Compte rendu

Commission
des affaires sociales

 Examen, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins (n° 877) (M. Christophe Naegelen, rapporteur)              2

 Audition, en application des dispositions de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique, de Mme Valérie Delahaye-Guillocheau 8

– Suite de l’examen de la proposition de loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure)              21

– Présences en réunion.................................34

 


Mercredi
12 février 2025

Séance de 14 heures 50

Compte rendu n° 46

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


  1 

La réunion commence à quatorze heures cinquante.

La commission examine, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins (n° 877).

M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, nous devons examiner la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Il convient donc de vérifier que les conditions requises pour sa création sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires, auquel j’appartiens, a choisi de faire usage de son droit de tirage pour demander la création d’une commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins.

La déliquescence de notre système de santé et l’effondrement de l’accès aux soins sont désormais évidents. Ainsi, depuis le mois de décembre, nous sommes confrontés à une épidémie de grippe qui submerge les hôpitaux et les médecins généralistes. Qui, parmi nous, n’a pas été alerté, pendant les fêtes de fin d’année, sur la saturation des lits d’hospitalisation ou l’impossibilité de trouver un médecin disponible en urgence ? Au-delà de la grippe saisonnière, quel département ne compte aucun désert médical ? Qui, parmi nous, n’est pas régulièrement averti de fermetures de lits, voire de services entiers, dans les hôpitaux ? Qui n’a pas encore constaté les dérives du recours à l’intérim médical et paramédical ? Sans parler de la situation alarmante dans les départements insulaires et ultramarins : l’accès à un dentiste, à une maternité ou à un plateau technique de biologie ou de radiologie y est tout bonnement impossible en dehors de l’hôpital public, qui fait figure de dernier bastion dans le désert médical.

Pourtant, personne ne reste les bras croisés : nous nous battons chaque année pour que la loi de financement de la sécurité sociale fixe un objectif national de dépenses d’assurance maladie en augmentation par rapport à l’année précédente ; nous avons voté les lois « Rist 1 » et « Rist 2 », visant à encadrer l’intérim médical et soignant ainsi qu’à simplifier l’organisation des soins par la création des services d’accès aux soins et d’accès directs aux professionnels de santé sans prescription médicale ; plus récemment, nous avons voté la loi « Valletoux », qui prévoit des mesures de lutte contre les déserts médicaux et d’amélioration de l’accès aux soins, avec de nouveaux dispositifs d’incitation à l’installation dans les zones sous‑denses, une réglementation plus stricte de l’intérim des jeunes professionnels de santé, ou encore l’élargissement des obligations de permanence des soins pour les secteurs public et privé, sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS). Enfin, malgré la parution récente du décret très attendu sur le volet de cette loi relatif à la permanence des soins, il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité de ces mesures.

Nous nous efforçons de colmater les brèches : le Ségur de la santé, après la crise sanitaire, a ainsi permis d’importantes revalorisations salariales et le financement de plans d’investissement nécessaires.

Dans ces conditions, pourquoi notre système de santé subit-il une lente érosion ? Est-il trop tôt pour percevoir les effets des mesures adoptées ou avons-nous mal cerné le problème ? Est-ce parce que, selon l’adage, le poisson pourrit par la tête ? Autrement dit, la gouvernance hospitalière et celle du système de santé sont-elles à l’origine de la sclérose et de l’inefficacité globale du service public de santé ?

Malgré votre expertise indéniable et votre connaissance fine des enjeux sanitaires et sociaux, je vous mets au défi de me présenter de manière simple l’organisation du système de santé, sa gouvernance au sein des différents ministères et des agences concernées, la déclinaison territoriale des politiques sanitaires et la répartition des missions et des responsabilités entre les secteurs public et privé. Je vous mets au défi de répondre à la question suivante : pour quelles raisons notre système de santé, auquel nous consacrons tant d’argent, est-il devenu synonyme de déclin, d’inégalités et de désillusions ? Si chacun a son idée, en réalité personne n’en sait rien, parce que personne n’y comprend plus rien ! L’organisation est devenue tellement complexe que personne ne peut s’en faire une représentation fidèle ni expliquer sans dogmatisme la cause de son effondrement.

N’interprétez pas mal mon propos : je ne prétends pas être capable de répondre à brûle-pourpoint à cette question centrale mais épineuse. Je l’avoue : moi-même, je n’en sais rien.

Grâce à cette commission d’enquête, je vous propose de suivre plusieurs pistes, telles des fils d’Ariane, pour collectivement nous orienter dans ce dédale administrativo-sanitaire et essayer en premier lieu de comprendre, avec beaucoup d’humilité et sans dogmatisme, l’organisation du système de santé et les défis manifestement insurmontables que ce service public doit relever pour garantir l’accès aux soins. Une fois que nous y verrons plus clair, nous pourrons déterminer ensemble comment agir pour faire différemment et mieux. Sincèrement, je pense que nous pouvons mieux faire ; nous sommes nombreux dans cette commission à le penser ou, à tout le moins, à l’espérer. En d’autres termes, je vous propose d’essayer simplement de comprendre pour agir honnêtement.

Je vous ai brossé à grands traits l’objectif qui est le nôtre en déposant cette proposition de résolution ; il me semblait légitime que la commission soit informée de la direction que nous souhaitons prendre. Notre groupe ayant fait usage de son droit de tirage, la commission d’enquête sera créée, pour peu que les conditions de recevabilité fixées par l’ordonnance de 1958 et par le Règlement de l’Assemblée nationale soient remplies.

Permettez-moi de vous les rappeler. Tout d’abord, la commission d’enquête doit porter sur des faits précis ou sur la gestion d’un service public ; tel est le cas de celle qui nous intéresse, puisqu’elle vise très explicitement à se concentrer sur le service public de la santé. Ensuite, elle ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours ; dans un courrier reçu hier, le garde des sceaux a indiqué à la Présidente de l’Assemblée nationale qu’il n’avait « pas connaissance de procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée ». Enfin, elle ne doit pas avoir le même objet qu’une précédente commission d’enquête ou mission d’information achevée au cours des douze derniers mois. Aucune commission d’enquête n’a directement porté sur le champ sanitaire depuis le début de la XVIIe législature ; la dernière consacrée à un sujet proche remonte à 2018.

Au terme de cet exposé, nous pouvons considérer que la recevabilité de la proposition de résolution ne fait pas débat. Je vous appelle donc à la voter et vous encourage à enrichir de votre participation les futurs travaux de la commission d’enquête.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Joëlle Mélin (RN). Le groupe Rassemblement National est favorable à la proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, qui nous semble satisfaire aux articles 137 et suivants de notre Règlement.

Bien que nous n’ayons pas à nous prononcer sur le fond, permettez-moi de dire que notre système de distribution de soins a connu un tel déclassement en moins de trente ans qu’il convient de trouver urgemment des réponses. Cette commission d’enquête est donc particulièrement bienvenue.

M. Jean-François Rousset (EPR). Peu de temps avant la dissolution de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête semblable à celle que le groupe LIOT veut créer, mais dont le périmètre était davantage resserré sur l’hôpital public, avait commencé ses travaux sous la supervision de Christophe Naegelen et de Paul Midy, respectivement rapporteur et président.

Les mois ont passé, mais les difficultés persistent. À cet égard, nous nous réjouissons de la nouvelle portée que le groupe LIOT souhaite donner à cette commission d’enquête. Si l’hôpital public est évidemment incontournable, celle-ci abordera plus globalement les différentes composantes de notre système de santé, ainsi que les solutions diverses que nous pouvons fournir aux problèmes d’accès aux soins, en dehors des seuls établissements publics.

Le groupe Ensemble pour la République aura à cœur de participer activement aux travaux de cette commission d’enquête, comme il l’a fait pour la précédente.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Merci, monsieur le rapporteur, de relancer cette commission d’enquête, à laquelle nous aurons à cœur de participer.

Le 4 février dernier, Emmanuel Macron déclarait : « on a en France une immense chance d’avoir le système de santé qui est le nôtre et c’est une force ». C’est vrai, on a une immense chance d’avoir ce système de santé, mais on peut se demander si les soignants, eux, ont de la chance d’avoir ce Président de la République et ce gouvernement.

Il y a trente ans, nous avions le meilleur système de santé du monde. En janvier 2025, quatre-vingt-dix plans Blancs ont été déclenchés, les services d’urgences sont saturés et le sous-investissement est chronique, notamment en pédiatrie. En conséquence, notre pays est passé de la troisième à la vingtième place européenne en matière de mortalité infantile. Pourquoi ? J’espère que la commission d’enquête contribuera à répondre à cette question, mais voici quelques pistes.

Il y a trente ans, notre système reposait sur deux jambes : des soignants dévoués et un État qui investissait dans la sécurité sociale ; désormais, on a l’impression qu’il ne reste plus que les soignants. Le Parlement et les gouvernements successifs ont raboté les budgets, supprimés des lits et des postes de soignants ; l’hôpital est malade de toutes ces décisions. Celles prises depuis 2017 ont aggravé la situation : 30 000 lits d’hospitalisation ont été supprimés, soit pour des raisons économiques, soit en raison du manque de soignants, et les budgets de la sécurité sociale ont tous été sous-financés, à l’exception de ceux votés pendant la période du covid. Le dernier, adopté par 49.3, ne fait pas exception ; d’après la projection il en ira de même jusqu’en 2028.

À Limoges, dans ma circonscription, les soignants m’expliquent que dès 7 heures 30 du matin, les couloirs sont pleins ; aux urgences, il arrive que quatre-vingts patients soient accueillis concomitamment, soit vingt patients pour une seule infirmière. Les urgences sont totalement saturées parce qu’il n’y a plus de soignants pour ouvrir les lits des étages. En conséquence, des patients contractent la grippe aux urgences et les infirmiers, qui ont trop de travail, n’en peuvent plus : même la Haute Autorité de santé reconnaît que le défaut de prise en charge provoque des drames.

Chers collègues, j’espère que nous prenons tous la mesure de la tâche immense qui nous incombe avec cette commission d’enquête. J’espère surtout qu’elle nous permettra d’identifier des pistes pour améliorer la vie des patients et des soignants.

Mme Josiane Corneloup (DR). Depuis toujours, le groupe Droite Républicaine est attentif à l’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux. L’organisation de notre système de santé soulève des questions, en particulier sur la formation des professionnels de santé.

Tout n’est pas une question de budget : malgré les sommes importantes qui sont dépensées, l’efficacité n’est pas au rendez-vous. À plusieurs reprises, nous avons essayé de colmater les brèches, mais nous assistons à l’érosion de notre système de santé, tant en ville qu’au sein des hôpitaux, avec des conséquences graves en matière d’accès aux soins et d’aggravation des pathologies.

La question de la gouvernance des hôpitaux se pose : pendant la crise sanitaire, nous avons constaté qu’il est parfois préférable de laisser les individus s’organiser en dehors de la mainmise des structures administratives, qui ajoutent des normes et de la complexité. Parce qu’une vision globale nous paraît nécessaire, nous participerons à cette commission d’enquête.

M. Nicolas Turquois (Dem). La création d’une commission d’enquête consacrée à l’accès aux soins repose sur un constat partagé : l’inégalité entre les territoires, le manque de spécialistes et la difficulté de les consulter dans un délai raisonnable sont autant de problèmes majeurs. Cependant, le périmètre de la commission d’enquête nous semble trop large : il couvre pratiquement tous les champs de la commission des affaires sociales – la politique de l’hôpital, les ARS ou encore le nombre de médecins libéraux.

Il nous aurait semblé plus pertinent de restreindre le périmètre de cette commission d’enquête et d’en définir plus précisément les axes d’intervention. Néanmoins, le groupe Les Démocrates soutient cette démarche.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le système de santé français est souvent cité en exemple, mais il fait face à des défis majeurs. La désertification médicale s’étend désormais à de nombreux territoires, en particulier les zones rurales, insulaires et ultramarines. Les hôpitaux, notamment les services d’urgence, d’obstétrique, de pédiatrie et de psychiatrie, manquent cruellement de moyens matériels et humains pour répondre aux besoins de la population. La crise de l’hôpital public, déjà mise en lumière par le travail engagé sous la précédente législature, ne peut être traitée isolément ; elle est le symptôme d’un dysfonctionnement plus large du système de santé.

Cette commission d’enquête aura pour mission de faire la lumière sur les dysfonctionnements et de proposer des solutions pour rétablir une plus grande équité de traitement et une complémentarité entre le secteur privé et le secteur public. Sa création, dans le cadre du droit de tirage annuel du groupe LIOT, nous semble donc justifiée. Le groupe Horizons & Indépendants prend acte de ce choix et partage l’avis du rapporteur quant à la recevabilité de la proposition de résolution.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires a décidé d’utiliser à nouveau son droit de tirage pour créer une commission d’enquête relative à l’accès aux soins, la dissolution nous ayant malheureusement empêchés de mener à bien celle consacrée aux dysfonctionnements de l’hôpital public. L’accès à des soins de qualité est un droit constitutionnel ; on ne peut se satisfaire de voir nos concitoyens en être privés, alors même qu’ils en font une priorité.

Notre précédente commission d’enquête était circonscrite à l’hôpital public, en raison de la crise qu’il traverse depuis plusieurs années, mais les premières auditions ont mis en lumière la nécessité d’élargir ce périmètre. C’est bien l’organisation de l’ensemble du système de santé qui doit être examinée : sa gouvernance, ses missions, les décisions prises et l’adéquation aux besoins des moyens financiers et humains. La désertification médicale à l’œuvre dans tous nos territoires a des répercussions considérables sur l’hôpital public. L’inéquité entre le secteur public et le secteur privé doit être également traitée, sans oublier évidemment les enjeux propres aux territoires insulaires et ultramarins, confrontés à des surcoûts structurels peu pris en considération.

Le sujet est vaste et complexe, mais nous sommes persuadés qu’un travail approfondi permettra de trouver des solutions à même d’améliorer l’accès aux soins partout et pour tous.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés soutient cette proposition de résolution, non seulement sur la forme, mais aussi sur le fond : l’organisation du système de santé et l’accès aux soins méritent de faire l’objet d’une commission d’enquête.

Notre système de santé connaît une crise profonde, marquée par la pénurie de personnels médicaux et paramédicaux, des ruptures d’égalité dans l’accès aux soins, des services d’urgences embolisés, des praticiens à diplôme hors Union européenne maltraités, un déficit de prévention et des pénuries de médicaments. Cette crise affecte en particulier l’hôpital, mais la question de l’accès aux soins doit être élargie au champ médico-social – il existe aussi des déserts médico-sociaux.

Cette commission d’enquête devrait se pencher sur deux sujets, qui sont comme deux éléphants dans la pièce, si vous me permettez cette expression. Premièrement, le mode de financement de l’hôpital est inadapté ; depuis des années, on nous annonce la réforme de la tarification à l’activité, mais le paquebot reste à quai. Deuxièmement, les moyens alloués sont insuffisants. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons beaucoup parlé de l’augmentation des salaires des soignants à l’hôpital. Le Ségur de la santé a permis de dégager 14 milliards d’euros, ce qui était nécessaire, mais aucune recette n’a été prévue pour compenser cette dépense supplémentaire. Les soignants sont désormais mieux payés, mais leurs conditions de travail se sont dégradées et l’attractivité de leur métier n’a pas été renforcée.

Nous espérons que cette commission d’enquête proposera des pistes de financement pour que le Ségur de la santé ne pénalise pas le fonctionnement global de notre système de santé.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés, en l’occurrence à celle de M. Panifous.

M. Laurent Panifous (LIOT). Pour surmonter la crise de l’hôpital, nous devrons résoudre plusieurs problèmes. Premièrement, il faut regarder en face le mur démographique qui s’annonce : le nombre de personnes âgées augmente et leurs pathologies évoluent. Ensuite, nous allons devoir assumer les conséquences des choix politiques passés. Enfin, les pratiques de la médecine de ville et de la médecine hospitalière ont beaucoup évolué, provoquant l’insatisfaction générale des usagers et des professionnels. En d’autres termes, notre système de santé ne fonctionne plus.

Je suis en désaccord avec M. Turquois : on ne peut traiter l’hôpital public isolément, les dysfonctionnements de la médecine de ville participant à la saturation des hôpitaux. Comme l’a très bien dit le rapporteur, il est essentiel d’élargir le périmètre de cette commission si l’on veut apporter des solutions pertinentes aux problèmes du système de santé.

M. le rapporteur. Je remercie mes collègues Mélin, Rousset, Corneloup, Colin-Oesterlé et Colombani.

Monsieur Maudet, notre système de santé est en effet une immense chance. Le but de cette commission d’enquête parlementaire est avant tout de comprendre les causes de son affaissement et d’essayer de lui redonner ses lettres de noblesse.

Monsieur Turquois, le périmètre que nous avons retenu n’est pas trop large. Certains d’entre vous ont assisté aux premières auditions de la commission d’enquête lancée au printemps dernier, qui nous ont précisément fait comprendre que se limiter à l’hôpital public était beaucoup trop restrictif. Lorsque l’on cherche à comprendre les causes de la situation actuelle et que l’on en vient au financement, on constate que les enjeux sont plus larges que ceux de l’hôpital public. Comme l’a dit M. Guedj, nous devons discuter des modes de financement des secteurs public et privé, ainsi que des conséquences de la loi « Valletoux ».

Restreindre le périmètre de la précédente commission d’enquête au seul hôpital public, alors que le problème est global, était certainement une erreur. Parce que nous apprenons de nos erreurs, nous avons décidé de l’élargir, notamment pour être en mesure de tenir compte des projections démographiques et financières, afin de faire cesser la déliquescence de notre système de santé et de participer à sa refondation.

M. le président Frédéric Valletoux. À titre personnel, je trouve très pertinent d’élargir le champ de la commission d’enquête, afin de tenir compte des différents problèmes : le financement, la formation, l’attractivité des métiers, l’organisation des soins dans les territoires, etc. En définitive, tout est lié : le secteur public et le secteur privé, la médecine de ville et la médecine hospitalière. À trop saucissonner, on ne perçoit qu’une partie des enjeux.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins sont réunies.

*

La commission auditionne ensuite, en application des dispositions de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique, Mme Valérie Delahaye-Guillocheau, dont le renouvellement aux fonctions de présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est envisagé.

M. le président Frédéric Valletoux. M. le Premier ministre a informé le 21 novembre dernier Mme la présidente de l’Assemblée nationale qu’il envisage de reconduire dans ses fonctions la présidente du conseil d’administration de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En application des dispositions de l’article L. 1451‑1 du code de la santé publique, il appartient à notre commission d’entendre Mme Valérie Delahaye‑Guillocheau avant sa reconduction.

Vous avez été nommée à ces fonctions le 24 décembre 2021 ; la commission vous avait auditionnée le 1er décembre 2021. L’article R. 5322‑3 du code de la santé publique dispose que le président du conseil d’administration de l’ANSM est nommé pour une durée de trois ans, renouvelable une fois. La directrice générale de l’agence est Mme Catherine Paugam-Burtz, qu’en application de l’article 13 de la Constitution nous avons entendue le 16 octobre dernier préalablement à sa prise de fonctions, le 4 novembre.

Chacun ici connaît le rôle central de l’ANSM dans l’organisation de la santé en France. Établissement public de l’État placé sous la tutelle du ministre de la santé, elle est chargée d’évaluer les bénéfices et les risques des produits à finalité sanitaire destinés à l’homme ; de prendre des décisions relatives aux recherches impliquant la personne ; de contrôler la publicité en faveur de tous les produits, objets, appareils et méthodes revendiquant une finalité sanitaire.

Votre curriculum vitæ a été communiqué aux commissaires. Vous avez la parole pour dresser le bilan des trois ans écoulés et tracer des perspectives pour votre second mandat.

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. C’est un honneur pour moi d’être entendue par votre commission. La dominante de mon parcours professionnel est l’engagement au service des politiques sociales et des ministères sociaux, ayant gravi les échelons au sein des ministères sociaux depuis mon arrivée en 1987 dans la composante chargée de la santé. Sans détailler le curriculum vitae dont vous disposez, je mettrai l’accent sur les compétences que j’ai acquises au fil de mon parcours.

C’est pour commencer une bonne connaissance de l’écosystème de santé, grâce à une première partie de carrière dans le champ de la direction générale de l’offre de soins, avec le pilotage des dépenses hospitalières du secteur public et du secteur privé, la création des agences régionales de l’hospitalisation à la fin des années 1990 et, plus largement, une bonne connaissance de la galaxie santé : ministère, agences régionales de santé (ARS), agences de santé publique. C’est ensuite l’élargissement de mes compétences à la sphère travail-emploi par mon expérience de quatre années à la direction générale du travail en tant que cheffe de service. Ce sont aussi des compétences de pilotage, de management d’équipes et de responsabilités, combinées à des compétences d’inspection, d’audit et de contrôle grâce à mes années passées à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à la Cour des comptes. Ce sont encore des compétences financières transversales acquises par mes fonctions, pendant plus de six ans, à la tête de la direction financière des ministères sociaux. Ce sont enfin, dans mes fonctions de conseillère d’État en service extraordinaire au sein de la section sociale depuis plus de trois ans, des compétences juridiques et le suivi de l’actualité des politiques sociales à travers les textes soumis à son examen obligatoire.

Ma candidature à un second mandat de présidente du conseil d’administration de l’ANSM a plusieurs raisons. Outre mon intérêt marqué pour les missions de santé publique de l’agence, je souhaite suivre l’application du contrat d’objectifs et de performance (COP) adopté l’été dernier, à l’élaboration duquel j’ai participé, et je suis convaincue qu’une relative stabilité et continuité de la gouvernance de l’agence peut l’aider à continuer de se déployer.

L’ANSM, opérateur majeur de santé publique, établissement public sous tutelle du ministère de la santé, assure au nom de l’État la sécurité des produits de santé et favorise l’accès à l’innovation thérapeutique. L’agence agit à tous les stades de la vie des produits de santé depuis les essais cliniques jusqu’à la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou de l’autorisation d’accès précoce et, après leur mise sur le marché, le suivi de ces produits. Conformément aux dispositions du code de la santé publique, le président du conseil d’administration de l’ANSM a une fonction non exécutive. Il doit assurer la bonne organisation des travaux du conseil, veiller à ce que cette instance puisse exercer son office de manière éclairée et transparente, voter le budget et en assurer le suivi, fixer les orientations annuelles et pluriannuelles de la politique de l’agence par la définition de son programme de travail.

Au cours des trois années écoulées, les administrateurs et moi-même sommes convenus que notre rôle est aussi de veiller aux signaux faibles pour déterminer les mutations pouvant avoir une incidence sur les missions de l’agence afin d’anticiper au mieux choix stratégiques et virages éventuels.

Je crois pouvoir dire que le conseil d’administration de l’ANSM a effectivement mené ses missions dans de très bonnes conditions. C’est l’occasion pour moi de rendre hommage à la qualité des dossiers préparés par la direction générale de l’agence et ses équipes et à la qualité, aussi, des informations qui nous ont été données. Lors de chaque séance du conseil, des présentations de sujets d’actualité ont été faites, et des échanges ont eu lieu avec les équipes concernées – par exemple, sur l’organisation du centre de crise de l’ANSM, la gestion de l’innovation, les pénuries de médicaments, le bilan de l’activité du groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare, composante commune à l’ANSM et la Caisse nationale de l’assurance maladie en matière de pharmacoépidémiologie, le bilan de l’application des nouveaux règlements européens sur les dispositifs médicaux, etc. Les relations entre l’agence et le ministère de la santé et les autres ministères représentés au conseil ont toujours été fluides et aidantes.

J’ai veillé à ce que les séances du conseil permettent à chacun de s’exprimer. La place de tous – médecins, pharmaciens, représentants des patients, personnalités qualifiées, députés, sénateurs, représentants du personnel – y est reconnue. Tout cela s’est naturellement déroulé dans un cadre déontologique transparent, au sein du conseil comme dans toutes les autres instances de l’agence. À chaque séance du conseil d’administration, la présence du président du conseil scientifique permet de faire connaître aux administrateurs les travaux en cours. Ils ont ainsi, par exemple, disposé de l’éclairage scientifique nécessaire en amont d’une délibération sur le montant d’une subvention à accorder à un partenaire d’Epi-Phare.

Le conseil d’administration a pris toute sa part dans la définition des priorités annuelles de travail, le suivi annuel de l’exécution du précédent COP et l’élaboration, en lien avec la direction générale et le ministère de la santé, du COP 2024-2028 signé cet été entre le ministre de la santé et l’agence. Cohérent avec la stratégie nationale de santé 2023-2033, il s’articule avec le plan d’investissement France 2030 et le plan Innovation santé 2030.

En quelques années, l’ANSM a changé d’échelle. Le rapport l’évaluation du précédent COP rendu public par l’Igas à l’automne dernier tout comme l’enquête de satisfaction menée par l’agence auprès de ses parties prenantes en 2021 montrent que la place et la légitimité de l’ANSM sont pleinement reconnues. Ce constat ne traduit pas une autosatisfaction béate : c’est un point d’appui très fort pour que l’agence poursuive ses missions et relève les nouveaux défis tracés dans le COP 2024-2028. C’est aussi, je le sais pour avoir discuté régulièrement avec les représentants du personnel qui siègent au conseil d’administration, un puissant facteur de motivation pour les équipes et d’attractivité de l’agence pour ses futurs collaborateurs. L’expertise et les savoir-faire des quelque 1 000 hommes et femmes qui font vivre l’ANSM lui permettent de mener à bien ses missions de service public.

J’ai porté une attention particulière à l’adéquation des missions et des moyens. Au cours des trois dernières années, les missions de l’ANSM ont été reconnues, d’abord par la stabilisation de ses moyens et la possibilité de gager des créations d’emplois hors plafond par des ressources dérivées de son engagement européen. Depuis le budget 2024, grâce aux priorités inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) et au soutien constant des ministres de la santé, des moyens spécifiques ont été octroyés à l’agence pour accompagner la forte charge de travail liée à la gestion des pénuries de produits de santé ; cela s’est traduit par l’autorisation de créer sept emplois en 2024. Pour 2025, le conseil d’administration a voté son budget en novembre dernier sur des bases positives mais il conviendra sans doute de l’ajuster au niveau de dotation de l’assurance maladie qui découlera du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en cours d’adoption. La gestion des pénuries de produits de santé entraîne une amplification marquée de la tâche de l’agence, qui ne pourra être prise en charge sans que l’on y consacre davantage de moyens. La forte implication, sous l’égide de l’Agence européenne des médicaments (AEM), de l’ANSM dans les travaux européens autofinancés avec les ressources que cela génère, pourrait continuer de permettre des créations d’emplois hors plafond, sans que l’agence ignore les contraintes des finances publiques et la nécessaire efficience.

J’en viens aux défis de l’ANSM dans les années à venir, tels que je les perçois. La préparation du COP 2024-2028 et les sujets traités par l’agence au cours des trois dernières années montrent une modification structurelle du contexte de son action. La crise due à la pandémie de covid-19 a révélé et accéléré des changements dont certains étaient sans doute à l’œuvre à bas bruit depuis plusieurs décennies. J’entends par là la rareté, voire la pénurie de produits de santé et des médicaments, qui ne sont pas des produits ordinaires ; les effets de la mondialisation qui, en trente ans, a transformé l’écosystème du médicament avec la place prise par la Chine et par l’Inde dans la production de certains principes actifs et de médicaments génériques, ce qui rend la France et l’Europe plus vulnérables, cette situation étant amplifiée par les crises géopolitiques et les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient ; l’accélération de l’innovation technologique dans le champ des dispositifs médicaux avec le développement du numérique et des algorithmes et bien sûr, l’intelligence artificielle ; la prise en compte des enjeux environnementaux avec la décarbonation des produits de santé.

Ces évolutions auront une incidence sur les priorités et l’action de l’agence au cours des prochaines années. Le COP 2024-2028 tient compte de ces nouveaux enjeux, mais la réponse à ces défis doit se faire à l’échelle européenne et non pas strictement nationale. L’action de l’ANSM étant résolument ancrée dans le concert européen, cet élément est en toile de fond du nouveau COP. L’agence participe au fonctionnement de l’AEM par l’évaluation de dossiers en vue de l’attribution d’autorisations de mise sur le marché européennes. Elle travaille en outre avec les autorités réglementaires des autres États membres au service de la sécurité sanitaire coordonnée en Europe.

Le COP 2024-2028 définit l’ANSM comme l’agence garante de la sécurité des patients dans le cadre de l’utilisation des produits de santé et comme une agence agile, accompagnant l’innovation, à l’écoute et au service des citoyens, performante et engagée. Sans détailler cette feuille de route, je traiterai de quelques sujets saillants et pour commencer des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux, préoccupation principale des pouvoirs publics, du Parlement et des citoyens. L’agence se mobilise fortement à ce sujet, qui a changé d’échelle : en 2023, l’ANSM a traité plus de 5 000 signalements de rupture ou risque de rupture, un tiers de plus qu’en 2022 et six fois plus qu’en 2018. Le Parlement a progressivement renforcé l’arsenal législatif puis réglementaire, permettant d’amplifier les leviers d’action, notamment ceux qui sont dans le champ d’action de l’agence.

La question est complexe car elle concerne tous les niveaux de la chaîne des produits de santé, du producteur distributeur et au dispensateur en passant par le prescripteur. L’ANSM dispose de certains leviers pour atténuer l’impact de ces pénuries pour le patient, mais pas de tous. Je me dois de rappeler l’élément fondamental : ce sont les laboratoires producteurs des médicaments qui, dès lors qu’ils disposent d’une AMM, sont responsables de la couverture et de l’approvisionnement en due quantité par rapport à la population cible qu’ils ont estimée. Selon les produits de santé et les périodes, le risque de rupture d’approvisionnement varie et les causes en sont plurielles : problèmes de production mais aussi problèmes de répartition des stocks sur le territoire comme ce fut le cas pour l’Amoxicilline à l’hiver 2023.

Les leviers d’action de l’agence relèvent d’une stratégie en quatre temps : identifier, prévenir, anticiper et, en cas de crise, optimiser la gestion de la situation. En lien avec les laboratoires, les grossistes- répartiteurs, les officines, les médecins et les représentants des patients, et en cohérence avec la feuille de route interministérielle adoptée en février 2024, l’ANSM amplifiera son action. L’agence vise à anticiper le plus précocement possible les risques de pénurie grâce à des systèmes d’information partagés à tous les niveaux de la chaîne comme il est prévu dans le PLFSS 2025 par le recours au logiciel DP-Ruptures du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Elle entend aussi déployer l’arsenal réglementaire qui lui est offert : la requalification des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) si les laboratoires ne les ont pas spontanément identifiés comme tels ; l’ajustement des stocks de sécurité ; les sanctions financières ; le pilotage d’une chaîne de production publique en cas de nécessité ; l’identification d’alternatives thérapeutiques ; la promotion du bon usage. Les risques de pénurie des dispositifs médicaux demandent un traitement spécifique, la substituabilité étant plus délicate ; c’est une autre priorité de l’agence.

Pour l’accès à l’innovation, l’agence a plusieurs champs d’action. Elle souhaite en premier lieu renforcer le guichet innovation et orientation, créé il y a plus de quatre ans et dont l’activité est croissante. Plus de 300 dossiers sont examinés chaque année ; unique en Europe dans ce format, ce guichet offre – le plus souvent aux petites entreprises innovantes – un accompagnement apprécié sur le plan scientifique et réglementaire à un stade précoce du développement. La question de l’accès précoce en innovation continuera d’être traitée en coopération avec la Haute Autorité de santé (HAS) dans le cadre réglementaire renouvelé en 2021, soucieux de l’intérêt des patients qui sont parfois en impasse thérapeutique mais dont la sécurité doit être assurée. L’agence est aussi fortement engagée dans le sujet des essais cliniques, levier majeur de l’innovation. Enfin, l’innovation suppose l’accès aux données et leur potentialisation. Cela implique des actions de formation des équipes de l’agence.

L’ANSM aura pour troisième axe de travail la sécurité et le bon usage des produits de santé, qui supposent le suivi des produits de santé en vie réelle, avec les progrès attendus du développement de la pharmacoépidémiologie et du traitement des données. C’est un sujet majeur de santé publique que la lutte contre le mésusage, le renforcement du bon usage et, de ce fait, la lutte contre l’antibiorésistance. C’est aussi une manière d’agir sur le volume de médicaments consommé, bien supérieur en France à la moyenne européenne. L’agence doit poursuivre son action résolue en ce domaine. Il y a là des enjeux de communication, de bonne information et de ciblage adéquat des populations et des personnes concernées. À une époque où, avec les réseaux sociaux, la parole experte est parfois mise en doute, l’ANSM doit continuer d’adapter son mode et ses vecteurs de communication pour toucher au mieux les patients et, bien sûr, les professionnels de santé.

Tout cela doit naturellement se faire en lien étroit avec les parties prenantes, dont les associations de patients, et de manière transparente comme l’agence le fait de manière agile avec la création de comités scientifiques temporaires. Je mentionnerai ainsi la création récente du comité scientifique temporaire d’analyse de l’usage des analogues du glucagon-like peptide 1 (GLP1), qui engage notamment des spécialistes des sciences humaines. Cette compétence nouvelle à l’ANSM vise à adapter au mieux les moyens d’action et de communication.

J’en viens enfin à la territorialisation de l’action de l’agence. Cet axe nouveau du COP vise à accroître les synergies avec des structures existantes – observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques ; comités régionaux d’antibiorésistance ; centres régionaux de pharmacovigilance ; associations de patients – pour amplifier des démarches déjà engagées par l’ANSM, telle la création fructueuse d’une cinquantaine de binômes médecin-pharmacien, et renforcer encore le lien avec le terrain

Ces actions ne pourront se réaliser sans le professionnalisme, l’expertise et la mobilisation constante des femmes et des hommes qui travaillent à l’agence. Aussi est-il fondamental de maintenir l’attractivité de ces métiers de forte expertise. Comme je l’ai fait au cours des trois années écoulées, je resterai attentive à l’adéquation des missions et des moyens de l’ANSM et je continuerai de faire vivre le débat au sein du conseil d’administration. Le travail avec les professionnels de santé et les associations de patient est désormais pleinement intégré, à tous les niveaux, par l’agence. La transparence de son action, à tous les stades des processus qu’elle gère, est un élément déterminant de légitimation et de confiance des citoyens.

C’est avec une profonde motivation et beaucoup d’enthousiasme que je suis prête à m’engager pour un second mandat à la tête du conseil d’administration de l’ANSM pour permettre à cette agence essentielle à la politique de santé de notre pays de continuer de grandir et de répondre aux défis auxquels elle est confrontée.

M. Thierry Frappé, référent de la commission pour l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. L’ANSM, institution clef de notre système de santé, assure un rôle fondamental dans l’évaluation des bénéfices et des risques des médicaments, vaccins, dispositifs médicaux et autres produits de santé. Son action est déterminante pour garantir la sécurité des patients et assurer une veille sanitaire rigoureuse. Votre renouvellement à la présidence du conseil d’administration de l’agence étant envisagé, il faut faire l’état des lieux des défis auxquels l’ANSM a été confrontée ces dernières années et s’interroger sur les orientations qu’elle prendra.

L’un des problèmes majeurs a été la pénurie récurrente de médicaments. En 2023, 4 925 ruptures ou risques de rupture de stocks ont été recensés contre 3 761 l’année précédente et seulement 533 en 2017. Cette hausse supérieure à 800 % en six ans est particulièrement préoccupante. De nombreux médicaments essentiels destinés au soin des maladies cardio-vasculaires, des affections neurologiques et aux traitements anti-infectieux font partie de la liste, et 37 % des patients ont été concernés par ces pénuries en 2023. Le Gouvernement a présenté en février 2024 une feuille de route en trois axes visant à lutter contre cette crise : détection plus précoce des tensions d’approvisionnement, mesures économiques et sanitaires pour améliorer la disponibilité des médicaments, renforcement de la transparence de la chaîne d’approvisionnement. Les mesures tendent à un encadrement plus strict mais on peut s’interroger sur l’effectivité de leur mise en œuvre.

Se pose d’abord la question des stocks de sécurité. La réglementation impose aux laboratoires un stock plafond de quatre mois d’usage pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur mais l’éventualité d’un stock minimum obligatoire et de son éventuelle extension continue de faire débat. D’autre part, la multiplicité des plateformes de suivi de la disponibilité des médicaments et l’absence d’articulation entre elles provoque un défaut de coordination qui peut compliquer le suivi global des flux de médicaments et la prévention des pénuries. Et si l’objectif d’élargissement de la plateforme DP-Ruptures a été fixé en 2019, il aura fallu attendre 2024 pour disposer d’une version permettant une meilleure communication entre les pharmaciens.

La relocalisation de la production pharmaceutique est un autre enjeu important. Actuellement, plus de 40 % des principes actifs de médicaments vendus en France sont produits en Asie. Chaque année, la commercialisation de quelque 400 médicaments cesse en raison de décisions industrielles ou de rupture d’approvisionnement. La dépendance de la France aux chaînes d’approvisionnement internationales pose donc un réel problème de souveraineté sanitaire.

Enfin, l’ANSM doit contribuer à la lutte contre l’antibiorésistance, dont les conséquences sont potentiellement graves pour la santé publique. La dispensation des antibiotiques à l’unité, mesure initialement introduite dans la LFSS 2024, avait été pensée pour limiter les risques d’automédication et d’antibiorésistance mais elle ne concerne pour l'instant que les médicaments en rupture de délivrance. Certains estiment que cette mesure devrait être généralisée, d’autres la jugent inutile et chronophage.

Quel bilan tirez-vous de votre action à la tête de l’ANSM, qu’il s’agisse de la lutte contre les pénuries de médicaments, du renforcement de la souveraineté sanitaire ou de l’amélioration de la transparence dans la gestion des risques liés aux médicaments ? Qu’envisagez-vous pour les années à venir ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Katiana Levavasseur (RN). Nos échanges avec le représentant de l’ANSM se répètent sans que les problèmes trouvent de véritables solutions. La France connaît des ruptures récurrentes de stock de médicaments et de produits de santé et, au lieu de s’atténuer, ces difficultés s’aggravent inexorablement. En 2023 déjà j’interrogeais Mme Ratignier-Carbonneil sur ces pénuries persistantes, et nous sommes toujours confrontés au même blocage. Vous présidez le conseil d’administration de l’ANSM depuis fin 2021. À ce titre, vous avez une responsabilité dans l’orientation stratégique et le pilotage des grandes décisions de l’agence. Estimez-vous avoir rempli les objectifs que vous vous étiez fixés en accédant à ces responsabilités ? Êtes-vous satisfaite de l’action que vous avez menée ?

Le deuxième COP de l’agence s’est achevé sous votre mandat et un troisième a été adopté en juillet 2024 ; pensez-vous que l’ambition affichée dans le COP 2019-2023 – placer le patient en centre de système de santé et garantir aux Français une meilleure prévention et un accès équitable aux soins – a été pleinement réalisée ? Si oui, comment expliquez-vous l’écart entre l’ambition affichée et la réalité du terrain ? Pensez-vous pouvoir garantir le succès des objectifs fixés dans le nouveau COP, notamment assurer une distribution et une accessibilité équitables des produits de santé sur l’ensemble du territoire ? Avec quels moyens comptez-vous agir pour obtenir de meilleurs résultats ? Les patients et les professionnels de santé attendent des réponses claires et surtout des résultats. Nous ne pouvons nous permettre de revivre les mêmes scénarios à chaque audition.

M. Michel Lauzzana (EPR). Je suis très heureux de votre engagement dans l’ANSM. Je vous parlerai d’essais cliniques. D’abord, ces essais, en cancérologie en particulier, n’incluent pas les enfants, ce qui m’a conduit à cosigner une tribune demandant que des enfants âgés de plus de 12 ans soient inclus dans certains essais cliniques. La loi ne l’interdit pas mais les laboratoires ne le font pas ; pouvez-vous intervenir à ce sujet ? C’est un enjeu majeur au moment où se développent considérablement de nouvelles voies thérapeutiques, spécialement en cancérologie.

Ensuite, la France qui occupait, et de loin, le premier rang en matière d’attractivité pour les essais cliniques, a régressé à la troisième place en Europe, passant en particulier derrière l’Espagne. Selon les laboratoires que j’ai interrogés, cela est dû à la lourdeur de nos procédures, qui les incite à nous préférer d’autres pays pour gagner en simplicité et donc en temps. Peut-on espérer la simplification de la procédure très normée des essais cliniques, qui nous fait perdre en souplesse et en efficacité ?

Enfin, nous allons vers une médecine personnalisée, avec des thérapies ciblées. Mais le dogme du conflit d’intérêts, qui tient parfois de la paranoïa, est un boulet à notre pied alors que d’autres pays ont fait le choix de la transparence. La médecine évolue à vive allure et on peut ne pas trouver de spécialistes de ces nouvelles approches thérapeutiques. Allons-nous malgré tout conserver le cadre quelque peu pénalisant qui règle les conflits d’intérêts ?

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). En 2023, 37 % des Français disaient avoir connu des pénuries de médicaments, et le nombre de signalements à l’ANSM de ruptures ou de risques de rupture a été multiplié par 5,6 entre 2018 et 2023. Étant donné ces pénuries permanentes, les laboratoires pharmaceutiques ont, depuis 2021, obligation de disposer d’un approvisionnement de sécurité pour les médicaments dits d’intérêt thérapeutique majeur, mais elle n’est pas systématiquement respectée et les sanctions sont rares. Fin septembre 2024, à la suite d’un contrôle portant sur plus de 400 médicaments, l’ANSM a, de façon inédite, condamné onze laboratoires pharmaceutiques, notamment Sanofi et Biogaran, à payer une amende de 8 millions d’euros pour ne pas avoir respecté cette obligation.

Si l’agence ne dispose pas des effectifs nécessaires à la cartographie des risques de rupture – si je ne me trompe pas, le pôle défaut qualité et ruptures de stock compte 8 équivalents temps plein –, la généralisation de l’usage du logiciel DP-Ruptures par la chaîne du médicament devrait permettre d’améliorer l’information en temps réel. Cependant, l’action de l’ANSM en cette matière se limite majoritairement à des sanctions après contrôles alors qu’elle peut prendre des mesures de gestion de pénurie. L’agence peut-elle user plus systématiquement de son pouvoir de sanction et de gestion des pénuries et en a-t-elle les moyens ? Que pensez-vous d’une évolution légale portant obligation de sanction par l’ANSM ?

Au sujet du cannabis thérapeutique, pourquoi l’agence n’a-t-elle pu délivrer une autorisation temporaire de cinq ans avant le 31 décembre 2024 ? Pourquoi le décret n’a-t-il pu être publié ? Que pensez-vous de l’extinction de l’expérimentation en juillet 2025 alors que le législateur s’est prononcé en faveur d’un régime d’autorisation spécifique pérenne ?

Quelle est votre position sur la stratégie de baisse des prix des médicaments et sur la baisse du rendement de la clause de sauvegarde ? Considérez-vous le risque d’un effet contradictoire dans la lutte contre les pénuries ? Enfin, la solution pour sortir de cette impasse n’est‑elle pas de créer un pôle public du médicament et de lever des brevets ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Le nombre de signalements à l’ANSM de rupture et de risques de rupture de stock est passé de 330 en 2014 à 5 000 en 2023 et il vient d’être rappelé que près de 40 % de Français ont été confrontés à une pénurie de médicaments en officine. Certes, des mesures ont été prises depuis la loi de modernisation du système de santé en 2016 et la LFSS 2020 avec l’obligation d’élaboration d’un plan de gestion des pénuries pour tout MITM. Cet arsenal législatif étant manifestement inefficace, je centrerai mon propos sur les évolutions récentes. Puisque la directrice générale de l’ANSM invitait encore récemment les industriels à « anticiper dès à présent les approvisionnements pour garantir la couverture des besoins à l’issue de la saison hivernale », pourquoi le nombre de sanctions demeure-t-il si faible ? Aucune n’a été infligée en 2021 et trois seulement en 2022, d’un montant très –360 000 euros, à rapporter aux quelque 30 milliards de chiffre d’affaires annuel de l’industrie du médicament en France.

Ayant à l’esprit la proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments présentée en février 2024 par ma collègue Valérie Rabault, je vous poserai enfin une question précise et parfaitement dans l’actualité, puisque l’Assemblée nationale va se prononcer dans quelques minutes sur une motion de censure déposée après l’adoption de la troisième partie du PLFSS par le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution : que pensez‑vous de la suppression, dans la version du texte ainsi adoptée, de la capacité, introduite par un amendement au Sénat, donnée au directeur général de l’ANSM de fixer des seuils de sécurité supérieurs à ceux prévus par la loi en cas de rupture d’approvisionnement ou de risque de rupture ?

Mme Josiane Corneloup (DR). Les médicaments de toutes classes thérapeutiques sont concernés par les ruptures de stock qui auraient déjà affecté 37 % des Français. Moi-même pharmacien, je suis directement concernée par ces pénuries et régulièrement interpellée par les habitants de ma circonscription inquiets de ne pas trouver certains médicaments, l’amoxicilline en particulier. Depuis 2021, la loi prévoit l’obligation d’un stock de sécurité de quatre mois au minimum pour les MITM s’ils ont fait l’objet de ruptures ou de risques de rupture réguliers au cours des deux années précédentes, alors que ce stock est fixé à deux mois pour les autres médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Mais on compte plus de 8 000 MITM ; c’est beaucoup pour avoir une démarche agile et moduler les stocks de sécurité en fonction de l’intérêt stratégique. Ne faut-il pas créer une nouvelle catégorie plus restreinte et augmenter éventuellement le volume des stocks de sécurité pour ces seuls médicaments ?

Par ailleurs, l’une des priorités de l’ANSM, me semble-t-il, doit être de définir un plan de gestion à même de transmettre rapidement à tous les secteurs, en premier lieu aux prescripteurs et pharmaciens, les informations et instructions dont ils ont besoin pour faire face aux ruptures de stock. Ce plan devrait prévoir les conduites à tenir, les recommandations en matière de prescription pour préserver les unités disponibles, la consigne de ne plus engager de nouveaux traitements et, pour les patients en cours de soins, privilégier les alternatives thérapeutiques en renseignant sur ces alternatives à la mise en œuvre parfois complexe. Des dispositifs complémentaires pourraient être déployés : dispensation des médicaments à l’unité ou préparations magistrales. Des recommandations pourraient aussi concerner les remplacements de molécules manquantes, avec des tableaux d’équivalence et des monographies, ainsi que des informations actualisées à mesure de l’évolution de la situation. Tout cela est essentiel pour une gestion plus fluide des ruptures de stock, pour limiter les risques et pour diminuer l’impact pour le patient. Un tel plan de gestion sera-t-il une priorité si vous êtes à nouveau présidente du conseil d’administration de l’ANSM ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Christine Loir (RN). Votre agence a décidé de modifier les pictogrammes de mise en garde destinés aux femmes enceintes sur les boîtes de médicaments. Ces pictogrammes sont pourtant bien compris par le public et reconnus par les professionnels de santé pour leur clarté. Le rond barré utilisé à l’international permet une lecture simple et immédiate du danger. En quoi un triangle rouge et un système inspiré du Nutriscore avec des nuances de bleu, orange, rouge et violet, totalement inadapté aux médicaments, améliore‑t‑il l’information ? Au contraire, une femme atteinte de daltonisme ne distinguera rien dans ce nuancier. Cette proposition risque d’induire une confusion majeure. D’autre part, vous maintenez le pictogramme historique uniquement pour la Dépakine et non pour d’autres médicaments tout aussi tératogènes, tel le Roaccutane. Où est la cohérence ? Comment justifiez‑vous cette décision alors qu’aucun élément tangible ne prouve que le pictogramme actuel soit incompris ? Cette réforme qui pourrait exposer les patientes à un danger accru n’est‑elle pas une régression inquiétante de la protection des femmes enceintes et de notre système de santé publique ?

M. Thibault Bazin, rapporteur général. Le contexte budgétaire est contraint. L’année dernière, l’ANSM a bénéficié d’une dotation de de 142,62 millions d’euros de l’assurance maladie. Votre demande était un peu plus importante pour 2025 mais elle a été réduite par le gel des crédits. Les agences sanitaires de l’État remplissent des missions différentes, qui se chevauchent parfois très légèrement. Avez-vous des pistes de simplification et d’efficience vous permettant de bien remplir vos missions et d’en clarifier certaines au regard des tâches d’autres agences ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). La ministre de la santé a annoncé que chaque Endotest, test salivaire permettant de diagnostiquer l’endométriose, coûterait 800 euros par utilisation. Cette tarification, qui paraît prohibitive, n’est pas celle qu’avait annoncée le premier laboratoire pharmaceutique prêt à commercialiser ce dispositif. Comment en arrive-t-on à un prix pareil pour un test salivaire relativement simple, qui permettrait probablement de faciliter la détection de l’endométriose mais qui, à semblable tarif, ne vaudra peut-être pas le coup pour l’assurance maladie ?

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. Beaucoup d’entre vous m’ont, légitimement, interrogée sur les pénuries, que j’avais évoquées dans mes propos liminaires. Peut-on régler le problème ? Je vous l’ai dit, l’écosystème des produits de santé et des médicaments a structurellement et puissamment changé depuis trente ans. L’accès généralisé aux produits de santé, y compris dans des pays émergents, fait que les principes actifs nécessaires à la production des médicaments, qui ne sont pas des biens ordinaires, sont devenus des biens rares. La pandémie de covid-19 a sans doute accéléré ou révélé l’ampleur de ces problèmes. Faire ce constat ne signifie pas s’en satisfaire et se dire que l’on ne fait rien parce que les choses ont déjà beaucoup bougé depuis la fin des années 2010 et surtout 2020, au fil des LFSS successives. Plusieurs d’entre vous l’avez dit, des leviers supplémentaires ont été mis au point, dont certains à la main de l’ANSM. Je vous en donnerai des illustrations.

Si l’on met en perspective les ruptures de stock, notamment la pénurie d’amoxicilline, qui se sont produites au cours des trois derniers hivers, on voit que les situations étaient complétement différentes. Le premier hiver très compliqué a été l’hiver 2022-2023, au sortir de la pandémie. La production de médicaments avait été altérée par l’ampleur de la crise et tout le secteur avait été touché. La remise en route de l’appareil industriel a été caractérisée par l’insuffisance de la production, de surcroît calculée sur une base de consommation substantiellement réduite, puisque pendant la pandémie la consommation d’antibiotiques a baissé d’environ 20 %. Cet hiver-là, la difficulté tenait à la production et à la disponibilité des produits.

Pendant l’hiver 2023-2024, la difficulté tenait à la répartition des produits sur le territoire et entre les grossistes-répartiteurs et les officines, avec des disparités très marquées. Cela a conduit l’agence à élaborer, dans un dialogue avec toutes les parties prenantes, une charte de bonnes pratiques signée en novembre 2023, qui incitait les acteurs à modifier quelque peu leur mode d’approvisionnement. Le sujet principal a été évoqué publiquement : certaines pharmacies achetaient l’amoxicilline directement auprès des laboratoires pharmaceutiques et en faisaient un produit d’appel. Certains laboratoires vendaient ainsi l’ensemble de leurs gammes de produits génériques et des stocks très importants d’amoxicilline étaient constitués en certains lieux, ce qui a conduit à de très fortes disparités territoriales. La charte a eu pour effet de modifier un peu cette approche pendant l’hiver en cours. Les chiffres sont accessibles sur le site de l’agence et les travaux menés dans le cadre du plan hivernal que nous avons défini montrent que la situation, pour l’amoxicilline en tout cas, est bien meilleure qu’elle ne le fut. Je ne dis pas que tout est parfait partout, mais la situation est infiniment plus satisfaisante qu’elle ne l’était l'an dernier. Cette mise en perspective montre que les causes des tensions n’étaient pas les mêmes, ni donc les leviers d’action.

Il faut effectivement mettre au point un arsenal d’actions d’anticipation ; à cette fin, l’enjeu des systèmes d’information partagés est fondamental. Tous les acteurs de la chaîne sont obligés de renseigner DP-Ruptures, le logiciel piloté par le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens. Si tous, des producteurs aux dispensateurs en passant par les grossistes-répartiteurs, alimentent ce système intégré qui permet à l’ANSM d’avoir l’information en temps réel et de la partager avec toutes les parties pour ajuster la stratégie dès qu’une difficulté se dessine, l’anticipation, la proactivité et donc les résultats seront bien meilleurs.

J’évoquerai à nouveau la nécessité de la communication avec tous les acteurs. L’agence y veille sur son site internet à chaque fois que des tensions apparaissent, mais aussi dans le cadre des groupes d’échanges et d’interfaces. Ainsi peut-on travailler de conserve à la bonne information pour le prescripteur et pour l’officine, afin de déterminer quels sont les produits éventuellement substituables et, le cas échéant, la conduite à tenir. On note actuellement une tension d’approvisionnement concernant un antipsychotique atypique ; l’agence a immédiatement fait paraître des consignes sur son site à ce sujet. Cette stratégie doit sans doute être encore amplifiée.

La question du volume des stocks de sécurité pour anticiper d’éventuelles tensions d’approvisionnement ou y faire face a été abordée plusieurs fois. La règle générale est un stock de deux mois de consommation pour les MITM ; ce volume peut être porté à quatre mois si le laboratoire a été à l’origine de ruptures d’approvisionnement régulières. Faut-il aller plus loin ? Des débats ont eu lieu à ce sujet lors de la discussion de la proposition de loi de Mme Valérie Rabault au printemps dernier, certains proposant même de porter le stock obligatoire à huit mois. Mais, sur le plan économique, un stock, c’est de l’argent, et cela peut provoquer des difficultés. Il faut donc trouver le bon équilibre, sachant que les stocks de sécurité peuvent servir pour atténuer un risque – par exemple si un incident de fabrication se produit dans une usine. Aussi, plutôt que d’augmenter systématiquement le volume des stocks, l’évolution qui se dessine dans le PLFSS 2025 est de laisser une capacité de modulation, à la hausse ou à la baisse, à la main de l’ANSM qui tiendra compte des éléments de contexte : le laboratoire, la situation, l’ampleur de la crise. Il est important d’améliorer la modularité et la capacité donnée à l’agence d’ajuster la stratégie, en la fondant sur l’amplification attendue des plans de gestion de pénurie. Les contrôles opérés par l’agence montrent aussi que les plans de gestion de pénurie ne sont peut-être pas suffisamment structurés dans certains laboratoires. Enfin, l’ANSM dispose d’un autre levier : il existe un mécanisme européen de solidarité volontaire permettant un soutien mutuel visant à atténuer les effets des pénuries graves de médicaments.

En décembre dernier, l’agence a mis jour la liste des MITM ; on en dénombre effectivement 8 000 en France. Faut-il restreindre cette liste ? C’est un système de poupées russes. Il y a d’une part 450 médicaments dits essentiels. D’autre part, dans le cadre d’une coopération européenne, un travail est conduit sur les médicaments critiques, et cette autre liste peut recouper pour partie celle des médicaments essentiels. Sans doute des ciblages gradués doivent-ils être définis, qui tiennent compte du contexte. D’ailleurs, la feuille de route interministérielle sur la lutte contre les pénuries met en avant un travail saisonnier, les besoins en médicaments et les risques de pénurie n’ayant pas la même acuité à tous moments de l’année. C’est pourquoi il y a un plan hivernal et aussi un plan blanc pour pouvoir faire face à une hypothétique pénurie gravissime de certains médicaments. Pour être efficaces, tous ces outils demandent que l’on y consacre le temps nécessaire d’analyse et de contrôle. Je précise incidemment que depuis le mois dernier l’agence a repris la compétence de contrôle sur les grossistes-répartiteurs. Ces opérateurs essentiels de l’acheminement et de la distribution des médicaments et des produits de santé ont, conformément aux dispositions du code de la santé publique, des obligations sévères en termes de continuité de service et de garantie de fournitures dans un délai très court. Ce renforcement du rôle de contrôle de l’agence va dans le bon sens.

M. Lauzzana juge compliquée la réglementation française des essais cliniques. Peut-être faisiez-vous allusion au contrôle éthique de ces essais, notamment aux comités de protection des personnes. Ce sujet n’est pas entièrement à la main de l’agence puisque, après s’être déployé progressivement au cours des trois dernières années, le règlement européen sur les essais cliniques s’applique pleinement depuis le 31 janvier 2025. Tout promoteur doit maintenant s’y conformer en renseignant la base de données créée à cet effet et en s’inscrivant pour pouvoir obtenir les autorisations nécessaires, soit de l’État membre auprès duquel il souhaite procéder à des investigations s’il s’agit d’un essai clinique national, soit auprès de plusieurs États membres si l’essai est prévu pour se dérouler en plusieurs lieux. Tout est centralisé dans la même application.

En matière d’essais cliniques, la France est dans le trio de tête, derrière l’Espagne et l’Allemagne. Elle est en deuxième position pour le nombre total d’essais cliniques soumis, en première position pour les essais cliniques en France seulement et en troisième position pour les essais cliniques multipays. La durée de délivrance des autorisations est d’une centaine de jours en moyenne, tous États confondus ; avec 114 jours environ, elle est un peu supérieure en France. Ce petit écart peut être résorbé et l’agence est fortement mobilisée à ce sujet.

Vous avez évoqué la population pédiatrique dans les essais cliniques. On peut aussi penser à la population des personnes très âgées, car on sait la difficulté des essais cliniques en cas de cohortes restreintes. On en revient à l’enjeu de la potentialisation des données que j’évoquais précédemment. Des données en vie réelle permettront de travailler aussi sur des jumeaux numériques, ces doubles virtuels palliant la difficulté de trouver des cohortes de taille suffisante pour mener des essais cliniques. L’approche populationnelle est un sujet important dans la stratégie de déploiement de l’ANSM ; au sein du conseil d’administration, des représentants d’associations de patients mettaient en lumière la difficulté d’adaptation à usage pédiatrique des produits de santé et l’agence est en train de prendre ce virage. Tout n’est pas encore réglé, mais c’est un sujet de préoccupation sur lequel il faut avancer.

M. Michel Lauzzana (EPR). Je n’évoquais pas l’hypothèse d’essais cliniques spécifiques aux enfants mais l’inclusion d’enfants âgés de plus de 12 ans dans les cohortes d’essais cliniques généralistes. Les laboratoires pourraient le faire mais ne le font pas car ils jugent les démarches – par exemple l’obtention de l’autorisation des parents – compliquées.

Mme Valérie Delahaye-Guillocheau. J’avoue ne pas pouvoir répondre précisément à cette question technique.

L’agence avait créé un comité scientifique temporaire sur le cannabis à usage thérapeutique dans le cadre de l’autorisation d’expérimentation donnée par la LFSS 2022. Cet essai, qui devait initialement se terminer à la fin de l’année 2023, a été prolongé d’un an. L’échéance du 31 décembre 2024 étant dépassée, le dispositif est arrivé à son terme. Le ministre de la santé a pris des dispositions transitoires concernant les quelque 1 800 personnes qui bénéficiaient, si je puis dire, de cette mesure expérimentale pour pouvoir gérer la sortie du dispositif dans les six mois qui viennent. Pour permettre éventuellement le développement du cannabis à usage thérapeutique, il faudra certainement une autorisation législative.

Les experts du comité scientifique permanent travaillent sur le pictogramme « grossesse ». Les équipes de l’ANSM m’ont fait savoir que le sujet a été remis au premier plan parce que plusieurs tests ont montré une mauvaise perception de ce pictogramme. La réflexion est en cours ; la décision n’est pas prise. Ce chantier prioritaire renvoie bien sûr à la question du bon usage du médicament et au risque d’effets secondaires, singulièrement en cas de grossesse.

Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur général, les moyens de l’ANSM. Dans mes propos introductifs, j’ai dit que, comme tous les opérateurs, le conseil d’administration de l’agence a voté son budget au mois de novembre – en fonction d’hypothèses qui ne sont plus d’actualité. J’ai noté qu’à l’issue de la commission mixte paritaire, la fixation d’un plafond pour l’ensemble des opérateurs financés par le sixième sous-objectif de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie fera très certainement revenir le budget 2025 au niveau de celui de 2024. Le conseil d’administration sera donc sans doute amené à adopter un budget rectificatif après la promulgation de la loi de financement.

J’ai aussi indiqué qu’au long des trois années passées à la présidence du conseil d’administration de l’agence, j’ai été attentive à l’adéquation des missions et des moyens. Pendant ces années, l’ANSM a bénéficié de moyens en augmentation, qu’il s’agisse de la dotation de l’assurance maladie qui représente 90 % de ses ressources ou des ressources découlant de son engagement au niveau européen, la France étant un rapporteur très actif des projets d’AMM européennes. L’agence a déjà beaucoup travaillé à son efficience interne en hiérarchisant ses actions en fonction des priorités. Ainsi, la question des pénuries de médicaments a pris une dimension majeure, sans doute en délaissant d’autres activités. L’agence s’est aussi fortement engagée dans la potentialisation des données. Des simplifications de procédures sont encore possibles grâce à la numérisation, un très grand nombre de données numériques pouvant être réutilisées de façon optimale. Cela suppose des développements informatiques, qui sont en cours de réalisation.

Vous avez aussi évoqué l’articulation de l’ANSM avec d’autres opérateurs, dont, je suppose, la HAS. Lors de la réforme de l’accès précoce aux médicaments, au bénéfice des populations en impasse thérapeutique, le travail complémentaire de ces deux organismes a montré son efficacité ; le dispositif est monté en charge à la suite des mesures prises en 2021, il est efficace, et chacun est dans son rôle. Certains pensent qu’il y a une certaine porosité entre la HAS et l’ANSM. Je considère que le positionnement des deux institutions n’est pas le même : l’agence est la gardienne de la sécurité du médicament, la HAS est chargée de l’amélioration du service médical rendu. Ces approches sont complémentaires. Le Gouvernement a annoncé une revue des missions dans les prochains. L’ANSM prendra toute sa place et continuera d’améliorer son efficience et de s’adapter aux évolutions, comme elle l’a fait au cours des trois dernières années. À titre personnel, je ne suis pas très favorable à des grands jeux de Meccano institutionnel car on sait que les grosses opérations de rapprochement entraînent aussi des coûts de transition pour les équipes et qu’elles sont très chronophages.

J’évoquerai donc d’autres pistes peut-être plus intéressantes et porteuses d’une plus grande efficience pour l’ANSM mais aussi pour l’ensemble des acteurs, et pour commencer le bon usage du médicament, question essentielle qui participe d’ailleurs de la solution aux pénuries : en consommant moins de médicaments et à meilleur escient, on règle pour partie les pénuries de médicaments qui, je le redis, ne sont pas des produits ordinaires. À l’échelon territorial, de nombreuses structures travaillent sur le bon usage du médicament : les observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques ainsi que les comités régionaux d’antibiorésistance, souvent animés par les ARS. Peut-être pourrait‑on rationaliser toutes ces entités qui occupent beaucoup du temps d’un grand nombre d’acteurs des ARS, de l’ANSM, des établissements de santé, des représentants des médecins et des pharmaciens. Des marges de progrès sont possibles.

La fixation du prix des produits de santé revenant au Comité économique des produits de santé, je m’abstiendrai de répondre aux questions portant sur le prix des médicaments ou des tests salivaires de l’endométriose. Je ne dispose pas des éléments qui seraient nécessaires pour vous donner une réponse précise.

Enfin, la question des conflits d’intérêts est difficile pour l’ANSM étant donné son histoire pas si ancienne. La loi « Mediator » de 2012 a renforcé l’exigence et l’agence opère dans une transparence réelle. Sur son site, vous avez accès aux déclarations publiques d’intérêts des membres de tous les comités scientifiques, temporaires et permanents, et de toutes les instances dont, bien sûr, le conseil d’administration, ainsi que des informations sur les déports éventuels des experts. La question soulevée dépasse l’ANSM, qui ne peut y répondre seule. Mais il est en effet fondamental que l’agence continue de disposer des experts nécessaires pour lui permettre de mener son action en son sein et dans les comités scientifiques.

Pour conclure, je reviens un instant sur l’antibiorésistance. Des leviers nouveaux existent depuis la LFSS 2023 : la généralisation de la dispensation d’antibiotiques par le pharmacien après des tests rapides, pour une angine ou pour une infection urinaire par exemple. Cette mesure parce qu’elle garantit une prescription à bon escient, va dans le bon sens. D’autre part, l’agence participe à la lutte contre l’antibiorésistance en participant à de nombreux travaux sur la phagothérapie.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie pour ces propos précis et complets.

*

Enfin, la commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à protéger les travailleuses et travailleurs du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 770) (Mme Sophie TailléPolian, rapporteure).

Article unique : Interdire le travail de nuit pour les salariés des entreprises de propreté

Amendement AS11 de Mme Ségolène Amiot

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Les effets désastreux du travail de nuit sur la santé sont connus depuis longtemps : perturbations de l’horloge biologique, maladies cardiovasculaires, cancers, troubles de l’humeur, dépression. Les conséquences sociales sont grandes également : isolement, perte de sens du travail, invisibilisation constante.

En parallèle, la protection des travailleuses et travailleurs de nuit, qui sont très peu payés et souvent des femmes, est très faible. La protection théorique du licenciement en cas de refus de travail de nuit va mal avec la réalité du principe de subordination qui lie les salariés au patron et qui, de fait, les empêche bien souvent de refuser. Si le travail de nuit permet d’abonder le compte professionnel de prévention, les possibilités de reconversion ou de reclassement après une formation sont infimes. Nous proposons donc de sanctuariser l’interdiction du travail de nuit en précisant que les dérogations y sont strictement exceptionnelles.

Mme Sophie Taillé-Polian, rapporteure. Je partage votre analyse sur les dangers du travail de nuit pour la santé, sur la tendance à y recourir de manière trop importante au regard des besoins de l’économie et sur l’insuffisance des protections et des compensations. Cependant, votre amendement d’appel dépassant largement le cadre de cette proposition de loi, je vous demanderai de le retirer.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Le travail de nuit nécessite un véritable débat de fond, et pas seulement dans le secteur de la propreté, même si celui-ci est particulièrement sensible en raison de l’invisibilisation de ses travailleurs. Toutefois, j’entends l’appel de la rapporteure et je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement AS1 de M. Yannick Monnet

M. Yannick Monnet (GDR). La définition des heures de nuit dans le code du travail est beaucoup trop restreinte car elle ne tient pas compte du travail en soirée ou tôt le matin. De tels horaires sont considérés comme typiques alors qu’ils sont contraignants pour ceux qui ont des enfants – il faut les emmener à l’école le matin, surveiller leurs devoirs le soir, etc. Nous proposons de considérer que la tranche horaire de 18 heures à 9 heures du matin est atypique, donc classée en horaires de nuit.

Mme la rapporteure. Il manque en effet, entre le travail de nuit et le travail de jour, une catégorie correspondant aux horaires décalés, qui entraînent une dégradation importante de la vie sociale et font courir les mêmes dangers sur la santé que le travail de nuit. Une définition globale des horaires atypiques est donc nécessaire, assortie de limitations et de compensations.

Je vous demande toutefois de retirer votre amendement au profit du mien, AS21, qui apporte une définition des horaires atypiques tout en préservant celle du travail de nuit, qui existe déjà et qui est claire. De plus, je préfère retenir la borne de 7 heures 30 pour définir un horaire atypique car elle correspond à celle du travail en journée.

M. Yannick Monnet (GDR). Une tranche horaire allant de 7 heures 30 à 19 heures est justement problématique, car elle incite les entreprises à faire travailler les gens à partir de 7 heures 30. Je maintiens donc mon amendement.

Mme la rapporteure. Mon avis sera donc défavorable. Démarrer la journée de travail à 9 heures me paraît bien tardif, si l’on pense à tous les écoliers et les enseignants qui commencent à 8 heures ! Cela concernerait une proportion de salariés trop importante. En tout état de cause, un travail d’ampleur doit être ouvert sur cette question.

M. Philippe Vigier (Dem). Il existe une convention collective des entreprises de propreté, qui date de 2011 et qui prévoit une tarification majorée pour les heures effectuées entre 21 heures et 6 heures du matin et des repos compensateurs. Je ne suis pas opposé à ce que l’on rémunère mieux les horaires atypiques, mais ne nous asseyons pas sur ce qu’ont fait les partenaires sociaux.

D’autres branches pratiquent le travail de nuit et ont conclu des accords. Veillons à ne pas créer trop de distorsions : on peut tenir compte des horaires atypiques, mais pas de façon désordonnée.

M. François Ruffin (EcoS). Les partenaires sociaux trouvent que cette convention est très déséquilibrée, parce que les forces syndicales représentant les salariés sont très émiettées. Par ailleurs, c’est justement parce qu’elle a fixé les horaires de nuit de 21 heures à 6 heures du matin que toutes les entreprises de propreté font commencer leurs salariés à 6 heures. C’est cela qu’il convient de corriger.

Enfin, nombreux sont ceux qui nous disent que nous posons la bonne question mais que nous n’avons pas la bonne réponse. Soit, mais qu’avez-vous fait depuis cinq ans ? Aucune solution n’a été proposée aux femmes de ménage et aux agents d’entretien pour améliorer leurs conditions de travail.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous soutenons cet amendement parce que l’extension de l’interdiction du travail de soirée et de nuit à la branche du nettoyage permet de renforcer le combat contre la fragmentation des horaires. Les horaires de jour fixés dans la convention collective sont très larges. Commencer sa journée de travail à 6 heures du matin, non seulement c’est tôt, mais cela signifie qu’on a dû faire une heure de trajet à un moment où il n’y a pas forcément de transports en commun. Il en va de même le soir : en région parisienne, on dispose de transports en commun à 21 heures, mais ce n’est pas le cas partout. Il faut tenir compte de tout ce que cela implique de travailler à partir de 6 heures et jusqu’à 21 heures.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5 de Mme Océane Godard

M. Jérôme Guedj (SOC). Il s’agit de remplacer à l’alinéa 2 le terme « salariés » par celui de « travailleurs » afin d’étendre l’interdiction du travail de nuit à l’ensemble des travailleuses et travailleurs du secteur du nettoyage, qui peuvent être aussi intérimaires ou travailleurs indépendants. Tous ceux qui travaillent la nuit sont concernés par les risques pour la santé et les déséquilibres sociaux et méritent, indépendamment de leur statut, une protection égale.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement car le texte vise expressément la branche professionnelle des entreprises de propreté et services associés : on ne peut donc reconnaître que les salariés couverts par les dispositions conventionnelles de cette branche. Cela dit, si elle est adoptée, la proposition de loi devrait avoir un effet d’entraînement et faire évoluer les pratiques de tout le secteur, et donc bénéficier à tous ses travailleurs.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je veux bien retirer cet amendement mais que fait-on alors des travailleurs indépendants, dans un secteur où l’ubérisation est très présente ?

Mme la rapporteure. Juridiquement, dès lors que le texte s’applique à une branche, il ne concerne que ses salariés. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement visant à modifier le titre de la proposition de loi en conséquence. Si l’on veut lutter contre l’ubérisation, qui recourt souvent à des travailleurs indépendants pour éviter de les salarier, il faut une démarche beaucoup plus globale.

M. Jérôme Guedj (SOC). Une entreprise, pour échapper aux dispositions de la loi, aura donc encore plus intérêt avec ce texte à inciter ses salariés à se déclarer autoentrepreneurs. En voulant bien faire, on risque paradoxalement d’accélérer un mouvement déjà très marqué.

L’amendement est retiré.

Amendement AS21 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. La définition actuelle du travail de nuit – de 21 heures à 6 heures du matin – est trop restrictive pour prendre en compte la réalité des conditions de travail des salariés des entreprises de propreté, marquées, selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, par une prévalence du travail très matinal – de 5 heures à 8 heures du matin – et en soirée – de 19 heures à 22 heures. Or la littérature scientifique démontre que le travail précoce ou tardif a des effets tout aussi délétères que le travail de nuit sur la santé et la vie sociale.

L’amendement propose donc d’introduire la notion d’horaires atypiques, qui iraient de 19 heures à 7 heures 30, reprenant ainsi les bornes posées par une circulaire du 16 mars 2022 concernant l’emploi dans les secteurs de la propreté et de la sécurité privée. Tant le travail de nuit que le travail en horaires atypiques seraient interdits pour les salariés relevant de la branche professionnelle de la propreté, sous réserve de dérogations prévues par la loi.

Nous espérons que cette définition des horaires atypiques pourra ultérieurement être étendue à d’autres branches.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS2 de Mme Karine Lebon

M. Yannick Monnet (GDR). Cet amendement vise à encadrer les dérogations, bien trop simples à obtenir en l’état du texte. Une dérogation trop facile à obtenir devient très vite la règle.

Mme la rapporteure. Je suis très favorable à l’encadrement proposé, à savoir une consultation du comité social et économique ou, à défaut, des délégués du personnel, avec une autorisation préalable de l’inspecteur du travail.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS4 de Mme Karine Lebon tombe.

Amendement AS10 de Mme Sarah Legrain

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Il s’agit de réserver les possibilités de dérogation aux activités d’utilité sociale, alors qu’elles sont autorisées aussi lorsque le seul intérêt économique est en jeu. Ainsi, on peut comprendre que le nettoyage soit effectué en pleine nuit dans un hôpital, mais pas dans une entreprise lorsque ce n’est justifié que par son intérêt économique. Cela nous paraît être une mesure de bon sens.

Mme la rapporteure. L’utilité sociale est une raison évidente pour adapter les horaires de travail, comme dans un hôpital, mais l’activité économique peut en être une aussi. Il ne s’agit pas de prévoir des dérogations pour des raisons de profitabilité et de rendement à tout crin, mais de prendre en compte la réalité du travail. Ainsi, dans la restauration, les règles dites « HACCP » (Hazard Analysis Critical Control Point), qui ont trait à la sécurité alimentaire, interdisent de faire le nettoyage en même temps que la cuisine – sachant que l’on ne peut faire la cuisine pour le déjeuner que tôt le matin.

Je souhaite donc que vous retiriez votre amendement au profit du suivant, votre amendement AS14, qui précise utilement ce qu’est une nécessité liée à l’activité économique et que je me permettrai de sous-amender pour le rendre encore plus opérant.

L’amendement est retiré.

Amendement AS14 de Mme Sarah Legrain et sous-amendement AS26 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). L’amendement est défendu.

Mme la rapporteure. Je propose de préciser que c’est l’activité économique du donneur d’ordre, et non celle du sous-traitant, qui peut justifier une dérogation à l’interdiction du travail de nuit. Sinon, les entreprises n’auront qu’à dire que leurs clients le demandent pour y être autorisées.

M. François Ruffin (EcoS). Concrètement, entre 19 heures et 21 heures, ce serait du travail atypique ; entre 21 heures et 7 heures du matin, on serait en horaires de nuit, à condition que le travail soit constant entre minuit et 5 heures du matin. Et entre 7 heures et 7 heures 30, on s’y perd, parce que cela dépend des secteurs.

Quoi qu’il en soit, les horaires de nuit donnent lieu à une surpaye, même si elle est à mon avis insuffisante. Mais qu’en est-il pour les horaires atypiques ? Une compensation est‑elle envisagée ?

Mme la rapporteure. L’amendement AS7, auquel je donnerai un avis favorable, proposera que les dérogations accordées s’accompagnent de compensations.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sousamendé.

Amendement AS7 de Mme Océane Godard et sous-amendement AS25 de Mme Sophie Taillé-Polian ; amendement AS3 de M. Yannick Monnet

M. Jérôme Guedj (SOC). L’amendement AS7 prévoit des compensations lorsque des dérogations au travail de nuit sont accordées, sous la forme de majorations salariales et de repos compensateurs. C’est une mesure de sécurisation et de clarification qu’il convient de graver dans le code du travail.

Mme la rapporteure. J’y serai favorable sous réserve de remplacer le terme de « travailleurs » par celui de « salariés », par cohérence avec la discussion antérieure.

M. Yannick Monnet (GDR). Pour notre part, nous proposons une majoration salariale de 75 %, afin qu’il soit vraiment attractif de travailler la nuit. Le taux actuel de 25 % est bien insuffisant, ce qui explique sans doute pourquoi les entreprises peinent à recruter.

Mme la rapporteure. L’amendement AS3 ne mentionne pas le repos compensateur, contrairement à l’amendement AS7, qui me semble donc un peu plus protecteur.

M. Fabien Di Filippo (DR). Voilà un texte met du liant dans le NFP. On les laisse présenter leurs mesures tranquillement et on se retrouve avec un triplement de la majoration salariale du travail de nuit ! Autant l’interdire, ce sera plus simple ! Sans imaginer un instant l’effet que cela aura sur l’équilibre économique des entreprises et les conséquences en cascade qui s’ensuivront, vous vous trouvez très satisfaits de ce que vous proposez : il doit être bien agréable, ce monde parfait dans lequel vous vivez.

M. Philippe Vigier (Dem). Franchement, le modèle économique ne tiendra pas si la majoration passe de 25 % à 75 %. Sans doute faut-il accorder de nouveaux avantages aux travailleurs de nuit, mais vous êtes les premiers à avoir rappelé la fragilité de notre situation économique et la multiplication des plans sociaux ! Je redoute l’effet boule de neige de cette augmentation : pourquoi, dans les usines organisées en trois-huit, les salariés travaillant la nuit n’auraient-ils pas droit à 75 % aussi ? Ce n’est pas tenable.

M. François Ruffin (EcoS). Le droit en vigueur prévoit une majoration salariale uniquement pour le travail de nuit – soit des horaires qui ne sont pas ceux des femmes de ménage – et seulement à un taux de 25 %. Ainsi, actuellement, les femmes de ménage ne touchent aucune prime.

En majorant le salaire pour le travail effectué tôt le matin et tard le soir, nous donnerons aux entreprises de propreté un levier pour inciter les donneurs d’ordre à programmer les ménages en journée. En effet, les entreprises du secteur souhaitent largement ce type d’horaires, mais les donneurs d’ordre le leur refusent.

Le taux actuel de majoration, 25 %, n’est pas satisfaisant. Il faut passer à au moins 40 ou 50 % pour inciter au changement. La menace de la délocalisation est réelle dans des secteurs comme l’industrie, par exemple, mais pas dans ceux de la propreté ou de la grande distribution. Alors que nous disposons d’une marge de manœuvre dans ces secteurs, l’État ne joue pas son rôle pour peser en faveur des salariés.

M. Yannick Monnet (GDR). D’abord, nous devons inciter au travail de jour. Ensuite, si, pour une raison quelconque, les salariés doivent travailler la nuit, ils doivent être rémunérés correctement. Actuellement, au plus bas de l’échelle, le salaire horaire oscille entre 12 et 14 euros, et le temps partiel est fréquent.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous parlons de salariés qui gagnent en moyenne moins de 900 euros par mois et qui se lèvent à 3 ou 4 heures du matin parce qu’on veut être sûr de ne pas les croiser dans les bureaux.

Reprenez les études sur le travail de nuit ou en horaires décalés, que j’ai bien étudiées parce que j’étais concernée : on y voit qu’on perd jusqu’à quatorze ans de vie à subir ces horaires. Soyons sérieux. On repousse la retraite à 64 ans, on ne nous paye pas correctement, on nous demande de nous lever à 3 heures du matin et de mourir plus jeunes, et on nous refuse une majoration de 75 % pour les horaires de nuit ?

M. Fabien Di Filippo (DR). Pourquoi pas 125 % ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Pourquoi pas ! Nos années de vie perdues le valent.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous suspendons nos travaux pour aller voter en séance publique.

La réunion est suspendue entre dix-sept heures vingt-cinq et dix-sept heures trente-cinq.

Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Rappelons que ce texte concerne le seul secteur du nettoyage, où, le plus souvent, le travail de nuit est évitable car il n’est demandé par le client que par confort. Il est donc normal que les salariés concernés par ces horaires soient mieux rémunérés, d’autant qu’en général leur salaire est très faible, malgré une forte contrainte sur leur vie personnelle – il faut par exemple payer des gardes pour les enfants qui sont seuls le soir et le matin.

Surtout, l’objectif du texte est d’inciter au travail de jour. Les employeurs devront choisir entre payer plus ou programmer le travail la journée.

M. Damien Girard (EcoS). Oui, il faut inciter au maximum au travail de jour, même si le travail de nuit reste parfois inévitable. Lorsque c’est le cas, je rappelle que les métiers dont nous parlons sont principalement exercés par des femmes, dont certaines élèvent seules leurs enfants. Une majoration de salaire leur permettrait de couvrir leurs frais de garde, qui sont élevés à cause de ces horaires atypiques. Ceux qui s’inquiètent que la mesure renchérisse le travail de nuit voient donc qu’elle permettra en réalité de lever ce qui est souvent un frein à l’acceptation des emplois dans le secteur.

Mme la rapporteure. M. Di Filippo, qui avait raté le début de la discussion sur la définition des horaires atypiques, nous demandait tout à l’heure avec mépris à quelle heure ils s’achevaient. À 7 heures 30. On est assez loin de la grasse matinée.

Je voudrais souligner que le taux de profitabilité s’établit entre 5 % et 8 % dans le secteur de la propreté, contre 2 % seulement dans le secteur de la sécurité. Les deux secteurs sont pourtant comparables, au vu de l’importance qu’y prend la main-d’œuvre et de leur caractère non délocalisable. Puisque les entreprises de la propreté sont si profitables, il n’apparaît pas incroyable de demander qu’une partie des bénéfices aille aux salariés.

Par ailleurs, si les donneurs d’ordre ont externalisé le nettoyage, c’est pour faire des économies sur le dos des salariés. Ce faisant, ils ont dégradé leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Par exemple, le temps moyen alloué pour nettoyer une surface donnée se réduit : le travail s’intensifie.

Ceux qui sont obligés de travailler la nuit ou à des horaires atypiques, dans des conditions extrêmement difficiles, doivent absolument recevoir une compensation. C’est ainsi qu’ils seront respectés et que leur travail, qui est essentiel, sera valorisé.

La commission adopte successivement le sous-amendement AS25 et l’amendement AS7 sous-amendé.

Mme la rapporteure. Je pensais que ce vote ferait tomber l’amendement AS3. Puisque ce n’est pas le cas, j’émets un avis favorable sur ce dernier.

M. Philippe Vigier (Dem). Madame la rapporteure, vous prétendez que les entreprises externalisent les tâches pour réduire les coûts. Or quand elles paient un sous-traitant, elles doivent financer sa marge et ses charges sociales. Je vous mets au défi de trouver des cas où la sous-traitance d’une tâche coûte moins cher que la remplir en interne.

M. François Ruffin (EcoS). Si toutes les entreprises choisissent depuis vingt ans de sous-traiter, c’est donc par philanthropie ? Non, c’est parce qu’elles y gagnent !

Une femme de ménage salariée d’un hôpital bénéficie du statut et des salaires de la fonction publique. Ses horaires de travail sont encadrés et le comité d’entreprise s’assurera qu’elle bénéficie d’horaires en journée continue. Pendant des décennies, dans tous les collèges, les lycées et les hôpitaux, et même dans les usines du privé, les agents de nettoyage ont été salariés. Ils travaillaient en journée continue de 6 heures à 13 heures, avec le treizième mois et les avantages du comité d’entreprise. L’externalisation les a privés de ces protections et c’est pour cela que les entreprises et les services publics la choisissent.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Lorsqu’une structure, qu’il s’agisse d’un établissement scolaire ou d’une société d’assurance, emploie des agents de nettoyage en interne, ils bénéficient de sa propre convention collective, de sa grille de salaires, des conditions de négociation et des avantages qu’elle a prévus. Or la convention collective des entreprises de propreté n’est pas du tout aussi favorable que d’autres. Voilà le nerf de la guerre.

M. Philippe Vigier (Dem). Je vous invite à regarder les cadres d’emplois des hôpitaux. Nous pourrons comparer les grilles du public et du privé pour les personnels de catégorie C, notamment les personnels de nettoyage.

Mme la rapporteure. Les métiers du nettoyage sont pénibles. Ils exposent à des risques importants pour la santé, causent des troubles musculo-squelettiques et parfois des inaptitudes fortes, qui empêchent toute reprise d’emploi. En externalisant, les employeurs du secteur privé s’épargnent donc le coût de licenciements pour inaptitude, et ceux de la fonction publique s’exemptent de leur obligation de reclassement des personnes déclarées inaptes. Les employeurs se lavent ainsi les mains de la situation des agents de nettoyage et en font supporter les coûts à la société.

La commission adopte l’amendement AS3.

Amendement AS6 de Mme Océane Godard

Mme Sandrine Runel (SOC). Nous proposons que les modalités d’application du présent texte soient déterminées par un accord de branche négocié dans les six mois suivant sa promulgation, car les branches professionnelles sont les mieux placées pour adapter la réforme aux réalités du terrain. Elles pourront ainsi fixer précisément les horaires interdits, les modalités de passage aux horaires de jour et sensibiliser les autres salariés à ces questions. Au cas où les partenaires sociaux échoueraient à trouver un accord, le ministre du travail fixerait lui-même les modalités par arrêté.

Mme la rapporteure. C’est souvent à l’échelon des branches qu’il est possible d’avancer et je suis favorable au dialogue social – même si je regrette que dans certains cas, les accords collectifs puissent désormais déroger aux obligations légales alors que la loi devrait primer.

Toutefois, dans ce secteur particulier, les accords de branche ne permettront pas de régler le problème car les donneurs d’ordre ne sont pas représentés dans les négociations collectives, contrairement aux employeurs et aux salariés. De l’aveu même des responsables patronaux de la branche, cela fait dix-huit ans qu’ils tentent de convaincre les donneurs d’ordre de passer aux horaires de jour quand cela est possible. Prenons acte de cet échec et ne perdons pas six mois supplémentaires. Je vous demande de retirer votre amendement, pour que nous puissions agir.

Mme Sandrine Runel (SOC). Sans nier le rôle de la loi, le dialogue social est important et il vaut toujours mieux que les acteurs soient partie prenante des décisions. Toutefois, nous comprenons votre argument.

L’amendement est retiré.

Amendement AS22 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. Un décret doit être pris pour encadrer les modalités d’intervention de l’inspection du travail, en cas de dérogation à l’interdiction du travail de nuit.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Pourquoi ne pas encadrer les dérogations dans la loi, plutôt que de déléguer cette tâche au Gouvernement ? Ce sont justement les ordonnances Macron qui ont inversé la hiérarchie des normes et facilité la conclusion d’accords collectifs dérogatoires au droit : je n’ai aucune confiance dans un tel gouvernement.

Mme la rapporteure. Avec ce décret, il s’agit de reprendre le modèle de la réglementation relative à l’interdiction du travail de nuit pour les jeunes travailleurs.

Il est difficile de définir précisément les choses au niveau législatif, et particulièrement dans une proposition de loi qui sera examinée lors d’une niche. Nous pourrons y revenir en séance publique, si nous en avons l’occasion.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article unique modifié.

 

Après l’article unique

Amendement AS16 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Trop d’entreprises du secteur de la propreté ne tiennent pas correctement le compte des heures travaillées, si bien que les travailleurs ne sont pas rémunérés autant qu’ils devraient l’être.

Plutôt que d’attendre un contrôle qui est aléatoire et survient parfois trop tard, nous proposons que les employeurs transmettent chaque année un état détaillé des heures effectuées à l’inspection du travail. Cela permettrait d’anticiper les abus, de garantir aux salariés que leur paie correspond à leurs horaires et de faciliter l’insertion par le travail. Les manquements à cette obligation exposeraient les employeurs à une sanction administrative.

Mme la rapporteure. Je comprends que votre amendement se fonde sur les résultats de la campagne de l’inspection du travail de 2023 concernant le respect des règles relatives au temps partiel, qui sont loin d’être satisfaisants pour la branche de la propreté. Je ne suis pourtant pas certaine qu’il soit utile d’introduire un nouvel article dans le code du travail pour renforcer les contrôles, puisque c’est moins la réglementation qui fait défaut que les moyens concrets alloués à l’inspection du travail.

Je vous demande donc le retrait de cet amendement.

Mme Katiana Levavasseur (RN). Lorsque j’étais agente d’entretien et que j’étais supposée travailler de 6 heures à 9 heures, il arrivait que je termine à 9 heures 30, mais sans être payée pour cette demi-heure. Il faut vraiment mieux contrôler les heures de travail effectuées. Il y a des abus.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Oui, il y en a, mais votre amendement ne permettra pas d’y remédier. S’il est adopté, les employeurs ne déclareront pas davantage les heures réellement effectuées par leur salarié auprès de l’inspection du travail.

Le système actuel les arrange bien. Il faut trouver des modalités fiables et infalsifiables de déclaration des heures effectuées – peut-être un système de pointage à distance ? Il revient en tout cas à l’inspection du travail de vérifier sur pièces ces éléments.

M. François Ruffin (EcoS). L’inspection du travail ne pourrait rien faire des déclarations que vous demandez : ce serait juste un gros tas de papier. La question n’est pas de modifier le droit, mais de permettre aux salariés de peser face à leurs employeurs et de faire respecter leurs droits.

Il faut que les salariés cessent d’avoir peur, qu’ils osent contester le décompte des heures auprès de leur employeur, démarcher un syndicat, lancer une alerte auprès de l’inspection du travail. Il faut que, comme les salariés travaillant sur le site du 101, rue de l’Université que j’évoquais ce matin, ils puissent dire : « nous n’avons plus peur ».

Mme Katiana Levavasseur (RN). Dans le monde rural, où j’étais agente d’entretien, les structures ne comptent que cinq ou six personnes. Il n’y a pas de syndicat.

Mme la rapporteure. Votre témoignage est éclairant, et la campagne de 2023 de l’inspection du travail était très préoccupante. Par exemple, seuls 40 % des employeurs du secteur utilisent des documents de décompte individuel des heures de travail, alors que ceux‑ci sont obligatoires en l’absence d’horaires collectifs de travail. Et quand de tels documents existent, ils ne sont conformes que dans 57 % des cas.

L’inspection du travail doit porter une attention particulière à ce secteur, qui compte parmi les mauvais élèves sur ces questions. Pour cela, il faudrait plus d’inspecteurs du travail sur le terrain, alors que de nombreux postes restent vacants : un effort de recrutement doit donc être accompli. La baisse du budget du ministère du travail pour 2025 ne va pas dans le bon sens.

Par ailleurs, la direction générale du travail devrait enjoindre à ses agents d’aller sur ce terrain-là. Ils sont souvent orientés vers des questions moins importantes, dans un contexte général où les moyens de l’inspection du travail sont dégradés.

Nous sommes d’accord, la situation est délétère, mais la solution ne passe pas par une modification législative.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS12 de Mme Sarah Legrain, AS13 de Mme Ségolène Amiot et AS15 de Mme Sarah Legrain

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Ces trois amendements sont des demandes de rapports.

Le premier propose que l’on étudie les conséquences du travail de nuit et des facteurs de pénibilité sur la santé des travailleurs et travailleuses du secteur du nettoyage ainsi que les moyens de prévention mis en œuvre pour y remédier. Nous souhaiterions qu’un volet s’intéresse aux conséquences, notamment physiques et sociales, spécifiquement subies par les femmes.

L’amendement suivant concerne un rapport plus global sur l’opportunité de réduire le temps de travail à 32 heures dans tous les métiers pénibles, y compris effectués de nuit, notamment dans le secteur du nettoyage.

Le dernier invite à s’interroger sur la proportion et les conséquences des horaires décalés et fragmentés, en lien avec la question du temps partiel, surtout lorsqu’il est imposé.

Mme la rapporteure. Je suis toujours très favorable aux rapports, en particulier quand ils offrent une lecture féministe d’une problématique donnée, pour que la situation faite aux femmes ne soit pas noyée dans le reste. En l’occurrence, je vais pourtant demander le retrait de vos amendements, ainsi que de ceux de Mme Levavasseur, et vous proposer de vous rallier à mon amendement AS23, qui permettrait de rassembler tous les thèmes dans un unique rapport afin d’avoir une réflexion cohérente et de poursuivre les travaux déjà menés par François Ruffin. Il s’agirait en quelque sorte d’élargir la perspective tracée par cette proposition de loi.

Les amendements sont retirés.

Amendements AS17, AS18, AS19 et AS20 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Nous demandons une série de rapports visant à dresser un bilan sur plusieurs aspects du secteur de la propreté, où les conditions de travail restent précaires et insuffisamment contrôlées.

L’amendement AS17 vise à évaluer l’application des obligations légales en matière de temps de travail dans les entreprises de propreté. En 2023, une campagne de contrôle du ministère du travail portant sur 1 300 établissements a fait apparaître que 40 % des entreprises du secteur ne tenaient pas le décompte des heures. Nous voulons instaurer un suivi plus rigoureux pour éviter ces abus et donner, si nécessaire, des moyens supplémentaires à l’inspection du travail.

L’amendement AS18 propose la remise d’un rapport sur les horaires fractionnés qui allongent les journées des travailleurs sans toujours mieux les rémunérer. Il serait temps d’avoir des données exhaustives et actualisées sur le sujet, l’Inspection générale des affaires sociales n’ayant pas abordé les spécificités du monde de nettoyage dans son rapport de 2024 sur le temps partiel. Il est essentiel d’identifier des solutions sur ce sujet.

L’amendement AS19 demande une analyse complète sur les conditions de travail dans le secteur de la propreté, qui sont souvent pénibles, favorisent la précarité et exposent à des risques sanitaires souvent invisibles.

Enfin, l’objet de l’amendement AS20 est d’évaluer la pertinence de la dérogation des seize heures, une exception au minimum légal de vingt‑quatre heures hebdomadaires prévu par le code du travail. Cette règle aide-t-elle vraiment les salariés ou les enferme-t-elle dans la précarité ? Nous manquons de données pour répondre à cette question. Pour pouvoir agir dans le bon sens, celui des travailleurs et des entreprises vertueuses, il ne faut pas avancer à coups d’interdictions ou dans la précipitation : nous avons besoin d’un diagnostic clair qui permette d’identifier les bonnes pratiques et de proposer des solutions adaptées.

Mme la rapporteure. Comme déjà indiqué, je vous propose de retirer ces amendements afin que nous puissions nous concentrer sur un seul et unique rapport synthétisant l’essentiel de vos requêtes, qui permettrait d’aller plus loin et de dégager de nouvelles pistes.

Il faut mieux documenter le recours aux horaires atypiques dans cette branche professionnelle : le travail matinal demeure un angle mort statistique, la période de 6 à 9 heures étant considérée comme un horaire conventionnel de travail alors que ses effets néfastes sur la santé et la vie sociale sont pourtant largement démontrés. Il convient de mesurer précisément le nombre de salariés concernés par ces horaires.

Autre sujet majeur : la fragmentation des horaires de travail. Les travaux préparatoires ont mis en lumière les difficultés posées par certaines dispositions conventionnelles pour sortir du travail fragmenté. Il faut s’interroger sur le plancher minimal dérogatoire de seize heures, alors que le seuil légal est fixé à vingt‑quatre heures dans les autres branches, sur la durée minimale des périodes de travail, fixée à une heure seulement contre quatre heures dans les autres branches, et sur le fait que deux interruptions quotidiennes soient possibles, contre une seule dans le droit commun – autant de caractéristiques qui font obstacle au travail continu en journée.

M. François Ruffin (EcoS). Le temps n’est plus aux rapports, il est à l’action. Il y a cinq ans, durant la crise sanitaire, nous avons applaudi les essentiels, les invisibles. Maintenant, à l’heure des décisions, je renvoie la balle dans le camp de la majorité. On sait que la navette d’une proposition de loi s’apparente à un parcours du combattant : il faut que la majorité s’empare de ce sujet des femmes de ménage, des agents d’entretien, parce qu’il s’agit de centaines de milliers de personnes des classes populaires qui vivent très mal leur travail. Il est nécessaire de stopper la constante dégradation de leurs conditions de travail. Depuis que le service public et les entreprises multiplient les opérations d’externalisation, ces emplois ont été dégradés et rendus invisibles, ce qui a contribué au sentiment de dégradation des classes populaires dans notre pays. Reprenez le flambeau pour que nous puissions vraiment faire évoluer la situation des femmes de ménage et des agents d’entretien.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Article 2 (nouveau) : Rapport au Parlement sur le recours aux horaires atypiques

La commission adopte l’amendement AS23 de Mme Sophie Taillé-Polian.

 

Titre

 

Amendement AS24 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme la rapporteure. Dans un souci de cohérence avec l’ensemble du texte modifié, il est proposé de remplacer « travailleuses et travailleurs » par « salariés et salariées ».

M. François Ruffin (EcoS). Mme la rapporteure fait ce choix pour des raisons de précision légistique que je comprends. Ce glissement sémantique consistant à remplacer travailleur par salarié, observé à partir des années 1970, n’est pourtant pas anodin : le travailleur est actif et acteur, tandis que le salarié est quelqu’un de passif qui subit un contrat de travail. La gauche et le pays doivent se réapproprier les mots travailleuses et travailleurs.

M. le président Frédéric Valletoux. Mais nous sommes là pour faire la loi.

Mme la rapporteure. Je souscris aux propos de François Ruffin. Nous devons nous intéresser davantage aux tâches concrètes qui constituent réellement le travail et à la protection de ceux qui les effectuent. En effet, celles et ceux qui travaillent ont envie de faire du bon travail.

La commission adopte l’amendement.

 

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

La réunion s’achève à dix-huit heures onze.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, M. Damien Girard, M. Jérôme Guedj, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, Mme Katiana Levavasseur, M. René Lioret, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Christophe Naegelen, Mme Sandrine Nosbé, M. Laurent Panifous, Mme Anne-Sophie Ronceret, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, Mme Sandrine Runel, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier

Excusés.  Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Fanny Dombre Coste, M. Jean-Carles Grelier, M. Emmanuel Taché de la Pagerie

Assistait également à la réunion. – M. Damien Maudet