit s’appliquer de la même manière partout, et en même temps, il faut de la souplesse au niveau local. Je fais confiance aux préfets, auxquels pourraient être données des possibilités de dérogation sur certains choix, ce qui permettrait à l’État de ne pas être seulement un État qui contrôle, mais aussi un État qui participe à l’initiative territoriale. Pour cela, il faut que les préfets aient des moyens. Je répète qu’un opérateur comme le Cerema est à disposition pour fournir sur demande de l’ingénierie et qu’il peut aussi mener des analyses-flashs sur certains sujets. Le Cerema se voit parfois répondre que c’est le département qui assure l’ingénierie des collectivités locales car celles-ci craignent de perdre du pouvoir.

Concernant le Dilico, la commune de Vittel est effectivement prélevée à hauteur de 178 000 euros sur les chiffres de 2024, ce qui se réajustera en 2025. Son revenu par habitant, de 20 000 euros, se trouve en effet dans la tranche haute des revenus par habitant des communes françaises. En outre, son potentiel fiscal par habitant, de 2 539 euros, est beaucoup plus élevé que celui d’autres communes, notamment ses voisines Morelmaison ou Laval-sur-Vologne, où il est respectivement de 1 800 et de 1 539 euros.

Du côté des transports, il est anormal qu’il existe deux France : l’Île-de-France, où le versement mobilité a été augmenté de 3 %, et la France en souffrance, où il n’y a pas de mobilités parce que la perception du versement mobilité n’a pas été autorisée aux villes, communes et agglomérations. Je continuerai à me battre, ce qui implique d’affronter le Medef qui y est opposé à l’échelle nationale. Il a tant pesé sur les débats qu’il a réussi à inquiéter de grands élus comme Xavier Bertrand, dans les Hauts-de-France, sur l’application du taux fixé à 0,15 % des salaires – sur lequel les régions et les agglomérations avaient pourtant toutes signé un accord plus élevé, à 0,2 %. Un grand rendez-vous sur la mobilité organisé d’ici l’été sera l’occasion de faire le point.

Il faut développer les transports en commun : c’est une solution écologique qui évite l’asphyxie des agglomérations – à l’instar des très complexes ZFE, qui, je le reconnais, pénalisent souvent les plus modestes. En outre, la création de transports – tramways ou bus en site propre – génère de l’emploi et est soutenue par la Fédération française du bâtiment et la Fédération nationale des travaux publics. Au niveau national, le Medef s’oppose au versement mobilité sous prétexte qu’une telle taxe coulerait les entreprises, comme son président M. Martin en a averti tous les présidents de région. Pourtant, certaines entreprises locales la demandent. J’ai écrit au président de la République pour lui demander l’autorisation d’organiser des référendums auprès des entrepreneurs locaux, qui sont rarement au Medef. Ce sont les chambres consulaires et les entreprises locales qu’il faut consulter. Certains entrepreneurs, parfois dans de grandes entreprises, souhaitent que leurs salariés puissent venir travailler avec des moyens de transports écologiques – tramways, bus en site propre et trains. C’est notre responsabilité et je n’arrive pas à comprendre pourquoi les parlementaires ne se battent pas aux côtés des collectivités pour développer les offres de transports attendues par ces entreprises au niveau local. Je ne pense pas qu’elles en mourraient. À Dijon par exemple, l’entreprise Urgo souhaite qu’un tramway permette à ses salariés de venir travailler sans prendre leur voiture. Et si certains veulent venir à vélo, nous ferons des pistes cyclables, même si l’intervention de l’État n’est pas nécessaire en la matière.

Enfin, le rapport de la Cour des comptes prouve que les collectivités sont relativement à l’aise financièrement, mises à part celles de milieu rural qui se sentent à juste titre abandonnées. Certaines se vantent même de n’avoir aucun emprunt. Ne pas en avoir est un critère de bonne gestion si on n’a pas de projet, mais cela est rare pour une collectivité. Or certains projets comme les transports nécessitent des emprunts, qui s’amortissent dans la durée. Je réaffirme avec force que nos collectivités sont encore capables d’agir – plutôt que de se plaindre.

Au sujet des contournements routiers, lorsqu’on dispose d’une étude environnementale établissant des critères qui sont respectés, il n’y a aucune raison que la justice administrative annule ces procédures validées au niveau environnemental. Même la construction de logements nécessite une étude faune/flore dite « quatre saisons », qui oblige d’attendre un an, comme le Parlement en a décidé. En Allemagne, ce type d’étude prend quatre mois. Pourquoi ne pas faire des efforts ensemble pour simplifier les choses ? On se plaint ensuite de ne pas avoir assez de logements. Ne m’en voulez pas de le dire comme cela. Je connais comme vous les problèmes que nous rencontrons et, ensemble, nous trouverons des solutions.

Mme la présidente Sandrine Le Feur. Merci, monsieur le ministre, pour cet échange riche et sincère avec les députés de la commission. Nous avons donc de nombreux sujets à travailler ensemble : l’adaptation climatique des territoires et le maintien de l’objectif ZAN ; le travail fiscal avec les collectivités territoriales, maillon essentiel de la transition écologique tant sur le plan du financement que de la mise en œuvre ; le renforcement des prérogatives des préfets et la possibilité de leur confier un pouvoir de dérogation selon les particularités des territoires. Vous avez également évoqué les questions de mobilité et de logement qui font partie intégrante de l’aménagement du territoire.

Enfin, nous souhaitons être associés aux assises de Roquelaure sur l’assurance, dans la mesure où nous consacrerons un cycle d’auditions à ce sujet courant mars. Nous sommes à votre disposition sur ces différents sujets.

 

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Membres présents ou excusés

 

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

 

Réunion du mercredi 5 mars 2025 à 17 heures

 

Présents. - M. Fabrice Barusseau, M. Nicolas Bonnet, Mme Danielle Brulebois, M. Sylvain Carrière, M. Jean-Victor Castor, M. François-Xavier Ceccoli, M. Bérenger Cernon, M. Mickaël Cosson, M. Vincent Descoeur, M. Denis Fégné, Mme Sylvie Ferrer, Mme Olga Givernet, M. Sébastien Humbert, Mme Sandrine Le Feur, Mme Claire Lejeune, M. David Magnier, M. Matthieu Marchio, M. Pascal Markowsky, Mme Julie Ozenne, M. Jimmy Pahun, Mme Constance de Pélichy, Mme Marie Pochon, M. Xavier Roseren, M. Fabrice Roussel

 

Excusés. - M. Gabriel Amard, Mme Manon Bouquin, M. Jean-Michel Brard, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Clémence Guetté, Mme Sandrine Josso, M. Éric Michoux, M. Marcellin Nadeau, M. Philippe Naillet, Mme Christelle Petex, M. Loïc Prud'homme, M. Olivier Serva, M. Jean-Pierre Taite

 

Assistait également à la réunion. - M. Hubert Ott