Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Table ronde sur « l’affaire Joël Le Scouarnec » réunissant :

– pour le Conseil national de l’Ordre des médecins : Pr Stéphane Oustric, président, et Dr Christine Louis-Vahdat, présidente de la section Éthique et déontologie ;

– pour la direction générale de l’offre de soins : Mme Marie Daudé, directrice générale, et M. Nicolas Delmas, chef de projet attractivité à la sous-direction des ressources humaines du système de santé ;

– pour le Collège des directeurs généraux d’agence régionale de santé : M. Denis Robin, président du Collège, directeur général de l’agence régionale de santé Île-de-France, et Mme Clara de Bort, directrice générale de l’agence régionale de santé Centre‑Val de Loire ;

– pour la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers : Mme Catherine Latger, membre du bureau, directrice du centre hospitalier de Compiègne-Noyon              2

– Communication de M. Yannick Monnet, rapporteur de la mission « flash » sur les hôpitaux de proximité 22

– Présences en réunion.................................32

 

 

 

 

 


Mardi
30 septembre 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 106

session extraordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Annie Vidal,
vice-présidente,

 

 


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La réunion commence à 15 heures.

(Présidence de Mme Annie Vidal, vice-présidente)

La commission organise une table ronde sur « l’affaire Joël Le Scouarnec » avec, pour le Conseil national de l’Ordre des médecins, le professeur Stéphane Oustric, président, et le docteur Christine Louis-Vahdat, présidente de la section Éthique et déontologie ; pour la direction générale de l’offre de soins, Mme Marie Daudé, directrice générale, et M. Nicolas Delmas, chef de projet attractivité à la sous-direction des ressources humaines du système de santé ; pour le Collège des directeurs généraux d’agence régionale de santé, M. Denis Robin, président du Collège et directeur général de l’agence régionale de santé Île-de-France, et Mme Clara de Bort, directrice générale de l’agence régionale de santé CentreVal de Loire ; et pour la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers, Mme Catherine Latger, membre du bureau et directrice du centre hospitalier de Compiègne-Noyon.

Mme Annie Vidal, présidente. Le 1er juillet, dans cette même salle et avec nos collègues de la commission des lois, nous recevions et écoutions le Collectif de victimes de Joël Le Scouarnec. Cette audition, que nul n’a pu oublier, appelait à l’évidence des suites. La semaine dernière, la commission des lois a consacré une table ronde à la place des victimes dans le procès pénal, plus particulièrement dans les procès dits hors normes. Aujourd’hui, il revient à notre commission de s’interroger sur le rôle des différentes instances sanitaires et de leur demander quelles conséquences elles ont tirées des manquements mis en lumière par les investigations.

Nous accueillons des représentants du Conseil national de l’Ordre des médecins, de la direction générale de l’offre de soins, du Collège des directeurs généraux d’agence régionale de santé et de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers.

M. Stéphane Oustric, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Ma considération, en ce moment et tout au long de mon propos, sera réservée aux victimes. Mon engagement antérieur à ces terribles événements, d’abord pendant trente-trois ans en qualité de médecin généraliste dans un quartier populaire de Toulouse puis comme professeur des universités chargé de la formation de mes futurs confrères, m’a conduit à m’impliquer rapidement dans l’institution ordinale, à laquelle j’appartiens depuis vingt-huit ans. À Toulouse, j’ai participé à la création d’une association formidable, le réseau Prévention violence et orientation santé (Prévios), initialement pour prendre en charge les violences intrafamiliales ainsi que les violences faites aux femmes et dont le champ d’action s’est ensuite élargi. Je tiens à votre disposition les détails de l’action coordonnée en 2009 avec des associations de femmes victimes de violences et déployée auprès de l’ensemble des médecins et sages-femmes.

Le fait qu’un médecin, Joël Le Scouarnec, ait pu commettre, dans l’exercice de ses fonctions et en profitant de l’état de sédation et de vulnérabilité de ses patients, des faits d’une telle atrocité sur un temps si long, au préjudice d’un si grand nombre de victimes, constitue une réelle déflagration qui ébranle durablement l’ensemble des médecins, et en premier lieu l’Ordre des médecins. Le rôle de notre institution est non seulement de représenter les médecins, mais aussi de veiller au respect de l’exemplarité déontologique de la profession. Pour nous, ce qui s’est passé est la négation la plus totale de ce qui fait l’essence d’un médecin et du serment que nous prêtons – pas uniquement celui d’Hippocrate, puisque le serment médical suit l’évolution des lois. Il s’agit d’une infraction majeure à l’engagement qu’un médecin jure de respecter : soigner, et non nuire.

L’affaire Le Scouarnec, pour laquelle le Conseil national de l’Ordre des médecins a exprimé de profonds regrets que je réitère avec force, a été l’occasion d’une profonde analyse couvrant aussi bien le mode de fonctionnement de l’institution que l’articulation des actions disciplinaires et pénales. Nous avons identifié plusieurs problèmes internes auxquels nous avons remédié avec les moyens dont nous disposons, mais aussi des freins majeurs qui nous empêchent de remplir totalement la mission que nous estimons la nôtre. Nous présenterons aussi les leviers et les partenariats institutionnels sur lesquels nous travaillons pour faire évoluer les choses.

Qu’avons-nous fait depuis 2021 ? D’abord, nous avons créé une page de soutien aux victimes sur le site internet du Conseil national de l’Ordre des médecins. L’objectif est d’orienter et d’informer les patients et les professionnels confrontés à de telles situations.

Nous avons conduit une enquête sur les violences sexistes et sexuelles. Les résultats, publiés en novembre dernier, sont édifiants, notamment pour ce qui concerne la formation initiale de nos futurs confrères. Ce fut un constat retentissant auquel nous espérons, avec la Conférence des doyens des facultés de médecine, apporter des éléments de remédiation rapides, forts et complets.

S’agissant de la réception et du suivi des plaintes disciplinaires, la commission nationale des plaintes analyse les décisions de première instance ou d’appel. Le Conseil national de l’Ordre des médecins peut ainsi, en cas d’incompréhension, saisir la formation d’appel ou le Conseil d’État d’une décision qu’il jugerait infondée. C’est aussi par ce biais qu’il est possible d’engager des actions pénales, et c’est précisément l’objectif du mandat que j’exerce depuis le 25 juin dernier. Nous avons également créé un outil de gestion et de centralisation des plaintes, nommé Orion, dont tous les conseils départementaux de l’Ordre sont dotés depuis 2022. Il nous permet d’harmoniser le traitement desdites plaintes, de la conciliation jusqu’à la saisine de la chambre disciplinaire. La commission Vigilance–Violences–Sécurité, rebaptisée récemment, assure quant à elle la centralisation et le suivi de l’action pénale dans chaque département.

Je veux insister sur deux points. D’abord, la tolérance zéro est l’axe majeur de notre action. Ensuite, nous avons créé auprès du président un poste de conseiller judiciaire, confié à une vice-procureure de la République en détachement, afin de favoriser l’acculturation de l’institution ordinale à l’action pénale. Des cellules d’intervention seront formées pour promouvoir le partage d’information et la coordination dans le traitement des cas qui paraissent ne pas pouvoir attendre, qu’ils donnent lieu à signalement ou à dépôt de plainte.

Mme Christine Louis-Vahdat, présidente de la section Éthique et déontologie du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je commencerai en reprenant la question posée devant vous par Mme Manon Lemoine, membre du Collectif de victimes de Joël Le Scouarnec : « Confieriez-vous vos enfants […] à un médecin qui se masturbe devant des viols d’enfants […] ? » J’ai lu, écouté, puis relu les auditions des victimes pour m’imprégner de leur histoire et de leur douleur. En tant que gynécologue-obstétricienne, je suis depuis quarante ans aux côtés des patientes victimes de violences sous toutes leurs formes : violences intrafamiliales, soumission chimique, mais également violences dans les soins.

J’ai été élue présidente de la section Éthique et déontologie le 25 juin 2025. Dans le prolongement de l’action entreprise sous la précédente mandature, je me suis employée à identifier ce qui aurait dû et pu être fait, les actions déjà engagées et les moyens législatifs qui manquent pour qu’une telle horreur ne puisse plus se reproduire. Notre remise en question est entière. Elle ne me quitte pas un seul instant. C’est en identifiant nos failles que nous pourrons protéger les victimes.

Parmi les actions entreprises, j’insiste sur la création dans chaque conseil départemental de l’Ordre, en 2022, des commissions Vigilance–Violences–Sécurité, désormais appelées commissions Vigilance–Violences–Victimes, pour assurer le suivi des signalements et plaintes, autrefois appelés doléances, et recouper les agissements délictueux des médecins. En plus de ce rôle d’observatoire, le Conseil national assure un travail de formation auprès des conseils départementaux. Le logiciel Orion permet de tracer les plaintes et signalements.

Une magistrate détachée, anciennement vice-procureure de la République à la section Santé publique du parquet de Paris, est présente pour nous aider. Il nous est en effet rapidement apparu que nous n’employions pas suffisamment l’action pénale, tout simplement parce que nous ne savions pas le faire : contrairement à l’action disciplinaire, elle ne faisait pas partie de notre culture déontologique. Cette magistrate nous aide à combler ces failles et à coordonner les actions pénale et disciplinaire, notamment grâce à la cellule d’intervention rapide à laquelle le président Oustric faisait référence.

Nous avons identifié plusieurs initiatives que nous souhaitons lancer, mais pour lesquelles nous manquons de moyens. C’est pourquoi nous avons constitué un groupe avec des victimes dans l’espoir d’appuyer nos demandes qui, pour certaines, mettent longtemps à aboutir.

Tout d’abord, nous voulons délivrer à tous les médecins inscrits au tableau de l’Ordre une attestation d’honorabilité, sur le modèle de celle qui a cours dans le secteur de la petite enfance. Pour ce faire, deux éléments sont indispensables.

Premièrement, il faut actualiser la circulaire du 24 septembre 2013 relative aux relations entre les parquets et les ordres des professions en lien avec la santé publique. J’ai assisté à plusieurs réunions au ministère de la justice en tant que conseillère nationale sous la précédente mandature. Deux ans plus tard, nous attendons toujours. Or, certains procureurs refusent de nous informer lorsqu’un médecin inscrit au tableau est placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer. Je pourrais vous donner des exemples précis et récents. C’est inacceptable : nous devons être informés. Nous devons aussi savoir quand une affaire concernant un médecin est classée sans suite, car le fait que le juge pénal ne conclue pas ne nous empêche pas de déférer le médecin devant notre chambre disciplinaire pour sanctionner des manquements déontologiques, voire prononcer une interdiction d’exercer.

Deuxièmement, nous devons pouvoir accéder à tout moment de la vie du médecin au bulletin n° 2 du casier judiciaire, dit B2. Actuellement, nous ne pouvons le consulter que lors de l’inscription à l’Ordre ou quand un praticien se déplace d’un département à l’autre. Nous réclamons aussi l’accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, sans quoi nous ne pourrons pas délivrer l’attestation d’honorabilité, dont nous souhaitons qu’elle soit affichée dans la salle d’attente des médecins ou rendue disponible sur les sites des établissements d’hospitalisation. L’Ordre étant la seule autorité à connaître en temps réel les sanctions disciplinaires et les suspensions administratives, il doit disposer de tous les moyens nécessaires pour délivrer ce document.

Nous demandons de toute urgence de pouvoir suspendre administrativement les médecins placés sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer pendant la durée dudit contrôle, ce qui nous est pour l’heure impossible.

Nous alertons enfin sur les incohérences qui caractérisent certaines des interdictions d’exercer prononcées par le juge d’instruction : elles se limitent parfois à certains actes ou sont assorties de conditions inapplicables. Je tiens, là encore, des exemples à disposition.

Tous ces points sont en discussion avec la direction générale de l’offre de soins et les ministres concernés. Nous sommes tout près d’obtenir gain de cause. Mais nous avons besoin de votre aide pour resserrer les mailles de ce filet que nous voulons infranchissable.

Pour conclure, j’insiste sur le fait que l’Ordre s’emploie à se remettre profondément en question et se veut aux côtés des victimes, pour que plus jamais des enfants ne se retrouvent victimes de médecins prédateurs.

Mme Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins. Merci d’avoir organisé cette table ronde qui permet d’échanger dans une configuration qui peut, au vu des participants présents, être qualifiée d’inédite. Avant toute chose, j’ai une pensée pour les victimes et leurs familles. Nous avons tous été patients ou parents de patient. Leur parole nous oblige. Lorsque j’ai pris mes fonctions il y a trois ans, mes équipes et moi-même nous sommes particulièrement investies sur le dossier des violences sexuelles.

À l’époque des faits, la compétence et la responsabilité du traitement des signalements étaient partagées entre le ministère, l’Ordre des médecins, les établissements de santé, les agences régionales de santé et les préfectures. Des dispositifs de contrôle existaient, comme la transmission, dans le cadre du concours de praticien hospitalier, d’un extrait du bulletin n° 2 au ministère de la santé, alors chargé du recrutement et de la gestion des carrières des praticiens hospitaliers. C’était avant la création du Centre national de gestion. L’Ordre des médecins pouvait également être saisi et des procédures disciplinaires être engagées devant l’Ordre ou organisées par le ministère.

Ces mécanismes n’ont pas fonctionné comme ils auraient dû. L’action judiciaire en cours m’empêche de m’exprimer sur les faits examinés, mais il est probable que ce dossier ait été émaillé de plusieurs manquements. Cette audition est donc l’occasion de retracer le déroulement des faits et d’identifier les zones d’ombre susceptibles de perdurer, sur lesquelles il faut agir sans transiger pour éviter toute redite.

Toute la difficulté de cette affaire tient à ce que les contrôles et les dispositifs qui existaient, et qui existent toujours, reposaient d’abord sur la coordination et l’intervention concomitante des acteurs. Par ailleurs, les décisions auxquelles ils aboutissaient, par exemple en cas de plainte déposée devant l’Ordre ou de poursuite disciplinaire, n’étaient pas automatiquement suivies de sanctions. Le droit prévoit que celles-ci fassent l’objet d’une analyse en opportunité.

Vos travaux ouvrent la voie à une réflexion sur les moyens législatifs à mobiliser pour être efficaces et percutants à l’avenir. Car si les institutions sanitaires ont pu manquer à leurs missions, le cadre légal n’a pas offert les outils nécessaires pour prévenir de telles situations ou y réagir. Force est de constater que certaines fragilités identifiées persistent dans le contrôle des antécédents judiciaires.

Ce contrôle repose uniquement sur le bulletin n° 2, qui ne mentionne que les condamnations définitives, contrairement au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, qui inclut également les condamnations non définitives voire, dans certains cas, les mises en examen. Il se limite en outre à vérifier, au moment de l’inscription à l’Ordre, la compatibilité entre ces antécédents et les fonctions. Enfin, les contrôles sont absents pour les établissements de santé privés, les professionnels libéraux non ordrés et les étudiants en santé. De récentes affaires ont montré que, là aussi, nous manquons d’outils efficaces face à certaines situations.

Le contexte de gestion des affaires courantes et les règles en matière d’expression publique ne me permettent pas de préciser les évolutions envisageables. Néanmoins, je suis aussi là pour partager les propositions que nous pourrions, en tant qu’administration, soumettre à un futur gouvernement.

Nous suggérons un mécanisme prévoyant un contrôle systématique et impératif de l’honorabilité pour tout ou partie des professionnels de santé, c’est-à-dire un contrôle des antécédents judiciaires à travers un accès au bulletin n° 2 comme au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. Il pourrait s’agir d’une vérification régulière à une fréquence qu’il conviendra de définir : lors du recrutement, mais également de façon routinière et pour lever un doute ou lorsque des éléments le justifient.

On pourrait discuter du champ de ces nouvelles mesures en envisageant un contrôle de l’ensemble des professionnels intervenant dans les établissements de santé, quelle que soit leur activité, ainsi que des professionnels de santé libéraux, en lieu et place du contrôle actuel restreint aux employeurs publics et aux ordres. On pourrait y inclure les prestataires ou des personnes qui, bien que n’étant pas cataloguées professionnels de santé, sont susceptibles d’intervenir auprès de patients. C’est effectivement le système en vigueur pour la petite enfance et la protection de l’enfance qui nous inspire : il a le mérite de ne pas reposer sur la décision d’un seul acteur mais sur la coordination, et de prévoir une certaine automaticité dans la sanction, qui dispenserait de devoir réagir en opportunité pour appliquer immédiatement les mesures qui s’imposent.

Il conviendra aussi de mettre en cohérence le futur dispositif avec celui en vigueur dans le champ médico-social. Depuis l’adoption de la loi « bien vieillir » du 8 avril 2024, un professionnel de santé peut ne plus être autorisé à exercer en établissement médico-social tout en continuant à travailler dans un établissement de santé. De la même façon, un professionnel peut se voir interdire d’exercer en crèche hospitalière, mais continuer en néonatologie. Ces exemples montrent que nous ne sommes pas au bout de la démarche et que nous devons mieux articuler les dispositifs pour englober au maximum le champ de la santé, du sanitaire au médico-social et social, si nous voulons sécuriser totalement les patients.

M. Denis Robin, président du Collège des directeurs généraux d’agence régionale de santé. L’affaire retentissante qui vous a conduits à engager ces travaux trouble tous les acteurs du monde sanitaire et médico-social. Malheureusement, elle ne devrait pas masquer tous les dysfonctionnements que les agences régionales de santé identifient dans les établissements de santé et, peut-être encore davantage, dans les établissements médico-sociaux. À l’occasion des contrôles systématiques que nos ministères de tutelle demandent à nos services d’effectuer, nous découvrons, depuis deux ans dans les maisons pour personnes âgées et cette année dans les établissements accueillant des personnes vivant avec un handicap, des situations qui nous inquiètent beaucoup et qui montrent que les dispositifs de prévention, de formation, d’alerte ou de réponse immédiate laissent à désirer et que prospèrent des comportements qui ne sont plus admissibles.

Les agences régionales de santé interviennent de trois façons : par le recueil d’informations sur des situations nécessitant une réaction rapide, par leur capacité de suspension immédiate du professionnel, et au titre plus global de la prévention par la participation au contrôle des antécédents et la formation.

Premier point : la remontée d’alertes, de signaux qui nécessiteraient une intervention rapide est sans doute fortement sous-évaluée et inférieure à la réalité des situations dans les établissements. Ainsi, l’agence régionale de santé de la région Île-de-France a reçu, pour le second semestre 2024, 1 245 réclamations d’usagers. On en compte 19 seulement, soit 1,5 %, qui mentionnaient une notion de violences sexuelles ou sexistes. Pour la même période, 86 des 842 déclarations d’incidents faites par les établissements de santé ou médico-sociaux employeurs, soit environ 10 %, mentionnaient des faits comportant des violences sexuelles, mais uniquement dans une relation entre patients, et non pas avec des professionnels. Depuis la mise en place du dispositif des suspensions, pour les années 2023 à 2025, l’agence a prononcé 14 suspensions, ce qui montre tout de même un décalage entre les chiffres. Nous avons le sentiment que la déclaration de ces faits très graves n’est pas encore une pratique courante, et qu’elle n’est facile ni pour les usagers ni pour les employeurs. Il faut donc se demander pourquoi et que faire pour faciliter une remontée systématique des informations.

Je citerai, en deuxième lieu, le pouvoir dont disposent les agences régionales de santé. Celles-ci ont en effet la possibilité de suspendre immédiatement un professionnel pour une période maximum de cinq mois dans le but de protéger d’autres éventuelles victimes. L’agence peut prendre cette décision parce qu’elle a été saisie par un usager ou par un établissement, c’est-à-dire par un employeur, mais c’est rarement le cas. Dans les situations dont j’ai eu à connaître, la suspension intervenait essentiellement sur saisine de l’Ordre des médecins, qui me proposait une suspension le temps de mener son instruction.

Ce pouvoir de suspension est-il suffisant ? Il a une efficacité : il met un professionnel dans l’impossibilité de nuire pendant cinq mois. Ce délai est toutefois court car les enquêtes prennent du temps. Par ailleurs, ce pouvoir n’est pas suffisant car la réponse à apporter implique plusieurs intervenants. Le premier est l’employeur, qui peut se saisir du cas, mener une investigation interne et décider une mise à pied, qu’il s’agisse d’un médecin ou d’un personnel non médical. Le deuxième intervenant est l’agence régionale de santé, qui peut prendre une décision de suspension. Le troisième est l’Ordre, qui a rappelé ses pouvoirs. Le dernier est la justice, plusieurs affaires faisant l’objet d’un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. On pourrait penser que cette multiplicité d’intervenants est une garantie, mais elle me semble être plutôt une fragilité parce que tous ces acteurs interviennent en ordre dispersé. Comme le rappelait le président du Conseil national de l’Ordre des médecins, nous apprenons parfois des ouvertures d’enquête ou des décisions de contrôle judiciaire sur des cas que nous ignorions. Un travail important sur l’obligation de signalement des décisions que nous sommes amenés à prendre est absolument nécessaire.

De même, les mesures de contrôle judiciaire que prend la justice sont rarement des suspensions totales d’activité, telles que les prendrait l’agence régionale de santé. Or, une fois que la justice est saisie, il est rare que les autorités administratives que nous sommes interviennent pour aller plus loin ou agir en complément.

L’autre fragilité que j’identifie est que les professionnels qui le souhaitent ont plusieurs possibilités pour contourner nos contrôles et nos mesures. Premièrement, du fait que nous intervenons dans un cadre régional, le changement de région peut faciliter une réinscription ou la reprise d’une activité dans un établissement. Deuxièmement, certains dispositifs juridiques trompent notre vigilance – je pense au régime des intérimaires, aux multi-employeurs et aux vacataires. C’est, de mon point de vue, une fragilité importante.

Dernier point : nous devons travailler sur la prévention par la consultation des antécédents. Les règles sont aujourd’hui complexes et confuses car, selon qu’on a affaire à des médecins, à des paramédicaux ou au personnel des établissements médico-sociaux, elles ne sont pas identiques. Elles mériteraient d’être harmonisées. Surtout, il est toujours difficile de savoir quel document a été consulté. Il serait de bonne politique que toutes les décisions, judiciaires ou administratives, de suspension, de contrôle judiciaire et de sanction soient systématiquement inscrites dans le document consulté par tout employeur potentiel ou par toute personne qui s’intéresse à un professionnel de santé : le répertoire partagé des professionnels de santé.

Mme Clara de Bort, directrice générale de l’agence régionale de santé CentreVal de Loire. La difficulté porte beaucoup sur la définition du champ de nos interventions. Le répertoire partagé des professionnels de santé lui-même n’englobe pas, par exemple, les veilleurs de nuit, qui ne relèvent pas des professions de santé mais qui sont en contact avec les personnes vulnérables. Il peut arriver que le juge, lorsqu’il prononce une interdiction quelconque, fasse des erreurs dans la définition du champ, ce qui permet à la personne d’échapper à la mesure ou de poursuivre ses actions dans un autre environnement professionnel. Dans les professions à ordre, il est tout à fait possible de ne plus être autorisé à pratiquer, par exemple, le métier de kinésithérapeute, mais de pouvoir exercer sous le titre d’ostéopathe. Vous allez avoir une grande difficulté à définir le champ. Il ne faut pas non plus oublier les non-professionnels de santé, ni les nombreuses professions liées au bien-être. Nous ne voudrions pas qu’au nom de l’affaire que vous traitez aujourd’hui, les professions à ordre, en particulier médicales, soient les seules cibles alors que régnerait une forme de non-droit pour des professions non ordrées pourtant très en contact, parfois plus encore, avec des personnes vulnérables.

Mme Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers. En tant que directrice d’un hôpital engagé depuis plus de vingt ans, avec une unité de médecine légale, dans l’accompagnement des femmes et des personnes vulnérables ayant subi des violences ainsi que des victimes de violences sexistes et sexuelles, j’exprime toute ma compassion après cette affaire effectivement hors normes. L’intensité des mots que nous avons cherchés pour en parler n’est pas à la hauteur des souffrances des victimes. Nous avons compris, tout au long de cette longue procédure, que l’ampleur des atrocités subies oblige tous les niveaux de responsabilité de l’écosystème hospitalier dans lequel se trouvent les directeurs d’établissement. Vous pouvez compter sur notre détermination et sur notre concours, dont atteste ce que nous faisons depuis plusieurs années sous l’égide de nos autorités de tutelle. Comme l’a rappelé la directrice générale de l’offre de soins, nous avons engagé de nombreux travaux, accélérés et poussés, ces dernières années. En région également, que ce soit par nos travaux dans les commissions régionales paritaires pour les praticiens hospitaliers ou dans tous les champs où les agences régionales de santé déploient leur action sur cette thématique si particulière des ressources humaines, vous pouvez compter sur notre engagement.

D’un point de vue pratique, nous nous retrouverons autour de trois éléments. Il nous faut travailler à coordonner les acteurs, à traquer les interstices qui affectent les dispositifs existants, et à faire en sorte que notre pleine capacité et cette coordination permettent à l’État de droit de soulager la souffrance qui s’exprime légitimement dans ce contexte. Il s’agit, enfin, que ces responsabilités s’exercent dans un même sens, en collégialité. Celle-ci s’impose en effet car, outre les dispositifs énoncés et auxquels nous souscrivons, comme la simplification de l’accès au bulletin n° 2 et la possibilité d’accéder à tous les fichiers d’identification des auteurs déjà recensés, ainsi qu’à tous les outils statutaires existants, il faut que nous puissions agir ensemble.

La première préoccupation des directeurs d’hôpitaux comporte trois aspects. L’un est la capacité à œuvrer ensemble au sein des établissements pour former et sensibiliser, et pour faire en sorte que l’écoute de la parole des victimes et la prévention des actes des auteurs soient un combat gagné tous les jours. Dans nos établissements, nous avons intégré aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail des référents pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous avons, depuis une quinzaine d’années, des référents violences au sein des services d’urgence. L’Observatoire des violences en milieu de santé permet d’identifier des signalements. Nous devons toutefois améliorer cette formation afin qu’elle touche toutes les composantes de l’hôpital, qu’il s’agisse des centres hospitaliers ou des centres hospitaliers universitaires, soit plus de 130 métiers. Il s’agit toujours d’établir une collégialité pour assurer le succès de cette vague de préoccupation et d’attention envers les victimes.

Cette formation et cette sensibilisation peuvent se faire dans les centres hospitaliers, mais aussi dans le cadre des formations initiales. Cela suppose, comme l’a évoqué le président du Conseil de l’Ordre, un travail avec les doyens des facultés de médecine, d’odontologie, de pharmacie et de maïeutique, ainsi qu’avec les représentants des instituts de formation des professions de santé. Je souligne à cet égard que M. Robin et Mme de Bort ont recommandé d’embrasser la totalité des professionnels pour dépasser l’effet de déflagration qu’a eu cette affaire, qui concerne un praticien, mais face à laquelle nous déploierions la même énergie si elle touchait un autre professionnel de santé.

La collégialité s’impose aussi parce que nous devons travailler à ce que la gouvernance interne des établissements de santé, dont votre commission a eu à connaître à de nombreuses reprises, notamment pour ce qui est de sa médicalisation, permette aux directeurs d’établissement de déterminer les meilleures conditions pour le déclenchement des procédures existantes. Du fait de la diversité des statuts médicaux, en effet, et même si leur nombre a diminué depuis les réformes récentes, il reste difficile, comme cela a été souligné, d’activer les procédures statutaires. Notre Conférence souhaite continuer à travailler sur ces thèmes comme nous l’avons fait dans le cadre que le président de la commission des affaires sociales, autrefois ministre, avait défini lorsqu’ont été révélées des atteintes sexuelles et sexistes au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Nous serons force de proposition pour que cette collégialité et la gouvernance médico-administrative qui structure nos établissements puissent se reconnaître aussi facilement dans les modalités de déclenchement de ces procédures, en lien notamment avec les actions ordinales, qui doivent toutes aller dans le même sens. Notre devoir à tous, à nos niveaux de responsabilité respectifs, est d’éviter le télescopage qui ralentirait nos réactions. On a vu dans l’affaire Le Scouarnec la durée considérable de la commission des infractions.

Enfin, nous devons pouvoir être force de proposition. Nous le serons en matière d’exercice du pouvoir de sanction dont nous disposons, en partie mais pas en totalité. Nous sommes prêts à travailler lorsque nos autorités de tutelle nous solliciteront, comme elles l’ont déjà fait, pour en simplifier l’usage. C’est aussi un enjeu de simplification du fonctionnement de nos établissements publics, en vue d’un juste équilibre des décisions. Il s’agit que les victimes puissent être entendues le plus tôt possible et que la confiance qui doit présider à la révélation de la parole continue à se déployer. Il faut renforcer, sans craindre de l’affecter, la solidarité interne de nos établissements, qui en fait la richesse.

Voilà, à grands traits, dans quel état d’esprit et dans quelles conditions concrètes nous souhaitons que notre Conférence se situe auprès de vous.

Mme la présidente Annie Vidal (EPR). Merci, mesdames et messieurs, pour la qualité de vos présentations et la pertinence de vos propositions qui, au-delà de la souffrance des victimes que nous avons entendues en juillet et qui nous ont émus, posent la question de la confiance que nos concitoyens doivent pouvoir placer dans notre système de santé, dans nos institutions et dans l’État de droit. Nous en venons aux questions des députés.

M. Didier Le Gac (EPR). Je tiens à réaffirmer ma solidarité et mon soutien à l’ensemble des victimes de Joël Le Scouarnec, ainsi qu’à leurs familles et à leurs proches. J’ai toujours en mémoire l’audition qui a eu lieu dans cette salle le 1er juillet, empreinte de beaucoup d’émotion et de colère, mais aussi d’une grande dignité. L’objectif de ce collectif rejoint le nôtre : comprendre comment de tels faits ont pu se produire au sein de notre système de soins, et comment faire pour que cela ne se reproduise pas.

J’avais quelques questions pour le Conseil national de l’Ordre des médecins à propos de ses relations avec la justice, mais vous y avez répondu. J’ai noté les différents outils que vous avez adoptés, notamment l’attestation d’honorabilité que vous souhaitez étendre. J’ai noté également les difficultés de l’accès au bulletin n° 2 et au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. J’ai appris avec satisfaction le recrutement à vos côtés, monsieur le président, d’un magistrat chargé de vous conseiller et de vous acculturer. Tout cela me semble aller dans la bonne direction.

Il est incompréhensible que le Conseil national de l’Ordre ne soit pas informé systématiquement lorsqu’un médecin est condamné par la justice et qu’un tel jugement ne soit pas assorti d’une interdiction d’exercer. J’ignore si ces mesures sont d’ordre législatif ou réglementaire, mais n’hésitez pas à nous interpeller si vous avez besoin du soutien des parlementaires pour saisir le ministre de la justice et accélérer ce processus.

Ma seule question est un peu technique. En 2009, lors de l’adoption de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Conseil national de l’Ordre des médecins avait souligné la complexité des procédures disciplinaires, différentes selon que le praticien exerçait dans le secteur public ou privé, selon qu’il s’agissait d’un médecin libéral en cabinet ou d’un médecin hospitalier. La loi avait alors élargi la liste des autorités habilitées à saisir les chambres disciplinaires de première instance pour les médecins hospitaliers, en y intégrant notamment le Conseil national de l’Ordre des médecins et le conseil départemental de l’Ordre. Toutefois, cette amélioration n’empêche toujours pas une dualité de procédures difficile à gérer. Les usagers ont du mal à comprendre que vous n’ayez pas la même autorité sur les médecins selon leur statut, comme le montre l’affaire Le Scouarnec. Envisagez-vous de nouvelles évolutions législatives pour harmoniser ces procédures ? Que pensez-vous de l’idée d’une procédure unique pour les deux statuts ?

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Depuis des années, des défaillances du Conseil de l’Ordre des médecins ne cessent de surgir aux yeux du grand public. Je pense aux faillites éthiques dans les avortements et les stérilisations forcés des Réunionnaises et des Mahoraises, aux faillites éthiques envers les personnes transgenres jusqu’en 2016. Le procès Le Scouarnec confirme que les failles ne se situent pas sur le seul terrain de l’éthique : les logiques de sécurité des patients ont été balayées par celles de la protection des confrères. En 2005, le Conseil de l’Ordre connaissait la condamnation pour pédopornographie de Joël Le Scouarnec. S’il avait été empêché d’exercer alors, nous aurions évité soixante-neuf victimes.

Alors que la Cour des comptes dénombrait 150 plaintes pour des faits à caractère sexuel entre 2014 et 2017, 43 d’entre elles ont été rejetées par l’Ordre. Pour devenir quoi ? Manifestement, la justice disciplinaire de l’Ordre est déficiente. Le rôle des médecins du Conseil de l’Ordre ne devrait-il pas se cantonner à conseiller d’autres acteurs sur les pratiques médicales de leurs confrères ? Pour prévenir l’exposition des patients à des agresseurs multirécidivistes, ne pourrions-nous pas assurer une meilleure protection si le prononcé des sanctions, des suspensions et des interdictions d’exercice était confié à un comité pluridisciplinaire qui ne représenterait pas les seuls intérêts des médecins ?

Le Conseil de l’Ordre n’est malheureusement pas la seule institution qui ait échoué. L’hôpital lui-même n’a su protéger ni les patients ni les équipes médicales. En 2015, malgré les alertes de pairs toujours plus nombreuses, le ministère de la santé a autorisé Joël Le Scouarnec à prolonger son activité professionnelle au-delà de l’âge légal de départ à la retraite.

Je profite de cette occasion pour rappeler que les femmes médecins sont particulièrement exposées aux violences sexistes et sexuelles – 54 % d’entre elles en ont été victimes, d’après votre propre rapport. Il est grand temps de se saisir de cette question. Dans ces institutions règnent des rapports de domination, que vous semblez ignorer. Il s’agit notamment de la concentration des pouvoirs : soignant, professionnel, financier et symbolique. Il s’agit aussi des rapports hiérarchiques : jusque dans les écoles de formation, les hiérarchies passent sous silence les agressions et protègent les agresseurs, que les ministères couvrent.

Comment, enfin, permettre que des signalements pour violences sexistes et sexuelles provenant de professionnels de santé, de patients ou d’autres sources soient effectivement traités, et non plus étouffés par des institutions aussi verticales ?

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Dans l’affaire Le Scouarnec, on compte 299 victimes identifiées par une enquête de police à partir des carnets retrouvés chez l’auteur des faits. Les victimes sont donc peut-être plus nombreuses.

Monsieur Oustric, vous avez employé le mot « déflagration », qui résonne aujourd’hui avec un caractère solennel à l’Assemblée nationale. Mais, vu de l’extérieur, de cette commission des affaires sociales et de la place des citoyennes, cette déflagration n’a pas l’air d’avoir été si forte qu’elle ait été assez entendue dans les secteurs dont vous avez la charge. Avez-vous demandé, par exemple, que les hôpitaux dans lesquels a exercé l’auteur des faits transmettent à la justice la liste des patients passés entre ses mains ? A-t-il été radié de l’Ordre des médecins ?

Le procès a montré qu’il existait de très nombreux échelons et sans doute un certain flou autour des responsabilités. À la barre du tribunal, de nombreux acteurs se sont renvoyé la responsabilité, tout en minimisant chacun sa propre part. Par exemple, la directrice de l’hôpital de Jonzac, à qui M. Le Scouarnec a dit qu’il avait été condamné pour détention d’images pédopornographiques, a-t-elle été sanctionnée ? Y a-t-il eu des sanctions à l’encontre des personnes qui, dans les agences régionales de santé, ont entendu des témoignages ou ont été dépositaires de signalements sans les relayer ? Y a-t-il eu des changements de protocole afin de s’assurer que les chirurgiens qui s’occupent d’enfants ne soient jamais seuls avec eux au cours du processus opératoire et du processus de soins ? Plus généralement, la déflagration que vous évoquez s’est-elle fait entendre jusqu’aux plus petits échelons du système de santé ?

M. Stéphane Oustric. Pour ce qui est de la procédure qui s’applique aux médecins hospitaliers, c’est la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires qui a permis cette évolution. Dans le modèle antérieur, où n’existaient ni agence régionale de santé – mais une agence régionale de l’hospitalisation – ni direction générale de l’offre de soins – mais la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins –, le système était bloqué et l’ensemble des confrères d’exercice purement hospitalier n’avaient pas de relations réelles et constantes permettant à l’Ordre d’exprimer la déontologie en cas de manquements de leur part. Une saisine est désormais possible pour l’ordre départemental, qui peut porter plainte directement auprès de la chambre disciplinaire de première instance pour des faits qui lui sont rapportés. En cas de plainte à l’encontre d’un praticien exerçant en ville, l’instruction est automatique au conseil départemental et la transmission automatique à la chambre disciplinaire.

Vous demandez, madame Amiot, ce qu’a fait l’Ordre. Or, depuis 2007, il ne fait pas la discipline, qui relève de la justice administrative. Il faut revoir vos fiches ! Le président est un magistrat du tribunal administratif et, pour la chambre d’appel, un conseiller d’État. C’est lui qui établit le rôle, constitue les assesseurs et fixe la temporalité de l’expression, en totale indépendance du conseil de l’Ordre départemental et national. Nous ne faisons qu’assurer les moyens d’héberger la chambre, de payer les greffiers, sans intercéder en rien. Les assesseurs sont régulièrement élus et choisis par le président. C’est la règle depuis 2007 : depuis dix-huit ans, donc, ce ne sont plus les médecins qui président à leur discipline et nous relevons en cassation du Conseil d’État. C’est la loi française. Ce sont les textes. Ce n’est pas nous qui les inventons.

Mme Christine Louis-Vahdat. Prenons l’exemple d’un médecin placé sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercice après avoir commis des violences sexuelles sur ses patients. Si nous le déférons trop tôt devant la chambre disciplinaire, la plainte sera rejetée parce que nous ne pouvons pas faire état des éléments du contrôle judiciaire, et le médecin ne pourra plus jamais être déféré même s’il est condamné au pénal. Je pourrai vous en donner des exemples. C’est pour cela que nous travaillons avec les victimes. Nous voulons davantage de transparence et notre mode de fonctionnement est méconnu.

M. Erwan Balanant (Dem). Mais non !

M. Stéphane Oustric. Alors que le directeur d’une agence régionale de santé peut prononcer une suspension administrative pendant le contrôle judiciaire d’un médecin, l’Ordre ne le peut pas. Nous ne pouvons agir qu’à l’issue. C’est d’autant plus ennuyeux que le contrôle judiciaire peut durer deux ou trois ans.

Toutefois, quand le directeur d’une agence régionale de santé décide d’une suspension immédiate du droit d’exercer, comme il le peut pour une durée maximale de cinq mois, il doit saisir la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre. Celle-ci doit alors statuer dans un délai de deux mois, afin que chacun ait le temps de présenter ses arguments.

Actuellement, la radiation administrative n’est pas utilisée pour les médecins qui ne satisfont pas les conditions de moralité. Nous avons décidé de l’utiliser davantage dans ces cas, au risque qu’une telle volonté politique se heurte à la présomption d’innocence. Certains formeront des recours, mais ce n’est pas un problème.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). M. Le Scouarnec a-t-il été radié ?

M. Stéphane Oustric. Mais oui, enfin ! Il a été radié par la chambre quand elle a été saisie. Sa première condamnation, qui date de 2005, était de cinq mois d’emprisonnement avec sursis, sans interdiction d’exercer.

Nous aimerions pouvoir prononcer une suspension le temps de l’instruction, qui peut durer parfois cinq ans. Les suspensions que les directeurs d’agences régionales de santé peuvent prononcer ont une durée limitée, alors qu’il faut du temps pour que la machine disciplinaire se mette en place.

Nous pouvons aussi relancer les procédures au niveau pénal. Actuellement, l’articulation entre l’Ordre et le champ pénal fait défaut. Les jugements ne nous sont transmis que si le parquet le peut, ou s’il entretient de bonnes relations avec l’ordre départemental.

En outre, l’Ordre devrait pouvoir suspendre administrativement les médecins pour lequel une procédure judiciaire reposant sur des éléments concrets est en cours. La chambre disciplinaire pourra instruire le dossier en parallèle.

Une chambre disciplinaire de première instance met de quinze à dix-huit mois à statuer. Un appel devant la chambre disciplinaire nationale ajoute deux ans. Ceux qui déposent des plaintes disciplinaires pour un quart d’heure de retard, parce que cela ne coûte rien, encombrent les chambres et, en fin de compte, les affaires graves mettent un temps fou à être jugées. Les représentants des ordres se rapprochent donc des directeurs d’agence régionale de santé, car eux seuls peuvent décider une suspension immédiate avec obligation, pour l’Ordre, de statuer dans les deux mois. À défaut, il faut attendre deux ans que l’instruction judiciaire s’achève, même si nous transmettons un signalement ou si nous déposons une plainte, car nous n’avons pas la capacité d’instruire.

Nous agissons de manière ferme et définitive, aussi bien au niveau national que dans les conseils départementaux, qui ont d’ailleurs une personnalité morale. Le logiciel Orion permet à la commission nationale des plaintes d’analyser toutes les décisions de première instance. Ainsi, si le conseil départemental ou le plaignant décide de ne pas interjeter appel devant la chambre disciplinaire nationale, mais que les faits sont suffisamment graves, le Conseil national de l’Ordre peut se substituer à eux. Il ne nous manque que peu pour garantir totalement à nos concitoyens la sécurité de la filière médicale.

Mme Marie Daudé. Pour les médecins salariés, le pouvoir disciplinaire revient à l’employeur. Ainsi, un représentant du Centre national de gestion et un représentant du ministère président les conseils de discipline pour les praticiens hospitaliers, qui ont le statut d’agent public. Les médecins libéraux, eux, dépendent du Conseil national de l’Ordre des médecins. Il y a deux systèmes différents. Nous ne pouvons confier toutes les procédures disciplinaires à l’Ordre en court-circuitant le ministère, car il est intéressé en tant qu’employeur. De même, la décision disciplinaire pour les médecins libéraux ne peut pas relever du ministère, car ils appartiennent à un système différent.

Concernant la responsabilité des autorités publiques, ministère et établissements de santé, rappelons qu’outre une procédure pénale, une action indemnitaire est en cours auprès de la justice administrative. Il reviendra aux juridictions concernées de trancher.

Le ministère ne couvre strictement aucune affaire. Il ne me revient pas de juger s’il l’a jamais fait. Des réformes ont eu lieu pour que rien ne soit étouffé et pour atteindre la plus grande transparence possible. Le plan Violences sexuelles et sexistes en santé, lancé par Yannick Neuder quand il était ministre, inclut un nouveau système de signalement grâce auquel l’Observatoire national des violences en milieu de santé peut suivre précisément les signalements et les suites qui leur sont données, en lien avec une association dédiée. De même, une juridiction spécifique a été créée pour les praticiens hospitaliers universitaires. Quand des faits remontent, il est systématiquement proposé au ministre de lancer des poursuites disciplinaires à l’encontre des professeurs d’université concernés.

M. Nicolas Delmas, chef de projet attractivité à la sous-direction des ressources humaines du système de santé. Depuis trois ans, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la santé ont créé une plateforme dédiée aux étudiants, la cellule nationale d’accompagnement des étudiants, afin d’empêcher que les signalements se perdent ou ne soient pas traités. Les usagers peuvent saisir cette instance nationale qui fait le lien avec la direction générale de l’offre de soins, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, les agences régionales de santé et les acteurs de terrain.

Nous projetons de créer le même dispositif afin d’éviter que ne se perdent les signalements concernant des professionnels de santé ou qu’ils ne soient pas traités à temps, car il faut améliorer le suivi.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Cette affaire constitue un drame pour les victimes d’abord, pour les professionnels de santé ensuite. Comment imaginer que ce soit possible ? Pour avoir travaillé dans un bloc opératoire pendant plusieurs années, je ne comprends pas que personne n’ait fait de signalement. C’est un vrai problème. Ce n’est pas la première fois que les médecins n’osent pas agir, notamment à cause de la confusion entre signalement et délation, qui doit être levée. Le premier travail est de remédier à cette situation inadmissible. Si nous voulons que les alertes soient entendues, plutôt que d’en passer par un logiciel ou une plateforme, il faut s’appuyer sur les moyens humains.

En outre, quand il y a des signalements, même s’ils restent rares au vu du nombre d’affaires, ils sont traités de manière cloisonnée. Les conseils de l’Ordre en connaissent au niveau départemental, non régional ou national. L’agence régionale de santé et la justice, de même, ne les transmettent pas. Faute de communication, ils se perdent et les plaignants abandonnent. Leurs plaintes ne sont découvertes que dix ou vingt ans plus tard.

Je suis étonnée par ce défaut de transmission. Pendant les dix années où j’ai eu le privilège de travailler dans un conseil de l’Ordre, nous échangions en permanence avec le procureur. Ce type d’échanges existe. Il n’est pas nécessaire d’adopter de nouvelles lois : des mesures réglementaires doivent suffire à améliorer la communication. À défaut, des professionnels de santé condamnés peuvent récidiver ailleurs sur le territoire. Le Scouarnec n’est pas le seul exemple de ce type d’itinérance.

Si l’on parle beaucoup des relations avec les usagers, il ne faut pas oublier les violences entre professionnels de santé. Les signalements en la matière sont encore plus rares, notamment dans les établissements de santé, car les individus susceptibles de les transmettre craignent des représailles. Le travail ne doit pas passer par de nouveaux outils ou de nouvelles procédures, mais par la volonté de dénoncer les problèmes et de les traiter en se coordonnant.

Mme Océane Godard (SOC). Je m’associe à vos propos concernant les victimes et leurs proches. Je pense également aux professionnels affectés par cette affaire insoutenable.

L’Observatoire national des violences en milieu de santé recense de nombreux signalements. Ils sont près de 20 000 par an, depuis plusieurs années, dont une part importante concerne des atteintes aux personnes. Or, l’appareil disciplinaire montre des limites structurelles. En 2022, les chambres disciplinaires de première instance ont rendu 1 547 décisions et prononcé douze radiations pour affaires de mœurs. Les radiations pour de tels motifs restent donc rarissimes. Comment expliquer l’écart avec le nombre important de signalements annuels ? Êtes-vous prêt à instaurer une transmission automatique, horodatée, entre justice, hôpitaux, agences régionales de santé et Ordre, afin que davantage de signalements soient traités ?

Le délai moyen de jugement est d’un an, trois mois et dix-huit jours. Quand les affaires donnent lieu à une ordonnance du président de la chambre, le délai moyen est de dix mois et vingt-deux jours. Sur plus de 1 500 affaires, les présidents de chambre n’ont pris que 338 ordonnances. Pourquoi cet outil, prévu pour protéger les patients en accélérant les procédures, est-il si peu utilisé ?

Le stock de dossiers en instance reste élevé : il y avait 2 510 affaires à la fin de l’année 2022. Êtes-vous prêt à demander au gouvernement des moyens supplémentaires pour instruire prioritairement les affaires de violences sexuelles et sexistes ?

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Les commissaires aux affaires sociales œuvrent en lien avec les professionnels de santé, notamment ceux de l’hôpital public. Certains d’entre nous y ont même travaillé. Nous connaissons l’omerta sur les violences sexuelles et sexistes dans ce secteur. Les postes importants sont majoritairement occupés par des hommes. Nous connaissons tous des témoignages de professionnels réduits au silence après avoir dénoncé un chef de service ou un médecin réputé irremplaçable au vu de la démographie médicale. Ce n’est pas pour rien qu’il existe un MeToo de l’hôpital.

Monsieur Robin, s’il y a peu de signalements, c’est que ceux-ci aboutissent très rarement. Quelles mesures de prévention sont prises pendant la formation des médecins pour mettre fin au système de domination patriarcale qui explique les dysfonctionnements du traitement des violences sexuelles et sexistes ?

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Je pose de nouveau ma question car je n’ai pas reçu de réponse : qui, parmi ceux qui connaissaient les agissements de M. Le Scouarnec avant qu’il soit jugé, a été sanctionné ? Les acteurs qui savaient mais n’ont pas agi ont-ils été responsabilisés ? S’il n’y a pas eu de sanction pour une affaire d’une telle ampleur, quand est-ce qu’il y en aura ?

M. Emmanuel Taché (RN). Plutôt que 300 victimes de cette affaire atroce, il faudrait en compter un millier en incluant les familles. Je note le consensus sur la nécessité de se doter d’outils légaux, judiciaires ou humains pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, y compris la pédocriminalité. Une collègue a évoqué l’errance des auteurs de signalements ; une autre a avancé le chiffre de 20 000 signalements. Que deviennent-ils ?

Monsieur Oustric, selon vous, la réponse doit-elle être législative ou réglementaire ? Faut-il renvoyer la balle au prochain gouvernement ?

M. Stéphane Oustric. Vous avez bien résumé le problème. Il ne manque pas grand-chose pour que tout fonctionne. Il est terrible d’avoir dû attendre ces événements pour formuler un tel constat. De fait, chaque avancée s’est accompagnée d’une reculade et l’Ordre a été amputé d’éléments fondamentaux d’action.

L’Ordre évolue, comme la société ou le corps médical, ce qui est une excellente nouvelle. Notre travail avec les cabinets des ministres démissionnaires et la direction générale de l’offre de soins est proche d’aboutir. Certaines dispositions doivent passer par des circulaires, d’autres par de simples décrets ou par des décrets en Conseil d’État, d’autres enfin entrent dans le cadre de la loi.

Nous vous adresserons une note concernant nos évolutions depuis 2020 et les modifications nécessaires. L’attestation d’honorabilité garantira de date à date aux patients qui entrent dans une salle d’attente que l’Ordre dispose d’informations à jour concernant le médecin qui les soigne. Une certification du parcours du professionnel valable six ans garantira en outre que le médecin a continué à se former après sa formation initiale et qu’il entre dans les clous. De telles informations sont nécessaires aux patients.

Comme le signalait Mme Dubré-Chirat, il faut faire œuvre de pédagogie, notamment durant la formation initiale des professionnels de santé. Les personnels du corps médical et paramédical doivent apprendre à se connaître, à mieux travailler ensemble, et à prévenir les violences intrafamiliales comme les violences faites aux femmes. Nous le faisons depuis longtemps à Toulouse, dans les unités médico-judiciaires et de médecine légale, à travers le réseau Prévios créé il y a dix-neuf ans. La prévention ne doit pas rester circonscrite à certains lieux, ni dépendre d’engagements individuels. Elle doit se diffuser pour casser les paradigmes, changer de modèle culturel. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

Les signalements auprès de l’Ordre sont systématiquement transmis. Depuis 2021, le logiciel Orion permet d’harmoniser notre approche dans tous les départements et d’assurer la traçabilité de chaque signalement.

Je n’ai même pas de droit de regard sur le logiciel Thémis, mis à la disposition des chambres départementales, car l’indépendance de la juridiction ordinale est totale. Si l’Ordre la finance en totalité grâce aux cotisations des médecins, son budget est décidé par la justice administrative. Si l’on nous demande de payer deux fois plus, nous paierons deux fois plus. Je ne décide pas non plus de l’inscription des affaires au rôle, du calendrier des séances ni du contenu des dossiers. Mon rôle consiste simplement à mettre à disposition de la justice administrative, tribunal administratif en première instance et Conseil d’État en appel, les moyens nécessaires.

La semaine dernière, nous avons voté la création de la cellule d’intervention juridique, conformément au programme sur lequel nous avons été élus le 25 juin. Les conseils départementaux feront remonter les problèmes à la section éthique et déontologie. La directrice des services juridiques de l’institution ordinale, la magistrate détachée et moi-même nous en saisirons afin de déterminer le jour même la réponse à apporter. Ce peut être un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou un dépôt de plainte, avec ou sans constitution de partie civile. Ce dispositif, présenté à tous les présidents de conseil départementaux, secrétaires généraux et trésoriers permettra d’acculturer l’ensemble des acteurs locaux à l’action pénale de l’Ordre.

Malgré cette harmonisation, il manque quelques outils. Mais nous comptons sur votre aide. Nous devons être mis au courant des procédures en cours. Nous y travaillons avec la direction générale de l’offre de soins. De fait, je n’attendrai pas la plainte définitive pour agir. Je dois pouvoir prononcer une suspension administrative dès l’instruction, en première instance, d’une plainte portant sur des crimes ou des délits, afin d’éviter que des médecins ayant commis des actes graves continuent à soigner des patients, tout en permettant à l’instruction de se dérouler normalement.

Certaines décisions sont aberrantes. Par exemple, quand c’est dans le cadre de sa vie privée que le médecin a commis l’infraction, il n’est pas interdit d’exercice. C’est inadmissible. Je dois pouvoir suspendre dans de tels cas. Je vous remercie de m’y aider.

Nous investissons des moyens ; nous en investirons d’autres. Nous savons gérer la confidentialité et nous devrions pouvoir accéder au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, grâce à des agréments.

Nous devons pouvoir garantir à tout patient que son médecin dispose d’une attestation d’honorabilité à jour et d’une attestation de compétence professionnelle. L’accréditation d’établissements par la Haute Autorité de santé offre une garantie supplémentaire.

Mme Marie Daudé. Rappelons que le champ actuel de l’Observatoire national des violences en milieu de santé couvre les signalements de faits commis à l’encontre des soignants, dans leur grande majorité par des usagers du système de santé. Très peu concernent des affaires de mœurs. Il est donc normal que ces chiffres ne correspondent pas à ceux de l’Ordre. Quant aux déclarations dans le cadre du MeToo de la santé, elles portent généralement sur les violences commises par des soignants sur d’autres soignants.

Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Comment réagissent les pairs face à ces violences ?

Mme Marie Daudé. Nous savons qu’il y a toujours le réflexe de penser aux conséquences d’une procédure disciplinaire sur l’offre de soins : « Que faire si ce praticien hospitalier est condamné alors qu’il n’y a pas d’autre chirurgien pédiatrique dans la région ? » Je suis bien placée pour le savoir car lorsqu’il s’agit de praticiens universitaires, il revient à la direction générale de l’offre de soins de déclencher les procédures en convoquant la juridiction disciplinaire des hospitalo-universitaires.

C’est la tolérance zéro qui prévaut. Nous nous mobilisons pour briser l’omerta. Le plan annoncé par le ministre se met progressivement en place. Nous sommes en train de revoir les maquettes de formation afin de mettre l’accent sur les violences sexistes et sexuelles. Nous travaillons à un Observatoire national des violences en milieu de santé « 2.0 », en collaboration avec une association féministe, en réfléchissant aux moyens d’élargir les signalements aux patients. Quatre groupes de travail thématiques ont été mis en place.

Madame Rousseau, vous voudrez bien m’excuser si je n’ai pas été assez claire dans ma réponse précédente : une information judiciaire contre X pour abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit a été ouverte. L’enquête déterminera qui savait et qui ne savait pas ainsi que le moment où l’autorité administrative a eu connaissance des faits. Je ne peux vous en dire plus car je sortirais de mon rôle si je me prononçais sur cette procédure judiciaire en cours.

M. Denis Robin. Ma collègue Clara de Bort et moi-même partageons le même constat : le nombre de signalements faits aux agences régionales de santé est en explosion, qu’il s’agisse des établissements de santé ou médico-sociaux. En Île-de-France, il a crû de 20 % en un an et nous avons reçu pas moins de 2 000 signalements en l’espace d’un semestre.

Mme Clara de Bort. Dans le Centre‑Val de Loire, les signalements pour violences sexuelles reçus par l’agence ont augmenté de 30 % entre 2023 et 2024.

M. Denis Robin. Dans notre cas, l’accroissement des violences sexistes et sexuelles ne ressort pas avec le même relief. Les signalements recouvrent des situations disparates : depuis l’usager mécontent de l’accueil reçu à l’hôpital ou de la façon dont un soignant a répondu à sa famille, jusqu’à des faits susceptibles d’être qualifiés de crimes. Il nous appartient de faire le tri pour ne pas nous tromper dans notre appréciation et dans notre suivi.

En cas de signalement émanant des ordres, des établissements et plus encore de la justice, nous exerçons toujours un suivi et nous prenons les mesures de suspension immédiate qui s’imposent. En revanche, lorsqu’il provient d’un particulier, il est plus difficile de ne pas faire d’erreur : face à des termes souvent peu explicites, les agents doivent comprendre de quoi il s’agit.

Faut-il créer des dispositifs différents selon les types de risques – violences sexistes et sexuelles, maltraitances en établissement de retraite, etc. – ou plutôt une base unique, fondée sur des outils modernes de tri et d’analyse ? Clara de Bort et moi penchons clairement pour la deuxième solution. Un vecteur unique est préférable si nous voulons éviter de perdre les usagers. Il leur est déjà compliqué de s’exprimer par l’intermédiaire d’outils dématérialisés.

En ce qui concerne la prévention, je donnerai deux exemples concrets. En collaboration avec la faculté de médecine de Paris-Saclay, l’agence régionale de santé Île-de-France finance, sur son fonds d’intervention régional, des formations destinées aux étudiants en médecine et en kinésithérapie et aux élèves en instituts de formation en soins infirmiers, dédiées aux violences sexistes et sexuelles : risques, signaux d’alarme, libération de la parole, dénonciation de situations atypiques. Par ailleurs, au gré des inspections des maisons de retraite demandées pour lutter contre les maltraitances, nous avons mis au point un outil de cotation des risques qui intègre les violences sexistes et sexuelles, ce qui permet à la fois à l’agence d’apprécier la façon dont la direction des établissements les prend en compte et aux directions elles-mêmes de progresser.

Mme Catherine Latger. Ces dernières années, l’engagement des personnels hospitaliers et des directeurs d’établissement s’est renforcé. Le nombre de signalements s’est multiplié. Nous avons réussi à répondre présent lors des moments de libération de la parole, à l’occasion notamment de révélations brutales. Nous travaillons avec des associations. Je citerai Donner des elles à la santé, qui regroupe des professionnels hospitaliers et qui multiplie les démarches de conventionnement pour diffuser la culture du signalement et de la vigilance, accompagner les victimes et former les professionnels, y compris au sein des instances des établissements hospitaliers : directeurs, chefs de pôle, chefs de service, cadres de santé, commissions médicales d’établissement. La confiance réciproque doit nous aider à nous emparer collégialement, rapidement et fortement des dispositifs existants.

Je ne reviendrai pas sur les obstacles que nous rencontrons dans l’accès au bulletin n° 2 ou à certains fichiers. La prise en compte des signalements fait partie des critères d’évaluation de la procédure de certification des établissements par la Haute Autorité de santé, laquelle a intégré dans son dernier cycle les dispositions relatives aux violences sexistes et sexuelles. La mise en place des référents, du côté médical et non médical, est une compétence transversale du comité social d’établissement. Leur montée en puissance est tangible et je peux témoigner de l’engagement de tous à faire en sorte qu’elle soit plus rapide encore. La vigilance est de mise dans les établissements, du pilotage de la qualité de la prise en charge des patients aux conditions de formation des personnels.

Du côté des établissements médico-sociaux, il faut noter le déploiement marqué de formations à la bientraitance et de dispositifs de tolérance zéro.

Par ailleurs, des victimes de Joël Le Scouarnec ont sollicité l’École des hautes études en santé publique, sans doute dans le souci de toucher les professionnels de la santé dans leur formation initiale et continue puisque l’école forme aussi les nouveaux chefs d’établissement et des membres des corps d’inspection, pour déployer une action pédagogique spécifique. Nous communiquerons à votre commission, à nos ministères de tutelle et à l’Ordre des médecins des informations sur les ateliers bientôt organisés.

Enfin, j’évoquerai le concours que nous apportent localement les parquets à travers les conventions police-justice-santé, dispositif ancien qui a contribué à la structuration de l’Observatoire national des violences en milieu de santé. Nous n’hésitons pas à solliciter leurs conseils quant à notre capacité d’enquête, qui reste pour nous un point de fragilité. Dans le cadre de son pouvoir de police générale, chaque établissement est doté d’un pouvoir d’enquête qu’il exerce sous le couvert des autorités statutaires et de tutelle. Toutefois, c’est toujours délicat : comment démêler les situations et prendre position en cas de soupçon, sans enfreindre les règles de procédure ni compromettre les investigations ou l’exercice de notre propre pouvoir administratif ? En cela, nos liens avec les autorités judiciaires sont précieux.

Mme Camille Galliard-Minier (EPR). Nous nous retrouvons dans la salle où, il y a trois mois, des victimes livraient leurs témoignages. Si elles se sont présentées devant nous, c’était avec la volonté d’éviter que les agissements qu’elles ont subis ne se reproduisent. Celle volonté, nous pouvons, mes collègues et moi-même, nous en faire le relais.

De vos interventions respectives, je retiens des choses qui m’ont rassurée : déploiement de systèmes de traçabilité, mise en place d’attestations, installation de logiciels, création de cellules. Je perçois, notamment chez M. le président, une réelle intention d’agir et de faire des efforts. Toutefois, je reste inquiète devant les éléments de faiblesse rappelés : multiplicité des acteurs, problème auquel il paraît difficile d’apporter des solutions ; non-transmissibilité des décisions de justice, point qui ne semble pas plus résolu ; failles dans le droit. J’aurai une seule question. On sait que M. Le Scouarnec a changé d’établissement sans jamais être inquiété. Pourrait-il aujourd’hui être stoppé dans son parcours ?

M. Stéphane Oustric. Aujourd’hui, oui. D’abord, le système a changé : avant nous avions les agences régionales de l’hospitalisation, les unions régionales des caisses d’assurance maladie, les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales, la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, les caisses primaires d’assurance maladie. Maintenant, nous avons les agences régionales de santé, le ministère, les établissements et l’Ordre des médecins. Cela simplifie les choses. Nous sommes habitués à travailler ensemble.

Nous avons musclé les procédures à lancer dès que des indices apparaissent. Les logiciels permettent des alertes dans le cadre de l’itinérance, à laquelle nous veillons particulièrement. Désormais, les transferts ne pourront avoir lieu que si certaines conditions sont remplies : ils sont, rappelons-le, la seule occasion où le bulletin n° 2 peut être revu. Si un praticien reste au même endroit pendant quarante-cinq ans, il n’y a pas de nouvelle consultation possible. Il faut prévoir des contrôles réguliers du bulletin n° 2 et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.

Le bulletin n° 2 ne recense pas toutes les informations nécessaires, raison pour laquelle nous devons aussi disposer d’éléments fournis par les parquets. Cela implique des relations avec les procureurs de la République mais, du fait des mutations, il faut repartir inlassablement à la charge. Nous devons savoir non seulement si la personne concernée a fait l’objet de décisions de justice, mais aussi si une instruction est en cours à son sujet. La transmission devrait être automatique et obligatoire pour que nous puissions prononcer une suspension le temps de l’information judiciaire. Il paraît inconcevable de laisser un praticien exercer dans ces conditions. Les agences régionales de santé peuvent suspendre le professionnel cinq mois, le temps que la chambre disciplinaire se prononce. Mais le processus est relancé s’il y a appel. Toutefois, je pense que nous allons y arriver.

Il manque quelques petits éléments à l’allumage, mais nous sommes capables d’y remédier et de transmettre les informations nécessaires à toutes les autorités. L’inscription d’un médecin à l’Ordre déclenche la communication immédiate de déclarations à l’assurance maladie, aux établissements, au procureur de la République et à tous les systèmes intéressés. Nous savons faire.

Il nous manque la possibilité de délivrer une attestation d’honorabilité. Ce sujet est à l’appréciation des ministres et de la direction générale de l’offre de soins. Je dois dire que nous avons bénéficié d’une écoute attentive et constante. Nous disposons à présent d’éléments authentiques et certifiés. Font enfin défaut quelques éléments réglementaires, notamment la révision de la circulaire qu’évoquait Mme Louis-Vahdat, mais il ne s’agit plus là que d’une question de volonté politique.

Mme Christine Louis-Vahdat. Une circulaire prévoit l’impossibilité pour un médecin ayant commis certains crimes ou délits de bénéficier d’un droit à l’oubli. Il ne pourra plus jamais exercer ni être inscrit à un tableau de l’Ordre. Lors de sa première condamnation, en 2005, Joël Le Scouarnec avait été condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis mais sans interdiction d’exercer.

Nous travaillons également avec la Conférence des doyens des facultés de médecine aux possibilités d’empêcher les étudiants qui auraient commis un crime ou un délit de poursuivre leurs études. Il y a eu des affaires retentissantes, mais les universités n’ont pas pu interrompre les parcours des coupables, qui savaient pourtant pertinemment qu’ils ne pourraient jamais être inscrits à l’Ordre ni exercer.

Nos relations sont bonnes avec certains parquets. Mais il nous arrive régulièrement de ne pas être informés d’instructions. Nous avons appris en juillet dernier par la presse qu’un médecin avait fait l’objet d’un contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer. Le Collège de la médecine générale nous a indiqué il y a un mois qu’il venait de découvrir qu’un praticien avait été condamné définitivement à une peine de prison pour violences sexuelles. Nous n’en avions pas été tenus au courant et nous avons dû revenir vers l’Ordre pour engager une procédure.

Par ailleurs, la suspension administrative doit valoir pendant toute la durée du contrôle judiciaire. Le délai de cinq mois ne suffit pas. Cette disposition doit entrer en vigueur au plus vite. Le juge disciplinaire saisi par l’agence régionale de santé peut être obligé de rejeter une plainte simplement parce qu’il ne dispose pas des éléments nécessaires, et il est ensuite impossible de rouvrir un dossier.

Des médecins sous contrôle judiciaire avec interdiction d’exercer, il y en a ! Je citerai le cas d’un oto-rhino-laryngologiste poursuivi pour viol sur mineur, qui s’est vu interdire par le juge d’instruction de dispenser des soins dans sa seule spécialité ! Autre affaire : un gynécologue-obstétricien sous contrôle judiciaire a été autorisé à exercer à condition qu’un tiers, membre de la famille, soit présent. Imaginez !

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). L’Ordre peut aller au-delà de ces jugements.

M. Stéphane Oustric. On ne peut pas agir à temps quand on l’apprend par la presse. Et cela arrive tous les jours : nous sommes obligés d’aller à la pêche. Les parquets sont surchargés, nous le savons, mais si les informations nous étaient communiquées de façon automatique et systématique, nous pourrions prononcer une suspension immédiate le temps de l’instruction, puis une radiation le cas échéant. C’est impossible aujourd’hui car nous n’avons connaissance des affaires que des mois voire des années plus tard.

Mme Christine Louis-Vahdat. Certes, nous pouvons adresser des demandes aux juges, mais cela prend du temps et dépend de leur bonne volonté. Pendant ce temps, le médecin a le droit d’exercer. Nous en avons des exemples pratiquement toutes les semaines.

Même si nous agissons aussi vite que possible, nous sommes confrontés à des failles : le juge peut ne pas nous répondre, nous pouvons ne pas être entendus… La transmission des informations, au lieu de dépendre de chaque magistrat, doit faire l’objet d’une procédure verrouillée et systématique. Contre ce médecin oto-rhino-laryngologiste mis en examen, placé sous contrôle judiciaire et auquel il est seulement interdit d’exercer sa spécialité, nous ne pouvons pas prononcer la suspension administrative qui s’impose.

Mme Marie Daudé. Tout ce qui vient d’être dit montre que le droit doit évoluer.

D’une part, nous devons pouvoir consulter systématiquement non seulement le bulletin n° 2, qui recense les condamnations, mais aussi le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, qui permet de savoir si des instructions sont en cours. Il revient au législateur de préciser à quelle fréquence et à quelle occasion ces consultations sont possibles : de façon systématique à l’embauche, puis lors de contrôles réguliers ainsi qu’en cas de levée de doute. Il faut édicter des règles pour ne plus être confrontés aux difficultés relatées par Mme Louis‑Vahdat : peut-on prononcer une suspension ou non, pour deux ou cinq ans, à l’encontre d’un professionnel condamné ou non ?

D’autre part, il faut clarifier les suites à donner, comme dans le champ médico-social : interdiction absolue d’exercer en cas de condamnation définitive pour certaines infractions ; suspension en cas d’instruction… Cela doit être clairement inscrit dans le droit. Voilà ce qui nous manque !

L’affaire Le Scouarnec pourrait-elle se reproduire ? La prise de conscience dans les administrations et les instances ordinales est telle, doublée de plans ministériels, qu’on laisse probablement passer de moins en moins de choses. Mais on ne dispose pas des outils nécessaires à un risque zéro.

Lorsque Joël Le Scouarnec a passé le concours de praticien hospitalier en 2006, son bulletin n° 2, que l’administration a consulté, était vide alors qu’il avait été condamné un an auparavant. Il est clair que la transmission doit être rapide et systématique. Cela relève-t-il de la loi ou d’une meilleure coordination entre justice et administration ? Je vous en laisse juges.

Mme Annie Vidal, présidente. Je vous remercie pour ces échanges de qualité. Nous avons bien compris que des faiblesses et des failles demeuraient, et nous attendons les contributions additionnelles que vous avez évoquées. La commission des affaires sociales – je parle sous le contrôle de notre président qui siège avec nous – restera mobilisée. Cette affaire nous oblige. Nous devons agir pour que de tels faits ne se reproduisent pas.

La réunion est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures cinq.

 

Présidence de M. Frédéric Valletoux.

 

Rapport de la mission flash sur les hôpitaux de proximité (M. Yannick Monnet, rapporteur)

M. le président Frédéric Valletoux. Notre commission avait décidé, lors de la législature précédente, d’évaluer la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, également appelée « loi OTSS » ou « Ma santé 2022 », ainsi que la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, aussi connue sous le nom de « loi Rist 1 ». En juillet, le bureau de la commission a souhaité accélérer cette entreprise importante en scindant cette évaluation en modules thématiques, sous la forme de missions flash. Les travaux de Jean-François Rousset portent ainsi sur la réforme du concours d’internat de médecine tandis que Yannick Monnet présente aujourd’hui le résultat des siens, relatifs aux hôpitaux de proximité.

M. Yannick Monnet, rapporteur. Cette mission a débuté avant la dissolution. Il a fallu tenir bon pour achever ce travail très intéressant, que j’ai l’honneur de présenter cet après-midi. J’ai insisté pour que nous nous concentrions sur l’évaluation d’un article particulier de la loi OTSS, qui me paraissait essentiel mais échappait paradoxalement à notre radar : l’article 35 qui prévoit la réforme des hôpitaux de proximité. À tort, ces derniers sont souvent assimilés aux anciens hôpitaux locaux. En réalité, la loi OTSS introduit un changement de paradigme dans la définition de cette catégorie d’établissements.

Alors que les hôpitaux locaux étaient souvent caractérisés par l’étiolement de leur offre de soins, la réforme définit les hôpitaux de proximité par leurs missions, concentrées sur la réponse aux besoins de santé de la population, en lien avec la médecine de ville, dans une optique de responsabilité territoriale partagée. Ils sont désignés au terme d’une procédure de labellisation conduite par les agences régionales de santé. Pour obtenir ce label, ils doivent élaborer un projet d’établissement tourné vers la ville et le territoire, disposer d’un plateau technique d’imagerie et de biologie médicales ainsi que de lits d’hospitalisation en médecine polyvalente. En revanche, ils ne peuvent avoir aucune activité de chirurgie et d’obstétrique.

L’idée est donc d’organiser l’accès aux soins de premier recours autour de ces établissements, en particulier dans les zones rurales et semi-rurales, afin de prendre en charge localement les soins les moins complexes, le suivi des pathologies chroniques ainsi que les soins gériatriques.

Les établissements peuvent postuler indépendamment de leur statut – public, privé non lucratif ou privé lucratif. La labellisation peut même concerner un simple site géographique d’un établissement plus important, comme un centre hospitalier universitaire.

Cette réforme est intéressante car, pour une fois, on ne s’est pas contenté de confier de nouvelles missions aux établissements en les laissant se débrouiller. En effet, elles ont été adossées à un modèle de financement que je qualifierais de pertinent, même s’il est bien sûr perfectible. Il a été ainsi décidé que les hôpitaux de proximité seraient financés par deux grandes enveloppes.

La première et principale est une dotation forfaitaire garantie, qui correspond en général à la moyenne des recettes issues de l’activité des années précédentes. Elle est garantie pour trois ans et par conséquent déconnectée de la T2A (tarification à l’activité). Un tel fonctionnement sécurise le financement de ces petits hôpitaux, dont les recettes d’activité sont souvent fluctuantes, et leur donne de la visibilité pour établir leur politique de ressources humaines et d’investissement.

La seconde ressource, qui correspond à environ 5 % du budget des hôpitaux de proximité, est une dotation de responsabilité territoriale destinée à financer leurs missions spécifiques. Son montant, qui comprend une part fixe et une part variable, est à la main des agences régionales de santé. Elle doit financer la création de consultations avancées de spécialité, l’accès à des plateaux techniques d’imagerie et de biologie médicales, l’acquisition d’outils de télésanté ou encore le paiement des indemnités dévolues aux praticiens libéraux intervenant à l’hôpital. Le montant total de cette dotation est modeste : 65 millions d’euros à l’échelle nationale. Elle est toutefois intéressante car, je l’ai dit, totalement déconnectée de la T2A et assise sur des critères populationnels ainsi que des objectifs concrets en matière d’accès aux soins.

Voilà, à grands traits, en quoi consiste la réforme lancée en 2019. Je dis bien « lancée » car la précision des contours de la réforme s’est étalée sur trois ans, la crise sanitaire s’étant interposée. Le modèle de financement a été approuvé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Puis l’ordonnance du 12 mai 2021 a détaillé la procédure de labellisation ainsi que les obligations et missions des hôpitaux de proximité. Enfin, les textes réglementaires datent de 2022.

Malgré ces débuts assez lents, la réforme semble avoir plutôt bien pris. Dans la mesure où il n’existe que peu d’informations centralisées en la matière, j’ai enquêté auprès de l’ensemble des agences régionales de santé des territoires de droit commun, puisqu’il leur revient de conduire et d’évaluer la réforme. Dans l’ensemble, elles ont mené à bien leurs procédures de labellisation et elles sont parvenues à un maillage presque stabilisé des hôpitaux de proximité. On observe néanmoins un volontarisme variable d’une agence à l’autre, toutes n’ayant pas fait en sorte de recréer des autorisations de lits de médecine pour permettre à des hôpitaux d’être labellisés. Toujours est-il qu’en juillet dernier, on comptait 327 hôpitaux de proximité : 276 établissements publics, 38 privés à but non lucratif et 13 à but lucratif.

J’ai été surpris de constater que cette réforme semblait faire l’unanimité, aussi bien chez les fédérations hospitalières que chez les professionnels de ville, les agences régionales de santé et les élus locaux. Tous considèrent qu’il s’agit plutôt d’une réussite, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Elle contribue à redonner ses lettres de noblesse à la proximité et marque un engagement politique en faveur de la pérennisation d’une offre de soins hospitaliers de proximité, à rebours du mouvement de centralisation qu’incarnent les groupements hospitaliers de territoire. De plus, cette réforme a forcé l’hôpital à s’ouvrir sur son territoire afin de mieux répondre aux besoins de la population, ce qui correspond à la dynamique que nous recherchons.

Et cela fonctionne ! Cela demande du temps mais, peu à peu, les acteurs de la ville et de l’hôpital apprennent à se parler et à se connaître, puis à élaborer des projets communs. L’hôpital Cœur du Bourbonnais, dans ma circonscription, est un exemple éloquent : il fonctionne déjà avec un niveau d’imbrication important avec les médecins libéraux, ce qui récrée de l’attractivité pour les professionnels.

Si cela fonctionne, c’est aussi parce que nous avons rallié les élus locaux. Souvent, ces derniers ont pris une part active dans la procédure de labellisation de l’hôpital qui les concerne. Ils se sont impliqués dans les projets associant la ville et l’hôpital. La réforme présente aussi un réel bénéfice en matière de démocratie sanitaire.

Vous l’aurez compris : une fois n’est pas coutume, mon évaluation se solde par un satisfecit global, dans un contexte pourtant morose pour l’hôpital public. Cela ne signifie pas que tout est parfait, tant s’en faut. Le modèle sur lequel reposent ces établissements demeure fragile. Si nous n’y prenons pas garde, cette bonne réforme pourrait aboutir à un échec ou, à tout le moins, ne pas porter les fruits attendus. Pourquoi ?

Premièrement, le modèle de financement ne sécurise que l’activité de médecine. Or, dans la très grande majorité des cas, les hôpitaux de proximité ont une activité médico-sociale dominante. On nous l’a répété lors des auditions et nous le savons tous : « on n’a pas la même performance de financement sur le champ médico-social ». C’est un euphémisme. Les hôpitaux de proximité ont souvent une activité importante voire dominante de soins médicaux et de réadaptation, dont le financement est en train d’être réformé sans que les effets soient encore appréhendés par tous. De plus, des services à domicile et des établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes leur sont souvent rattachés, et ces derniers rencontrent de grandes difficultés. Faute de modalités de financement viables dans le champ de l’autonomie, nous ne pourrons empêcher les hôpitaux de proximité de couler.

Deuxième source de fragilité : la faible capacité de l’hôpital à recruter des médecins dans un contexte de désertification médicale. Quand les médecins libéraux sont déjà débordés, il est encore plus difficile de leur demander de coopérer avec l’hôpital, lequel, par surcroît, ne peut leur proposer le même niveau de rémunération. Je crains donc que toute tentative de décloisonnement ne bute sur les différences de traitement entre la ville et l’hôpital, surtout au moment où les dépassements d’honoraires explosent en ville. Nous devrons nous atteler à cette question, qui dépasse largement les hôpitaux de proximité.

Troisièmement, la réussite de la réforme dépendra de notre engagement politique. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie est plus contraint chaque année. À cet égard, le montant global de la dotation de responsabilité territoriale des hôpitaux de proximité est gelé depuis 2022, tandis que le nombre d’établissements a augmenté. Cela signifie que la somme disponible pour chaque structure se réduit tendanciellement, alors que tout le monde s’accorde à dire que l’enveloppe est déjà limitée pour financer les missions essentielles prévues par la loi. L’engagement politique dont je parle impliquera donc de revaloriser cette dotation afin que les hôpitaux puissent effectivement mener à bien leurs missions. Bien sûr, il faudra s’en assurer ; c’est un point sur lequel j’insiste. Il faut que les agences régionales de santé jouent leur rôle d’évaluatrices des hôpitaux pour donner une idée plus précise des projets menés, mais aussi des obstacles rencontrés.

Je recommande en outre quelques ajustements techniques comme l’alignement des cycles de financement des hôpitaux labellisés à des dates différentes, ou encore l’adoption des textes réglementaires permettant à certaines structures de conserver une petite activité de chirurgie programmée. Cette dérogation est prévue par la loi mais n’est pas appliquée.

Pour conclure, je nous invite à réaffirmer collectivement l’engagement de la nation en faveur des hôpitaux de proximité, qui répondent à un besoin vital d’accès aux soins dans des territoires souvent désertifiés. Nous pourrions nous inspirer des caractéristiques de cette réforme pour faire évoluer le système de soins dans son ensemble. Je pense à la coconstruction des orientations avec les acteurs et les élus, dans le respect de la démocratie sanitaire. Je pense à la sortie de la logique productiviste de la T2A au profit d’une approche populationnelle. Je pense à l’établissement d’un financement pluriannuel, qui sécurise et donne de la visibilité aux acteurs. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi en janvier dernier visant à instaurer une programmation pluriannuelle du financement des hôpitaux. Tout est prêt pour aller en ce sens !

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Emmanuel Taché (RN). Le rapport souligne que la réforme des hôpitaux de proximité a permis de développer de vraies coopérations locales entre les établissements, les soignants exerçant en ville et les élus des territoires. Pourtant, l’intégration de ces acteurs dans la gouvernance des hôpitaux publics de proximité demeure soumise à l’autorisation du directeur général de l’agence régionale de santé. Comment justifier qu’un haut fonctionnaire puisse bloquer la participation des acteurs locaux qui connaissent le mieux les besoins de leur population, alors que votre rapport montre l’importance de la coopération territoriale ?

Rappelons le bilan des agences régionales de santé : suppression de plus de 43 000 lits, baisse drastique des effectifs, diminution voire suppression des stocks de matériel. C’est un bilan que la crise du coronavirus a mis au grand jour et qui malheureusement se poursuit.

Comme le rappelle régulièrement la présidente du groupe Rassemblement national, Marine Le Pen, il y a une suradministration de la santé : trop de gens dans les bureaux et pas assez auprès des patients. Ne pensez-vous pas que cette tutelle technocratique est en contradiction avec l’esprit même de la réforme de 2019, dont les agences régionales de santé étaient chargées de l’application opérationnelle ? Ne faudrait-il pas aller vers une gouvernance réellement locale et soignante, plutôt que centralisée et administrative ?

Mme Stéphanie Rist (EPR). Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de l’intérêt que vous portez aux hôpitaux de proximité.

Avec la loi « Ma santé 2022 », nous avions défendu une stratégie claire de graduation hospitalière avec des centres hospitaliers universitaires experts, des centres hospitaliers et des hôpitaux labellisés de proximité. Ces derniers, vous l’avez dit, visaient à mailler le territoire. Il s’agit, de ce point de vue, d’une réussite.

Je partage les recommandations que formule votre rapport qui, je le crois, peut nous donner confiance. Il est possible de fermer certaines activités locales en raison d’une démographie faible, tout en conservant un service de qualité dans ces hôpitaux de proximité. Nous pouvons nous en réjouir. Cela étant, il me semble que nous devons aller plus loin dans cette graduation en diminuant les redondances, en favorisant des parcours de qualité et en utilisant au maximum les professionnels là où nous en avons besoin.

Ne faudrait-il pas questionner la place des groupements hospitaliers de territoire ? Vous l’évoquez, mais seriez-vous favorable à aller plus loin dans leur intégration ? Je pense à des directions communes, ce qui est d’ailleurs le cas dans certains hôpitaux de proximité avec l’établissement support.

Par ailleurs, j’adhère à votre volonté de renforcer le financement territorial par l’agence régionale de santé, qui provient du fonds d’intervention régional. En revanche, vous n’évoquez pas la différence de mode de rémunération des professionnels, entre la médecine de ville et l’hôpital. Ne faudrait-il pas opérer une convergence, de sorte qu’un médecin puisse facilement passer de l’un à l’autre ?

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Cette mission flash de notre collègue Monnet, que je remercie pour ce travail, est intéressante en ce qu’elle nous rappelle un élément fondamental : le sous-financement des hôpitaux tue, à raison d’au moins 1 500 morts évitables par an. Il s’agit de personnes que nous saurions techniquement soigner, mais que nous n’avons pu prendre en charge faute de moyens suffisants. Nous en avons déjà parlé dans cette commission.

D’où vient cette situation et comment y remédier ? Depuis 2002, les hôpitaux ne peuvent plus emprunter auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Ils le font sur les marchés financiers ou auprès des banques. Certains ont même contracté des emprunts toxiques, dont on n’a pas fini de rembourser les dégâts. Ainsi, le système hospitalier verse chaque année 1 milliard d’euros d’intérêts à des banques commerciales, une somme qui équivaut à la rémunération annuelle de 25 000 infirmiers. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons connu le basculement vers la tarification à l’acte, sur laquelle revient également le rapport, course à la rentabilité qui a nui aussi bien aux soignants qu’aux usagers.

Pour respirer, il y a bien eu le développement de plans de financement sur trois ans avec la création des dotations forfaitaires garanties. Elles représentent la ressource centrale des hôpitaux de proximité. Mais comme l’indiquent les agences régionales de santé, ce dont le rapport fait d’ailleurs état, ce n’est pas suffisant pour investir. Dit autrement, on sous-finance aujourd’hui pour préparer les catastrophes de demain, au nom d’une autre modalité de financement du système hospitalier.

La dotation forfaitaire garantie des hôpitaux de proximité, d’une durée de trois ans, doit être bientôt renouvelée. Je suppose que nous en débattrons dans cette commission. Comme l’écrit Yannick Monnet, le montant des dotations ne tient visiblement pas compte des besoins. Nous ne savons toujours pas si elles seront reconduites sur la base de ce qui n’a pas marché ou de ce qui est nécessaire pour les années à venir. L’enveloppe de la dotation de responsabilité territoriale est gelée depuis 2022 alors même que le nombre d’établissements labellisés a augmenté, de 243 en 2022 à 327 désormais. Savez-vous combien les hôpitaux toucheraient aujourd’hui si la dotation avait été revalorisée ?

Mme Sandrine Runel (SOC). À mon tour, je félicite notre collègue Monnet. Son rapport prend encore plus de sens en cette période d’attente du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, étant rappelé que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie pourrait baisser de 2 %. Ceci ne laisse pas de nous inquiéter.

La mission flash juge que les hôpitaux de proximité peuvent être considérés comme un modèle. Ils permettent de maintenir une offre de soins de premier recours dans les zones rurales et semi-rurales, évitant la saturation des grands établissements. Ils redessinent même le mode de gestion des hôpitaux, à bout de souffle, en ne fondant plus le financement sur la tarification à l’acte mais sur des dotations. Enfin, ce modèle dynamise la relation ville-hôpital.

Cependant, certains éléments soulèvent des interrogations. Si les hôpitaux de proximité ont besoin d’un mode de financement alternatif, c’est bien parce que la tarification à l’acte est inadaptée au fonctionnement d’un hôpital. Elle induit des dérives nocives, notamment en matière d’égalité d’accès aux soins. La logique de la T2A, que nous avons combattue, consiste à hiérarchiser les pathologies selon leur rentabilité, à favoriser le nombre d’actes au détriment de la qualité de la prise en charge et à priver les soignants du temps nécessaire pour accomplir leur travail dans des conditions décentes. Je me félicite donc que les hôpitaux de proximité se soient libérés de ce schéma, afin de financer les soins que nous pourrions qualifier de peu rentables, même si cela ne leur permet pas d’échapper à la pénurie de ressources médicales.

Dans tous les cas, les établissements manquent de professionnels. Notre système de santé a besoin de toute urgence de former et de recruter des médecins, et de restaurer l’attractivité du travail hospitalier, notamment grâce à la rémunération. C’est essentiel à sa viabilité.

Le modèle des hôpitaux de proximité est celui vers lequel nous devrions tendre, plutôt que de le remettre en question. L’intérêt de ces établissements est réel dans l’offre de soins. Même si nous ne disposons pas encore du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, quelles sont les perspectives en la matière ?

Mme Sylvie Bonnet (DR). Mes collègues du groupe Droite républicaine et moi-même tenons à saluer la qualité du travail présenté par notre collègue Monnet. Ce travail essentiel rejoint les préoccupations de nos concitoyens, qui veulent avoir des établissements de santé près de chez eux. Je le mesure chaque semaine dans le département de la Loire.

Le rapport présente la réforme comme globalement positive. Elle a permis de redonner un sens et un contenu à la notion d’hôpital de proximité, en se concentrant sur des missions spécifiques et en s’appuyant sur un financement sécurisé par une dotation forfaitaire. Cet outil moins contraignant que la T2A favorise l’intégration dans le territoire, notamment à travers les groupements hospitaliers de territoire. Cette dynamique vertueuse, pour reprendre les mots du rapporteur, est à saluer.

Dans le contexte contraint que nous connaissons, à l’heure où les Français constatent et déplorent le désengagement de l’État, il est toujours agréable de mettre en avant une politique publique qui va dans le sens d’une plus grande présence de terrain. Cependant, les hôpitaux de proximité souffrent des mêmes maux que les autres : la faible densité de professionnels de santé est un réel obstacle, de même que le manque d’attractivité des rémunérations. De plus, en raison du modèle de financement, vous notez que l’exercice mixte ville-hôpital, qui aurait vocation à se généraliser dans ces établissements, demeure résiduel et sans perspective réelle de montée en charge. C’est un écueil important qu’il convient de souligner. Avez-vous exploré, lors de vos auditions, des pistes qui permettraient une croissance de l’exercice mixte ?

M. Hendrik Davi (EcoS). Un Français sur trois vit dans un désert médical. Nos concitoyens doivent parcourir de plus en plus de kilomètres pour passer une radio ou subir une opération. Trop de femmes n’ont pas de maternité près de chez elles, certaines devant même accoucher dans leur voiture, ce que relatent de nombreux articles de presse locale.

Dans ce contexte, la réforme ayant créé les hôpitaux de proximité est évidemment la bienvenue. Je remercie Yannick Monnet de l’avoir évaluée pour le compte de notre commission. Nous pouvons néanmoins nous inquiéter de l’avenir de cette réforme, dans la mesure où la direction générale de l’offre de soins ne dispose plus de budget pour la suivre. De plus, les hôpitaux à but lucratif ont la possibilité de bénéficier de ce statut et des dotations qui l’accompagnent, ce que je ne crois pas souhaitable.

Quelle est la situation financière des hôpitaux de proximité ? Le rapport n’évoque pas la dette hospitalière : qu’en est-il exactement ?

Pourquoi la dotation de responsabilité territoriale fait-elle l’objet d’une enveloppe fixe, qui plus est inchangée depuis 2022 ? Un tel fonctionnement ne favorise pas le nécessaire élargissement du dispositif et ne suit pas même l’inflation, ce qui induit une diminution de fait du montant de la dotation. La dotation forfaitaire garantie représente plus de 95 % des ressources des hôpitaux de proximité en matière sanitaire. Pourrions-nous étendre plus largement ce modèle alternatif à la T2A ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas interroger les syndicats de salariés sur la situation sociale de ces établissements ? Existe-t-il des difficultés de recrutement ? Les effectifs sont-ils au complet ? Dispose-t-on d’une estimation de la charge de travail et de l’activité ? C’est un angle mort du rapport.

Le dispositif nécessite de passer des conventions avec l’ensemble des partenaires du territoire, ainsi qu’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens avec l’agence régionale de santé. N’est-ce pas trop lourd, trop bureaucratique ? Eu égard au nombre de conventions qui doivent ainsi être signées, ne pourrions-nous pas simplifier les choses ?

Enfin, dans la mesure où je vous sais engagé dans la lutte contre les déserts médicaux, ce type de dispositif vous semble-t-il de nature à contribuer à la résorption de ce fléau ?

M. Thibault Bazin, rapporteur général. Je vous remercie pour ce rapport que j’ai lu avec grand intérêt. Vous avez effectué un véritable travail de terrain.

Les labellisations des hôpitaux de proximité se sont parfois accompagnées d’autorisations de médecine. Je l’ai moi-même constaté dans ma circonscription, au centre hospitalier de Saint-Nicolas-de-Port. Je confirme aussi votre diagnostic au sujet de la prééminence du médico-social et des soins médicaux et de réadaptation, ainsi que de l’inquiétude relative à l’avenir des services de soins infirmiers à domicile hospitaliers.

Avez-vous vu la présence, dans les hôpitaux de proximité, d’équipes mobiles de soins palliatifs et de lits identifiés de soins palliatifs ? Ne pourrions-nous pas nous appuyer sur ces établissements pour déployer l’accès à ces soins grâce à cette bonne recette qui associe financement forfaitaire, services polyvalents et équipes pluridisciplinaires ?

Enfin, si j’ai bien compris, la dotation de responsabilité territoriale est une enveloppe nationale fermée. Or, à compter de 2025, il est prévu qu’elle incorpore un bonus qualité, si bien que plus il y aura d’établissements labellisés affichant de bons résultats, moins le bonus sera élevé pour chacun. Ai-je bien compris ? Si oui, c’est très inquiétant !

M. Fabien Di Filippo (DR). Je m’interroge sur le développement d’activités privées sur le modèle des hôpitaux de proximité. Il s’agit là d’une véritable cannibalisation non seulement de la médecine de ville, dans des lieux où une complémentarité est déjà difficile à instaurer avec les établissements hospitaliers, mais aussi des hôpitaux eux-mêmes. Une telle activité privée de soins de premier recours peut être très lucrative si elle est menée avec efficacité, sachant que les patients sont ensuite orientés vers l’hôpital pour les traitements. Avez-vous identifié ce phénomène ? Vous inquiète-t-il eu égard à la gestion de l’activité, aux coûts qu’il peut entraîner et au risque de captation de la ressource médicale ?

M. Yannick Monnet, rapporteur. D’une manière générale, cette mission flash n’a fait qu’effleurer l’ensemble des questions liées à l’accès aux soins dans nos territoires. Nous aurions eu envie de nous éparpiller, tant ces enjeux sont intéressants. Mais il fallait nous concentrer sur notre sujet.

S’agissant des agences régionales de santé, dont nous parlons souvent dans cette commission et à propos desquelles nous émettons parfois des critiques, il m’a semblé que, sur le sujet qui nous occupe, elles ont été actives et facilitatrices. J’ai auditionné leurs représentants et je peux assurer qu’elles ont bien fait leur travail au sujet des hôpitaux de proximité.

Seules treize structures privées à but lucratif ont été labellisées. Le plus souvent, il s’agit d’établissements implantés de longue date dans un territoire où il n’existe pas d’autre structure.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Bazin, quant à la nécessité de moyens supplémentaires pour favoriser la qualité des soins et pour permettre aux hôpitaux d’accomplir les missions qui leur sont dévolues. L’enveloppe consacrée à la dotation de responsabilité territoriale doit impérativement être revue, sinon les parts de gâteau seront tellement petites qu’elles ne nourriront plus personne. Cela étant, je rappelle que la dotation forfaitaire garantie représente 95 % du financement des hôpitaux de proximité et qu’elle a été revalorisée chaque année en fonction de l’inflation. C’est la dotation de responsabilité territoriale, très minoritaire, qui a été gelée. Ce n’est pas moi qui affirmerai qu’on donne suffisamment d’argent à l’hôpital public, mais la revalorisation de la dotation forfaitaire garantie suivant l’inflation est un moindre mal.

Si la dotation de responsabilité territoriale avait été revalorisée, à combien s’élèverait-elle ? Il faut faire un produit en croix, qui ne figure effectivement pas dans le rapport.

En Auvergne-Rhône-Alpes, ma région, le déficit s’élève à 20 millions d’euros. Ce qui obère les finances, ce sont le médico-social et le modèle de financement du grand âge. Je rappelle que la Fédération hospitalière de France a évalué à 3 000 euros par place le déficit moyen d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Pour une structure de soixante places, le chiffre s’approche donc des 200 000 euros. Un tel fonctionnement pèse considérablement sur les hôpitaux de proximité ayant attaché à leur activité des services dédiés au grand âge.

La T2A pose deux problèmes. Par nature, elle est incompatible avec ce que l’on demande aux hôpitaux de proximité, notamment qu’ils se coordonnent. Au-delà de la question du financement, elle organise une compétition entre les structures, qui ne sont pas rémunérées de la même façon selon les actes qu’elles effectuent. Avec un forfait, la question ne se pose plus et la coopération est bonne.

L’intégration des élus locaux aux projets contribue aussi à leur bon fonctionnement.

S’agissant des ressources humaines, nous n’avons pas creusé la question. Ce qui est clair, c’est que moins on donne de moyens à l’hôpital, plus le personnel devient l’ultime marge de manœuvre des directions. Ceci crée d’énormes tensions et, parfois, des conditions d’emploi particulières. Le sujet mériterait d’être exploré, pas uniquement en ce qui concerne les hôpitaux de proximité mais à l’échelle de toutes les structures accueillant des professionnels de santé, dont la désaffection est manifeste et le malaise grandissant.

En matière de dette, les hôpitaux de proximité vont moins mal que les autres. C’est la preuve qu’il faut impérativement revenir sur la T2A. Tous les professionnels rencontrés ont dit : « Travailler avec un forfait, c’est beaucoup mieux parce qu’on anticipe, on prévoit et on met en œuvre des stratégies ». Je suis même sûr qu’en définitive, ça ne coûte pas plus cher, parce qu’on voit venir.

Certains hôpitaux de proximité dispensent certainement des soins palliatifs. Si ces structures se développent et si nous en assurons la solidité financière, différents services pourront reprendre pied dans nos territoires, y compris avec des professionnels dans le cadre d’un exercice partagé. Ce sont des points d’appui. Si nous les conservons et si nous leur donnons des moyens, ils permettront de restaurer une offre de soins qui, dans de nombreux territoires, a disparu.

L’intégration de ces établissements dans des directions communes demande du travail. Mais elle améliore le fonctionnement en encourageant la coopération entre professionnels de santé. Elle ne résout pas pour autant toutes les difficultés : si les structures avaient des problèmes de ressources humaines avant l’intégration, ils persistent après.

M. le président Frédéric Valletoux. La présence d’un hôpital de proximité favorise-t-elle le développement d’une offre de médecine générale de premier recours ?

Mme Annie Vidal (EPR). Les lits de soins palliatifs sont financés par la stratégie décennale des soins d’accompagnement. Tout l’enjeu est de les répartir entre les établissements selon des critères d’acceptabilité. Cela exigera des discussions à l’échelon local, avec les agences régionales de santé et en fonction du projet stratégique local.

Je me réjouis d’entendre que les directions communes améliorent le fonctionnement des groupements hospitaliers de territoire. J’ai souvenir qu’elles ont fait l’objet de débats très durs, il y a quelques années, et qu’elles ont été largement rejetées. Sans doute les acteurs n’étaient-ils alors pas mûrs.

Partout, le constat est le même : quand il y a une direction commune, la fluidité est meilleure. Souvent, les choses n’avancent pas parce que les acteurs n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Je suis heureuse que l’on admette enfin que les directions communes, dans les groupements hospitaliers de territoire, sont une excellente chose.

M. Yannick Monnet, rapporteur. De façon générale, l’évaluation des hôpitaux de proximité, dont la réforme est récente puisqu’elle remonte à trois ans seulement, devra se poursuivre de façon régulière pour déterminer si les réalisations sont à la hauteur des ambitions.

À la question de savoir s’ils améliorent l’attractivité des territoires, je répondrai en évoquant ma circonscription. Un hôpital de proximité y fonctionne plutôt bien, situé non loin d’une maison de santé de médecine libérale : celle-ci a recruté plus facilement des médecins. Est-ce dû à la proximité de l’hôpital ? Je ne peux ni l’affirmer ni l’infirmer ; cela mérite d’être objectivé. Je pense néanmoins que l’interaction entre ces deux structures a une incidence : elle favorise les échanges et l’émulation entre les professionnels, et participe donc probablement de l’attractivité de l’ensemble, même s’il faudrait l’évaluer plus en finesse et avec davantage de recul.

M. le président Frédéric Valletoux. Je crois profondément aux synergies et je considère, moi aussi, que les démarches se conjuguent et s’additionnent.

La réunion s’achève à dix-sept heures quarante.


Présences en réunion

 

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, Mme Sylvie Bonnet, M. Hadrien Clouet, M. Hendrik Davi, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Camille Galliard-Minier, Mme Océane Godard, Mme Zahia Hamdane, M. Didier Le Gac, Mme Élise Leboucher, M. Yannick Monnet, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, Mme Sandrine Runel, M. Emmanuel Taché, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal

Excusés.  Mme Anchya Bamana, Mme Béatrice Bellay, M. Elie Califer, Mme Sylvie Dezarnaud, Mme Karine Lebon, Mme Joséphine Missoffe, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistaient également à la réunion.  M. Erwan Balanant, M. Emmanuel Tjibaou