Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport « Impacts du système de retraites sur la compétitivité et l’emploi »              2

– Présences en réunion.................................10

 

 

 

 

 


Mardi
6 mai 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 81

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président

 


  1 

La réunion commence à seize heures trente.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission auditionne M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, sur le rapport « Impacts du système de retraites sur la compétitivité et l’emploi ».

M. le président Frédéric Valletoux. Nous accueillons M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, pour présenter le rapport « Impacts du système de retraites sur la compétitivité et l’emploi », communiqué le 10 avril au Premier ministre.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. Ce rapport s’inscrit dans un contexte de négociations qui a évolué depuis la première réunion des partenaires sociaux au sein du « conclave sur les retraites ». J’espère que ces discussions aboutiront, tant une situation inchangée en matière de financement des retraites serait préjudiciable à la soutenabilité du système à moyen et à long terme.

Ce rapport documente les effets économiques des principaux paramètres du système de retraites sur la compétitivité de notre économie et sur l’emploi. S’agissant de la compétitivité, nous nous sommes inspirés de la notion de « compétitivité durable » retenue par la Commission européenne, qui prend en compte les enjeux d’équité dans l’évolution du système de retraites, qu’il s’agisse d’équité intergénérationnelle ou intragénérationnelle.

Nous avons adopté une démarche comparative à l’échelle européenne. Notre analyse se concentre sur l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, dont les modèles sociaux et de retraites nous sont proches. Par ailleurs, ce travail s’est fondé sur les modèles économiques disponibles, les données des administrations et l’abondante littérature scientifique.

Dans un premier chapitre, nous nous sommes demandé quelle serait la conséquence pour le système de retraites français d’une amélioration du taux d’emploi et de la compétitivité. Le deuxième chapitre analyse les caractéristiques du système français ainsi que ses effets sur l’emploi et la compétitivité. Le troisième chapitre s’attache aux leviers que sont les taux des cotisations, l’âge de départ et les conditions d’indexation des pensions.

Quatre grandes conclusions peuvent être tirées de ce rapport.

Première conclusion : le financement du système de retraites a des effets ambivalents sur notre compétitivité, qui s’est structurellement dégradée au début des années 2000. Depuis 2006, la France a constamment enregistré un déficit de la balance des biens et services. Celui-ci a atteint 21,5 milliards d’euros en 2024, soit 0,7 point de produit intérieur brut (PIB), contre un excédent de 4,5 points pour la zone euro. C’est la conséquence directe de la désindustrialisation de notre pays, qui compte 10 % d’emplois industriels contre 17 % en Italie et 18 % en Allemagne. Cette dégradation s’inscrit aussi dans un contexte de décrochage de la compétitivité de l’Union européenne par rapport aux États-Unis et à la Chine, en raison d’une productivité moindre.

Le financement des dépenses de retraites à travers les cotisations sociales, soit 9,5 points de PIB, explique une partie des coûts salariaux unitaires, et donc de la compétitivité coût de l’économie française. Cependant, la compétitivité hors coût est plus préoccupante : nos exportations n’ont pas connu de montée en gamme depuis près de vingtcinq ans, les dernières enquêtes du programme international pour le suivi des acquis des élèves témoignent d’un décrochage, et nous ne figurons plus qu’à la dixième place mondiale en termes de publications scientifiques.

En France, les cotisations sociales consacrées au financement des retraites sont fortement allégées sur les bas salaires, mais elles pèsent plus que chez nos partenaires sur les niveaux de salaires les plus élevés. Elles pourraient affecter la compétitivité hors coût et la productivité française, même si aucune étude économique n’a été consacrée au cas français. Ainsi, le financement du système de retraites constitue un des facteurs qui peuvent influer sur la compétitivité. Mais ce n’est peut-être pas le principal : les autres prélèvements, le coût de l’énergie, les taux de change ou les droits de douane doivent bien évidemment être pris en compte.

Deuxième conclusion : les réformes des retraites ont entraîné une augmentation du taux d’emploi des plus de 55 ans. Mais ce taux demeure faible par rapport à celui de nos partenaires européens, et il masque des inégalités. Le « ratio de dépendance », c’est-à-dire la part de la population de plus de 65 ans comparée à la population de 20 à 64 ans, augmente dans tous les principaux pays européens. En France, il passerait de 38 % en 2022 à 53 % en 2050.

La cause principale de l’écart entre le taux d’emploi français et ceux de nos partenaires découle de notre faiblesse en ce qui concerne le taux d’emploi des hommes de 55 ans et plus. Selon la direction générale du Trésor, un alignement du taux français sur le taux allemand engendrerait un gain net à long terme de 7 milliards d’euros pour le financement des retraites. Plus important : l’évolution du taux d’emploi des hommes de 55 ans et plus n’est pas un préalable des réformes des retraites, mais leur conséquence. Les études montrent que le recul de l’âge de la retraite a pour effet d’augmenter ce taux d’emploi. Toutefois, ceci cache des disparités importantes : la probabilité de ne se trouver « ni en emploi ni en retraite » est plus forte pour les travailleurs les moins qualifiés, pour les femmes et pour les personnes en difficulté de santé. Il faut donc les accompagner de manière spécifique pour que les augmentations de l’âge de départ se traduisent par un allongement du temps en emploi, sans distinction ni discrimination.

La troisième conclusion est la suivante : dans les réflexions sur l’emploi des travailleurs expérimentés et sur les paramètres de notre système de retraites, il est impératif de préserver l’équité. Je pense d’abord à l’équité au sein d’une même génération  l’équité « intragénérationnelle ». En 2023, une personne sur cinq âgée de 55 à 64 ans n’est ni en emploi ni en retraite, soit 1,6 million sur une classe d’âge de 8,5 millions d’individus. Face à ces disparités, de nouvelles mesures sont nécessaires afin que le recul de l’âge moyen de départ favorise le maintien en activité ou le retour à l’emploi, de manière équitable. Il faut tenir compte des difficultés concrètes, telles les discriminations à l’embauche et à la formation. L’écart d’espérance de vie à 65 ans entre les cadres et les ouvriers est significatif : deux ans pour les femmes et trois ans pour les hommes en 2020. Enfin, l’âge moyen de départ à la retraite de ceux dont la pension est la plus faible est plus élevé que celui des retraités les mieux pensionnés.

En outre, il faut s’attacher à l’équité intergénérationnelle de notre système de retraites. L’évolution des rapports entre cotisants et retraités constitue un défi majeur pour son financement. Les paramètres actuels entraîneraient le creusement du déficit, de 15 milliards d’euros en 2035 et 30 milliards d’euros en 2045, et, partant, le gonflement de la dette. Certains pays européens, confrontés à la même problématique, s’assignent pour objectif une stabilité du temps passé à la retraite au cours de la vie, pour veiller à la pérennité des systèmes de retraite et au partage équilibré des efforts entre les générations.

Quatrième et dernière conclusion : il existe, ailleurs en Europe, des mécanismes d’adaptation progressive des paramètres des systèmes de retraite aux évolutions économiques et démographiques. Trois leviers sont envisageables. Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur l’emploi et la compétitivité selon les modèles économiques ; mais son ampleur pourrait varier, selon que l’augmentation concerne les cotisations employeurs ou salariales, et selon qu’elle cible ou non les bas salaires. Reculer l’âge effectif de départ à la retraite aurait un impact positif sur le taux d’emploi moyen, mais cela nécessiterait des mesures spécifiques pour garantir le maintien en emploi tout en tenant compte des difficultés concrètes de certains. Enfin, une indexation au moins partielle sur les salaires plutôt que sur l’inflation, assortie d’un facteur de soutenabilité, présenterait l’avantage de faciliter le pilotage du système.

Une réforme devrait combiner ces trois leviers, comme c’est le cas chez nos voisins. Certains mécanismes prévoient d’ajuster l’âge de la retraite en fonction des gains d’espérance de vie. D’autres permettent de revaloriser les pensions en tenant compte des conditions économiques et démographiques. Ils prévoient tous des clauses de revoyure.

En conclusion, les trois impératifs pointés par notre rapport sont les suivants : préserver l’équité intragénérationnelle et intergénérationnelle de notre système de retraites ; renforcer la compétitivité de notre économie et améliorer le taux d’emploi, en particulier pour les hommes de plus de 55 ans. Les réformes mises en œuvre par nos voisins européens sont autant de sources d’inspiration.

M. Jérôme Guedj (SOC). La Cour a-t-elle pu explorer des pistes concrètes de réforme permettant à la France de rattraper l’écart en matière de taux d’emploi, notamment vis-à-vis de l’Allemagne ? Par exemple, la fréquence des négociations entre partenaires sociaux sur ce thème pourrait être accélérée. Que pensez-vous de la proposition consistant à créer des contrats à durée indéterminée exonérés de cotisations sociales pour les travailleurs les plus proches de la retraite ? Auriez-vous des suggestions concernant le taux d’emploi des femmes et des jeunes ?

M. Thomas Ménagé (RN). La question des retraites s’inscrit dans le contexte plus large d’une économie française étouffant sous le poids des normes et des prélèvements obligatoires. Dans quelle mesure un redressement de nos indicateurs économiques tels que l’emploi, la croissance, la productivité pourrait contribuer à rééquilibrer notre système de retraites ? Puisque l’espérance de vie n’est pas la même pour tout le monde, ne faudrait-il pas établir à terme un système progressif, qui tienne compte de l’âge d’entrée dans la vie active ? Enfin, compte tenu des inégalités dont souffrent certaines catégories de la population comme les ouvriers, les personnes à la santé fragile ou les femmes, est-il toujours bénéfique de reculer l’âge de départ à la retraite et d’augmenter la durée de cotisation ?

Mme Stéphanie Rist (EPR). Le rapport de la Cour des comptes démontre que la hausse des cotisations pour laquelle la gauche plaide avec ferveur nuirait gravement aux salariés, à la compétitivité et à l’emploi. À l’inverse, il confirme que les choix effectués par notre majorité sont ceux qui génèrent le plus d’effets favorables. Il faut augmenter le taux d’emploi, ce qui bénéficie à la fois aux finances publiques et à l’activité économique.

Le rapport Draghi sur la compétitivité européenne invite les États membres de l’Union européenne à développer la capitalisation. Aujourd’hui, l’épargne retraite individuelle, qui concerne à peine 13 % des actifs, remplit insuffisamment sa fonction de complément au régime de retraite obligatoire. Pourriez-vous revenir sur les conséquences que le développement de la capitalisation aurait sur la compétitivité et la pérennité de notre système de retraites ?

Mme Josiane Corneloup (DR). Dans ce rapport, la Cour des comptes démontre aisément que la hausse des cotisations entraînerait une destruction des emplois. Elle souligne la nécessité impérieuse d’augmenter le taux d’emploi, particulièrement celui des travailleurs de plus de 55 ans. En revanche, il n’est pas évoqué la proposition d’augmentation du temps de travail de 35 heures à 36 heures par semaine formulée par la Confédération des petites et moyennes entreprises. Sans remettre en cause notre système de répartition, cette mesure offrirait aux salariés un complément de retraite par capitalisation tout en améliorant la productivité de notre économie. Cette proposition pourrait-elle faire l’objet d’une étude de la Cour des comptes ?

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Il est loisible de se demander si la hausse du temps de travail n’entraînerait pas à l’inverse une diminution du taux d’emploi. Avez-vous évalué cette relation ? Quelles politiques publiques faut-il mener pour permettre aux plus jeunes et aux moins diplômés d’accéder plus facilement à l’emploi ?

Votre rapport relève les différences d’espérance de vie entre les ouvriers, les cadres et les professions intermédiaires. Avez-vous évalué les conséquences d’une augmentation de l’âge du départ en retraite sur les dépenses de santé et sur l’espérance de vie, notamment pour ceux dont les travaux sont les plus difficiles ? Enfin, pouvez-vous confirmer que le rattrapage du retard salarial des femmes vis-à-vis des hommes permet de générer des cotisations et de combler finalement le déficit en matière de retraites ?

M. Nicolas Turquois (Dem). Je me demande si l’organisation même de notre système de retraites n’est pas une des raisons de notre moindre taux d’emploi par rapport à nos voisins européens. L’ajout d’une part de capitalisation contribuerait à une meilleure lisibilité. Les solutions retenues par l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie ne participent-elles pas à une meilleure responsabilité ? D’une certaine manière, notre système à la fois très complexe et très solidaire empêche une forme de productivité.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Votre rapport confirme que les personnes dont les pensions sont les plus faibles sont également celles qui partent le plus tard en retraite. Les réformes qui ont repoussé l’âge légal de départ, en France comme à l’étranger, ont surtout conduit à augmenter le taux de temps partiel de nombreux travailleurs, sans améliorer leurs revenus ni leur situation sociale. Ne pensez-vous pas que le relèvement de l’âge de départ en retraite ajoute une charge supplémentaire à des trajectoires déjà pénalisées par des inégalités structurelles ? L’exigence de compétitivité doit-elle toujours se manifester au détriment des droits sociaux les plus élémentaires, en particulier pour les femmes ? Le droit au temps après la vie de travail mériterait mieux que les logiques économicistes bien mal dissimulées de ce rapport.

M. le premier président de la Cour des comptes. Je crois dans les vertus de la négociation. Notre rapport souligne l’utilité de se rapprocher des systèmes de gouvernance existants pour d’autres formes de régimes et dans d’autres pays.

La France souffre surtout d’un faible taux d’emploi des hommes de plus de 55 ans. Les exemples étrangers montrent que l’évolution du taux d’emploi de cette population n’est pas un préalable à la réforme des retraites, mais plutôt sa conséquence. Nous n’avons pas travaillé dans cet exercice sur le taux d’emploi des jeunes, sujet pour lequel nous avons en revanche formulé des propositions dans notre rapport public annuel.

La dégradation de notre compétitivité est essentiellement due aux mauvaises performances de l’industrie française. Elles-mêmes sont multifactorielles : elles résultent du niveau de prélèvements obligatoires, de la faible montée en gamme, de l’évolution des performances éducatives. Mais la compétitivité hors coût est plus déterminante que la compétitivité coût.

Le dispositif des carrières longues ne bénéficie pas suffisamment aux carrières trop fractionnées, en particulier celles des femmes. Le relèvement de l’âge du départ à la retraite aurait un impact positif, d’autant plus si tous les salariés pouvaient rester davantage en emploi.

La retraite par capitalisation constitue un débat que doivent aborder, s’ils le souhaitent, les partenaires sociaux. Mais l’éventuelle mise en place d’un étage de capitalisation n’a pas de lien direct avec les efforts d’équilibrage des comptes des régimes par répartition. J’ajoute que même les pays où le système par capitalisation est le plus répandu disposent d’un étage de retraite par répartition.

Nous n’avons pas étudié le levier de l’augmentation du temps de travail hebdomadaire. L’impact du recul de l’âge de la retraite est positif sur les finances publiques et donc sur l’équilibre financier des régimes de retraite, y compris en intégrant le surcroît de dépenses maladie et chômage.

Les autres pays européens utilisent deux modalités de pilotage des régimes : la prise en compte de l’espérance de vie et l’indexation des pensions, qui tient compte du ratio de dépendance et de la situation économique. Enfin, la gouvernance y est peut-être plus régulière, plus souple, plus élaborée, plus concertée, plus négociée.

La réforme de 2010 a porté le taux d’activité des femmes de 43 % à 65 %, leur taux d’emploi de 39 % à 55 %. Mais elles travaillent davantage à temps partiel. Plus largement, trois publics cibles doivent faire l’objet d’une attention spéciale : les plus précaires et ceux dont les travaux sont les plus pénibles ; les personnes soumises à des difficultés de santé et les femmes.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Le rapport de la Cour des comptes rappelle l’effet négatif sur l’emploi et sur la compétitivité d’une hausse des cotisations. Il faut travailler au maintien de l’emploi des plus de 55 ans, mais aussi à leur recrutement. La piste d’une indexation des pensions sur les salaires présente un intérêt certain, même si la prudence est de mise pour les retraités modestes : un retraité sur trois touche une pension inférieure à 1 000 euros.

Êtes-vous favorable à l’introduction d’une dose de capitalisation dans le système de retraites, ce qui est soutenu par 59 % des Français ?

M. Stéphane Vojetta (EPR). Nous ne partageons pas les propos introductifs du rapport, qui considèrent que « le système de retraite français était en 2023 légèrement excédentaire, à hauteur de 8 milliards d’euros ». Ce système n’est financé qu’aux deux tiers par des cotisations sur la masse salariale ; le reste, soit 120 milliards d’euros, l’est par l’État. Comment assurer l’équité intragénérationnelle alors que nous sommes incapables de calculer combien coûte l’écart de droits entre les systèmes de retraite publics et privés ? Comment assurer l’équité intergénérationnelle alors que le fonctionnement actuel du système aura pour conséquence une forte chute des taux de remplacement pour les futurs retraités ?

Nous réitérons notre demande de transparence, que les conventions comptables actuelles vous permettent d’éluder. Cette attitude évite certes de reconnaître un déficit comptable. Mais ce diagnostic trompeur ne nous permet pas de débattre de manière démocratique et éclairée. Le système actuel creuse la dette publique pour honorer les pensions des retraités actuels, mais il endette leurs enfants et leurs petits-enfants, qui devront un jour acquitter la facture.

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Vous saluez dans votre rapport l’augmentation du taux d’emploi des plus de 55 ans. La réalité est tout autre : ce sont les ouvriers, les femmes aux carrières hachées, les personnes en mauvaise santé qui, après 60 ans, ne sont ni en emploi ni en retraite, mais en invalidité, au chômage ou allocataires du revenu de solidarité active. La Cour assume-t-elle aujourd’hui de recommander des mesures qui aggraveraient encore les injustices sociales, au détriment de ceux qui ont les carrières les plus pénibles et les vies les plus courtes ?

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Encore une fois, votre approche est purement comptable. L’espérance de vie en bonne santé décline. La seule maxime qui vaille est la suivante : travailler mieux, travailler moins, travailler tous. Savez-vous que faire travailler les plus de 55 ans nuit à la solidarité intergénérationnelle, infléchit l’espérance de vie en bonne santé et grève les comptes de l’assurance maladie comme de l’assurance chômage ?

Mme Justine Gruet (DR). Que pensez-vous d’introduire une part de capitalisation dans le système de retraites, mais aussi de parler de durée de cotisation plutôt que d’âge pivot et d’âge légal ? Tout ceci permettrait de favoriser la liberté individuelle dans la gestion des carrières. Par ailleurs, vous avez peu parlé des régimes spéciaux. Enfin, je souhaiterais vous entendre sur les notions de cumul emploi-retraite et de cotisations supérieures à quatre trimestres.

Mme Béatrice Bellay (SOC). Votre rapport ne comporte aucun élément particulier sur les outre-mer, qui pourtant connaissent une dynamique de vieillissement accélérée, une précarité des personnes âgées bien plus marquée et une exposition à la pénibilité du travail souvent plus forte. En 2024, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, 28 % de la population martiniquaise a plus de 60 ans et le taux de pauvreté des plus de 65 ans est de 20 %. C’est respectivement 22 % et 20 % dans les départements de droit commun. Envisagez-vous de combler cette lacune par un rapport spécifique ?

Par ailleurs, l’indemnité dite des 40 % versée aux fonctionnaires en poste outremer pour compenser en partie le différentiel du coût de la vie n’est pas prise en compte dans le calcul de la retraite, ni dans celui des cotisations. Disposez-vous d’éléments pour nous permettre de formuler des propositions concrètes d’amélioration de la situation de ces futurs retraités des trois fonctions publiques ?

Mme Joëlle Mélin (RN). Selon les données du rapport, depuis 1980, le nombre de personnes en emploi n’a progressé que de 4,5 millions et le pourcentage d’hommes au travail est passé de 95 % à 85 %. De leur côté, les femmes travaillent beaucoup plus qu’en 1980, même après 60 ans. Est-il d’utile de garder comme paramètres d’étude le recul de l’âge de la retraite alors que le delta est franchement négatif sur le taux d’emploi ? Autrement dit, doit-on garder les grands-parents dans le monde du travail, souvent dans de mauvaises conditions, alors que leurs enfants et leurs petits-enfants pourraient travailler plus tôt et plus nombreux ?

M. le premier président de la Cour des comptes. Le rapport de la Cour des comptes se veut objectif et je pense qu’il l’est. Monsieur Vojetta, il y avait bien un excédent comptable de 8 milliards d’euros en 2023, mais nous indiquions dès notre premier rapport que le déficit serait de 6 milliards d’euros dès 2025, se creusant ensuite à 15 milliards d’euros en 2035, puis 30 milliards d’euros en 2045. Vous relancez le débat soulevé par Jean-Pascal Beaufret, dont l’obstination et la force de conviction ont réussi à convertir un certain nombre de partisans. Ces montants dépendent de normes comptables et de différences objectives entre les systèmes de retraite du public et du privé. Même si nous adoptions d’autres normes, qu’il reviendrait au législateur d’établir, le problème demeure le même : ces montants correspondent à de la dette, qui n’est pas uniquement due au système de retraite, mais plus généralement à la manière de gérer la société.

Afin de maintenir l’emploi des travailleurs de plus de 55 ans, il est important d’améliorer leur formation, plus particulièrement dans les petites et moyennes entreprises. Le rapport traite par ailleurs de l’augmentation de l’âge effectif de départ, mais également de la question des femmes. Le sujet de l’espérance de vie en bonne santé est effectivement fondamental : à 65 ans, elle est de 12 ans pour les femmes et de 10,5 ans pour les hommes, en hausse depuis 2008. Ceci mérite d’être pris en considération par les partenaires sociaux.

Un chapitre du prochain rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, qui sera dévoilé à la fin du mois de mai, sera consacré au cumul emploi-retraite.

S’agissant de la capitalisation, je précise qu’en toute hypothèse, elle ne peut être que complémentaire à la retraite par répartition. Les risques en la matière devaient aussi être pris en compte. Les taux d’emploi évoluent par ailleurs en début de carrière en raison notamment de l’allongement des études.

Madame Bellay, vos remarques sur les outre-mer sont pertinentes. Le temps a manqué pour traiter la situation de ces territoires. Ces questions légitimes pourraient être approfondies par la sixième chambre, qui est chargée de ces sujets, ou par la chambre régionale des comptes.

M. le président Frédéric Valletoux. Je vous remercie d’avoir pris part à cette audition. Nous aurons l’occasion de vous entendre à nouveau dès la semaine prochaine, cette fois sur la question de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.

La réunion s’achève à dix-sept heures cinquante-cinq.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, Mme Béatrice Bellay, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, M. Fabien Di Filippo, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Thierry Frappé, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Justine Gruet, Mme Zahia Hamdane, M. Didier Le Gac, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Arnaud Simion, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux

Excusés.  M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Sylvie Bonnet, M. Elie Califer, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Estelle Youssouffa

Assistaient également à la réunion.  M. Pierre Cordier, M. Jérôme Guedj, M. Stéphane Vojetta