Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Pierre Moscovici, premier président, sur la communication de la Cour des comptes au Premier ministre « Situation financière et perspectives du système de retraites »              2

– Présences en réunion.................................27

 

 

 

 

 


Mardi
4 mars 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 48

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


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La réunion commence à seize heures trente

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission auditionne M. Pierre Moscovici, premier président, sur la communication de la Cour des comptes au Premier ministre « Situation financière et perspectives du système de retraites »

M. le président Frédéric Valletoux. Monsieur le premier président, merci d’avoir accepté notre invitation.

Le Premier ministre a annoncé, lors de sa déclaration de politique générale, qu’il demanderait à la Cour des comptes de « donner l’état actuel et précis du financement du système de retraites ». La remise des conclusions de cette mission « flash », le 20 février, était la première étape d’un processus qui repose désormais sur les partenaires sociaux. Réunis « en conclave », au sein d’une « conférence sociale », ils disposent de trois mois pour mener un travail visant à « rétablir l’équilibre financier de notre système de retraites à un horizon proche », à savoir 2030, « tout en proposant des améliorations réelles pour nos concitoyens ».

Le Parlement sera associé à cet exercice : les représentants des groupes doivent être régulièrement tenus informés par la ministre chargée du travail et de l’emploi. Par ailleurs, en fonction des conclusions qui découleront du conclave, il appartiendra au Parlement de légiférer, au plus tard dans le cadre de la prochaine loi de financement de la sécurité sociale.

Notre système de retraites, qui repose sur la répartition, est par nature soumis à l’évolution démographique. Le ratio entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités, qui était de 4 pour 1 en 1960, est passé à 1,7 pour 1 en 2020. Plusieurs réformes ont donc été menées afin d’assurer la pérennité du système. La dernière, celle de 2023, bien que nécessaire pour tendre vers l’équilibre des comptes et maintenir l’universalité des retraites, fait encore l’objet de nombreuses contestations. Notre commission a déjà examiné deux propositions de loi visant à l’abroger.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. J’aurais été très heureux de vous présenter plus tôt notre rapport sur la situation financière et les perspectives du système de retraites – c’était d’ailleurs prévu, mais le Premier ministre a décalé de vingt‑quatre heures la date à laquelle ce travail devait lui être remis, ce qui nous amenait, dès lors, à la période des vacances parlementaires.

Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre avait annoncé qu’il souhaitait remettre en chantier la question des retraites avec les organisations syndicales et le Parlement, dans un temps bref et des conditions transparentes. Afin que cette démarche s’appuie sur un constat et des chiffres indiscutables, il nous a alors confié une « mission flash de quelques semaines ».

Nous avons relevé le défi – c’était presque une gageure. Le 20 février, j’ai remis le rapport au Premier ministre, en présence de quatre de ses ministres, M. Éric Lombard, Mme Catherine Vautrin, Mme Astrid Panosyan-Bouvet et M. Laurent Marcangeli. Dans la foulée, je l’ai présenté à la conférence des partenaires sociaux, chargés de négocier une nouvelle voie pour notre système de retraites. Leur réaction a été unanimement positive. Notre mission était de produire des chiffres indiscutables ; de fait, ils n’ont pas été discutés, en tout cas par les partenaires sociaux. Notre rapport est entièrement objectif et indépendant, à l’image de ce que doit être la Cour des comptes. Il fera date, je le dis avec confiance.

Notre lettre de mission, du 20 janvier, nous demandait de dresser un constat objectif de la situation financière du système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long terme, et de mettre ces analyses en perspective avec la trajectoire d’ensemble des finances publiques. Dans un rapport distinct, qui sera remis en avril, la Cour examinera les effets des réformes des retraites sur la compétitivité de l’économie française et l’emploi.

Une telle commande du Premier ministre montre que la Cour des comptes est un tiers de confiance dans le débat public. Nous prenons cette marque de confiance d’autant plus sérieusement que le sujet est crucial pour notre démocratie, notre modèle social et nos finances publiques.

C’est d’abord un enjeu démocratique, qui concerne directement ou indirectement l’ensemble de nos concitoyens : les 17 millions de retraités et les 4 millions de bénéficiaires de pensions de réversion, les actifs qui cotisent au sein du système français, dit par répartition car fondé sur la solidarité intergénérationnelle, et chacun d’entre nous en tant qu’il sera un jour retraité, dans un futur plus ou moins proche.

La question des retraites est également cruciale pour notre modèle social. Un système par répartition dépend du rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités. Or le déséquilibre entre ces deux populations est croissant. Une gestion rigoureuse de l’équilibre financier est nécessaire pour assurer la pérennité du système et l’équité entre les générations.

Enfin, les retraites sont un enjeu majeur pour les finances publiques. La France consacre près de 14 % de son PIB aux dépenses de retraites. Le système a connu des réformes successives dans les dernières décennies, notamment pour contenir l’augmentation des dépenses. Les crispations, les mouvements et les débats lors de chacune de ces réformes montrent bien que ce sujet n’est semblable à aucun autre. Un ancien Premier ministre disait que la question pouvait faire sauter dix gouvernements et c’était sans doute un chiffre modeste.

En somme, les modalités, le fonctionnement et la situation financière de notre système de retraites sont des sujets complexes, techniques, sensibles, mais essentiels, qui touchent directement à notre pacte social et intergénérationnel.

Pour répondre à la commande du Premier ministre, nous avons créé une formation ad hoc, regroupant plusieurs chambres de la Cour et dont j’ai moi-même présidé la collégialité. Une équipe de magistrats, composée de nos meilleurs spécialistes des retraites et des finances publiques, a œuvré sans relâche, jour et nuit, pour faire aboutir ce travail en un temps record. Je suis assez fier du résultat obtenu et je remercie publiquement les membres de cette équipe : les présidents des première, cinquième et sixième chambres, Carine Camby, Sophie Thibault et Bernard Lejeune – la sixième chambre ayant été cheffe de file –, la contre‑rapporteure Mathilde Lignot-Leloup, le rapporteur général Nicolas Fourrier, ainsi que l’ensemble des rapporteurs.

Notre rapport devait constituer une base utile et indiscutable pour les discussions entre les partenaires sociaux. Afin de m’assurer que la Cour réponde au mieux à cette exigence, j’ai reçu l’ensemble des partenaires sociaux, ainsi que le président du Conseil d’orientation des retraites (COR), Gilbert Cette, et Jean-Jacques Marette, qui anime les négociations.

Conformément à la commande, le périmètre du rapport inclut tous les régimes de retraite obligatoires. L’organisation du système de retraites en France est très complexe, puisqu’il existe une quarantaine de régimes, correspondant à des règles et à des situations distinctes. Pour analyser l’état et les perspectives des régimes de retraite obligatoires, la Cour les a regroupés en six catégories : le régime général, qui regroupe les salariés du secteur privé, les contractuels de la fonction publique et les travailleurs indépendants ; les régimes de base des non-salariés, qui regroupent pour l’essentiel les exploitants agricoles, les professionnels libéraux et les avocats ; le régime général et complémentaire des fonctionnaires civils et militaires de l’État ; les régimes spéciaux, comme ceux de la SCNF et de la RATP, qui sont en voie d’extinction ; la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) ; enfin, les régimes complémentaires obligatoires, tels que l’Agirc-Arrco et l’Ircantec. En revanche, nous n’avons pas examiné dans le détail les dispositifs facultatifs, dits surcomplémentaires ou supplémentaires.

Conformément à la commande du Premier ministre, là aussi, notre rapport répond à trois grandes questions pour éclairer la délégation permanente des partenaires sociaux et aider ces derniers à parvenir à un accord. Quel est précisément l’état actuel du système de retraites, tous régimes compris ? Quelles sont ses perspectives à un horizon de vingt ans et quels sont les effets des réformes successives, en particulier celle de 2023, sur son équilibre financier ? Quels sont les principaux leviers de réforme à la main des pouvoirs publics et leurs effets sur l’équilibre financier du système de retraites ?

En 2023, dernière année pour laquelle nous disposons de chiffres, la Cour constate un léger excédent du système de retraites, grâce aux effets des réformes successives, mais aussi, il faut bien le dire, de l’inflation. Toutefois, la situation est très hétérogène selon les régimes. C’est l’objet de la première partie du rapport.

Les projections sur vingt ans montrent une nette dégradation de la situation financière globale du système à l’horizon 2045. Les perspectives se dégradent fortement dès 2024 et font apparaître un besoin de financement croissant, malgré les effets de la réforme de 2023. Ces enjeux sont analysés dans la deuxième partie du rapport. Même si nous ne connaissons pas encore les chiffres définitifs pour 2025, le système sera déficitaire cette année.

Enfin, nous évoquons plusieurs leviers de réforme en vue de rétablir l’équilibre du système des retraites – l’âge d’ouverture des droits, la durée d’assurance requise, le montant des cotisations et les conditions d’indexation des pensions. Nous avons analysé les effets des variations envisageables : ils diffèrent en matière de montants, de temporalité et d’effets sur l’économie.

Je remercie les administrations et organisations qui nous ont apporté leur appui dans cette mission : le COR pour les simulations, à partir de nos hypothèses, la direction générale du Trésor, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) et la direction de la sécurité sociale. Nous avons travaillé en bonne intelligence avec ces acteurs, qui nous ont fourni des données sociales et macroéconomiques actualisées ainsi que des projections intégrant nos hypothèses.

Premier grand message du rapport : le système de retraites obligatoires français est globalement favorable aux retraités par rapport aux pays comparables, grâce à un effort de financement massif. En 2023, notre pays consacrait près de 390 milliards d’euros aux dépenses de retraites, ce qui équivaut à 14 % de son PIB, soit 4 points de plus que l’Allemagne.

Par ailleurs, les retraités bénéficient en France d’une situation financière relativement favorable par rapport au reste de la population. Leur taux de pauvreté est inférieur à celui des actifs, même si de fortes inégalités existent. La pension moyenne étant de 1 626 euros brut par mois à la fin de 2022, le niveau de vie des retraités est similaire à celui des actifs en France alors qu’il est un peu inférieur en Allemagne et dans l’ensemble de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Si l’on prend en compte d’autres éléments tels que le patrimoine, la situation est peut-être même un peu plus favorable pour les retraités – à revenus égaux, ce n’est pas la même chose de s’acquitter ou non d’un loyer.

Une telle dépense nécessite des ressources importantes et diversifiées. Elles étaient composées en 2023 pour deux tiers des cotisations sociales et pour un tiers de la contribution sociale généralisée (CSG) et d’impôts et taxes affectés à des régimes de retraite. La proportion de la dernière part a augmenté au cours des dernières décennies, soit pour apporter des ressources complémentaires à certains régimes, soit pour compenser des pertes de recettes de la sécurité sociale liées à la mise en œuvre de certaines politiques et exonérations.

Deuxième constat : notre système de retraites était légèrement excédentaire en 2023. Après s’être dégradée entre 2002 et 2010, la situation financière s’était progressivement rétablie, pour atteindre un excédent de 8,5 milliards d’euros en 2023.

Cela tient en premier lieu à une succession de réformes depuis 2003, qui étaient différentes mais avaient pour objectif commun de ralentir la baisse du ratio entre cotisants et retraités – il est passé de 2,01 en 2004 à 1,78 en 2010 – et de contenir l’augmentation des dépenses. L’âge légal d’ouverture des droits a été repoussé, sauf exception, et la durée d’assurance requise pour avoir droit à une retraite à taux plein a été augmentée. Ces réformes ont progressivement retardé l’âge de départ effectif à la retraite et, de fait, l’âge moyen des nouveaux retraités a reculé de deux ans et deux mois entre 2010 et la fin de 2022. Il atteint désormais 62 ans et 8 mois. Cette évolution a permis de ralentir la dégradation du rapport entre cotisants et retraités. Le ratio s’est même amélioré entre 2020 et 2022, avant de se dégrader de nouveau.

Au gré de ces réformes, des financements publics croissants ont été alloués au système de retraites, des taux de cotisation ont été relevés, des impôts ont été affectés au financement des dépenses de retraites et les dettes constituées par certains régimes obligatoires ont été prises en charge par l’État ou par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Le deuxième facteur de l’excédent de 8,5 milliards d’euros en 2023 est plus temporaire : il s’explique pour 4 milliards d’euros par l’accélération de l’inflation cette année‑là. Elle s’est répercutée plus rapidement sur les recettes, qui reposent en majorité sur les salaires, que sur les dépenses, indexées sur l’inflation avec un an de décalage. L’année 2024 a donc été marquée par un effet boomerang, avec une dégradation de 4 milliards d’euros du solde. La situation était ainsi assez exceptionnelle en 2023.

Par ailleurs, si le système est globalement excédentaire cette année-là, les situations sont très hétérogènes selon les régimes. Des régimes de base restent déficitaires, alors que les régimes complémentaires réalisent des excédents croissants.

Le régime général et le régime des salariés agricoles, qui représentent à eux deux 42 % du montant total des pensions, sont globalement dans une situation financière précaire. Au vu de leur poids, ils sont l’enjeu principal de l’équilibre financier du système des retraites et donc de la négociation en cours. Le déficit de ces régimes et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) est certes faible en 2023 – 0,2 milliard d’euros – mais il est appelé à croître rapidement dès 2024.

La caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, qui représente 7 % du total des pensions, est pour sa part dans une situation critique, du fait d’une dégradation rapide du rapport entre cotisants et retraités. Son déficit atteint 2,5 milliards d’euros en 2023, année pourtant favorable.

D’autres régimes sont dans une meilleure situation, tels que ceux des professions libérales et des avocats, dont l’excédent était de 0,7 milliard d’euros en 2023. De même, les régimes complémentaires obligatoires ont vu leur situation se redresser rapidement. Leur excédent total atteignait 9,9 milliards en 2023. Ce sont les principaux contributeurs de l’excédent global.

L’État contribue de deux manières au financement du système de retraites. D’une part, il participe à l’équilibre financier de dix-sept régimes spéciaux, à travers une contribution d’un peu moins de 8 milliards d’euros ; d’autre part, il finance le régime des fonctionnaires civils et militaires grâce à une contribution de 45 milliards d’euros en 2023.

Contrairement à ce que certains prétendent, nous ne nions pas le décalage entre les ressources et les dépenses en la matière. La comptabilisation des contributions de l’État fait débat, au point d’occulter le reste – je ne le sais que trop. Nous avons bien sûr examiné la question dans le rapport et je vais vous livrer l’analyse de la Cour des comptes, qui devrait cesser d’être discutée.

La présentation, dans le budget de l’État, des recettes et des dépenses de retraite des fonctionnaires civils et militaires peut se faire selon deux modalités différentes. Selon la convention utilisée par la Commission des comptes de la sécurité sociale – et on comprendra que la Cour des comptes préfère s’appuyer sur notre constitution financière –, le régime des fonctionnaires civils et militaires est équilibré par construction, grâce à la contribution de l’État, dont le montant permet de garantir un solde nul. Cette contribution a une spécificité par rapport au privé : elle regroupe la cotisation employeur de l’État, la prise en charge des dépenses de solidarité et un éventuel financement d’équilibre. Il existe un second mode de présentation des recettes et dépenses du régime des fonctionnaires civils et militaires qui est leur comptabilisation, depuis 2006, au sein du compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions, que la Cour et le Parlement analysent chaque année.

En tout état de cause, il n’y a aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires. Les deux comptabilités sont différentes, mais elles sont justifiées et stables dans le temps. Il est vrai que la coexistence de deux règles distinctes peut nuire à la lisibilité financière du régime : on pourrait envisager de changer les conventions, mais cela relève de votre compétence et non de celle de la Cour des comptes. Par ailleurs, je n’ai aucune certitude sur le fait que cela changerait quoi que ce soit au problème. Je me demande parfois où veulent en venir des papiers de dizaines de pages consacrés à ce sujet.

Le débat qui a fait couler beaucoup d’encre est ailleurs. L’État contribue au régime de retraite de ses fonctionnaires selon un taux de cotisation employeur de 78 %, bien plus élevé que celui des entreprises privées pour le régime général, qui est de 16 %. Certains considèrent que ces deux taux de cotisation pourraient, voire devraient, être comparés, ce qui ferait apparaître une inégalité fondamentale : l’État surcotiserait au régime de retraite de ses fonctionnaires.

À l’issue d’un examen approfondi et, contrairement à ce que certains prétendent, contradictoire de la question, nous considérons que ces deux systèmes présentent de telles divergences qu’ils ne sont pas comparables. Leur assiette de cotisations n’est pas la même : contrairement aux salariés du privé, les fonctionnaires ne cotisent pas sur les primes, qui ont un poids très significatif dans leur rémunération. En outre, il existe des règles spécifiques à certains emplois publics, tels que les pompiers, les militaires, les policiers. De plus, la situation démographique est plus dégradée pour les fonctionnaires, notamment en raison de la maîtrise par l’État des effectifs et des salaires – on est presque à un cotisant par retraité. Enfin, je l’ai dit, la contribution de l’État mêle sans distinction une cotisation employeur, le financement de l’effort de solidarité et un éventuel apport pour équilibrer le régime.

Pour toutes ces raisons, la Cour considère que la comparaison des taux des deux régimes n’est pas pertinente. Par ailleurs, et c’est peut-être l’essentiel, ce débat est sans incidence sur les montants réels des déficits qui pèsent sur les finances publiques. Nous ne disons pas qu’il n’existe pas une question, mais que le besoin de financement est là quoi qu’il en soit et qu’il est global – il ne concerne pas seulement le système des retraites, mais les finances publiques dans leur ensemble. Il ne faut pas remettre en cause la loi organique relative aux lois de finances, notre constitution financière, pour un débat technique qui ne nous permettra pas de résorber nos déficits.

Je regrette un peu la persistance de ce débat, qui finit par me tympaniser. Le rapport de la Cour des comptes a fait l’unanimité chez les partenaires sociaux. Du patronat à la CGT, on m’a remercié d’avoir évacué une question qui aurait pollué toute la négociation. Notre approche me paraît la plus objective et la plus neutre. Elle fait quasiment l’unanimité – à l’exception de ceux qui ont des idées un peu fixes. Elle pose la question au bon niveau, celui de la maîtrise de notre endettement et de la réduction de nos déficits.

Que visent ceux qui privilégient une autre approche ? La dénonciation du régime des fonctionnaires ? Quelles solutions proposent-ils ? De réduire drastiquement les retraites ou au contraire de procéder à des embauches massives pour améliorer le ratio démographique ? Une capitalisation gigantesque ou encore un financement des retraites du public par le privé ? Sans m’immiscer dans des choix politiques, je crois que l’analyse des faits ne conduit pas à cela. Notre analyse est à la fois exhaustive, honnête, neutre et plus convenable, y compris pour la qualité du débat.

J’en viens au deuxième message du rapport. Les projections sur vingt ans montrent une nette dégradation de la situation financière globale du système à l’horizon 2045, malgré la réforme de 2023. Il est très difficile de simuler la situation au-delà de 2045 parce que les incertitudes deviennent alors très importantes, notamment en matière de natalité.

Sans entrer dans le détail de nos hypothèses, qui sont bien explicitées dans les annexes du rapport, je souligne simplement que nous avons travaillé sur plusieurs scénarios en matière de productivité et de chômage.

Nous avons retenu deux hypothèses concernant le taux annuel de progression de la productivité. Le scénario principal, car le plus crédible et réaliste, est un taux de 0,7 %. L’évolution de la productivité au cours des vingt dernières années était plutôt autour de 0,4 ou 0,5 %. Néanmoins, il n’est pas interdit d’espérer que la productivité augmente. Nous retenons donc aussi l’hypothèse d’un taux annuel de progression de 1 %. J’ai moi-même été surpris de constater qu’une telle variation de la productivité n’avait pas d’influence majeure sur les projections, l’écart entre les deux scénarios étant de moins de 1 milliard d’euros en 2035. Il ne faut donc pas attendre des miracles dans ce domaine.

En ce qui concerne l’emploi, nous avons retenu deux taux de chômage : 7 %, ce qui est réaliste, et 5 %, scénario reposant sur une amélioration.

Que ressort-il des projections sur vingt ans ? Les perspectives se dégradent nettement dès 2024 et le besoin de financement du système des retraites sera croissant et durable. Cela non plus n’a pas été discuté par les partenaires sociaux. Les dépenses de retraite s’élèveraient à 414,5 milliards d’euros en 2025. Elles progresseraient, hors inflation, de 0,9 % ou 1 % par an jusqu’en 2045. Les ressources évolueraient aussi, mais pas aussi rapidement.

Dès 2025, le déficit tous régimes devrait atteindre 6,6 milliards d’euros. Ce chiffre sert de base au travail actuel des partenaires sociaux. Il devrait se stabiliser autour de ce niveau entre 2025 et 2030, notamment grâce à la montée en puissance de la réforme de 2023. Ensuite, le nombre de retraités et le montant moyen de leur pension continueraient d’augmenter continûment. En conséquence, le déficit devrait se dégrader fortement. Il atteindrait près de 15 milliards d’euros en 2035 puis environ 30 milliards en 2045. Ces chiffres ne sont pas davantage discutés. Il faut être lucide : la dégradation financière du système, toutes choses égales par ailleurs, sera nette, rapide et croissante.

Ces chiffres sont préoccupants, mais les perspectives financières ne sont pas les mêmes d’un régime à l’autre. Le régime général concentrerait l’essentiel du déficit à l’horizon 2045 – entre 25 et 30 milliards d’euros. La caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers resterait dans une situation défavorable, avec un déficit de 7 milliards d’euros, malgré la récente décision d’augmenter les taux de cotisation employeur pour ce régime entre 2025 et 2028. En revanche, les régimes qui étaient dans une situation positive en 2023 devraient le rester. C’est le cas des régimes de base des non-salariés, dont l’excédent atteindrait un peu moins de 3 milliards d’euros en 2045. Les régimes complémentaires devraient aussi demeurer excédentaires au cours des vingt prochaines années, à hauteur de 3 milliards d’euros en 2045.

Enfin, la contribution de l’État pour équilibrer le régime de ses fonctionnaires, qui n’est pas un déficit caché, devrait rester stable, autour de 50 milliards d’euros, en valeur 2024. Le nombre de fonctionnaires retraités atteindrait un pic en 2028, avant de diminuer en raison de la maîtrise par l’État de ses effectifs. Le montant de la pension moyenne devrait lui aussi diminuer entre 2025 et 2045, en raison de la modération du traitement indiciaire des fonctionnaires, qui conduit à des retraites plus faibles. Les dépenses de ce régime seraient donc amenées à baisser, comme celles des régimes spéciaux.

Pour résumer, la situation financière du système des retraites va, dans sa globalité, très nettement et très rapidement se dégrader. Deux régimes concentrent l’essentiel des préoccupations : le régime général, qui représente plus de 40 % des dépenses, et la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. L’accumulation des déficits de ces régimes conduirait à une dette de plus de 300 milliards d’euros en 2045 pour le régime général et de plus de 100 milliards d’euros pour la caisse des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.

Nous avons examiné les effets à venir des dernières réformes des retraites, en particulier celle de 2023. Ces réformes ont rehaussé l’âge légal d’ouverture des droits, à 64 ans, et accéléré la montée en charge de la durée de cotisation, ce qui permet un recul important de l’âge réel de départ à la retraite des actifs. Par ailleurs, le montant des pensions progresserait moins rapidement que le revenu net d’activité entre 2025 et 2045.

Au total, la Cour a calculé que l’impact de la réforme de 2023 sur l’équilibre financier du système, tous régimes inclus, serait d’environ 10 milliards d’euros à l’horizon 2030. L’effet du recul de l’âge de départ à la retraite serait maximal en 2032 ; après 2040, il serait très amoindri. La réforme de 2023 produit des effets positifs sur la trajectoire financière du système des retraites, mais elle n’est pas suffisante. Ce n’est donc pas la dernière réforme. Il n’est pas vrai de dire qu’elle n’a servi à rien sur le plan financier, mais il est également faux de prétendre qu’elle a tout arrangé.

La troisième partie du rapport présente les principaux leviers de réforme et leurs effets sur l’équilibre financier. Il faut être clair à ce sujet, la Cour a pour mission de faire un constat et de présenter des schémas financiers, mais elle ne prend pas position. Vous noterez d’ailleurs que le rapport ne comporte aucune recommandation : c’est une mise à plat. Il ne préconise ni une réforme globale du système des retraites ni des leviers qu’il faudrait privilégier pour atteindre l’équilibre financier – vous ne trouverez pas d’idées sous-jacentes, allant dans un sens ou un autre. Cela peut décevoir, mais procéder ainsi était la meilleure façon pour nous d’être utiles. Aller plus loin ne correspondait ni à l’objet de la commande du Premier ministre ni au rôle de la Cour. Je l’ai dit devant la délégation permanente : notre rôle s’arrête là, même si je présenterai aux partenaires sociaux, à la mi-avril, un second rapport concernant l’emploi et la compétitivité.

Nous avons examiné quatre leviers dont l’impact financier sur le système des retraites est direct, l’âge d’ouverture des droits, la durée d’assurance requise, le taux de cotisation et les conditions d’indexation des pensions.

Nous avons fait des simulations concernant une variation d’un an de l’âge d’ouverture des droits, à la hausse et à la baisse, grâce à l’appui de la Cnav. L’âge légal avant lequel, sauf exception, la liquidation des droits à une pension de retraite ne peut intervenir a été fixé à 64 ans par la réforme de 2023. Nous estimons qu’avancer cet âge à 63 ans représenterait une dépense supplémentaire de 5,8 milliards d’euros pour le système des retraites en 2035. Certains partenaires sociaux nous ont demandé pourquoi nous n’avions pas fait une simulation à 62 ans. C’est, en gros, deux fois plus. Nous ne sommes pas davantage pour 63 ans que pour 62 ans : nous avons fait des calculs annuels – c’est assez simple. Le recul d’un an de l’âge légal, à 65 ans, rapporterait quant à lui 8,4 milliards d’euros en 2035. Nous estimons par ailleurs que l’effet d’une variation de l’âge d’ouverture des droits, quel qu’en soit le sens, monte rapidement en puissance – cela rapporte ou coûte vite – mais se stabilise à moyen terme. L’effet est puissant à court terme, mais l’impact se réduit ensuite.

C’est le contraire pour le deuxième levier que nous avons examiné, la durée d’assurance requise. La réforme de 2023 prévoit de la porter à 172 trimestres, soit 43 ans, pour la génération née en 1965. Une diminution d’un an, c’est-à-dire un passage à 42 ans, coûterait 3,9 milliards d’euros au système de retraites en 2035 ; un allongement d’un an rapporterait 5,2 milliards d’euros à la même date. L’effet de ce levier est donc moins important que celui du décalage de l’âge légal à court terme, mais l’effet financier s’accroît avec le temps. En 2045, l’équilibre du système de retraites serait dégradé de 8 milliards d’euros en cas de diminution d’un an de la durée d’assurance requise ; il s’améliorerait d’autant avec une augmentation d’un an à partir de la génération née en 1972.

Le troisième levier examiné par la Cour est celui du montant des cotisations prélevées sur les actifs. Elles représentaient en 2023 deux tiers des ressources affectées aux dépenses des régimes de retraite. Selon nos estimations, une augmentation de 1 point du taux des cotisations se traduirait par des ressources annuelles supplémentaires comprises entre 4,8 et 7,6 milliards d’euros, selon que la mesure s’appliquerait sur la part patronale, sur la part salariale ou sur les deux. Ce levier a incontestablement un rendement, mais ses effets sur l’économie doivent être appréciés.

Le quatrième levier analysé est celui des conditions d’indexation des pensions de retraite. Actuellement, la revalorisation des pensions de retraite de base est indexée annuellement sur l’inflation, comme le demande la loi. En nous fondant sur les dépenses de retraite prévues en 2025, nous estimons qu’une sous-indexation de 1 point des pensions par rapport à l’inflation permettrait une économie de 2,9 milliards d’euros pour cette année et que l’effet sur l’économie serait relativement plus faible, dans la mesure où les retraités ont une moindre propension à consommer que les actifs. Notons plus généralement que la règle d’indexation en vigueur n’est pas adaptée au pilotage des dépenses de retraite en cas d’évolutions défavorables. Les régimes de retraite complémentaires en France et le système de retraites en Allemagne, par exemple, disposent en revanche de règles d’indexation permettant de moduler la revalorisation des pensions en fonction des équilibres financiers.

Je vous ai indiqué nos chiffres pour le déficit en 2025, 2035 et 2045. Le régime général et celui des agents de la fonction publique locale et hospitalière seraient particulièrement déficitaires. C’est sur eux, à notre sens, que se concentre la négociation possible. L’accumulation des déficits gonflerait la dette, ce qui est contradictoire avec le principe même de la répartition, qui suppose que, pour chaque génération, les actifs financent les pensions des retraités. Nos projections permettent toutefois de nuancer ce constat négatif : seuls deux régimes seraient en réelle difficulté dans vingt ans ; plus globalement, le système resterait protecteur pour les retraités, en comparaison avec le reste de l’OCDE. Les fondamentaux de notre système seraient donc préservés.

C’est avec beaucoup de fierté que nous avons accompli ce travail de grande qualité – je le dis d’autant plus aisément que je me suis contenté de présider et de donner quelques orientations. Nous avons fait notre part. Il n’appartenait pas à la Cour de faire des préconisations mais de fournir à chacun, aux partenaires sociaux et aux parlementaires, des données incontestables et des outils pour agir.

M. le président Frédéric Valletoux. Ne sous-estimons jamais le rôle des présidents ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin, rapporteur général. Permettez-moi de saluer d’abord la qualité du travail que vous nous présentez, monsieur le premier président. Les productions de la Cour des comptes sont toujours très éclairantes pour les parlementaires.

Je retiens de votre communication un constat principal : la réforme des retraites adoptée il y a près de deux ans ne suffit pas, à elle seule, à rétablir durablement notre système de retraites. J’en étais convaincu à l’époque, mais mes alertes étaient restées vaines, hélas. Si l’on en croit vos hypothèses centrales, qui me semblent plus crédibles – parce qu’elles sont moins optimistes – que celles retenues dans le scénario de référence figurant dans le rapport annuel du COR, le déficit de notre système s’élèverait à près de 0,9 % du PIB en 2045, soit environ 30 milliards d’euros en valeur 2024. Le besoin de financement est indiscutable, croissant et durable. Le régime général accumulerait une dette comprise entre 330 et 370 milliards d’euros d’ici à vingt ans. C’est la base de laquelle doit partir toute réflexion sur la réforme de notre système de retraites.

Vous estimez à 38 milliards d’euros la part de la dette actuellement détenue par la Cades qui relève des régimes de retraite. Comment obtenez-vous ce chiffre ? Une part de la dette de l’État relève-t-elle, elle aussi, d’une certaine manière, du régime des retraites ?

Vous évoquez la situation fortement excédentaire des régimes complémentaires obligatoires : l’Agirc-Arrco pour les salariés du privé, l’Ircantec pour les contractuels de la fonction publique et le régime complémentaire des travailleurs indépendants. Alors que ces régimes présentent des ratios démographiques similaires – environ 1,5 cotisant par retraité, contre 1,4 dans le régime général –, comment expliquez-vous leur meilleure performance ? Est-ce dû à leur mode de gestion par les partenaires sociaux, à leur fonctionnement par points, qui facilite le pilotage financier du système, ou à leur mécanisme de régulation ?

Enfin, vous estimez à juste titre que les mesures affectant l’équilibre financier du système de retraites montent en charge progressivement, ce qui impose de les anticiper suffisamment en amont. Cela devrait nous inciter à améliorer les règles de gouvernance du système, qui ne permettent manifestement pas de prévenir la constitution de déficits à long terme. Avez-vous exploré des pistes en la matière ?

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Thomas Ménagé (RN). Monsieur le premier président, je tiens à vous remercier à mon tour, ainsi que vos équipes, pour la remise de ce rapport dans des délais contraints. Il confirme ce que chacun savait déjà ici : notre système de retraites sera déficitaire, comme le soulignaient déjà l’ensemble des rapports du COR. Il entérine également une autre évidence : la réforme Macron-Borne n’a rien réglé sur le long terme. C’est la raison pour laquelle, après l’avoir combattue en 2023, j’avais défendu pour le groupe Rassemblement National son abrogation fin 2024, laquelle a été empêchée par le sectarisme de la gauche.

Au-delà des constats, je souhaite revenir sur deux absences notables dans votre analyse : le taux d’emploi et l’effet d’éviction. Gilbert Cette, le président du COR, a rappelé à plusieurs reprises qu’un alignement de la France sur le taux d’emploi des Pays-Bas pourrait engendrer jusqu’à 140 milliards d’euros de recettes. Plus de gens qui travaillent, c’est plus de cotisations qui entrent et donc de nouvelles recettes pour tendre vers l’équilibre. Pourtant, le terme « taux d’emploi » n’apparaît pas une seule fois dans votre rapport. Pourquoi n’avez‑vous pas traité cette question en profondeur, alors qu’elle fait partie, avec la démographie, des deux principaux problèmes que connaît notre système par répartition ?

Vous présentez d’abord deux leviers de réforme peu innovants : le recul de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation de la durée de cotisation. En 2017, la Cour des comptes soulignait elle-même que le passage à 62 ans avait entraîné une hausse des dépenses sociales de 3 milliards d’euros – maladie, chômage, invalidité, revenu de solidarité active (RSA). Le passage à 64 ans pourrait, selon certaines estimations de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques et de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, alourdir ces dépenses de 4,9 milliards d’euros, supprimant ainsi tout ou partie de l’intérêt financier des réformes. Pourquoi n’avez-vous pas étudié cet effet d’éviction ? L’avez-vous estimé ?

Enfin, vous évoquez deux autres leviers : l’augmentation des cotisations et la baisse des pensions, ce qui reviendrait à faire payer les Français. Pourtant, on le sait, la France a déjà un taux de cotisation vieillesse supérieur de 10 points à la moyenne de l’OCDE. Ne serait-il pas plus utile d’étudier des leviers plus novateurs, comme la création d’emploi, la réindustrialisation, la compétitivité ou la simplification, et de réfléchir à une politique familiale incitative pour faire face au creux démographique ? C’est ce que nous proposons dans notre groupe.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Monsieur le premier président, merci pour ce rapport très important, en ce qu’il nous permet d’avoir une même base de discussion. En 2023, certains nous disaient au sujet du déficit : « Circulez, y a rien à voir ! » Nous voilà bien obligés désormais de regarder la réalité en face. Le déficit doublera une première fois d’ici à 2035 et de nouveau entre 2035 et 2045, pour atteindre environ 30 milliards d’euros. Sans la réforme que nous avons défendue en 2023, ce chiffre aurait été atteint dès 2035. Vous montrez aussi que notre pays dépense pour nos retraites à peu près 13 % de son PIB, ce qui me paraît une bonne chose. Notre groupe considère qu’il faut augmenter la richesse, en améliorant le taux d’emploi et en réformant l’assurance chômage. Des pays auxquels nous pouvons nous comparer, comme les Pays-Bas, ont un PIB par habitant supérieur de 23 % au nôtre.

Certains, qui ne peuvent plus être dans le déni du déficit, pensent que la solution doit passer par une hausse des cotisations ou une baisse des pensions des retraités. Votre rapport tend à démontrer que la première solution se traduirait par un choc négatif qui affecterait la compétitivité des entreprises et appauvrirait les salariés. À cinq ans, vous évaluez à 85 000 le nombre d’emplois détruits. Appauvrir les retraités ou appauvrir les salariés, ce n’est pas notre choix. Pourriez-vous préciser les effets destructeurs sur l’emploi d’un scénario de hausse des cotisations ?

M. Arthur Delaporte (SOC). Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport dont les chiffres témoignent d’un travail objectif, documenté et sérieux et désavouent les calculs farfelus du Premier ministre. Nous espérons qu’il conduira chacune et chacun à cesser de véhiculer des contre-vérités sur notre système de retraites. Je vous remercie également d’avoir rappelé qu’il n’existe aucun déficit caché des retraites des fonctionnaires, tordant ainsi le cou aux fumisteries d’experts autoproclamés. Dans une période où populisme et fake news font bon ménage, il est essentiel que des institutions indépendantes puissent éclairer le débat public, notamment pour permettre de mieux mesurer les conséquences d’une réforme rejetée massivement par la rue, les syndicats et le Parlement. Nous sommes aujourd’hui encore interpellés par les habitants de nos circonscriptions, notamment les femmes, premières victimes de cette réforme injuste. Une autre réforme était possible.

Pourquoi ne pas avoir exploré, au-delà des quatre leviers que vous avez évoqués, d’autres pistes de financement ? Je pense notamment à la réduction des inégalités salariales, à l’abrogation des exonérations de cotisations inefficaces et à l’augmentation de la fiscalité des plus riches.

Pourquoi, pour évaluer les effets d’une augmentation de 1 point des cotisations sociales, avez-vous retenu l’hypothèse d’une suppression de 57 000 emplois en vous fondant sur un scénario d’entrée en vigueur extrêmement rapide, alors que cette augmentation pourrait être lissée sur dix ans, par exemple ?

Vous comparez le poids relatif des dépenses de retraite dans la richesse nationale en France et en Allemagne – respectivement de 14 % et de 10 %. Mais vous écartez le fait que le système par capitalisation tient une place essentielle en Allemagne : la part de la richesse nationale consacrée au financement du système de retraites est donc, en réalité, supérieure.

Par ailleurs, n’avoir chiffré que les effets d’une baisse à 63 ans de l’âge d’ouverture des droits peut laisser penser qu’un retour à 62 ans ne représente pas une perspective atteignable, mais vous avez partiellement répondu à cette remarque.

Enfin, je vous remercie d’avoir dit que les fondamentaux de notre système sont préservés à l’heure actuelle.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Ce rapport permet de rétablir une vérité : contrairement à ce que disait le Premier ministre, François Bayrou, il n’y a pas de déficit caché de notre système de retraites. Votre rapport confirme également ce que nous n’avons cessé de dire pendant plus d’un an : la réforme des retraites d’Élisabeth Borne, passée en force à coups de 49.3, n’a en rien résolu le problème du financement des régimes de retraite. C’est un deuxième mensonge qui explose au visage de la Macronie.

Monsieur le premier président, je m’étonne du choix de chiffrer les effets d’un départ à la retraite à 63 ans et non à 62 ans. Vous balayez notre revendication, soutenue par plus de 70 % des Français, par des millions de salariés mobilisés contre la réforme d’Élisabeth Borne pendant plus de six mois. Vous dites que la Cour a fait des simulations annuelles et que, pour obtenir le coût d’un retour à 62 ans, il suffirait de multiplier par deux le chiffrage pour 63 ans. Or ce n’est pas tout à fait ce qui ressort des chiffres transmis par le Gouvernement à la demande de la CGT : en 2035, un arrêt à 63 ans est chiffré à 5,8 milliards d’euros, mais 10,4 milliards ont été évoqués pour un retour à 62 ans, au lieu de 11,6 milliards. De plus, le chiffrage pour le départ à 63 ans est fait à l’horizon 2035 et celui relatif à 62 ans à l’horizon 2030. Vous disiez qu’il était très simple d’obtenir une réponse, mais il y a, en réalité, énormément de flou et de décalage. L’explication que vous nous avez donnée étant mathématiquement fausse, je vous repose la question : pourquoi avez-vous fait le choix d’écarter l’hypothèse d’un retour à 62 ans, pour ne chiffrer qu’un gel à 63 ans ?

Mme Justine Gruet (DR). Merci, monsieur le premier président, de venir devant la représentation nationale nous présenter les conclusions de votre mission qui concerne chacun de nos concitoyens. Bien que la réforme de 2023 peine toujours à trouver l’assentiment de l’ensemble de la population, il est nécessaire de prendre des décisions afin de garantir nos retraites. Il ne s’agit plus de valider des données chiffrées, que nous connaissons tous, mais de trouver des perspectives d’aménagement du mode de financement des retraites. Tout changement peut susciter des oppositions. Mais conserver notre modèle, qui date de 1945, sans véritablement comprendre les évolutions de notre société n’est plus raisonnable.

Le fonctionnement en silos de nos dépenses publiques, l’empiétement sur d’autres budgets, la multitude des régimes n’aident pas à clarifier la situation. Par exemple, l’absence d’une véritable caisse de retraite pour les fonctionnaires d’État militaires fait que 14 % du budget du ministère des armées sont consacrés à des surcotisations. Autre exemple, le régime spécial de la SNCF est financé à 40 % par ses salariés et le reste par l’État, autrement dit par le contribuable. Notre système actuel crée de la dette. Il manque aussi cruellement de justice et de visibilité pour nos concitoyens, qui ont besoin d’être rassurés sur l’avenir.

Avez-vous étudié les modèles étrangers dont la France pourrait s’inspirer, le modèle suédois associant répartition et capitalisation par exemple ? La part de capitalisation pourrait être gérée par un fonds de pension public sécurisé, qui répondrait aux attentes plus individualistes de notre société. Que pensez-vous, par ailleurs, de l’ouverture de nouveaux droits pour ceux qui continuent de travailler après l’âge légal et a contrario d’une large diminution de la pension en cas de départ bien avant la date légale ? On pourrait aussi agir sur la formation des 40-50 ans pour favoriser l’emploi des seniors – on sait que 40 % des actifs bénéficient d’un départ anticipé –, prévoir une meilleure prise en compte du congé maternité ou parental dans le calcul des trimestres ou tout simplement demander symboliquement d’avoir contribué à un système pour pouvoir en bénéficier. Voilà autant de pistes qui, je l’espère, intéresseront les partenaires sociaux et la Cour des comptes dans les mois à venir. Nous n’avons plus les moyens d’attendre.

M. François Ruffin (EcoS). Monsieur le premier président, dans l’actualité assez tragique que nous vivons, je vous remercie de nous avoir apporté une bonne nouvelle : il n’y a rien de dramatique, cela va plutôt pour les retraites. On peut bien dire « 7 milliards de déficit » en insistant sur les « milliards » mais en vérité, si on rapporte ce chiffre aux 304 milliards d’euros de la branche vieillesse, cela ne fait que 2 % de déficit. En 2035, les 15 milliards prévus ne représenteraient que 4 % de déficit. D’ici à 2045, je crains que nous n’ayons d’autres soucis. À quoi ressembleront alors la planète, le travail, la vie, vu l’instabilité actuelle ? Et ces 4 %, si l’on ne changeait rien, seraient déjà un exploit pour Bruno Le Maire.

Plusieurs leviers ne sont pas pleinement étudiés : la hausse des cotisations, qui rapporterait entre 5 et 7 milliards d’euros ; la fin de certaines exonérations ; les hausses de salaires ; le taux d’emploi et la lutte contre le mal-travail, alors que 100 000 travailleurs sont brisés chaque année, soit psychiquement soit physiquement. Mon inquiétude va au-delà : elle est politique, comme je le disais déjà au moment où nous faisions une réforme pour des déficits somme toute modérés. Le risque, c’est la division de la nation. Après des années de crise covid, de guerre en Ukraine et de montée de l’extrême droite, doit-on diviser le pays sur cette question ? Ne devons-nous pas plutôt nous rassembler pour affronter les défis démographique et climatique ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Je tiens à remercier la Cour pour son inquiétant constat sur la pérennité de notre système de retraites, que nous partageons au sein de notre groupe avec un sentiment d’urgence peut-être encore supérieur. Vous indiquez en conclusion du rapport que les perspectives financières sont préoccupantes à l’horizon 2045, mais la réalité de notre système de retraites n’est-elle pas déjà très préoccupante ? Le premier chapitre du rapport est pudiquement intitulé : « En 2023, une situation financière légèrement excédentaire mais hétérogène selon les régimes ».

J’ai bien entendu, monsieur le premier président, votre agacement, mais je reprends les analyses du haut-commissariat au plan et de Jean-Pascal Beaufret, qui a contribué à votre rapport et est l’auteur d’une note pour la Fondapol : pourquoi faire apparaître en titre un solde excédentaire, de près de 4 milliards d’euros, pour notre système de retraites en 2023 quand 131 milliards d’euros additionnels, venant en plus des cotisations employeurs et employés, ont été affectés à nos retraites et que l’essentiel du solde, sinon son intégralité, est dû aux régimes complémentaires ?

La Cour des comptes, par votre intermédiaire, est souvent très alarmiste sur la situation de nos finances publiques. Si l’attribution de compensations supplémentaires peut tout à fait s’expliquer, au titre des départs à la retraite précoces dans certaines catégories actives de la fonction publique, comme les gendarmes ou les agents pénitentiaires, ou de déséquilibres démographiques, pourquoi ne pas le faire apparaître plus clairement ? Nous ne remettons pas en cause le principe des transferts financiers ni la qualité de vos calculs mais nous nous interrogeons sur la manière de présenter les comptes de nos retraites.

Je rappelle l’attachement du groupe Les Démocrates à l’équilibre budgétaire, non pas du fait d’un quelconque fétichisme mais parce que nous avons une responsabilité envers les générations futures. Pourquoi obérer aujourd’hui le débat sur la possibilité de bénéficier demain d’un modèle social aussi généreux que celui que nous connaissons, fondé sur un système de répartition entre les générations ? Nous devons le préserver et le renforcer.

M. Paul Christophe (HOR). Monsieur le premier président, votre analyse confirme les perspectives financières du système de retraites, très dégradées et préoccupantes. Malgré les réformes successives, qui ont permis de rétablir temporairement l’équilibre financier du système, son déficit passerait de 6,6 milliards d’euros en 2025 à 15 milliards hors inflation en 2035, puis à 30 milliards en 2045. Cette situation s’explique notamment par la baisse du nombre de cotisants par retraité : 1,77 en 2025 puis 1,54 en 2045, alors qu’il y avait plus de 4 cotisants pour 1 retraité à la création du système par répartition. Cette tendance est contradictoire avec le principe même de la répartition, qui suppose que, pour chaque génération, les actifs financent les pensions des retraités, au même moment, sans reporter une partie du financement sur les générations suivantes.

Vous nous proposez plusieurs évolutions pour tenter de redresser la situation : un recul d’un an, de 64 ans à 65 ans, de l’âge d’ouverture des droits à la retraite, pour un bénéfice d’un peu moins de 18 milliards d’euros à l’horizon 2035 ; un allongement de 43 à 44 ans de la durée de cotisations, qui représenterait un gain de 9,7 milliards d’euros à l’horizon 2035 ; une hausse de 1 point des cotisations sociales, qui rapporterait entre 4,8 et 7,6 milliards d’euros ; une sous-indexation de 1 point des pensions par rapport à l’inflation, qui représenterait 2,9 milliards d’euros en 2025. De telles options, dont chacun peut apprécier facilement la popularité, ne doivent-elles pas nous imposer de revisiter un système par répartition, hérité de l’après-guerre, qui s’apparente de plus en plus à une pyramide de Ponzi, en le repensant à partir d’une nouvelle solution qui mixerait, pour l’ensemble des salariés, retraite par répartition, afin de conserver une solidarité, complémentaire obligatoire et capitalisation facultative ?

M. Stéphane Viry (LIOT). À mon tour de remercier M. le premier président de la Cour des comptes et Mmes et MM. les magistrats pour leur éclairage. C’est souvent au milieu d’un brouhaha que nous parlons des retraites ; or rien de tel cet après-midi, ce qui prouve, monsieur le premier président, que vous avez ramené une forme de sérénité grâce à la clarté de vos éléments financiers.

La commande était destinée aux partenaires sociaux, afin de leur donner des clefs pour parvenir à la sauvegarde de notre système par répartition et à un équilibre durable. Vos projections sont inquiétantes. Nous avons bien compris, en tant que parlementaires, qu’en l’absence de décisions le système va finir par s’écrouler. Le régime général se dirige vers une impasse, à terme. Les régimes des non-salariés et ceux par capitalisation obligatoires tiennent et sont même plutôt excédentaires. Le régime de la fonction publique territoriale et hospitalière est dans une situation critique mais pour la fonction publique, globalement, compte tenu de la pyramide des âges et de la démographie, cela devrait passer.

La situation des retraites contribue-t-elle au déficit public annuel ? Si oui, à quelle hauteur ? Le système par répartition est-il bien financé pour un tiers par l’impôt, ce qui est une entorse au pacte de 1945 ?

M. Yannick Monnet (GDR). Monsieur le premier président, nous accueillons favorablement le fait que la Cour des comptes a mis un coup d’arrêt définitif au mythe d’un déficit caché des retraites véhiculé par le Premier ministre. Nous constatons également que vos observations sur la dégradation du solde du système des retraites rejoignent globalement celles du COR. Toutefois, vous présentez vos conclusions un peu différemment, en montrant qu’il existe un besoin de financement croissant et durable, quand le COR avait affirmé que le solde du système de retraites s’expliquait autant, sinon plus, par une diminution des ressources affectées que par la dynamique des dépenses.

La formulation du COR avait le mérite de souligner que les dépenses de notre système de retraites ne sont ni extraordinaires ni exponentielles mais que les ressources qui lui sont affectées ont été taries. Dans ce cadre, le COR invitait à réaffecter les ressources nécessaires au système, sans qu’il soit besoin de le réformer drastiquement. Votre formulation, bien différente, laisse la porte ouverte à ceux qui veulent faire croire que le déficit de notre système est dû à des dépenses inappropriées. La Cour des comptes oriente donc le débat à venir vers une voie unique, celle d’une baisse des dépenses et d’un nouveau mode de financement, tant les besoins seraient exponentiels.

Ce parti pris nous semble également lisible dans le choix que vous avez fait de ne pas évoquer la hausse des salaires ou la remise en cause des exonérations de cotisations sociales parmi les leviers de financement. Dans le même ordre d’idées, nous constatons que, si vous considérez qu’une hausse du taux de cotisation serait préjudiciable pour l’économie, vous estimez que baisser le pouvoir d’achat des retraités, en remettant en cause l’indexation des dépenses de retraite sur l’inflation, n’aurait pas les mêmes effets, au motif très surprenant qu’ils seraient moins des consommateurs que des épargnants.

Enfin, ce rapport semble tenir pour acquis le choix du Gouvernement de se maintenir dans le cadre de la convention comptable dite équilibre permanent des régimes, ce qui lui permet de réduire sa participation au régime des retraites, contrairement à l’hypothèse de la convention dite effort de l’État constant, dans laquelle la contribution de l’État est constante. Le COR avait montré que, d’un état comptable à l’autre, le déficit prévu dans les vingt‑cinq prochaines années passait du simple au double, de 0,2 à 0,5 % du PIB. Si, en confiant cette étude à la Cour des comptes, le but était que les organisations syndicales et patronales puissent travailler sur la base de chiffres indiscutables, il nous semble que le rapport suit des orientations préalables discutables.

M. Olivier Fayssat (UDR). Monsieur le premier président, je vous remercie pour la qualité de ce rapport, la clarté de vos explications et la concision de votre présentation. Comme Paul Christophe et Justine Gruet, je regrette de ne pas avoir trouvé dans les leviers que vous avez envisagés la piste d’une part de capitalisation – vous avez seulement évoqué la question à un autre moment. En 2023, le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) dégageait une performance de 9,7 %. Avez-vous fait une simulation chiffrée intégrant une part de capitalisation ? Si vous avez écarté cette hypothèse, pour quelle raison ?

M. le premier président de la Cour des comptes. Je constate avec satisfaction l’approbation assez large de nos analyses, pour des raisons différentes : certains y trouvent la confirmation que tout va bien ; d’autres que la réforme a été formidable ; et d’autres encore qu’il faudrait faire plus. Cela prouve que le rapport est bien fait. Nos chiffres sont reconnus comme une base incontestable pour la discussion, ce qui était notre seule ambition.

Je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions, parce que la Cour n’était pas là pour penser à des solutions mais pour produire une analyse objective. Une négociation sociale doit suivre et vous ferez des choix en tant que représentants de la nation. Ce n’est pas que nous n’ayons pas une opinion, mais nous n’étions pas là pour la donner, ce qui est très bien. Sinon, nous aurions orienté les débats dans telle ou telle direction, ce que nous nous sommes soigneusement gardés de faire. Les leviers que nous avons présentés ont un impact direct ; d’autres sont plus spéculatifs. Nous aurons néanmoins l’occasion de revenir sur certains points dans un second rapport, prévu pour le 15 avril, qui traitera davantage des questions de finances publiques, de compétitivité et d’emploi et que je viendrai présenter tout aussi volontiers devant votre commission si cela vous intéresse. Prenez le présent rapport pour ce qu’il est : une mise à plat visant à établir une base de travail indiscutable.

Monsieur le rapporteur général, les pensions participent bien à la dette de l’État, comme pour toute dépense. S’agissant de l’Agirc-Arrco, ce sont en effet les mesures de régulation qui lui permettent de tenir l’équilibre. Nous ne sommes pas entrés dans le détail de la gouvernance car cela ne faisait pas partie de notre mission.

Monsieur Ménagé, les données relatives à l’emploi, à la compétitivité et à l’impact social relèvent de notre second rapport. Nous avons choisi d’étudier dans celui-ci des leviers communs à tous les régimes. Vous y trouverez aussi des considérations macroéconomiques. Néanmoins, je n’ai parlé dans ma présentation liminaire que des impacts sociaux car ils sont très normés – je ne dirais pas que les modèles économiques sont plus spéculatifs mais qu’ils sont davantage soumis à discussion.

L’impact d’une hausse de cotisations en matière d’emploi est évalué grâce à un modèle de la direction générale du Trésor. S’agissant des effets d’une sous-indexation des pensions, il est incontestable que les retraités ont une propension à consommer plus faible que les actifs – heureusement, d’une certaine façon. Tout cela doit être chiffré et nous y reviendrons dans le second rapport, plus macroéconomique et macrofinancier. Je réponds ainsi à Mme Rist, qui m’a interrogé sur les effets, potentiellement destructeurs ou constructeurs, en matière d’emploi.

Permettez-moi de sortir de mon rôle un instant. Le taux d’emploi est une variable essentielle. Si notre taux était comparable à celui des Pays-Bas ou de l’Allemagne, notre système de retraites serait effectivement dans une situation différente. Mais si ce n’est pas le cas, ce n’est pas tout à fait un hasard : ce n’est pas si facile à construire. Je constate que malgré d’incontestables efforts la croissance potentielle de la France reste désespérément scotchée à un régime moyen de 1 % du PIB. Il faut bien entendu améliorer la croissance et le taux d’emploi, mais gardons-nous de penser qu’agir sur des facteurs exogènes suffira à réduire le déficit. D’un point de vue financier, c’est illusoire car notre économie ne va pas se transformer d’un seul coup en tigre asiatique. Toucher aux mécanismes de dépenses ou de recettes est assez incontournable. Sinon, on s’engage dans une fuite en avant et on finit par constater que les déficits s’accumulent.

Monsieur Delaporte, le modèle allemand est très proche du nôtre, comme d’ailleurs les systèmes italien et espagnol. Il existe en Allemagne une dose de capitalisation, mais cela ne suffit pas à expliquer l’écart entre nos 14 % de PIB allant aux dépenses de retraite et les 10 % qui y sont consacrés en Allemagne. Faut-il nous rapprocher encore du modèle allemand en étant moins généreux ou maintenir le modèle social que nous avons choisi, même s’il est plus coûteux ? Chacun tirera de la comparaison les conclusions qu’il souhaite.

Monsieur Boyard, nous ne sommes que de modestes magistrats, des fonctionnaires : nous nous gardons d’avoir trop de pensées politiques et nous évitons toute idée complotiste. Nous avons réfléchi aux conséquences d’un abaissement ou d’un relèvement d’un an de l’âge de départ à la retraite, à 63 ou 65 ans : nous ne sommes pas restés au statu quo. Si nous avions étudié les conséquences d’un départ à 62 ans, il aurait fallu également estimer celles d’un départ à 66 ans, ce qui n’aurait pas manqué d’être perçu comme une provocation par ceux qui nous ont reproché de ne pas avoir étudié la première hypothèse. Reste que Mme Binet m’a interrogé à ce sujet dans le cadre des discussions avec les partenaires sociaux. Comme je le lui ai promis, nous lui avons donné des chiffes : le président Lejeune l’a fait le 27 février. Selon la Cour des comptes, un abaissement à 62 ans de l’âge du départ à la retraite coûterait 10,4 milliards d’euros, ce qui correspond approximativement au double du montant lié à un départ à 63 ans. Reconnaissez que ce n’est pas totalement négligeable. Il ne s’agit pas là d’un jugement de valeur de ma part : c’est une donnée pouvant servir de base de travail. Je note au passage que les chiffres que vous avez cités sont ceux de la Cour des comptes et non ceux du Gouvernement.

Madame Gruet, la Cour n’a pas étudié des modèles étrangers alternatifs. La commande ne portait que sur la situation actuelle du système et ses perspectives. Ce rapport piloté par la sixième chambre, chargée de la protection sociale, devait fournir une base de travail robuste aux partenaires sociaux. Le second rapport, qui relèvera davantage de la première chambre, chargée des sujets macroéconomiques et financiers, contiendra sans doute plus de comparaisons internationales.

Monsieur Ruffin, à chacun sa lecture du rapport. Néanmoins, gardons en tête que le déficit s’élèvera à 6,6 milliards d’euros en 2025 si la dernière réforme est maintenue. L’abroger coûterait 10 milliards de plus en 2030.

S’agissant du solde du régime de retraite des fonctionnaires, je tiens à être très clair. Il n’a jamais été question de désavouer, par ce rapport, le Premier ministre ou de confirmer les chiffres qu’il a donnés à la tribune. Quand on confie un rapport à une institution indépendante, comme la Cour des comptes, c’est pour qu’elle donne ses propres chiffres. Nous avons présenté objectivement les deux lectures possibles de la situation. Si vous ajoutez les 6,6 milliards d’euros du déficit actuel à la contribution de 45 milliards de l’État, vous aboutissez à un total qui n’est pas si éloigné des 55 milliards évoqués par le Premier ministre. Nous avons souligné les différences massives entre les deux systèmes. Surtout, qu’on retienne un chiffre ou l’autre, le problème est le même : il existe un déficit et la dette s’accumule. La question est dès lors de savoir comment on finance ce déficit, par la dette ou par les impôts.

Pour résumer, une des deux présentations semble créer un agrégat relatif aux retraites susceptible de conduire à des mécanismes de compensation entre les systèmes, idée qu’à peu près tout le monde rejette, tandis que l’autre présentation se place du point de vue des finances publiques de manière globale. La différence, d’ordre conventionnel, est importante mais le résultat est à peu près le même.

Je connais Jean-Pascal Beaufret depuis une petite quarantaine d’années. Son travail, de moine ou de croisé, est admirable mais il raconte parfois quelques salades. Il affirme, par exemple, n’avoir pas été entendu par la mission alors qu’il a été reçu pendant deux heures par le président Lejeune. Il aurait peut-être préféré une audition plénière. Quoi qu’il en soit, même s’il avait raison – ce dont je doute –, quelle serait la conclusion à en tirer ? Il me semble plus opérationnel de partir de l’analyse de la Cour. J’en ai parlé à plusieurs reprises avec le Premier ministre, qui a reconnu que c’était une base incontestable et que les chiffres qu’il avait présentés n’étaient pas contredits par ce que nous disions – nous les plaçons simplement dans une autre perspective.

Monsieur Viry, tous les déficits sociaux, et ceux des collectivités, participent au déficit public. Le fait que les dépenses de retraite sont aujourd’hui financées pour un tiers par d’autres ressources, comme l’affectation d’une fraction de la CSG et d’impôts, ne constitue pas une entorse au pacte social. C’est l’évolution de la part des dépenses de solidarité dans le cadre des régimes de retraite qui a entraîné la nécessité d’élargir l’assiette par un financement public, au-delà des seules cotisations sociales sur le travail. En outre, la contribution de l’État au financement du régime des fonctionnaires civils et militaires et des régimes spéciaux restera constante – il n’y a pas de dégradation en la matière.

La capitalisation n’entrait pas dans le champ du rapport, qui porte sur les leviers d’action directe. Au moment des négociations, d’autres paramètres, comme la compétitivité et l’emploi, seront introduits et c’est bien normal. J’en profite pour préciser que les chiffres que vous avez cités datent de 2023. Le COR a produit bien d’autres travaux depuis.

Nous avons retenu plusieurs hypothèses au sujet de la productivité et du taux de chômage. Certaines d’entre elles sont plutôt optimistes, puisqu’elles reposent sur le plein-emploi – un taux de chômage de seulement 5 % – et sur une amélioration de la productivité, qui s’élèverait à 1 %. Le taux de chômage a tendance à remonter légèrement et le taux de productivité n’a pas atteint 1 % depuis bien longtemps, mais il n’est pas interdit d’espérer. Néanmoins, ces hypothèses ne conduisent pas à des résultats très différents à l’horizon 2035. L’écart augmentera un peu par la suite, pour atteindre 7 milliards d’euros à l’horizon 2045, mais ce n’est pas pour autant la poule aux œufs d’or. On voit bien que les effets d’éventuelles évolutions macroéconomiques ne suffiront pas à résoudre les problèmes financiers, tant s’en faut.

M. le rapporteur général. Vous estimez à 38 milliards d’euros la part de la dette de la Cades relevant des régimes de retraite. Comment avez-vous obtenu ce résultat ?

M. Bernard Lejeune, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. C’est un calcul au pro rata.

M. Nicolas Fourrier, conseiller-maître, rapporteur général. La dette reprise par la Cades provenait principalement de la branche maladie et, pour une part plus limitée, de la branche retraite et du FSV. C’est cette dernière part qui, en 2023, représentait 38 milliards d’euros.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Merci pour cette nouvelle estimation du coût de l’abrogation de la réforme des retraites de 2023. Je reste toutefois surprise par votre choix de vous fonder sur un âge de départ à la retraite de 63 ans, plutôt que de 62 ans. Vous avez dit que vous ne vouliez pas heurter, qu’on aurait pu vous reprocher de choisir un âge arbitraire si vous aviez pris également 66 ans, mais 62 ans n’est pas une proposition sortie de notre chapeau : c’est la revendication d’un retour à la situation antérieure. Pourquoi ne pas avoir réalisé ce calcul ? Et pourquoi ne pas avoir estimé le coût de l’abrogation de la réforme dite « Touraine », c’est-à-dire le retour à quarante-deux annuités de cotisation ?

Vous avez estimé à 5,8 milliards le coût d’un gel de la dernière réforme à 63 ans. Nous avons estimé, en extrapolant, le coût d’un départ à la retraite à 62 ans avec quarante‑deux annuités à 15,5 milliards d’euros en 2035. Il faut trouver cette somme. Or, si votre rapport propose une analyse très précise en ce qui concerne l’âge de départ à la retraite et le niveau de vie des retraités – prétendument excellent –, seule la page 76 évoque l’idée d’une augmentation des recettes – pourtant nécessaire, vous en avez convenu – pour financer notre système de retraites. Et encore, vous vous en tenez à un constat alarmiste, puisque vous expliquez que l’augmentation des cotisations entraînerait la destruction d’emplois.

Il existe pourtant d’autres pistes : soumettre à l’impôt les revenus issus des primes, de l’intéressement et de la participation – ce qui, d’après la CGT, rapporterait 2,2 milliards d’euros –, aligner la fiscalité des produits d’épargne retraite sur celle des salaires – ce qui permettrait de dégager 6,4 milliards par an – et assurer l’égalité salariale entre les hommes et les femmes – ce qui rapporterait 3 milliards. Pourquoi ne pas avoir exploré ces pistes ?

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je ne reviens pas sur la satisfaction procurée par ce rapport, qui aide à remettre un peu les pieds sur terre après la comptabilité à caractère métaphysique de M. Bayrou sur ce sujet.

Vous avez qualifié votre rapport de base de travail « indiscutable ». Si c’est vrai pour plusieurs questions, je reste dubitatif sur les conclusions que vous tirez de la comparaison franco-allemande. Selon vous, la part de capitalisation du régime allemand – les plans d’épargne retraite Riester – n’explique pas la différence de 3,5 points de PIB entre les sommes consacrées par l’Allemagne et la France au financement de leurs régimes respectifs. Le numéro 184 de la revue de l’Observatoire français des conjonctures économiques – dont je recommande à tous la lecture – démontre au contraire que si l’on intègre l’ensemble des plans d’épargne retraite dans la comparaison, l’écart entre la France et l’Allemagne est inférieur à 1 point de PIB.

Vous avez également conclu que geler l’application de la dernière réforme à 63 ans entraînerait un écart de rendement des cotisations patronales et salariales d’environ 1,5 milliard d’euros. À mon grand étonnement, vos calculs portent aussi sur le rendement pour l’ensemble des finances publiques, et non uniquement pour les caisses de retraite. C’est un jeu de ping-pong un peu étonnant ! Il en résulte des effets de présentation assez étranges, qui ne sont pas sans conséquence sur les conclusions que l’on peut tirer.

D’après la page 76 du rapport – vous aurez noté qu’on apprécie beaucoup cette page, de ce côté de la salle, et qu’on aurait aimé qu’il y en ait davantage de ce type –, une augmentation de 1 point des cotisations patronales sur le salaire brut permettrait de stabiliser intégralement nos systèmes de retraite jusqu’en 2030. Pouvez-vous confirmer cette lecture du rapport ?

Pouvez-vous également me confirmer qu’un élargissement du régime général des cotisations aux primes dites Macron et aux plus-values tirées des ventes d’actions permettrait de financer l’abrogation de la réforme des retraites ? Ce serait une très bonne nouvelle pour les membres de la commission et le grand public.

M. Stéphane Vojetta (EPR). Je tiens à vous remercier pour votre rapport et notre débat dominical sur X. Comme tout le monde n’a pas le plaisir de nous y suivre, je me permets de prolonger ici mon interpellation.

Même si vous la qualifiez de conventionnelle, la présentation actuelle des données publiques sur le système des retraites – notamment du léger excédent pour 2023 – fausse la compréhension de la réalité de nos finances publiques. Les régimes de retraite des fonctionnaires, équilibrés par l’État employeur, ne pourraient jamais, par définition, être en déficit : c’est absurde mais c’est vrai, en application d’une convention. Reconnaissons tout de même que cet équilibre se fait au prix de surcotisations payées par les ministères avec l’argent du contribuable et, quand celui-ci s’épuise, par le déficit et la dette publique, qui a récemment augmenté de 500 milliards d’euros. C’est une partie de la facture que nous laissons à nos enfants et à nos petits-enfants.

Par ailleurs, bien que nous votions des budgets en hausse pour les ministères, leurs dépenses de fonctionnement se trouvent réduites en raison des dépenses de retraite qui sont prélevées, ce qui mène à la paupérisation de nos enseignants et de nos soignants et à la faiblesse de notre armée. Ainsi, alors que le budget de l’éducation nationale sera en hausse en 2025, les dépenses d’éducation baisseront en valeur absolue. En matière de défense, contrairement à ce que l’on nous dit, le budget n’est pas de 2,1 % du PIB, mais seulement, une fois retiré le coût des pensions des militaires, de 1,5 %.

Ne pas énoncer haut et fort ces réalités, c’est accepter un déficit démocratique en ne reconnaissant pas un déficit comptable. Une présentation transparente de la part des retraites dans le déficit consolidé de l’État serait nécessaire pour que chaque citoyen, chaque parlementaire puisse faire des choix éclairés. Les solutions – vous en avez mentionné quelques-unes – seront difficiles à accepter et elles pourraient remettre en cause la générosité relative de notre système, mais refuser de reconnaître le problème ne sera jamais une réponse adéquate.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Merci pour ce rapport, qui servira de base au conclave des partenaires sociaux voulu par le Premier ministre. Il dresse un état des lieux et des projections des déficits à vingt ans de nos régimes de retraite différent de celui présenté à l’époque par le COR, qui se fondait sur des dépenses stables et sous-estimait la baisse des ressources liée à la démographie et au taux d’emploi.

Votre rapport confirme nos préoccupations concernant le financement de notre système de retraites. Si les chiffres que vous avancez rassurent certains collègues de gauche, ils nous semblent, pour notre part, vertigineux : vous parlez d’un déficit de 30 milliards d’euros dans vingt ans !

Sans remettre en question votre diagnostic financier, je souhaite vous interroger sur votre approche des régimes des fonctionnaires. Je sais qu’il existe des différences entre les régimes publics et privés – départs anticipés, assiettes de cotisations, dépenses de solidarité, cotisations employeurs –, mais s’il est impossible de comparer les systèmes alors qu’ils rencontrent le même problème, comme vous l’avez affirmé, comment les évaluer et les réformer ?

S’agissant des retraites des fonctionnaires civils, militaires, hospitaliers et des collectivités locales, je ne crois pas que l’on puisse parler de déficits cachés. Mais leur financement par convention – et par l’impôt, comme cela a été rappelé –, manque de transparence. Ne pensez-vous pas qu’il est urgent d’être plus transparent sur le coût réel de ces régimes, afin de les faire évoluer et de garantir un système plus juste ? Peut-être faudrait-il réfléchir à un système à points, comme nous avions commencé à le faire il y a sept ans.

M. Joël Aviragnet (SOC). Alors que votre rapport pointe les effets très modestes de la dernière réforme des retraites sur l’équilibre global du système, vous n’avez exploré que quatre paramètres essentiels – âge de départ à la retraite, durée de cotisation, augmentation des cotisations sociales et indexation des retraites sur l’inflation. Chacune de ces évolutions nous semblerait particulièrement injuste socialement, mais nous sommes conscients de la nécessité d’assurer l’équilibre du système de retraites, donc de trouver des pistes d’économies. Que pensez-vous des exemptions de cotisations sociales sur de nombreux compléments de salaire, tels que les dividendes, l’intéressement et la participation, qui concernent surtout les ménages les plus favorisés ?

M. Charles de Courson (LIOT). Pourriez-vous nous donner un ordre de grandeur des conséquences des économies sur les autres branches de la sécurité sociale ? II se dit que 20 à 25 % des économies réalisées seraient annulées par l’augmentation du RSA, des divers régimes de couverture sociale et même de certaines dépenses d’assurance maladie.

Je souscris globalement à vos analyses, à l’exception de celle portant sur le régime des fonctionnaires civils et militaires. « Des conventions de présentation sans effet sur le solde des finances publiques », titrez-vous page 37 : ce n’est pas vrai. Une rétropolation montre que la contribution dite d’équilibre est passée de 55,7 milliards d’euros en 2021 à 65,1 milliards en 2025, soit une dérive de près de 2 milliards par an, financée par le déficit de l’État. La Cour des comptes préconise la création d’une caisse de protection sociale, à l’image de ce qui a été fait avec la CNRACL. C’était aussi ma position à l’époque, mais les arbitrages ont été favorables à un CAS.

Certes, comme vous le soulignez, « la contribution de l’État mêle à la fois une cotisation similaire à celle des employeurs dans le régime général, le financement de dépenses non contributives (qui ne sont pas couvertes par les cotisations dans le régime général) », etc. Mais pourquoi ne pas isoler ces éléments pour mettre en évidence les spécificités du régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires par rapport au régime général et le financement implicite du surcoût considérable, qui tient essentiellement aux départs anticipés ? Une telle évolution permettrait d’éclairer le débat. La Cour pourrait‑elle réexaminer ce sujet ? Je rappelle que 40 % des agents de la fonction publique d’État ont recours au dispositif des départs anticipés : 21 % au titre des catégories actives, 10 % au titre des carrières longues, 6 % au titre de la pénibilité et 3 % pour motifs familiaux. Notre collègue du Sénat Vincent Delahaye s’y était intéressé : il avait estimé que les seuls départs anticipés représentaient environ 13 des 41 milliards d’euros de contribution de l’État – je passe sur le détail des calculs pour arriver à ce dernier chiffre. Nous devons savoir d’où vient le très important taux de cotisation implicite et s’il est encore justifié.

Mme Josiane Corneloup (DR). Je m’associe aux remerciements qui vous ont été adressés pour vos travaux. L’indispensable état des lieux que vous nous avez présenté corrobore l’analyse du COR. Si les conclusions de la mission « flash » de la Cour des comptes sur la santé financière des caisses de retraite ne sont pas aussi alarmistes que les affirmations du Premier ministre, qui évaluait le déficit de notre système par répartition à 55 milliards d’euros, elles n’en restent pas moins préoccupantes. La dégradation constante des comptes de la branche vieillesse se traduirait par un déficit qui pourrait, selon l’institution que vous présidez, osciller entre 14 milliards en 2035 et 25 à 32 milliards en 2045.

La réforme des retraites de 2023 n’ayant pas résolu la question du déficit structurel du régime par répartition, vous avez étudié quatre leviers. Certes, la Cour ne formule pas de recommandations mais il serait opportun d’avoir une projection concernant un éventuel élargissement de la retraite complémentaire par capitalisation – qui existe déjà pour les fonctionnaires et leurs conjoints – à l’ensemble des salariés, voire un élargissement de l’assiette de cotisation. Avec en moyenne 600 heures annuelles de travail – contre 700 en Allemagne et 800 aux États-Unis –, les Français ont le temps de travail par habitant le plus bas des pays développés. Plutôt que de travailler deux ou trois ans de plus, ne pourrait-on réfléchir à une durée de travail hebdomadaire un peu plus longue, tout au long de la carrière ?

Par ailleurs, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a proposé un allongement d’une heure de la durée de travail hebdomadaire. Cette heure de travail ne serait pas payée directement mais, suivant la logique d’une retraite par capitalisation, permettrait d’abonder un compte individuel afin que les salariés, une fois à la retraite, bénéficient d’un complément. Que pensez-vous de cette proposition ?

Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). Votre rapport souligne qu’après un excédent en 2023, le système de retraites devrait de nouveau être déficitaire dès 2025, et durablement, puisque vous prévoyez un déficit de 30 milliards d’euros en 2045.

Vous insistez sur la nécessité d’une concertation entre les partenaires sociaux pour identifier des solutions à même de garantir la soutenabilité du système tout en préservant un équilibre entre les générations. Dans ce cadre, plusieurs leviers sont envisagés, comme l’âge de départ, la durée de cotisation ou l’évolution des ressources. Certains pays européens ont choisi d’introduire une part de capitalisation obligatoire dans leur modèle : la Cour a-t-elle étudié cette option et, le cas échéant, dans quelle mesure pourrait-elle contribuer à la pérennité de notre système ?

M. François Gernigon (HOR). Cela fait longtemps que le rapport entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités se dégrade. Quel effort financier cette situation a-t-elle impliqué pour l’État au cours des vingt dernières années ? Il faut prendre conscience qu’il s’agit d’argent public, financé par du déficit et de l’emprunt, et que ces montants pourraient servir à financer d’autres politiques. Nous aurions dû comprendre beaucoup plus tôt que le financement des retraites était problématique.

M. Jérôme Guedj (SOC). Que pensez-vous du niveau des réserves des régimes de retraite par répartition obligatoires tels que l’Agirc-Arrco, l’Ircantec ou les régimes des professions libérales et des indépendants, qui atteignent près de 7,5 points de PIB et excèdent les obligations réglementaires en matière de fonds de roulement ? Par ailleurs, les 21 ou 22 milliards d’euros du FRR constituent-ils une réserve mobilisable, directement ou indirectement ?

S’agissant des exemptions de cotisations, la Cour des comptes a publié en mai 2024, au moment de l’examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, un rapport très stimulant qui évaluait à 85 milliards d’euros les compléments de salaire non soumis à cotisations. Est-ce une piste à explorer ?

M. le premier président de la Cour des comptes. Je suis contraint de vous redire que je ne peux pas avoir réponse à tout : le rapport fait suite à une commande précise, qui était d’apporter aux partenaires sociaux une base de travail indiscutable. À cet égard, la mission a sans doute été accomplie.

Madame Amiot, j’ai l’impression qu’on nous fait un procès d’intention. Nous n’étions pas là pour tester les réformes proposées par les uns ou les autres : il s’agissait de présenter la situation et les perspectives du système, pas de formuler des préconisations. Je pense d’ailleurs que notre rapport aurait été critiqué, à juste titre, si nous nous étions aventurés sur ce terrain. J’ai déjà expliqué pourquoi nous avons choisi de nous en tenir à une variation d’un an, dans un sens ou dans l’autre, par rapport à la situation actuelle. Néanmoins, Mme Binet nous a demandé des chiffres dans le cadre des discussions et nous les lui avons fournis.

La question de l’augmentation des cotisations sera davantage abordée dans le second rapport. Je reste prudent dès qu’il s’agit d’utiliser des modèles macroéconomiques. Cela étant, il y aura fatalement un effet sur l’économie et il ne sera pas positif. Les autres pistes de taxation n’ont pas été retenues puisqu’elles concernent des ressources d’État et non des recettes de sécurité sociale.

La comparaison entre l’Allemagne et la France sera développée dans le second rapport. Je maintiens qu’elle est significative.

1 point de cotisations patronales représente entre 4,8 et 6,2 milliards d’euros. Le périmètre pourrait être élargi mais j’ai cru comprendre ce n’était pas l’hypothèse privilégiée par tous les partenaires sociaux – je pense, par exemple, à la CPME et au Mouvement des entreprises de France. Sur cette question, chacun tirera les conclusions qu’il souhaite.

Monsieur Vojetta, personne ne sait très bien définir ce qu’on appelle une surcotisation, terme que je ne reprends pas à mon compte car, à mon sens, ce n’est pas une bonne formulation. Il ne s’agit pas d’une surcotisation mais d’une subvention d’équilibre.

La Cour des comptes reprend en revanche, ce qui est assez naturel, les conventions existantes, qu’elles émanent de la Commission des comptes de la sécurité sociale ou de la loi organique relative aux lois de finances. Vous êtes libres, en tant que législateurs, d’apporter les modifications que vous souhaitez.

S’agissant du choix entre un CAS et une caisse, la Cour des comptes était plutôt favorable à la seconde solution car un CAS ne rend pas compte de toutes les dimensions de la question. Certains s’appuient sur une convention faisant référence aux taux du privé et d’autres arrivent à démontrer une équivalence entre le privé et le public.

Le rapport contient tout de même des chiffres : on ne part pas de rien. Les 45 milliards d’euros sont là. C’est la première fois qu’un tel chiffre figure dans un rapport public sur les retraites. Par ailleurs, une augmentation n’est pas prévue en la matière d’ici à 2045. La démographie et le niveau de traitement des fonctionnaires de l’État, des fonctionnaires civils, contribuent à une relative stabilité. Nous ne pensons donc pas qu’il y ait là un facteur explosif pour la suite. Comment traiter la question ? Le Premier ministre a évoqué une discussion à part pour la réforme des retraites des fonctionnaires. En tout état de cause, notre commande n’abordait pas ce point.

Monsieur Isaac-Sibille, s’agissant des retraites des fonctionnaires, il s’agirait de faire évoluer le système comme s’il s’agissait d’une caisse, avec des taux de remplacement et de cotisation.

Monsieur Aviragnet, le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en 2024 a traité des exemptions de cotisations.

Monsieur de Courson, la Cour avait en effet préconisé la création d’une caisse de retraite des fonctionnaires, ce qui permettrait de répondre à la question de la transparence, que je ne néglige pas. Cela étant, il n’est pas simple d’identifier pour chaque euro les montants dépensés par l’État à des fins de solidarité ou d’équilibre, en raisonnant par employeur. Cela ne pouvait pas sérieusement être fait en trois semaines. Je pense que la sixième chambre a pris la mesure du défi et sera tentée de revenir sur la question. En toute hypothèse, et je m’adresse au rapporteur général de la commission des finances que vous êtes, il existe bien in fine un déficit des finances publiques de l’État, que l’on doit financer par la dette ou encore l’impôt. La contribution versée par l’État concourt au déficit, mais il faudrait entrer davantage dans les détails.

Madame Corneloup, s’agissant du temps de travail, les données que vous citez n’incluent pas le temps partiel. S’il est pris en compte, nous travaillons, en réalité, plus qu’en Allemagne.

Par ailleurs, la capitalisation n’entrait pas dans le cadre de la commande.

Monsieur Guedj, les réserves des régimes complémentaires se situaient au niveau prudentiel de six mois en 2023, mais elles augmentent de manière tendancielle. L’évolution dépendra notamment de la décision des syndicats.

Nous n’avons pas traité de la question du FRR mais, en tout état de cause, je ne suis pas certain que l’on ait vraiment créé ce fonds – je crois que j’étais ministre à l’époque – pour les usages que certains envisagent aujourd’hui.

M. le président Frédéric Valletoux. Monsieur le premier président, messieurs les magistrats, merci d’avoir présenté votre rapport et d’avoir répondu à l’ensemble des questions. Notre discussion était particulièrement utile dans la perspective de futurs travaux.

 

La réunion s’achève à dix-huit heures vingt-cinq.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Christophe Bentz, M. Louis Boyard, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, Mme Camille Galliard-Minier, M. François Gernigon, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. René Lioret, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Sébastien Peytavie, Mme Stéphanie Rist, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, M. Didier Le Gac, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon, M.Philippe Vigier

Assistaient également à la réunion.  M. Jean-Pierre Bataille, M. Charles de Courson, M. Arthur Delaporte, Mme Stella Dupont, M. Emmanuel Mandon, M. François Ruffin, M. Stéphane Vojetta