Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Projet de loi de finances pour 2025 (seconde partie) (n° 324) : examen pour avis et vote des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions (Mme Sandrine Runel, rapporteure pour avis)              2

 Informations relatives à la commission......................17

– Présences en réunion.................................18

 

 

 

 

 


Mercredi
30 octobre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 18

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 

 


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La réunion commence à neuf heures trente.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

 

La commission examine, pour avis, les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions (Mme Sandrine Runel, rapporteure pour avis).

Mme Sandrine Runel, rapporteure pour avis. Je commencerai par l’analyse des crédits budgétaires, et de leur évolution dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Ces crédits sont répartis entre la mission Régimes sociaux et de retraite, et d’autre part, le compte d’affectation spéciale Pensions. Ils sont distincts en effet, car la mission et le compte d’affectation spéciale retracent deux réalités différentes.

La mission Régimes sociaux et de retraite regroupe différents régimes spéciaux de retraite et parfois d’invalidité. Antérieure à celle la sécurité sociale, leur création a notamment pu s’expliquer par des conditions d’exercice difficiles et une pénibilité particulièrement élevée ou spécifique. Qu’il s’agisse de régimes spéciaux que le Gouvernement a souhaité maintenir ouverts, tels que le régime spécial des marins ou celui de l’Opéra national de Paris, ou de régimes désormais fermés, tels que ceux de la SNCF ou de la RATP, ces crédits sont des compensations financières versées par l’État à ces régimes très déficitaires, au titre de la solidarité nationale. Dans le cadre du PLF 2025, près de 6 milliards d’euros de crédits de paiement sont ainsi ouverts, en baisse de près de 4 % par rapport à 2024. Comme chaque année, cette évolution s’explique essentiellement par des ressorts démographiques.

Le compte d’affectation spéciale Pensions concerne quant à lui les régimes de retraite et d’invalidité dont l’État a la charge, c’est-à-dire des fonctionnaires civils et militaires et des ouvriers de l’État. Ses crédits s’établissent à plus de 68 milliards d’euros dans le PLF 2025, en légère hausse de plus de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2024.

Qu’il s’agisse de la mission ou du compte d’affectation spéciale, les hypothèses sur lesquelles repose le PLF incluent le décalage annoncé, du 1er janvier au 1er juillet 2025, de la revalorisation des pensions. Comme je l’ai dit en séance en ouverture des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), je ne peux me résoudre à ce que le Gouvernement fasse payer à l’ensemble de nos retraités le coût de leur mauvaise gestion des finances publiques. Ici, au regard des crédits dont nous discutons, le constat est simple : les gouvernements successifs n’ont pas été à la hauteur, et ce sont nos pompiers, policiers ou encore infirmiers et aides-soignants à la retraite qui le paient. Pour cette raison, à l’issue de nos débats, j’émettrai un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission et du compte d’affectation spéciale.

Avant cela, je vous propose de vous faire état des travaux que j’ai conduits dans la partie thématique du rapport. J’ai choisi de traiter de la prise en compte de la pénibilité dans nos régimes de retraite, notamment au sein des professions les plus féminisées. Depuis le début du XXIe siècle, les réformes successives de notre système de retraite ont conduit à reculer l’âge légal de départ à la retraite, et à allonger la durée de cotisation. À ce titre, chacun sait que la réforme conduite en 2023 a été particulièrement injuste, en rehaussant l’âge d’ouverture des droits de 62 à 64 ans et en accélérant le calendrier du relèvement de la durée de cotisation de quarante-deux à quarante-trois annuités.

En toute logique, cette réforme aurait dû rendre la prise en compte de la pénibilité des métiers pour la retraite encore plus nécessaire, en particulier pour les plus lésés, par exemple les femmes. Mais comme le savez, il n’en est rien. Bien au contraire, elle n’a dessiné aucune vision ambitieuse pour prévenir et reconnaître la pénibilité tout au long de la carrière et au moment de la retraite. Certes des améliorations sectorielles ont pu être apportées, mais la réforme de 2023 a contribué dans son ensemble à la moindre prise en compte de la pénibilité à l’œuvre depuis 2017.

Le constat est clair. La pénibilité est inhérente à l’exercice de certains métiers et il est urgent de mieux la prendre en compte pour la retraite. Permettez-moi de partager avec vous quelques constats issus des auditions que j’ai conduites. Premièrement, en 2015, pour les principaux risques recensés, la proportion de travailleurs français exposés à la pénibilité était quasi systématiquement supérieure à celle de nos voisins européens, tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Deuxièmement, au sein du secteur privé, qui emploie la plupart de la population, plus d’un salarié sur deux est exposé à au moins six facteurs de pénibilité.

Troisièmement, le secteur principal d’exposition est l’industrie et les petites entreprises de moins de cinquante salariés, de telle sorte que les hommes sont principalement concernés en valeur absolue. Toutefois, sur le plan relatif, les femmes peuvent être particulièrement touchées dans certaines catégories de métiers. C’est notamment le cas au sein des professions du soin, du social et des services à la personne. À titre d’exemple, la fonction publique hospitalière est particulièrement concernée par le phénomène, compte tenu du taux de féminisation extrêmement élevé. En effet, près de quatre agents sur cinq y sont des femmes. Elles sont dès lors confrontées, plus que dans toutes les fonctions publiques et le secteur privé, à des horaires atypiques, à l’exposition à des risques chimiques et biologiques ou à des contraintes posturales et articulaires.

Or cette pénibilité entraîne des conséquences graves sur la santé des travailleurs. Ainsi, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre les ouvriers et les cadres est de cinq ans chez les hommes et de trois ans chez les femmes. Ensuite, l’institut Gustave Roussy a mis en évidence un risque accru de 26 % de cancer du sein, avant la ménopause, chez les femmes qui travaillent de nuit.

Face à ce constat, comment la pénibilité est-elle prise en compte, aujourd’hui, dans nos régimes de retraite ? Schématiquement, il existe trois cas de figure principaux. Le plus ancien concerne les régimes spéciaux. La pénibilité est ainsi prise en compte au moment de la retraite par un âge dérogatoire de départ. Le deuxième concerne la fonction publique, qui dispose d’un système similaire au travers des catégories actives ou superactives. Certains corps et fonctions relèvent ainsi de l’une ou l’autre catégorie. Comme pour les régimes spéciaux, ces catégories permettent une ouverture des droits anticipée.

À la suite de la réforme des retraites de 2023, elle est de 54 ans pour les superactifs, par exemple les policiers, et de 59 ans pour les actifs, par exemple les aides-soignantes. L’âge de suppression de la décote pour ces catégories est également anticipé, respectivement à 57 et 62 ans. Le troisième cas de figure concerne le secteur privé, pour lequel des dispositifs de prise en compte de la pénibilité ont plus récemment été développés. Contrairement aux régimes spéciaux et à la fonction publique, cette prise en compte ne s’effectue pas à travers des dispositifs collectifs, mais des dispositifs individuels.

Ils sont essentiellement au nombre de deux. Il s’agit d’une part du compte professionnel de prévention (C2P). Il permet aux salariés touchés par des facteurs de risques de cumuler des points. Ces points permettent de financer des formations, des reconversions ou, notamment, d’anticiper le départ à la retraite de deux ans par rapport à l’âge légal. Il s’agit d’autre part de la retraite pour incapacité permanente, entre 10 % et 19 % et supérieure ou égale à 20 %. Ce dispositif permet respectivement un départ à partir de 62 et 60 ans.

L’ensemble de ces dispositifs est salutaire. Pour autant, les auditions et le déplacement que j’ai effectué aux Hospices civils de Lyon ont bien mis en avant, non seulement leur détérioration à l’œuvre depuis 2017, mais également leur inadaptation à nombre d’évolutions du monde du travail actuel.

S’agissant de la détérioration de nos dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite, il existe deux reculs principaux. Le premier concerne le démantèlement du C2P. En effet, vous le savez, quelques mois après les élections de 2017, l’ex-majorité présidentielle a retiré quatre des dix facteurs de pénibilité initialement reconnus au sein du C2P. Ces quatre facteurs sont pourtant largement répandus, en particulier dans certaines professions très féminisées. Il s’agit des manutentions manuelles de charges, des postures pénibles, des vibrations mécaniques et des agents chimiques. En conséquence, le nombre de salariés déclarés exposés a chuté de 25 % et moins de 15 000 personnes ont eu recours à leur C2P depuis dix ans. Cette détérioration n’est en rien compensée par la retraite pour incapacité permanente, laquelle est embryonnaire : elle représentait moins de 4 000 des plus de 800 000 départs à la retraite en 2023.

Le second recul est un double recul incessant : celui des régimes spéciaux, qui se réduisent toujours davantage, et celui des catégories actives ou superactives de la fonction publique, dont le nombre comme l’intérêt diminuent. Prenons l’exemple d’une infirmière. Classée en catégorie sédentaire depuis 2011, elle ne bénéficie plus d’aucune prise en compte de la pénibilité pour la retraite, alors que les manutentions ou le travail de nuit demeurent.

S’agissant de l’inadaptation de ces dispositifs au monde du travail actuel, de nombreux phénomènes ont été pointés au cours des auditions. Par exemple les contrats à durée déterminée (CDD) d’une durée inférieure à un mois n’ouvrent aucun droit au titre du C2P, alors que les déclarations préalables à l’embauche de CDD de moins d’un mois ont augmenté de 165 % entre 2000 et 2017. D’autres phénomènes nouveaux peuvent entraver l’accès à des dispositifs de prise en compte de la pénibilité, comme l’externalisation dans la fonction publique. À titre d’exemple, lorsque le bionettoyage est externalisé à l’hôpital public ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ces femmes ne peuvent ni se prévaloir du bénéfice de la catégorie active, ni du C2P au titre des manutentions.

Enfin, il faut mentionner la charge mentale et émotionnelle. Concernant en premier lieu les métiers fortement féminisés, elle est aujourd’hui exclue de tout dispositif pour la retraite. En d’autres termes, la pénibilité des métiers féminisés reste aujourd’hui encore niée. Je pense d’abord aux métiers du soin ou du champ social qui se caractérisent par un contact direct avec un public, souvent précaire, et une confrontation quotidienne à des situations difficiles. Alors que la France recule dans nombre de champs, certains pays européens eux progressent, y compris en matière de prise en compte de la charge mentale et émotionnelle. C’est notamment le cas de l’Autriche ou de la Finlande.

Face à ces constats, j’explore dans le rapport diverses pistes, que je ne pourrais malheureusement pas longuement développer ici. Il s’agit d’abord de la prévention de la pénibilité tout au long de la vie, laquelle peut passer par une meilleure mobilisation des fonds de prévention de l’usure professionnelle. Il s’agit ensuite de l’amélioration des dispositifs de prise en compte de la pénibilité pour la retraite. Je pense notamment à la réintroduction des quatre facteurs de pénibilité du C2P, tout comme à la prise en compte de la charge mentale et émotionnelle que subissent les femmes. Enfin, une réelle politique de promotion professionnelle est nécessaire afin d’anticiper les évolutions de carrière plutôt que de les subir.

Pour conclure, les constats que j’ai tirés dans ce rapport ne peuvent nous laisser indifférents. Vous l’aurez compris, la prise en compte de la pénibilité n’est pas satisfaisante, ni pendant la carrière, ni pour le départ à la retraite. Ils appellent de notre part une action résolue. La niche parlementaire du groupe La France insoumise, le 28 novembre prochain, représentera à ce titre une opportunité pour nous d’agir, au travers de notre soutien à la proposition de loi visant à reconnaître la pénibilité des métiers féminisés, portée par nos collègues Gabrielle Cathala et Sarah Legrain. Cette action résolue de notre part est nécessaire pour le bien des travailleurs, et particulièrement des travailleuses, et la justice sociale que nous appelons de nos vœux.

M. le président Frédéric Valletoux. Je cède la parole aux orateurs des groupes.

M. Théo Bernhardt (RN). Nous nous penchons aujourd’hui sur les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions pour l’année 2025. Ce segment du projet de loi de finances est crucial, car il incarne notre engagement collectif envers nos aînés et reflète notre responsabilité de garantir une retraite digne à tous les Français qui ont consacré leur vie au travail.

Si les augmentations de 1,33 % des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions et de 18,5 % des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite nous paraissent cohérentes, nous appelons tout de même le Gouvernement, en accord avec les observations de la rapporteure, à ne pas négliger dans les années à venir la problématique de la pénibilité au travail. Cette question est en effet importante, dans la mesure où le rapprochement continu des régimes spéciaux avec le régime général soulève de nombreux risques liés à la pénibilité au travail pour les employés exposés à de nombreux facteurs de risque, du fait de leur profession. Cette question de la pénibilité a de toute manière été globalement occultée par les gouvernements précédents, notamment en ce qui concerne la pénibilité au travail des travailleurs seniors, mais également des femmes.

Mais si ce segment du projet de loi de finances est aussi crucial, c’est avant tout parce qu’il échappe au Gouvernement, digne héritier de la Macronie, véritable chimère dévouée à la destruction de notre modèle social et plus particulièrement à notre système de retraite. Mais tel Bellérophon dans l’Iliade, vous aurez, mes chers collègues, l’opportunité d’abattre Chimère demain, à l’occasion de la niche du Rassemblement National, où notre groupe proposera l’abrogation de la réforme des retraites.

En effet, la véritable réforme des régimes sociaux et de pensions de retraite dont nous parlons dans ce pays est celle que nous proposons, celle du projet social du Rassemblement National. Demain, nous aurons l’opportunité rare et précieuse de corriger une des plus grandes injustices de notre époque, qui a jeté des millions de Français dans la rue. Demain, vous aurez l’occasion de réparer vos erreurs commises lors de l’examen de ce texte en commission, où vous l’avez vidé de sa substance initiale. Demain, vous aurez l’opportunité de cesser vos doubles discours et de joindre vos votes aux paroles que vous clamez depuis des mois. Demain, nous aurons la chance de défendre les intérêts des Français et d’arrêter de jouer à des petits jeux politiques qui n’ont aucun sens pour ceux qui attendent de nous des actions concrètes.

Mes chers collègues macronistes, cessez de soutenir le combat fou d’un homme seul, désavoué à la fois par les Français, mais également à l’intérieur de son propre parti. Quant à vous, chers collègues d’extrême gauche, cessez d’être l’éternelle béquille de ce pompier pyromane, arrêtez de faire barrage et faites sauter les digues. L’histoire jugera sévèrement ceux qui choisiront la politique partisane au détriment du bien commun. Je vous en conjure, mes chers collègues, demain, faites preuve de courage politique pour une fois. Faites preuve d’audace. Rappelez-vous le mandat qui vous a été confié par les Français. N’oubliez pas les promesses que vous avez faites à vos électeurs et votons pour mettre fin à ce coup d’État démocratique qui a sévèrement affaibli notre République et ses institutions. Votons pour mettre fin aux erreurs d’un président déconnecté dont les actions sont uniquement motivées par des logiques comptables et financières. Demain, mes chers collègues, votons pour abroger cette réforme qui ne respecte ni le travail, ni la dignité des Français.

M. Didier Le Gac (EPR). La plupart des régimes spéciaux de retraite préexistaient bien avant la création de la sécurité sociale. Il s’agit généralement des régimes spéciaux au sens de l’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale, qu’il s’agisse des régimes de retraite des agents du cadre permanent de la SNCF et des agents du cadre permanent de la RATP, du régime social des marins, du régime de la Seita, du régime minier, ainsi que plusieurs autres régimes fermés. Pour 2025, le budget total de la mission s’élève à près de 6 milliards d’euros, en hausse de 15,78 % par rapport à 2024.

Cette augmentation s’explique par la prise en charge de certains de ces régimes par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). En effet, l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024 a prévu un nouveau schéma de financement des régimes spéciaux fermés, avec un transfert du rôle d’équilibrage financier de ces régimes de l’État vers le régime général de la sécurité sociale.

La mission comprend trois programmes. Il s’agit d’abord du programme 195, qui regroupe plusieurs régimes de retraite très hétérogènes, notamment le régime minier qui est en voie de fermeture, tout comme celui de la Seita, de l’ORTF ou des régies ferroviaires d’outre‑mer. Y ont été ajoutés, depuis le 1er janvier 2024, les régimes de retraite de la culture, de la Comédie-Française et de l’Opéra national de Paris. Ce programme 195 voit une augmentation massive des crédits en raison de l’intégration des nouveaux besoins de financement compensant les déséquilibres des régimes fermés.

Le programme 197 concerne les régimes de retraite et de sécurité sociale des marins. Il inclut à la fois une branche vieillesse et une branche maladie, qui sont gérées toutes les deux par l’Établissement national des invalides de la marine, qui joue encore aujourd’hui un rôle majeur dans l’accompagnement social des marins. Le régime se caractérise par un très fort déséquilibre démographique, avec un ratio cotisants/pensionnés particulièrement faible.

Enfin, le programme 198 concerne les régimes sociaux et de retraite des transports terrestres. Il couvre deux régimes emblématiques, celui de la SNCF et celui de la RATP. Depuis le 1er janvier 2020, le régime de la SNCF est fermé aux nouveaux entrants, de même que depuis le 1er septembre 2023, le régime de la RATP est lui aussi fermé aux nouveaux embauchés. Évidemment, ces deux régimes représentent de forts enjeux financiers, avec une grande proportion de retraités par rapport au nombre de cotisants. Le déséquilibre sera pris en charge par la Cnav dès 2025.

La baisse des crédits de 4,21 % cette année est due à la fermeture de ces régimes. Le régime de retraite de la SNCF dispose, quant à lui, d’un budget de 3,27 milliards d’euros et celui de la RATP d’un budget de 902,49 millions. Le groupe Ensemble pour la République appelle à voter, bien évidemment, les crédits de cette mission.

Mme la rapporteure. Je ne pensais pas dire cela une fois dans ma vie, mais le Rassemblement National a raison. Les chiffres annoncés par la direction du budget comportent une erreur ; l’augmentation du budget de la mission n’est pas de 15 %, mais de 3,75 %. Le rapport comporte les bons chiffres.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport. Celui-ci montre d’abord que la pénibilité est méconnue, faute d’informations et de données statistiques. Ensuite, la pénibilité est niée en raison d’une une absence de réponse de politiques publiques pour la prendre en charge. Enfin, elle est invisibilisée : même lorsque des politiques publiques sont mises en place, elles manquent leur cible ; elles ne prennent pas en compte l’ensemble des personnes concernées.

Dès lors, le rapport effectue une série d’analyses fondamentales. Je souhaite revenir sur celle qui concerne les régimes pionniers, c’est-à-dire ces régimes mieux-disants que le régime général, qui ont été reconnus par la sécurité sociale en 1945 et qui visaient à inventer de nouvelles formes de reconnaissance de la pénibilité et des qualifications, pour protéger les salariés.

Ce type de régime s’appuie sur l’exemple de la fonction publique, puisqu’ils reconnaissent des services actifs. La reconnaissance d’un temps de travail en pénibilité entraîne ensuite des droits, notamment en matière de départ à la retraite anticipé. Madame la rapporteure, disposez-vous de plus amples information sur la santé au travail ou sur le bien‑être des salariés qui dépendent de ces types de régime ?

Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). Je remercie Mme la rapporteure d’avoir axé la seconde partie de son rapport sur la pénibilité, et plus précisément sur les métiers féminisés. En 2017, malheureusement, quatre critères sur dix – le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, l’exposition aux produits chimiques – ont été supprimés.

Or en 2015, la proportion des travailleurs français exposés à la pénibilité était supérieure à celle de nos voisins européens. Simultanément, les effectifs de l’inspection du travail ont été réduits de 20 %, ce qui affecte l’application rigoureuse du code du travail, notamment dans les métiers à risque dans les secteurs de l’industrie et du BTP.

Par ailleurs, les femmes sont confrontées aujourd’hui à des pénibilités, notamment dans des métiers très féminisés comme les aides à domicile ou les aides ménagères, où la proportion de femmes s’élève à 97 %. Ces dernières sont confrontées à des charges lourdes, des contraintes de posture. Je pense notamment aux infirmières ou sages-femmes, qui ont des horaires de nuit et sont exposées aux produits chimiques. Or la pénibilité réduit l’espérance de vie. C’est la raison pour laquelle il faut réintégrer ces critères dans le calcul du départ à la retraite.

M. Arnaud Simion (SOC). Madame la rapporteure, je vous remercie, au nom du groupe Socialistes et apparentés, pour la qualité de votre avis. Vous l’orientez avec raison sur la non-prise en compte de la pénibilité des métiers pour la retraite. En effet, quel que soit le régime considéré, les dispositifs ont régressé, sans compensation à la hauteur des préjudices subis par les travailleurs et notamment les travailleuses, en particulier dans les métiers du soin ou du champ social. Ces dispositifs sont insuffisamment adaptés aux évolutions économiques et sociales.

Par ailleurs, votre avis révèle que, cette année, la prévision des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions intègre sans aucun scrupule le décalage de janvier à juillet 2025 de la revalorisation des pensions de retraites sur l’inflation, alors que d’ordinaire il n’enregistre que des crédits issus des engagements pris préalablement par l’État.

Ainsi, si dans ce PLF 2025 la mission Régimes sociaux et de retraite voit ses crédits augmenter, cela est essentiellement dû à une mesure technique de périmètre et ne saurait en aucun cas masquer le gel des pensions des retraités des régimes spéciaux. En effet, cette mission voit ses crédits augmenter de 15 %, car à partir de 2025, l’État devra compenser la sécurité sociale de son nouveau rôle d’équilibrage financier des régimes spéciaux fermés, en application de l’article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Concrètement, la mission inscrit le versement par l’État de 1 milliard d’euros à la sécurité sociale pour les régimes de retraite des mines et de la Seita. Le reste des crédits est stable, voire en baisse, puisque le nombre de retraités des régimes éteints décroît. Cette baisse est donc structurelle, puisque les régimes spéciaux ont de moins en moins d’assurés à servir. Cette baisse est aussi conjoncturelle, dans la mesure où ces crédits reposent sur une hypothèse de revalorisation des pensions de vieillesse de 1,8 % au 1er juillet 2025, c’est-à-dire sur le décalage de l’indexation de l’inflation des pensions de retraite. De même, les crédits du compte d’affectation spéciale Pensions évoluent également à la hausse, en raison notamment de la démographie, mais aussi, encore une fois, du gel des pensions jusqu’au 1er juillet 2025.

Le groupe Socialistes et apparentés s’oppose fermement à cette mesure, car il s’agit d’une grave injustice envers nos retraités. En effet, comme pour les retraités du régime général, une telle mesure aura des effets négatifs sur les pensions des fonctionnaires retraités qui, pourtant, ont travaillé durant toute leur carrière au service de l’intérêt général. Dans ces conditions, le groupe Socialistes et apparentés s’oppose aux crédits inscrits dans cette mission Régimes sociaux et de retraite.

Enfin, cher collègue Théo Bernhardt, je vous répondrai, en vous citant Victor Hugo : « La chimère est aux rois, le peuple a l’idéal ».

M. Fabien Di Filippo (DR). Madame la rapporteure, je ne m’attarderai que brièvement sur la question des régimes spéciaux. En effet, la problématique des retraites n’est pas conjoncturelle, mais structurelle.

Lorsque nous regardons les régimes spéciaux à un instant t, la situation semble plutôt sous contrôle. Le régime de la SNCF, largement subventionné, a plutôt tendance à baisser puisque les nouveaux personnels ne l’intègrent plus. Cependant, il nécessite encore une subvention annuelle de 3,3 milliards d’euros. Celui de la RATP, qui mobilise 900 millions, continue d’augmenter. Ces régimes spéciaux, s’ils portent certaines justifications, représentent malgré tout un fardeau important pour les finances publiques. Il faut en avoir conscience.

Je souhaite m’attarder sur le compte d’affectation spéciale, qui est déficitaire pour la troisième année consécutive. Or, l’article 21 de la loi organique relative aux lois de finances précise qu’il doit rester positif en cumulé. En 2021, l’excédent cumulé était encore de 9,5 milliards d’euros, puis de 8,9 milliards en 2022 et 7,8 milliards en 2023. Le prévisionnel pour cette année s’établit à 4,3 milliards. Ces chiffres attestent bien que le décrochage s’accroît. Or l’État est déjà obligé d’envisager une réévaluation de 4 points de la contribution des employeurs publics, ce qui n’est pas neutre et se traduira par la hausse des charges de l’employeur ou une diminution du salaire net des fonctionnaires.

Le régime par répartition est en danger du fait de l’évolution démographique du pays. Lorsque nous parviendrons à 1,5 actif pour un retraité, la situation deviendra insoutenable si nous demeurons dans ce schéma. Cela se traduira soit par une augmentation des taux de cotisation et donc une baisse des rémunérations nettes, soit par une baisse du niveau des pensions de tous les fonctionnaires.

Je sonne donc l’alerte, la pente est déjà en train de s’accroître et nous n’arriverons plus à freiner avant de tomber dans le précipice. J’observe le pas de deux entre le Rassemblement National et La France insoumise, chacun des groupes proposant d’abroger cette réforme des retraites. Cette réforme était une réponse conjoncturelle, sur un ou deux ans, mais non une réponse structurelle à la baisse de notre démographie, ni sur le plan de la natalité – qu’il faut relancer – ni sur le plan de la capitalisation, qui sera le seul moyen pour nos concitoyens de disposer de pensions décentes. Chacun fait les mêmes propositions, mais ne vote pas celle des autres, parce que vous savez très bien que vous n’êtes pas capables d’apporter le financement qui permettrait d’abroger cette réforme.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je remercie Mme la rapporteure pour son rapport, qui démontre vraiment que nos régimes ne s’attaquent pas frontalement à la question de l’inégalité.

Monsieur Di Filippo, vous nous parlez encore une fois de natalité, c’est obsessionnel. Parlons de l’impact de cette natalité sur les carrières hachées des femmes, sur les temps partiels demandés, sur l’incomplétude des cotisations au moment d’arriver à la retraite. Nous nous sommes beaucoup émus dans cette commission du fait que les femmes percevaient des pensions de retraite 50 % inférieures à celle des hommes. Mais il n’y a pas de fatalité, simplement un manque d’adaptation du monde du travail à la maternité.

Surtout, il n’y a pas de partage, ni de la charge mentale, ni du temps domestique entre les hommes et les femmes, qui permettrait de retrouver une égalité. Mais je ne vous entends jamais en parler, ce qui est regrettable. En effet, chaque semaine, les femmes exercent huit heures de travail domestique de plus que les hommes.

Ce rapport pointe une question absolument essentielle : les différences de carrière entre hommes et femmes, et notamment le caractère haché des carrières. Mais il faut également mentionner les différences d’amplitude horaire, notamment dans les services à la personne, dans les activités de soins, mais qui pour autant ne permettent pas d’atteindre le plein emploi. Il s’agit là d’une des pénibilités qui n’est pas encore suffisamment comprise et qui touche particulièrement les femmes et nettement moins les hommes.

Je relève également le transfert de vocabulaire entre pénibilité et usure professionnelle, ce dernier terme étant particulièrement employé depuis deux ans. Ce transfert rhétorique n’est pas neutre en matière de prise en compte de la pénibilité et des effets qui peuvent être induits sur la santé. En effet, l’usure professionnelle renvoie la responsabilité sur le corps des personnes qui supporteraient peu ou mal leur emploi, alors que la pénibilité renvoie la responsabilité à l’employeur et au cadre de l’emploi.

La suppression des critères de pénibilité est une erreur, sur laquelle il ne nous a pas été possible de revenir, dans le cadre du PLFSS. De même, tous les amendements en matière d’égalité femmes-hommes ou de santé mentale ont été considérés comme des cavaliers budgétaires. Pourtant, la souffrance au travail est indéniable et les femmes y sont plus sujettes. Pour finir, je vous renvoie à ce chiffre qui devrait tous et toutes nous effrayer : la France est le premier pays en termes d’accidents du travail et il n’est pas loin du trio de tête en matière de souffrance au travail.

M. Nicolas Turquois (Dem). Je vous remercie pour votre rapport sur un sujet qui m’est cher, celui des retraites. Cependant, permettez-moi à ce stade de trouver votre analyse très orientée. J’avoue également que votre rapport est parsemé de quelques pépites qui ont égayé ma soirée.

Sur la partie consacrée au compte d’affectation spéciale Pensions, à aucun moment je ne lis que l’équilibre apparent de ces comptes n’est permis que par l’existence d’un taux de cotisation exorbitant de l’État par rapport au droit commun : 74 % pour les fonctionnaires civils et 125 % pour les militaires. Il aurait été pertinent de faire apparaître le solde de ces comptes avant ses contributions exceptionnelles, pour montrer pleinement le déséquilibre réel de la situation. Je vous invite d’ailleurs à lire le rapport à ce sujet du haut-commissaire au plan, François Bayrou.

La partie thématique de votre rapport évoque la question de la pénibilité, sujet majeur. Mais je n’y ai pas vu de propositions concrètes pour faire évoluer le système. Vous déclarez sur le sujet de la pénibilité dans votre avant-propos que « la France recule alors que d’autres progressent ». À la page 19, vous illustrez vos propos par une étude datée de 2015 montrant que la proportion de travailleurs français exposés à la pénibilité était « quasiment supérieure » à celle de ses voisins européens tels que l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie.

Je ne peux m’empêcher de citer l’exemple d’avancées que vous citez, en page 30. Vous évoquez l’Autriche qui, depuis 2006, définit la notion de « Schwerarbeit » ou « travail lourd » pour prendre en compte la pénibilité : « Lorsque le travailleur a occupé un emploi répondant aux critères cités pendant au moins dix ans au cours des vingt dernières années, il peut obtenir une pension pour travail lourd à partir de 60 ans, à condition d’avoir cotisé durant quarante-cinq annuités », alors que l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite s’établit en Autriche à 65 ans. Quarante-cinq annuités à 60 ans, cela signifie qu’il a commencé à travailler à 15 ans. Finalement, vous citez comme référence des pays où l’âge légal de départ est supérieur à la France, de même que le nombre d’annuités nécessaires pour un départ à la retraite. Je vous remercie donc pour ces exemples.

Comment pourrait-on faire évoluer la prise en compte de la pénibilité de façon pragmatique ? Je vous rappelle que nous avons porté des amendements lors de la réforme des retraites. Certes insuffisants, ils étaient cependant utiles. Nous avons porté un amendement qui a permis de mieux prendre en compte les périodes de congé maternité dans le calcul de la retraite, et ce, dès le 1er septembre 2023, pour toutes les futures retraitées.

Une autre disposition de la loi a créé une surcote de 5 % par an avant l’âge légal pour les femmes bénéficiant de droits familiaux au titre de la maternité et de l’éducation des enfants. Enfin, pour celles ayant commencé tôt leur carrière, les périodes de congés parentaux sont désormais mieux intégrées aux dispositifs dits de carrière longue.

Nous aurions pu évoquer également la manière de faire diminuer la pénibilité au cours du travail plutôt qu’à avoir à la compenser lors de la retraite. Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre rapport, qui montre en creux que les réformes récemment portées sur la question des retraites étaient mieux-disantes que ce qui se passe chez nos voisins et surtout, nécessaires à la pérennité de notre régime de retraite par répartition.

M. François Gernigon (HOR). Avec la mission Régimes sociaux et de retraite, nous traitons aujourd’hui de régimes spéciaux comme ceux de la SNCF, de la RATP, des marins et des anciens mineurs. Ce sont des régimes anciens, souvent mis en place avant la création de la sécurité sociale et qui demandent encore aujourd’hui des financements publics conséquents. Pour 2025, ils nécessiteront plusieurs milliards d’euros supplémentaires par rapport à l’an dernier.

Cette situation soulève des questions sur l’équité de notre système et sa lisibilité, alors que ces régimes spéciaux continuent d’exister au sein d’un paysage complexe pour les Français. La LFSS 2024 a apporté un changement notable. Dès 2025, l’équilibrage financier de ces régimes fermés sera pris en charge par le régime général. Cette évolution recentre l’effort de solidarité nationale. En d’autres termes, les fonds destinés à stabiliser ces régimes proviendront directement du régime général, ce qui devrait faciliter la gestion et la compréhension des dépenses publiques en matière de retraite.

Le compte d’affectation spéciale Pensions représente un effort budgétaire majeur, à hauteur de plus de 78 milliards d’euros pour 2025. La contribution employeur atteindra aussi plus de 78 % pour les personnels civils, une obligation organique visant à garantir l’équilibre du système.

Au cours des très nombreux débats sur cette question des retraites, nous avons déjà eu l’occasion de dire que des réformes de fond sont incontournables pour adapter notre modèle de retraite au régime démographique et aux réalités économiques. Les réformes de 2003, 2010 et, plus récemment celle de 2023, que le groupe Horizons & Indépendants a soutenu en responsabilité ont contribué à freiner l’augmentation des coûts, mais il reste encore des ajustements nécessaires pour solidifier la viabilité du système à long terme.

Au-delà des chiffres, ces décisions touchent directement la confiance des Français envers leur régime de retraite. Notre groupe votera en faveur des crédits de cette mission.

M. Laurent Panifous (LIOT). Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre travail sur les retraites et sur la question de la pénibilité. Chers collègues, le budget pour 2025 marque une double injustice s’agissant des retraites, notamment celles des fonctionnaires.

La première d’entre elles est bien sûr l’application de la réforme des retraites, que nous avons combattue et que nous continuons de dénoncer. Outre le fait que cette réforme a été brutale et irrespectueuse du travail parlementaire et du dialogue social, elle est surtout injuste, car l’essentiel des économies sera porté par les plus modestes, par ceux qui commencent à travailler tôt.

En outre, il est en réalité difficile de déterminer l’ampleur réelle des économies que cette réforme permettra. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites vient relativiser, comme nous l’avions dit à l’époque, le caractère efficace de la réforme en matière budgétaire. Des économies seraient certes réalisées à court terme, mais à long terme, l’effet se tassera. De plus, le Gouvernement n’a jamais cherché à connaître les effets sur les autres postes de dépenses, notamment en termes de santé, de chômage, de revenu de solidarité active et d’autres prestations de solidarité, alors même qu’ils sont loin d’être marginaux.

La seconde injustice concerne le report de la revalorisation des pensions de janvier à juillet. Cette décision du Gouvernement minore les dépenses, mais surtout les pensions des retraités relevant des régimes de la mission. Nous nous y opposons dans le cadre du PLFSS et en raison de cette disposition, notre groupe s’opposera à l’adoption des crédits de cette mission. Celle-ci se traduira en effet par une vraie perte de pouvoir d’achat, qui s’appliquera uniformément à tous les retraités, dans un contexte toujours important d’inflation.

Puisque nous abordons les retraites des fonctionnaires, j’en profite pour insister sur un point cher à notre groupe, celui de l’existence d’une surrémunération, dite « prime de vie chère » pour les fonctionnaires ultramarins, qui n’ouvre pas droit à cotisation et donc à retraite. Il y a là une importante perte de revenus pour ces derniers au moment du départ à la retraite, qui exige de soumettre cette rémunération à cotisation, afin de réévaluer le montant des retraites des fonctionnaires ultramarins.

Enfin, je voudrais aborder la question de la pénibilité, puisque vous avez fait le choix de consacrer votre rapport à ce sujet. Il s’agit d’un angle mort de la précédente réforme, alors que cela devrait être l’une de nos priorités, d’autant que celle-ci a fait le choix de la mise en extinction de certains régimes spéciaux dont l’existence découlait notamment de la volonté de prendre en compte la pénibilité propre à certains régimes.

Vous citez à juste titre la pénibilité des agents de la fonction publique, et notamment hospitalière, où les femmes sont très représentées. Les âges de départ anticipé pour les catégories actives et superactives seront pourtant relevés progressivement, du fait de la réforme des retraites. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous proposons, par exemple, d’étendre le C2P aux contractuels et agents de la fonction publique. Nous proposons aussi de réintroduire les facteurs de pénibilité dits ergonomiques que sont les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles et les vibrations mécaniques au C2P, via un dispositif plus facile pour les employeurs, reposant sur le dialogue social.

Nous vous rejoignons, madame la rapporteure, sur ce sujet de la pénibilité, qui doit nécessairement être retravaillé et que nous devons surtout ne pas oublier lorsqu’il est question des retraites.

M. Stéphane Peu (GDR). Au regard des débats qui viennent de s’écouler, je centrerai mon propos sur un aspect qui scandalise le pays : la décision de geler les retraites, toutes les retraites. Ainsi, selon un sondage paru ces derniers jours, 73 % des Français s’opposent à cette mesure absolument injuste. Il s’agit en effet d’une double trahison.

En juin, dernier, dans une déclaration solennelle, le Président de la République avait indiqué qu’il était hors de question que les retraites puissent constituer une variable d’ajustement budgétaire. Au mois d’octobre, le budget proposé agit exactement en sens inverse. Par ailleurs, cette disposition du projet loi de finances, qui frappe les retraités de manière totalement indifférenciée, quel que soit leur niveau de pension, est doublement injuste. D’une part, elle fera perdre du pouvoir d’achat aux retraités et d’autre part, la revalorisation envisagée au 1er juillet au lieu du 1er janvier, sera moindre, puisqu’elle est calculée sur les derniers mois d’inflation. En effet, l’inflation continuant de décroître, le niveau de revalorisation au 1er juillet sera inférieur à celle qui aurait dû avoir lieu au 1er janvier.

Cette double peine visant les retraités scandalise notre pays, à juste titre. À mes collègues macronistes, je demande ce que les retraités leur ont fait pour qu’ils s’acharnent sur eux comme vous l’avez fait depuis 2017. En 2017, 7,5 % des retraités vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, en 2024, ils sont 10,5 %. Tel est le bilan de votre action.

Cet acharnement est absolument injuste et indifférencié. Tous les matins, devant chez moi, je vois des retraités qui partent distribuer des prospectus et des journaux. Lorsque je me rends aux Restos du Cœur ou aux antennes du Secours populaire de ma circonscription, les files d’attente sont pleines de retraités et de jeunes étudiants. En résumé, cette mesure est absolument scandaleuse ; nous vous demandons de surseoir à cette désindexation et à ce gel des pensions de retraite qui vont plonger encore plus les retraités dans les difficultés. J’ajoute que 20 % des retraités en dessous du seuil de pauvreté vivent seuls. Malheureusement, au fil du temps, ils sont de plus en plus nombreux à vivre seuls, et je suis sûr que chacun d’entre vous a des visages et des situations concrètes en tête.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions individuelles des députés.

M. Thibault Bazin (DR). Je vous remercie, madame la rapporteure, pour les éléments portés à notre connaissance sur cette mission budgétaire. J’ai trouvé certains de vos éclairages intéressants, notamment les manques dans les dispositifs pour faire face à la pénibilité des métiers. Vous avez partagé des exemples très concrets, qui remettent l’humain au cœur de cet examen budgétaire. Il nous faut créer de la valeur pour relever ces défis.

Nous avions porté dans cette commission une mission « flash » consacrée au régime des mineurs. Je m’y étais fortement impliqué, ayant dans ma circonscription la dernière mine en activité dans l’Hexagone, la mine de sel de Varangéville. Plusieurs recommandations avaient été effectuées, mais trois années plus tard, certaines ne sont pas encore pleinement suivies.

Cela étant dit, il est toujours intéressant de constater la hausse des crédits nécessaires pour équilibrer les régimes spéciaux et les régimes fermés. La démographie de certains secteurs appelle ainsi une solidarité nationale qu’il nous faut financer. Mon collègue Fabien Di Filippo a bien mis en perspective cette question structurelle cruciale. Elle demande de générer des excédents par ailleurs.

Même si un régime est fermé, à l’instar de celui des mineurs, les ayants droit perdurent pendant plusieurs décennies. Il est de notre responsabilité d’assurer, dans les meilleures conditions, leur prise en charge. Madame la rapporteure, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les perspectives budgétaires, au-delà de 2025, pour l’ensemble de ces régimes spéciaux et les régimes fermés, afin de les équilibrer ? Très concrètement, quels sont les déficits supplémentaires à couvrir ces prochaines années ?

M. Hendrik Davi (EcoS). Les régimes spéciaux sont issus d’une histoire et d’acquis sociaux. Leur stigmatisation est assez néfaste. Le principal problème concerne les pensions civiles et militaires, à hauteur de 64 milliards d’euros, mais nous n’allons pas changer les règles pour imposer à nos militaires de travailler jusqu’à 67 ans.

M. René Lioret (RN). J’aurais répondu volontiers à M. Di Filippo, qui est absent, mais je pense qu’il s’exprimait au nom du groupe Droite Républicaine. Ce dernier mettait dos à dos l’extrême gauche et le Rassemblement National en disant que nous ne disposions d’aucune mesure de fond et que nous ne parlions pas de natalité. Ceci est faux : notre programme comporte des mesures, en particulier les allocations universelles non liées aux revenus, une deuxième part fiscale dès le deuxième enfant, ainsi qu’un prêt public à taux zéro.

M. Didier Le Gac (EPR). Nous sommes tous sensibles à la question de la pénibilité, mais ce matin, le vote porte sur les crédits de la mission, sur les régimes spéciaux qui ont besoin d’être équilibrés. Il ne faut pas se tromper de débat.

Mme la rapporteure. S’il existe aujourd’hui peu d’éléments permettant de mesurer le bien‑être et la santé et la santé au travail, lors des auditions, les syndicats des salariés des industries électriques et gazières nous ont fait part d’une détérioration des conditions de travail depuis la suppression du régime. S’agissant des catégories actives, à 65 ans, l’espérance de vie pour un fonctionnaire sédentaire est de vingt-trois ans et d’un peu moins de vingt-et-un ans pour un policier.

Aux Hospices civils de Lyon, l’absentéisme est en augmentation de 2 points depuis la crise sanitaire. La direction et les syndicats s’accordent pour constater une hausse des arrêts maladie à partir de 45 ans, ainsi que des taux de restrictions au travail de 13 % pour les infirmières et de 21 % pour les aides-soignantes.

M. Di Filippo a évoqué le déficit du compte d’affectation spéciale. Si les tendances se poursuivent, nous allons au-devant de graves problèmes. Comme je l’ai indiqué dans le rapport, le problème de financement est notamment lié à l’augmentation du nombre de retraités, associée à la diminution du nombre de cotisants. À cet égard, plus les postes de fonctionnaires seront supprimés, moins ceux-ci cotiseront pour les retraités. De fait, la question du financement n’a pas été prise en compte en 2023.

Madame Rousseau, le rapport n’a malheureusement pas pu traiter tous les sujets. Il n’en demeure pas moins que les questions de l’amplitude horaire et des carrières hachées demeurent effectivement essentielles. Par ailleurs, lors des auditions, certains syndicats nous ont fait part de la volonté plutôt accrue des soignantes de travailler sur des amplitudes de dix ou douze heures, car sur le moment, elles estiment qu’il est plus simple de travailler ainsi. Mais sur une carrière, dans la durée, ces choix contraints accroissent la pénibilité.

Monsieur Turquois, les données qui figurent dans le rapport ont été fournies par la direction du budget. Ensuite, l’étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques date certes de 2015, mais elle est toujours utilisée par cette direction pour conduire des analyses.

S’agissant des comparaisons avec les autres pays européens, je vous trouve un peu de mauvaise foi. À aucun moment je n’ai indiqué que les systèmes de retraite évoqués étaient exemplaires ; je ne parlais que de la prise en compte de la charge mentale et émotionnelle. Dans ce domaine, la France est en retard. Cette pénibilité, inhérente à certains métiers comme ceux des travailleurs sociaux ou des métiers hospitaliers, est mieux considérée en Autriche et en Finlande. Il faut s’inspirer des bonnes pratiques utilisées ailleurs en Europe, pour améliorer notre système, qui est largement perfectible.

Monsieur Panifous, je partage avec vous la nécessité de réintégrer les quatre critères de pénibilité ; mais également l’indignation concernant le report de la revalorisation des pensions de retraite de janvier à juillet. Il s’agit d’un scandale et il faut effectivement pouvoir en débattre.

Ensuite, le sujet de la natalité ne cesse d’être mis en avant dans cette commission. Il faut arrêter de croire que l’on fait des enfants pour financer le système de retraite. Arrêtez de demander aux femmes tous les mercredis matin, dans cette commission, de faire des enfants. C’est insupportable.

Monsieur Bazin, nous ne disposons que de peu d’informations communiquées par la direction du budget dans ce domaine, et donc sur les perspectives budgétaires et le déficit qui pourrait s’accumuler d’année et année. Je vous invite à interroger les ministres concernés, pour peu qu’ils viennent assister aux débats sur le PLFSS.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Les infirmières et les aides-soignantes demandent des taux de rotation à douze heures, pour disposer de plus de temps pour elles. Elles le font généralement pour échapper à des conditions dégradées de travail, travail qu’elles concentrent en réalité sur quelques jours. Mais en réalité, cela met leur santé encore plus en danger.

M. Didier Le Gac (EPR). Le groupe Ensemble pour la République est opposé au gel de la revalorisation des pensions. Nous avons ainsi déposé un amendement de suppression de l’article 23 du PLFSS.

Mme Justine Gruet (DR). La pénibilité constitue effectivement un enjeu important, sur lequel nous devons travailler. Cependant, il est loisible de s’interroger sur la réforme de 2023, qui a conservé des régimes spéciaux, voire très spéciaux, et qui crée forcément une forme de déséquilibre par rapport à l’effort qui a pu être demandé à toute une tranche de la population. Désormais, en matière de gestion budgétaire, nous sommes arrivés à un stade où nous devons demander à tous de consentir des efforts, mais aussi sans doute favoriser la reconversion professionnelle, pour permettre à nos concitoyens de continuer à s’épanouir dans leur travail. À mesure que l’âge avance, certains métiers pénibles ne sont plus envisageables, mais la valorisation de l’expérience et de la compétence acquise tout au long d’une carrière professionnelle doit être envisagée.

Ensuite, M. Hollande avait gelé la revalorisation en 2015. À cette époque, cela n’avait pas suscité de tollé. Si nous voulons être capables de mener de véritables réformes et diminuer nos dépenses, nous devons demander à tous de produire des efforts.

M. Pierre Marle (HOR). En matière de revalorisation, j’aurais sans doute adopté une position intermédiaire, consistant à revaloriser uniquement les pensionnés dont les retraites sont en dessous de la moyenne. Ensuite, en tant que président du conseil d’administration d’un Ehpad, je suis bien au fait des problèmes de pénibilité. Il existe des solutions pour faciliter le travail des personnels, mais elles nécessitent des investissements. Or 60 % de ces établissements sont en déficit.

Mme Josiane Corneloup (DR). Les dispositifs concernant la pénibilité sont aujourd’hui concentrés sur la pénibilité subie. Or l’information des salariés sur les risques liés aux contraintes physiques relatives à la manutention ou aux postures n’est pas à la hauteur des enjeux. La prévention de l’usure professionnelle est, à mon avis, essentielle.

Mme la rapporteure. Je salue la prise de position de M. Le Gac concernant son amendement. Soyez assurés que nous le soutiendrons.

Madame Gruet, je partage l’idée que les efforts doivent être consentis par tous ; ce qui signifie également que les plus aisés doivent également y contribuer, pas seulement les retraités ou les fonctionnaires les moins riches, qui éprouvent déjà des difficultés pour boucler leurs fins de mois. Par ailleurs, certains régimes spéciaux, dont celui des marins et des pêcheurs, doivent également participer à ces efforts.

Ensuite, il est souvent question depuis hier du gel de la revalorisation sous la présidence de François Hollande. Je rappelle qu’en 2014, l’inflation n’était que de 0,5 % ; qu’elle était nulle en 2015 ; de 0,2 % en 2016 et de 1 % en 2017. Mais depuis trois ou quatre ans, elle dépasse les 2 %. Il ne revient pas aux petites retraites de servir de variables d’ajustement. Les économies dégagées, moins de 4 milliards d’euros, sont scandaleusement faibles par rapport à ce qu’elles vont coûter humainement à l’ensemble des retraités, et particulièrement aux moins aisés d’entre eux.

Monsieur Marle, vous soulevez un véritable problème. Il est vrai que plus de 80 % des Ehpad publics sont en déficit et ne peuvent obtenir de moyens supplémentaires pour améliorer les conditions de travail et éviter le port des charges lourdes. Par ailleurs, le virage du maintien à domicile des personnes âgées n’intègre pas forcément le coût de l’installation de ces équipements très élevé, souvent à la charge des familles.

Article 42 et état B : Crédits du budget général

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Régimes sociaux et retraite.

Article 44 et état D : Crédits des comptes d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission émet un avis défavorable à l’adoption des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions.

 

La réunion s’achève à dix heures cinquante-cinq.


Informations relatives à la commission

La commission a désigné M. Thierry Frappé membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sophie Delorme, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, M. Pierre Marle, Mme Joëlle Mélin, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Stéphane Peu, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Anchya Bamana, M. Louis Boyard, Mme Élise Leboucher, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon