Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Suite de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (n° 325) (M. Yannick Neuder, rapporteur général ; M. Guillaume Florquin, M. Louis Boyard, Mme Sandrine Rousseau et M. Jean-Carles Grelier, rapporteurs)              2

– Présences en réunion.................................28

 

 

 

 

 


Lundi
21 octobre 2024

Séance de 21 heures 15

Compte rendu n° 7

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à vingt-et-une heures quinze.

(Présidence de M Frédéric Valletoux, président)

La commission poursuit l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (n° 325) (M. Yannick Neuder, rapporteur général ; M. Guillaume Florquin, M. Louis Boyard, Mme Sandrine Rousseau et M. Jean-Carles Grelier, rapporteurs)

M. le président Frédéric Valletoux. Nous poursuivons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025. Nous avons déjà examiné 61 amendements et, après communication par le président de la commission des finances de ses derniers avis, je peux vous indiquer qu’il nous en reste à peu près 750 en débat.

 

Article 4 : Pérennisation du dispositif d’exonération de cotisations patronales lié à l’emploi des travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi et relèvement du plafond d’exonération totale de 1,20 Smic à 1,25 Smic

Amendement de suppression AS866 de Mme Zahia Hamdane

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Pourquoi voulons-nous supprimer cet article, qui prévoit la pérennisation du dispositif d’exonération de cotisations patronales pour l’emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TODE) ? Ce dispositif, mis en place pour répondre à la mobilisation des agriculteurs en 2024, n’est pas la solution à la crise profonde que traversent nos agricultures.

Chaque année, la France perd 8 000 agriculteurs ; la moitié de ceux qui restent sera partie à la retraite dans moins de dix ans. Les candidats à la reprise des exploitations existent, mais ils se heurtent à des obstacles insurmontables : rémunérations trop faibles ; difficultés d’accès à la terre ; surcharge administrative étouffante.

Le Gouvernement choisit de prolonger et de renforcer ces exonérations, mais cela pèse lourdement sur le financement de la sécurité sociale et fragilise encore plus un système déjà sous pression. Cette fuite en avant n’offre aucune réponse structurelle à la crise agricole. La solution ne réside pas dans l’exonération qui affaiblit, à terme, la solidarité nationale, mais dans une refonte complète du monde agricole : prix plancher qui assurent un revenu décent aux paysans ; limitation des marges de la grande distribution ; relocalisation des productions et développement des circuits courts ; sortie des traités de libre-échange qui mettent en péril notre agriculture ; sortie progressive des pesticides.

L’État doit cesser de créer des niches fiscales qui appauvrissent les caisses de la sécurité sociale. Il doit accompagner les agriculteurs en soutenant la conversion du secteur par des aides directes et un plan massif de désendettement des exploitations. C’est avec un véritable soutien financier et une réforme en profondeur que nous pourrons sauver notre agriculture, et non en affaiblissant encore davantage notre système de sécurité sociale.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Je suis en complet désaccord avec votre idée de supprimer le dispositif TODE. Il permet de soutenir la compétitivité des exploitations agricoles. Est-ce que cela vous dérange ? Il permet aussi de lutter contre le travail illégal. Y êtes-vous opposés ? Il permet surtout de constituer des droits pour les saisonniers agricoles : quelque 900 000 contrats seraient perdus ou rendus informels si nous le supprimions, soit 150 millions d’heures sans recettes ni protection sociale pour les travailleurs concernés. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (DR). Si nous accédions à la demande de nos collègues insoumis, cela aurait des répercussions sur l’emploi local : les employeurs seraient incités à faire venir des travailleurs détachés pour pouvoir affronter la concurrence déloyale de certains voisins européens. Les agriculteurs, en particulier les arboriculteurs, comme les producteurs de mirabelles de Lorraine, ne pourraient pas être compétitifs sans les travailleurs saisonniers, qui sont souvent des jeunes de leur région. Il serait quand même problématique que les agriculteurs soient incités à les remplacer par de la main-d’œuvre étrangère.

Ce dispositif n’a pas été mis en place en 2024 : il en existe de similaires depuis 1972. Il bénéficie notamment à des étudiants, pour lesquels ces travaux saisonniers sont un moyen de se constituer un pécule pendant les vacances, une première expérience de travail, et aussi une occasion de belles aventures humaines. Il faut donc maintenir et pérenniser ce dispositif TODE, comme promis à nos agriculteurs qui le méritent bien.

M. Hendrik Davi (EcoS). Je n’ai rien contre le fait que nos jeunes aillent travailler dans une exploitation, ce qui est une formidable expérience. Mais pourquoi voulez-vous réduire leur salaire ? Car diminuer les cotisations sociales, c’est diminuer leur salaire différé : vous avez du mal à l’admettre, mais elles permettent de financer les soins, les retraites et autres. En outre, ces exonérations profitent à tous les agriculteurs, alors que les situations sont très variables d’une exploitation à l’autre : 18 % des ménages agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté, mais les 10 % les plus riches disposent de 70 000 euros de revenus annuels. Vous aidez d’ailleurs plutôt ces derniers, qui exploitent beaucoup les travailleurs saisonniers.

Pour que les travailleurs soient bien payés, avec des salaires soumis à cotisations sociales, sans que les employeurs ne recourent au travail informel, il suffit de faire des contrôles. Dans le Vaucluse, des travailleurs détachés marocains vivent dans des situations dramatiques, dans des baraques. C’est en faisant des contrôles que l’on peut éviter cela, pas en pratiquant des exonérations de cotisations sociales.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Ce type de dispositif est révélateur d’une doctrine très rigide. Monsieur le rapporteur général, je peux moi aussi jouer à votre jeu des questions. Face à la crise agricole, vous refusez de bloquer les marges de la grande distribution. Voulez‑vous gaver la grande distribution ? Vous refusez de créer des prix plancher. Voulez‑vous paupériser les paysans ? Vous refusez de sortir des traités de libre-échange. Voulez‑vous enrichir les intermédiaires sur les grands marchés ? Vous refusez de reprendre et d’apurer la dette paysanne. Voulez-vous étrangler les agriculteurs ? Vous refusez que le monde paysan ait des retraites dignes, alors que le Parlement avait voté une disposition pour le 1er janvier.

M. Thibault Bazin (DR). Ces mesures viennent de nous !

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Pour une fois que vous aviez réussi à avoir une idée, vous n’avez même pas réussi à la pousser jusqu’à son accomplissement ! Ce n’est pas glorieux. (Exclamations.)

En rythme de croisière, ce dispositif d’exonération de cotisations sociales va coûter 620 millions d’euros par an. Ils seront mis à la charge des assurés sociaux, puisque les manques d’argent de la sécurité sociale se paient par des coupes dans les services.

Vous pourriez soutenir les agriculteurs sans faire payer les assurés en prenant des mesures pour plafonner les prix ou réguler la grande distribution, par exemple. Exonérer ceux qui paient le moins bien – 1,25 Smic – revient à conforter l’idée que l’on sortirait de la crise agricole par le dumping. C’est aussi la philosophie d’autres décisions, comme la récente dérogation autorisant les salariés à travailler jusqu’à 60 heures par semaine dans certains secteurs. J’aime bien les exploitations ; vous aimez bien l’exploitation. Vos belles aventures humaines, elles seraient encore plus belles avec des salaires corrects.

M. Philippe Vigier (Dem). Nous allons bien sûr voter contre cet amendement. Comme l’a dit Thibault Bazin, de telles mesures existent depuis plus de cinquante ans. Dans ma région, ce sont les semenciers qui ont beaucoup recours aux travailleurs occasionnels, étudiants ou salariés de nationalité étrangère – public auquel vous êtes habituellement sensibles. Si vous supprimez les exonérations, je ne pense pas que l’immigration sera réussie et que l’intégration sera au rendez-vous. Dans votre exposé des motifs, vous évoquez la faible rémunération des agriculteurs et leur difficulté d’accès à la terre. Or la faible rémunération vient d’un déficit de compétitivité. Rappelons qu’il y a quatre ans, l’Allemagne n’avait toujours pas de Smic agricole et que le salaire horaire moyen était de 6,50 euros. Cela incite à réfléchir.

M. Michel Lauzzana (EPR). Dans le Lot-et-Garonne, où l’on cultive soixante-treize produits différents, la prolongation du dispositif TODE est vraiment attendue. Certains propos m’ont choqué. Je tiens à dire que la plupart des agriculteurs ne maltraitent pas leurs employés et qu’au contraire, ils sont obligés de les fidéliser pour les faire revenir d’une année sur l’autre, depuis le Maroc par exemple. Ils les logent bien et leur donnent des avantages très intéressants. Le revenu des agriculteurs est fortement dépendant du dispositif TODE et sa suppression entraînerait de nombreuses faillites dans les petites exploitations familiales.

Mme Stéphanie Rist (EPR). À M. Clouet, qui nous parle de doctrine, je dirai que cet amendement relève de l’idéologie anti-exonération. Depuis plus de cinquante ans, ces exonérations ont été évaluées et ont fait la preuve de leur efficacité dans des circonscriptions comme a mienne où il y a des arboriculteurs et des maraîchers – chez moi, c’est plutôt la cerise de l’Orléanais. Les petits producteurs locaux de ma circonscription, qui alimentent notamment les cantines scolaires, feraient face à de grosses difficultés si l’on supprimait ce dispositif.

M. Yannick Monnet (GDR). Notre groupe a toujours soutenu la prolongation du dispositif TODE, mais je pense qu’il ne faut pas tomber dans la caricature. Tout d’abord, le problème n’est pas tant le manque de compétitivité des exploitations que la faiblesse de la rémunération des agriculteurs. S’ils étaient correctement rémunérés, ils n’auraient pas besoin d’aides à l’embauche – et ils ne rencontreraient pas non plus des difficultés en matière de transmission et d’investissements. Ensuite, les exonérations ne régleront pas le problème de la pénurie de main-d’œuvre dans le monde agricole, qui est réel, pas plus que celui des conditions de travail des saisonniers – sujet sur lequel André Chassaigne a déposé une proposition de loi.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS868 de M. Hadrien Clouet

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). L’amendement vise à conditionner les aides apportées au secteur agricole par des critères sociaux, en vue de supprimer progressivement le dispositif TODE. Non seulement cette exonération grève le financement de la sécurité sociale, mais elle entretient les trappes à bas salaires alors que, dans le même temps, le Gouvernement multiplie les dérogations au droit du travail sans apporter de réponse réelle à la crise agricole sans précédent à laquelle nous sommes confrontés. Nous ne cesserons de vous répéter que les exonérations ne sont pas la réponse à cette crise, et qu’il faut trouver d’autres solutions : rémunération digne des paysans, mise en place de prix plancher, limitation des marges de la grande distribution, relocalisation de la production, et sortie des traités de libre-échange, alors que la France semble impuissante à bloquer l’avancée des négociations sur le Mercosur au niveau européen.

M. le rapporteur général. Madame Leboucher, vous avez défendu l’amendement AS870, qui viendra tout à l’heure. Je vais vous répondre sur le AS868, semblable, mais qui prévoit une sortie du dispositif en sifflet. Pour ne pas énerver M. Clouet, je ne vais pas vous demander une nouvelle fois si les mérites de ce dispositif vous dérangent, mais je répète que ces exonérations améliorent la compétitivité de nos agriculteurs. Nous en connaissons tous des exemples, dans l’arboriculture ou la production de noix ou de pommes. Ce dispositif permet au salarié de sortir du travail illégal, dont chacun connaît l’importance dans ces métiers, et de se constituer des droits. Il ne représente en rien une perte de droits, monsieur Davi, bien au contraire : sans lui, certains salariés ne seraient pas embauchés ou le seraient au noir. En outre, il n’y a pas de perte pour la sécurité sociale puisque la mesure est totalement compensée par l’État, pour un montant évalué à 612 millions d’euros pour 2025.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques AS745 de M. Didier Le Gac et AS1219 de M. Thibault Bazin

M. Didier Le Gac (EPR). Il faut bien sûr pérenniser le dispositif TODE, et ces amendements visent à faire en sorte que ses effets ne soient pas amoindris par la réforme de la réduction générale des cotisations et contributions prévue à l’article 6. Le débat idéologique sur la suppression de cotisations peut s’entendre dans le cas d’entrepreneurs qui obéissent aux mêmes règles, tels que des artisans implantés à 10 ou 15 kilomètres de leurs concurrents. Nos agriculteurs, eux, affrontent une concurrence allemande, portugaise, espagnole, voire marocaine, qui bénéficie d’un coût du travail beaucoup moins élevé. Sans ces exonérations, monsieur Davi, il n’y aura pas d’agriculteurs ni de salariés agricoles, donc pas de soins ni de retraites.

M. Thibault Bazin (DR). Les agriculteurs qui se sont mobilisés en début d’année, notamment ceux qui ont recours au travail saisonnier comme les arboriculteurs, attendent la pérennisation du dispositif TODE. Il faut cependant analyser l’article 4 en lien avec l’article 6 sur la réforme des allégements généraux de cotisations patronales, qui réduit le taux maximal d’exonération au niveau du Smic. L’effet conjugué de ces deux articles va aboutir à une hausse du coût du travail de 39,5 millions d’euros pour les employeurs de saisonniers en CDD dès l’an prochain, et de 80 millions par an à partir de 2026. Il faut absolument corriger le tir, monsieur le rapporteur général.

Les conditions de travail des saisonniers, elles ont énormément progressé. Pour avoir visité des exploitations cet été, je peux vous dire que les conditions de logement et de restauration ne sont plus celles d’il y a quarante ou cinquante ans. Comme Yannick Monnet, je pense qu’il faudrait que ces activités soient mieux valorisées, plus rémunératrices. Cependant, il ne faut pas opposer cet objectif à celui de la compétitivité alors que les exploitations évoluent dans des marchés ouverts. Ces exonérations sont des trappes à bas salaires, dites-vous, mais nous avons aussi innové en permettant à certains demandeurs d’emploi de cumuler les revenus de leur travail saisonnier avec le revenu de solidarité active (RSA), ce dont ils nous remercient. Les conseils départementaux, y compris ceux de votre sensibilité, utilisent d’ailleurs ces mesures, qui vont dans le sens d’une insertion.

Enfin, contrairement à ce qu’affirme M. Clouet, le dispositif TODE ne porte pas préjudice aux autres assurés sociaux car il est compensé par le programme 381 Allègements du coût du travail en agriculture (TODE-AG) du projet de loi de finances.

M. le rapporteur général. Il s’agit d’assurer la cohérence entre les articles 4 et 6. L’exonération du dispositif TODE n’est pas cumulable avec les allégements généraux, sinon les mêmes assiettes seraient réduites deux fois. Les entreprises éligibles au dispositif TODE basculent dans le régime des allégements généraux quand elles dépassent le seuil de 119 jours de contrat saisonnier par salarié ou pour les rémunérations supérieures à 1,6 Smic. Sans une modification comme celle proposée par vos amendements, le niveau maximal d’exonération pourrait donc diminuer.

Afin de maintenir les avantages compétitifs et comparatifs du dispositif TODE par rapport au régime des allégements généraux, je donne un avis favorable à ces amendements.

M. Arthur Delaporte (SOC). Je pense qu’il faut soutenir le Gouvernement, une fois n’est pas coutume, quand il veut réformer les allégements de cotisations sociales comme c’est le cas avec à l’article 6. Nous n’allons évidemment pas renforcer des exonérations qui, contrairement à ce que prétend M. Bazin, ne se traduisent pas forcément par une amélioration des conditions de travail des saisonniers. M. Bazin nous raconte qu’il a pu constater cet été les bonnes conditions d’hébergement de certains d’entre eux, mais des témoignages décrivent des situations déplorables. Rappelons aussi qu’un décret du 9 juillet dernier a suspendu le repos hebdomadaire des salariés agricoles pendant les vendanges, ce qui constitue une remise en cause fondamentale du droit du travail.

M. Hendrik Davi (EcoS). Pour ma part, j’ai été sollicité par des saisonniers marocains qui ont attaqué leur employeur au conseil de prud’hommes parce qu’ils n’ont pas été payés. Les journalistes de France Bleu Vaucluse, qui se sont rendus dans la maison où sont logés ces ouvriers, à l’entrée de la commune, racontent : « Il s’agit d’une villa toujours en chantier, sans eau, ni gaz, ni électricité. Autrement dit, les dix-huit hommes qui y vivent sont privés de lumière, de chauffage, de douche, de toilettes et même de plaques électriques pour se préparer à manger. "Je souffre beaucoup. Nous avons froid, nous ne dormons plus", raconte Driss, 27 ans. »

Des témoignages de ce type, il y en a plein d’autres. Il faut des contrôles pour faire respecter le droit du travail, y compris dans l’agriculture. Vous considérez qu’à force de rogner sur le droit du travail, nous serons plus compétitifs. Or ce raisonnement, que vous avez déjà eu pour d’autres secteurs à l’égard de pays comme la Chine, a montré sa fausseté. Il y aura toujours des endroits, en Espagne ou ailleurs, où l’on abaissera toujours plus le droit du travail et où les denrées seront produites moins cher. Il faut réguler, produire localement et refonder notre agriculture. Cela ne passe pas par la baisse des droits sociaux.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Sur le sujet, il est bon d’écouter les organisations syndicales représentatives – CFTC, CGT, CFE-CGC et FO – qui critiquent le système TODE pour son rôle de trappe à bas salaires et son absence de conditionnalité qui le prive d’effets vertueux. La comparaison faite par Philippe Vigier avec l’Allemagne était un peu tirée par les cheveux, pour deux raisons : le Smic est appliqué depuis six ans dans l’agriculture allemande ; il est fixé à 12,82 euros bruts de l’heure, soit 1,1 Smic français. À secteur égal, les ouvriers agricoles gagnent donc 300 euros de plus par mois en Allemagne qu’en France. Puisque vous nous expliquez que le système allemand fonctionne très bien, vous avez la preuve que l’on peut augmenter les salaires mensuels de 300 euros sans problème.

M. Thibault Bazin (DR). Vous écrivez, dans l’exposé des motifs de l’amendement AS868, que le dispositif TODE est « inefficace ». C’est en totale contradiction avec ce que l’on peut observer sur le terrain, où l’on constate une bascule entre travailleurs détachés et travailleurs locaux. Pire, vous écrivez que le dispositif est « malhonnête ». Qui visez-vous ? Les producteurs français de fruits ? Si des mesures spécifiques ont été prises cet été en matière de durée de travail, c’était pour faire face à une pluviométrie exceptionnelle. Auriez‑vous préféré le gâchis, qu’on ne fasse pas la récolte, qu’on abandonne la production locale ? Même les travailleurs saisonniers étaient demandeurs que le travail puisse s’adapter aux conditions climatiques ! Après avoir été à l’arrêt pendant des semaines, il a fallu y aller à fond pendant quelques jours. Sans cela, on aurait perdu les récoltes. Aurait-il mieux valu importer les mêmes produits d’ailleurs ? Ce n’est pas ce que dit le bon sens paysan, mais j’ai l’impression que vous en manquez.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement AS870 de Mme Élise Leboucher

M. Paul Vannier (LFI-NFP). L’amendement vise à conditionner les exonérations de cotisations sociales par des critères sociaux tels que l’existence d’un logement digne et la protection des salariés lors des canicules. Certains travailleurs agricoles sont en effet plongés dans des situations inadmissibles. On peut penser au vigneron Grégoire de Fournas, qui était encore député il y a quelques semaines et qui abritait – le mot n’est pas adapté – trois ouvriers agricoles sous deux tentes plantées au milieu de ses vignes, sans aucun aménagement. Rappelons aussi que l’été dernier, six vendangeurs sont morts à cause de la canicule, après d’ailleurs que le Gouvernement démissionnaire eut supprimé par décret le repos hebdomadaire des ouvriers agricoles du secteur viticole.

Cet amendement vise à sortir d’une situation où la sécurité sociale est doublement perdante : elle perd des recettes, à travers des exonérations qui atteignent 575 millions d’euros pour l’année 2024 ; elle est contrainte à des dépenses liées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles qui peuvent se développer dans les circonstances qui sont trop souvent celles dans lesquelles vivent les ouvriers agricoles. En actionnant le levier du conditionnement des exonérations, nous pourrions contribuer à l’intérêt général.

M. le rapporteur général. Ne généralisez pas vos propos : les agriculteurs n’ont pas systématiquement de mauvaises intentions à l’égard des saisonniers qu’ils embauchent. Les mauvaises conditions de travail existent et il faut effectuer des contrôles pour les combattre, mais évitons les raccourcis et les amalgames.

Par ailleurs, alors que les agriculteurs se plaignent de l’excès de paperasserie qui les entrave dans l’exercice de leur merveilleux métier, vous proposez d’en ajouter encore. Les entreprises agricoles ne sont pas toutes, loin de là, dimensionnées pour répondre à la surcharge bureaucratique que vous envisagez. Vous en ajoutez aussi une bonne louche à la Mutualité sociale agricole (MSA), dont les agents devraient vérifier 900 000 bons de transports et les preuves que les lits des saisonniers sont aux normes. Il faut faire preuve de pondération en matière de contrôles, si nous voulons qu’ils soient réalisables.

Avis défavorable.

M. Paul Vannier (LFI-NFP). Si, comme vous le dites, les travailleurs agricoles sont accueillis dans des conditions idéales, vous n’avez rien à craindre de notre amendement ! Je ne fais aucun amalgame, mais ne soyons pas naïfs : certaines situations méritent d’être corrigées, et elles pourraient l’être grâce à la mesure que je propose.

Vous parlez de surcharge bureaucratique ; je parle, moi, de logements dignes et de la santé des ouvriers agricoles, lesquels sont indispensables à nombre d’exploitations dont j’ai, comme vous, le souci du bon fonctionnement.

Mme Joëlle Mélin (RN). Il peut arriver, en effet, que les travailleurs saisonniers soient mal traités, mal reçus et qu’ils travaillent dans des conditions difficiles. Je sais, pour les avoir expertisées en tant que médecin dans les Bouches-du-Rhône, que ces souffrances existent. Mais il est inadmissible que vous utilisiez une question aussi grave pour vous attaquer de manière diffamatoire, en son absence, à notre ami de Fournas. Il a déjà porté plainte à ce sujet, et il se chargera sans doute de donner des suites à vos propos. La politique, ce n’est pas cela ! Traitons les sujets graves sans mettre de l’huile sur le feu, en tenant des propos qui relèvent de la diffamation.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). M. de Fournas m’a déjà menacé d’une plainte lorsque j’ai rappelé, dans l’hémicycle, puis en dehors, à sa demande, qu’il avait exploité des travailleuses et des travailleurs détachés en les faisant vivre sous des tentes. Il n’a toujours pas déposé cette plainte, et pour cause : ces faits sont rigoureusement exacts. Au moins avait‑il fait montre d’un souci d’égalité en traitant de manière tout aussi ignoble des Français et des étrangers.

M. le président Frédéric Valletoux. Restons-en aux amendements s’il vous plaît.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AS873 de Mme Zahia Hamdane

M. Louis Boyard (LFI-NFP). On ne saura pas si M. de Fournas a eu recours à une société de prestations de service internationales...

M. le président Frédéric Valletoux. Monsieur Boyard, il peut arriver que nous nous opposions de manière virulente, mais nos débats sont restés, jusqu’à présent, constructifs et sereins. Il serait bon qu’il en soit ainsi tout au long de cette discussion et que l’on n’ait pas le sentiment que ce sont toujours les mêmes qui jettent de l’huile sur le feu.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le fonctionnement des sociétés de prestations de service internationales connaît bien des dérives. Je pense à cet hébergement collectif insalubre qui a été fermé dans la Marne, aux travailleurs qui sont morts dans les vignes ou à ceux qui ont été mis à pied pour s’être insurgés contre leurs conditions de travail. C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, à tout le moins d’exclure ces sociétés du bénéfice du dispositif TODE.

M. le rapporteur général. La prestation de service internationale (PSI) est un contrat par lequel une entreprise établie à l’étranger est engagée afin d’effectuer une prestation pour une entreprise établie en France au moyen de travailleurs qu’elle détache temporairement. Les cas de maltraitances subies par des saisonniers sans contrat que vous avez évoqués ne concernent donc pas, par définition, la PSI. De même, il ne peut pas y avoir d’exonérations au titre des TODE sans contrat : cela exclut évidemment les personnes qui travaillent au noir.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (DR). Cet amendement laisse entendre que tout travailleur saisonnier serait victime de maltraitances. Cette suspicion me gêne. Fort heureusement, ce n’est pas le cas : certains de ces travailleurs saisonniers parlent même d’une véritable aventure humaine ! Certes, des abus, des drames sont possibles, et il faut des contrôles. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas soutenir nos arboriculteurs et tous ceux qui fournissent, et parfois exportent, des productions remarquables.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je n’ai jamais dit que toutes les entreprises étaient concernées. En revanche, je me permets de vous faire remarquer – puisque j’évoquais des sociétés qui emploient souvent de la main-d’œuvre étrangère – que les généralisations, c’est le Gouvernement que vous soutenez qui les fait dès qu’il est question d’immigration.

À aucun moment je n’ai parlé de travail au noir, et les sociétés de prestations de service internationales n’ont rien d’entreprises familiales. De nombreux témoignages attestent que ces sociétés profitent d’une main-d’œuvre étrangère qui, souvent, ne connaît pas ses droits et se trouve dans une situation de précarité telle qu’elle est contrainte d’accepter les conditions qu’on lui impose. Exclure ces sociétés du bénéfice des exonérations liées aux TODE permettrait de mettre un coup de frein à ce système.

Encore une fois, certains travailleurs ont été mis à pied après avoir demandé le respect de leurs droits, d’autres sont morts dans les vignes, et la préfecture de la Marne a fermé un site d’hébergement. Vous ne pouvez pas nous dire circulez, y’a rien à voir, en cachant la société de prestation de service internationale derrière la petite entreprise familiale !

M. Arthur Delaporte (SOC). Il y a un an, six travailleurs sont morts, en l’espace de quatre jours, dans les vignes de la Champagne. Ce n’est pas un simple fait divers : ce drame est structurellement lié aux conditions du travail saisonnier. On ne peut pas balayer cela d’un revers de la main !

Si nous défendons cet amendement, c’est parce que, selon la Confédération paysanne notamment, ce sont plutôt des travailleurs étrangers employés par les prestataires de services internationaux qui sont les moins bien protégés. Nous lançons l’alerte afin qu’il soit mis fin à ce type d’exploitation qui conduit, oui, à des décès, de façon structurelle et non pas épisodique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques AS360 de Mme Lise Magnier et AS777 de M. Vincent Descoeur et amendements identiques AS1577 de M. Yannick Neuder et AS1453 de Mme Hanane Mansouri (discussion commune)

M. François Gernigon (HOR). Nous proposons par l’amendement AS360 d’inclure dans le champ du dispositif TODE les entreprises de travaux agricoles employeurs de main‑d’œuvre auxquelles les exploitants agricoles délèguent des travaux qui entrent dans le cycle de la production animale ou végétale, les travaux d’amélioration foncière agricole, ainsi que les travaux accessoires nécessaires à l’exécution des travaux précédents.

Les entreprises de travaux agricoles réalisant les travaux pour le compte des exploitations bénéficiant du dispositif en profiteraient donc à nouveau elles-mêmes. Cela mettra fin à une rupture d’égalité et contribuera à la compétitivité économique de l’agriculture. Le coût annuel de cette mesure a été évalué à 17,7 millions d’euros.

M. Thibault Bazin (DR). Il s’agit en effet par l’amendement AS777 d’étendre le bénéfice des exonérations de cotisations sociales auxquelles ont droit les agriculteurs employeurs de main-d’œuvre saisonnière aux entreprises de travaux agricoles employeurs de cette même main-d’œuvre. Dès lors qu’ils effectuent les mêmes travaux dans les mêmes conditions, il est logique de les traiter de manière égale. Ce serait aussi une réponse aux problèmes de recrutement et d’attractivité.

M. le rapporteur général. Je propose pour ma part d’étendre le bénéfice de l’exonération aux seules entreprises de travaux forestiers.

Mme Hanane Mansouri (UDR). L’embauche d’un salarié occasionnel permet à l’employeur de bénéficier d’une exonération des cotisations et contributions sociales. Actuellement, cette mesure est limitée aux agriculteurs employeurs de main-d’œuvre. Nous proposons de l’étendre aux entreprises de travaux agricoles qui effectuent, pour le compte des exploitants agricoles, des tâches entrant dans le cycle de production animale ou végétale ainsi que des travaux d’amélioration foncière et des travaux accessoires nécessaires à leur réalisation.

L’extension de cette exonération vise à rétablir l’égalité entre les exploitants agricoles et les entreprises de travaux agricoles, afin de favoriser la compétitivité du secteur agricole. Il s’agit de soutenir l’agriculture locale et l’emploi des jeunes, notamment des étudiants.

M. le rapporteur général. Avis défavorable sur les amendements AS360 et AS777, pour en rester à une extension aux seules entreprises forestières.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur général, parmi les difficultés des sociétés d’exploitation forestière que vous mentionnez, à juste titre, dans votre exposé sommaire – nature unipersonnelle des sociétés, coûts d’investissement trop importants, position de faiblesse vis-à-vis des donneurs d’ordre – aucune ne semble avoir pour solution la mesure que vous proposez. D’autres sujets ne sont pas évoqués, comme le fait que les scieries françaises sont assez largement inadaptées. Sur le site de la Fédération nationale du bois, souvent citée à propos de ces questions, le mot « salaires » ne figure pas dans le moindre communiqué de presse ou rapport ! Le problème auquel vous entendez remédier n’a pas l’air très prégnant dans ce secteur.

M. Thibault Bazin (DR). En Lorraine, en tout cas, se développe le recours, pour effectuer des travaux forestiers, à des entreprises étrangères dont la main-d’œuvre est employée dans des conditions peu satisfaisantes. Or il est important d’aider les entreprises de ce secteur, non seulement pour préserver leur compétitivité, mais aussi parce qu’elles interviennent pour traiter les zones qui, en raison du réchauffement climatique, sont victimes de la sécheresse ou du scolyte et réclament une attention particulière. Assurer l’équité en matière de droit social serait bénéfique pour les deux aspects.

La commission rejette les amendements AS360 et AS777.

Puis elle adopte les amendements AS1577 et AS1453.

 

Amendements identiques AS114 de M. Dominique Potier, AS149 de M. Didier Le Gac et AS571 de M. Emmanuel Mandon

M. Arthur Delaporte (SOC). Nous proposons par l’amendement AS114 d’étendre aux coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) le bénéfice de l’exonération liée au dispositif TODE. Il convient en effet de soutenir ces coopératives qui permettent à des agriculteurs de se procurer du matériel et de créer des emplois en temps partagé qu’ils n’auraient pas eu les moyens de financer seuls.

M. Didier Le Gac (EPR). Le dispositif doit effectivement être étendu aux Cuma, qui permettent aux agriculteurs de mutualiser l’achat de matériels ou de mettre en commun certains salariés.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Les Cuma jouent en effet un rôle important dans notre agriculture. Élu d’un département de montagne, je soutiens les exploitations familiales, qui ont besoin d’une telle mutualisation. En étendant le bénéfice du TODE à ces coopératives, nous soutiendrions l’emploi partagé dans le secteur agricole.

M. le rapporteur général. Il convient de dissiper une légère incompréhension. Les Cuma ne sont pas elles-mêmes les employeurs de ces salariés. Ce sont leurs adhérents qui le sont et ils bénéficient évidemment du TODE lorsqu’ils recourent à des saisonniers.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Thibault Bazin (DR). Même si elle est tardive, je me réjouis, monsieur Delaporte, de la conversion des socialistes au TODE ! De fait, nous ne pouvons que soutenir les Cuma, qui sont un outil d’autant plus précieux que la technique ne cesse de se développer, en particulier dans l’arboriculture.

M. François Gernigon (HOR). Monsieur le rapporteur général, il arrive que les Cuma emploient un chauffeur de moissonneuse-batteuse, par exemple, pour qu’il travaille dans différentes exploitations. Je suis, pour ma part, tout à fait favorable à l’extension du TODE aux Cuma et je regrette que les entreprises de travaux agricoles, qui exercent la même fonction, ne bénéficient pas de ce dispositif.

M. Arthur Delaporte (SOC). Notre amendement a été élaboré avec la Fédération nationale des Cuma ; il répond donc bien à un besoin. De fait, chaque année, les Cuma emploient directement 250 à 300 travailleurs saisonniers.

Monsieur Bazin, je précise que nos interventions précédentes avaient pour objectif de défendre le principe d’égalité et les droits des travailleurs. C’est encore le cas, en l’espèce : il n’est pas normal qu’un travailleur saisonnier ne puisse pas être embauché aux mêmes conditions par une Cuma et par un exploitant individuel.

M. Didier Le Gac (EPR). Si une garde partie des Cuma ne mettent que du matériel à la disposition de leurs adhérents, il arrive qu’elles recrutent du personnel, notamment pour éviter à un salarié de cumuler plusieurs contrats à temps partiel sur différentes exploitations. Sous toutes réserves, la mesure proposée ne concernerait, selon la Fédération des Cuma, que 250 à 300 travailleurs saisonniers chaque année, soit environ 1 000 contrats, un travailleur saisonnier pouvant signer plusieurs contrats courts. Son coût annuel pour l’État serait tout à fait raisonnable puisqu’il ne dépasserait pas 520 000 euros.

M. Nicolas Turquois (Dem). Il s’agit d’amendements de bon sens. Parmi les défis que l’agriculture doit relever figure celui des coûts de la mécanisation. Il convient donc de développer les modèles qui favorisent le partage de matériels, en particulier les Cuma. Par ailleurs, il arrive que ces coopératives emploient non seulement des salariés à l’année pour la conduite de matériels spécifiques, mais aussi des saisonniers, en particulier dans les régions arboricoles. Il est logique de les mettre sur un pied d’égalité avec les exploitants individuels.

M. Michel Lauzzana (EPR). Je suis très partagé, car d’autres systèmes se développent pour mettre du personnel à disposition des exploitants, notamment les groupements d’employeurs. Le TODE doit, me semble-t-il, être réservé aux agriculteurs individuels. Par ailleurs, les Cuma, dont l’activité se concentre sur des problèmes mécaniques, emploient peu de salariés saisonniers. Il serait donc peut-être excessif d’ajouter le TODE aux avantages dont elles bénéficient déjà par ailleurs – et qui sont justifiés, au demeurant.

M. le rapporteur général. Je partage la position de M. Lauzzana. En effet, les Cuma bénéficient déjà de divers dispositifs tels que l’exonération sous certaines conditions de l’impôt sur les sociétés, une aide spéciale du ministère de l’agriculture pour les investissements – à hauteur d’environ 1,5 million d’euros – et l’exonération de droits de timbre et d’enregistrement.

J’entends les arguments de MM. Le Gac et Turquois en faveur de l’égalité entre agriculteurs indépendants et Cuma, mais rappelons quelques chiffres : ces dernières seraient au nombre d’environ 11 000, et le dispositif proposé concernerait 250 à 300 salariés. À ce propos, je n’ai pas voulu dire tout à l’heure que les Cuma n’avaient pas de salariés, mais que ceux-ci ne sont pas éligibles au TODE, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas des travailleurs occasionnels. Ainsi, 86 % des salariés de ces coopératives occupent des emplois permanents, qui sont généralement rémunérés à hauteur de 1,2 à 1,25 Smic. Bref, la cible de la mesure proposée est donc très petite.

Enfin, le TODE vise à favoriser la production alors que les Cuma ont pour objet principal le partage d’investissements.

Toutefois, compte tenu de nos discussions, je vais donner en définitive un avis favorable à ces amendements qui permettront de mettre les agriculteurs et les Cuma sur un pied d’égalité et d’envoyer un signal positif au secteur agricole qui traverse une période difficile.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement AS869 de M. Damien Maudet

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). La pérennisation du dispositif TODE, qui a été annoncée à la suite de la mobilisation massive des agriculteurs au début de l’année 2024, ne permettra pas à ces derniers de vivre dignement de leur travail. Or la situation est dramatique : chaque jour, un agriculteur se suicide, faute de percevoir le sens de son activité ou de pouvoir en tirer un revenu décent. La loi Egalim du 30 octobre 2018 est un échec, et le Gouvernement aggrave encore la situation en signant des accords de libre-échange.

La solution qu’il propose consiste à porter le plafond d’exonération des cotisations patronales applicables pour l’emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi de 1,20 Smic à 1,25 Smic, et à pérenniser ce dispositif. Nous sommes opposés à ces deux mesures mais, par cet amendement de repli, nous proposons de renoncer à tout le moins à la pérennisation du TODE, qui pèse durablement sur les finances de la sécurité sociale.

M. le rapporteur général. Le dispositif a été borné, « déborné » puis « reborné » ; en somme, vous proposez de le « redéborner » ! Or les agriculteurs ont besoin de lisibilité. Du reste, les amendements précédents ont été votés quasiment à l’unanimité. Ne revenons pas sur le TODE, qui a pour avantage de favoriser la compétitivité des agriculteurs et de limiter le travail au noir, donc d’améliorer les cotisations des salariés occasionnels.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AS518 de M. Yannick Monnet

M. Yannick Monnet (GDR). L’annexe 9 du PLFSS indique que « les dispositifs d’exonération ne conduisent pas à obérer les droits sociaux des personnes bénéficiaires ». On ne saurait mieux dire. C’est pourquoi, sur la base de la proposition de loi déposée par André Chassaigne et Marcellin Nadeau visant à garantir aux travailleurs saisonniers agricoles des conditions de travail et d’accueil dignes, nous demandons un rapport sur les évolutions du travail saisonnier agricole. Il est urgent de connaître avec précision les dynamiques à l’œuvre et les spécificités du salariat saisonnier agricole. Ce rapport devra présenter une analyse statistique détaillée de l’ensemble des formes de travail saisonnier agricole, secteur par secteur, en portant une attention particulière au développement de la sous-traitance. Il devra analyser l’ensemble des contournements du droit du travail relevés ou sanctionnés ces dernières années, et fournir une évaluation de l’ampleur de ces pratiques. Il devra enfin formuler des recommandations en faveur d’une amélioration concrète des droits et statuts de ces salariés, surtout en matière de santé au travail et de développement d’une culture de la prévention.

M. le rapporteur général. Vous avez oublié de le dire, mais vous avez prévu qu’un volet de ce rapport soit spécifiquement consacré aux effets du TODE dans les territoires ultramarins.

Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

 

Article 5 : Cumul de l’exonération applicable aux jeunes agriculteurs et des taux réduits de droit commun des cotisations maladie et famille

 

Amendement AS313 de M. Sébastien Peytavie

M. Sébastien Peytavie (EcoS). Les jeunes agriculteurs doivent choisir entre le bénéfice du dispositif d’exonération de cotisations à l’assurance maladie des exploitants, qui leur est réservé, ou du taux dégressif lié aux revenus de l’activité. L’installation étant une période de défis économiques difficiles, l’article 5 les autorise à cumuler ces deux dispositifs.

Le dispositif destiné aux jeunes agriculteurs est toutefois réservé aux personnes de moins de 40 ans, ce qui constitue un critère dépassé : un tiers des agriculteurs nouvellement installés sont plus âgés. La Cour des comptes relève que les agriculteurs de plus de 40 ans ne peuvent prétendre qu’à 9 % des aides publiques à l’installation. Le présent amendement vise donc à supprimer la limite d’âge du dispositif, comme le demande la Confédération paysanne.

Nous soulignons toutefois qu’à long terme, les exonérations sociales ne permettent pas d’assurer la bonne protection sociale des agriculteurs : de telles mesures ne sont qu’un pansement posé sur les plaies dues à la crise de la rémunération d’un système agroalimentaire à bout de souffle.

M. le rapporteur général. Avis défavorable.

Le bornage à 40 ans vise à accélérer la transmission des exploitations agricoles, afin de favoriser le renouvellement des générations. Le périmètre a déjà été élargi au début des années 2000 : la mesure, qui était réservée aux jeunes agriculteurs âgés de 21 à 35 ans, s’applique désormais de 18 à 40 ans. J’ajoute que des dérogations existent, notamment en fonction du nombre d’enfants du demandeur, et que le pouvoir réglementaire peut en ajouter. Les autorités de gestion des fonds européens de la politique régionale disposent également de motifs de dérogation.

Par ailleurs, tout nouvel exploitant agricole peut bénéficier de l’aide à la création ou à la reprise d’une entreprise. Enfin, l’adoption de votre amendement entraînerait une perte de recettes supplémentaires pour le régime des non-salariés agricoles.

M. Yannick Monnet (GDR). La transmission des exploitations pose de vraies difficultés et, parfois, s’effectue tardivement. Cette mesure favoriserait le renouvellement. Il n’y a pas d’âge à privilégier. Il arrive que des reconversions professionnelles conduisent à conquérir des exploitations sans miser sur un agrandissement de celles qui existent.

M. Nicolas Turquois (Dem). La transmission se fait de parent à enfant, mais il arrive aussi que des personnes autour de 40 ans, qui ont déjà vécu une carrière professionnelle, ressentent le besoin de revenir à la terre. Le rapport à l’installation a changé. Peut-être ne faut‑il pas supprimer le plafond mais le rehausser, à 45 ans par exemple. En tout cas, la mesure favoriserait le renouvellement des générations et satisferait un besoin : la chambre d’agriculture me signale souvent des dossiers en difficulté en raison de la limite d’âge.

M. Philippe Vigier (Dem). Il faudra renouveler un tiers des agriculteurs dans les dix prochaines années. Nous devons nous donner tous les moyens pour y arriver. Il faut abolir cette limite d’âge théorique alors que, de façon générale, c’est un parcours du combattant qui attend les demandeurs de la dotation jeunes agriculteurs.

M. le rapporteur général. J’entends vos arguments. Cependant, monsieur Peytavie, vous ne proposez pas de nouvelle limite d’âge. Or on n’est pas jeune agriculteur toute sa vie. Je vous propose de retirer votre amendement et d’en déposer une nouvelle version, à laquelle nous pourrons travailler ensemble, pour l’examen en séance.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). Il s’agit d’une aide à l’installation, qui est octroyée pendant cinq ans : peu importe l’âge du bénéficiaire. L’essentiel est de favoriser le renouvellement.

M. le rapporteur général. Je vous propose de sous-amender l’amendement. En effet, le dispositif ne concernerait plus les jeunes agriculteurs, mais les agriculteurs nouveaux dans la profession.

La réunion est suspendue de vingt-deux heures trente-cinq à vingt-deux heures quarante-cinq.

 

Sous-amendement AS1584 de M. Yannick Neuder

M. le rapporteur général. Je vous soumets un sous-amendement à l’amendement AS313 visant à préciser que les bénéficiaires du dispositif doivent être « nouvellement installés dans la profession ».

M. Sébastien Peytavie (EcoS). En moyenne, les agriculteurs s’installent à 36 ans. Le syndicat Jeunes Agriculteurs a d’ailleurs repoussé l’âge d’éligibilité de ses administrateurs de 35 à 38 ans. Bref, un décalage s’est opéré. Je pense que la nouvelle rédaction est juste, merci.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement AS313 sous-amendé.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

 

Amendement AS248 de M. Thibault Bazin

M. Thibault Bazin (DR). Le présent amendement vise à favoriser l’accès à la propriété des salariés. En 2023, on estime que 100 000 salariés primo-accédants ont échoué à obtenir un crédit. Pour les aider, plusieurs entreprises prennent en charge tout ou partie des intérêts du crédit immobilier, pour un coût annuel moyen de 1 727 euros. Le prêt subventionné par l’employeur est considéré comme un avantage en nature qui renforce l’apport personnel, améliorant la capacité d’emprunt tout en respectant les normes définies par le Haut Conseil de stabilité financière. Ce dispositif en complète d’autres : la participation des employeurs à l’effort de construction, le prêt à taux zéro (PTZ), le plan d’épargne entreprise et le plan d’épargne retraite d’entreprise collectif (Pereco). Même lorsque ces plans ont des visées différentes, comme le Pereco, les salariés les mobilisent pour acheter leur résidence principale en recourant au déblocage anticipé.

Il s’agit donc de faire bénéficier les entreprises du gel des cotisations sociales, hors contribution sociale généralisée, contribution pour le remboursement de la dette sociale et forfait social à 20 %, sur les sommes versées pour la prise en charge des intérêts du crédit immobilier d’un salarié primo-accédant. La mesure est limitée et elle aiderait les salariés concernés.

M. le rapporteur général. L’idée est intéressante mais le levier n’est pas le bon. Dans le cadre de l’impôt sur les sociétés, l’État offre déjà une aide fiscale à l’effort des entreprises, qu’il soit direct ou qu’elles passent par Action Logement. De plus, votre amendement prévoit précisément quels prélèvements seraient exclus mais il est flou quant à ceux qui seraient exonérés. J’ajoute que les décisions de la Banque centrale européenne amorcent une nouvelle baisse des taux de crédit et que les particuliers qui peinent à trouver une banque peuvent saisir le Médiateur du crédit. Enfin, les commissaires des finances travaillent à améliorer le PTZ pour l’immobilier neuf.

En attendant, demande de retrait ou avis défavorable.

M. Thibault Bazin (DR). La quotité finançable par un PTZ est plafonnée ; pour le reste, il faut souscrire un prêt avec intérêts. Nous voulons inciter l’employeur à prendre en charge non pas le capital, mais les intérêts. Malgré la diminution des taux directeurs, ceux des crédits sont toujours supérieurs à 3 % contre moins de 1 % il y a trois ans. Une prise en charge de 1 700 euros pourrait solvabiliser certains primo-accédants. Le coût pour les finances publiques serait très limité, bien inférieur à celui du déblocage anticipé des plans d’épargne retraite. Certains opérateurs proposent déjà cette prise en charge. Ce dispositif aurait un fort effet d’entraînement, d’autant plus bénéfique que la question du logement constitue aussi un frein à l’emploi : 20 % des dirigeants des TPE et PME déclarent qu’ils ont du mal à recruter parce que les candidats ne peuvent se loger.

Je comprends que l’amendement doive encore être amélioré. Je le retire donc, monsieur le rapporteur général, en espérant que nous puissions le retravailler ensemble d’ici à l’examen en séance.

L’amendement est retiré.

Amendements AS347 de Mme Valérie Bazin-Malgras et AS130 de M. Pierrick Courbon (discussion commune)

Mme Josiane Corneloup (DR). Les associations, fondations et fonds de dotation sont essentiels pour le lien social mais leur financement repose en partie sur la générosité des particuliers et des entreprises. Or leur modèle économique s’est fragilisé, notamment à cause de la baisse des dons et des subventions, de l’inflation et des difficultés à recruter des bénévoles. Ces structures non lucratives se trouvent donc en difficulté, ce qui les oblige à offrir des salaires moindres : leurs métiers perdent leur attractivité alors qu’ils servent l’intérêt général et répondent à une demande croissante de travailler au sein de structures engagées.

L’amendement AS347 vise à les soutenir en les exonérant de la taxe sur les salaires.

Mme Fanny Dombre Coste (SOC). L’amendement AS130 est défendu.

M. le rapporteur général. Certes, il faut redonner une marge de manœuvre aux structures non lucratives du secteur social et médico-social. Il faudrait proposer un taux unique de 4,25 % pour les hôpitaux publics et les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS).

Je vous propose de retirer ces amendements, et ceux de la discussion commune qui suit, afin de travailler à une rédaction commune pour l’examen en séance publique. Sinon, avis défavorable.

Mme Josiane Corneloup (DR). L’amendement AS348, qui va suivre, vise précisément à supprimer les deux taux majorés pour ne conserver qu’un taux unique de 4,25 %.

M. le rapporteur général. Le champ de l’amendement est trop large : l’allégement bénéficierait aussi aux fondations d’entreprise, qui sont parfois bien dotées. Il faut préciser la rédaction.

M. Stéphane Viry (LIOT). Les fondations d’entreprise peuvent effectivement être dotées de moyens significatifs, voire de patrimoine. Le tissu associatif, lui, se porte moins bien qu’avant, alors qu’il est pourvoyeur d’emplois. Les associations assurent souvent le dernier kilomètre du maillage territorial, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le coût du travail leur pose une difficulté pour embaucher. On ne peut pas continuer comme ça. Par nature, les associations sont supposées être de bonne foi et d’intérêt général. Ce PLFSS gagnerait à alléger le coût du travail, dans un esprit de solidarité nationale. Peut-être faut-il revoir la rédaction pour sécuriser le dispositif mais dans ce cas, monsieur le rapporteur général, je vous demande d’y mettre toute votre ardeur.

M. le rapporteur général. Je m’engage à retravailler la rédaction pour l’examen en séance publique et j’invite les auteurs de tous les amendements concernés à se manifester avant de les redéposer, pour que nous trouvions une solution commune.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements AS348 de Mme Valérie Bazin-Malgras, AS1001 de M. Jean-Claude Raux et AS749 de M. Pierrick Courbon (discussion commune)

Mme Josiane Corneloup (DR). L’amendement AS348 est défendu.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement AS1001 est défendu.

Mme Fanny Dombre Coste (SOC). L’amendement AS130 est défendu.

M. le rapporteur général. Ces amendements doivent être remaniés dans le même mouvement que les précédents, pour redonner des marges aux structures non lucratives qui sont pourvoyeuses d’emplois dans le secteur sanitaire.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement AS832 de Mme Zahia Hamdane

M. Damien Maudet (LFI-NFP). La taxe sur les salaires (TS) pèse injustement sur les hôpitaux : elle leur coûte 4 milliards d’euros chaque année, somme à mettre en regard de leur niveau de déficit. Le présent amendement vise donc à supprimer cette taxe. Cela permettrait aux établissements d’augmenter les salaires et d’attirer des soignants. Nous appelons à trouver d’autres moyens de financement.

M. le rapporteur général. Il n’y a pas de double paiement : les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) gérés par un établissement public sont exonérés de la TVA et paient donc la TS ; par exception, ceux qui sont rattachés aux collectivités territoriales ou gérés par un centre communal d’action sociale paient la TVA mais sont exonérés de la TS.

À cause du manque de clarté du cadre précédemment en vigueur, certains Ehpad ont payé ou éludé le mauvais impôt. Ils peuvent demander aux services fiscaux l’étalement du paiement ou une remise gracieuse. Pour ce faire, une commission de suivi réunit dans chaque département depuis septembre 2023 la direction départementale des finances publiques, l’agence régionale de santé, le conseil départemental et l’Urssaf. Mieux vaut laisser ce travail se dérouler à l’échelle des départements que remettre une pièce dans la machine : si cela n’aboutit pas, nous pourrons y revenir. Comme je le disais il y a un instant, l’adoption d’un taux unique pour les hôpitaux publics et les ESMS constituerait un bon compromis et nous aborderons cette question à propos des amendements que nous devons retravailler pour la séance.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Laurent Panifous (LIOT). Les Ehpad publics autonomes et les hôpitaux, n’étant pas assujettis à la TVA, sont assujettis à la TS. Une décision politique avait exonéré ces établissements de la TS parce que les salaires représentent un coût pour les associations et pour les secteurs public et privé non lucratif, mais le Conseil d’État en a décidé autrement en 2023.

Le coût des salaires pour les établissements publics autonomes et les hôpitaux est plus élevé qu’ailleurs. Or nous avons créé la convergence tarifaire, de sorte que les établissements publics reçoivent la même dotation de soins que les établissements privés, comme ces derniers le demandaient. La situation est injuste : les salaires représentent entre 70 et 80 % des charges des établissements et ils coûtent plus cher dans le public que dans le privé, du fait de la TS : la concurrence est déloyale.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AS1002 de M. Jean-Claude Raux

M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’amendement est défendu.

M. le rapporteur général. Avis défavorable. Le dispositif de l’amendement va à l’encontre de l’intention de son auteur.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AS442 de M. Paul-André Colombani

M. Laurent Panifous (LIOT). La crise climatique et les crises sanitaires frappent le monde agricole. Les éleveurs sont notamment confrontés à la fièvre catarrhale ovine, qui connaît un nouveau stéréotype. Dans de nombreux départements, elle provoque une forte mortalité du bétail ; la production diminue et les éleveurs doivent faire face à des restrictions sanitaires, à des frais vétérinaires liés aux traitements et à la vaccination, aux mesures de confinement, à la restriction des exportations et à la baisse de la fertilité. Les aides de la MSA sont insuffisantes pour compenser le choc. Nous proposons donc une exonération ponctuelle des cotisations sociales pour les éleveurs concernés, sur les revenus de la seule année 2024.

M. le rapporteur général. La fièvre catarrhale ovine a frappé de nombreux départements. Depuis le 9 août, l’État a pris en charge d’une part la visite des établissements suspects – comprenant le recensement des animaux concernés et la prescription des mesures sanitaires – à hauteur de six fois le montant de l’acte médical vétérinaire ; ensuite les prélèvements de sang destinés au diagnostic – même si je sais les difficultés que certains éleveurs ont rencontrées pour obtenir les résultats ; et enfin la fourniture gratuite de 11,7 millions de doses de vaccin. Si vous estimez que c’est insuffisant, les mesures complémentaires relèveraient moins du PLFSS que des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales du projet de loi de finances de fin de gestion.

Avis défavorable.

M. Stéphane Viry (LIOT). La filière de l’élevage ovin est en grande difficulté. La ministre Genevard a d’ailleurs écrit à tous les parlementaires pour leur signifier que l’État entend continuer à apporter des réponses aux agriculteurs, au-delà des décisions déjà opportunément prises.

Vous nous invitez à surseoir et à renoncer à exercer notre compétence en attendant l’examen d’un projet de loi de finances de fin de gestion. Seulement, le texte qui nous est soumis est le PLFSS. Nous proposons une mesure bien bordée, temporaire et conditionnée, puisque l’éleveur devra faire vacciner l’intégralité de son cheptel pour en bénéficier. Je comprends votre réponse, mais je ne peux y souscrire : nous devons prendre nos responsabilités immédiatement. La filière ne peut pas attendre.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je partage pleinement le constat qui est fait quant à la difficulté des filières touchées par la fièvre catarrhale ovine, mis il ne me semble pas qu’une baisse de cotisations sociales soit la meilleure façon de pallier une perte de revenus liée à une maladie animale. L’agriculteur que je suis connaît bien les conséquences de tous les dispositifs d’exonération adoptés au fil du temps : dans le domaine des retraites, notamment, ils se traduisent, vingt ou trente ans après, par de faibles pensions versées aux exploitants, ces derniers ayant trop peu cotisé pour acquérir des droits.

Le soutien à la filière doit passer par l’action du ministère de l’agriculture et par des aides budgétaires, et non par la protection sociale, qui ne présente pas de rapport direct avec les problèmes sanitaires rencontrés dans les élevages. Vous proposez d’apporter un mauvais remède à un problème réel.

Mme Josiane Corneloup (DR). La fièvre catarrhale ovine est une catastrophe qui touche progressivement l’ensemble du territoire national. Elle a de graves conséquences pour les agriculteurs, déjà fortement affectés par des incidents climatiques ou encore, dans ma circonscription de Saône-et-Loire, par les dégâts causés par le loup.

Dans ce contexte, même si j’entends les arguments du rapporteur général, j’estime qu’un signe fort adressé aux éleveurs serait le bienvenu, qu’il prenne la forme d’une exonération de cotisations sociales – celle qui est proposée me semble intéressante dans la mesure où elle est temporaire et limitée – ou d’aides ponctuelles.

M. le rapporteur général. Croyez bien, monsieur Viry, que nous sommes tous conscients de la détresse des éleveurs, qui ont subi de nombreuses pertes – non seulement celles de leurs bêtes, mais aussi les pertes économiques liées aux problèmes de fertilité dont souffriront les animaux après la maladie, et qui affecteront la production d’animaux pour la période de Pâques.

Les conséquences des maladies animales sont traditionnellement prises en charge par le budget du ministère de l’agriculture. Le signe que Mme Corneloup appelle de ses vœux devrait donc plutôt prendre la forme d’une mesure annoncée par la ministre compétente dans un projet de loi de finances de fin de gestion. Je partage d’ailleurs l’avis de M. Turquois : un allégement de cotisations risquerait, à terme, de dégrader l’équilibre général du régime. Mieux vaut une mesure économique pour compenser une perte économique.

Je maintiens donc mon avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement AS615 de Mme Karine Lebon

M. Yannick Monnet (GDR). Le code rural et de la pêche maritime prévoit des exonérations de cotisations pour les exploitations de moins de 40 hectares dans les territoires d’outre-mer. Si l’exploitation grandit, l’exonération est maintenue seulement pour cinq ans, et seulement si l’agrandissement respecte diverses conditions quant à la nature de l’exploitation. L’amendement vise à supprimer ces conditions.

En effet, le droit en vigueur empêche tout simplement les exploitants ultramarins de s’étendre, alors même que l’agrandissement des fermes joue un rôle important dans l’amélioration du revenu agricole dans ces territoires qui sont principalement composés de petites exploitations. Nous voulons permettre aux agriculteurs de s’agrandir dans de bonnes conditions.

M. le rapporteur général. Je suis très sensible au juste traitement des entreprises ultramarines, qui sont soumises à d’importantes difficultés structurelles et conjoncturelles. Vous avez raison de souligner les problèmes auxquels se heurtent les agriculteurs souhaitant augmenter leurs volumes de production.

Il me paraîtrait toutefois plus pertinent d’agir par le biais de mesures de nature réglementaire. Il faut préserver l’exigence de diversification, indispensable pour tirer les revenus des agriculteurs vers le haut. Cette démarche est d’ailleurs largement subventionnée par l’État. Il faut aussi conserver le délai de cinq ans, qui suffit généralement à l’entrepreneur pour trouver un modèle économique solide.

En revanche, je reconnais que certains coefficients de pondération sont trop exigeants. À La Réunion, par exemple, ils ont été fixés à 4 pour la banane, à 8 pour le maraîchage de plein champ, à 10 pour la vanille sur tuteur, les ananas ou les fraises, ou encore à 20 pour le safran ou le gingembre. C’est sur ces multiplicateurs qu’il faut travailler, avec la MSA, la caisse générale de sécurité sociale et les ministères de l’agriculture et des outre-mer, en vue de limiter la consommation d’espace. Ce travail relève strictement du domaine réglementaire.

J’émets donc un avis défavorable, même si je souhaite qu’un travail soit enclenché sur cette question.

Mme Béatrice Bellay (SOC). Puisque vous connaissez bien les territoires d’outre‑mer, je vous invite, lorsque vous parlez de l’un d’entre eux, à ne pas généraliser vos propos à tous les autres – je préfère d’ailleurs, à titre personnel, parler de pays et d’océans, qui ne sauraient être considérés comme un bloc monolithique.

L’exigence de diversification est évidemment liée à la taille du territoire. Le fait de l’imposer à des agriculteurs qui ont déjà des difficultés à s’implanter et de lui subordonner des mesures d’aides alors même que le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité ne s’inscrit pas encore dans cette démarche pose problème. Je souhaite donc participer au travail que vous avez évoqué, afin que les règles s’adaptent à chacun des territoires concernés.

M. Yannick Monnet (GDR). Au-delà de ce travail, j’insiste sur le fait que le modèle économique n’est pas le même selon que l’exploitation s’étend sur 40 hectares ou sur 200. Notre amendement ne vise pas à étendre les exonérations existantes, mais à les maintenir pour les 40 premiers hectares, y compris si l’agriculteur s’agrandit en restant dans la même culture, ce que ne permet pas le droit existant. Il est normal d’encourager la diversification, mais il est parfois plus facile de s’étendre que de se diversifier. Alléger les conditions d’exonération donnerait un peu de souplesse aux exploitants.

M. Elie Califer (SOC). Merci de laisser une porte ouverte, monsieur le rapporteur général, mais la difficulté qu’éprouvent les exploitants ultramarins à sortir de la monoculture est réelle. Chez nous plus qu’ailleurs semble s’exercer une volonté de faire respecter les règlements au-delà de l’intelligible. Le problème soulevé par Karine Lebon n’est pas simplement réglementaire, mais véritablement structurel. Il s’agit de faire en sorte que les exploitants puissent sortir de la monoculture. C’est la raison pour laquelle nous soutenons cet amendement, tout en acceptant volontiers votre offre de collaboration.

M. Philippe Vigier (Dem). Les députés ultramarins qui se sont exprimés ont totalement raison. Prenons l’exemple de la Guyane, où l’État, jusqu’à présent propriétaire de l’ensemble du foncier agricole, en a cédé une partie, dont 250 000 hectares aux collectivités : deux ans et demi ont été nécessaires simplement pour rendre la société d’aménagement foncier et d’établissement rural opérationnelle, si bien que le processus ne fait que commencer.

Alors que le problème de la souveraineté alimentaire et de la vie chère se pose, il ne s’agit pas de créer un nouveau système, mais de maintenir l’exonération déjà existante pour les 40 premiers hectares tout en garantissant une certaine solidité aux exploitations qui parviendraient à s’agrandir. J’appelle donc le rapporteur général à examiner cet amendement avec indulgence. Au-delà des bonnes intentions, nous devons être crédibles dans le soutien que nous apportons aux territoires ultramarins.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je ne me permettrai pas de parler au nom des territoires ultramarins, dont je ne connais pas toutes les spécificités, mais la situation que vous décrivez me fait penser à celle qui prévalait auparavant sur le territoire hexagonal : les agriculteurs étaient soumis à une cotisation forfaitaire en deçà d’une certaine superficie et à un calcul au réel au-delà. Ces seuils ont été transformés pour s’appliquer désormais au chiffre d’affaires réalisé plutôt qu’à la surface pondérée en fonction de la culture, ce qui apporte davantage de souplesse et reflète mieux la réalité des exploitations. Peut-être serait-il possible d’appliquer une solution de ce type aux territoires ultramarins.

Mme Béatrice Bellay (SOC). Nous soutenons cet amendement également en raison des difficultés importantes auxquelles se heurtent les jeunes agriculteurs pour s’installer. Parce qu’ils commencent par exercer sur de petites parcelles et doivent s’acquitter de frais initiaux élevés – les intrants, le matériel –, ils ont besoin de visibilité et ne doivent pas être restreints dans leur développement par les coûts que l’agrandissement pourrait entraîner, notamment dans les exploitations familiales qui ne s’étendent que progressivement.

M. le rapporteur général. Si j’ai donné des exemples s’appliquant plus particulièrement à La Réunion, ce n’est pas parce que je perçois l’outre-mer comme un bloc monolithique, mais parce que l’amendement a été déposé par Mme Lebon. J’ai bien conscience des spécificités que présente chaque territoire.

J’entends bien les difficultés qui entravent les démarches de diversification en outre‑mer. Il est cependant bien inscrit, dans le texte même de l’amendement, que les conditions d’exonération devront être « déterminées par décret ». Je maintiens donc ma proposition : la meilleure façon d’avancer sur cette question étant de prendre des mesures de nature réglementaire, il me semble préférable d’ajouter ce thème au programme du groupe de travail sur l’outre-mer, que j’invite d’ailleurs M. Vigier à rejoindre.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques AS572 de M. Didier Le Gac et AS1225 de M. Thibault Bazin, sous-amendement AS1585 de M. Yannick Neuder

M. Didier Le Gac (EPR). Il s’agit ici de revenir sur un dispositif adopté en LFSS 2024 afin de simplifier le calcul des cotisations sociales des travailleurs indépendants, en créant une assiette unique, et d’améliorer les droits à la retraite des exploitants agricoles.

Dès son adoption, ce dispositif, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2026, a suscité de fortes interrogations et inquiétudes chez les exploitants agricoles, qui les ont exprimées lors de leur mobilisation du printemps dernier. Le texte prévoit en effet un élargissement de l’assiette sociale et ne reconduit pas certains mécanismes fiscaux, comme l’étalement fiscal des subventions d’équipement et des plus-values à court terme, le régime d’exonération des plus-values en cas de transmission de l’exploitation individuelle, ou encore l’étalement de certains produits d’assurance.

Afin de ne pas pénaliser les exploitants et conformément aux engagements du Gouvernement, je propose de corriger ces éléments en rétablissant l’assiette originelle.

M. Thibault Bazin (DR). La modification de l’assiette, très attendue par les agriculteurs et les indépendants, a été introduite par un amendement gouvernemental qui n’était assorti d’aucune étude d’impact. Le ministère devait nous transmettre des simulations permettant d’identifier les gagnants et les perdants de cette réforme et de connaître son articulation avec d’autres dispositifs. Nous avons peiné à les obtenir, mais il est vrai que la question est complexe. Les premières études montrent néanmoins que si certaines spécificités sont maintenues, d’autres ont été supprimées. Il y a donc urgence à corriger le tir, dès le présent PLFSS, avant l’entrée en vigueur des modifications au 1er janvier 2026 – puisque les cotisations sont calculées sur la base de l’assiette de revenus de l’année précédente et même, pour certaines, sur une base triennale.

C’est l’objet de cet amendement, qui devra peut-être encore évoluer au cours de la navette parlementaire, notamment pour prendre en compte les évolutions prévues concernant le calcul des retraites des exploitants agricoles ou la réforme des allègements généraux de cotisations patronales.

M. le rapporteur général. Vous voulez éviter l’élargissement de l’assiette des exploitants agricoles et insistez sur la nécessité d’agir dès maintenant pour éviter son entrée en vigueur au 1er janvier 2026. Il s’agirait d’exclure de l’assiette les plus-values de cession, qui ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu ; les plus-values à court terme, pour lesquelles le paiement de l’impôt sur le revenu est étalé sur trois ans ; les profits résultant d’une indemnité d’assurance vie, dont le paiement est étalé sur cinq ans ; et les subventions publiques octroyées pour la création ou l’acquisition de biens d’équipement, qui peuvent être rapportées aux bénéfices au rythme de leur amortissement.

La rédaction de vos amendements n’étant pas parfaite, je ne pourrai y donner un avis favorable que sous réserve de l’adoption du sous-amendement AS1585. Il vise à supprimer la mention de l’article 238 quindecies du code général des impôts ainsi que les alinéas 6 et 7 des amendements, qui renvoient à des dispositions sans lien avec votre objectif ou à des demandes déjà satisfaites. S’agissant des subventions d’équipement, il paraît en outre plus sûr d’inclure explicitement les non-salariés agricoles en renvoyant à l’article L. 136‑3 du code de la sécurité sociale plutôt qu’à l’article 42 septies du code général des impôts.

La commission rejette successivement le sous-amendement et les amendements.

Amendements identiques AS536 de M. Yannick Monnet et AS789 de M. Hadrien Clouet

M. Yannick Monnet (GDR). Après avoir travaillé dans un esprit transpartisan, il est parfois bon d’en revenir à des clivages politiques traditionnels ! Par cet amendement, nous proposons de régler d’un seul vote le problème de l’hôpital public, en récupérant les 2,47 milliards d’euros perdus du fait de la désocialisation des heures supplémentaires. Au‑delà du manque à gagner important qu’elles entraînent pour les comptes de la sécurité sociale, ces heures supplémentaires désocialisées posent la question du partage du temps de travail et de l’emploi en général. En votant cet amendement, vous pourrez ainsi régler deux sujets en un.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Par l’amendement AS789, nous souhaitons en effet mettre fin à l’exonération de cotisations vieillesse sur les heures supplémentaires, qui coûte chaque année près de 2 milliards d’euros. Alors qu’on nous répète que notre système de protection sociale est en danger, ces exonérations coûtent un pognon de dingue ! La vérité, c’est que les gouvernements Macron successifs ont creusé le déficit qu’ils dénoncent désormais, sans compenser les pertes infligées à la sécurité sociale. Comment justifier qu’on saigne ainsi notre modèle social tout en faisant payer la note aux travailleurs ?

Au lieu d’adopter une politique qui favorise l’emploi et valorise réellement le travail en augmentant les salaires, on se contente d’une solution de court terme. Soyons clairs : ce gouvernement préfère contourner la question de l’augmentation générale des salaires en encourageant le recours aux heures supplémentaires exonérées de cotisations plutôt que d’encourager l’embauche ou de revaloriser le travail. Avec vous, ce n’est pas travailler plus pour gagner plus, mais travailler plus longtemps pour toucher moins de retraite ! Il en résulte une précarisation accrue et une attaque en règle contre les salaires socialisés, qui sont pourtant l’un des socles de la solidarité nationale. Pour les salariés qui bénéficient de ces avantages fiscaux, c’est la double peine : d’une part, ils cotisent moins pour leur retraite ; d’autre part, on leur impose de travailler deux ans de plus.

La réforme des retraites est profondément injuste et injustifiée. Elle est contestée par plus de 90 % des travailleurs et touche surtout les femmes et les plus précaires. Vous l’aviez motivée en invoquant le déficit des caisses de retraite : arrêtez donc de les vider.

M. le rapporteur général. Je ne partage absolument pas votre vision du travail, qui serait soit un gros gâteau à découper, soit une maladie dont il faudrait réduire la durée pour guérir vite. J’estime au contraire qu’il faut encourager les salariés à effectuer des heures supplémentaires pour gagner plus, et surtout accompagner les entreprises pour que ces heures leur coûtent moins cher. C’est par cette création de valeur, et en permettant aux salariés de travailler dans de meilleures conditions, que nous pourrons améliorer notre système social.

Je précise que l’exonération que vous souhaitez supprimer ne concerne que les cotisations vieillesse. Elle a un effet positif sur l’économie, car plus il y a de volume de travail, plus il y a de valeur ajoutée et plus il y a d’embauches. À l’inverse, moins d’heures travaillées, c’est une baisse de la production, une hausse des licenciements et une stagnation des salaires.

Avis défavorable.

M. Hendrik Davi (EcoS). Je soutiens ces amendements ; nous devrions même revenir sur l’ensemble des exonérations, au-delà des cotisations vieillesse.

Contrairement à vous, je ne pense pas que les heures supplémentaires soient une bonne chose, car non seulement elles empêchent de recruter, mais encore elles sont délétères pour les salariés – il n’y a qu’à voir l’épidémie de burn-out qui sévit depuis plusieurs années, sans parler du coût qu’elle a pour la sécurité sociale.

Vous entretenez l’illusion qu’un salarié qui effectue des heures supplémentaires exonérées touche des primes plus élevées. Cela peut effectivement lui paraître plus intéressant sur le moment, mais à terme, cela lui coûtera : ce qu’il ne cotise pas à la sécurité sociale, il devra le payer à une complémentaire santé – rappelons que le Gouvernement a décidé de relever le ticket modérateur, pour un coût de 1 milliard d’euros. Dans ce transfert de charges du public vers le privé, le salarié est perdant.

M. Yannick Monnet (GDR). Je suis attaché à la valeur travail, et peut-être même plus que la droite, puisque je suis partisan du travail rémunéré ; or les cotisations sont du salaire différé. Je ne suis pas opposé aux heures supplémentaires occasionnelles, liées à un pic d’activité, même si je préfère évidemment les embauches. Toutefois, les exonérations amputent une partie du salaire, ce qui est totalement injuste. Nous souhaitons que les gens soient payés, y compris quand ils réalisent des heures supplémentaires.

M. Jérôme Guedj (SOC). La désocialisation des heures supplémentaires depuis 2019 est un vrai scandale, car il s’agit de la seule exonération qui ne soit pas compensée par le budget de l’État. L’obligation pour l’État de compenser intégralement les exonérations de cotisations sociales est pourtant prévue par la loi du 25 juillet 1994 voulue par Simone Veil – remercions-la – et confirmée par la loi organique de 2005.

L’État décide d’exonérer certaines cotisations pour des motifs illusoires – ce serait bon pour l’emploi ou le pouvoir d’achat –, mais il s’exonère lui-même de les compenser. Cela représentera un manque à gagner de 2,673 milliards d’euros pour la sécurité sociale en 2025. Si nous avons un combat à mener, c’est bien celui-là. L’État organise l’appauvrissement de la sécurité sociale, d’où un déficit cumulé de 15 milliards transféré à la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Nous ne partageons pas votre philosophie du travail, chers collègues – cela n’a rien d’étonnant, quand votre famille politique prône le droit à la paresse. L’idée n’est pas nouvelle : dès la fin du XIXe siècle, un ancien anarchiste marxiste, Paul Lafargue, écrivait dans son pamphlet Le Droit à la paresse : « le travail est la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique ». Nous sommes loin de la fierté ouvrière dont le Parti communiste français s’est fait le porte-parole pendant des décennies ; loin des affiches placardées par une certaine gauche communiste, ce « parti de la classe ouvrière, du peuple et de la nation », qui intimaient : « Fabriquons français, retroussons nos manches ! »

Vous voulez rendre 2 milliards d’euros au budget, mais ces 2 milliards, vous les piocherez dans la poche des Français, de ceux qui travaillent, qui produisent et qui créent de la richesse. Nous voterons donc contre ces amendements.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Paul Lafargue n’était pas un anarchiste, monsieur Dussausaye, puisqu’il fut marxiste, membre de la première Internationale, adhérent du Parti ouvrier français et de la SFIO. C’est une question de culture générale – on ne peut pas tout avoir, vous ne l’avez pas.

J’en viens aux amendements. Les heures supplémentaires sont accomplies à la demande de l’employeur au-delà de la durée légale de travail. Vous souhaitez qu’elles soient moins payées, puisque vous les amputez de cotisations qui constituent une partie du salaire et qui, versées à des caisses, permettent de mutualiser les risques et d’exercer du pouvoir collectivement.

L’exonération des cotisations vieillesse a un coût excessif, de près de 2 milliards d’euros par an. Une partie de la droite dira ensuite qu’il manque de l’argent dans les caisses et qu’il faut repousser l’âge de départ à la retraite ! Somme toute, on mettra de l’argent dans la poche gauche du salarié, mais on lui retirera des mois de retraite de la poche droite.

En voulant allonger la durée de travail hebdomadaire, vous allongez en réalité le temps de travail au cours de la vie, puisque vous videz les caisses de l’assurance vieillesse. Vous dissuadez aussi les entreprises d’embaucher pour absorber leur surcroît d’activité. En résumé, vous souhaitez travailler plus ; nous, nous souhaitons travailler tous.

M. Thibault Bazin (DR). L’exonération des heures supplémentaires n’est pas le renoncement à un salaire différé. Elle ne diminue en rien les droits à la retraite.

M. Hendrik Davi (EcoS). Si, puisque ce sont des heures où l’on travaille sans cotiser pour sa retraite !

M. Thibault Bazin (DR). Les heures supplémentaires ouvrent bien des droits à la retraite ! Il est important de le rappeler.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). L’attaque du droit à la paresse est cocasse, venant d’un parti qui revendique la valeur travail mais qui ne sait pas justifier un vrai travail par un vrai agenda... Les emplois fictifs, c’est tout de même du faux travail !

L’exonération est une manière d’encourager les salariés et les employeurs à recourir aux heures supplémentaires, mais elle empêche aussi les entreprises d’embaucher pour faire face aux surcroîts d’activité. C’est une manière de flexibiliser le temps de travail des salariés. La proposition d’Hadrien Clouet est donc pleinement justifiée.

Je rappelle aussi que la diminution du temps de travail est un des leviers de la lutte contre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique. Alors que la France est noyée sous les inondations, vous ne pourrez pas repousser éternellement ce débat. Le travail fait partie des choses que nous devons ralentir dans notre société.

M. le rapporteur général. Nous ne partageons pas votre volonté de ralentir le travail, madame Rousseau. Je pense au contraire qu’on ne sortira la France de son déficit économique que par le travail.

Notre ancienne rapporteure générale, Mme Rist, avait calculé que, pour un salarié au Smic, effectuer quatre heures supplémentaires par semaine – et donc passer à trente‑neuf heures – implique un gain net de plus de 300 euros par an. C’est donc favorable au pouvoir d’achat.

Par ailleurs, vous avez raison, monsieur Guedj, la non-compensation des exonérations par l’État est un vrai problème.

Enfin, vous vous revendiquez du parti du travail, monsieur Dussausaye, mais votre parti a voté contre l’obligation d’effectuer quinze heures d’activité hebdomadaires en contrepartie du RSA. Ce n’est pas la meilleure défense de la valeur travail !

La commission rejette les amendements.

 

La réunion s’achève à zéro heure cinq.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Nicole Le Peih, Mme Élise Leboucher, Mme Katiana Levavasseur, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Paul Vannier, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

Excusés. – Mme Anchya Bamana, Mme Karine Lebon

Assistaient également à la réunion. – M. Belkhir Belhaddad, Mme Sandra Delannoy, M. Emmanuel Mandon