Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 931) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur) 2
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à protéger les salariés et les salariées du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 939) (Mme Sophie Taillé‑Polian, rapporteure) 3
– Examen de la proposition de loi portant création du cadre d’emploi des personnels de santé des services d’incendie et de secours (n° 841 rect.) (M. Jean-Carles Grelier, rapporteur) 3
– Examen de la proposition de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant (n° 839) (Mme Anne Bergantz, rapporteure) 21
– Examen, en application de l’article 145‑7, alinéa 1, du Règlement, du rapport sur la mise en application de la loi n° 2021‑1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail (Mme Nathalie Colin‑Oesterlé et M. Sébastien Delogu, rapporteurs) 42
– Informations relatives à la commission......................49
– Présences en réunion.................................50
Mercredi
19 février 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 47
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
— 1 —
La réunion commence à neuf heures trente-cinq.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 931) (M. Benjamin Lucas‑Lundy, rapporteur).
La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° |
N° Id |
Auteur |
Groupe |
Place |
15 |
|
Mme NOSBÉ Sandrine |
LFI-NFP |
Ap. 1er |
25 |
|
M. RUFFIN François |
EcoS |
Ap. 1er |
26 |
|
M. LUCAS-LUNDY Benjamin |
EcoS |
2 |
17 |
|
M. FERNANDES Emmanuel |
LFI-NFP |
Ap. 2 |
18 |
|
M. FERNANDES Emmanuel |
LFI-NFP |
3 |
1 |
|
M. DELAPORTE Arthur |
SOC |
Ap. 4 |
12 |
|
M. GIRARD Damien |
EcoS |
5 |
22 |
|
M. MONNET Yannick |
GDR |
Titre |
24 |
|
M. LUCAS-LUNDY Benjamin |
EcoS |
Titre |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission examine ensuite, en application de l’article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi visant à protéger les salariés et les salariées du nettoyage en garantissant des horaires de jour (n° 939) (M. Benjamin Lucas‑Lundy suppléant Mme Sophie Taillé‑Polian, rapporteure).
La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° |
N° Id |
Auteur |
Groupe |
Place |
13 |
|
Mme TAILLÉ-POLIAN Sophie |
EcoS |
1er |
12 |
|
Mme TAILLÉ-POLIAN Sophie |
EcoS |
1er |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission en vient à la proposition de loi portant création du cadre d’emploi des personnels de santé des services d’incendie et de secours (n° 841 rect.) (M. Jean-Carles Grelier, rapporteur).
M. Jean-Carles Grelier, rapporteur. Nous rendons régulièrement hommage à l’action des sapeurs-pompiers, à l’occasion de la Sainte-Barbe ou d’autres manifestations. Notre proposition de loi vise le même objectif, en s’intéressant spécifiquement aux personnels de santé des services d’incendie et de secours. Ces 3 492 médecins, 8 812 infirmiers, 632 pharmaciens, 311 vétérinaires, 104 cadres de santé et 373 psychologues sont à la disposition de nos concitoyens et de nos territoires au quotidien, souvent dans des situations d’urgence. Ils étaient en première ligne pendant la crise de la covid, même s’ils ne faisaient pas partie de ceux que nous applaudissions le soir à 20 heures et qu’ils n’ont pas bénéficié de la revalorisation salariale du Ségur de la santé.
Nous avons souhaité aborder ce sujet, car des risques juridiques très lourds pèsent sur les médecins de sapeurs-pompiers, ainsi que sur les autres professionnels de santé qui interviennent dans le cadre du secours.
Lorsqu’il monte dans le camion rouge des sapeurs-pompiers, le médecin de sapeurs-pompiers peut être amené à faire de la médecine d’urgence, alors qu’il n’est pas urgentiste. Lorsqu’il s’assure de l’aptitude des sapeurs-pompiers volontaires ou professionnels, il fait de la médecine du travail, alors qu’il n’est pas médecin du travail. Lorsqu’il soigne un collègue qui s’est blessé en intervention, il fait de la médecine générale, alors qu’il n’est pas médecin généraliste.
Même si cette comparaison n’est pas raison, les médecins de sapeurs-pompiers exercent, au même titre que les médecins du service de santé des armées (SSA), une médecine particulière, parce qu’elle est plurielle et polyvalente. Ces caractéristiques ne sont toutefois pas reconnues dans les textes, ce qui leur fait courir des risques juridiques dont nous souhaitons les protéger par l’intermédiaire de cette proposition de loi.
Notre texte a suivi un parcours un peu chaotique. Il est prêt depuis longtemps. Les discussions nécessaires à son élaboration devaient même faire l’objet d’une mission parlementaire il y a quasiment un an, mais l’Assemblée nationale a été dissoute. La procédure a ensuite été relancée, puis à nouveau interrompue en raison de la censure du Gouvernement. Puisque nous étions revenus à la case départ, le groupe Les Démocrates a choisi de profiter de sa niche parlementaire pour traiter enfin le sujet. Cette pratique a des avantages, car le texte peut être examiné dès aujourd’hui par notre commission et débattu en séance publique le 6 mars. L’inconvénient majeur est d’avoir eu très peu de temps pour mener les concertations. Les premières auditions ont ainsi eu lieu lundi et les dernières se sont déroulées hier après-midi. Nous avons donc travaillé dans des délais extrêmement courts.
Pour ne heurter personne, la rédaction a été sensiblement modifiée par rapport au texte initial qui vous avait été adressé. Notre objectif n’est pas d’aller à l’encontre des intérêts des uns ou des autres, notamment des médecins urgentistes : il s’agit uniquement de doter les professionnels de santé des services d’incendie et de secours d’un statut.
Dans un esprit d’ouverture, je soutiendrai donc certains amendements. Nous souhaitons que notre texte devienne celui de la commission des affaires sociales, puis celui de l’Assemblée nationale, afin de garantir la sécurité juridique qu’ils sont en droit d’attendre à l’ensemble des professionnels de santé qui interviennent dans le secours aux biens et aux personnes.
Pour conclure, je voudrais remercier Antoine Reydellet, médecin capitaine qui a été à mes côtés pendant plus d’un an, et notre ancien collègue Fabien Matras, dont chacun connaît l’engagement en faveur des sapeurs-pompiers. Ils m’ont, tous les deux, accompagné dans la préparation de ce texte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Julien Rancoule (RN). La proposition de loi qui nous est soumise vise non pas à créer un cadre d’emploi des personnels de santé des services d’incendie et de secours – celui-ci a déjà été en partie fixé par voie réglementaire en 2016 –, mais à préciser l’organisation et les missions des personnels de santé professionnels et volontaires des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis). Nous proposerons de rectifier le vocable utilisé pour lever l’ambiguïté de la rédaction actuelle. En outre, faire référence au cadre d’emploi dans une sous‑direction comprenant 96 % de sapeurs-pompiers volontaires pourrait les assimiler à des travailleurs au sens de la directive européenne sur le temps de travail et fragiliser encore davantage notre modèle de sécurité civile. Nous présenterons donc un amendement visant à modifier l’intitulé de la proposition de loi pour lever toute ambiguïté.
Ce texte a le mérite de mettre en lumière tous les personnels de santé qui exercent au sein des Sdis, y pratiquant à la fois des soins d’urgence, d’aptitude et de prévention. Celle‑ci est essentielle pour faire face aux divers risques auxquels sont confrontés les sapeurs-pompiers, comme la toxicité des fumées, mais aussi aux agressions. En 2023, 1 074 soldats du feu ont ainsi été victimes d’agressions, soit trois par jour en moyenne.
Plusieurs points de cette proposition de loi doivent être débattus, comme la préservation du caractère obligatoire de l’inscription à l’ordre, la nécessité d’instaurer une passerelle entre les médecins du SSA souhaitant exercer au sein des Sdis ou le montant des rémunérations ou des indemnités perçues par les personnels de santé, qui n’est malheureusement pas évoqué.
Nous considérons que la question du service de santé et de secours médical (SSSM) doit faire l’objet d’une nouvelle loi de modernisation de la sécurité civile, qui traitera notamment de l’augmentation des moyens nationaux, de l’amélioration du mode de financement des Sdis et de la protection de notre modèle.
Toutefois, si nous parvenons à l’améliorer, le groupe Rassemblement National votera en faveur du texte qui nous est présenté aujourd’hui.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). En luttant contre les incendies, en assistant les victimes d’accidents et en protégeant nos biens, les sapeurs-pompiers, qu’ils soient volontaires ou professionnels, sont au cœur de notre modèle de sécurité civile et nous y sommes très attachés.
Depuis la loi du 3 mai 1996, qui est à l’origine de la départementalisation des Sdis, les interventions des soldats du feu qui y sont rattachés n’ont cessé d’augmenter. En dix ans, elles ont enregistré une hausse de 17 %.
Les personnels de santé des Sdis remplissent une double mission d’aide aux victimes et de médecine du travail et de prévention pour les pompiers.
Si la finalité du texte est légitime, le groupe EPR constate que certaines mesures prévues relèvent du domaine réglementaire. Par ailleurs, la rédaction des deux premiers articles portant création d’un statut pour les différents professionnels de santé contrevient aux dispositions législatives qui régissent l’exercice des médecins et des personnels soignants. Les missions de médecine du travail et de médecine d’urgence confiées aux médecins de sapeurs-pompiers sont déjà clairement définies et contrôlées par les ordres. Un risque réel d’insécurité juridique est en outre soulevé par les ordres de plusieurs professions de santé, par exemple s’agissant de la possibilité de déléguer les compétences des médecins de sapeurs-pompiers vers les infirmiers ou l’exemption d’obligation d’inscription à un ordre professionnel, alors que la loi « Matras » prévoit déjà une exemption de cotisations ordinales pour les professionnels de santé s’engageant comme sapeurs-pompiers volontaires. Enfin, à l’article 6, l’intégration directe dans ce nouveau cadre d’emploi des personnels du service de santé des armées en fin d’engagement représenterait une charge financière importante.
Bien qu’une réflexion s’accompagnant d’une concertation impliquant tous les acteurs concernés soit à envisager, la situation actuelle est contrôlée. Le groupe EPR s’abstiendra donc sur ce texte qui n’est pas satisfaisant en l’état.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). La proposition de loi de M. Grelier part d’un bon sentiment, mais connaissant intimement les difficultés propres à la vie de caserne, je regrette que cette occasion de répondre aux Sdis en détresse soit totalement manquée.
En dérogeant aux conditions d’exercice de la médecine, le cadre d’emploi proposé mettrait en danger les personnels et les personnes secourues. En l’état, ce texte autoriserait des soignants non formés à participer à la médecine d’urgence et leur permettrait d’être exemptés d’une justice ordinale certes très critiquable, mais seul outil de contrôle déontologique.
Les sapeurs-pompiers demandent que la médecine d’aptitude et de sélection devienne une médecine du travail et de prévention. Or rien n’est proposé pour protéger leur santé et assurer un suivi. Alors que certaines provinces canadiennes reconnaissent que vingt‑deux facteurs de risque classés cancérogènes probables sont imputables au service, ils ne sont qu’au nombre de deux en France. Pourtant, en 2022, le Centre international de recherche sur le cancer a classé l’exposition professionnelle des sapeurs-pompiers comme cancérogène.
La proposition de loi qui nous est soumise est lacunaire et n’aborde pas les véritables enjeux de santé liés à l’activité de sapeur-pompier, en l’occurrence l’accès à une vraie médecine du travail et de prévention, la mise à disposition d’équipements adaptés, la reconnaissance des maladies professionnelles, l’accompagnement psychologique et la prise en compte des risques psychosociaux. La nécessité d’augmenter les moyens et de revaloriser les métiers du service de santé et de secours médical et de la sécurité civile, qui peinent à attirer les jeunes professionnels de santé, n’est pas non plus évoquée.
Reprenant le travail de notre ancien collègue Florent Chauche, nous proposerons un amendement prévoyant une meilleure traçabilité des maladies imputables au service, liées notamment à l’inhalation de fumées toxiques. Nous demanderons également un rapport sur les risques psychosociaux des personnels des Sdis, ainsi que l’inscription dans le cadre d’emploi d’une prérogative imposant la création d’une fiche de suivi permanent des risques sanitaires.
En l’état, nous nous opposerons à ce texte en raison de son inconséquence. À l’heure où les risques de catastrophe environnementale décuplent les besoins et les risques pour nos soldats du feu, nous le regrettons !
Mme Sophie Pantel (SOC). La sécurité civile est un pilier fondamental de la protection des citoyens et des territoires. En posant la question d’un cadre d’emploi pour les professionnels de santé, votre proposition de loi traite, en arrière-plan, de l’attractivité des métiers, de l’émergence de risques nouveaux, comme les troubles musculo-squelettiques liés à l’augmentation des interventions de secours d’urgence aux personnes, et des moyens mis à la disposition de nos sapeurs-pompiers au sein des SSSM.
Notre groupe politique partage les objectifs de cette proposition de loi et je salue votre volonté de lever des zones de flous juridiques et de réaffirmer la pluridisciplinarité dans l’exercice de ces professionnels de santé.
Néanmoins, notre groupe s’est interrogé sur le véhicule législatif que vous avez choisi. Même si vous avez apporté quelques précisions dans votre intervention, nous considérons que l’essentiel des mesures pouvait être pris à l’échelon réglementaire, en modifiant notamment le décret de 2016 ou l’arrêté de 2000. Nous avons donc déposé plusieurs amendements pour préserver cette flexibilité. En effet, dans un contexte difficile en matière de démographie médicale, nous devrons peut-être faire évoluer les nomenclatures et les missions de chacun. Nous avons également relevé quelques points qui nous paraissent superfétatoires et déposé un amendement de suppression de l’article 5, car il nous semble important que les médecins puissent être inscrits aux ordres, qui garantissent la déontologie et sont des interlocuteurs pour les pouvoirs publics.
Enfin, la cohérence doit être assurée avec les discussions menées à l’occasion du Beauvau de la sécurité civile et avec le projet de décret – en préparation depuis plusieurs mois – visant à calquer le cadre d’emploi des médecins et pharmaciens sur celui des médecins et pharmaciens de santé publique. Les différences dans les conditions d’exercice des sapeurs-pompiers, dont beaucoup sont volontaires, et des médecins militaires constituent également un point de vigilance.
Mme Sylvie Bonnet (DR). La Droite républicaine tient à saluer le travail du rapporteur en faveur des sapeurs-pompiers. Ces héros du quotidien méritent notre reconnaissance et l’inscription de ce texte dans la niche du groupe Dem constitue un signal très positif. Il est donc de notre responsabilité de travailler ensemble pour aboutir à la meilleure rédaction possible.
La rédaction proposée suscite néanmoins plusieurs interrogations dans nos rangs.
Qu’est-ce qu’un statut dédié aux professionnels de santé sapeurs-pompiers changera concrètement ? Quelles améliorations apportera-t-il dans leur quotidien ? Pouvez‑vous nous assurer qu’il n’alourdira pas la charge administrative ?
Par ailleurs, quelles seraient les conséquences des dispositions prévues à l’article 1er ? Pour exercer la médecine d’urgence, un diplôme d’anesthésie-réanimation, de médecine intensive-réanimation ou de médecine d’urgence est théoriquement nécessaire. Envisagez-vous d’introduire une dispense pour les médecins de sapeurs-pompiers ?
Enfin, l’article 5 permettrait aux médecins de sapeurs-pompiers d’être exemptés de l’obligation d’inscription au conseil de l’ordre. Comment contrôlerez-vous la déontologie de ces professionnels de santé ?
Si nous partageons l’objectif de ce texte, sa rédaction nous laisse dubitatifs. Nous voterons les amendements permettant de l’améliorer et nous vous appelons à engager un travail de concertation avec l’ensemble des groupes, pour qu’il puisse être largement adopté en séance.
Mme Sandra Regol (EcoS). Ce texte propose un cadre utile pour sécuriser certaines pratiques en matière de médecine, mais il est très éloigné des besoins réels de la sécurité civile.
Il est urgent de développer une médecine de prévention pour les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires et d’assurer un suivi lorsqu’ils ne sont plus en activité.
Nous devons porter une attention particulière aux risques psychologiques, qui sont trop souvent oubliés. Plusieurs collègues ont également rappelé les dangers sanitaires auxquels les sapeurs-pompiers sont exposés. Nous présenterons demain une proposition de loi sur les substances polyfluoroalkylées ou perfluoroalkylées. Comme le montrent les tests que nous avons réalisés l’an dernier, les sapeurs-pompiers sont plus touchés que le reste de la population. Ils affichent ainsi un taux de cancer très supérieur à la moyenne. Malheureusement, aucune étude officielle ne permet de corroborer les observations et les quelques évaluations indépendantes. Selon Vert de rage par exemple, 2 200 sapeurs-pompiers professionnels et environ 10 000 volontaires seraient atteints d’un cancer en France. Des moyens doivent être dégagés pour obtenir des données plus précises et améliorer le suivi. Il n’est pas normal que nous ne protégions pas ceux qui nous protègent ! Comment est-il possible que seulement deux types de cancer soient reconnus comme maladie professionnelle pour les sapeurs-pompiers ?
Les écologistes ne s’opposeront pas à ce texte, mais regrettent qu’il ne fasse que poser des rustines. La profession de sapeur-pompier mériterait beaucoup mieux !
M. Philippe Vigier (Dem). Monsieur le rapporteur, notre groupe soutiendra naturellement votre proposition de loi, d’autant plus que sa rédaction n’est pas figée et que vous êtes prêt à accepter des modifications. C’est la bonne attitude à avoir sur un sujet aussi important.
Ce n’est pas la première fois que nous soutenons une proposition de loi en faveur des sapeurs-pompiers. Comme l’a rappelé Nicole Dubré-Chirat, le texte rédigé par Fabien Matras, avec Pierre Morel-À-L’Huissier, permettait déjà de grandes avancées.
Vous êtes nombreux à considérer que le cadre réglementaire pouvait suffire. Mais, alors que les chefs de centre peuvent rester en poste jusqu’à 67 ans que depuis le 31 décembre parce qu’il a fallu attendre les décrets pendant quatorze mois, on ne peut que constater que la force de la loi est parfois nécessaire. Ce texte la réaffirme, précisément.
Le continuum de sécurité que nous connaissons en France est unique. Sur le terrain, les « blancs » et les « rouges » ne se font pas toujours la guerre. Il existe souvent une reconnaissance mutuelle. Dans le département du Puy-de-Dôme par exemple, le système d’urgence s’appuie sur un seul centre régulateur.
Quelques précisions rédactionnelles seront néanmoins nécessaires.
Une de nos collègues a rappelé que des diplômes spécifiques, notamment d’anesthésiste-réanimateur, étaient nécessaires pour exercer la médecine d’urgence. Il s’agit effectivement, non pas de dire que les sapeurs-pompiers n’ont pas besoin de telle ou telle qualification, mais de reconnaître la place qu’ils ont prise au fil du temps. Je n’oublierai jamais le rôle majeur qu’ils ont joué pendant la crise de la covid. J’ai fait partie de ceux qui ont formé de jeunes sapeurs-pompiers à la vaccination. En deux mois, – je le dis devant Frédéric Valletoux – ce qui semblait impossible a pu s’organiser.
Je suis par ailleurs très attaché aux inscriptions ordinales. La déontologie fait partie du métier. Elle rassure et permet à chacun de partager les mêmes pratiques médicales.
L’esprit d’ouverture qui sera le vôtre, lors des débats en commission et dans l’hémicycle, nous permettra, à n’en pas douter, de nous rassembler autour de cette belle initiative des Démocrates, afin de mieux reconnaître le rôle indispensable que jouent les pompiers dans la sécurité du quotidien.
M. François Gernigon (HOR). Les Sdis jouent un rôle crucial en matière d’assistance et de protection des populations. Leurs missions dépassent la lutte contre les incendies, puisqu’ils assurent le secours d’urgence aux personnes, la prévention des risques et la gestion des crises. Les personnels de santé qui interviennent au sein des Sdis – médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues ou vétérinaires – participent pleinement à cette mission de service public. Leur engagement est essentiel et doit être reconnu à sa juste valeur, comme l’ambitionne cette proposition de loi.
Votre texte vise à harmoniser les cadres d’emploi et à mieux structurer leur rôle au sein des Sdis. Elle répond à des enjeux réels, que sont les difficultés de recrutement, l’évolution des missions des sapeurs-pompiers et la nécessité de rendre ces métiers plus attractifs.
Toutefois, plusieurs dispositions nous interpellent. L’uniformisation des cadres d’emploi peut sembler une avancée, mais risque d’introduire une rigidité excessive dans la gestion des Sdis, au détriment de leur souplesse opérationnelle. Chaque territoire a ses spécificités et doit pouvoir bénéficier d’une capacité d’adaptation locale. De plus, l’exemption de l’obligation d’inscription aux ordres pourrait fragiliser la reconnaissance et la régulation de ces professions, en soulevant des questions de responsabilité et de contrôle déontologique.
Le groupe Horizons & Indépendants reconnaît l’importance des sujets traités dans cette proposition de loi. Cependant, notre position dépendra de nos débats en commission et en séance publique et de la manière dont certaines dispositions seront précisées et adaptées aux réalités du terrain.
M. Stéphane Viry (LIOT). Les Sdis remplissent des missions de plus en plus exigeantes et variées, en raison de l’émergence de nouveaux risques et de la désertification médicale, qui réorientent l’activité des sapeurs-pompiers de la lutte contre les incendies vers le secours. Malheureusement, les moyens ne suivent pas et les services sont de plus en plus sous tension.
Au-delà de cette proposition de loi – utile –, nous devons nous poser la question du financement de nos Sdis et du nécessaire élargissement de leurs ressources. Nous devons également réfléchir à notre modèle de protection civile. Sans le volontariat et l’engagement de tous les bénévoles qui donnent leur temps et leurs compétences, celui-ci ne peut pas tenir.
Les sujets que vous abordez doivent s’inscrire dans un cadre plus large et probablement être intégrés dans les travaux du Beauvau de la sécurité civile, qui avaient été interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, mais qui ont repris depuis quelques jours.
Les missions confiées aux professionnels de santé des Sdis sont essentielles et méritent que la manière de les exercer soit clarifiée. Nous partageons l’objectif et la philosophie de votre texte. En revanche, nous nous interrogeons sur l’utilité d’un véhicule législatif, alors qu’une actualisation du décret actuel permettrait d’atteindre le même résultat. D’ailleurs, votre proposition de loi prend pour référence les personnels du SSA, dont le cadre d’emploi est régi par décret.
Pour conclure et alimenter le débat, comment définiriez-vous les missions des professionnels de santé et l’exercice de la médecine dans le nouveau cadre que vous souhaitez créer ?
Mme Karine Lebon (GDR). L’examen de cette proposition de loi me donne l’occasion de saluer l’ensemble des sapeurs-pompiers, plus particulièrement ceux de La Réunion, dont les conditions de travail sont chaque jour plus difficiles et les missions plus nombreuses.
Votre texte concerne spécifiquement les professionnels de santé, qui sont indispensables au fonctionnement des Sdis. Si nous en nous comprenons la philosophie, sa rédaction actuelle risque toutefois de rendre son application difficile, voire contre‑productive.
Comme l’ont déjà souligné mes collègues, vous estimez que l’activité des professionnels de santé n’est pas clairement définie en droit. Pourtant, elle est encadrée par de très nombreux textes réglementaires, dont l’article R. 1424-24 du code général des collectivités territoriales, qui détaille les missions de la sous-direction de la santé.
Le cadre législatif que vous proposez semble moins précis que le cadre réglementaire existant. Les missions présentées à l’article 1er ne mentionnent ni la médecine de sécurité ni la participation à la formation des sapeurs-pompiers. À l’article 4, vous ne détaillez pas les modifications que vous souhaitez apporter au décret portant sur le statut particulier du cadre d’emploi des médecins et pharmaciens de sapeurs-pompiers. Portent-elles sur la politique de revalorisation salariale ou sur les modalités d’accès à la profession ?
Par ailleurs, le président de l’ordre national des médecins nous a alertés quant à l’introduction de missions spécifiques nécessitant une formation que seuls quelques-uns ont suivie, notamment la réanimation préhospitalière.
Enfin, si les professionnels de santé des Sdis n’ont plus obligation de s’inscrire auprès de leurs ordres respectifs, qui s’assurera du maintien de leurs compétences, ainsi que de leur respect de la déontologie ?
Les débats et les différents amendements que vous défendrez nous apporteront probablement quelques éclaircissements sur l’ensemble de ces sujets.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Incendie, malaise cardiaque ou inondation, les sapeurs-pompiers – dont beaucoup sont volontaires – interviennent partout sur le territoire, le jour comme la nuit.
Les risques sanitaires liés aux fumées toxiques, à l’amiante, aux perturbateurs endocriniens ou aux hydrocarbures sont nombreux. Malheureusement, la santé de nos 250 000 sapeurs-pompiers est totalement absente du texte. Alors que le nombre d’interventions a augmenté de 30 % en vingt ans et qu’un seul type de cancer est reconnu comme maladie professionnelle en France, nous ne pouvons que le regretter.
Nous avons peut-être raté une occasion. Les sapeurs-pompiers étaient pourtant dans la rue en novembre, pour dénoncer les risques sanitaires auxquels ils sont exposés. Ils souhaitaient notamment obtenir la création d’une banque nationale de données, qui permettrait la réalisation des études épidémiologiques préalables à la mise en place de toute politique de prévention. Cette demande figurait déjà dans le rapport Pourny de 2003 et le ministre Darmanin s’était engagé à lancer une réflexion à ce sujet. Pour le moment, rien n’a avancé. Nous sommes donc déçus que la santé des sapeurs-pompiers eux-mêmes ne soit pas évoquée dans cette proposition de loi.
M. le rapporteur. Le texte vise à faire reconnaître la particularité – liée à sa pluralité – de l’exercice de la médecine de sapeurs-pompiers. Ce n’est pas une loi-cadre. Vous avez évoqué les ressources et l’organisation des services, la santé des professionnels ou la revalorisation des carrières. Aucun de ces sujets n’a vocation à être traité dans cette proposition de loi. Celle-ci cible le risque juridique qui continue de peser – quoiqu’il ait été dit par les différents orateurs – sur l’ensemble des personnels de santé des services d’incendie et de secours.
M. Rancoule a évoqué l’ambiguïté du titre de cette proposition de loi. En proposant un seul cadre d’emploi, l’activité des volontaires pourrait en effet être assimilée à une activité professionnelle, ce qui ferait courir un risque important aux services d’incendie et de secours. Lors de l’examen des amendements, je ne m’opposerai pas à une évolution rédactionnelle.
La plupart des intervenants ont évoqué la question de l’inscription à l’ordre. Dans un premier temps, les médecins de sapeurs-pompiers souhaitaient un régime dérogatoire, mais au fil des auditions, chacun est convenu qu’il n’était peut-être pas opportun. Le texte sera donc réécrit pour la présentation en séance publique. L’inscription à l’ordre devrait rester obligatoire. Par ailleurs, nous ajouterons, notamment à la demande du ministère de la santé, que les professionnels de santé auront l’obligation de suivre une formation auprès de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. Actuellement, elle n’existe pas pour tous les métiers. Elle est pourtant essentielle si nous voulons faire reconnaître leurs spécificités.
Dans un premier temps, je soutiendrai les amendements visant à supprimer l’article 5 dans sa rédaction actuelle. Il sera réécrit pour l’examen en séance publique. L’obligation d’inscription ordinale sera rétablie et celle de suivre une formation spécifique sera ajoutée. L’article 40 de la Constitution ne me permet pas de vous proposer ces évolutions par voie d’amendement. Celui-ci serait en effet déclaré irrecevable, puisque l’introduction d’une formation obligatoire crée une charge budgétaire supplémentaire.
Madame Dubré-Chirat, vous avez indiqué que différents décrets étaient en cours de rédaction et que les évolutions proposées auraient pu faire l’objet de textes réglementaires. Certes, mais en tant que parlementaire, j’ai tendance à faire davantage confiance à la loi et au travail de mes collègues qu’à celui de l’administration. En tout état de cause, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises a donné un avis favorable et sans réserve à cette proposition de loi, ce qui prouve qu’elle s’intègre parfaitement dans notre corpus juridique.
Madame Erodi, vous avez évoqué l’intervention de soignants non formés. Je m’inscris en faux ! La plupart des personnels de santé des services d’incendie et de secours sont des volontaires qui exercent par ailleurs des fonctions de médecin, d’infirmier ou de pharmacien dans les conditions définies par les ordres. Ils ont été formés et sont dûment diplômés. En outre, l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers dispense déjà une formation spécifique pour les médecins et les infirmiers de sapeurs-pompiers. Nous ne devons pas laisser circuler l’idée – malheureusement reprise dans certains communiqués de presse – que cette proposition de loi ferait courir des risques pour la vie de nos concitoyens. Les professionnels de santé de sapeurs-pompiers ne sont pas des médecins, des pharmaciens, des psychologues, des infirmiers ou des vétérinaires au rabais ! Soyons prudents dans les termes que nous employons et ne dévalorisons pas des personnels dont nous avons besoin au quotidien !
Madame Pantel, vous avez attiré mon attention sur la cohérence avec le Beauvau de la sécurité civile. Nous aurions pu espérer une meilleure coordination des calendriers. Néanmoins, le texte a été construit avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, qui a – je le répète – émis un avis favorable et sans réserve. Les sujets de revalorisation des métiers, de rémunération, de recrutement ou de déroulement de carrière, qui ne figurent pas dans cette proposition de loi, pourront être abordés à l’occasion de cette grande concertation et donner lieu à des textes réglementaires, qui viendraient compléter les dispositions que nous vous présentons.
Madame Bonnet, vous avez exprimé la crainte, toujours légitime quand on légifère, de créer des charges administratives supplémentaires. Notre seul objectif est de définir les fonctions des professionnels de santé de sapeurs-pompiers pour les protéger en cas de contentieux et ne pas laisser aux juges une marge d’interprétation trop large. Nous ne créons pas de procédure particulière qui serait susceptible d’alourdir leur travail au quotidien. Comme je l’ai regretté dans mon propos liminaire, les concertations ont été menées très rapidement. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions certainement pu améliorer la rédaction du texte avant de vous le présenter.
Notre collègue Regol a évoqué les moyens des Sdis. Oui, il faudrait plus de moyens ! Oui, il faudrait une loi-cadre ! À un moment où les budgets des conseils départementaux sont sous pression, nous devrons nous interroger sur le financement des Sdis, sur la pertinence de la taxe de capitation versée parfois par les établissements publics de coopération intercommunale. Nous ne pourrons pas rendre les professions de santé des services d’incendie et de secours attractives si nous ne les revalorisons pas. Tel n’est cependant pas l’objet de ce texte. Il reste que nous avons en effet besoin d’une approche plus globale dans une loi-cadre. Le Beauvau de la sécurité civile parviendra peut-être à cette conclusion. Il faut d’ailleurs le souhaiter.
Cher collègue Philippe Vigier, je vous remercie de votre soutien. Vous avez malheureusement pu constater récemment dans votre circonscription combien l’intervention des professionnels de santé de sapeurs-pompiers, y compris en première intention, est devenue indispensable.
Cher collègue François Gernigon, je reconnais que toute modification du cadre juridique peut entraîner une rigidification. J’espère que ce ne sera pas le cas, car notre objectif est uniquement de définir les métiers, en précisant ce que les professionnels de santé de sapeurs-pompiers peuvent faire et ne pas faire. Nous n’introduisons aucune complexité, puisque nous ne modifions pas les modalités d’accès à ces professions, les procédures de recrutement ou d’avancement.
Stéphane Viry a, à juste titre, évoqué le financement des services d’incendie et de secours et la nécessité d’un cadre plus large avec le Beauvau de la sécurité civile. Je n’y reviens pas.
Madame Lebon, je regrette que notre texte vous semble contre‑productif. Il permettrait pourtant de créer une section 5 dans le code de la sécurité civile, pour définir les métiers des professionnels de santé des services d’incendie et de secours, qui ne sont pas réglementés aujourd’hui. Si l’ensemble des professionnels et leurs syndicats représentatifs appellent de leurs vœux ce texte, c’est précisément parce qu’ils ont le sentiment de ne pas disposer d’un cadre juridique suffisant pour assurer la sécurité juridique des actes qu’ils dispensent au quotidien.
Enfin, M. Maudet a rappelé à juste titre les risques qui pèsent sur la santé de nos sapeurs-pompiers, notamment ceux liés aux fumées, et insisté sur les maladies professionnelles. Ce texte n’apporte pas directement de réponse, mais, en renforçant le positionnement des médecins de sapeurs-pompiers comme médecins de prévention et en affirmant le rôle des pharmaciens et des infirmiers de sapeurs-pompiers dans cette mission, nous pouvons espérer une amélioration de la situation.
La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Compétences des médecins de sapeurs-pompiers
Amendement AS38 de M. Jean-Carles Grelier
M. le rapporteur. Cet amendement de codification vise à intégrer dans le code de la sécurité intérieure les dispositions qui vous ont été présentées et à y créer une section 5 intitulée « Personnels des sous-directions de la santé des services d’incendie et de secours ». Je rappelle que ces sous-directions ont été créées par la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS39 et AS53 de M. Jean-Carles Grelier.
Amendement AS5 de Mme Élise Leboucher et sous-amendement AS54 de M. Jean‑Carles Grelier
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). L’amendement vise à garantir que la pratique d’actes de réanimation préhospitalière soit réservée à des médecins dûment formés à la médecine d’urgence. Cette réanimation, qui comprend des gestes à risque, comme l’intubation trachéale, ne peut être pratiquée que par les titulaires d’un diplôme d’études spécialisées d’anesthésie-réanimation, de médecine intensive-réanimation ou de médecine d’urgence, ou de diplômes équivalents. Si certains services d’incendie et de secours comptent bien des urgentistes, tous les médecins ne le sont pas.
Les médecins militaires, auxquels se réfère la proposition de loi, disposent de formations spécifiques à ces situations. Il n’y a donc pas de justification à dispenser les médecins de sapeurs-pompiers d’une telle formation – ce qui, par ailleurs, les exposerait à des poursuites en cas d’incident.
M. le rapporteur. Avis favorable à l’amendement, sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement, qui tend à en supprimer les alinéas 3 et 4.
Je ne souhaite évidemment pas rouvrir la querelle éternelle entre les « blancs » et les « rouges », et il n’est pas question d’empiéter sur l’importante mission des hospitaliers, notamment des urgentistes. Je regrette que certains l’aient entendu en ce sens. D’où cette proposition de rédaction.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS55 et AS40 de M. Jean-Carles Grelier.
Amendement AS4 de Mme Sophie Pantel
Mme Sophie Pantel (SOC). L’amendement vise à supprimer la possibilité de déléguer toutes les compétences des médecins de sapeurs-pompiers aux infirmiers de sapeurs‑pompiers. Nous ne sommes pas opposés à cette délégation de tâches, mais il convient de l’encadrer.
M. le rapporteur. Je comprends votre intention, mais l’amendement aurait le résultat inverse à celui que vous recherchez. En effet, la suppression des mots « en tout ou partie » aurait le même effet juridique que si vous écriviez « totalement ». Je vous invite donc à retirer l’amendement, sachant que, comme je l’ai dit, je ne serai pas opposé à ce que nous revoyions la rédaction avant l’examen du texte en séance publique.
L’amendement est retiré.
Amendement AS2 de Mme Sophie Pantel
Mme Sophie Pantel (SOC). Dans un souci de souplesse, l’amendement vise à permettre au Gouvernement de préciser par décret la liste des compétences des médecins de sapeurs-pompiers. Cela permettra d’harmoniser la rédaction avec celle du projet de décret issu de la « loi Matras », qui a été validée par la Conférence nationale des services d’incendie et de secours le 7 décembre 2022 et longuement discutée avec les partenaires sociaux.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Article 2 : Compétences des pharmaciens, infirmiers, psychologues et vétérinaires de sapeurs-pompiers
La commission adopte l’amendement de codification AS41 de M. Jean-Carles Grelier.
L’amendement AS18 de M. Julien Rancoule est retiré.
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS42 de M. Jean-Carles Grelier.
Amendement AS56 de M. Jean-Carles Grelier
M. le rapporteur. L’amendement vise à lever une ambiguïté sémantique car, en droit pur, le mot « acteur » désigne plutôt un professionnel du cinéma qu’un sapeur-pompier.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements AS19 de M. Julien Rancoule, AS7 de Mme Élise Leboucher et AS20 de M. Julien Rancoule, l’amendement AS34 de M. Julien Rancoule, faisant l’objet du sous-amendement AS58 de M. Jean-Carles Grelier, et l’amendement AS25 de M. Julien Rancoule tombent.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS57 et AS43 de M. Jean-Carles Grelier.
En conséquence, les amendements AS8 de Mme Karen Erodi et AS3 de Mme Sophie Pantel tombent.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Article 2 bis (nouveau) : Rapport sur les risques psycho-sociaux des personnels des services d’incendie et de secours
Amendement AS9 de Mme Karen Erodi
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). L’amendement vise à demander la remise d’un rapport sur les risques psychosociaux auxquels sont exposés les personnels des Sdis, dont les personnels de santé. Alors que les sapeurs-pompiers se distinguent par leur engagement sans faille, au péril de leur santé, voire de leur vie, cet engagement rime trop souvent avec le sacrifice de leur santé ou de leur sécurité. Trop souvent, les risques psychosociaux auxquels sont confrontés les sapeurs-pompiers et l’ensemble des personnels des Sdis, dont les personnels de santé, sont passés sous silence.
En amont même des opérations, c’est le sous-financement du système de sécurité civile et l’assèchement des finances locales qui mettent sous pression les Sdis, alors que leur activité a bondi de 28,8 % entre 2002 et 2021. La pression psychologique liée aux interventions est également insuffisamment prise en charge. Une étude de la cellule médico-psychologique de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris en 2005 démontrait que 10 % des sapeurs-pompiers présentaient un score fortement compatible avec un état de stress post-traumatique. Pourtant, on ne compte que 347 psychologues pour 254 850 sapeurs-pompiers, soit 1 pour 734, certains départements n’en comptant même qu’un seul. Passer d’une médecine d’aptitude et de sélection à une médecine du travail et de prévention ne se fera pas sans renforcer le rôle des psychologues.
M. le rapporteur. Avis favorable.
Après avoir déclaré tout à l’heure que la santé physique et mentale de nos sapeurs‑pompiers était essentielle, je ne peux m’opposer à cette demande de rapport.
M. Julien Rancoule (RN). Vous citez de nombreux motifs expliquant la détresse des sapeurs-pompiers, mais il est dommage que, par idéologie, vous oubliiez les agressions dont ils sont victimes, et dont le nombre a triplé en dix ans – on a compté en 2023, je le rappelle, 1 074 agressions de sapeurs-pompiers, soit trois par jour, sans parler des caillassages, insultes et menaces dont ils font quotidiennement l’objet.
La commission adopte l’amendement.
Article 3 : Cadre d’emplois des personnels de santé des services d’incendie et de secours
Amendement rédactionnel AS44 de M. Jean-Carles Grelier.
M. Julien Rancoule (RN). Les textes réglementaires en vigueur, notamment les articles R.1424-24 et suivants du code général des collectivités territoriales, emploient l’expression : « sous-direction santé », et non pas « sous-direction de la santé ». Il faudrait remédier à cette divergence en vue de l’examen du texte en séance publique.
M. le rapporteur. Je reste favorable à ma rédaction. En vertu de la hiérarchie des normes, c’est la rédaction de la loi qui prévaudra sur celle du décret, et non l’inverse.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement de codification AS45 de M. Jean-Carles Grelier.
Amendement AS26 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). Cet amendement rédactionnel vise à préciser le terme d’expert pharmacien utilisé aujourd’hui dans les différents codes et textes existants.
M. le rapporteur. Votre amendement est une justification supplémentaire du texte que je vous propose. Si nous créons demain un cadre d’emploi spécifique pour les pharmaciens ou les psychologues des sapeurs-pompiers, il ne sera plus nécessaire d’en recruter à l’externe et par des biais juridiques détournés, sous l’appellation d’experts.
Je demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS46 et AS47 de M. Jean-Carles Grelier.
Puis elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4 : Consultation de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours sur un projet de décret
La commission adopte l’amendement de suppression AS48 de M. Jean-Carles Grelier.
En conséquence, l’article 4 est supprimé et les amendements AS27 de M. Julien Rancoule et AS14 de Mme Élise Leboucher tombent.
Article 5 : Dérogation à l’obligation d’inscription à l’ordre professionnel pour l’exercice des missions de sapeurs-pompiers
Amendements identiques de suppression AS1 de Mme Sophie Pantel, AS16 de Mme Élise Leboucher et AS29 de M. Julien Rancoule
Mme Sophie Pantel (SOC). Il importe de conserver l’obligation d’appartenance à un ordre professionnel investi de plusieurs missions au nom de sa déontologie.
Par ailleurs, l’article souffre d’une erreur de rédaction. En effet, il vise à ajouter un nouvel alinéa à l’article L. 4161-1 du code de la santé publique, qui énumère les individus exerçant illégalement la médecine. En l’état de cette rédaction, il reviendrait donc à considérer comme exercice illégal de la médecine l’activité des professionnels de santé des services de santé des services d’incendie et de secours non inscrits à leur ordre. Il y a donc lieu de supprimer cet article.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Mon amendement vise également à supprimer cet article, à propos duquel plusieurs groupes ont déjà exprimé des inquiétudes. L’article, qui propose de contourner l’obligation d’une inscription auprès d’un ordre professionnel pour pouvoir exercer au sein des services de santé des Sdis, fait peser un risque sur la santé des sapeurs-pompiers et des personnes secourues, ainsi que sur la situation juridique des soignants intervenant auprès d’eux. Cela reviendrait en effet à supprimer un moyen de contrôler le respect par les soignants des Sdis de la déontologie professionnelle et/ou médicale par les pairs : qui, alors, assurera le contrôle de leurs compétences et du respect de leurs obligations ?
La justice ordinale n’est certes pas irréprochable – elle a, en effet, souvent été montrée du doigt pour son opacité, la faiblesse de son contrôle déontologique et ses défaillances dans le traitement des plaintes, ainsi que pour sa complaisance envers des professionnels fautifs, et un rapport de la Cour des comptes avait même dénoncé ces défaillances en décembre 2019. Cependant, si critiquable, défaillante et perfectible que soit cette juridiction, elle offre un début de protection aux personnes soignées et secourues, dont les sapeurs-pompiers. Nous proposons donc la suppression de l’article.
M. Julien Rancoule (RN). Nous demandons également la suppression de cet article. Les personnels de santé des SSSM doivent conserver leur inscription dans les différents ordres, ce qui les protège, mais protège également les victimes. Aujourd’hui, les professionnels des SSSM sont déjà assujettis à cette inscription et les membres volontaires le sont par leur activité professionnelle. Nous proposons donc de maintenir l’inscription obligatoire.
M. le rapporteur. Je serai évidemment favorable à la suppression de cet article en l’état et reviendrai vers vous en séance avec la rédaction d’un nouvel article 5, qui rendrait à nouveau obligatoire, pour chacune des professions à ordre des métiers de santé de sapeurs‑pompiers l’inscription ordinale et la formation initiale obligatoire dispensée par l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. Ce renforcement de l’inscription ordinale et de la formation initiale évitera que la mission particulière des professionnels de santé ne soit, à l’avenir, contestée.
Avis favorable à ces amendements de suppression – même si, parmi les argumentations que nous avons entendues, celle de Mme Pantel m’a paru la plus convaincante.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Dans la loi « Matras », il s’agissait d’un avantage donné aux médecins sapeurs-pompiers volontaires, car le coût de l’inscription pour les médecins est de 315 euros. L’inscription peut également être dissociée de la cotisation – on peut être inscrit à l’ordre pour des questions de contrôle de diplôme, de maîtrise de la langue ou de compétences, sans lien avec la cotisation.
La commission adopte les amendements.
En conséquence l’article 5 est supprimé et l’amendement AS28 de M. Julien Rancoule tombe.
Article 6 : Intégration directe des personnels du service de santé des armées dans le cadre d’emplois des personnels de santé des services d’incendie et de secours
La commission adopte successivement l’amendement de codification AS49 et l’amendement rédactionnel AS50 de M. Jean-Carles Grelier.
Amendement AS17 de Mme Karen Erodi
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP). L’amendement vise à préserver le droit au repos des professionnels de santé retraités du SSA.
Les médecins militaires peuvent bénéficier d’un âge de départ anticipé à la retraite avec une ouverture des droits entre 52 et 54 ans. Ils peuvent aussi poursuivre leur activité. Leur intégration sur demande au sein des Sdis, proposée à l’article 6, ne doit pas devenir un palliatif à l’insuffisance des recrutements et au financement de la sous-direction de santé des Sdis. Nous voulons permettre à ces professionnels de santé de prendre pleinement un repos bien mérité sans subir des pressions morales les contraignant à intégrer des services en sous-effectif en raison des politiques d’austérité dont sont victimes les collectivités territoriales, et donc les Sdis.
Nous proposons donc de limiter l’intégration aux Sdis aux seuls anciens professionnels de santé militaires âgés de 58 ans et moins.
M. le rapporteur. La faculté est offerte à chaque professionnel de santé du SSA de rejoindre ou non, lorsque son engagement militaire est achevé, les services d’incendie et de secours. Je ne vois donc pas l’intérêt de cadrer cette faculté : qu’est-ce qui empêcherait demain un médecin ou un infirmier du service de santé des armées âgé de 59 ou 60 ans de vouloir poursuivre sa carrière chez les sapeurs-pompiers ? En revanche, rien ne le lui impose, car ce n’est qu’une faculté.
Enfin, la durée d’engagement des médecins militaires des SSA, leur permettant de quitter leurs fonctions à un âge relativement jeune, est une source importante de recrutement pour les services de santé des Sdis. Ces derniers, ayant perdu près d’un millier de médecins en dix ans, ne peuvent pas se passer de ce mode de recrutement complémentaire de leurs effectifs.
Avis défavorable à l’amendement.
M. Julien Rancoule (RN). Le groupe Rassemblement National votera contre l’amendement. Je rappelle que nous cherchons des médecins dans nos territoires. Pourquoi limiter à 58 ans l’emploi dans les Sdis de médecins formés qui partent à la retraite relativement jeune par rapport au cadre civil, alors que nous pourrions en disposer dans nos départements ? En tout état de cause, cela ne se fera que sur la base du volontariat. Je ne comprends pas le sens de l’amendement, qui relève de la pure idéologie.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS30 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). L’amendement vise à préciser par décret l’éventuelle formation complémentaire que les personnels des services de santé des armées seront tenus de suivre au sein des Sdis. En effet, si l’on peut concevoir que les médecins et infirmiers issus de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris ou du bataillon de marins-pompiers de Marseille, qui pratiquent la même activité, soient intégrés pour être directement opérationnels, la formation complémentaire de ceux qui sont issus d’autres forces armées devrait être précisée par décret.
M. le rapporteur. Avis favorable.
L’appréciation du parcours du professionnel de santé qui intègre les services de santé du Sdis peut être fort bien être ajoutée aux dispositions du décret.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS51 de M. Jean-Carles Grelier
M. le rapporteur. Il s’agit d’un amendement de codification.
M. Julien Rancoule (RN). D’après mes recherches, l’article invoqué dans cet amendement est de nature réglementaire, et non législatif.
M. le rapporteur. Les dérogations au droit à pension restent du domaine législatif. C’est le cas de L. 4139-18 du code de la défense. Le droit à pension est d’ailleurs le seul point de ce texte qui reste de l’ordre du législatif, et non pas du réglementaire.
M. Julien Rancoule (RN). Votre amendement renvoie aux conditions prévues à l’article L. 4139-18 du code de la défense, mais il doit y avoir une erreur de rédaction car l’article est de nature réglementaire.
M. le rapporteur. Non, car l’amendement AS49 que nous venons d’adopter a précisément créé cet article, qui n’existait pas auparavant.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 6 modifié.
Article 7 : Application de la loi à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et au bataillon de marins-pompiers de Marseille
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS52 de M. Jean-Carles Grelier.
Puis elle adopte l’article 7 modifié.
Article 7 bis (nouveau) : Campagnes d’information sur les professions de santé dans les services d’incendie et de secours
Amendement AS37 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). L’amendement vise, par le biais d’une campagne d’information en partenariat avec les Sdis, à valoriser cette voie et à recruter des personnels de santé dans nos SSSM, professionnels ou volontaires – et, particulièrement, volontaires dans les zones rurales. Nous disposons d’un vivier, avec notamment les infirmiers et médecins libéraux. Une information est nécessaire pour les inciter à s’engager en tant que volontaires dans nos Sdis. Ce serait une force et un avantage dans les milieux ruraux, souvent éloignés des structures mobiles d’urgence et de réanimation, et permettrait à nombre de victimes d’accéder à des soins paramédicaux ou médicaux d’urgence, ce qui n’est assurément pas un confort, mais une nécessité.
M. le rapporteur. En 2013, les médecins de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires étaient 4 484. Ils ne sont plus que 3 492 en 2024 : nous avons perdu plus d’un millier de médecins en dix ans. Je suis donc évidemment favorable à tout ce qui peut assurer la promotion et l’attractivité de ces services et indiquer à des professionnels de santé comment les rejoindre, par la voie professionnelle ou par celle du volontariat.
La commission adopte l’amendement.
Après l’article 7
Amendement AS32 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). Cet amendement, qui m’a été suggéré par des représentants de sapeurs-pompiers professionnels, vise à demander un rapport sur les avantages de la création d’un cadre d’emplois pour les infirmiers titulaires d’un diplôme interuniversitaire de la santé au travail. L’embauche d’infirmiers spécialistes dans ce domaine contribuerait à pallier le manque très important de médecins en prévention.
M. le rapporteur. Les rapports parlementaires durent ce que durent les roses : un printemps, pas davantage. L’inscription de vos propositions dans une future loi-cadre, à l’issue du Beauvau de la sécurité publique aura plus de sens. Je suis plutôt réservé quant à l’élaboration d’un rapport supplémentaire.
Retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS35 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). L’amendement vise à évaluer les défaillances et notre retard en matière de rémunération et d’indemnités pour l’intégration des professionnels et des volontaires de nos services de santé dans les Sdis, dont le recrutement se heurte à un vrai problème d’attractivité. Pour un professionnel de santé qui quitte son cabinet pour se rendre en intervention, l’enjeu est aussi financier. C’est également pour des raisons économiques que nous peinons à recruter des professionnels. Je crois en effet savoir que les médecins sont rémunérés 50 % de moins dans les Sdis que dans les autres corps.
M. le rapporteur. Mêmes causes, mêmes effets. Le sujet a beau être pertinent, il s’agit encore d’une demande de rapport. Retrait ou avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Article 8 : Gage de recevabilité financière
La commission adopte l’article 8 non modifié.
Titre
Amendement AS36 de M. Julien Rancoule
M. Julien Rancoule (RN). La sémantique est importante et la directive européenne sur le temps de travail menace le statut de nos sapeurs-pompiers volontaires depuis des années, du fait de l’inaction de nos gouvernements successifs. Le terme de « cadre d’emploi » ne devrait pas figurer dans le titre d’une proposition de loi qui vise aussi bien des professionnels que des volontaires – et sans doute même davantage de volontaires, puisque 96 % des membres des SSSM le sont.
Afin de lever cette ambiguïté, je propose donc le titre suivant : « proposition de loi relative à l’organisation et aux missions des personnels de santé professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours ».
M. le rapporteur. La sémantique est en effet toujours importante. Nous penchions vers la notion de filière mais, en droit de la fonction publique, ce terme correspond à une définition très particulière, qui n’est pas celle que nous recherchions. Vous soulignez à juste titre que le fait de figer la situation de volontaires dans un statut qui serait juridiquement qualifié de « cadre d’emploi » risquerait de les faire considérer eux aussi comme des professionnels, avec toutes les conséquences de droit, notamment européen, que cela entraînerait.
Dans l’esprit de coconstruction qui prévaut ce matin dans l’examen de ce texte, avis favorable à cet amendement.
Mme Sophie Pantel (SOC). La directive européenne sur le temps de travail soulève un vrai problème, même si une directive sur l’engagement est en cours de rédaction. Nous pourrions nous contenter d’un amendement tendant à remplacer les mots « cadre d’emploi » par les mots « cadre d’exercice ».
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
La commission examine ensuite la proposition de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant (n° 839) (Mme Anne Bergantz, rapporteure).
Mme Anne Bergantz, rapporteure. Je suis très heureuse de vous présenter une proposition de loi cosignée par mes collègues du groupe Les Démocrates, qui sera inscrite à l’ordre du jour de la journée qui nous sera réservée, le 6 mars.
Ce texte, constitutif de la philosophie politique de notre mouvement, vise à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant. Il est attendu par nombre de nos concitoyens, ainsi que par les associations de famille, et me semble répondre à la fois aux nouvelles compositions familiales et au contexte démographique actuel.
La France est sur le point d’entrer dans un hiver démographique. Le nombre de naissances annuelles est, depuis 2023, inférieur à 700 000 – 663 000 naissances exactement en 2024. L’indice de fécondité a atteint son niveau le plus faible depuis un siècle, avec un nombre moyen de 1,62 enfant par femme. Les raisons de cette baisse de la natalité sont multiples : grossesse plus tardive, infertilité, coût de l’immobilier, éco‑anxiété, confiance dans l’avenir en berne, individualisme ou évolution du modèle de la famille idéale.
Notre propos n’est pas d’établir un lien direct entre le système d’allocations familiales français et l’absence de dynamisme démographique. Avec humilité et sérieux, cette proposition de loi souhaite plutôt tirer parti de l’actualité des questions démographiques pour reposer un débat que je crois transpartisan. Elle s’inscrit au cœur des préoccupations de notre groupe et s’inspire des travaux du sociologue et spécialiste de la protection sociale Julien Damon, qui souligne la pertinence d’élargir le bénéfice des allocations familiales au premier enfant et de renforcer leur caractère universel.
Notre système d’allocations familiales est difficilement lisible et en décalage avec la réalité démographique de notre pays. L’enjeu décisif en matière de démographie a cessé d’être le troisième enfant, pour devenir le premier et le deuxième. C’est pourquoi notre proposition de loi prévoit la mise en place, dès le premier enfant, d’une allocation forfaitaire indépendante du niveau de revenu du ménage concerné, de l’âge de l’enfant ou de son rang dans la fratrie.
Le retour à l’universalité des allocations familiales ne contribuera pas à aggraver le déficit des administrations publiques. Il s’agit d’une condition essentielle pour le groupe Les Démocrates. Cette proposition de loi a été pensée dans une démarche de responsabilité budgétaire et de neutralité à long terme.
En 2024, les dépenses d’allocations familiales s’élèvent à 14 milliards d’euros. Versées au bénéfice de 5 millions de foyers et de 11 millions d’enfants, elles ne sont ouvertes qu’à partir du deuxième enfant, sauf dans les départements d’outre-mer où elles le sont dès le premier enfant. Leur montant est par ailleurs modulé selon le rang, l’âge de l’enfant et, depuis le 1er juillet 2015, les revenus des parents, avec trois tranches variant en fonction du rang de l’enfant.
Une famille à enfant unique ne bénéficiera donc d’aucun droit à allocation familiale en métropole. Or en 2019, près de 45 % des familles avaient un seul enfant de moins de 18 ans, ce qui correspondait à 3,6 millions d’enfants. Il faut également tenir compte des effets de seuils. Ainsi, un ménage avec deux enfants dépassant de quelques euros la deuxième tranche de revenus verra son allocation fortement réduite, avec une légère compensation sous forme d’un complément dégressif.
En l’état actuel du droit, un enfant âgé de 2 ans est considéré comme coûtant moins cher à ses parents qu’un adolescent de 14 ans, et ce sans justification économique valable, ainsi que nous l’a rappelé en audition l’économiste et présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Hélène Périvier. Ce point est d’ailleurs corroboré par plusieurs études, ainsi que par une enquête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui précise qu’« il apparaît plus pertinent de ne pas traiter l’enfant de moins de 14 ans différemment de celui de 14 ans et plus ».
À cette complexité et ces effets de seuils viennent se surajouter d’autres prestations familiales – pas moins de huit ! – dont l’application varie en fonction de la taille de la famille, des plafonds de ressources, qui sont différents selon les prestations, des modalités de garde ou de l’exercice professionnel des parents.
Vous l’aurez compris, si nous avons parfois des difficultés à comprendre cet empilement de prestations, nos concitoyens sont, quant à eux, perdus et agacés par ces calculs d’équilibristes qui déterminent le montant de leurs droits.
En outre, la modulation en fonction des revenus du foyer, introduite en 2015, a fortement remis en cause le principe d’universalité des allocations familiales pourtant hérité de la IIIe République. La diminution des droits aux allocations familiales des ménages contribuant le plus a fortement miné l’un des piliers de la politique familiale. La solidarité horizontale, celle des foyers sans enfant vers les foyers avec enfants, a été fragilisée. De fait, certaines familles se sont senties exclues de la politique familiale, tout en y contribuant.
C’est donc dans un souci d’équilibre et de simplicité que la présente proposition de loi vise à profondément remanier le système d’allocations familiales, au bénéfice de sa lisibilité et du pouvoir d’achat des classes moyennes.
L’article 1er prévoit ainsi la création d’une allocation familiale forfaitaire unique, ouverte dès le premier enfant, d’un montant minimal de 70 euros par mois par enfant à charge. Cette mesure est attendue par les associations de familles que nous avons auditionnées. Elles insistent sur la nécessité de compenser la charge de l’enfant dans la famille, dès le premier enfant.
Le cap du premier enfant est un moment central de la vie personnelle et professionnelle d’une famille. Il induit parfois un nouveau lieu de résidence, un nouveau logement, voire une conception différente de l’activité professionnelle. Il revient aux pouvoirs publics d’accompagner au mieux ce changement de vie que constitue la première expérience parentale.
L’article 1er abroge également les majorations d’allocations familiales existantes suivant l’âge de l’enfant et le rang de celui-ci dans la fratrie, considérant que chaque enfant doit bénéficier du même accompagnement de l’État.
La politique familiale a vocation à s’inscrire dans une double logique de solidarité horizontale entre les familles et de solidarité verticale entre les familles aisées et les familles modestes ou précaires. Au fil des ans, cette dernière a transformé la politique familiale en une politique presque uniquement sociale. Cette proposition de loi entend procéder à un rééquilibrage.
La modulation des allocations familiales introduite en 2015, couplée aux abaissements des plafonds du quotient familial, n’a eu qu’un effet très marginal sur le niveau de vie des familles les plus modestes. La diminution du niveau de vie des ménages aisés n’a donc pas induit une amélioration significative de la situation des ménages précaires.
Vous l’aurez compris, ma conviction est que la politique familiale doit renouer avec le principe d’universalité du versement des allocations familiales et renvoyer les questions centrales de redistribution à d’autres prestations ou instruments de politique publique.
La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle constitue également un axe primordial de la politique familiale. La demande des familles est forte en matière de services et d’équipements. Nous devons renouveler notre ambition dans ce domaine, en renforçant l’offre de garde et en avançant sur la question du congé parental ou de naissance. Ces sujets dépassent toutefois le cadre de la présente proposition de loi.
Nos simulations montrent que la réforme aura, à terme, un effet budgétaire neutre, voire positif de l’ordre de 600 millions d’euros pour nos finances publiques, préservant ainsi nos marges de manœuvre pour d’autres politiques publiques. J’ai vu circuler un chiffrage pour l’extension des allocations familiales au premier enfant allant jusqu’à 3 milliards d’euros. Je vous rassure, il est tout à fait inexact ! Notre proposition de loi est guidée par un principe de responsabilité budgétaire.
J’insiste sur la neutralité pour les finances publiques. L’article 1er de la proposition de loi maintient les bénéficiaires actuels d’allocations dans le système existant. Dès lors, les coûts induits par la prise en compte du premier enfant seront, au rythme de la montée en charge du dispositif, compensés par la sortie des aînés. Cette clause du nouvel enfant constitue une sécurité supplémentaire pour nos comptes publics.
Je sais que certains groupes s’inquiètent des conséquences de cette proposition de loi pour les familles nombreuses. Je le comprends et je demeure ouverte à une majoration du complément familial pour les familles ayant plus de trois enfants. Charge à nous de trouver les moyens de compenser ce surcoût.
En conclusion, cette proposition de loi devrait largement nous réunir. Elle permet d’adapter notre système d’allocations familiales à l’évolution de la structure des familles françaises. Simplifier et universaliser les allocations familiales : voici l’ambition de ce texte !
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Angélique Ranc (RN). Cela fait longtemps que l’hiver démographique menace l’avenir de notre nation et cela fait longtemps que le Rassemblement national alerte sur les conséquences catastrophiques des choix des derniers gouvernements en matière de politique familiale, à commencer par celui de François Hollande, qui a acté la fin du principe d’universalité des allocations. Je me réjouis donc que vous proposiez de rétablir ce pilier de notre politique familiale.
Cependant, si votre texte semble, à première vue, démocratiser l’accès aux allocations familiales, une analyse comparative révèle l’existence de biais significatifs. En effet, alors que les familles avec un enfant bénéficieraient d’un gain immédiat de 70 euros minimum, les ménages avec deux enfants verraient leurs allocations diminuer par rapport à la situation actuelle et ce recul s’accentuerait pour chaque nouvel enfant. Nous sommes loin de la philosophie historique des allocations familiales, qui était de soutenir une natalité dynamique en attribuant un soutien croissant en fonction du nombre d’enfants.
Pour 91 % des bénéficiaires actuels, le passage à ce nouveau système induirait une baisse atteignant 138 euros dès le troisième enfant et jusqu’à 369 euros pour les familles de cinq enfants. Cette réforme risquerait ainsi de pénaliser les foyers aux charges multiples, qui dépendent des aides actuelles pour l’éducation et le bien-être de leurs enfants.
Enfin, j’aimerais appeler votre attention sur deux dispositions qui font toujours défaut dans ce type de proposition de loi et affectent la ligne budgétaire allouée aux prestations familiales.
La première consisterait à réserver le versement des allocations aux enfants dont au moins l’un des deux parents détient la nationalité française. Cette condition permettrait de s’assurer que les prestations bénéficient avant tout à nos compatriotes, ce qui est important dans ces temps d’incertitude budgétaire.
Quant à la seconde, elle consisterait à verbaliser les fraudes aux allocations familiales par un montant correspondant au quintuple des sommes indûment versées. En 2023, ces fraudes représentaient, je le rappelle 400 millions d’euros.
Pour conclure, l’universalisation des allocations familiales est certes très positive, mais cette réforme doit être renforcée, pour ne pas pénaliser les plus vulnérables, ainsi que les familles françaises, et inciter réellement à la natalité.
Mme Joséphine Missoffe (EPR). Les allocations familiales sont au cœur des modèles français de sécurité sociale et de politique familiale, qui protègent les parents et les enfants en s’appuyant sur des principes d’universalité et de justice auxquels mon groupe est profondément attaché.
Pour qu’ils continuent à atteindre leurs objectifs, nous devons être attentifs aux évolutions des familles françaises et transformer nos systèmes sociaux en conséquence. Cette proposition de loi prend acte du nombre croissant de familles composées d’un seul enfant, qui sont exclues du périmètre des allocations familiales, mais qu’il est pourtant nécessaire de soutenir. Elle permet également d’améliorer la lisibilité d’un système de protection des familles qui s’est progressivement complexifiée depuis 1945 et apporte une simplification essentielle pour sa pérennité.
Nous tenons à saluer l’effort de neutralité et de responsabilité budgétaire à long terme. Toutefois, la forfaitisation du montant des allocations prévue dans cette proposition de loi pourrait affecter sensiblement les mécanismes de réduction de la pauvreté et des inégalités. Une évaluation prenant en compte l’ensemble des prestations redistributives de la politique familiale serait donc nécessaire pour s’assurer que les ménages les plus modestes ne seront pas fragilisés.
Par ailleurs, le groupe EPR restera attentif aux coûts opérationnels et budgétaires de la période de transition entre les deux dispositifs, ainsi qu’aux projections consolidées à long terme de cette réforme.
Enfin, les allocations familiales ne sont qu’un aspect des mécanismes à l’œuvre dans le soutien aux familles, notamment aux familles monoparentales ou avec un seul enfant. Ce texte nous invite à avoir un regard critique et réformateur sur l’efficacité du système dans son ensemble, afin de nous assurer qu’il ne s’éloigne ni des réalités ni de ses objectifs.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le système des allocations familiales est daté. Conçu suivant une vision nataliste de la société, il prévoit le versement des allocations à compter du deuxième enfant seulement, alors que l’arrivée du premier constitue pour un couple un véritable bouleversement, y compris financier.
Le désir d’enfants a évolué, mais notre politique familiale repose encore sur une incitation à concevoir au moins deux enfants, alors que de nombreux couples renoncent à avoir un premier enfant ou en retardent l’arrivée, faute de moyens pour l’accueillir dans de bonnes conditions : logement suffisamment grand, salaire suffisamment stable et décent, mode d’accueil permettant le maintien dans l’emploi, temps libre suffisant pour prendre soin de l’enfant, etc.
Nous partageons l’objectif de ce texte, qui vise à soutenir le pouvoir d’achat des familles, bien que notre motivation ne consiste pas à relancer la natalité. Il s’agit de donner à nos concitoyens la possibilité de faire des enfants sans craindre de ne pas avoir les moyens de leur offrir tout ce dont ils ont besoin. C’est pour cette raison que La France insoumise défend de longue date le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Nous sommes également favorables à la suppression de leur modulation en fonction du revenu des ménages. Sous couvert de justice sociale, l’instauration de la modulation visait à restreindre le soutien apporté aux familles par la branche famille, ou à tout le moins à limiter la progression de ces dépenses. Le principe d’universalité des allocations familiales est au cœur du projet de société que nous appelons de nos vœux : elles doivent bénéficier à toutes et tous sans aucune distinction, notamment de nationalité.
Cependant, cette proposition de loi ferait trop de perdants, notamment parmi les futures familles nombreuses ayant des adolescents à charge, puisqu’elle prévoit la suppression de la majoration des allocations familiales à partir des 14 ans de l’enfant ; en outre, le montant uniformisé, fixé à 70 euros, est trop faible. Les conséquences sociales risquent d’être désastreuses pour les familles nombreuses, puisque le texte prévoit une baisse des droits existants pour financer un droit nouveau, ce que nous ne pouvons accepter.
Enfin, il faut cesser d’invoquer la relance de la natalité comme étant une solution à tous les problèmes de la société française : les ventres des femmes ne sont pas des machines à produire des bébés pour rééquilibrer nos comptes sociaux. La réforme de 2015 peut être critiquée, mais elle n’est pas la cause de la baisse de la natalité, qui est tendancielle depuis 2010. En revanche, les inégalités femmes-hommes, la crise climatique, la diminution du pouvoir d’achat, la destruction des services publics, y contribuent de manière bien plus importante.
Compte tenu de ces éléments, le groupe La France insoumise votera contre cette proposition de loi.
M. Arnaud Simion (SOC). Les allocations familiales sont la prestation familiale la plus importante, tant par le nombre de personnes concernées – plus de 5 millions de familles – que par les montants versés – environ 13 milliards d’euros chaque année. Elles ont été créées en 1932 pour les ouvriers, mais c’est en 1946, après la Libération, que leur versement est conditionné à la naissance du deuxième enfant, afin de soutenir la natalité. Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 85 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, leur montant était identique pour tous les bénéficiaires, quel que soit le niveau de leurs revenus.
La présente proposition de loi propose d’octroyer les allocations familiales dès la naissance du premier enfant : le groupe Socialistes et apparentés ne peut que soutenir cette mesure, qu’il revendique depuis longtemps, en particulier pour les familles monoparentales. Elle prévoit également d’en forfaitiser le montant et de le fixer à 70 euros par enfant, supprimant ainsi la prise en considération des ressources. Une telle remise en cause pourrait aggraver les inégalités sociales, les allocations familiales étant l’une des prestations sociales les plus efficaces pour faire sortir les familles de la pauvreté : le taux de pauvreté recule de près de deux points après leur versement.
En conséquence, si le groupe Socialistes et apparentés soutient l’octroi des allocations familiales dès le premier enfant, il défendra en revanche un amendement visant à supprimer la forfaitisation de leur montant. Dans l’attente de l’examen des amendements, il a décidé de s’abstenir, sans pour autant s’opposer à une réforme globale des allocations familiales dans le cadre d’une démarche de justice sociale.
Mme Justine Gruet (DR). Permettez-moi de vous remercier, madame la rapporteure, pour votre travail sur cet important sujet sociétal. Vous présentez une proposition de loi dont la philosophie ne peut que satisfaire le groupe Droite Républicaine.
La refonte du système des allocations familiales est un sujet important, qui aurait mérité plus de temps que celui fourni par une niche parlementaire. Nous regrettons que ce texte ne soit pas davantage débattu, d’autant qu’il ne sera probablement pas examiné en séance le 6 mars prochain, faute de temps.
La situation catastrophique de notre politique familiale ne date pas d’hier et je m’étonne de l’absence, dans ce texte, de toute mention du rôle majeur de François Hollande dans son déclin. Rappelons que la fin de l’universalité des allocations familiales date de 2015 et n’a pas été remise en cause ensuite. Depuis, le nombre de naissances est en constante diminution, passant de 818 000 en 2014 à 677 000 en 2023, et 663 000 en 2024. Or la baisse de la natalité conduit inévitablement à une mise en difficulté de notre modèle social reposant sur la répartition : là est l’urgence.
Depuis de nombreuses années, nous défendons le versement des allocations familiales dès le premier enfant et le rétablissement de l’universalité de leur montant. C’est pourquoi le groupe Droite Républicaine sera favorable à toute nouvelle idée de simplification et vigilant quant au montant proposé pour l’allocation forfaitaire. Vous suggérez que celui-ci ne soit pas inférieur à 70 euros, quand il est de 250 euros en Allemagne. Vous proposez aussi que le montant soit fixé par décret et revalorisé en fonction de l’inflation, mais je ne doute pas que nous aurons l’occasion de faire valoir qu’il serait plus pertinent de le fixer dans la loi plutôt que par décret.
Cette proposition de loi a le mérite de faire bouger les lignes ; c’est pourquoi le groupe Droite Républicaine l’examinera avec bienveillance.
M. François Ruffin (EcoS). « On comptait avoir un enfant, mais on a tout mis en attente. Pourtant, ça fait onze ans qu’on est ensemble. Quand même, après onze ans de relation, on a au moins un enfant, mais j’ai peur de me lancer et de ne plus pouvoir assumer, parce que mon compagnon est intérimaire et moi à temps partiel avec un statut précaire. » C’est Fouzia, animatrice périscolaire à Amiens, qui témoigne ainsi, se faisant l’écho de centaines de milliers d’hommes et de femmes dont le désir d’enfant est entravé.
Les statistiques permettent de mesurer le fossé existant entre le désir d’enfant, qui est de 2,4 enfants en moyenne, et le nombre d’enfants par femme, de 1,68 en moyenne. Il est nécessaire d’en parler, mais il est tragique de réduire la joie d’avoir un enfant au réarmement démographique et d’en parler avec sécheresse plutôt qu’avec tendresse, comme si c’était un devoir patriotique.
C’est une bonne chose de vouloir lever les obstacles à la parentalité dès le premier enfant, mais au-delà, nous devons faire en sorte que les enfants soient gardés, en crèche ou par une assistante maternelle, et que les loyers soient moins élevés pour les familles modestes. Nous devons favoriser l’émancipation et le bonheur des familles tout en assurant à la nation le renouvellement des générations.
Le groupe Écologiste et Social est favorable au versement des allocations familiales dès le premier enfant, mais il n’est pas d’accord avec la neutralité budgétaire que vous proposez. L’ambition que nous avons pour les familles suppose une ambition budgétaire à la hauteur.
Mme Perrine Goulet (Dem). Longtemps vue comme une exception française, notre natalité connaît à son tour une baisse importante. Les jeunes filles et jeunes garçons se projettent de moins en moins en tant que parents. Notre taux de fécondité est dorénavant de 1,68 enfant par femme, éloigné non seulement du taux nécessaire au renouvellement des générations, mais aussi des envies des parents.
Les causes de cette situation sont multiples : le contexte social et politique, les problèmes de logement, les difficultés de concilier travail et vie de famille, mais aussi la place faite aux enfants par notre société. Nous devons tenir compte de ces changements structurels en soutenant les familles dès le premier enfant à charge, qui représente l’investissement le plus important.
Cette proposition de loi vise à adapter notre système d’allocations familiales, hérité de l’après-guerre et du baby-boom, aux réalités démographiques de la France du XXIe siècle. Nous défendons la simplification et l’universalisation de la politique familiale grâce à une allocation forfaitaire uniforme de 70 euros par enfant, versée dès le premier. Nous souhaitons ainsi transmette un message fort aux familles : d’une part, simplifier leurs démarches en mettant fin aux trop nombreux critères de ressources, d’âge et de rang dans la fratrie, intervenant dans le calcul des aides ; d’autre part, fournir un soutien aux 2 millions de familles monoparentales n’ayant qu’un enfant à charge. Non seulement cette réforme est attendue, mais elle est un gage d’équité.
Si la question budgétaire ne saurait être un frein à l’accompagnement des familles, cette réforme ne constituera pas un surcoût : d’un montant estimé à 13 milliards d’euros par an, équivalent aux dépenses actuelles d’allocations familiales, elle serait appliquée à isopérimètre budgétaire.
J’espère que nos débats vous permettront d’être convaincus de la nécessité d’apporter notre pierre à la politique familiale : l’avenir de notre pays en dépend.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Cette proposition de loi vise à réformer les allocations familiales et s’inscrit dans une volonté tout à fait louable d’adapter notre politique familiale aux évolutions démographiques et sociales.
Aujourd’hui, 45 % des familles n’ont qu’un seul enfant et un quart d’entre elles sont monoparentales. Il est donc pertinent de repenser notre modèle en instaurant un soutien financier dès la naissance du premier enfant. Cette mesure constitue un progrès pour les jeunes parents, en particulier les plus modestes, qui font face à des dépenses importantes dès les premiers mois de vie de leur enfant.
Cependant, cette avancée indéniable s’accompagne d’une mesure qui pénalisera de nombreuses familles. En supprimant la modulation des allocations selon les revenus et les majorations pour âge, ce texte induit en effet une diminution conséquente de l’aide aux familles ayant plusieurs enfants. Ainsi, une famille de trois enfants, dont deux ont plus de 14 ans, perdrait près de 280 euros par mois. Des pertes significatives pénaliseraient de nombreux foyers déjà bénéficiaires, notamment ceux se situant dans la première tranche de ressources ; au-delà, la perte serait moindre.
Nous partageons les objectifs de cette proposition de loi, mais elle soulève des problèmes en matière d’équité. En outre, elle ne s’inscrit pas dans une réflexion plus large sur la politique familiale – que nous appelons de nos vœux – qui prendrait en considération l’accès à un mode de garde ou l’accompagnement des familles monoparentales.
Malgré son adhésion au principe du soutien dès le premier enfant, le groupe Horizons & Indépendants s’abstiendra ; il ne peut encourager cette réforme, qui entraînera la diminution des aides pour 4,5 millions de familles ayant plusieurs enfants.
M. Yannick Monnet (GDR). Cette proposition de loi prévoit plusieurs dispositions, dont la principale consiste à ouvrir le droit aux allocations familiales dès le premier enfant. Nous avons toujours soutenu une telle mesure universaliste, qui est d’autant plus nécessaire que les familles avec un enfant unique sont de plus en plus nombreuses et que la pauvreté infantile avoisine 20 %.
Toutefois, ce texte engage une refonte plus large, puisqu’il met fin à la modulation des allocations familiales en fonction des ressources du foyer, ce que nous approuvons, ainsi qu’à leur progressivité en fonction du nombre d’enfants. Ce faisant, il donne une autre définition de l’universalité des allocations familiales.
L’universalité, à nos yeux, consiste à verser la même allocation pour tous selon une même progressivité en fonction de la composition du foyer, quelles que soient ses ressources. Cette proposition de loi repose sur un principe différent : celui d’une allocation familiale universelle à laquelle chacun a pareillement droit et qui est exactement la même pour chaque enfant, quelle que soit la composition familiale. Ce n’est donc plus la fratrie ou la famille qui sont considérées, mais l’enfant pris isolément, et forfaitisé. Dès lors, s’agit-il encore d’une allocation familiale ?
Dans un article de Julien Damon, dont vous vous êtes directement inspirés, ces enjeux sont clairement exposés : « Ne masquons pas le propos. Passer de l’idée d’une allocation au premier enfant à une allocation par enfant procède assurément d’une certaine défamilialisation des allocations familiales car le destinataire en devient, au fond, l’enfant et non sa famille. » Il ne s’agit donc pas seulement de simplifier la politique familiale, il s’agit aussi de lui donner un autre sens, ce qui nous laisse circonspects.
Par ailleurs, en l’absence d’étude d’impact, la question budgétaire est rapidement évacuée ; l’exposé des motifs se contente d’indiquer que ces évolutions doivent être neutres budgétairement, à terme. Le texte ne s’attarde pas davantage sur les impacts, pourtant très concrets, sur le niveau de vie des familles. En effet, la somme forfaitaire, dont le minimum est fixé à 70 euros mensuels, diminuerait les allocations familiales pour les foyers les plus modestes et pour les familles nombreuses. Cela soulève la question suivante : pourquoi défamilialiser les allocations familiales pour attribuer une forme de sursalaire par le biais d’autres prestations sociales ?
M. Olivier Fayssat (UDR). Sur le principe, il nous semble juste d’octroyer les allocations familiales dès le premier enfant, que ce soit pour des raisons de solidarité, d’universalisme ou pour encourager la natalité. En effet, si l’indice de consommation d’une personne seule est égal à 100, il passe à 150 pour un couple et à 300 à la naissance du premier enfant, ce qui illustre l’impact financier du premier enfant sur un couple. Nous sommes donc tentés de soutenir cette proposition de loi.
Cependant, j’émets la même réserve que ma collègue du Rassemblement national : ce versement doit être conditionné à la présence d’au moins un parent ayant la nationalité française. De plus, l’impact négatif de cette proposition de loi sur les familles ayant plus d’un enfant est problématique.
Par conséquent, le vote du groupe UDR sera déterminé par l’issue de nos débats.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Fabien Di Filippo (DR). Je ne peux dissimuler une certaine incompréhension lorsque j’entends dire que les ventres des femmes ne sont pas des machines à faire des bébés pour équilibrer les comptes sociaux, en particulier venant de ceux qui pensent qu’il est possible de maintenir la retraite à 60 ans et des taux d’inactivité crevant les plafonds, en instaurant un droit à la paresse. La natalité et la démographie ne se sous-traitent pas à d’autres peuples ; un tel calcul serait fort cynique et très malheureux.
Lorsque notre système social a été bâti, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les foyers comptaient en moyenne quatre enfants. L’équilibre qui en découlait est maintenant rompu et il semble désormais acceptable de présenter un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) déficitaire de plus de 22 milliards d’euros. Nous devons rester vigilants. Le réarmement démographique n’est pas un gros mot et ce n’est pas instrumentaliser les femmes que de promouvoir des projets familiaux. Tout cela est au contraire fort bienvenu.
Permettez-moi simplement de faire une remarque concernant les modes de calcul des forfaits : c’est le troisième enfant qui excède le renouvellement démographique et permet à un peuple de croître. Si nous voulons assurer la pérennité à long terme de nos systèmes sociaux, prenons garde de ne pas en faire la victime des décisions que nous pourrions prendre aujourd’hui.
M. Jérôme Guedj (SOC). Je tiens à remercier Mme Anne Bergantz et les députés du groupe Les Démocrates de nous permettre de tenir ce débat. Le sujet des allocations familiales demeure trop souvent en dehors des radars, alors même qu’il nous permet d’envisager les enjeux de la sécurité sociale de manière offensive plutôt que défensive. Ainsi, ce débat nous permet de remettre en question ce qui apparaissait comme des principes intangibles.
Mon collègue Arnaud Simion a rappelé l’attachement des socialistes aux allocations familiales en général et au principe d’universalité en particulier – le terme a beaucoup cité. Quelles que soient les familles, il est anormal que le premier enfant n’ouvre pas droit aux allocations familiales, comme il est anormal que celles-ci soient versées sous condition de ressource.
Je n’étais pas favorable à la modulation des allocations familiales introduite en 2015, qui est une entorse à l’universalité – que je considère comme essentielle. Les conséquences de cette décision se mesurent encore aujourd’hui, lorsque l’on entend certains proposer de moduler des remboursements de l’assurance maladie en fonction des revenus.
Si nous remettons en cause l’universalité, si nous cessons de nous battre pour l’étendre autant que possible – reprenant ainsi l’ambition des pères fondateurs de la sécurité sociale –, alors le consentement collectif au système de sécurité sociale sera menacé.
Le pendant de l’universalité est la progressivité de la contribution. Il est donc indispensable d’introduire plus de progressivité dans le financement de la sécurité sociale, qu’il est en outre nécessaire d’amplifier de manière générale. Nous sommes volontaires pour travailler à ce chantier : consolider et étendre l’universalité des allocations tout en renforçant la progressivité de leur financement, qui est trop strictement proportionnel.
Mme la rapporteure. Avant de répondre plus personnellement à vos remarques, permettez-moi de commencer par des propos généraux, afin de vous expliquer mes motivations. Vous avez tour à tour qualifié cette proposition de loi de trop modeste ou de trop ambitieuse. Elle est ambitieuse en effet, puisqu’elle implique de changer notre vision de la politique familiale. La politique actuelle, nataliste, est orientée vers le soutien au troisième enfant. Ce texte vise à changer complètement de paradigme en la réorientant vers le soutien au premier et au deuxième enfant. Bien évidemment, il ne s’agit pas de cesser de soutenir les familles nombreuses. Elles le sont déjà, par le biais d’autres prestations comme le complément familial ou le mode de calcul du quotient familial, qui octroie une part entière au troisième enfant.
Parce que je suis convaincue que l’enjeu décisif pour favoriser la natalité n’est plus le troisième enfant, comme c’était le cas après-guerre, il nous faut proposer le versement des allocations familiales dès le premier. Je n’ai pas la naïveté de penser que cela incitera les couples à avoir un enfant ; ce n’est évidemment pas parce qu’on reçoit 70 euros par mois qu’on prend cette décision.
Mais la portée symbolique de cette mesure est importante. La politique familiale vise à compenser l’arrivée d’un nouvel enfant à charge. Pourquoi le premier enfant n’est-il pas concerné ? Il est nécessaire de se poser cette question, dans une période où il est plus difficile de se projeter pour fonder une famille : le début de la vie active est plus tardif, ce qui entraîne des grossesses plus tardives également. L’âge moyen auquel les Françaises ont un premier enfant est de 31 ans, ce qui décale l’âge du deuxième enfant et compromet l’idée même d’un troisième. Les difficultés à trouver un logement rendent compliquée l’installation en couple, sans parler ensuite des difficultés à trouver un mode de garde.
Le versement d’une allocation pour le premier enfant me semble faire l’objet d’un consensus. Il a été documenté dans plusieurs rapports, notamment celui de Nathalie Elimas en 2020. Plusieurs propositions de loi ont porté sur ce sujet, se heurtant à des obstacles budgétaires puisqu’elles concernaient l’ensemble des familles – le stock.
Afin de ne faire aucun perdant, nous proposons deux mesures : les familles percevant déjà des allocations familiales conservent leurs droits, qui évolueront si leur situation change – si elles accueillent un nouvel enfant, par exemple ; la réforme ne s’applique qu’au premier enfant des nouvelles familles. C’est un moyen responsable permettant de verser des allocations familiales dès le premier enfant tout en évitant un blocage budgétaire, puisque verser 70 euros à 3,6 millions de familles représenterait 3 milliards.
Certains d’entre vous ont évoqué l’absence d’étude d’impact. Objectivement, j’aurais des difficultés à vous présenter précisément la montée en puissance de cette réforme et les conséquences de l’extinction progressive du mécanisme précédent, parce que nous n’avons pas toutes les données issues des administrations centrales.
L’an dernier nous avons dénombré 663 000 naissances, dont 42 % étaient des premiers enfants. Si la réforme s’était appliquée, le versement aurait concerné 280 000 enfants, soit un budget de 240 millions d’euros. Le calcul est plus complexe pour le stock des familles, qui peuvent être concernées par la fin de la prise en compte des enfants lorsqu’ils dépassent l’âge de 20 ans. Toutefois, nous estimons qu’à terme, la montée en charge de cette réforme serait globalement équilibrée par la sortie des enfants du système, n’ayant pas d’impact négatif sur le budget global des allocations familiales, qui s’élève à 14 milliards.
Madame Ranc, vous avez évoqué le risque de perte des allocations familiales concernant le deuxième enfant, mais les familles déjà bénéficiaires ne subiront pas de pertes. Je ne conteste pas le delta de quelques euros, concernant à terme le deuxième enfant, mais cette proposition de loi prévoit un seuil minimal. En outre, on peut tout à fait calculer la forfaitisation de façon à ne pas modifier le montant perçu pour le deuxième enfant.
Cette proposition de loi fera de nombreuses familles gagnantes : non seulement celles qui accueilleront leur premier enfant, mais aussi celles qui n’ont plus qu’un seul enfant à charge, les unes comme les autres étant négligées par le système actuel des allocations familiales. La montée en charge se fera sur une période assez longue, pendant laquelle les deux systèmes cohabiteront. Enfin, ces prestations concerneront les Français et les étrangers en situation régulière, ce texte n’ayant aucunement vocation à modifier ce critère fondamental.
Madame Missoffe, le chiffre de 70 euros constitue un minimum et le montant de l’allocation sera précisé par décret. Je crois avoir suffisamment expliqué les limites du chiffrage de cette réforme, mais soyez rassurée, cette proposition de loi a été élaborée de façon responsable.
Monsieur Boyard, j’ai bien noté votre accord de principe sur le versement d’une allocation dès le premier enfant. J’entends également vos inquiétudes, mais la remise à plat du système d’allocations familiales que nous proposons ne fera pas de perdants. Il y aura certes un avant et un après, mais le stock de familles ne sera pas perdant puisque le système actuel sera maintenu. Les nouvelles règles du jeu pourront être ajustées et il n’est pas question de cesser d’aider les familles ayant trois enfants ou plus ; d’autres outils redistributifs le permettront.
Nous avons employé les termes de réarmement démographique dans l’exposé des motifs pour citer l’ouvrage du sociologue Julien Damon Les Batailles de la natalité. Quel « réarmement démographique » ? Nous ne sommes pas dans une démarche d’injonction, mais de soutien aux familles. Cette proposition de loi a une portée bien modeste et n’ambitionne pas d’inciter les couples à avoir davantage d’enfants.
Monsieur Simion, j’entends votre opposition à la forfaitisation, qui est cohérente avec la réforme de 2015 menée sous le quinquennat de François Hollande. Nous promouvons un rééquilibrage vers une solidarité plus horizontale, qui a été perdue de vue.
Vous dites que l’universalité ne serait pas remise en cause par la modulation des allocations familiales en fonction des ressources. Universalité ne vaut pas uniformité, mais l’universalité a fortement été remise en question par la réforme de 2015, d’autant que celle‑ci a été accompagnée d’une baisse significative du plafond du quotient familial. En toute honnêteté, je ne pense pas que cette réforme a provoqué une baisse de la natalité, mais elle a envoyé aux familles un message négatif.
Madame Gruet, je partage avec vous la frustration de ne pouvoir davantage approfondir cette discussion. Le 27 mars prochain aura lieu en séance publique un débat sur les enjeux de la politique familiale, mis à l’ordre du jour par le groupe Les Démocrates, au cours duquel nous pourrons aborder différents sujets comme la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.
Monsieur Ruffin, je partage votre inquiétude quant à l’ampleur de l’écart entre le désir d’enfant et sa concrétisation. Cet écart doit sous-tendre la réflexion sur notre politique familiale. Il n’est pas simple d’identifier les mesures qui soutiendront efficacement les familles, tant le désir d’enfant relève de l’intime, mais aussi des changements plus vastes affectant la société.
La question de la conciliation entre la vie familiale et la vie privée est cruciale, tout comme l’assurance d’avoir accès à un mode de garde. Une réflexion doit également être menée sur le congé de naissance et le congé parental, qui devrait donner plus clairement aux femmes le choix de travailler ou non. Celles qui s’arrêtent de travailler sont issues de milieux modestes, parce que la différence entre les frais de garde et le montant de leur salaire est ténue. À l’inverse, les femmes ayant un salaire plus confortable ne s’arrêtent pas de travailler parce que la perte de leur rémunération est trop grande. Je suis favorable à un congé parental qui représenterait un pourcentage des revenus de chaque famille.
Cela vous heurte peut-être que j’envisage d’appliquer la présente réforme à budget constant, mais n’oublions pas que la France consacre une part importante de son produit intérieur brut (PIB) à la politique familiale, dont le budget s’élève à 60 milliards d’euros.
Madame Goulet, je vous rejoins sur la nécessité de simplifier la politique familiale et de la rendre plus lisible. Vous avez également évoqué le soutien renforcé aux familles monoparentales, qui représentent le quart de l’ensemble des familles et la moitié des familles avec un seul enfant.
Madame Colin-Oesterlé, je prends note de votre accord pour travailler sur le versement de l’allocation dès le premier enfant. Vous avez évoqué des pertes pour les familles. Pour le stock actuel, il n’y a pas de pertes. Il y aura des gagnants pour le premier enfant et il n’y aura pas de pertes pour le deuxième enfant. Pour le troisième enfant, nous pouvons travailler sur d’autres prestations redistributives, comme le complément familial.
Monsieur Monnet, si les allocations familiales vous semblent davantage fléchées vers un enfant plutôt que vers les familles, c’est que l’évolution des familles nous demande de réfléchir en ces termes. Même en l’absence d’étude d’impact, je peux vous dire que la proposition de loi n’entraîne pas de perte pour les familles de deux enfants de la tranche une.
Monsieur Fayssat, j’ai noté vos remarques, mais j’y ai déjà répondu.
Monsieur Di Filippo, cette proposition de loi est très modeste. Nous ne parlons pas réarmement démographique, car ce n’est pas son objet, mais nous devons bien sûr parler de natalité. En effet, notre système social dépend des actifs et repose sur la solidarité, entre les générations, entre les familles qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas, et entre les familles aisées et les familles plus modestes. Je rappelle qu’un débat en séance publique sur le thème de la démographie et de la politique familiale aura lieu le 27 mars prochain.
Monsieur Guedj, je note votre point de divergence avec vos collègues.
La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er : Créer une allocation familiale forfaitaire unique versée dès le premier enfant
Amendement AS14 de M. Arnaud Simion
M. Arnaud Simion (SOC). Cet amendement d’appel vise à ne pas fixer à 70 euros le montant des allocations familiales par enfant quel que soit le niveau de revenus et ainsi à protéger les familles les plus modestes tout en conservant l’ouverture du droit aux allocations familiales dès le premier enfant. Une telle forfaitisation du calcul des allocations familiales risque en effet de réduire le montant versé aux plus modestes.
Par exemple, une famille composée de trois enfants de 14, 11 et 8 ans, dont chacun des parents a des revenus équivalents à un demi‑Smic, bénéficie en moyenne par mois de 324 euros d’allocations familiales, et de 71 euros de majoration pour âge, soit un total de 395 euros par mois. Si les enfants de cette famille naissaient après la promulgation de votre loi, elle ne bénéficierait que de 70 euros par enfant, soit 210 euros, donc la moitié de ce qu’elle percevrait aujourd’hui.
L’article 40 de la Constitution nous a empêchés de modifier le code de la sécurité sociale. Cet amendement n’a donc pas de portée juridique contraignante.
Mme la rapporteure. Mon avis sera défavorable, car cet amendement remet en cause la forfaitisation, qui est un des socles de la proposition de loi, et ne mentionne le versement d’allocations dès le premier enfant que comme un objectif futur. Il me semble pourtant que le versement d’allocations dès le premier enfant fait consensus au sein de notre commission. Pour y parvenir, nous devons remettre à plat notre politique d’allocations familiales pour les autres rangs.
La majoration pour les enfants de 14 ans n’est pas objectivée. Un économiste que nous avons auditionné et un rapport de la Drees le confirment. On peut en effet estimer qu’un enfant de moins de 3 ans coûte plus cher à une famille qu’un enfant de plus de 14 ans.
M. François Ruffin (EcoS). Je vous invite à soutenir cet amendement, car il est l’occasion de manifester le consensus de notre commission sur le versement des allocations dès le premier enfant, ce qui représenterait une vraie avancée. Mettons-nous d’accord sur le principe avant de fournir la recette de son application comme vous le faites avec la forfaitisation.
Il faut remettre notre politique familiale à plat et ce n’est pas en une heure que nous réglerons cette affaire. Évitons de mêler une discussion de principe avec une discussion budgétaire dans laquelle nous pourrons notamment aborder la question de la baisse des versements en prestations monétaires au cours des quarante dernières années, qui ont été divisés par deux en part du PIB. Avançons plutôt ensemble sur le point qui fait l’objet d’un accord puisque vous êtes une femme de consensus.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je vois l’inquiétude des néolibéraux concernant la démographie. Je rappelle que, depuis 1974, l’indice conjoncturel de fécondité n’a jamais été supérieur à 2, avec une petite exception en 2010. De nombreux facteurs l’expliquent : logement, accueil de la petite enfance, organisation du temps de travail. Vous refusez pourtant les investissements publics nécessaires. C’est contradictoire.
Le problème de la baisse de la fécondité ne se réglera pas tout seul. Depuis le Néolithique, il connaît une baisse structurelle et l’ONU prévoit que la population mondiale atteindra un pic en 2080, avec 10,4 milliards d’habitants, avant de redescendre. Ce problème menace non seulement la protection sociale mais aussi la croissance économique et l’ensemble du système que vous défendez.
L’universalité est un principe indispensable. On ne peut pas imaginer par exemple que le remboursement des médicaments se fasse sur des critères de revenus, mais la forfaitisation que vous proposez pose problème, car elle fera des perdants.
Nous soutenons cet amendement, car nous sommes d’accord avec la réécriture de l’article qu’il propose, mais nous ne sommes pas d’accord avec l’appel lancé dans l’exposé sommaire.
M. Jérôme Guedj (SOC). Soyons lucides : cette proposition de loi a peu de chances d’être examiné dans l’hémicycle. Je rejoins François Ruffin et j’appelle également à ce que nous votions de la manière la plus large possible, pourquoi pas à l’unanimité, le principe du versement d’allocations familiales dès le premier enfant. L’adoption de cet amendement équivaudrait à donner un mandat à notre commission pour mener par exemple une mission d’information de façon transpartisane. Je réfléchis également à ce que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale s’empare de ce sujet.
Je rappelle que, outre-mer, les allocations familiales sont ouvertes dès le premier enfant. Les montants sont certes dérisoires, aux alentours de 25 euros, mais nous pourrions partir de ce qui existe outre-mer pour l’étendre à l’Hexagone.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie Mme la rapporteure de nous donner l’occasion d’un débat sur la politique familiale. La particularité de notre pacte social est qu’il est fondé sur la répartition et donc sur la démographie. Certes, les femmes ne sont pas faites seulement pour porter des enfants, mais si la démographie ne se rétablit pas, l’ensemble de notre système social sera mis à mal. Nous devons jouer sur plusieurs leviers, notamment celui de la politique de la garde d’enfants, pour faire en sorte que les couples ayant un désir d’enfant puissent le réaliser.
M. Fabien Di Filippo (DR). Il est évident que la politique familiale doit être universelle.
La baisse de l’indice de fécondité s’explique par plusieurs facteurs sociétaux. On peut par exemple penser à l’environnement individualiste dans lequel a grandi la dernière génération, mais l’organisation du temps de travail ne me semble pas entrer en ligne de compte : la natalité n’est pas repartie à la hausse après l’instauration des 35 heures. Quant aux investissements publics, beaucoup d’entre nous ont pu mesurer, dans l’exercice de leur mandat d’élu local, l’ampleur des investissements dans les crèches. Jamais autant d’investissements n’ont été réalisés alors que nous sommes passés de 850 000 naissances à 670 000 aujourd’hui. Je vous invite donc à remettre les pieds sur terre.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le versement des allocations dès le premier enfant fait consensus. Mais il ne faut pas pénaliser les familles nombreuses. La proposition de Jérôme Guedj de mener un travail transpartisan sur la politique familiale dans son ensemble est la bienvenue.
M. François Ruffin (EcoS). Je demande une suspension de séance pour que nous puissions discuter et arriver à une position commune.
La réunion est suspendue de douze heures quinze à douze heures trente.
M. le président Frédéric Valletoux. Quand l’esprit de concorde pointe le bout de son nez, nous devons en profiter ! Durant l’interruption, deux sous-amendements à l’amendement AS14 ont ainsi été déposés.
Sous-amendements AS31 de Mme Anne Bergantz et AS30 de Mme Justine Gruet
Mme la rapporteure. Avant de présenter mon sous-amendement, je voudrais souligner que la proposition de loi ne fera pas que des perdants, comme nous avons pu l’entendre. Certaines familles modestes toucheraient ainsi des allocations dès le premier enfant.
Cela étant, j’ai entendu votre appel pour que nous avancions vers le versement des allocations dès le premier enfant. J’ai donc déposé un sous-amendement visant à ajouter la phrase suivante : « La Nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales. » S’il était adopté, je serai favorable à l’amendement AS14.
Mme Justine Gruet (DR). Le sous-amendement AS30 propose de rétablir l’universalité des allocations familiales. Il respecte l’esprit de votre proposition de loi, madame la rapporteure.
Mme la rapporteure. Je suis défavorable au sous-amendement AS30, car il repousse l’universalisation des allocations familiales à l’horizon 2027.
M. François Ruffin (EcoS). Je vous remercie d’avoir fait preuve d’ouverture. Par courtoisie, je voterai en faveur du sous-amendement de Mme la rapporteure.
J’insiste sur la nécessité de l’universalité des allocations familiales, qui doivent être versées à la famille de Bernard Arnault comme à celle d’un ouvrier. Elles doivent pouvoir bénéficier à tous les enfants du pays. C’est la fiscalité qui rétablit la justice sociale.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je remercie à mon tour Mme la rapporteure pour ce débat. Nous soutiendrons votre sous-amendement. Nous ferons un pas énorme ce matin en matière de politique familiale. Au-delà, nous souhaitons qu’un groupe de travail soit mis en place au sein de notre commission pour parvenir à un texte consensuel et à une grande avancée sociale.
M. Arnaud Simion (SOC). Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je vous remercie très sincèrement pour votre ouverture d’esprit.
M. Jérôme Guedj (SOC). Merci pour cette démarche. J’attends avec impatience d’engager ce travail.
L’universalité peut être appréhendée de deux manières : celle de l’équité et celle de l’égalité. Aujourd’hui, les prestations familiales représentent environ 35 milliards d’euros, dont la moitié répond au principe d’égalité, puisque tous les bénéficiaires touchent le même montant, alors que l’autre moitié est versée sous conditions de ressources. Le versement sous conditions de ressources n’est pas contraire au principe d’universalité, mais il faut prendre garde à ce que cette logique de l’équité ne préside pas aux prestations de sécurité sociale, car elle conduirait à ne pas rembourser de la même manière une consultation médicale pour M. Arnault et pour un smicard.
Comme souvent, je suis d’accord avec François Ruffin : la contrepartie de l’universalité, c’est la progressivité du financement. Le cœur du problème tient dans le fait que le financement de la sécurité sociale n’obéit pas suffisamment à la logique de progressivité. Ainsi, le taux de contribution sociale généralisée est le même pour M. Arnault et pour un smicard. La progressivité du financement de la sécurité sociale doit donc être remise sur la table. Nous voyons bien que, quand on tire le fil, c’est tout le financement socio-fiscal qui doit être questionné.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Le montant des prestations doit dépendre non seulement des revenus, mais également du niveau des prix constatés dans un territoire. L’universalité inclut, je l’espère, ce que l’on appelle les outre-mer. Dès lors, comment expliquer que les prestations y soient minorées alors que les prix y sont supérieurs de 40 % à ceux de l’Hexagone ? Prenons garde à ne pas instaurer une universalité à géographie variable.
Mme Justine Gruet (DR). J’entends parler de fiscalité et de progressivité. Il me semble que, quand on bénéficie d’un système, il faut également y contribuer et que, par conséquent, tout le monde devrait payer une forme d’impôt.
Notre système de sécurité sociale date de 1945. Il est sans doute temps de le repenser pour prendre en compte les évolutions de notre société.
M. Christophe Bentz (RN). Nous nous apprêtions à voter contre l’amendement, mais les sous-amendements permettent d’affirmer le principe de l’universalité des allocations familiales – je vois que les socialistes, qui l’avaient supprimé sous Hollande, y reviennent. Nous voterons donc pour l’amendement si l’un des sous-amendements est adopté.
Nous regrettons toutefois que son adoption entraîne la chute des autres amendements à l’article, y compris les nôtres qui défendent la priorité nationale. Ce texte restera donc incomplet.
Mme la rapporteure. L’amendement est une déclaration d’intention. Nous devons donc rester vigilants et ambitieux sur le suivi du texte.
La commission adopte le sous-amendement AS31. En conséquence, le sous‑amendement AS30 tombe.
La commission adopte ensuite l’amendement AS14 ainsi sous-amendé.
En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et l’amendement AS22 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques AS 28 de Mme Anne Bergantz et AS18 de Mme Angélique Ranc ainsi que les amendements AS17 et AS15 de Mme Angélique Ranc tombent.
Après l’article 1er
Amendement AS10 de Mme Angélique Ranc
Mme Angélique Ranc (RN). L’amendement vise à lutter contre la fraude aux allocations familiales, évaluées à 400 millions d’euros en 2023. La simplification imposée par la proposition de loi n’empêcherait pas les fraudeurs qui bénéficient de multiples conditions d’attribution de contourner la loi et de passer à l’acte. Nous proposons donc de sanctionner les comportements frauduleux et de dissuader les fraudeurs.
Mme la rapporteure. Je rappelle d’une part que le Gouvernement a lancé un nouveau plan de lutte contre la fraude, dont les premiers résultats sont probants, et d’autre part que la commission des pénalités des caisses d’allocations familiales dispose déjà de pouvoir de sanction en cas de fraude.
Une nouvelle sanction ne me paraît donc pas prioritaire. Elle risquerait en outre d’empiéter sur le travail des acteurs sur le terrain.
Avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je voudrais d’abord féliciter l’extrême droite, qui a changé quatre fois d’avis en vingt minutes, d’avoir voté pour l’universalité des aides et donc contre la préférence nationale.
Nous voterons contre l’amendement : les 400 millions d’euros de préjudice mentionné dans l’exposé des motifs ne concernent pas les allocations familiales mais le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés, les aides au logement et à la garde d’enfants ou l’allocation de rentrée scolaire. Je vous invite à lire le rapport que vous citez.
En outre, le code de la sécurité sociale prévoit une pénalité de 15 700 euros en plus des remboursements pour des versements indus ou frauduleux. Les demandes de réparation et de remboursement des prestations peuvent être faites dans un délai maximal de cinq ans.
J’en profite pour rappeler que la fraude fiscale s’élève à 15 milliards d’euros. Nous accueillerions avec un enthousiasme un grand plan visant à récupérer ces sommes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS9 de Mme Angélique Ranc
Mme la rapporteure. L’intention est bonne – en règle générale, l’évaluation des politiques et des lois est très importante – mais il me semble compliqué de prévoir un rapport tous les ans.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS24 de M. Thibault Bazin
Mme Josiane Corneloup (DR). L’amendement demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de fusionner l’ensemble des prestations familiales en une prestation unique afin de limiter les démarches administratives des familles, qui sont coûteuses en temps et en énergie. Cette fusion serait également un moyen pour lutter contre le non-recours.
Mme la rapporteure. Le groupe Les Démocrates avait déposé des amendements au PLFSS relatifs à l’allocation sociale unique.
Avis favorable
M. le président Frédéric Valletoux. J’ajoute que notre commission a voté la création d’une mission d’information sur le sujet conduite par Mme Colin-Oesterlé et Mme Sandrine Runel.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voterons contre cet amendement.
Une proposition de loi du groupe Droite Républicaine allant en ce sens avait pour conséquence de diminuer le montant des prestations versées. J’ai ainsi le souvenir que les familles de plus de trois enfants perdaient de l’argent en cas de fusions du RSA et de l’aide au logement.
Vous avez voté contre la déconjugalisation – je vous renvoie à notre débat sur l’allocation de soutien familial et maintenant vous nous dites qu’il faut faciliter les recours alors que l’enjeu est d’élargir l’assiette de ceux qui pourraient recourir afin que personne ne soit contraint de rester en couple pour maintenir ses revenus.
Enfin, la prestation unique, avec un seul versement, expose les ménages à un risque beaucoup plus grand en cas de problème administratif ou technique.
M. François Ruffin (EcoS). Alors que nous nous sommes réunis sur le principe de l’ouverture de droits dès le premier enfant, il me semble inutile de polluer nos débats avec des sujets annexes qui nous divisent. En revanche, je serais favorable, madame la rapporteure, à un amendement visant à prévoir un rapport sur la mise en œuvre de l’ouverture des droits.
Mme Josiane Corneloup (DR). Vous dites, monsieur Clouet, que l’allocation unique ferait des perdants. En fait, cet amendement vise surtout à encourager le travail car les allocations ne sont pas un revenu du travail. Or celui qui travaille doit toujours bénéficier d’un revenu supérieur à celui qui perçoit des aides.
Je m’étonne par ailleurs que vous n’ayez pas évoqué le non-recours aux droits. De nombreuses familles ignorent en effet les droits auxquels elles peuvent prétendre. L’allocation unique permettrait de résoudre ce problème.
Mme Justine Gruet (DR). Nous avons à cœur que celui qui travaille gagne plus que celui qui ne travaille pas. Il est toujours gênant pour moi de parler de revenu lorsqu’il est question d’allocation : le revenu est le fruit du travail.
La commission rejette l’amendement.
Article 1er bis (nouveau) : Rapport détaillant les pistes de réforme des allocations familiales
Amendement AS3 de M. Louis Boyard
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Madame la rapporteure, je salue votre esprit de concorde et de consensus. J’espère donc que vous donnerez également un avis favorable sur notre demande de rapport, qui est davantage en lien avec le sujet abordé aujourd’hui.
Nous sommes favorables à l’universalité des allocations familiales mais le montant versé par enfant doit être suffisamment élevé pour éviter de faire des perdants. S’il est juste que les parents bénéficient des allocations familiales dès la naissance du premier enfant, il est injuste que ces allocations diminuent à la naissance du troisième enfant. Le rapport que nous demandons étudierait la proposition consensuelle que nous portons.
Mme la rapporteure. Durant toute la matinée, j’ai cherché à vous convaincre qu’il ne fallait pas raisonner en termes de perdants ou de gagnants. En 2015, l’abaissement du quotient familial a incontestablement fait des perdants parmi des familles, pas forcément aisées, qui payaient juste des impôts.
Avis défavorable.
La commission adopte l’amendement.
Après l’article 1er
Amendement AS26 de Mme Justine Gruet
Mme Justine Gruet (DR). Depuis une quinzaine d’années, la politique familiale française ne permet plus de relever les défis du XXIe siècle.
Ce constat inquiétant fait l’objet de plusieurs rapports et les dispositions adoptées ne semblent pas en adéquation avec les réels besoins de la société. En cause, notamment, les mesures prises sous la présidence de François Hollande, tels la fin de l’universalité des allocations familiales ou l’abaissement du plafond du quotient familial. Il s’en est suivi une diminution continue du taux de natalité.
Bien que la politique familiale ne repose pas exclusivement sur les allocations familiales allouées, les familles prennent en considération cet élément. Or les dépenses publiques liées à la politique familiale continuent d’augmenter malgré une chute réelle de la natalité. Dans le contexte budgétaire actuel, la politique familiale française doit donc faire l’objet d’une évaluation.
Aussi, je demande un rapport sur l’opportunité d’un rétablissement de l’universalité des allocations familiales du conditionnement de leur versement à un revenu minimum à partir du troisième enfant. Il s’agit pour moi d’accompagner toutes les familles accueillant un enfant mais aussi de faire en sorte que la société ne supporte pas intégralement la prise en charge financière. C’est pourquoi je souhaite que soient accompagnés celles et ceux qui travaillent et qui ont les revenus minimaux nécessaires à l’éducation des enfants dans toutes les étapes de la vie.
Par ailleurs, cette mesure permettrait de dégager une marge de manœuvre pour mener une réflexion relative à un vrai financement du congé maternité et du congé parental. La famille est le creuset de la construction d’un enfant : elle doit donc être bien accompagnée.
Mme la rapporteure. Nous disposons déjà de données en la matière qui figurent d’ailleurs, pour certaines, dans le prérapport que nous vous avons transmis.
Avis défavorable bien que je partage votre intérêt pour évaluer les avantages des deux systèmes.
Mme Justine Gruet (DR). Nous ne disposons pas de données relatives au conditionnement du versement des allocations familiales à un revenu minimum à partir du troisième enfant.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous êtes dans le déni en ce qui concerne la natalité. Vous souhaitez la relancer, ce qui se respecte, sans pour autant faire de propositions structurelles qui permettraient d’inverser la tendance mondiale – la France affiche d’ailleurs un taux de natalité qui est un des plus élevés de l’Union européenne. L’ONU prévoit en effet qu’en 2080 la population mondiale atteindra un pic à 10,4 milliards d’habitants avant de diminuer à 10,2 milliards. Vous n’étudiez même pas l’hypothèse qu’il soit impossible d’inverser la courbe.
Or, si tel était le cas, c’est tout le système économique qui serait menacé et pas seulement le système de protection sociale. La croissance économique est-elle possible en cas de récession démographique ?
Enfin, conditionner le versement des allocations familiales à un revenu minimum à partir du troisième enfant est injuste. Les familles qui ont trois enfants sont parmi les plus riches ou les plus pauvres. Pour ces dernières, la perte d’une centaine d’euros de revenu serait cataclysmique, et ce sont les enfants qui seraient pénalisés. Or peut-on punir les enfants pour les choix faits par leurs parents ?
Alors que la France manque d’emplois stables et que tant d’autres facteurs interviennent, les parents ne peuvent être tenus pour responsables. Au bout du compte, c’est le capital qui est responsable, mais c’est un autre débat. En tout cas, nous nous opposerons à cet amendement.
Mme la rapporteure. J’avais lu rapidement l’exposé sommaire de votre amendement. Sagesse.
La commission rejette l’amendement.
Article 2 : Gage financier
La commission adopte l’article non modifié.
Mme la rapporteure. Je vous remercie pour ces débats passionnants. Je savais qu’un consensus se dégagerait sur le versement des allocations familiales dès la naissance du premier enfant. Je me réjouis que nous ayons avancé sur cette question. Le travail ne fait que commencer.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
Enfin, la commission examine, en application de l’article 145‑7, alinéa 1, du Règlement, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2021‑1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail (Mme Nathalie Colin‑Oesterlé et M. Sébastien Delogu, rapporteurs).
Mme Nathalie Colin-Oesterlé, rapporteure. Nous examinons les conclusions de la mission de suivi de l’application de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. Il est important de souligner qu’il s’agit d’un suivi d’application et non d’une évaluation. Le contexte de cette mission lancée et menée par Charlotte Parmentier-Lecocq et Sébastien Delogu sous la précédente législature est particulier. En effet, ses travaux ont été interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024. Au début de la présente législature, la commission des affaires sociales a décidé de les reprendre en renommant les rapporteurs initialement désignés, mais la nomination au Gouvernement de notre collègue Charlotte Parmentier-Lecocq a conduit à la désignation d’une nouvelle rapporteure pour lui succéder.
Je tiens à saluer le travail et l’engagement de Charlotte Parmentier-Lecocq, non seulement en tant que rapporteure de cette mission, mais également comme rapporteure du texte adopté définitivement le 23 juillet 2021 par l’Assemblée nationale. Ce texte visait à transposer l’accord national interprofessionnel conclu par les partenaires sociaux fin 2020. Issu d’une initiative parlementaire portée par les groupes de la majorité présidentielle, il a été longuement travaillé et soumis à l’avis du Conseil d’État pour en garantir la solidité juridique. Enrichi lors des débats, il a recueilli l’adhésion d’une large majorité de députés et de sénateurs.
De l’avis des professionnels du secteur et des observateurs, de nombreuses dispositions de cette loi marquaient de véritables avancées dans plusieurs domaines, notamment : l’amélioration des conditions d’élaboration, d’accessibilité et de conservation du document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) ; la rénovation du cadre des prestations fournies par les services de prévention et de santé au travail (SPST) ; l’extension des possibilités de consultation du dossier médical partagé (DMP) et du dossier médical en santé au travail (DMST) ; l’élargissement de la palette d’outils au service de la prévention de la désinsertion professionnelle ; la redéfinition des obligations de formation des infirmiers de santé au travail.
La plupart des dispositions de la loi sont entrées en vigueur le 31 mars 2022.
Le premier constat positif que nous pouvons dresser est que, près de trois ans plus tard, le Gouvernement a pris la quasi-totalité des mesures nécessaires à leur application. Vingt et un décrets ont déjà été publiés au Journal officiel et quatre doivent encore l’être, selon les informations du ministère du travail. Le détail de ces mesures figure dans le tableau de la première partie du rapport qui vous a été transmis.
Au-delà du travail de suivi, les rapporteurs ont souhaité formuler de premières observations sur la mise en œuvre de certaines dispositions principales du texte, notamment l’amélioration de l’accessibilité du Duerp, l’articulation entre le DMST et le DMP, la montée en gamme de l’offre de services des SPST, l’enrichissement des outils de prévention de la désinsertion professionnelle et le renforcement du rôle des infirmiers de santé au travail.
Il est important de préciser que ces observations ne constituent pas une évaluation à proprement parler. Elle serait en effet prématurée à ce stade, compte tenu du recul insuffisant dont nous disposons et de l’absence de données portant sur l’activité des SPST postérieure à 2022.
Concernant le Duerp, l’un des objectifs de la loi était d’en favoriser l’accès aux anciens travailleurs d’une entreprise, en obligeant celle-ci à conserver ses versions successives pendant au moins quarante ans. Les décrets d’application ont été pris conformément à l’intention du législateur. Cependant, la question des modalités de mise à disposition du Duerp aux anciens salariés se pose toujours. Selon la loi, les versions successives du Duerp doivent en effet être déposées sur un portail numérique, dont le cahier des charges devait être élaboré par les organisations professionnelles d’employeurs. Un rapport remis au Gouvernement par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) en mai 2023 a mis en lumière plusieurs difficultés dans la mise en place de ce portail numérique, notamment un coût prohibitif, des risques de communication non maîtrisée et des contraintes opérationnelles importantes. De plus, le coût de ce portail est estimé à 7,5 millions d’euros d’investissement initial et à 4,4 millions d’euros annuels de fonctionnement, ce qui est particulièrement prohibitif au regard du faible bénéfice attendu. Il est donc recommandé d’abandonner cette idée au profit d’une mise à disposition du Duerp aux anciens salariés, soit par l’entreprise elle-même, soit par le SPST inter-entreprises. La direction générale du travail a mené des consultations avec les partenaires sociaux pour définir une solution alternative de conservation et de mise à disposition du Duerp, mais le Gouvernement n’a pas encore rendu ses arbitrages sur la solution retenue.
Concernant le décloisonnement de la médecine du travail et de la médecine de ville, les mesures d’application relatives au contenu et aux modalités de renseignement du DMST ont été prises. Cependant, celles concernant l’accès des médecins du travail au dossier médical partagé et la création d’un volet relatif à la santé au travail dans ce dernier n’ont pas encore été mises en œuvre. Le Gouvernement justifie ce retard par la nécessité d’assurer l’interopérabilité entre le DMST et le DMP, ce qui nécessite la mise en place de référentiels numériques par l’Agence du numérique en santé. La direction générale du travail a lancé un chantier à l’été 2024 avec l’aide d’une assistance à maîtrise d’ouvrage pour avancer sur ce chantier. L’accès des médecins du travail au DMP des travailleurs est également en attente d’un décret en Conseil d’État qui précisera les modalités et les conditions de cet accès, ainsi que les règles permettant recueil du consentement des travailleurs. La direction générale du travail a indiqué que cette mesure d’application nécessiterait également un projet de décret relatif au DMP, sans pouvoir d’information précise concernant son calendrier de publication. Aussi et malgré l’entrée en vigueur des mesures législatives, l’accès du médecin du travail au DMP et la création du volet relatif à la santé au travail en son sein ne sont toujours pas opérationnels à la date de publication du rapport d’application. Sans mésestimer les difficultés techniques et juridiques que représente la mise en œuvre de la réforme du DMP et du DMST, notre rapport pointe la nécessité d’accélérer les travaux préalables à la publication des mesures réglementaires d’application pour que les dispositions votées puissent produire leurs effets dès que possible. Ces mesures sont essentielles pour atteindre l’objectif de décloisonnement entre la médecine de ville et la médecine du travail, objectif au cœur de la réforme adoptée il y a près de trois ans et demi et partagé par l’ensemble des acteurs de la santé au travail.
Concernant la montée en gamme des prestations proposées par les SPST, la loi impose désormais aux services inter-entreprises de fournir un ensemble socle de services couvrant la prévention des risques professionnels, le suivi individuel des travailleurs et la prévention de la désinsertion professionnelle. Cette offre socle sur laquelle les professionnels de la santé au travail portent un regard globalement positif se déploie progressivement sur le terrain, mais il faudra attendre la fin du processus de certification des structures, fixée au 1er mai 2025, pour en dresser un bilan étayé. Néanmoins, il est déjà constaté que les services ont fait évoluer leur organisation et leur fonctionnement interne pour répondre aux nouvelles exigences et fournir aux entreprises les prestations auxquelles elles ont droit.
M. Sébastien Delogu, rapporteur. La prévention de la désinsertion professionnelle constituait aussi une priorité majeure de la loi. L’une des principales mesures mises en place est l’installation obligatoire d’une cellule de prévention de la désinsertion professionnelle dans les services inter-entreprises. En 2022, 75 % des services avaient déjà installé une telle cellule, permettant le suivi de 95 200 salariés. Il est probable qu’aujourd’hui, la quasi‑totalité des services en soit équipée.
D’autres mesures ont été introduites dans cette perspective, notamment la visite de mi‑carrière, qui vise à évaluer l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à évaluer les risques de désinsertion professionnelle et à sensibiliser le travailleur sur les enjeux du vieillissement au travail et la prévention des risques professionnels, le rendez‑vous de liaison, qui peut être organisé entre l’employeur et le salarié arrêté depuis au moins trente jours pour faciliter le retour au travail, les examens de reprise et de pré‑reprise, qui ont été légalement encadrés et aménagés – l’examen de pré‑reprise pouvant désormais être tenu pour un travailleur arrêté depuis plus de trente jours, contre trois mois auparavant – ainsi que l’essai encadré et la convention de rééducation professionnelle en entreprise, destinés à encourager le retour à l’emploi du salarié. En 2022, le recours à ces outils était encore limité, mais il est probable qu’il ait augmenté depuis. Le prochain rapport de la direction générale du travail sur l’activité des SPST permettra de le confirmer.
Concernant la transmission d’informations sur la situation des assurés exposés à un risque de désinsertion professionnelle entre les services de santé au travail et l’assurance maladie, les mesures réglementaires n’ont pas encore été prises. Aux dires du Gouvernement, leur conception nécessite un important travail préalable impliquant l’administration ministérielle du travail et de la santé ainsi que la Caisse nationale de l’assurance maladie, notamment pour analyser la fiabilité technique de la transmission des informations et élaborer une solution appropriée. Nous formons le vœu que ce travail aboutisse dans les meilleurs délais.
Enfin, la loi visait à créer les conditions d’une montée en compétences des infirmiers de santé au travail. Un décret du Conseil d’État publié au Journal officiel fin 2022 définit une formation spécifique obligatoire pour exercer dans un service, comprenant 240 heures d’enseignement théorique et 105 heures de stage pratique. Cette formation couvre six domaines de compétences, dont la connaissance du monde du travail, de l’entreprise, des risques professionnels et du suivi individuel de l’état de santé des salariés. S’il est satisfaisant de constater que l’ensemble des mesures réglementaires ont été prises, il est trop tôt pour tirer un quelconque bilan de leur application.
La délégation de tâches entre médecins et infirmiers a également été encouragée, mais en 2022, la part des examens de reprise et de pré-reprise effectués par les infirmiers restait faible. Ce phénomène s’explique sans doute par la récente modification des règles juridiques et les réserves des médecins du travail quant à cette délégation. Il sera donc important de suivre l’évolution de ces pratiques dans les années à venir.
Concernant l’autorisation des infirmiers en santé au travail à exercer en pratique avancée dans les SPST, cette possibilité reste théorique faute de mesures d’application. Les avis sur cette disposition législative de 2021 divergent. Les partenaires sociaux et les professionnels y sont globalement favorables, estimant que l’arrivée d’infirmiers en pratique avancée (IPA) pourrait permettre de nouvelles délégations de tâches. En revanche, le ministère de la santé considère que la création d’une mention spécifique d’exercice en pratique avancée dans le domaine la santé au travail aurait une utilité limitée, la présence d’IPA d’autres domaines pouvant suffire. Sans plus d’informations, il est difficile de trancher, mais cette question mérite des investigations approfondies à l’avenir.
En conclusion de nos travaux, je tiens à remercier les personnes qui nous ont aidés à élaborer ce rapport.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Les évolutions que comprend cette loi vont globalement dans le bon sens. Cependant, à la lecture du rapport, nous constatons que nous sommes encore dans l’attente. Attente d’une évaluation plus approfondie et concrète des effets de la loi du 2 août 2021 sur le renforcement de la prévention en santé au travail, comme le confirment la Direction générale du travail et l’Igas. Attente également de plusieurs décrets importants, alors que la loi entre dans sa quatrième année. Ces décrets concernent notamment le dépôt dématérialisé du Duerp, l’amélioration du partage d’informations entre les organismes d’assurance maladie et les SPST, le protocole de collaboration entre médecins et services de prévention, et la définition des zones en manque de médecins du travail.
L’urgence d’agir est soulignée par des chiffres alarmants : 34 % des salariés français subissent une triple contrainte physique au travail, contre 12 % en 1984. Cette proportion a également augmenté chez les femmes, passant de moins d’une sur dix à plus d’une sur quatre.
Ce rapport rappelle donc au Gouvernement l’urgence d’agir pour la prévention de la santé au travail, non seulement pour le bien-être des travailleurs français, mais aussi pour la productivité des entreprises. Beaucoup reste à faire et nous exigerons des actions concrètes du gouvernement dans les semaines et mois à venir.
M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Nous traversons une crise aiguë et durable de la santé et de la sécurité au travail, marquée par la dégradation des conditions de travail et l’affaiblissement des mécanismes de contrôle et de prévention. En 2023, 759 travailleurs ou travailleuses ont perdu la vie suite à un accident de travail, un triste record sur les vingt dernières années. La France est championne d’Europe des morts au travail, les dix départements d’outre-mer étant particulièrement touchés. Voilà un titre dont nous nous serions bien passé. Plus d’un travailleur sur cinq ne peut se tourner vers un agent de contrôle de l’inspection du travail, ce qui crée une impunité voulue, orchestrée, organisée. L’exposition à la pénibilité est fortement sous-estimée par les employeurs, ce qui exclut plus de deux millions de salariés du bénéfice du conseil en évolution professionnelle.
Concernant l’application de la loi, aucune mesure réglementaire n’a été prise pour la mise à disposition du Duerp sur un portail numérique, seule avancée significative de cette loi. Les organisations syndicales pointent le manque de volonté des employeurs sur ce projet.
La France insoumise propose depuis des années des mesures pour une protection effective de la santé et de la sécurité des salariés, notamment le rétablissement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec un droit de veto sur les décisions contraires à la santé et à la sécurité des salariés, ainsi que le renforcement de l’inspection du travail. Nos propositions sont nombreuses et la maltraitance des travailleurs ne cessera que lorsque cette assemblée suivra les préconisations de La France insoumise.
Mme Océane Godard (SOC). La loi adoptée en juillet 2021 a marqué une avancée importante dans le renforcement de la prévention en santé au travail. Cependant, des décrets cruciaux restent à publier pour que cette loi déploie pleinement ses effets.
Concernant les Duerp, l’avancée est notable pour la traçabilité des expositions professionnelles, mais le rapport souligne le risque que les entreprises modèrent la qualité de ces documents pour se protéger contre la diffusion d’informations sensibles, ce qui pourrait compromettre la transparence nécessaire. Je pourrais aussi parler du langage commun pour assurer l’interopérabilité des systèmes de santé qu’il faut accélérer. Je voudrais surtout souligner tout le travail mené par mes collègues Chantal Jourdan et Joël Aviragnet dans le cadre du groupe transpartisan sur la santé mentale au travail. C’est un sujet complexe qui touche à des réalités inconfortables et souvent taboues. Je vous recommande à cet égard la lecture de l’ouvrage de la Dijonnaise Noémie Guérin sur ce sujet.
La santé mentale au travail et l’organisation du travail sont des angles morts de la loi. Le groupe Socialistes et apparentés proposer d’objectiver les situations dans chaque entreprise de plus de cinquante salariés, contre trois cents actuellement, à l’aide d’indicateurs sur la santé mentale et le bien-être au travail dans le bilan social. Ce bilan serait transmis à l’inspection du travail et au SPST, permettant ainsi la mise en place de mesures correctrices pour améliorer concrètement la santé au travail.
Mme Sylvie Dézarnaud (DR). Ce rapport met en lumière à la fois des avancées et des défis persistants. Concernant le Duerp, la législation a introduit des changements significatifs en termes de contenu, de processus et d’accès. Cependant, l’application complète de cette loi est retardée par la recherche de solutions techniques adéquates, notamment concernant le portail numérique et l’interopérabilité des logiciels utilisés par les professionnels de santé concernés. Le renforcement du rôle des infirmiers en santé au travail est une avancée nécessaire face à la pénurie de médecins du travail, grâce à la mise en place d’une formation spécifique et à la délégation de tâches.
La santé au travail est un enjeu majeur pour notre société, et il est de notre responsabilité d’assurer que ces réformes produisent les résultats escomptés pour le bien‑être et la sécurité des travailleurs. Cependant, le retour encore limité des données collectées et l’attente d’un choix définitif sur des aspects techniques limitent notre perception de l’efficacité de ce texte.
Existe-t-il une évaluation du coût pour les entreprises ou les collectivités de l’obligation de conservation des versions successives du Duerp pendant quarante ans ainsi que de leur transmission et mise à jour au SPST auquel l’employeur est affilié ? La direction générale du travail et l’Agence du numérique en santé ont‑elles annoncé un calendrier pour l’élaboration d’un langage commun qui permettrait l’interopérabilité des logiciels utilisés par les différents professionnels de santé ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Bien qu’il soit encore trop tôt pour évaluer pleinement cette loi, je m’interroge sur l’accès des médecins du travail au DMP. Comment expliquer cette impasse technique après tant d’années ?
Au-delà des points évoqués, c’est la vision même de la santé au travail qui pose question. Cette loi et ce rapport assimilent à tort la santé au travail au système des accidents du travail et maladies professionnelles, alors qu’elle devrait être envisagée sous l’angle du bien‑être au travail, englobant l’ensemble des aspects de l’environnement professionnel ayant un impact sur la santé physique et mentale des collaborateurs.
Les attentes évoluent également. Le taux d’absentéisme dans les entreprises a encore augmenté cette année, particulièrement les arrêts de travail de longue durée liés à des troubles psychologiques. Cela prouve que la prévention des troubles musculo‑squelettiques et des maladies professionnelles ne répond pas complètement aux enjeux de santé des travailleurs.
Toutes les entreprises devraient œuvrer pour le bien-être de leurs collaborateurs et agir pour que chacun retrouve le goût au travail. À l’heure où la santé mentale est une grande cause nationale, nous devons dès à présent promouvoir ce bien-être au travail en tenant compte de tous les aspects de la santé, y compris les activités physiques et le bien-être psychologique.
M. François Gergignon (HOR). Je salue l’engagement de Charlotte Parmentier-Lecocq, qui a porté cette réforme avec conviction, et de Nathalie Colin-Oesterlé, qui poursuit aujourd’hui ce travail avec rigueur sur ce rapport. Assurer la mise en œuvre effective des dispositifs prévus sera essentiel pour garantir une meilleure prévention des risques professionnels et une protection renforcée des Français au travail.
Mme la rapporteure. Concernant le Duerp et le portail numérique, ce n’est pas la transmission des informations qui pose problème, mais le portail numérique lui‑même, en raison de son coût prohibitif, des problèmes de confidentialité et des difficultés techniques. C’est sur ces aspects qu’il faut avancer et envisager d’autres solutions.
Quant au coût de conservation pour les entreprises, nous n’avons pas d’éléments de réponse précis. Le portail numérique initialement imaginé visait à faciliter la vie des entreprises pour la conservation, mais d’autres solutions sont en cours de réflexion.
Monsieur Dussaussaye, vous avez raison de souligner le manque de certains décrets publiés. Cependant, vingt et un décrets sur vingt-cinq ont été publiés, ce qui représente une avancée significative. Nous restons vigilants concernant la publication des décrets restants, qui sont effectivement très importants.
M. le rapporteur. Je tiens à remercier à nouveau les administrateurs de l’Assemblée pour leur contribution à la préparation de ce rapport d’application.
Concernant la réforme du DMST et le DMP, aucun texte réglementaire n’a été publié. Par conséquent, il n’y a pas d’archivage sur quarante ans et nous ne connaissons pas d’application concrète. Cette situation pourrait être abordée par voie législative si nécessaire.
Sur le fond, il faut rappeler que cette loi a été portée par la Macronie, quatre ans après les ordonnances Macron, qui ont notamment supprimé les CHSCT et quatre critères de pénibilité. Elle a également affaibli les comptes professionnels de pénibilité. Les mesures de cette proposition de loi paraissent largement insuffisantes après la destruction des principaux outils de protection de la santé des salariés et la dégradation de la prise en compte de la pénibilité.
Pour l’avenir, nous proposons de rétablir les CHSCT et de renforcer l’inspection du travail et la justice du travail pour contrôler l’application effective des droits des travailleurs. Nous demandons de doubler les effectifs, car il ne reste qu’environ 1 700 agents de contrôle de l’inspection du travail pour 20 millions de salariés, soit 550 postes supprimés depuis 2010. Actuellement, un travailleur sur cinq est dans l’impossibilité de se tourner vers un agent de contrôle de l’inspection du travail.
En application de l’article 145‑7 du Règlement, la commission autorise la publication du rapport d’information.
La réunion s’achève à treize heures trente-cinq.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– Mme Laure Miller rapporteure sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs (n° 783) ;
– M. Patrick Hetzel, Mme Sandra Delannoy et M. Gérault Verny rapporteurs en vue du débat thématique de contrôle en séance publique du 25 mars 2025 sur le thème « Lutte contre les fraudes aux prestations sociales : quel bilan 4 ans après la commission d’enquête parlementaire ? » ;
– Mme Perrine Goulet, M. François Ruffin et Mme Karine Lebon rapporteurs en vue du débat thématique de contrôle en séance publique du 27 mars 2025 sur le thème « Dans un contexte d’évolution démographique, quels enjeux pour notre politique familiale ? ».
Présences en réunion
Présents. – M. Joël Aviragnet, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Éric Bothorel, M. Louis Boyard, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Sébastien Delogu, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, Mme Perrine Goulet, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Damien Maudet, Mme Laure Miller, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, Mme Sophie Pantel, Mme Angélique Ranc, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Arnaud Simion, M. Frédéric Valletoux, M. Gérault Verny, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Joëlle Mélin, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistaient également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo, M. Michel Lauzzana, M. Christophe Naegelen