Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi relative à l’organisation et aux missions des personnels de santé professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours (n° 994) (M. Jean Carles Grelier, rapporteur) 2
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant (n° 998) (Mme Anne Bergantz, rapporteure) 3
– Examen de la proposition de loi visant à simplifier l’ouverture des débits de boisson en zone rurale (n° 904 rect.) (M. Guillaume Kasbarian, rapporteur) 3
– Examen de la proposition de loi sur la profession d’infirmier (n° 654) (Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure) 24
– Informations relatives à la commission......................41
– Présences en réunion.................................42
Mercredi
5 mars 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 49
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
— 1 —
La réunion commence à neuf heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
La commission procède à l’examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi portant création du cadre d’emploi des personnels de santé des services d’incendie et de secours (n° 994) (M. Jean-Carles Grelier, rapporteur).
La commission a accepté les amendements figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° |
N° Id |
Auteur |
Groupe |
Place |
69 |
|
Gouvernement |
|
1er |
19 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
1er |
75 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
1er |
59 |
|
M. MONNET Yannick |
GDR |
1er |
20 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
1er |
2 |
|
Mme PANTEL Sophie |
SOC |
2 |
21 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
2 |
70 |
|
Gouvernement |
|
2 |
39 |
|
M. RANCOULE Julien |
RN |
2 |
44 |
|
M. RANCOULE Julien |
RN |
2 bis |
16 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
2 bis |
42 |
|
M. RANCOULE Julien |
RN |
2 bis |
17 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
3 |
71 |
|
Gouvernement |
|
3 |
23 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
3 |
46 |
X |
M. RANCOULE Julien |
RN |
3 |
72 |
46 |
Gouvernement |
|
3 |
74 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
6 |
18 |
|
M. GRELIER Jean-Carles |
Dem |
6 |
50 |
|
M. RANCOULE Julien |
RN |
7 bis |
13 |
|
Mme LEBOUCHER Élise |
LFI-NFP |
Ap. 7 bis |
61 |
|
M. MONNET Yannick |
GDR |
Ap. 7 bis |
73 |
|
Gouvernement |
|
Titre |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission procède ensuite à l’examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant (n° 998) (M. Jean‑Carles Grelier, suppléant Mme Anne Bergantz, rapporteure).
La commission a accepté l’amendement figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° |
Auteur |
Groupe |
Place |
3 |
Mme RANC Angélique |
RN |
1er bis |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission en vient à l’examen de la proposition de loi visant à simplifier l’ouverture des débits de boisson en zone rurale (n° 904 rect.) (M. Guillaume Kasbarian, rapporteur)
M. Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cette courte proposition de loi, qui tient en un unique article de simplification, est attendue tant par les élus que par les acteurs économiques du secteur et par nos concitoyens.
Alors qu’il s’élevait à près de 500 000 au début du siècle dernier, le nombre de débits de boissons n’a eu de cesse de diminuer au cours du temps, d’abord sous l’effet des politiques publiques de lutte contre l’alcoolisme, dès 1915, puis pour des raisons autres que sanitaires dans la seconde moitié du XXe siècle. Ils n’étaient plus que 35 000 en 2020 contre près de 200 000 il y a cinquante ans. Près de deux tiers des communes rurales n’ont aucun commerce, contre un quart en 1980 – et elles sont plus nombreuses encore à n’avoir ni bistrot ni café.
Certains s’accommodent de cette disparition progressive mais je ne m’y résous pas ; je pense au contraire qu’elle est problématique. Pourquoi ? Premièrement, les bistrots et les cafés sont des acteurs économiques importants dans les zones rurales ; pourvoyeurs d’emplois dans les domaines de la restauration, de la gestion ou des services, ils favorisent par leur rôle de pivot la création d’autres activités économiques.
Deuxièmement, ce sont des acteurs essentiels du lien social. Le sentiment d’isolement croît chez nos concitoyens, en particulier dans le milieu rural et parmi les jeunes. Selon le Conseil d’analyse économique, « c’est la perte des lieux de socialisation qui semble participer au mal-être des territoires ».
Troisièmement, les bistrots et cafés appartiennent à notre patrimoine car ils incarnent une partie de l’art de vivre à la française – j’en veux pour preuve le fait qu’ils nous ont manqué pendant les confinements successifs de 2020 et 2021.
S’ils ne semblent pas menacés de dévitalisation en ville, ils disparaissent peu à peu des zones rurales. Il nous appartient d’apporter des solutions concrètes à nos concitoyens qui y vivent, pour que le plaisir de boire un verre au comptoir d’un café ne soit pas un privilège réservé au milieu urbain ; pour ne pas opposer, en somme, la France des villes à la France des villages.
La commission des affaires sociales est naturellement sensible à l’enjeu de la santé publique. Nous connaissons tous les effets délétères sur la santé de l’abus d’alcool, mais je suis convaincu que les bistrots et les cafés ne constituent pas un problème sanitaire ; ils sont au contraire des acteurs de la santé publique formés et responsables.
Que l’on considère le volume global des ventes ou la consommation moyenne des femmes comme des hommes, la consommation d’alcool baisse de manière tendancielle depuis les années 1960 – c’est heureux. Toutefois, les alcoolisations ponctuelles importantes – plus de six verres standards en une seule occasion – augmentent en moyenne, en particulier chez les femmes et les jeunes. Or ce phénomène ne concerne que marginalement les bistrots et cafés, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les prix pratiqués y sont quatre à dix-huit fois supérieurs à ceux de la grande distribution, ce qui incite peu à l’excès. Ensuite, l’alcool est très majoritairement vendu en supermarché et consommé à domicile ; 10 % seulement des spiritueux en France sont vendus dans les bars, restaurants et hôtels, contre 80 % dans la grande distribution. Enfin, contrairement à la consommation à domicile, les verres servis dans les bistrots et les cafés correspondent à une dose réglementaire contenant la même quantité d’alcool pur quel que soit le produit – un verre de vin équivaut à un verre de bière ou à un verre de pastis.
Par ailleurs, de nombreuses dispositions du code de la santé publique encadrent les pratiques des bars et des restaurants, notamment en matière de formation. D’après la Société française de santé publique (SFSP), la consommation d’alcool dans les débits de boissons présente la particularité de pouvoir être régulée par le gérant, qui exerce une responsabilité déléguée par l’État d’encadrement de la consommation.
Néanmoins, le cadre législatif, ancien et parfois obsolète, présente des difficultés pour les bistrots et cafés. Il est peu ou mal suivi et évalué par les ministères, qu’il s’agisse de la santé, de l’économie ou de l’intérieur. La législation interdit par principe l’ouverture de nouveaux débits de boissons disposant d’une licence IV, c’est-à-dire où la consommation sur place de boissons de quatrième catégorie est autorisée. Autrement dit, ouvrir un tel établissement est souvent un chemin de croix : il faut d’abord trouver une licence disponible dans le même département ou un département limitrophe, ce qui est rare voire impossible – à moins d’une faillite –, mais il faut aussi avoir les moyens de l’acheter, à un prix pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, y compris en zone rurale. Ces entraves nuisent au modèle économique des bistrots et cafés ruraux en projet, dont beaucoup sont en suspens. La licence IV est essentielle parce qu’elle permet de diversifier les produits et services proposés et de vendre aussi bien des boissons chaudes ou rafraîchissantes que des boissons alcooliques titrant plus ou moins 18 degrés.
Pour ces raisons, l’article unique de la proposition de loi vise à autoriser, par dérogation à l’article L.3332-2 du code de la santé publique, l’ouverture d’un établissement de quatrième catégorie dans les communes de moins de 3 500 habitants qui en sont dépourvues, après le dépôt d’une déclaration à la mairie. Cette disposition simple figurait déjà dans la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, qui prévoyait une telle dérogation pour trois ans seulement. C’était juste avant la pandémie de covid et les confinements successifs, et, malgré l’accompagnement du Groupe SOS avec le programme 1000 cafés, la France rurale n’a pas connu de vague d’ouvertures de nouveaux établissements. Dans un contexte de désertification rurale, les cafés ainsi créés ont adopté un modèle économique reposant sur une gamme variée de services pour répondre aux attentes de tous les habitants et multiplier les motifs de fréquentation : jeux de société, fléchettes, billard, vente de boissons alcooliques ou non, jeux de grattage, mais aussi vente de la presse régionale et de produits d’épicerie locaux.
Tel est donc l’objectif de la proposition de loi : simplifier la vie des futurs gérantes et gérants de bistrots et cafés en milieu rural et celle des élus qui se battent pour revitaliser leur territoire, et renforcer le lien social que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. René Lioret (RN). En l’espace d’une soixantaine d’années, le nombre de débits de boissons a été divisé par six. Survenant le plus souvent en zone rurale, ces fermetures ont accompagné celles des entreprises et des commerces, mais aussi la disparition des services publics, la fermeture de classes et même d’écoles ; elles n’ont fait qu’accentuer l’abandon bien réel des milieux ruraux au profit de la métropolisation.
Dans la loi du 27 décembre 2019, une dérogation avait été octroyée pour trois ans, permettant l’obtention de nouvelles licences IV dans les communes de moins de 3 500 habitants qui n’en disposaient pas. Le groupe Rassemblement National souscrit pleinement à l’objectif de pérennisation de cette dérogation ; les bistrots et cafés de campagne sont les derniers lieux de vie, d’échange et de convivialité, sans parler des services qu’ils fournissent à la population – dépôt de pain et de journaux, réception de colis, petite restauration, voire menu ouvrier en semaine.
Toutefois, nous nous interrogeons sur le peu d’effets de cette dérogation : en trois ans, à peine une centaine de débits de boissons ont ouvert. Il y a tout lieu de penser que les conséquences de l’épidémie de covid ont constitué un frein important mais, outre le coût très variable des licences IV selon les départements, d’autres facteurs expliquent cet échec, notamment la difficulté pour un éventuel acquéreur de s’adapter à une activité qui est très différente en milieu rural de ce qu’elle est en ville.
Pour accroître les chances de succès du texte, nous avons déposé trois amendements. Deux d’entre eux ont été déclarés irrecevables : l’un visait à créer un programme d’accompagnement spécifique pour les porteurs de projets en zone rurale, l’autre à créer un label reconnaissant l’apport économique, social et culturel des débits de boissons dans les territoires ruraux. Le troisième, que je défendrai, vise la création d’un module de formation propre à la ruralité, en plus de la formation existante.
Mme Christine Le Nabour (EPR). La disparition progressive des cafés et des bistrots en zone rurale est réelle : en 1960, la France en comptait 200 000, contre moins de 40 000 aujourd’hui. Dans certaines communes, il n’existe tout simplement plus aucun lieu où se retrouver, échanger et faire vivre la convivialité locale. L’une des causes de cette érosion résulte de notre réglementation : l’ouverture d’un débit de boissons de catégorie IV est particulièrement contrainte, en raison de la complexité et du coût des transferts de licence.
L’expérimentation menée entre 2019 et 2022 a pourtant montré qu’un assouplissement ciblé peut favoriser la redynamisation des territoires. Le présent texte vise à pérenniser cette avancée en permettant aux communes de moins de 3 500 habitants qui ne disposent pas déjà d’un débit de boissons d’obtenir une licence IV.
En ce qui concerne l’enjeu de santé publique, rappelons que la consommation d’alcool ne se limite pas aux établissements dédiés et qu’il est possible d’acheter de l’alcool à tout moment en ligne ou en grande surface. Assouplir la réglementation pour favoriser l’activité locale plutôt que laisser la place aux grandes surfaces et aux plateformes numériques est une mesure juste, qui profite à la fois à l’économie et au lien social. Par ailleurs, cette proposition de loi conserve les garde-fous prévus dans la loi de 2019 : seules les communes sans débit de boissons et sans licence IV sont concernées.
Je regrette que deux de nos amendements aient été jugés irrecevables : le premier visait à clarifier la réglementation relative aux dégustations dans les lieux de production, afin que les producteurs puissent faire découvrir leurs produits sans être soumis aux mêmes contraintes qu’un débit de boissons classique ; le second avait pour but de simplifier la catégorisation des alcools dans le code de santé publique, afin de rendre la réglementation plus cohérente et plus lisible.
En tout état de cause, ce texte apporte une solution concrète à un problème réel et favorise la convivialité dans nos territoires. Le groupe Ensemble pour la République le soutiendra avec conviction.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). 6 000 médecins manquent dans nos campagnes, 62 % des communes n’ont plus de commerce et un bureau de poste ferme chaque semaine, mais vous voulez qu’on boive pour oublier votre bilan !
L’enjeu est pourtant réel : le nombre de débits de boissons a été divisé par cinq en un demi-siècle. Avec ce texte, il suffirait, dans les communes de moins de 3 500 habitants, d’une autorisation du maire pour ouvrir un établissement de quatrième catégorie, c’est-à-dire autorisant la distribution d’alcools forts. Où est le piège ? En Macronie, on se pose nécessairement la question. Le piège, c’est l’autorisation de la vente et du rachat libre des licences. Prenons un exemple dans votre circonscription, monsieur Kasbarian : admettons qu’un bistrot ouvert à Barjouville ferme malheureusement quelque temps plus tard, sa licence sera rachetée à Chartres au prix fort, et nous reviendrons à la case départ.
C’est pourquoi l’un de nos amendements vise à interdire le transfert des licences IV des petites communes vers les plus grandes – nous avons retenu le seuil de 5 000 habitants, qui peut être débattu –, afin d’empêcher l’ubérisation des bistrots et de maintenir leur ouverture dans les toutes petites communes. Son adoption conditionne le soutien du groupe La France insoumise à ce texte.
Ce n’est pas la première fois que vous lancez un projet de ce type – ne croyez pas que nous avons une mémoire de poisson rouge. En 2019, c’était le programme 1000 cafés. Résultat : 70 ouvertures de cafés, chapeau les artistes ! Dans le même temps, le ministère de la santé, aux mains des macronistes, a successivement annulé deux campagnes de prévention contre les dangers de l’alcool programmées par Santé publique France.
Cessez de jouer les Margaret Thatcher de la bouteille en prétendant tout régler par des logiques de marché ! La difficulté à ouvrir des cafés et bistrots tient avant tout à l’absence, dans les communes, de services publics, de clubs sportifs et d’institutions culturelles, qui permettent de les remplir, car c’est après un événement collectif – la signature d’une pétition en faveur de votre censure, par exemple – que les gens se rassemblent et les font vivre ! Quoi qu’il en soit, j’espère que nous pourrons améliorer ce texte, au bénéfice des plus petites communes.
M. Gérard Leseul (SOC). Non seulement le projet de loi de simplification de la vie économique, que l’Assemblée examinera prochainement, devait dénouer cette situation, mais la mesure de dérégulation que vous proposez pose problème, puisqu’elle va à l’encontre du code de la santé publique protégeant la population contre la consommation d’alcool. Le groupe Socialistes et apparentés insiste sur la nécessité d’en mesurer les incidences en matière de santé publique, mais aussi de permettre l’animation de la vie rurale. En l’absence d’étude d’impact, la généralisation de cette expérimentation est problématique. Nous ne pouvons ignorer les 49 000 décès et le coût social de 102 milliards d’euros résultant chaque année de la consommation d’alcool.
Néanmoins, nous devons garder à l’esprit que l’ouverture de ce type d’établissements crée de nouveaux lieux de sociabilité, notamment en milieu rural, ce qui contribue à la revitalisation des communes.
Cette proposition de loi soulève trois questions. Tout d’abord, une licence IV n’est peut-être pas indispensable pour revitaliser les communes rurales ; nous pourrons en débattre. Ensuite, nous nous interrogeons sur la disposition générale consistant à ouvrir des débits de boissons dans les communes de moins de 3 500 habitants et proposons de limiter ces autorisations aux communes rurales telles que définies par le code général des collectivités territoriales. Enfin, il faut absolument privilégier la cession des licences au sein non pas du département mais de l’intercommunalité, dans des communes de même taille.
Nous espérons donc que la discussion permettra d’éclaircir certains points et de limiter les dispositions proposées.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Le nombre de cafés et de bistrots est passé de 200 000 en 1960 à 38 800 en 2023. Ces fermetures sont la conséquence, et parfois la cause, de la dévitalisation des petites communes rurales. Lorsque les élus veulent rouvrir un café pour revitaliser un bourg, ils se heurtent au code de la santé publique qui interdit, en dehors de certaines dérogations pour les manifestations, l’octroi de nouvelles licences IV pourtant nécessaires.
Cette proposition de loi vise à pérenniser une expérimentation prévue dans la loi du 27 décembre 2019, qui a permis, pendant une durée limitée de trois ans, d’attribuer de nouvelles licences IV dans les communes de moins de 3 500 habitants n’en disposant pas déjà. Ces licences ne pouvaient être transférées en dehors de l’intercommunalité.
Le projet de loi de simplification de la vie économique, adopté par le Sénat en avril 2024, prévoyait le renouvellement de cette expérimentation pour une durée de trois ans, mais la dissolution ne nous a pas permis de l’examiner.
Le groupe Droite Républicaine soutient toutes les initiatives visant à revitaliser les zones rurales, ce que permettent les cafés, souvent les derniers commerces multiservices, indispensables au lien social. Ce texte n’encourage pas la consommation d’alcool et n’est pas incompatible avec l’objectif de santé publique auquel nous sommes attachés, puisqu’il concerne uniquement les communes de moins de 3 500 habitants dépourvues de licence IV. Le principe de transférabilité au sein d’un même département semble suffisant, car le découpage administratif des établissements public de coopération intercommunale n’est pas toujours pertinent. Notre groupe votera pour cette proposition de loi.
Mme Marie Pochon (EcoS). Des 200 000 cafés et bistrots qui animaient nos villages dans les années 1960, il en reste tout au plus 39 000. Un tiers de la population vit pourtant dans les zones rurales, qui représentent 88 % du territoire, mais parce qu’on travaille de plus en plus loin du domicile, la voiture individuelle progresse, et parce que le profit prime sur l’humain, les commerces de nombreuses petites communes ferment jusqu’au dernier au profit de vastes zones commerciales et d’entrepôts de méga-plateformes de vente en ligne à l’entrée des agglomérations. En quelques années seulement, ces évolutions ont bouleversé nos modes de vie et nos paysages. Les causes en sont nombreuses et la difficulté d’ouvrir et de maintenir des lieux de sociabilité et de vie dans les communes rurales y contribue sans nul doute. En 2019 déjà, une dérogation de trois ans avait permis à des cafés associatifs et privés, dans certaines communes, d’obtenir à nouveau des licences de quatrième catégorie, mais cette expérimentation n’a malheureusement pas été évaluée.
Plus que de simples espaces de consommation, las bistrots et cafés sont des espaces de vie, de rencontre et d’échange, des points de ralliement où les liens se tissent et où la solidarité s’organise. Lorsqu’ils disparaissent, c’est un peu de notre tissu social qui s’étiole.
Il est temps d’accompagner les projets qui, à petite échelle, à l’heure du chacun pour soi et de l’individualisme, luttent contre l’isolement et revitalisent nos centres-bourgs. Toutefois, cet accompagnement doit se faire à certaines conditions, notamment limiter le transfert des licences aux villages définis comme tels, et en cohérence avec une politique de santé publique ambitieuse, même dans nos villages. Le groupe Écologiste et Social défendra des amendements en ce sens.
Il nous faudra aller plus loin que ce texte pour élaborer une véritable politique de revitalisation de nos villages, dans ces 88 % de France où les politiques de mobilité, de logement, d’accès aux soins et de soutien aux services publics de proximité sont bien trop souvent limitées face aux grands bouleversements que nous avons l’impression de subir plutôt que de mener.
M. Nicolas Turquois (Dem). Étant moi-même conseiller municipal de la commune rurale de Moncontour, qui compte moins de 1 500 habitants, je connais l’importance des cafés et des bistrots dans la vie locale – à cet égard, je déplore l’inutile agressivité de notre collègue Clouet, qui discrimine totalement les territoires ruraux. Ces établissements ne sont pas de simples commerces mais des lieux de convivialité essentiels, où se croisent des générations et où se tissent des liens sociaux. Pourtant, leur disparition s’accélère ; chaque fermeture affaiblit l’attractivité des communes et alimente un sentiment d’abandon.
Cette proposition de loi vise à faciliter l’ouverture de nouveaux débits de boissons dans les communes de moins de 3 500 habitants en permettant l’attribution d’une licence IV par simple déclaration auprès du maire. Incontestablement, elle va dans le bon sens, mais elle ne réglera pas tous les problèmes d’installation des cafés en zone rurale. Tout d’abord, l’expérience du programme 1000 cafés, lancé en 2019, montre qu’un café en zone rurale ne survit que s’il repose sur un modèle économique adapté : il n’est plus uniquement un lieu de consommation mais aussi un espace de services – relais postal, dépôt de pain ou lieu d’animation.
Ensuite, la dérogation prévue par la loi de 2019, que cette proposition de loi vise à pérenniser, prévoyait des garde-fous pour empêcher la revente de ces licences ou leur transfert vers des communes plus attractives. Or ce texte n’en prévoit aucun. Sans régulation, rien n’empêchera un exploitant d’ouvrir un établissement dans une petite commune et d’obtenir gratuitement une licence IV pour la revendre dans une ville plus dynamique. Ce risque pourrait détourner le texte de son objectif initial, mais je ne doute pas que nous trouverons des solutions pour nous en prémunir, en commission ou en séance.
Se pose enfin la question des distances réglementaires : d’après un arrêté de 1985, il est impossible d’installer un nouveau débit de boissons à proximité d’une école, d’un équipement sportif ou d’une église – entre autres. La distance dépend de la taille de la commune mais dans un village, ces établissements sont souvent regroupés autour de la même place, d’où un blocage de fait. Nous pourrions assouplir cette réglementation avant l’examen du texte en séance publique.
Cette proposition de loi, qui constitue une avancée concrète et indéniable, est une pierre importante apportée à l’édifice, mais la réouverture de ces établissements doit s’inscrire dans une stratégie plus large. Le groupe Les Démocrates soutient cette démarche et suggère au rapporteur de proposer prochainement de nouveaux textes relatifs à ce sujet.
M. François Gernigon (HOR). En 2019, sous l’impulsion d’Édouard Philippe, l’Agenda rural avait permis de lancer une expérimentation d’une durée de trois ans pour assouplir temporairement l’encadrement des licences IV et lutter contre la disparition des cafés en zone rurale. Elle démontré son utilité et il nous est proposé de la pérenniser pour apporter une réponse durable aux territoires concernés.
La disparition progressive des cafés et des bistrots en milieu rural est réelle : environ 200 000 en 1960, ces établissements ne sont plus que 38 800 en 2023. Restaurer un débit de boissons dans une petite commune, c’est recréer un lieu de convivialité au cœur du village et retisser un lien social. Le groupe Horizons & Indépendants adhère pleinement à l’objectif de redynamisation des communes rurales par la facilitation de l’attribution des licences IV. Les cafés et bistrots jouent un rôle fondamental dans la vie locale, comme lieux de rencontre et d’animation. Leur disparition de nombreuses communes a entraîné une perte d’attractivité et une dévitalisation progressive des territoires que les habitants déplorent.
Il me semble important d’inclure dans ce texte la notion de commune déléguée. Dans ma circonscription, une commune nouvelle de 8 000 habitants est composée de huit communes déléguées, dont six comptent entre 400 et 1 000 habitants. Nous devons éviter tout effet pervers qui permettrait le transfert d’une nouvelle licence gratuite vers des zones plus attractives, privant ainsi les communes rurales du bénéfice attendu. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements visant à limiter la transférabilité dans les autres communes du département.
En tout état de cause, le groupe Horizons & Indépendants soutient pleinement cette proposition de loi, qui apporte une réponse pragmatique à un problème réel.
M. Stéphane Viry (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires ne souhaite pas remettre en cause l’ensemble de la législation relative aux licences IV. L’interdiction de l’octroi de nouvelles licences répond à un objectif de santé publique de lutte contre l’alcoolisme, qui est toujours d’actualité.
Par ailleurs, nous sommes naturellement sensibles au constat de la dévitalisation d’un grand nombre de nos territoires : 62 % des communes rurales ne comptent plus aucun commerce. Notre groupe rappelle que le dynamisme des territoires ruraux suppose un accès aux services publics, une politique culturelle et associative ambitieuse, la présence d’écoles, d’emplois, de moyens de mobilité – en clair, une vision de l’aménagement du territoire et de la vie en commun. Cette proposition de loi s’inscrit dans une politique de développement de l’économie locale et de renforcement du lien social. Nous y souscrivons, parce que ces débits de boissons proposent bien souvent des services annexes – relais colis, dépôt de pain, petite épicerie, etc. –, sans compter les animations culturelles qui s’y déroulent.
Toutefois, notre groupe s’interroge sur le caractère suffisant du texte. L’ouverture de débits de boissons dotés d’une licence III est déjà possible. Avez-vous établi un bilan de la dérogation accordée en 2019 ? Selon nous, la solution réside avant tout dans une redynamisation de l’accompagnement de l’économie de proximité, à l’instar du programme 1000 cafés, ce qui suppose des politiques publiques et un soutien à l’investissement. Quid de l’aide au commerce et du soutien à l’artisanat en milieu rural ? Ne faudrait-il pas simplifier les procédures de financement, en créant notamment un guichet unique par département et un nouvel accompagnement par l’Agence nationale de la cohésion des territoires ?
M. Yannick Monnet (GDR). Très attaché au développement des territoires ruraux, le groupe Gauche démocrate et républicaine soutiendra cette proposition de loi, au nom de l’attractivité et de l’activité économiques, mais aussi du lien social. Nous proposerons toutefois des amendements pour l’encadrer et la clarifier, sachant que nous regrettons l’absence de bilan précis du système dérogatoire instauré en 2019 – bilan qui aurait procuré des éléments factuels.
Rappelons que 59 % des communes rurales ne disposent d’aucun commerce de proximité et que 50 % de leurs habitants doivent parcourir plus de 2 kilomètres ne serait-ce que pour trouver une boulangerie. Nous comptions 500 000 cafés il y a un siècle : il n’en existe plus que 35 000, sept communes sur dix n’en ayant pas. Et sans vouloir opposer les mondes urbain et rural, n’oublions pas que 43 % des habitants des communes rurales s’estiment exclus de notre société, contre 24 % des citadins.
Il est donc urgent de développer le commerce de proximité – les cafés, mais aussi les bars associatifs, qui sont de plus en plus nombreux grâce au programme de revitalisation des centres-bourgs, qui a permis la rénovation du foncier des communes et donc l’installation de nouveaux commerces.
Cependant, si vous êtes attaché aux territoires ruraux, ce qui est une bonne chose, la politique que vous défendez par ailleurs leur fait du mal, monsieur le rapporteur. Par cohérence, vous devriez vous opposer au déménagement des services publics et à la fermeture de classes dans les communes rurales. Et au lieu d’assécher leurs finances, donnez-leur de vrais moyens de développement.
M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des groupes soutenant cette proposition de loi et salue l’évolution de la position de ceux – les groupes SOC et LFI-NFP – ayant renoncé à présenter des amendements de suppression de l’article unique. Je me félicite que votre argumentation ait d’ores et déjà changé.
Certes, j’ai bien noté la franche réticence et les attaques de M. Clouet et de La France insoumise vis-à-vis de ce texte. Je vous sais gré, toutefois, d’avoir cité l’Eure-et-Loir et la Beauce. Vous y êtes le bienvenu pour découvrir l’un des multiples villages qui ne disposent plus d’aucun commerce. J’aurais aimé prendre un exemple dans votre circonscription, mais la métropole toulousaine ne sera pas concernée par le dispositif que je propose.
S’agissant d’abord du programme 1000 cafés, lancé en 2019, son expérimentation n’ayant duré que trois ans et s’étant déroulée à l’époque des confinements liés au covid – un contexte peu propice à la création de commerces –, il me paraît délicat d’en tirer des enseignements statistiques. Cela étant, sachez que 130 cafés ont été ouverts dans le cadre de cette dérogation au travers du Groupe SOS et que 82 existent encore à ce jour. La dérogation n’a donc pas permis la réouverture d’un café dans chacun des 20 000 villages où il n’en existe plus ; que celles et ceux qui pensent qu’il est simple d’ouvrir un tel commerce et que ma démarche entraînera une submersion de cafés soient donc rassurés. Mais le résultat de l’expérimentation n’est pas non plus nul, puisque 130 établissements ont vu le jour dans une période difficile et que 82 ont subsisté.
Cela me permet de faire le lien avec la question du modèle économique. Vous avez dit, monsieur Leseul, que disposer d’une licence IV n’est pas indispensable pour ouvrir un débit de boissons. N’étant pas omniscient, j’ai interrogé les personnes qui tiennent la caisse. Mme Laurence Cordonnier, qui a bénéficié de la dérogation pour ouvrir un café à Curzon, en Vendée, m’a ainsi indiqué – mais elle n’est pas la seule – qu’elle ne se serait jamais lancée sans licence IV.
La vente de boissons alcooliques n’est qu’une offre parmi d’autres dans ce type d’établissements, mais une offre sur laquelle la marge est importante – plus importante, par exemple, que sur le café. C’est d’ailleurs grâce à ce type de recettes que l’équilibre économique peut être atteint. Certaines personnes consomment un jus de fruits ou un café pour jouer aux fléchettes ou au billard tout l’après-midi, ce qui est certes très positif pour la vie du village, mais ce sont plutôt les clients qui viennent prendre l’apéritif qui permettent au gérant de se payer convenablement. J’insiste : si vous enlevez la vente d’alcool, vous dégradez le compte de résultat du café, qui est une entreprise comme une autre, et vous empêchez le commerçant de faire perdurer un lieu où de nombreuses personnes se rendent pour des motifs différents. Vous l’avez dit à juste titre, le modèle économique, dans un contexte de désertification rurale et face à la multiplicité des sources d’approvisionnement, notamment la grande distribution et la vente en ligne, est le premier facteur de fermeture des cafés. Leur refuser la licence IV constituerait donc un frein supplémentaire. J’encourage ceux qui ne l’auraient pas déjà fait à consulter les cafetiers de leur territoire à ce sujet.
Enfin, je rappelle que les transferts de licence sont rares, limités sur le plan géographique et conditionnés à un accord du maire et du préfet, ces trois critères étant cumulatifs. Un refus de l’un de ces deux acteurs empêche la cession, qui doit obligatoirement avoir lieu au sein d’un même département. Ne croyons donc pas que les transferts sont nombreux ou dérégulés.
Si vous l’approuvez, la proposition de loi permettra aux communes de moins de 3 500 habitants qui n’en disposent pas d’obtenir une licence IV. Leur transfert sera possible, mais selon les mêmes règles que celles en vigueur. Je fais cette proposition au nom de la simplicité administrative, mais aussi pour qu’il n’y ait pas une sorte de licence IV bis, spécifique aux petites communes et fonctionnant selon des règles différentes.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Hendrik Davi (EcoS). Il est bien sûr important qu’il y ait des cafés et des commerces dans nos villages, et à plus forte raison des écoles et des médecins ; nous sommes tous d’accord.
Cela étant, pour avoir siégé hier encore à l’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur et pour siéger à Santé publique France, je tiens à rappeler certains chiffres. L’alcool est responsable de 41 000 décès prématurés chaque année. Il s’agit de la deuxième cause de cancer évitable après le tabac, ce qui signifie que 28 000 des 352 000 nouveaux cas de cancer chez l’adulte lui sont imputables. Un adulte qui boit a 32 % de chance de souffrir d’une maladie cardiovasculaire, contre 15 % pour un individu qui ne boit pas. Enfin, le risque d’être responsable d’un accident de la route mortel est multiplié par dix-huit quand on a bu, ce qui, en zone rurale, n’est pas négligeable.
Ainsi, eu égard aux considérations de santé publique, est-il réellement opportun, au nom de l’aménagement du territoire, de faciliter l’obtention de nouvelles licences IV ? Pour ma part, je ne le pense pas et voterai donc contre le texte.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je regrette que vous n’abordiez la question fondamentale du commerce de proximité que par le prisme de l’alcool. Je rappelle que les cafés dont nous parlons relèvent souvent de l’économie sociale et solidaire, qu’il s’agisse d’associations ou de coopératives. Or les crédits alloués à ce secteur sont en baisse de 25 % dans le budget pour 2025, tandis que les collectivités, qui subventionnent souvent de telles activités, voient leurs capacités diminuer de 2,2 milliards d’euros. J’ajoute que la psychiatrie et plus encore l’addictologie rencontrent de très grandes difficultés, particulièrement en zone rurale. On ne peut donc aborder la question de la consommation d’alcool sans nous assurer de son contrôle social.
M. Thibault Bazin, rapporteur général. Avec mes collègues du groupe Droite Républicaine, je soutiens cette initiative, qui vise à revitaliser nos territoires ruraux. En simplifiant l’ouverture de débits de boissons en zone rurale, nous soutiendrons le modèle économique du café ou du bistrot de village, qui rythme sa vie.
À cet égard, j’ai une suggestion. En vertu de l’article L. 3334-2 du code de la santé publique, une association ne peut obtenir que cinq autorisations par an pour tenir une buvette temporaire dans un village, lors d’une fête ou d’une foire, par exemple. Cependant, il arrive qu’un maire ne puisse s’appuyer que sur une seule association pour ce type d’événements, ce qui en limite de facto le nombre à cinq. Afin de soutenir le dynamisme et la vie locale de nos communes rurales, pourriez-vous, d’ici à l’examen du texte en séance, étudier la possibilité de supprimer cette limitation ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous connaissons tous le rôle de nos cafés, lieux de rencontre et de convivialité, dans nos villages et dans nos villes. Nous connaissons également tous des cafés, cafés-restaurants, cafés-presse et cafés associatifs qui vivent très bien sans licence IV, c’est-à-dire sans vendre de l’alcool fort. Vous parlez d’apéritif, mais il est possible d’en prendre un sans ce type de boissons. Je ne crois donc pas que le modèle économique des cafés repose sur la possession d’une licence IV.
De plus, nous connaissons les effets néfastes de l’alcool, particulièrement les spiritueux. Dans certains départements, le taux de cancers directement liés à la consommation d’alcool fort est très élevé. Je suis donc très réservé vis-à-vis de cette proposition de loi.
M. Jean-François Rousset (EPR). Cette proposition de loi est très intéressante. Nous connaissons les méfaits de l’alcool, moi le premier en tant que médecin. Mais n’oublions pas que les gérants disposant d’une licence bénéficient d’une formation en la matière et peuvent refuser de vendre de l’alcool, notamment aux jeunes qui, lors des fêtes de village, s’alcoolisent massivement après s’être fournis au supermarché du coin ou à une buvette éphémère, où il n’y a aucun contrôle – et qui, au reste, sont souvent des concurrentes directes pour le dernier bistrot du village.
Dans quelle société voulons-nous vivre ? J’estime que les lieux le plus conviviaux sont souvent l’épicerie, qui vend des produits locaux, et le café, qui propose aussi – on peut le regretter – tabac et jeux. Dans le petit village où j’habite, le bistrot est effectivement le lieu où on se rencontre. Dans ma circonscription, qui englobe 119 communes sur la moitié de l’Aveyron, j’organise tous les mois un café citoyen où chacun peut venir, quel que soit son parti politique. Je n’ai pas honte de le dire : le demi aide la conversation.
Mme Stéphanie Rist (EPR). J’apporte tout mon soutien à cette proposition de loi, qui tend à largement simplifier l’obtention d’une licence IV. Dans ma circonscription, il nous a fallu cravacher pendant un an, avec le maire de Tavers, pour permettre la réalisation d’un projet porté par deux femmes. Leur commerce est désormais ouvert et elles y organisent des expositions ou encore des concerts – il y en aura d’ailleurs un vendredi soir.
On peut tout à la fois soutenir la prévention de l’alcoolisme et l’ouverture de restaurants et de bistrots. Il suffit d’aller au supermarché pour acheter de l’alcool puis de rentrer chez soi pour le boire ; à l’inverse, les cafés permettent de vivre en société et de lutter contre l’exclusion.
M. Didier Le Gac (EPR). Ce texte fait partie des petites lois que nous sommes heureux de voter – l’adjectif « petites » n’a évidemment rien de péjoratif : ce sont des lois simples, pragmatiques, concrètes, qui simplifient la vie des élus. La commune dont j’ai été maire pendant vingt ans n’était pas entièrement dépourvue de bistrots, mais quand une personne voulait en créer un, il était obligé d’attendre une fermeture pour racheter une licence IV. Grâce à ce texte, les choses seront plus faciles.
J’ajoute qu’il ne faut pas opposer commerce privé et service public. Le bureau de poste de ma commune a fermé, car ses horaires d’ouverture n’étaient plus adaptés et se réduisaient comme peau de chagrin. En remplacement, une convention a été passée entre La Poste et un café-tabac, si bien que les habitants peuvent aller chercher un courrier, un recommandé ou des timbres le week-end, dimanche inclus, ou encore le soir à 20 heures, ce qui était évidemment impossible auparavant. Réduire la fonction d’un bistrot au risque d’alcoolisme est vraiment regrettable ; c’est méconnaître la vie de nos communes.
M. Fabien Di Filippo (DR). Je remercie le rapporteur d’avoir remis un peu de bon sens dans cette discussion. Avec ou sans licence, la vente d’alcool est très réglementée. Les cafés dont nous parlons sont avant tout des lieux de vie, dans des espaces très ruraux et dans une société où la tendance – renforcée par les écrans et les réseaux sociaux – est au repli sur soi. C’est particulièrement vrai chez les personnes les plus jeunes et les plus âgées, pour lesquelles le travail ne peut jouer son rôle social. J’y insiste : l’isolement s’accentue, ce qui a des effets délétères.
Je ne peux m’empêcher de voir un paradoxe dans les propos de Mme Rousseau qui, d’un côté, est contre la réouverture de cafés disposant d’une licence IV dans les petites communes et, de l’autre, est pour la légalisation de la vente de drogues. Avec votre laxisme, peut-être souhaitez-vous même le remplacement des cafés par des coffee shops et faire des points de deal au pied de nos immeubles de nouveaux lieux de convivialité ? En tout état de cause, ce n’est pas notre conception de la société, ni de son avenir.
M. le rapporteur. Messieurs Davi et Isaac-Sibille, la proposition de loi ne remet pas en cause les règles applicables aux cafés, ni la politique de prévention et de lutte contre l’alcoolisme. Rien dans le texte ne modifie le code de la santé publique dans ce domaine.
Je rappelle une nouvelle fois que l’écrasante majorité des volumes d’alcool sont vendus non dans les cafés, bistrots, restaurants et hôtels, mais dans la grande distribution. Les résidents des communes de moins de 3 500 habitants où il n’existe aucun débit de boissons ne sont pas tous abstinents : ils achètent de l’alcool au supermarché du coin, dans un rayon ouvert à tous, où les agents n’ont pas reçu de formation à ce sujet et à des prix défiant toute concurrence. Puis ils boivent leur bouteille chez eux, seuls ou à plusieurs, sans contrôle des doses, accompagnement social ni prévention.
Je ne veux pas laisser penser que les responsables des alcoolisations excessives seraient les gérants de café et de bistrot, ni que l’ouverture d’un tel lieu dans une commune qui en est dépourvue déclencherait une vague de consommation excessive. Ne nous trompons pas de combat.
Madame Rousseau, vous avez parlé de contrôle social de la consommation d’alcool, mais c’est justement ce que font les bars et les cafés. Je l’ai citée plus tôt, la SFSP considère que la consommation de boissons alcooliques dans les débits de boissons a non seulement la particularité d’être marquée par des prix plus élevés qu’en grande surface, mais « de pouvoir être régulée par le gérant qui exerce une responsabilité déléguée par l’État d’encadrement de la consommation », comme c’est le cas des débitants de tabac ou des opérateurs de La Française des jeux. Un cafetier ne fait pas n’importe quoi quand il sert de l’alcool. Outre qu’il doit suivre une formation de vingt heures, de nombreuses obligations et interdictions pèsent sur sa profession, comme l’interdiction, aux termes de l’article L. 3353-3 du code de la santé publique, de la vente d’alcool aux mineurs et de l’accueil de personnes de moins de 16 ans non accompagnées d’un adulte ; l’interdiction de vente d’alcool aux personnes manifestement ivres et même de leur accueil au sein de l’établissement ; l’obligation, en application de l’article 3341-4 du même code, de mettre à disposition des dispositifs de dépistage de l’imprégnation alcoolique ; ou encore l’obligation de présenter un étalage de boissons non alcooliques d’au moins dix bouteilles parmi six catégories de produits tels que les jus de fruits, les limonades ou l’eau. Ainsi les normes pesant sur les tenanciers de bar et de café sont-elles infiniment plus nombreuses que celles s’appliquant aux opérateurs de la grande distribution. Ils ne peuvent pas faire n’importe quoi et doivent servir les doses appropriées. Ne faisons pas de mauvais procès aux cafés et bistrots ruraux.
J’ai évoqué mon entretien avec Mme Cordonnier. Elle m’a aussi indiqué aller au‑delà de la réglementation. Quand un jeune lui semble trop ivre, elle lui confisque ses clefs de voiture et refuse de le laisser repartir dans cet état, son mari allant même jusqu’à en raccompagner certains. Ces lieux de socialisation sont aussi des lieux de contrôle de la consommation, à l’inverse de l’achat solitaire d’une bouteille au supermarché, que l’on consomme ensuite dans sa voiture ou chez soi. La lutte contre l’alcoolisme ne passe pas par l’interdiction d’ouvrir des cafés et bistrots.
Quant à votre suggestion, monsieur Bazin, elle figurait dans un amendement jugé irrecevable par le président Valletoux. Je ne me permettrai pas de commenter cette décision souveraine et indépendante, mais sachez que j’y étais très favorable. Libre à vous de le redéposer en séance ; à défaut, les sénateurs auront peut-être la même idée lors de la navette...
Article unique : Dérogation à l’interdiction d’ouverture des débits de boissons à consommer sur place de quatrième catégorie au sein des communes de moins de 3 500 habitants qui n’en comptent pas
Amendement AS34 de Mme Chantal Jourdan
Mme Chantal Jourdan (SOC). Cet amendement de compromis vise à ce que les procédures liées à l’expérimentation menée entre 2019 et 2022 soient respectées, ce qui inclut l’évaluation de ses conséquences sanitaires et économiques, afin de décider de son éventuelle pérennisation en toute connaissance de cause.
M. le rapporteur. L’amendement, dont je demande le retrait, tend à lancer une nouvelle expérimentation de courte durée. Un dispositif pérenne a ma préférence, car il donnerait de la visibilité aux acteurs et parce que si de nouveaux aléas survenaient dans les mois qui viennent, nous ne serions pas davantage en mesure d’évaluer l’expérimentation – ou alors nous serions contraints de légiférer de nouveau pour la prolonger.
Si ce texte est adopté, une évaluation de l’application du présent texte pourra avoir lieu six mois puis trois ans après sa promulgation. Sur ce fondement, rien ne vous empêchera de légiférer de nouveau pour rendre le texte plus ou moins restrictif, voire pour l’abroger.
Quoi qu’il en soit, j’estime qu’une nouvelle expérimentation courte ne changerait pas la donne et ne procurerait pas la visibilité dont le secteur a besoin.
Mme Chantal Jourdan (SOC). Je maintiens l’amendement. Une expérimentation a été menée et il convient de la poursuivre et de l’évaluer. J’insiste sur le fait que l’article unique de la proposition de loi dérégule la santé publique. De même, il convient d’analyser la situation économique de manière globale et de réfléchir aux moyens de revitaliser les milieux ruraux.
M. le rapporteur. Pour que les choses soient claires, l’amendement ne vise pas uniquement à procéder à une évaluation, mais bien à réécrire l’ensemble de l’article unique. S’il est adopté, nous reviendrions à une expérimentation, en lieu et place du dispositif classique et pérenne que je propose, ce qui n’est pas du tout la même chose. Je répète qu’une évaluation du texte pourra avoir lieu quand vous le souhaitez dans les trois ans suivant sa promulgation.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS26 de Mme Marie Pochon
Mme Marie Pochon (EcoS). La dérogation en vigueur entre 2019 et 2022 n’autorisait les transferts de nouvelles licences IV qu’au sein d’une même intercommunalité, et non au sein d’un même département. Nous souhaitons reprendre cette disposition au sein de la présente proposition de loi, au risque, dans le cas contraire, d’assister à une concentration des débits de boissons dans les zones urbaines, au détriment des communes rurales, ce qui serait contraire à l’objectif du texte. En ne permettant les transferts qu’au sein d’une même intercommunalité, nous renforcerions le dynamisme local et garantirions que les nouvelles licences concerneront effectivement des projets locaux et favoriseront une répartition plus équitable des débits de boissons sur le territoire.
Par ailleurs, s’agissant de la définition des communes rurales, nous proposons de retenir le référentiel du code général des collectivités locales et la grille communale de densité de l’Institut national de la statistique et des études économiques, afin de correspondre avec précision à la réalité des territoires ruraux. Nous en avons discuté avec l’Association des maires ruraux de France et sommes prêts à travailler cette proposition d’ici à l’examen du texte en séance.
M. le rapporteur. L’amendement tend à largement réécrire le texte et à introduire des restrictions qui amoindriraient sa portée.
Premièrement, la définition des communes rurales que vous proposez réduirait le champ d’application du texte à celles de moins de 2 000 habitants – contre 3 500 habitants actuellement.
Deuxièmement, vous souhaitez fortement limiter les transferts de licence IV. Comme je l’expliquais, un dispositif spécifique aux nouvelles licences atténuerait la clarté des règles et introduirait une complexité administrative, sachant que les transferts sont déjà bien encadrés. Je rappelle que le maire et le préfet doivent donner leur accord et qu’il existe une limite géographique. Si votre amendement est adopté, nous imposerions en quelque sorte une double licence IV avec des règles de transfert différentes.
Je demande donc le retrait de l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.
Mme Marie Pochon (EcoS). Je répète que cet amendement a été rédigé en lien avec l’Association des maires ruraux de France, directement concernés par le texte. S’il vise effectivement à limiter les possibilités de transfert de licence, c’est pour protéger l’objectif de la proposition de loi. Dans la Drôme, en l’état actuel du texte, une licence pourrait être transférée d’une commune rurale à Valence ou à Romans-sur-Isère.
M. Gérard Leseul (SOC). Le groupe socialiste soutient pleinement cet amendement et souhaitait même en déposer un identique.
D’abord, si nous voulons, comme le titre de la proposition de loi l’indique, réserver l’ouverture de débits de boissons aux zones rurales, il faut respecter la strate démographique des 2 000 habitants, conformément au code général des collectivités territoriales.
Ensuite, contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, un transfert de licence se fait sur décision du préfet après avis – strictement consultatif, donc – des maires des communes concernées. Or l’autorisation formelle des maires, comme le prévoit le présent amendement, nous semble fondamentale. C’est ainsi que la revitalisation de nos communes rurales grâce à ces nouveaux lieux de sociabilité pourra avoir lieu.
M. Yannick Monnet (GDR). Il faut en effet encadrer le transfert des licences. Le maire ne dispose d’un droit de veto que pour la dernière licence de sa commune ; autrement, son avis n’est que consultatif. En limitant davantage le transfert, et en le restreignant à une même intercommunalité, on protège mieux les communes rurales, surtout les plus petites d’entre elles, de moins de 1 000 habitants.
M. Stéphane Viry (LIOT). Nous soutenons l’objectif de la proposition de loi, et je ne crois pas que les positions des soutiens de cet amendement et du rapporteur soient éloignées. La question, c’est celle de la définition juridique de la ruralité : on peut douter de l’efficacité du texte tant que nous ne sommes pas au clair là-dessus. Ne devriez-vous pas travailler ensemble et faire un pas l’un vers l’autre, afin d’atteindre l’objectif de cette proposition de loi ?
M. le rapporteur. La proposition de loi concerne bien les communes rurales, puisqu’elle porte sur les communes de moins de 3 500 habitants. Nous avons reçu l’Association des maires ruraux de France comme l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et elles soutiennent notre rédaction.
Par ailleurs, l’amendement mentionne « les communes rurales définies par voie réglementaire » : pour que la loi entre en application, il faudrait que le Gouvernement publie un décret qui dresse la liste des je ne sais combien de communes concernées. On risque d’attendre longtemps !
En ce qui concerne le transfert, j’entends votre crainte d’une fuite des licences, d’un petit jeu où certains créeraient des licences dans les villages pour les emporter ailleurs sans contrôle. Mais le maire a un droit de veto sur le transfert de la dernière licence du village – ce qui est, par construction, le cas avec cette proposition de loi qui ne crée une licence que s’il n’y en a pas d’autre. Le préfet peut également refuser un transfert. Dans une logique de décentralisation, faisons-leur confiance.
Je suis tout à fait ouvert à un travail commun d’ici au passage en séance.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS33 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Votre proposition de loi a le mérite de traiter de l’attractivité de nos villages : déroger aux règles d’attribution des licences IV est une idée judicieuse. Mais nous devons rester vigilants face aux dérives possibles. Un contrôle de l’autorité municipale est nécessaire : nous proposons donc qu’il ne soit possible d’accorder la dérogation qu’après accord du conseil municipal.
Les maires doivent conserver le pouvoir dans leur territoire, décider de son avenir. Ils doivent surtout pouvoir empêcher l’installation de commerces indésirables, gérés par des personnes qui auraient un mauvais état d’esprit, et qui viendraient par exemple implanter des points de deal un peu partout, comme c’est le cas de nombreuses épiceries qui poussent ici et là, et pas seulement dans les grandes villes.
Faisons confiance aux maires. Ils doivent être les maîtres de leur territoire.
M. le rapporteur. Pour ma part, je suis favorable à la liberté de commerce : on ne demande pas d’autorisation pour ouvrir une boulangerie ou une épicerie – et si l’on reste dans la catégorie des licences de débit de boissons, les licences III relèvent aussi d’un régime déclaratif. Il me semble que, par cohérence, il vaut mieux en rester là.
Les maires peuvent, en réalité, s’opposer à la création d’un établissement, par exemple parce que le code de l’urbanisme impose de demander une autorisation, ou la décourager. Quant aux dérives, les fermetures administratives existent : l’article L. 3332‑15 du code de la santé publique dispose que « la fermeture des débits de boissons et des restaurants peut être ordonnée par le représentant de l’État dans le département pour une durée n’excédant pas six mois, à la suite d’infractions aux lois et règlements relatifs à ces établissements ». Les contrôles existants me paraissent suffisants. Je ne suis pas favorable à une sur-réglementation.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Yoann Gillet (RN). Au risque de vous froisser, monsieur le rapporteur, on voit que vous n’avez jamais été élu local ! Vous dites que le maire peut ne pas délivrer des autorisations d’urbanisme. Mais il suit des règles, il n’a pas de pouvoir d’appréciation ! Vous dites aussi qu’il est possible de fermer des commerces à problèmes : si vous étiez connecté avec la réalité, vous sauriez que des épiceries qui vendent du tabac de contrebande ou de la drogue risquent quelques milliers d’euros d’amende, et peuvent être fermées pour deux, trois, six mois dans le meilleur des cas ! Il y a des commerces indésirables, et les maires doivent avoir la main sur le développement du tissu commercial. Certains sont courageux et y parviennent, afin de promouvoir une diversité qui profite à tout le monde. Mais, dans la plupart des communes, ce n’est pas possible, et les nuisances prolifèrent.
Votre proposition de loi va dans le bon sens, car il faut redonner de la vie à nos territoires ruraux ; mais il faut maîtriser les installations pour empêcher les trafics de prospérer. Les maires doivent pouvoir développer leur ville comme ils le souhaitent et le cadre de vie des habitants doit être respecté.
M. le rapporteur général. Je suis choqué de cette dernière intervention : il faudrait tout réguler, il n’y aurait plus de liberté d’entreprendre ?
Le rapporteur connaît bien son département, ce qui n’est pas le cas de tous les députés ici, puisque certains n’habitent pas leur circonscription. Il y a des règles d’urbanisme qui s’imposent ; mais la liberté d’entreprendre ne doit pas être bridée plus que nécessaire.
La question du trafic est bien réelle, même si elle est moins présente dans la ruralité. J’espère que vous soutiendrez la proposition de loi sur le narcotrafic, cher collègue : elle prévoit notamment de rendre plus facile les fermetures administratives.
M. le rapporteur. Je m’indigne à mon tour de ces attaques personnelles. Vous approuvez la proposition de loi : quel est l’intérêt de ce genre de joute verbale ? Est-il vraiment nécessaire, pour faire valoir votre argument, de m’accuser de manquer d’expérience ?
La réalité, c’est celle du code de l’urbanisme : pour avoir été ministre du logement, je sais à quel point il regorge de possibilités offertes aux élus d’intervenir pour bloquer des projets de construction. Je vous invite à le lire.
On ne peut pas prétendre régler la question des trafics ou de la contrebande en interdisant la création de commerces ! S’il y a une infraction, alors il y a des fermetures administratives ; au-delà de six mois, le dossier remonte au niveau national. Les services du ministère nous ont confirmé qu’il existait des fermetures bien plus longues que cela. Heureusement que nous n’avons pas attendu votre amendement pour nous attaquer aux trafics !
M. le président Frédéric Valletoux. Je rappelle à M. Gillet, qui n’est pas membre cette commission, que si nos débats sont parfois vifs, nous avons pour habitude d’éviter les attaques personnelles.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS48 de M. Guillaume Kasbarian et sous-amendement AS50 de M. François Gernigon
M. le rapporteur. L’amendement est rédactionnel.
M. François Gernigon (HOR). Mon sous-amendement vise à inclure les communes déléguées de moins de 3 500 habitants dans la dérogation permettant l’ouverture d’établissements de quatrième catégorie. Dans le Maine-et-Loire, nous avions 360 communes, nous n’en avons plus que 170. Dans ma circonscription, une commune nouvelle de 8 000 habitants regroupe huit communes, dont deux comptent plus de 3 500 habitants et six en comptent bien moins, et sont parfois distantes de 10 à 15 kilomètres. L’association 1000 cafés a ouvert un café dans une commune déléguée de 400 habitants, et la licence IV y est très attendue. Il faut tenir compte de cette réalité.
M. le rapporteur. Avis favorable au sous-amendement. Ces communes déléguées peuvent être très éloignées du centre-bourg.
M. Christophe Bentz (RN). Nous sommes favorables à l’amendement ainsi qu’au sous-amendement : il y a maintenant plus de 2 500 communes déléguées.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voterons contre l’amendement et le sous‑amendement. On connaît le truc de l’amendement rédactionnel dont l’adoption en ferait tomber plusieurs autres et ferait ainsi disparaître des discussions importantes, notamment sur la limitation du rachat de licences IV.
Vous écrivez dans votre projet de rapport que les bistrots sont la vitrine de la France à l’étranger et vous citez Emily in Paris, ce qui me paraît un peu décalé par rapport aux espaces ruraux : donnons-nous plutôt les moyens de faire Hadrien et Guillaume à Beauzelle dans le 31, ce sera plus intéressant pour le développement de la ruralité !
M. le président Frédéric Valletoux. L’adoption de cet amendement en ferait tomber cinq autres.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je soutiens le sous-amendement. Ma circonscription compte 85 % de communes nouvelles, qui regroupent de huit à quinze petites communes, dans lesquelles il est essentiel de maintenir un commerce de proximité.
M. le rapporteur. Merci d’avoir lu mon rapport, monsieur Clouet. Vous aurez noté que je ne parle pas seulement d’Emily in Paris, mais aussi des jeux Olympiques !
Si j’avais voulu couper court à la discussion, j’aurais déposé un amendement de rédaction globale de l’article unique. Par élégance et pour donner toute sa place au débat, j’ai préféré au contraire séparer les deux amendements rédactionnels.
Enfin, je note votre invitation : je serai très heureux d’aller au bar avec vous.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous‑amendé.
En conséquence, les amendements AS7 de M. Hadrien Clouet, AS17 de Mme Sylvie Bonnet, AS20 de Mme Chantal Jourdan, AS38 de M. François Gernigon et AS9 de M. Hadrien Clouet tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS47 de M. Guillaume Kasbarian.
Amendement AS21 de Mme Chantal Jourdan
Mme Chantal Jourdan (SOC). Cet amendement prévoit que l’attribution d’une licence IV est précédée d’un avis du préfet et de l’agence régionale de santé, pour des raisons de santé publique.
M. le rapporteur. Avis défavorable. Vous ajoutez des contraintes supplémentaires : cela irait contre l’idée de simplification que j’exposais tout à l’heure.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS8 de M. Hadrien Clouet
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Cet amendement revient sur la question de la formation : tenir un bar, être bistrotier, c’est un métier. Afin de nous assurer que les exigences sont les mêmes partout, notre amendement rappelle que tous ceux qui tiennent des débits de boissons, y compris ceux ouverts grâce à cette dérogation, sont astreints à la formation.
M. le rapporteur. Votre amendement est partiellement satisfait, puisque les cafetiers ont tous sans exception l’obligation, pour se voir délivrer un permis d’exploitation, de suivre une formation de vingt heures qui permet d’acquérir les connaissances nécessaires en matière de prévention et de lutte contre l’alcoolisme, de protection des mineurs et de répression de l’ivresse publique.
Vous allez ici un cran plus loin en prévoyant une actualisation de cette formation tous les cinq ans. Mais pourquoi tous les cafetiers de France ne seraient-ils pas concernés ? Cela me semble manquer de cohérence.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voulions nous assurer que ce régime dérogatoire ne supprime pas l’exigence de la formation. Je retire l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement AS39 de M. François Gernigon
M. François Gernigon (HOR). Cet amendement vise à simplifier le cadre juridique afin que les communes de moins de 3 500 habitants puissent, lorsque l’initiative privée est défaillante, se porter titulaires d’une licence IV, dont elles pourraient confier l’usage à des établissements présents sur leur territoire ou à proximité, par exemple une guinguette ou une buvette saisonnière. Cela irait dans le sens de la revitalisation des communes rurales.
On obtient une licence IV gratuitement : en cas de défaillance, il est important que la commune puisse la récupérer et l’utiliser.
M. le rapporteur. Je comprends votre intention, mais la formule « lorsque l’initiative privée est défaillante » me pose problème.
M. François Gernigon (HOR). Pour moi, il s’agit d’une cessation d’activité définitive.
M. le rapporteur. Je vous propose de retirer l’amendement pour travailler ensemble à une nouvelle rédaction d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Amendements AS37 et AS36 de M. François Gernigon, AS11 de M. Yannick Monnet et AS10 de M. Hadrien Clouet (discussion commune)
M. François Gernigon (HOR). Mes amendements proposent qu’il soit impossible de transférer une licence IV créée par dérogation en dehors de la commune – pour l’amendement AS37 – ou de l’intercommunalité – pour l’amendement AS36.
Il y a un risque de financiarisation : quelqu’un qui voudrait lancer une discothèque à 15 kilomètres, mais toujours dans la même commune, pourrait vouloir acheter cette licence à prix d’or – et le petit exploitant qui travaille dur, et qui a du mal à boucler ses fins de mois, pourrait être tenté de la vendre.
Et puisque toutes les communes de moins de 3 500 habitants qui n’en ont pas peuvent obtenir une licence gratuitement, pourquoi serait-elle transférable ?
M. Yannick Monnet (GDR). Notre amendement est similaire à l’amendement AS36. Nous reprenons une disposition votée dans la loi de 2019. L’idée de restreindre à la commune me paraît intéressante également. Les deux solutions nous conviendraient.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je me retrouve dans les propos des camarades Monnet et Gernigon ! La proposition de loi vise à faciliter l’ouverture de débits de boissons dans les plus petites communes ; si ces bistrots ferment, pour quelque raison que ce soit, leur licence est remise au pot commun, et elle peut être rachetée et transférée vers une ville plus importante, où les besoins ne sont pas les mêmes. Il y a un risque de développement d’un marché, donc d’enchères et de spéculation, et d’aspiration des licences vers les métropoles voisines.
Les différents amendements proposent différents critères pour interdire le transfert. Celui de la géographie, notamment de l’intercommunalité, ne me paraît pas satisfaisant : dans une intercommunalité, il peut y avoir de toutes petites communes et une autre beaucoup plus grande. Nous avons choisi le critère de la taille de la commune, qui me paraît plus efficace : nous nous assurons ainsi qu’un éventuel transfert se fera entre des communes de taille similaire.
M. le rapporteur. Ce marché existe depuis la création, en 1941, de ce système de licences, c’est-à-dire depuis des décennies : des licences sont régulièrement transférées, moyennant finances. Les prix vont de quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros en zone rurale à parfois plusieurs centaines de milliers dans les zones urbaines. Le législateur a déjà prévu des verrous : une licence ne peut pas être transférée d’un village vers Saint-Tropez ! L’article L. 3332‑11 du code de la santé publique impose une autorisation du représentant de l’État dans le département et l’avis favorable du maire, lorsque la licence IV est l’unique de la commune, ce qui est le cas ici.
Nous ne changeons pas ces règles. Puisque cette licence sera la seule de la commune, le maire pourra refuser son transfert ; le préfet aussi.
J’ajoute que ce texte, en créant des licences, aura un effet déflationniste sur le prix de transfert des licences.
Vos amendements me paraissent donc satisfaits. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je doute de l’effet déflationniste à moyen terme. La mise sur le marché de nouvelles licences risque de faire monter les enchères au profit des métropoles. Ne faudrait-il pas poser un verrou en plus du verrou départemental ? L’échelon intercommunal n’est pas totalement satisfaisant. Prenons l’exemple de la métropole toulousaine : rien n’empêcherait que la licence IV d’un bistrot qui ferme à Beaupuy ou à Aigrefeuille soit rachetée à Toulouse même. Ces licences doivent rester dans des communes de taille similaire, raison pour laquelle il faut ajouter une contrainte.
M. François Gernigon (HOR). Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec Hadrien Clouet. Vous créez une concurrence déloyale entre ceux qui auront acheté la licence et ceux qui l’auront obtenue gratuitement. Même s’il faut l’accord du préfet, je trouve dangereux de ne pas pouvoir contraindre davantage le transfert de licence à l’intérieur d’un département. Si l’on souhaite réellement défendre la ruralité, il ne faut pas rendre ces licences transférables.
M. le rapporteur général. On voit ce que l’on veut éviter, moins ce que l’on veut permettre. Nous pouvons réfléchir au périmètre mais les périmètres intercommunaux ne correspondent pas toujours aux bassins de vie ruraux, du fait de découpages étonnants. Enfin, je doute que les prix des licences IV s’envolent à court terme. Le modèle des bistrots est précaire et a besoin d’une diversification à laquelle la proposition de loi contribue.
M. le rapporteur. Je ne pense pas non plus que les prix s’envoleront, au contraire. Cette baisse va profiter à celles et ceux qui veulent monter un café en zone rurale et qui ne peuvent pas payer des dizaines de milliers d’euros pour une licence. M. Gernigon dit que c’est injuste pour ceux qui ont payé la licence, mais les propriétaires de ces cafés ruraux ne seront pas en concurrence avec eux.
Quant au transfert, il n’est pas automatique mais régi par des règles contraignantes, puisque le maire ou le préfet peuvent le refuser. Je ne propose ni de changer ces verrous ni de déréguler le secteur.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS12 de M. Yannick Monnet
M. Yannick Monnet (GDR). Pour trancher la question, je propose que la commune se prononce obligatoirement sur le transfert de toutes les licences IV. Redonner la maîtrise de ces licences aux communes moyennes qui ont des difficultés pour revitaliser leur centre‑ville ou leur offre commerciale nous paraît bénéfique.
M. le rapporteur. Ce serait une mesure de régulation excessive qui toucherait toutes les communes, quelle que soit leur taille, y compris dans des villes qui disposent de nombreuses licences, ce qui ne répond pas à l’objectif de la proposition de loi.
M. Yannick Monnet (GDR). Le sentiment de relégation des territoires ruraux existe aussi dans certains quartiers. Le maire doit être le chef d’orchestre de l’aménagement de son territoire, quel qu’il soit, et l’on sait l’importance d’un bar dans la vie d’un quartier.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS13 de Mme Karine Lebon
M. Yannick Monnet (GDR). L’amendement vise à rappeler les obligations en matière de respect de l’ordre public, de la santé, de la tranquillité et de la moralité publiques.
M. le rapporteur. Votre amendement me semble satisfait par la loi en vigueur. Demande de retrait.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement AS31 de Mme Sandra Marsaud
Mme Sandra Marsaud (EPR). Nos zones rurales vivent aussi de festivals et de manifestations éphémères. Or une commune qui souhaite prêter sa licence à une organisation ou à une association pour un événement ponctuel ou saisonnier ne peut pas le faire. Nous proposons de créer une dérogation en ce sens.
M. le rapporteur. Une telle flexibilité serait en effet utile. Je suis favorable à votre amendement, sous réserve de sa réécriture. Demande de retrait.
L’amendement est retiré.
Amendement AS30 de M. René Lioret
M. René Lioret (RN). En France, le futur exploitant d’un débit de boissons doit suivre une formation pour obtenir son permis d’exploitation, qui couvre notamment : la réglementation spécifique à la vente d’alcool, les principes de prévention et de lutte contre l’alcoolisme, les règles de santé publique et de protection des mineurs et les obligations en matière d’hygiène et de sécurité. Toutefois, les défis relatifs à l’ouverture d’un café en zone rurale ne sont pas les mêmes qu’en zone urbaine – c’est d’ailleurs peut-être aussi pour cela que sur les quelque 120 établissements ouverts il n’en reste que 82 : plus faible densité de population, problèmes de mobilité, recherche d’activités multiservices. Cet amendement vise à proposer des modules de formation dédiés aux réalités économiques et sociales des territoires ruraux en plus des formations légales.
M. le rapporteur. Lors de nos auditions, nous avons constaté que la législation en matière de débits de boissons n’avait jamais été évaluée. De la même façon, il n’existe pas de répertoire national ni départemental des licences actives ou de leur transfert. Il me semblerait intéressant de demander un rapport sur ce sujet, plutôt que sur la formation des nouveaux exploitants.
Sagesse.
La commission rejette l’amendement.
Titre
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS49 de M. Guillaume Kasbarian.
En conséquence, l’amendement AS18 de Mme Sylvie Bonnet tombe.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
La commission examine ensuite la proposition de loi sur la profession d’infirmier (n° 654) (Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure)
Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. J’ai le plaisir et l’honneur de rapporter une proposition de loi sur les infirmières que nous attendions depuis longtemps et qui me tient particulièrement à cœur. Avant toute chose, permettez-moi de remercier le président Frédéric Valletoux, coauteur du texte, pour son travail préalable et son soutien indéfectible aux professionnels infirmiers, ainsi que notre administratrice. Je crois pouvoir dire que nos groupes politiques convergent très majoritairement dans leur volonté de valoriser ces 650 000 professionnels en activité, dont nous savons qu’ils sont indispensables au fonctionnement de notre système de soins.
Bien souvent, l’infirmier ou l’infirmière est le point de contact avec le système de soins pour le patient et pour sa famille. C’est celui qui, le premier, répond aux questions, évalue, oriente, rassure, prodigue les soins quotidiens. Il est tous les jours auprès des patients, à leur domicile ou en établissement. Cette contribution essentielle, nos concitoyens la reconnaissent : 85 % de la population souhaite l’extension des missions des infirmières.
Pourtant, nous savons qu’il existe aujourd’hui un réel mal-être au sein de cette profession. Le métier d’infirmière attire beaucoup de jeunes – c’est même la formation la plus demandée sur Parcoursup – mais la déperdition est trop importante : on déplore 20 % d’abandons en cours d’études, sans parler de tous ceux qui quittent la profession après quelques années de carrière. À l’origine de ce mal-être, il y a plusieurs facteurs : des conditions de travail difficiles voire pénibles, des servitudes importantes pour une rémunération jugée trop faible et, surtout, un manque de reconnaissance.
Dans notre système de soins régi par le monopole médical, les infirmiers se sentent souvent oubliés, empêchés d’exercer pleinement leurs compétences. La profession est régie par un décret d’actes qui énumère limitativement tout ce qu’ils sont autorisés à accomplir dans l’exercice de leurs fonctions. Ce décret est rigide. Rarement actualisé, il est peu en phase avec les besoins de soins des patients. Or, comme il faut bien répondre à la demande de soins, les infirmiers doivent en permanence trouver des modalités pour s’extraire du carcan du décret : délégations officieuses d’actes médicaux, prescriptions régularisées a posteriori, cotations d’actes techniques divers, faute de pouvoir valoriser des consultations qui ne disent pas leur nom. Ces efforts, déployés quotidiennement par les infirmières pour exercer leur mission, alimentent le sentiment d’un manque de reconnaissance et réduisent encore l’attractivité du métier.
C’est la raison pour laquelle il faut faire évoluer le cadre juridique. En tant que législateur, cela fait plusieurs années que nous nous y employons. Nous avons voté plusieurs extensions des compétences des infirmières : pour les vaccins, les prescriptions de dispositifs médicaux et de substituts nicotiniques, les renouvellements de prescriptions et les bilans de prévention. Nous avons voté aussi les protocoles de coopération, pour permettre les délégations de tâches dans un cadre sécurisé. Nous avons créé le statut d’infirmier en pratique avancée (IPA), pour permettre à ceux qui le souhaitent d’accéder à des compétences et à des responsabilités élargies.
Mais ce qui a été accompli jusqu’ici est insuffisant, car nous n’avons pas remis en question la logique du décret d’actes, si bien que nous sommes en retrait par rapport aux besoins du terrain. Ce que nous voulons, avec cette proposition de loi, c’est inverser la logique. Désormais, nous voulons définir ce qui fait l’essence et l’unité du métier d’infirmier – en d’autres termes, le champ autonome de l’infirmière et sa contribution propre à notre système de soins – et faire découler de cette définition une évolution des référentiels de compétences et de la nomenclature des actes tarifés.
Je souhaite lever toute ambiguïté : il ne s’agit aucunement de concurrencer les médecins dans leur champ de compétences mais de trouver la meilleure organisation possible pour permettre aux médecins et aux infirmiers d’exercer pleinement leur métier, chacun dans son champ et en parfaite collaboration.
Avec l’article 1er, je crois que nous avons réussi à trouver un point d’équilibre dans la définition du champ de la profession infirmière, après de très nombreuses consultations. Nous identifions quatre grandes missions : les soins infirmiers préventifs, curatifs, palliatifs, relationnels et leur évaluation ; la contribution à la prévention et à la promotion de la santé et l’éducation thérapeutique ; la contribution à la coordination des parcours de soins ; la formation des étudiants et la recherche en sciences infirmières. Ces missions ont vocation à être mises en œuvre en complémentarité avec tous les autres professionnels de santé. Je présenterai d’ailleurs un amendement pour le repréciser.
Par ailleurs, l’article 1er ancre dans la loi deux notions qui revêtent une nécessité pour la profession : la consultation infirmière et l’existence d’un droit de prescription. Cette consultation a vocation à être ciblée sur certains aspects qui relèvent du rôle propre de l’infirmière. Quant au droit de prescription, il s’agit bien des produits de santé et des examens complémentaires nécessaires à l’exercice de la profession. Cela sera décliné à l’échelon réglementaire, ce qui permettra de procéder aux ajustements nécessaires.
La rédaction de l’article 1er est synthétique et générale car nous ne souhaitons pas reproduire l’écueil du texte précédent. Cela appellera un travail important de déclinaison aux niveaux réglementaire et conventionnel. Dans un deuxième temps, il faudra réévaluer et repréciser les référentiels de compétences des infirmiers, en lien avec la réingénierie en cours de la formation. Dans un troisième temps, la nomenclature des actes infirmiers et leur tarification devront être revues, en lien avec la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam).
Il y a donc encore un long chemin à parcourir. C’est pourquoi je souhaite que nous puissions voter cette proposition et que le Sénat s’en saisisse pour que la loi soit adoptée rapidement. Je vous invite à ne pas alourdir le texte car les représentants infirmiers aspirent à ce qu’il soit le plus général et efficace possible. Cela permettrait de rapprocher la France des autres pays européens, qui ont retenu une définition large de la profession infirmière.
L’article 2 concerne la pratique avancée et les infirmières spécialisées que sont les infirmières anesthésistes, les infirmières de bloc et les puéricultrices. La pratique avancée présente l’avantage de conjuguer amélioration de l’accès aux soins pour les patients et réduction de la charge de travail pour les médecins. Elle a toujours été au cœur de la politique sanitaire défendue par notre groupe, comme en témoigne la loi de 2023 de Stéphanie Rist, qui a rendu possible l’accès direct aux infirmières en pratique avancée. Tout le monde reconnaît la compétence et l’expertise de ces infirmières, qui ont un grade master.
Les infirmières spécialisées aspirent à ce que l’on reconnaisse une forme de pratique avancée dans leurs actes et à ce que l’on fasse évoluer leur profession en ce sens. S’il faut entendre et accompagner cette aspiration, nous devrons veiller à ne pas fragiliser le statut des IPA. Ce sont des professionnels avec des compétences transversales et des responsabilités élargies, dotés d’un pouvoir de prescription et consultables en accès direct. Ils sont appelés à jouer un rôle important pour la coordination des parcours de soins, en lien avec les médecins généralistes. Je pense que le modèle de l’IPA, qui correspond en partie au modèle européen, répond à un vrai besoin. Nos efforts et notre investissement doivent porter sur le développement de cette profession, sans exclure de faire évoluer les missions des infirmières spécialisées, en différenciant les types de pratique avancée.
Sous réserve de ces précisions et des quelques amendements que je présenterai, je pense que nous pouvons tous nous accorder sur cette indispensable proposition de loi dont l’écriture est pondérée. Les infirmières comptent sur nous.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Christine Loir (RN). Cette proposition de loi aborde un enjeu essentiel : l’évolution de la profession d’infirmière. Chaque jour, plus de 600 000 infirmières sont au chevet des patients, en ville, dans nos villages, à l’hôpital comme à domicile, en libéral ou au service de l’État. Pourtant, 17 % d’entre elles quittent la profession après dix ans d’exercice à l’hôpital. Ce chiffre alarmant traduit la détresse profonde d’une profession en perte de repères.
Le texte ne comporte que deux articles, comme si l’ensemble des défis du métier pouvaient se résumer ainsi. Nous regrettons qu’une réflexion plus large n’ait pas été menée par le biais d’un projet de loi, accompagné d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État. Une véritable réforme aurait mieux répondu aux attentes du terrain : conditions d’exercice, formation, rémunération, reconnaissance des spécialités. Cela fait quinze ans que les infirmières libérales réclament des moyens et une véritable reconnaissance.
Les députés du groupe Rassemblement National ont ainsi déposé plusieurs amendements de bon sens. Nous ne voulons ni alourdir leurs responsabilités ni leur imposer un glissement de tâches sans contreparties, sans la promesse d’un meilleur revenu. Nous souhaitons des mesures concrètes et durables pour améliorer leur quotidien. La primoprescription est un axe central du texte. C’est l’arbre qui cache la forêt. Sans cadre précis, elle ne résoudra en rien la crise de notre système de santé. Nous devons être à la hauteur de cet enjeu, grâce à une approche globale et ambitieuse.
M. Jean-François Rousset (EPR). Les infirmières et infirmiers sont souvent le premier contact avec le soin et parfois le seul possible pour les patients. On en dénombre une ou un pour 500 habitants. Dans un contexte où nous manquons de soignants, il est essentiel de faire évoluer la profession afin qu’elle soit adaptée aux réalités du terrain dans ses modes d’exercice mais aussi dans ses compétences.
Ce texte s’inscrit pleinement dans la politique d’organisation des soins que nous menons depuis 2017. Les lois de Stéphanie Rist et Frédéric Valletoux ont largement pavé le chemin d’un système fondé sur l’interprofessionnalité et le partage des compétences, en favorisant notamment la collaboration entre les professionnels de santé dans certaines structures, comme les communautés professionnelles territoriales de santé ou les maisons et centres de santé. La proposition de loi définit clairement les missions de la profession, ainsi que son rôle dans la permanence des soins.
Concernant la pratique avancée, les infirmières et infirmiers sont formés spécifiquement et sont donc compétents à l’égard de pathologies ciblées – affections de longue durée, insuffisance rénale, etc. L’extension de leur périmètre d’exercice est pertinente, afin qu’ils puissent irriguer l’ensemble des structures où leur expertise de haut niveau est utile. Par ailleurs, le texte ouvre la pratique avancée à certains infirmiers et infirmières, permettant de reconnaître la haute valeur ajoutée de ce statut, dont nous devons veiller à conserver la spécificité. Créer une diversité de statuts en fonction des spécialités risquerait de diluer leur spécificité.
Par ailleurs, je reste persuadé que nous n’échapperons pas à une réforme de la formation de tous les soignants, en particulier pour les premières années d’études. Les nouvelles demandes des soignants concernant les conditions d’exercice et celles des patients habitués à des modèles traditionnels doivent être intégrées au début des études de santé. Nous devrions aussi avoir pour objectif de ne laisser aucun étudiant en santé de côté, pour ne gâcher aucune vocation.
Le groupe Ensemble pour la République soutiendra le texte en l’état.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Les quelque 600 000 infirmières qui exercent en France incarnent pour les patients et leurs proches un visage humain du système de soins ; 88 % de nos concitoyens estiment que les infirmières jouent un rôle de proximité important. Pourtant, ils sont 86 % à estimer qu’elles ne sont pas assez reconnues.
La profession traverse une crise sans précédent : 60 000 postes d’infirmier salarié étaient vacants en 2023. Après dix ans d’exercice, près d’une infirmière hospitalière sur deux quitte l’hôpital voire change de métier. Si la présente proposition de loi satisfait des revendications défendues de longue date par les syndicats, grâce la redéfinition statutaire des compétences des infirmières, elle ne suffit pas. Il convient de mener un travail sérieux sur leur rémunération, leur formation et la prise en compte de la pénibilité. Les infirmières françaises gagnent près de deux fois moins que leurs homologues belges. En particulier, la tarification des actes des infirmières libérales n’a pas augmenté depuis 2009 et les indemnités kilométriques ont stagné, alors que le prix du carburant flambe.
La pénibilité de cette profession très majoritairement féminine est reconnue : port des patients, de charges lourdes, forte charge émotionnelle, longs déplacements pour les infirmières exerçant dans le secteur libéral. Une infirmière vit en moyenne sept ans de moins que le reste des Françaises.
Le futur de la profession est menacé. Les abandons d’étude ont triplé entre 2011 et 2021 et le Gouvernement est resté sourd aux demandes des professionnels qui réclament une augmentation du temps de formation. Nous voterons en faveur de la présente proposition, mais il faudra aller plus loin, en portant le temps de formation des infirmières à quatre ans, en indexant le tarif des actes et de l’indemnité kilométrique sur l’inflation, en garantissant la tenue de négociations sur la rémunération des infirmières, en fixant un objectif national de formation d’un nombre minimum d’infirmières, sur la base de besoins de soins définis de manière pluriannuelle. Sandrine Runel et moi-même proposerons ces mesures dans un texte visant à réellement revaloriser le travail et la formation des infirmières.
M. Arnaud Simion (SOC). Le métier d’infirmier est en souffrance, alors qu’il est essentiel pour faire face aux défis de notre système de santé. Avec la progression des déserts médicaux, la demande de soins médicaux se reporte sur le secteur paramédical et les infirmiers sont seuls pour y faire face. La population vieillit – 15 millions de Français ont plus de 60 ans ; ils seront 20 millions en 2030. Les affections longue durée se développent et nécessitent des soins infirmiers réguliers. Le taux d’encadrement des patients est faible : la France compte 12 infirmières pour 1 000 habitants, quand ce taux s’élève à 14 en Allemagne. Le métier d’infirmier est peu reconnu et valorisé. Depuis quinze ans, les tarifs des actes n’ont pas été revalorisés ou ne l’ont été que très faiblement. Les infirmiers restent relativement mal rémunérés.
Si plusieurs textes récents ont déjà permis de développer le statut d’IPA, cette proposition de loi transpartisane permettra de mieux reconnaître et valoriser le métier. Son article 1er prévoit des avancées et des clarifications bienvenues, en élargissant le champ des compétences des infirmiers, en leur permettant de prescrire davantage de produits de santé, en renforçant le rôle de l’infirmier dans la formation et en prévoyant une participation obligatoire à la permanence des soins. L’article 2 facilite l’accès à la pratique avancée, qui concerne actuellement 2 300 infirmiers, selon l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée.
Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra ce texte, qui répond pertinemment au déficit de reconnaissance de ces métiers. Nous défendrons plusieurs amendements élaborés avec des associations du secteur pour l’enrichir.
La proposition de loi transpartisane que déposera Mme Runel afin de valoriser le travail et la formation des infirmiers s’inscrit dans une démarche complémentaire, grâce à des mesures concernant la formation et la revalorisation des actes infirmiers.
Mme Josiane Corneloup (DR). Les quelque 600 000 infirmiers et infirmières, dont 135 000 travaillent dans un cadre libéral, parfois en exercice mixte, constituent un chaînon indispensable du système de soins. Très appréciés des Français, ces professionnels de santé doivent être davantage reconnus et voir leurs missions évoluer, au regard du vieillissement de la population et de l’accroissement des pathologies chroniques, mais aussi de la désertification médicale de nombreux territoires.
En l’absence de médecin, les infirmiers doivent régulièrement informer et orienter. Différents textes de loi ont accru l’autonomie de ces professionnels de santé pour certains actes de prise en charge des patients, notamment la loi du 31 mai 1978, celle du 26 janvier 2016, puis la « loi Rist » de 2023, qui introduit la possibilité d’un accès direct des patients à un IPA, sans passer par un médecin et autorise aux IPA la primoprescription de produits de santé soumis à prescription médicale obligatoire.
Le 22 janvier 2025, des décrets d’application ont précisé les conditions de l’accès aux IPA. Ces avancées successives ont contribué à améliorer la qualité de la prise en charge des patients. Il convient désormais d’actualiser le champ d’intervention des infirmiers, en reconnaissant à ces derniers de nouvelles compétences et en optimisant leur rôle.
Dans son article 1er, cette proposition de loi redéfinit ainsi la profession d’infirmier autour de quatre missions clefs : la dispensation des soins et leur évaluation, le suivi du parcours de santé, la prévention et la participation à la formation. Cet article introduit deux notions centrales, celle de consultation infirmière et celle de la prescription réalisée par l’infirmier, en reconnaissant à ce dernier la possibilité, dans le cadre d’un exercice coordonné, de prescrire des produits de santé dont la liste sera déterminée par arrêté ministériel.
L’article 2 prévoit trois lieux d’exercice supplémentaires de la pratique avancée, pour faire face aux besoins immenses : au sein des services de protection maternelle et infantile (PMI), de santé scolaire et d’aide sociale à l’enfance.
Ce texte permettra d’élargir et d’actualiser le champ de compétences des infirmiers, pour mieux répondre à la diversification des besoins médicaux de la population et à l’allongement de la durée de vie. Il est attendu par la profession. Nous devons l’adopter dans les meilleurs délais.
M. Hendrik Davi (EcoS). La France compte 640 000 infirmiers et infirmières, dont plus de 120 000 exercent à titre libéral. C’est la première profession de santé en France. Or, avec le vieillissement de la population, l’augmentation du nombre de maladies chroniques, les besoins évoluent et les soins à domicile augmentent. En outre, les infirmiers demandent depuis longtemps une meilleure reconnaissance de leur métier. Nous avons donc besoin d’urgence d’une grande loi pour revaloriser le métier d’infirmier.
J’émets toutefois des réserves sur le présent texte. Il suscite de nombreuses questions. Bien sûr, une clarification des missions des infirmières s’impose, pour tenir compte des évolutions du métier et mieux répartir les tâches entre les différents professionnels de santé. Néanmoins, je crains qu’il ne s’agisse, avec ce texte, de pallier le manque de médecins en accroissant les responsabilités et la charge de travail des infirmiers et des infirmières, sans leur donner les qualifications et les rémunérations correspondantes. Cela risque d’augmenter leur souffrance au travail.
En outre, pourquoi le texte ne précise-t-il pas que les prescriptions réalisées par l’infirmier seront liées au diagnostic qu’il a posé ?
Mon groupe a déposé plusieurs amendements afin notamment d’augmenter la rémunération des infirmiers. Évidemment, ils ont été déclarés irrecevables, mais si 50 % d’infirmières diplômées quittent l’exercice hospitalier au bout de dix ans de carrière, c’est avant tout à cause du faible niveau des rémunérations et des conditions de travail trop pénibles. Il faut y remédier.
Je suis favorable à ce que les infirmiers et les infirmières puissent largement prescrire et mener des consultations, mais cela demande de l’expérience et des qualifications. Selon moi, la solution la plus juste serait d’ouvrir dans un très grand nombre de disciplines la possibilité d’exercer en pratique avancée. Il faut donc aller plus loin que la rédaction actuelle de l’article 2 – même si celui-ci va dans le bon sens. Il faut en outre élaborer un vrai plan de formation et accompagner tous ceux et celles qui souhaitent devenir IPA.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Cette proposition de loi renforcera le statut des infirmiers, élargira leurs compétences et leur offrira une meilleure reconnaissance. Elle constitue une avancée concrète pour une profession essentielle au système de santé.
Dès 2021, dans un rapport d’information sur l’organisation des professions de santé, j’ai alerté sur la répartition trop rigide des compétences entre professionnels de santé, qui freine les collaborations, limite les délégations de tâches et entrave l’évolution des carrières professionnelles. Je défendais alors un décloisonnement des parcours, de nouveaux modes d’organisation des soins et un accompagnement de la montée en compétences des professions paramédicales. Il s’agissait, selon ce que j’appelais la « théorie de l’escalier », de consolider les stocks de compétences et de favoriser la montée en compétences individuelles.
Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette dynamique, avec plusieurs avancées : l’inscription dans la loi des missions des infirmières, jusqu’ici définies par décret ; l’introduction de la consultation infirmière et de prescriptions réalisées par l’infirmière, à la condition que celles-ci soient liées à leurs missions propres ; enfin, l’extension de la pratique avancée aux anesthésistes de bloc opératoire et aux puériculteurs.
Restons néanmoins vigilants. Il ne faut pas confondre autonomie et indépendance. L’autonomie permet de prendre des décisions seul, mais n’exclut ni la supervision, ni le travail en équipe. L’indépendance peut, au contraire, désigner l’absence de tout lien avec autrui. Ce n’est pas ce que nous recherchons. Notre objectif est de renforcer l’autonomie des infirmiers, ce qui implique de renforcer la coopération entre professionnels.
Par ailleurs, l’article 1er crée une ambiguïté sur l’étendue de la dérogation à l’interdiction d’exercice illégal de la médecine par les infirmiers. Cette dérogation doit être clairement restreinte aux missions qui leur sont propres. Le diagnostic des pathologies doit selon moi être réservé à l’exercice médical. Les compétences qu’il nécessite expliquent la longue durée des études médicales. Les compétences en matière de soins, en revanche, peuvent être partagées avec les infirmiers.
M. François Gernigon (HOR). Le système de santé est confronté à de nombreux défis : manque de professionnels, accès aux soins difficiles, évolution des besoins. Ainsi, 1 600 000 personnes sont contraintes de renoncer à des soins chaque année ; plus de 30 % de la population vit dans un désert médical. Pour pallier ces inégalités, il est urgent d’adapter l’organisation du système de santé et de renforcer le rôle des infirmiers, acteurs essentiels du parcours de soins.
Le présent texte va dans ce sens. Il précisera les missions des infirmiers, introduira la consultation infirmière et leur permettra de prescrire certains examens et traitements. C’est une avancée pragmatique pour améliorer la continuité des soins et répondre aux attentes du terrain. Nous connaissons tous l’importance du travail des infirmiers, leur expérience est précieuse et il est temps de la reconnaître pleinement.
La Fédération nationale des infirmiers salue d’ailleurs cette initiative, qui satisfait une demande forte de la profession. Le présent texte permettra d’élargir les compétences des infirmiers, de faciliter le suivi des patients et d’améliorer l’accès aux soins. Il offrira également de nouvelles possibilités dans des secteurs clés comme la protection maternelle et infantile, la santé scolaire et l’aide sociale à l’enfance. Enfin, il permettra aux infirmiers spécialisés de renforcer leur rôle.
L’objectif est clair : trouver un équilibre entre autonomie et complémentarité, sans opposer les métiers mais en créant un cadre adapté aux réalités du terrain. Le groupe Horizons & Indépendants soutiendra ce texte, qui apporte une réponse concrète aux attentes des professionnels et des patients. Nous espérons son adoption rapide, pour une application efficace.
M. Stéphane Viry (LIOT). La France connaît une crise de l’accès aux soins ; les maladies chroniques se développent et la population vieillit. Pour relever ces défis, nous devons nous appuyer sur tous les professionnels du soin, notamment les infirmières libérales qui sont compétentes, disponibles et se trouvent déjà en première ligne.
Votre proposition de loi apporte un commencement de réponse, à la suite de plusieurs textes votés ces dernières années. La profession est encore régie par un décret d’actes, ce qui explique le manque de reconnaissance dont elle fait l’objet et sa perte d’attractivité. Le présent texte y substituera un socle de missions inscrit dans la loi, qui sera décliné par compétences et par actes au niveau réglementaire. Cela permettra d’assouplir l’organisation de la profession et de lui faire gagner en autonomie.
Ce ne peut être qu’une première étape. Le toilettage législatif implique, dans un premier temps, une refonte du référentiel, des compétences et de la formation ; dans un second temps, une réforme de la nomenclature des actes. Dispose-t-on d’un calendrier des évolutions prévues, sachant que la concertation est engagée de longue date sur ces sujets ?
Ce texte reconnaîtra la consultation infirmière, qui existe dans les faits depuis de nombreuses années. De même, les infirmiers pratiquent nécessairement des soins relationnels lors du suivi de leurs patients. Nous reviendrons lors de la défense de nos amendements sur ces questions, ainsi que sur la prescription infirmière.
L’article 2 prévoit que les infirmiers spécialisés pourront enfin exercer en pratique avancée. Il répond ainsi à la demande légitime d’évolution statutaire que les infirmiers anesthésistes formulent depuis 2019. Nous souhaitons toutefois insister sur la nécessité de lever les obstacles que les IPA rencontrent sur le terrain – nous y reviendrons lors de la défense de nos amendements.
M. Yannick Monnet (GDR). Cette proposition de loi est bienvenue, car très attendue par la profession.
Le décret qui énumère les tâches ouvertes aux infirmiers n’a pas été révisé depuis une vingtaine d’années. Le présent texte lui substitue utilement une liste de compétences socles, qui sera inscrite dans le code de la santé publique.
Ce texte prévoit en outre un élargissement des lieux d’exercice des infirmiers en pratique avancée. Leurs compétences les disposent en effet à intervenir au sein des services de PMI, de santé scolaire et d’aide sociale à l’enfance, qui manquent cruellement de soignants. Ces dispositions vont dans le bon sens pour contrer les effets désastreux de la désertification médicale et constituent une reconnaissance de la profession d’infirmier.
Toutefois, pour que la reconnaissance soit complète, il faut que la refonte globale de la formation et de la profession d’infirmier envisagée ces dernières années se concrétise. En mai 2023, François Braun, alors ministre de la santé et de la prévention, annonçait une grande concertation sur ces questions. Or la refonte de la formation initialement prévue pour septembre 2024, a été décalée deux fois et il n’est même pas certain que la nouvelle échéance de septembre 2025 soit respectée. Elle est pourtant indispensable pour que les infirmiers disposent des compétences nécessaires aux nouvelles missions que leur ouvrira le présent texte, et pour répondre aux aspirations des jeunes professionnels.
Ainsi, il faudra nécessairement la mener à bien dans les prochains mois, afin de permettre aux universités et aux instituts de formation en soins infirmiers de rendre effectives les avancées du présent texte.
Enfin, la profession attend une revalorisation salariale à hauteur de la formation suivie et des missions assumées, notamment pour l’exercice en pratique avancée.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Cette proposition de loi est complémentaire des textes que j’ai défendus afin de modifier progressivement les structures de soins et de revenir sur le monopole médical dans notre pays.
Les infirmières ont évolué, bien loin de l’image d’antan de religieuses. Les maladies et les formations ont évolué. Il faut faire confiance à ces professionnelles pour l’évolution de leur métier. Nous ne pouvons pas nous permettre de gâcher leurs compétences, alors que l’accès aux soins est difficile. Nos voisins sont en avance sur nous en la matière ; de nombreuses études confirment l’amélioration de la qualité de prise en charge permise par l’évolution des métiers des professionnels de santé. N’ayons donc pas peur. Je peux vous assurer que les décrets prévus dans ce texte seront très cadrés et donneront lieu à de multiples consultations ; des médecins contribueront à les écrire. Ils ne seront donc pas pris n’importe comment.
Bien sûr, la coordination des soins est indispensable et le médecin restera au centre de la prise en charge, mais ce ne sera plus forcément le premier à voir le malade. Les professionnels de santé ont besoin de cette proposition de loi et de notre confiance.
M. le rapporteur général. Nous soutenons ce texte attendu. Toutefois, l’actualisation du statut des infirmiers prévue à l’article 1er pourrait avoir un impact financier. L’avez-vous estimé ? Il me semble qu’une enveloppe a déjà été prévue.
M. Laurent Panifous (LIOT). La loi fait progressivement évoluer la profession d’infirmière, en valorisant ces professionnelles, en enrichissant leurs compétences et en accroissant leur autonomie.
Puisque le sujet est sensible, il est juste que l’évolution soit douce. La profession d’infirmier est indispensable ; son évolution répond aux problèmes de la démographie médicale et au vieillissement de la population. Ne la craignons pas et conservons notre calme face à l’affrontement qu’elle suscite avec les médecins. Ceux-ci doivent se concentrer sur les tâches qui nécessitent une grande expertise ; ils permettront ainsi à d’autres professions qui méritent d’être valorisées de l’être. Une telle évolution profite à tout le monde.
Mme la rapporteure. Vos interventions favorables témoignent du relatif consensus autour de ce texte.
Madame Loir, les causes de l’abandon du métier sont multiples. Les contraintes liées au covid ont fait évoluer le rapport au travail de certains professionnels ; le turnover dans les services de soins n’a pas facilité l’accueil des jeunes diplômés ; le niveau des salaires a également pu poser problème. Historiquement, la durée moyenne d’exercice du métier d’infirmière a considérablement varié. Elle a pu descendre jusqu’à deux ans, avant de passer à dix puis à quinze ans – actuellement, c’est un peu moins.
Concernant les étudiants, il convient d’améliorer la définition des prérequis sur Parcoursup et l’accueil lors des stages, notamment les premiers, qui font parfois du métier un repoussoir, alors qu’ils devraient encourager la poursuite de la formation.
Par ailleurs, la valeur d’un texte ne se mesure pas à son nombre d’articles. L’adoption de l’article 1er est une impérieuse nécessité pour faire évoluer le métier. Il permettra aux infirmiers de travailler en complémentarité avec les autres professionnels de santé.
Madame Erodi, les indemnités kilométriques des infirmières libérales ont été revalorisées de 10 % en 2023. Même si l’enveloppe est limitée au vu des contraintes, c’est déjà une avancée.
Un travail est en cours pour harmoniser la durée de la formation au niveau européen. En France, elle est de 4 200 heures, mais il faudra la porter à 4 600 heures, tout en conservant l’organisation actuelle, celle d’une licence de trois ans permettant l’obtention de 180 crédits European Credit Transfer and Accumulation System (ECTS).
Si nous allongeons la durée des études d’infirmières d’un an, le recrutement de ces professionnelles connaîtrait une année blanche, ce qui poserait problème. Un tel allongement serait en outre coûteux ; il faudrait trouver les enseignants et les lieux d’enseignement nécessaires. Enfin, cela risquerait d’aggraver la précarité des étudiants, qui doivent déjà parfois interrompre leur formation pendant un ou deux ans pour des raisons financières, car ils ne parviennent pas à concilier leurs études avec un travail.
Monsieur Davi, l’infirmière ne remplacera pas le médecin. Chacun a une mission propre, complémentaire et nécessaire. Toutefois, dans les déserts médicaux, l’infirmière sera la première interlocutrice du patient. Elle l’écoutera, afin de débroussailler ses préoccupations et de fixer des priorités. Le cas échéant, elle le confiera ensuite à un médecin traitant ou à un spécialiste, possiblement par téléconsultation afin de lui éviter un déplacement.
Monsieur Isaac-Sibille, je suis d’accord avec vous, l’autonomie n’est pas l’indépendance. Elle ne dispense pas de collaborer avec les autres et de les informer.
Monsieur Viry, ce texte est une première pierre. Une fois qu’il sera adopté, des décrets seront pris concernant les nouvelles missions des infirmiers. Un travail a déjà commencé avec la Cnam sur la nomenclature. Malgré les contraintes liées au montant de l’enveloppe, des négociations ont commencé sur la valorisation de la consultation et de la prescription infirmières.
Ainsi, monsieur le rapporteur général, même si l’impact financier du texte n’a pas été mesuré de manière fine, la Cnam est déjà au travail concernant les infirmiers du secteur libéral. Quant à ceux qui sont salariés, le coût du texte devrait être financé par les lignes de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie consacrées à l’amélioration des soins. Rappelons en outre que les salariés ont déjà été revalorisés dans le cadre du Ségur de la santé. Les discussions iront de pair avec l’évolution du métier.
M. le président Frédéric Valletoux. Malgré quelques nuances, tous les orateurs ont souligné le bien-fondé de ce texte nécessaire, qui s’inscrit dans le droit fil de ceux défendus par Mme Rist et par la majorité présidentielle depuis 2017.
Cette évolution lente de la profession lui permet de s’adapter. Les infirmiers font partie des rares professionnels de santé à exercer au domicile des patients. Cette dimension, importante, doit être soutenue.
M. François Braun avait lancé la réflexion sur une refonte globale de ce métier. Si cette proposition de loi ne sera pas la grande loi demandée, elle constitue une première pierre, un socle qui redéfinit les compétences des infirmiers sur le plan juridique. Cela permettra des discussions beaucoup plus fines avec l’assurance maladie, qui précisera la dimension économique des nouvelles missions des infirmiers.
Article 1er : Refonte du socle législatif régissant la profession d’infirmier diplômé d’État
Amendements AS161 de Mme Nicole Dubré-Chirat et AS114 de M. Cyrille Isaac‑Sibille (discussion commune)
Mme la rapporteure. Dans sa rédaction actuelle, l’alinéa 4 ne fixe pas de limite à la dérogation à l’interdiction d’exercice illégal de la médecine prévue pour les infirmières. Il faut restreindre cette dérogation aux missions propres à ces professionnelles.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Mon amendement va dans le même sens. Il faut limiter le flou. Les infirmiers comme les médecins auront leur mission propre, avec une frontière nette. C’est la philosophie de cette proposition de loi.
La commission adopte l’amendement AS161.
En conséquence, l’amendement AS114 tombe, ainsi que les amendements identiques AS10 de Mme Sylvie Bonnet et AS115 de M. Cyrille Isaac-Sibille.
Amendement AS95 de Mme Christine Loir
Mme Christine Loir (RN). Si nous souhaitons que le rôle essentiel des infirmières dans la prise en charge des patients soit mieux reconnu, il faut préciser leurs obligations déontologiques. Nous garantirons en outre qu’elles se conformeront aux exigences éthiques et légales de leur profession.
Mme la rapporteure. Depuis 2016, la profession d’infirmière est régie par un code de déontologie exhaustif et régulièrement actualisé. La précision demandée n’est donc pas nécessaire.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Mme Christine Loir (RN). Nous nous apprêtons à donner de nouvelles compétences aux infirmières. Il faut s’assurer qu’elles seront encadrées par le code de déontologie.
Mme la rapporteure. L’Ordre national des infirmiers actualise régulièrement le code de déontologie et continuera à le faire.
M. le président Frédéric Valletoux. Le code de déontologie de la profession ne relève pas du champ législatif.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS12 de Mme Sylvie Bonnet et AS113 de M. Cyrille Isaac-Sibille (discussion commune)
Mme Sylvie Bonnet (DR). Je propose de préciser la distinction entre les soins relevant du rôle propre de l’infirmier et ceux réalisés sur prescription, afin de garantir la qualité des soins et la sécurité juridique des professionnels de santé, qui exercent dans un environnement juridique très réglementé.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Dans le même objectif, je propose de préciser quels soins sont réalisés par les infirmiers conformément à leur rôle propre, et quels soins ils réalisent sur prescription. Les soignants ont besoin de critères simples pour pouvoir respecter la loi et la réglementation.
L’article 16-3 du code civil, issu de la loi de bioéthique de 1994, prévoit déjà que l’atteinte au corps relève nécessairement du champ médical. En distinguant les actes invasifs et médicamenteux, qui relèvent de la médecine, des actes non invasifs, qui relèvent de la science infirmière, nous reprenons donc des critères du droit.
Nous anticipons ainsi la diversité des prescripteurs d’actes invasifs ou médicamenteux, en prévoyant une manière simple d’identifier le régime juridique applicable à chaque soin, sans qu’un arrêté du ministre de la santé fixant la liste exhaustive des actes et leur nature soit nécessaire. Cette démarche s’inscrit dans l’esprit de la proposition de loi, qui consiste à organiser l’exercice de la profession infirmière par mission.
Enfin, l’inscription de tels critères ne grèverait en rien la possibilité, prévue à l’alinéa 7 de l’article 1er, de permettre aux infirmiers des consultations donnant lieu à la prescription de produits de santé ou d’examens complémentaires.
Mme la rapporteure. Les missions des infirmières distinguent déjà ce qui relève du rôle propre ou du rôle prescrit. Le premier, défini depuis 1992, recouvre « les soins liés aux fonctions d’entretien et de continuité de la vie et visant à compenser partiellement ou totalement un manque ou une diminution d’autonomie d’une personne ou d’un groupe de personnes ». Si une modification du droit de prescription venait à entraîner une évolution du périmètre du rôle prescrit, celle-ci relèverait du domaine réglementaire, après concertation avec les organismes professionnels.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Même si cela figure déjà dans le code d’éthique, il me semble important de préciser dans la loi que l’atteinte au corps relève du champ médical, et non du champ infirmier, afin de bien clarifier les responsabilités de chacun.
Mme la rapporteure. On ne peut pas fonder la distinction sur la nature des actes, puisque les infirmières sont autorisées à pratiquer certains actes invasifs, comme la vaccination, et que les médecins assurent également des missions de prévention et de consultation, par nature non invasives. Je préfère qu’on s’en tienne à la définition de missions larges, qui feront ensuite l’objet d’une déclinaison plus fine par voie réglementaire.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Avez-vous une idée du contenu du futur décret ? C’est une source d’inquiétude.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Forte de l’expérience de l’adoption de ma seconde proposition de loi – à l’unanimité moins une voix – en mai 2023, qui portait sur des sujets similaires – elle autorisait notamment la primoprescription pour les IPA – je peux vous expliquer le cheminement du texte.
La promulgation d’un texte est suivie d’une série de concertations avec les professionnels concernés, à l’issue desquelles le décret est publié – avec un champ généralement très réduit par rapport à la loi, car il faut que les personnes concernées se mettent d’accord. Dans mon cas, les médecins n’étaient pas favorables à la primoprescription par les IPA, il a fallu un an de consultations pour trouver un accord, et ce décret a été publié en janvier 2025. L’application effective du décret nécessite ensuite un arrêté, dont le contenu fait l’objet de nouvelles consultations. S’agissant de mon texte, promulgué en mai 2023, nous attendons toujours la publication de cet arrêté, qui précisera les actes qui pourront être prescrits par les IPA.
Vous pouvez donc être rassurés : il y aura encore de nombreuses négociations avec les professionnels après l’adoption de la loi, inutile d’en ajouter dans le texte.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS162 de Mme Nicole Dubré-Chirat
Mme la rapporteure. Même si cela va de soi, cet amendement rédactionnel vise à préciser que les missions de l’infirmier ont vocation à être exercées en complémentarité avec celles des autres professionnels de santé.
La commission adopte l’amendement.
Amendements AS112 de M. Cyrille Isaac-Sibille et AS13 de Mme Sylvie Bonnet (discussion commune)
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Mon amendement tend à préciser que la prescription du médecin peut être donnée à l’infirmier de manière écrite ou orale, car certains actes invasifs réalisés par les infirmiers aides opératoires habillés en stérile – aide à l’exposition, aspiration, hémostase –, décidés au-dessus du champ opératoire en fonction des besoins immédiats d’intervention, ne peuvent faire l’objet d’une prescription écrite préalable du chirurgien.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Les infirmiers aides opératoire habillés en stérile peuvent être amenés à réaliser des actes invasifs comme l’aide à l’exposition, l’aspiration ou l’hémostase, sans qu’ils aient pu être prescrits préalablement par écrit, puisque le binôme chirurgien-infirmier travaille ensemble au-dessus du champ opératoire. Il faut donc prévoir la possibilité de donner les prescriptions oralement.
Mme la rapporteure. J’ai exercé longtemps, y compris en bloc opératoire, et les infirmiers se sont toujours opposés à la prescription orale, car seuls les écrits font foi en cas de problème et de plainte d’un patient. S’il arrive que des médecins fassent des prescriptions orales parce qu’ils ont d’autres priorités à ce moment-là – en cas de réanimation d’un patient, par exemple –, celles-ci doivent ensuite être consignées. J’en parle d’autant plus savamment que j’ai vu des médecins nier une prescription orale après le choc allergique massif d’un patient, par exemple. Il serait inacceptable d’inscrire dans la loi la possibilité de s’en tenir à une prescription uniquement orale.
En outre, certains actes réalisés par les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État sont déjà prévus dans leurs missions, en fonction de leur niveau de formation – la participation aux sutures, notamment –, et ne nécessitent pas de prescription orale supplémentaire.
Convaincue de l’impérieuse nécessité d’écrire les prescriptions, je suis particulièrement défavorable à ces deux amendements.
M. Jean-François Rousset (EPR). C’est justement parce que le chirurgien est responsable de tous les acteurs qu’il engage dans un acte chirurgical – y compris des anesthésistes –, qu’il est très important d’insister sur l’écriture des protocoles en amont.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je vous rejoins totalement, madame la rapporteure, mais l’intérêt de l’amendement est d’identifier les situations dans lesquelles il n’est pas possible de formaliser la prescription préalablement à l’acte, afin d’éviter les dérives actuelles et de limiter la réalisation d’actes sans prescription écrite. Dans tous les cas, il faudra que les prescriptions orales soient formalisées, a posteriori au besoin.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS73 de M. Laurent Panifous
M. Laurent Panifous (LIOT). Cet amendement vise à compléter l’alinéa 6 afin de mieux reconnaître l’autonomie de la profession – ce qui ne signifie pas travailler de manière indépendante ou isolée. La profession infirmière est régie par un ordre, elle exerce ses missions de manière autonome dans le respect du cadre et est responsable de ses choix.
Mme la rapporteure. Cette précision est superfétatoire : il est évident que l’infirmière travaille de manière autonome, en lien avec les autres professionnels, et qu’elle est responsable des actes qu’elle réalise, que ceux-ci relèvent de leur rôle propre ou d’une prescription – d’où l’intérêt de la prescription écrite.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS21 de Mme Sylvie Bonnet
Mme Sylvie Bonnet (DR). Cet amendement vise à acter le principe de la prescription en complétant l’alinéa 7 de l’article 1er.
Mme la rapporteure. Comme cela avait été fait pour les IPA, le périmètre du droit de prescription et la liste des actes autorisés seront précisés dans un décret de compétences, pris après négociation avec les professionnels.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS160 de Mme Sylvie Bonnet
Mme Sylvie Bonnet (DR). Cet amendement vise à rappeler l’importance de l’autonomie de l’exercice infirmier.
Mme la rapporteure. C’est prévu par le texte et, en pratique, c’est déjà le cas. Il est donc inutile d’ajouter cette précision.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS146 de M. Christophe Bentz
M. Christophe Bentz (RN). Cet amendement tend à préciser les quatre domaines couverts par la consultation infirmière : observance du traitement par les patients chroniques, garantie du bien-vieillir des patients à domicile, accompagnement des patients à la sortie de l’hôpital ou de la chirurgie ambulatoire et suivi des cancéreux traités à leur domicile.
Mme la rapporteure. L’objectif du texte est de définir le cadre, les missions des infirmiers ; le périmètre des consultations et les compétences inhérentes seront précisés dans un second temps, après consultation des organisations professionnelles.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS38 de Mme Karen Erodi
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). On reconnaît aux infirmières la capacité à poser un diagnostic, mais on hésite à leur donner les moyens d’y répondre pleinement : c’est toute l’ambiguïté de ce texte, qui prétend revaloriser la profession mais refuse de lui accorder la pleine autonomie qui devrait en découler. De toute évidence, une consultation infirmière ne saurait se résoudre à constater un état et poser un diagnostic : les professionnelles doivent également pouvoir définir les objectifs de soins pour y répondre concrètement, sans être systématiquement entravées par des protocoles rigides ou la nécessité d’une validation médicale.
Avec cet amendement, nous proposons une véritable reconnaissance du rôle des infirmiers et des infirmières comme acteurs de premiers secours, capable d’évaluer, mais aussi d’intervenir efficacement. Là où votre texte reste frileux, nous assumons pleinement l’autonomie des soignants pour désengorger le système de santé et garantir un accès aux soins plus fluide et plus efficace.
Mme la rapporteure. On ne peut qu’être d’accord avec votre constat. Mais le texte prévoit déjà que l’infirmière qui accueille un patient évalue ses besoins – notamment ses besoins fondamentaux –, définit les objectifs de soins et les planifie, seule ou en lien avec d’autres professionnels de santé. Là encore, c’est déjà le cas en pratique. La précision que vous souhaitez apporter étant superfétatoire, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendement AS130 de M. Thomas Ménagé
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). En l’absence d’étude d’impact et d’avis du Conseil d’État, les organisations professionnelles des infirmiers et des médecins s’interrogent sur le risque pénal et le partage des responsabilités en cas de prescription de produits de santé ou d’examens complémentaires par les infirmiers. Afin de mieux encadrer cette possibilité, cet amendement vise à instaurer une phase d’expérimentation pour une durée maximale de trois ans, limitée à cinq départements. À l’issue, une évaluation du coût et de la qualité des soins, et de la coordination entre les différents professionnels de santé, permettra au besoin d’améliorer le dispositif avant de le pérenniser, le temps que suffisamment de nouveaux médecins soient formés. Il nous paraît plus sain et plus prudent d’avancer progressivement.
Mme la rapporteure. Le droit de prescription est déjà acquis aux infirmiers – de manière limitée pour les infirmières de soins généraux, plus élargie pour les IPA. L’adoption de votre amendement marquerait donc un recul par rapport à la situation actuelle.
Si nous en décidons ainsi, l’élargissement du droit de prescription devra être un choix définitif, sans recours à une phase d’expérimentation, qui ferait perdre beaucoup de temps, d’autant qu’il faudra coordonner les différents professionnels de santé. Au reste, la signature de protocoles de coopération entre professionnels de santé validés par la Haute Autorité de santé, qui permettent le transfert d’actes des médecins vers les infirmières, a déjà permis des avancées significatives pour les travaux en commun.
Avis défavorable.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Les amendements du Rassemblement national visent à limiter la portée du texte, au mépris de la confiance que nous devons aux quelque 700 000 infirmières, des professionnelles formées, diplômées, qui méritent tout notre soutien, mais aussi au mépris de l’accès aux soins des Français. Vous remettez systématiquement en cause les compétences des infirmières, comme dans le précédent amendement, qui visait à supprimer la possibilité pour les infirmiers d’établir des diagnostics.
Mme Sandrine Dogor-Such (RN). Pas du tout. Nous voulons simplement que les dispositifs prévus par le texte soient le mieux encadré possible. C’est tout l’intérêt d’une expérimentation.
La commission rejette l’amendement.
La réunion s’achève à treize heures.
Informations relatives à la commission
La commission a désigné M. Benjamin Lucas-Lundy rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements (n° 971).
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Éric Bothorel, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Chantal Jourdan, M. Guillaume Kasbarian, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Laure Miller, Mme Joséphine Missoffe, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Anne-Sophie Ronceret, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry
Excusés. – M. Elie Califer, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean‑Hugues Ratenon, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Philippe Vigier
Assistaient également à la réunion. – M. Sébastien Delogu, M. Yoann Gillet, M. Gérard Leseul, Mme Sandra Marsaud, Mme Marie Pochon