Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition, ouverte à la presse, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, sur le projet de loi de finances 2025.

 


Mercredi
16 octobre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 6

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président

 


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La séance est ouverte à neuf heures.

 

M. le président Jean-Michel Jacques. Mon général, nous commençons avec vous une journée d’auditions qui verra se succéder devant nous les chefs d’état-major des trois armées.

Notre monde troublé en proie à de nombreuses tensions appelle à une augmentation du budget des armées. Conformément à la loi de programmation militaire (LPM), pour 2025, 14,3 milliards d’euros sont affectés au programme 178 « Préparation et emploi des forces », dont près de 2,2 milliards d’euros en crédits de paiement pour l’action « préparation des forces terrestres ».

L’année 2024 a été marquée par des engagements multiples pour l’armée de Terre. On peut citer la mobilisation exceptionnelle pour les Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024, l’intervention en Nouvelle-Calédonie ou encore la participation des forces terrestres aux missions opérationnelles sur le flanc est de l’Europe.

Première année d’application de la LPM 2024-2030, 2024 a été une année de livraison d’équipements attendue par nos forces. Je pense à la poursuite du programme Scorpion ou à la livraison du nouveau canon équipé d’un système d’artillerie CAESAR. En 2025, l’effort de réarmement de nos forces s’accélérera avec 20,2 milliards d’euros de commandes d’équipements, notamment la commande de missiles supplémentaires, afin de renforcer nos capacités des trois armées, et 10,6 milliards d’euros de livraisons d’équipement au sein de nos unités. L’armée de Terre verra ainsi arriver près de 308 nouveaux véhicules du programme et 8 000 fusils d’assaut HK416.

Par ailleurs, 2025 sera une année importante pour la poursuite de la transformation de l’armée de Terre vers le modèle « au combat », la préparation de nos forces face au retour de la guerre de haute intensité étant un enjeu majeur.

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoit un crédit de 1,9 milliard d’euros en matière de munitions. Quels sont les enjeux de cette priorisation pour l’armée de Terre ?

Le Président de la République a annoncé la formation d’environ 2 300 soldats ukrainiens par des soldats français sur le sol français. Si nous pouvons nous féliciter de cette initiative qui matérialise une fois de plus notre soutien à l’Ukraine, quelle en sera la répercussion, bénéficiaire ou pas, pour l’armée de Terre, en 2024 et en 2025, notamment sur les plans RH et capacitaires ?

M. le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter, à la suite du ministre des armées et du chef d’état-major des armées, les projets de l’armée de Terre pour 2025 compte tenu du projet de loi de finances. Je le fais avec la conscience aiguë de l’effort consacré par la Nation à ses armées, au moment où la question de la bonne utilisation des ressources de l’État se pose avec acuité.

Permettez-moi d’avoir une pensée pour les 13 500 soldats de l’armée de Terre en opération, en particulier pour les 700 casques bleus présents au Liban, au cœur d’une explosion régionale présentant de réels risques d’engrenage.

Le Proche-Orient et le Liban, où sont déployés nos soldats, illustrent le contexte dans lequel nous évoluons. Ce contexte est volatil, alternant pressions militaires, signaux dissuasifs et combats meurtriers. Structuré par des hostilités anciennes, il demeure difficilement prévisible. Les rapports de force y sont assumés, voire démontrés.

Ce contexte présente des défis à relever mais aussi des opportunités à saisir. Paradoxalement, ces coups de semonce nous alertent et nous offrent l’occasion de réfléchir à la défense de la nation. Il nous pousse à l’action pour conserver le temps d’avance qui permet de parer la montée vers le conflit ouvert et de faire face aux aléas géopolitiques. Notre objectif reste de produire des effets et d’éviter la montée aux extrêmes.

L’analyse des conflits récents permet de distinguer des constantes. Au-delà de la conjoncture des conflits du Haut-Karabakh, de l’Ukraine et du Proche-Orient, je retiens trois leçons pérennes : premièrement, un changement d’échelle, l’unité de compte est dorénavant la brigade ou la division : deuxièmement, la permanence du combat Terrestre : l’engagement au sol est indispensable pour infléchir durablement le cours des conflits. Il demeure, in fine, le sceau de la victoire et de la volonté d’une nation. Troisièmement, les nouvelles formes et armes du combat se superposent aux anciennes, sans les disqualifier. Les nouvelles technologies se déploient au cœur des manifestations les plus classiques de la guerre.

Nous sommes à un moment de bascule géopolitique, culturelle, technologique, sociale. L’armée de Terre s’adapte à ces évolutions qui se conjuguent en une nouvelle grammaire stratégique. L’hybridité des attaques comme des moyens de défense est une réalité. Le continuum entre compétition, contestation et affrontement en est une autre.

L’instabilité géopolitique engendre danger et urgence. Danger, car des menaces crédibles de recours désinhibé à la force voient le jour en Russie, au Moyen-Orient, en Iran, en Chine, dans la péninsule coréenne. Des États auxquels nous sommes liés par des accords de défense sont voisins de puissances agressives. Urgence, car une fébrilité est perceptible au sein des alliances, notamment au sein de l’Otan. Les alliés de la France sont en première ligne et se sentent soumis à une menace imminente.

Dans ce contexte, la France maintient l’ambition de peser, c’est-à-dire de disposer d’une capacité d’appréciation de situation autonome, d’être en mesure de générer des coalitions, d’établir des rapports de force et de contrer la montée aux extrêmes. Elle se veut une puissance d’équilibre et d’entraînement. L’effort de défense porté à 2 % du PIB et la loi de programmation militaire 2024-2030 à 413 milliards d’euros en attestent.

J’observe que les partenaires européens renforcent également leur outil de défense, notamment les pays de l’est de l’Europe. La Pologne annonce consacrer en 2025 plus de 4 % de sa richesse nationale à sa défense.

Cette situation appelle une transformation que l’armée de Terre conduit. L’actualité me conforte chaque jour dans la conviction que cette transformation est nécessaire pour rester « dans la course ».

En résumé, la mission de l’armée de Terre vise à permettre à la France, avec les autres armées, de se présenter en moteur de l’architecture de sécurité européenne, ainsi qu’en pourvoyeuse de sécurité. Pour notre pays d’abord, par la défense et la protection du territoire et de ses habitants, de sa souveraineté en métropole comme outre-mer, mais aussi de la contribution à la résilience de la nation et à l’esprit de défense. Pour nos alliés, ensuite, notamment à l’est de l’Europe et en soutien à l’Ukraine, il s’agit de démontrer notre solidarité stratégique. Pour nos partenaires, enfin, en Afrique, au Moyen-Orient, dans l’océan Indien et jusque dans le Pacifique, il s’agit de prévenir des crises et d’exercer une influence sur les équilibres de sécurité.

La loi de programmation militaire donne à l’armée de Terre les moyens de cette ambition, articulée autour de l’objectif concret de disposer, à partir de 2027, d’une division de combat déployable en trente jours. Les années 2022-2024 ont été des années de conception et d’impulsion qui ont adapté l’organisation des commandements. Les années 2024 à 2026 qui s’ouvrent devant nous sont celles de la cohérence des brigades, briques élémentaires des opérations et du fonctionnement de l’armée de Terre.

Dès le premier semestre 2025 et de manière pérenne, l’armée de Terre garantira pour notre pays une brigade aux meilleurs standards, c’est-à-dire « bonne de guerre », déployable avec ses soldats entraînés, ses équipements, ses appuis, sa logistique et ses stocks pour peser, agir, réagir et entraîner ses partenaires.

Les années 2026 à 2028 seront celle de la cohérence des capacités d’appui et de soutien du haut du spectre au profit de la division de combat déployable en coalition.

Pour produire les effets attendus d’elle, ce soir comme demain, l’armée de Terre combine trois dimensions : une armée de Terre stratégique, qui protège et agit dès ce soir ; une armée de Terre innovante, qui se prépare pour demain et, en socle, une armée de Terre soudée par la fraternité d’armes.

L’armée de Terre est stratégique. Elle protège et agit dès ce soir, au cœur, c’est-à-dire sur le territoire national, au près, c’est-à-dire avec nos alliés en Europe et au Moyen-Orient, et au large, dans les zones de crise plus lointaines. L’armée de Terre a démontré cette année qu’elle était stratégique en participant à la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques avec 15 000 hommes, dont 15 % de réservistes. Elle le démontre aussi en engageant 2 000 soldats aux côtés de nos alliés estoniens, polonais et roumains. Elle le démontre enfin par sa présence vigilante au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) et en endossant la majeure partie du soutien dispensé par la France à l’Ukraine. Pour l’Ukraine, 15 000 soldats ont été formés depuis 2023, dont 2 300 formés et équipés cet automne pour la seule brigade Anne de Kiev.

L’armée de Terre apporte des garanties de sécurité en Europe. Son investissement au sein de l’Otan demeure le moyen le plus efficace de renforcer sa crédibilité auprès des alliés en tant que nation-cadre de la défense collective. L’armée de Terre a créé cette année le Commandement Terre Europe (CTE) pour commander, sous l’égide de l’état-major des armées, l’ensemble des missions se déroulant sur le continent.

En 2025, en plus des alertes et missions qui lui seront fixées en fonction de l’évolution de la situation, sur le territoire comme à l’étranger, l’armée de Terre prendra part à des exercices majeurs qui constitueront autant de signalements stratégiques. J’en citerai trois. L’exercice Dacian Spring 25 démontrera la capacité à déployer une brigade « bonne de guerre » dans un cadre multinational, en Roumanie, au printemps. L’exercice Diodore 2025 entraînera les unités de renseignement et d’appui dans la profondeur, dans un contexte de haute intensité. L’exercice Warfighter 25 démontrera l’interopérabilité de la 1ère Division de Besançon avec un corps d’armée américain et des divisions allemande et britannique.

L’armée de Terre est innovante. Elle se prépare pour demain. Elle tire les leçons des conflits récents en distinguant les évolutions structurelles et conjoncturelles. Elle encourage l’innovation décentralisée car les idées des praticiens du combat dans les unités sont indispensables et jouent le rôle d’aiguillons. Elle encourage également l’innovation centralisée, car les projets plus lourds ayant vocation à fournir des capacités clés aux unités de combat naissent d’une synergie réussie entre chercheurs, experts militaires et industriels avec l’état-major des armées et la direction générale de l’armement (DGA). C’est la mission du Commandement du combat futur (CCF) qui a été créé voici un an.

En 2024, en plus des équipements délivrés par les programmes d’armement, notamment les 300 véhicules Scorpion, l’armée de Terre a lancé dans ses ateliers le réemploi pour la lutte anti-drones des vieux canons de 20 mm sur affût en leur adjoignant un viseur optronique, une station météo et un calculateur enrichi d’une couche d’intelligence artificielle développée en coopération avec la nouvelle agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad). En 2024, l’armée de Terre a acheté sur catalogue des camions et des porte-chars pour favoriser la mobilité des régiments et des brigades et l’entraînement au quotidien.

En 2025, le projet de loi de finances permettra la livraison du cinquantième char Leclerc rénové, de 300 nouveaux véhicules Scorpion, ce qui représentera, en cumulé, 45 % de la cible Scorpion. Le PLF permettra l’acquisition et la livraison de drones de tous types, dont une dizaine de Patroller, de missiles antichars et anti-aériens, ainsi que de munitions téléopérées. L’armée de Terre développera un système de communication sécurisé hybride renforçant la connectivité des forces par l’accès à un large spectre de réseaux civils et militaires et offrant une meilleure résistance au brouillage, développé aussi à partir d’idées venant de la base, en moins d’un an, par une combinaison des moyens de l’armée de Terre, des armées et de la DGA. L’armée de Terre recevra six engins démineurs de zone.

L’armée de Terre est soudée. Elle est une armée d’emploi, riche de ses hommes et de ses femmes, liés par la fraternité d’armes. Elle offre une carrière dynamique et porteuse de sens à la jeunesse. Cette année, 15 000 jeunes et 5 000 réservistes ont fait le choix de rejoindre ses rangs. Ces recrutements et les effets bénéfiques du plan de fidélisation permettront d’atteindre en décembre 2024 le plafond des effectifs autorisés. De plus, 15 000 soldats d’active et 5 000 réservistes seront de nouveau recrutés en 2025, dont près d’un millier dans les domaines émergents : cyber, numérique, renseignement et mécanique aéronautique.

L’armée de Terre recrute, forme, fidélise et accompagne ses soldats de leur candidature à leur retour à la vie civile. Elle assure un rôle d’escalier social en métropole comme outre-mer et continue à toucher la jeunesse au-delà de ses soldats. Avec 50 000 jeunes au contact des régiments, par le biais du challenge « Terre jeunesse », en marge des Jeux olympiques, des classes de défense, des stages divers. Après le succès de l’opération « Volontaires découverte de l’armée de Terre » du 35e Régiment d’Infanterie, pendant les Jeux olympiques et paralympiques, l’expérimentation sera renouvelée et élargie en 2025. Les valeurs qui font la force des unités de l’armée de Terre, notamment la fraternité d’armes, la considération, l’unité, l’esprit de corps et la mixité, feront l’objet d’un effort accru en 2025.

L’armée de Terre est consciente de son rôle au service de la cohésion nationale dont elle offre une image que les Français plébiscitent. La France a plus que jamais besoin d’une armée de Terre stratégique, innovante et soudée. Je pense pouvoir dire qu’elle l’a. C’est un atout et c’est aussi le fruit d’une culture et d’une histoire qui donnent à notre pays une armée d’emploi.

C’est le résultat d’une ambition constante qui se poursuit au moyen des ressources attribuées au projet de loi de finances pour 2025 et les réalisations qu’elles permettent. Je sais les pressions importantes qui s’exercent sur les finances publiques. Dans un moment de bascule stratégique, nous bâtissons sur les engagements de la LPM 2024-2030 un modèle d’armée de Terre permettant à la France de tenir son rang, de peser et d’entraîner. Nous avons entamé un mouvement d’ampleur que nous poursuivrons. La situation internationale nous y oblige. Nos compatriotes et nos alliés peuvent compter sur la détermination de tous les soldats de l’armée de Terre et de leurs chefs.

Monsieur le président, s’agissant de la formation des quelques 14 000 soldats ukrainiens, l’armée de Terre a mis en œuvre un quadruple dispositif. Premièrement, nous accueillons dans nos écoles des soldats ukrainiens de tous grades, mais surtout des officiers et des sous-officiers, pour des stages d’une durée de quelques semaines à un an, afin de former des chefs ou des techniciens dans des domaines particuliers. Deuxièmement, depuis deux ans, nous assurons la formation initiale de jeunes Ukrainiens civils, en France, dans un de nos camps, pour en faire des soldats. Troisièmement, nous avons déployé quelque 150 soldats français pour assurer la formation de bataillons ukrainiens en Pologne. Nous en sommes au quatorzième bataillon. Quatrièmement, plus récemment, une brigade forte de 2 300 soldats est présente en France pour y être formée et entraînée. Nous réaliserons un exercice de synthèse sur le terrain et un autre en simulation sur ordinateur afin de garantir que cette brigade que nous aurons formée et équipée à tous les niveaux, du soldat au chef, soit prête à partir au combat.

Pour l’armée de Terre, cet investissement dans la formation a des incidences en matière d’équipements, puisque la France a décidé à la fois de former et d’équiper les contingents qui nous sont confiés. Une part des équipements transmis quittait les rangs de l’armée de Terre française grâce aux livraisons de nouveaux matériels prévues dans la loi de programmation militaire, notamment celles des véhicules Scorpion, à l’exception initiale des canons CAESAR que nous avions cédés et pris sur nos corps. Mais ceux-ci sont remplacés grâce à l’augmentation du rythme de production par KNDS qui en produit six par mois.

Enfin, après avoir fourni à l’Ukraine des munitions issues de nos stocks, la production industrielle alimente dorénavant les cessions de munitions à l’Ukraine, en même temps que la reconstitution de nos stocks, notamment pour les canons d’artillerie de 155 mm.

Quant à mes priorités en matière de munitions dans le cadre du PLF 2025, je rappelle que le maître mot de la conception de la LPM est la cohérence. Du point de vue de l’armée de Terre, cette cohérence est d’abord verticale. Un équipement majeur n’a de valeur opérationnelle que s’il s’accompagne de son environnement: l’armement qui l’équipe, des pièces de rechange pour le maintenir opérationnel, l’entraînement des soldats et, bien sûr, les munitions. La loi de programmation militaire visait à renforcer notre cohérence verticale, notamment en alimentant nos stocks de munitions, avec une attention particulière pour les capacités d’artillerie.

Nous sommes en train de reconstituer ces stocks, capacité par capacité. Ma première priorité concerne l’artillerie et les obus de 155 mm dont elle a besoin. Ma deuxième priorité, ce sont les munitions de défense sol-air, notamment le Mistral, moyens indispensables de l’engagement en opération. Ma troisième priorité, ce sont les munitions antichars qui peuvent aussi servir à détruire des objectifs dans la profondeur tactique ; il peut s’agir de munitions traditionnelles, comme des nouveaux systèmes de missiles antichars de moyenne portée ou de nouvelles munitions, dont les munitions téléopérées. Cette année, nous allons recevoir les premières munitions téléopérées identiques à celles que nous allons fournir à l’Ukraine. Nous pourrons en outre bénéficier des leçons de leur emploi au combat.

L’évolution des munitions téléopérées, ou drones-suicides, est tellement rapide que la question des stocks n’est pas la seule grille d’analyse pertinente. Il importe d’avoir des industries capables de produire les munitions les plus à jour possible, tant dans leur conception physique que logicielle, en incluant notamment l’intelligence artificielle afin d’offrir des capacités pour résister au brouillage, trouver des cibles ou se repérer grâce à l’analyse des images. Le flux de production doit permettre de s’entraîner et de disposer d’un stock minimum. Il doit surtout permettre de monter en cadence de production en cas de conflit, car constituer des stocks importants préalables ferait courir le risque de posséder des munitions obsolètes. Il s’agit d’une nouvelle modalité d’acquisition des munitions et un des aspects de l’économie de guerre qui nous impose de revoir nos façons de nous entraîner et de distribuer les équipements dans nos armées.

M. le président Jean-Michel Jacques. Cette logique d’économie de guerre est inscrite dans la loi de programmation militaire. Notre industrie de défense doit revoir ses pratiques et monter en intensité afin que vous disposiez des stocks nécessaires.

M. Thierry Tesson (RN). Mon général, dans toute armée, la partie Terre occupe une place dont le retour des conflits de haute intensité rappelle l’importance. La guerre en Ukraine, marquée par l’émergence de nouvelles technologies telles que la robotisation, les drones, l’intelligence artificielle, alerte sur l’obligation d’adapter nos forces terrestres. Cette évolution nécessite des moyens financiers accrus. Certes, la LPM 2024-2030 a prévu une augmentation du budget de l’armée de Terre, mais ce dernier apparaît en trompe-l’œil pour 2025. Nous déplorons les gels de crédits qui rendent particulièrement tendue la fin de gestion de 2024. L’année prochaine, la marge de 3,3 milliards d’euros de la mission Défense sera grevée par des dépenses non votées en LPM. Les surcoûts des Opex seront ainsi financés par les crédits du ministère des armées. En outre, les fonds versés à la Facilité européenne pour la paix (FEP) en complément des stocks pour l’armée ukrainienne sont autant de moyens enlevés à nos forces. Par exemple, sur le segment artillerie, les cessions de lance-roquettes unitaires (LRU) et de canons CAESAR ont déjà entraîné un trou capacitaire auquel le PLF pour 2025 ne semble pas apporter une réponse suffisante, notamment concernant les munitions. Rappelons aussi que l’armée de Terre disposera de 500 blindés Griffon et Jaguar de moins en 2030 par rapport aux prévisions.

Dans ce contexte budgétaire tendu, l’armée de Terre restera pourtant particulièrement mobilisée en 2025. Elle participera à de grands exercices, notamment otaniens. Quels sont les enjeux et le coût de ces exercices pour votre armée ?

Nos forces restent mobilisées dans le cadre de l’opération Sentinelle que le groupe RN souhaite voir évoluer, les Jeux olympiques étant terminés. Comment faire évoluer ce dispositif ? Une réallocation de ces ressources à d’autres segments de votre armée est-elle possible ?

M. le général Pierre Schill. Dans la nouvelle grammaire stratégique, le signal envoyé par nos activités, depuis celles menées au quartier jusqu’à l’engagement opérationnel le plus dur, revêt une très grande importance. Dans le cadre de l’Otan, les grands exercices que nous allons réaliser l’an prochain viseront à la fois l’entraînement de l’armée de Terre et l’envoi d’un signal à nos alliés. Leur premier rôle est de donner confiance, de conforter la crédibilité de notre armée de Terre et de nos armées. J’estime que la meilleure façon d’établir cette crédibilité est de le faire dans la cadre des exercices et déploiements de l’OTAN. Participer à de grands exercices de l’OTAN ne limite pas ma capacité d’action car, au-delà de ses finalités militaires, l’Otan est d’abord une institution permettant de créer des normes et de l’interopérabilité. Faire une démonstration d’interopérabilité et de capacité à agir suivant les normes, avec la grammaire et le langage de l’Otan, permet d’asseoir notre crédibilité vis-à-vis de nos alliés.

Ce message de crédibilité s’adresse-t-il aussi aux adversaires et en l’occurrence à la Russie ? Probablement, puisque l’Otan a pour objectif de dissuader. Faire peur, être redouté, redoutable, craint, c’est ce à quoi les coalitions auxquelles nous appartenons doivent parvenir. C’est la finalité de ces exercices, au-delà de leur but d’entraînement.

Ces entraînements sont utiles à l’armée de Terre. La loi de programmation militaire pour 2024 et pour les années suivantes permet de financer environ 70 % de la norme d’activité visée en fin de LPM ; il m’appartient de répartir au mieux l’activité entre celle conduite en garnison destinée à l’entraînement de tous les soldats et celle engageant davantage le commandement et les états-majors. Ces grands exercices sont aussi indispensables pour s’entraîner dans le domaine de la logistique, de la circulation en Europe, du déploiement des forces, de la manœuvre de grandes masses militaires : une dimension que nous avions omise dans les années précédentes et sur laquelle nous devons remonter en gamme.

Pour l’année 2025, l’équilibre entre entraînements élémentaires, intermédiaires et plus exigeants nous permet de démontrer que nous disposons dorénavant en permanence une brigade déployable « bonne de guerre ». Il s’agit là de l’un des objectifs de la LPM qui fera l’objet d’un exercice de l’Otan, « Dacian Spring ». Nous augmentons qualitativement l’entraînement dans la proportion définie par la loi.

Les Jeux olympiques ont été un très grand succès pour notre pays, donc pour les armées et l’armée de Terre. Les 15 000 soldats déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle ont fait part de leur fierté d’avoir participé à ce moment très particulier pour notre pays. Certes, cela avait demandé de la préparation, l’aménagement de l’entraînement, des programmations et des permissions, mais nous avions dimensionné correctement les unités : il n’y a pas eu de surprise de nature à modifier les volumes de forces déployées.

À l’occasion des Jeux olympiques, nous avons noué un dialogue civilo-militaire fructueux avec les différentes composantes ayant contribué à la sécurité, en premier lieu, le ministère de l’Intérieur. Notre objectif est de capitaliser sur les acquis des Jeux pour définir de nouvelles formes d’engagement. Le premier acquis est le dialogue civilo-militaire, au niveau interministériel, au niveau des préfets de zone, et décliné ensuite jusque dans les départements entre les préfets, les services interministériels et les armées. En outre, nous avons déployé de nouvelles capacités : équipes cynotechniques pour la recherche d’explosifs,, plongeurs, sonars de surveillance de fleuve, drones, hélicoptères, quads. Nous avons montré l’intérêt de capacités dont la pertinence ne peut être évaluée à l’aune du seul nombre d’hommes alignés. Ces acquis permettront la poursuite de la mission Sentinelle en adaptant ses modalités et en capitalisant sur le dialogue à tous les niveaux.

M. Karl Olive (EPR). Mon général, il y a quelques semaines, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, vous indiquiez : « Plusieurs décennies de paix émaillées de déploiements limités de corps expéditionnaires dans des missions de gestion de crise ont conduit les sociétés occidentales à sous-estimer la réalité des rapports de force et des volontés de puissances ». La réalité s’impose à nous. Du Proche-Orient à l’Ukraine, de la mer de Chine au Sahel et même en France avec les attaques cyber et la désinformation, le niveau de tension et de conflictualité ne cesse de grimper. Cette évolution est à la fois géopolitique, stratégique et tactique. Vous indiquez également dans cette tribune que le fantasme d’un combat moderne mené intégralement à distance grâce aux nouvelles technologies s’est dissipé. Les nouvelles formes de conflictualité s’ajoutent aux anciennes, sans les remplacer.

De nombreux défis se posent à nos armées, en particulier à l’armée de Terre. Le premier est humain. Le fantasme de gagner une guerre avec seulement 300 soldats a disparu, nos armées ont besoin de soldats formés, expérimentés et surtout en grand nombre. Les besoins en recrutement s’accentuant, le défi de la fidélisation est tout aussi primordial. Quel est votre regard sur le plan « Fidélisation à 360 degrés » lancé en mars 2024, afin de répondre à ce défi au sein de l’armée de Terre ?

Le deuxième défi est celui des munitions. La guerre en Ukraine a montré l’importance du besoin en munitions dans un conflit de haute intensité. D’ailleurs, l’an passé, nos collègues Vincent Bru et Julien Rancoule alertaient dans un rapport sur l’état des stocks. Bien que leur niveau exact soit classifié, il semblerait qu’il soit au plus bas, ne permettant pas de tenir au-delà de quelques semaines en cas de conflit dur. Pour y remédier, 2 milliards d’euros supplémentaires sont prévus dans le cadre de la loi de programmation militaire. Entre 2024 et 2025, une augmentation de 12,65 % est prévue pour l’équipement de nos forces. Sera-t-elle suffisante ? Quelle réponse faudra-t-il y apporter ?

M. le général Pierre Schill. La fidélisation et, au-delà, les ressources humaines, sont primordiales en termes de qualité, de quantité, de confiance mutuelle et de rapports de commandement. Notre modèle d’armée de Terre, unique en Europe est celui d’une armée d’emploi. Il conduit à une gestion de la ressource humaine en flux. Pour les militaires du rang, c’est-à-dire, la masse de nos hommes et de nos femmes, la durée moyenne de service est de sept ans, ce qui entraîne un besoin de recrutement de 15 000 jeunes par an, dont un millier d’officiers et 2 500 sous-officiers. Plus on allonge la durée de service, plus le flux entrant peut être limité. C’est pourquoi nous cherchons à augmenter d’un an la durée moyenne des services de nos militaires, en particulier de nos militaires du rang.

Cette année, nous avons eu de bons résultats de fidélisation. Le ministre annonçait hier 1 500 départs en moins dans les armées au cours de l’année écoulée, dont 1 200 pour l’armée de Terre. C’est l’effet de la fierté des soldats de servir dans notre armée de Terre et de leur conscience de la situation géopolitique internationale. Après les attentats, comme après l’attaque russe de l’Ukraine, davantage de jeunes avaient demandé à rejoindre nos rangs. La conscience des dangers du monde favorise le maintien dans nos rangs. Les mesures prises dans le cadre du plan « Fidélisation à 360 degrés » jouent également un rôle. Outre les militaires du rang, qui sont notre grande cible, le plan de fidélisation a eu un effet sensible sur les sous-officiers et les officiers, en particulier grâce à la mise en œuvre de la nouvelle grille indiciaire des sous-officiers cette année. Pour les officiers, la perspective de l’application de cette grille indiciaire en 2025, qui figure dans le projet de loi de finances, a un effet identique.

L’augmentation du volume de nos stocks de munitions est un élément fondamental de crédibilité de nos troupes. C’est un des aspects que j’intègre pour la mise sur pied d’une brigade de combat « bonne de guerre » en 2025 et d’une division « bonne de guerre » en 2027. Les crédits consacrés aux munitions me permettront de garantir qu’à partir de 2025, cette brigade aux meilleurs standards disposera des stocks de munitions nécessaires non seulement pour l’entraînement mais aussi pour être engagée au combat dans les circonstances les plus rudes. Pour la création de la division en 2027, l’objectif est de continuer à monter en gamme non seulement dans le domaine de la fabrication des munitions classiques des unités de combat de contact, mais aussi de celles permettant des actions dans la profondeur tactique, comme le LRU.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Merci, général, d’avoir exprimé votre préoccupation envers les soldats français de la Finul au Liban.

En évoquant ici même le projet de budget, le ministre des armées a suggéré que la programmation physique ne serait pas touchée par les surcoûts ou les dépenses non votées dans le cadre de la LPM. En quoi la programmation non physique de l’armée de Terre pourrait-elle être affectée ?

L’enjeu majeur du projet de Système principal de combat terrestre (MGCS) n’a été que brièvement évoqué. Nous avons appris hier que Rheinmetall allait signer un accord de partenariat avec Leonardo. J’avais déjà alerté sur le fait que Rheinmetall aurait deux fers au feu, mobiliserait la trésorerie de KNDS France sur un projet qui n’aboutirait pas et qu’à la fin, il n’y aurait plus en Europe qu’une offre allemande sur étagère. Ce contrat avec Leonardo est-il ne rature à vous inquiéter ou bien l’estimez-vous normal et légitime de la part de Rheinmetall et de nos partenaires allemands ?

Concernant la succession du LRU, le bleu budgétaire ne mentionne que deux fois la capacité de frappe à longue portée. Je m’inquiète de ne voir aucun crédit ouvert sur le sujet en 2025.

Il est prévu six livraisons de Tigre rétrofités. Alors que la généralisation du standard 3 est un enjeu pour l’industriel, quelles sont les perspectives de maintien d’un programme rétrofité de qualité sur le segment de l’aviation légère ?

M. le général Pierre Schill. Compte tenu de l’évolution des programmes d’armement et de l’acquisition de nouveaux armements, des ajustements ont été opérés en cours d’année. Il y a un an, lorsque je suis venu m’exprimer devant vous au sujet du projet de loi de finances les modalités de déploiement pour les Jeux olympiques, les mesures à prendre en matière de rémunérations et d’équipement des soldats n’étaient pas arrêtées. Des événements comme ceux de Nouvelle-Calédonie, qui sont le lot quotidien de l’armée de Terre et des armées en général, impliquent des ajustements de la programmation.

À ce stade, les conditions de la fin de gestion, non encore établies, et les ajustements de la programmation des exercices internes comme l’ajustement annuel de la programmation militaire, dite A2PM, n’affectent pas les projets de création pour l’armée de Terre d’une brigade projetable en 2025 et d’une division « bonne de guerre » en 2027. Je maintiens cet objectif dans le cadre des moyens fournis.

Le projet de MGCS, vise à passer à un nouveau type de système de combat terrestre, et non à un « futur char » : il s’agira de plusieurs plateformes, dont certaines robotisées. Ce projet est indispensable à l’horizon 2040, à la fois pour des raisons internes, parce qu’il faudra remplacer nos chars, et aussi pour des raisons externes, parce que nos alliés et nos compétiteurs disposeront, à cet horizon, de tels systèmes. En outre, je suis persuadé qu’un système partagé par les Européens est un gage d’efficacité. Il a été choisi de le faire au travers d’un couple franco-allemand industriel et militaire ayant vocation à être rejoint par d’autres, sur le plan industriel comme sur le plan opérationnel.

Le projet MGCS a réalisé des progrès importants et il continue à avancer. Un des jalons était la signature, à la fin de l’année 2023, avec mon homologue allemand, le général Mais, de la définition du besoin militaire commun, ouvrant la voie politique à la lettre d’intention des deux ministres et permettant la signature par des industriels de documents communs et de feuilles de route lors du salon Eurosatory. Les discussions se poursuivent. Je continue à croire à ce système et à l’impératif de son succès.

Quant au rapprochement entre Rheinmetall et Leonardo, j’en attends, à la fin, une contribution au MGCS. S’il ne s’agissait que d’un projet alternatif d’évolution des engins actuels, ce serait rater la marche.

Concernant le successeur du LRU, un programme d’étude va être lancé afin de livrer un démonstrateur d’ici un an et demi. Cette capacité de feu dans la profondeur tactique est indispensable pour l’armée de Terre, donc pour les armées. Les ressources nécessaires sont programmées dans la LPM. Il est urgent de disposer de cette capacité différenciante dont se dotent de nombreux autres pays européens. Nous devons occuper ce créneau qui correspond à nos moyens de renseignement : il permettra d’atteindre des objectifs ennemis dans une profondeur tactique de 100 à 200 kilomètres.

S’agissant de l’aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) et de la rénovation à mi-vie du Tigre, les discussions se poursuivent, en interne pour définir un bon compromis qui ne mobilisera pas les ressources nécessaires au franchissement de la marche suivante, ainsi qu’en externe avec nos partenaires, notamment espagnols. Ce projet a une dimension industrielle et une dimension militaire.

Mme Marie Récalde (SOC). Le projet de loi de finances pour 2025 répond à la volonté de la LPM d’augmentation de stocks afin d’améliorer notre réactivité, ce qui implique de disposer des matériels, munitions, pièces et ressources humaines nécessaires pour le maintien en condition opérationnelle (MCO). Au regard du contexte géopolitique, ce geste sera scruté par nos alliés comme par nos adversaires. C’est un signe de confiance envers les femmes et les hommes qui servent sous nos couleurs. Au nom de mon groupe, je vous remercie de leur faire part de notre plus profond respect.

Toutefois, le rapport sur la LPM 2024-2030 fait déjà état de plusieurs retards et difficultés, notamment sur les chars Leclerc rénovés. À cause de nouvelles obsolescences, ils ne seraient pas adaptés à la lutte anti-drones. Un plan d’adaptation est-il envisagé ?

Le nouveau blindé Jaguar de reconnaissance et de combat, développé dans le cadre du programme Scorpion, est arrivé en Estonie, bien qu’il soit encore en phase d’apprentissage par l’arme blindée et cavalerie (ABC). Il n’a pas été officiellement déclaré opérationnel et vous avez souligné que des ajustements étaient nécessaires pour le rendre pleinement opérationnel, notamment par sa capacité de tir par les tourelles. Qu’en est-il de la livraison de nouveaux standards plus opérationnels ?

Concernant le projet MGCS, vous avez apporté quelques précisions sur vos échanges avec votre homologue allemand, en 2023. Ont-ils évolué dans le bon sens ?

M. le général Pierre Schill. Je suis en contact étroit et régulier avec mon homologue allemand. Nos échanges sur le MGCS et plus largement sur le retour d’expérience de l’Ukraine et de Gaza sont importants parce qu’il est indispensable de distinguer avec précision ce qui, dans ces conflits, est lié à un moment, à un lieu ou à une configuration, de ce qui est pérenne.

J’en viens ainsi à la lutte anti-drones pour les chars Leclerc. Cette menace aérienne, qui va du drone acheté dans le commerce aux engins balistiques hypersoniques et aux chasseurs habités, s’est renforcée par sa diversité et sa capacité de pénétration, mais elle montre aussi ses limites. Dans un espace défendu par des moyens sol-air, une partie de cette panoplie est incapable de pénétrer. La capacité sol-air, indispensable à tous les niveaux pour se garantir contre cette menace, apparaît de plus en plus indispensable. Elle est en évolution, même si elle a pris du retard sur la menace. Si on considère le drone comme le glaive et la défense sol-air élargie comme la cuirasse, le glaive l’emporte aujourd’hui sur la cuirasse, notamment dans le segment des petits drones. Mais il faut trouver les moyens de se défendre : armes à effet dirigé, brouillage, guerre électronique, l’asservissement des tourelles téléopérées sur les véhicules, munitions « airbust », armes anti-aériennes. Ce domaine est en ébullition.

Trouvera-t-on une martingale, un système capable de protéger contre toutes les menaces aériennes ? Probablement pas. Trouvera-t-on des systèmes efficaces pour faire face à la menace de tous les petits drones sans défense ? Sans doute. Comment disposer de défenses à la fois efficaces et portables ? Les moyens évoluant à très grande vitesse, on ne peut envisager un système valable plusieurs années. C’est pourquoi le char Leclerc sera doté de moyens de lutte anti-drones temporaires en attendant de trouver une solution plus durable. C’est pourquoi le MGCS ne sera pas non plus capable de faire tout, tout seul. Pour réunir autour d’un char classique un canon de gros calibre, des missiles d’attaque, des drones et d’autres moyens de se défendre contre les menaces aériennes et terrestres, il faudrait des masses de 70 à 80 tonnes. Il est plus crédible d’envisager un ensemble de porteurs.

S’agissant du Jaguar, nos soldats du 1er régiment étranger de cavalerie, du 1er régiment de Spahis, du régiment d’infanterie chars de marine et du 1er régiment d’infanterie de marine, qui en sont dotés, pressentent que ce sera un très bon engin. Il représente un saut de génération en raison de l’intégration de systèmes internes vétroniques et de ses capacités de tir. Nous pourrons surmonter ses difficultés de jeunesse grâce à ses versions successives. Nous sommes en train de recevoir les chars de la version R2 et de rétrofiter tous les chars précédents dans cette version, car les évolutions sont souvent de nature logicielle. Des Jaguar sont capables de tirer en mouvement sur des cibles en mouvement à partir de leur arme principale tout en traitant d’autres objectifs à partir de leur arme secondaire. La mise en service opérationnelle des Jaguar R2 sera examinée dans les prochains mois. Ils ont été déployés en Estonie parce que je les considère au moins au niveau de leur prédécesseur, l’AMX-10RC.

Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Général, le cap des 50 milliards d’euros de crédit va être dépassé, compte tenu d’une hausse de près de 6 % du budget de la mission Défense. Cependant certaines lignes budgétaires, comme celle du budget du MCO de l’armée de Terre, en baisse, sont de nature à nous inquiéter.

M. le général Pierre Schill. Le budget du maintien en condition opérationnelle de l’armée de Terre est indispensable à sa cohérence, non seulement en termes d’équipements mais aussi de stocks correspondants à la capacité à entraîner les équipages. En 2024, le niveau d’activité atteindra 70 % de la norme de la loi de programmation militaire, en croissance par rapport aux années précédentes. L’an prochain, nous maintiendrons ce niveau d’activité et nous en accroîtrons la qualité, notamment au travers d’exercices à la complexité croissante.

Ce maintien en condition opérationnelle est indispensable non seulement pour alimenter l’activité mais aussi pour acquérir des stocks de pièces à même d’augmenter la réactivité et la soutenabilité des forces en opération. Le projet de loi de finances permet cela. En cours d’année, j’arbitre ligne par ligne entre les besoins d’entraînement et les besoins de constitution des stocks. Pour 2025, le PLF nous fournira les moyens de réaliser l’activité prévue tout en augmentant nos stocks. En effet, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), parvient, par une renégociation et une restructuration des marchés excluant le seul critère d’heure d’activité forfaitaire, à obtenir des gains de productivité sur ce segment.

Mme Catherine Hervieu (ECoS). La situation sécuritaire au Moyen-Orient se dégrade, sans visibilité d’un cessez-le-feu. Le 24 octobre, la France organisera une conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban, en vue de répondre au besoin de protection et de secours d’urgence. De plus, elle fournira l’occasion de définir un cadre de soutien aux forces armées libanaises, afin qu’elles soient en capacité de garantir la stabilité interne du pays. Quels moyens pourrions-nous consacrer au soutien matériel du Liban tout en prenant en compte une baisse des volumes de cession de matériels, afin de conserver nos capacités opérationnelles et de réserve ?

Nos forces armées doivent relever le défi majeur de l’adaptation au changement climatique qui oriente les missions de l’armée vers des opérations de sauvetage ou humanitaires, voire des opérations comme Héphaïstos et la création de l’IES C4. Sommes-nous prêts à accompagner nos militaires dans ces nouvelles opérations ?

La transformation de l’environnement implique une évolution structurelle de transition écologique et énergétique des armées. Nous nous interrogeons sur l’évolution des conditions de vie et d’exercice des troupes sur le territoire français et à l’étranger. Pour être attractive, l’armée doit accueillir son personnel dans des lieux salubres, si bien que la rénovation des bâtiments est un axe majeur de cette transition. Quels sont les objectifs de sobriété énergétique du bâti de l’armée de Terre pour contribuer à la qualité de vie des militaires et de leur famille ? De plus, la progression de la part du numérique dans les activités de l’armée doit être compatible avec l’objectif de sobriété énergétique. Le Commandement du combat futur, consolidé en 2024, envisage-t-il le recours à la low tech pour gérer les coûts et les capacités opérationnelles ?

M. le général Pierre Schill. Le premier soutien militaire de la France au Liban, c’est la participation à la Finul. Aujourd’hui, dans la tourmente, elle a été un vecteur de stabilité du Sud-Liban, en appui des forces armées libanaises (FAL) qui restent une des rares administrations à représenter l’unité nationale. S’il est difficile de prévoir les évolutions des prochaines semaines, la Finul demeure un recours pour limiter la montée de la violence et aider les FAL à jouer leur rôle au Sud-Liban. Parallèlement, l’armée de Terre contribue à des partenariats avec les forces armées libanaises : un détachement participe à l’entraînement et à la formation d’unités auxquelles nous avions livré des véhicules de l’avant blindé.

La première réponse de l’adaptation au changement climatique concerne les opérations qui y sont directement liées, réalisées notamment par les unités spécialisées. Vous avez mentionné les unités de la sécurité civile. C’est une mission importante de toutes nos forces déployées outre-mer, ne serait-ce que pour nos propres territoires et ressortissants. Ce fut le cas au cours des derniers épisodes climatiques, notamment en Guadeloupe, il y a un mois, par la contribution de l’armée de Terre et des armées à l’aide de l’État en appui des collectivités territoriales. Après la saison cyclonique dans les Antilles, ce sera le cas durant la saison cyclonique dans le Pacifique. Nombre de petits États insulaires sont avant tout préoccupés par la réaction aux catastrophes naturelles. Proposer à ces États, comme ce fut le cas du Vanuatu, il y a un an, une collaboration militaire ou un partenariat à travers les missions HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) en lien avec l’Académie du Pacifique, est important. S’engager dans l’aide aux populations après des catastrophes naturelles plaît à nos soldats qui sont conscients que cela fait partie de leur mission. J’espère que des épisodes cévenols ne conduiront pas à cela, mais dans le Sud, nos régiments sont d’ores et déjà prêts à intervenir en cas de besoin,

Comment contribuer nous-mêmes à la sobriété énergétique et à l’adaptation à l’évolution du climat ? Comme tout opérateur de l’État, pour la vie quotidienne de nos garnisons et de notre bâti, nous avons l’impérieuse obligation de sobriété. S’agissant de notre emploi opérationnel, le Commandement du Combat Futur est impliqué dans l’adaptation de nos moyens. Nous travaillons par exemple sur les plages de température d’utilisation des équipements. Classiquement, un poste radio doit pouvoir fonctionner entre +50 et – 30 degrés, mais dans les véhicules blindés exposés au soleil, au Sahel notamment, cette température est dépassée. Comment adapter nos équipements à l’évolution du climat ? Les progrès réalisés en matière de propulsion électrique peuvent apporter une solution pour la mobilité terrestre. Les industriels réalisent des études en ce sens, afin d’améliorer la mobilité par la répartition indépendamment sur chacune des roues.

M. Christophe Blanchet (Dem). Mon général, il faudra fidéliser les 7 000 réservistes que vous voulez recruter, tout comme celles et ceux qui le sont aujourd’hui. Il est impératif qu’ils soient reconnus au sein de leur entreprise. Quel protocole prévoyez-vous pour qu’ils puissent se déclarer dans leur entreprise et ne soient pas des réservistes fantômes ?

Dans mon rapport d’information fait en 2021 avec Jean-François Parigi, il était question de reconnaître et de mobiliser les réservistes de niveau RO2 qui se sentaient démobilisés et peu concernés par leur appartenance à la réserve, parce qu’ils n’étaient pas appelés ou parce qu’on ne savait pas où ils étaient.

Ma deuxième question relative à la fidélisation concerne la mixité. L’instruction ministérielle du 28 juin 2024 sur la mise en œuvre d’un programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées invite à : « Généraliser le recours au cahier de rapport hiérarchique dès les premiers signes de comportement inadaptés ». Le cahier d’incidents fait partie des éléments d’attractivité et de fidélisation des femmes. Comment entendez-vous le mettre en place ?

M. le général Pierre Schill. La loi de programmation militaire et le projet de loi de finances pour 2025 affichent une ambition forte en matière de réserves, puisqu’il s’agira, pour l’armée de Terre, de passer de 24 000 à 48 000 réservistes. Mais derrière les chiffres, se pose une question qualitative et structurelle. Nous avions 24 000 réservistes en 2023, nous en aurons 27 000 à la fin de l’année 2024, en augmentation de 3 000. L’objectif est d’avoir encore 3 000 réservistes supplémentaires à la fin de l’année 2025. La fidélisation des réservistes doit tenir compte de leur grande diversité, entre ceux qui souhaitent y consacrer quelques jours par an et ceux qui peuvent faire jusqu’à 150 jours d’activité et souhaitent partir en mission extérieure.

À ce stade de la LPM, et ce sera aussi le cas pour l’année 2025, les effectifs sont en croissance. Mais nous conduisons aussi des expérimentations sur l’affectation des réservistes afin de consolider leur statut et de favoriser leur intégration. Cette expérimentation porte par exemple sur l’affectation de réservistes au sein des unités. Ainsi le 35e régiment d’artillerie parachutiste est en train de créer des batteries mixtes active-réserve. Nous étudions le concept de bataillons territoriaux organisés autour de nos brigades ainsi que la territorialisation de certains de nos réservistes. Le 24e régiment d’infanterie a été affecté au gouverneur militaire de Paris et placé sous son autorité, de façon à cibler davantage les missions territoriales de ce régiment tout en répondant aux demandes des réservistes eux-mêmes.

Beaucoup a été fait dans le domaine des réservistes « fantômes » qui ne se déclarent par à leur employeur. Les travaux ont été conduits dans le cadre de la garde nationale, par l’état-major des armées et de l’armée de Terre pour la signature de protocoles avec des entreprises ou des groupes d’entreprises. Cela a incité de nombreux réservistes à se déclarer, mais il en reste qui n’osent pas. C’est une question difficile à régler d’en haut, car elle relève du rapport entre l’employé et son chef direct. Ces protocoles visent à faire en sorte qu’un réserviste qui se déclare puisse prendre des jours de réserve sur son emploi principal, mais on ne peut aller jusqu’à l’obligation de déclaration. En effet, eu égard à la personnalité de leur chef ou à leur environnement direct, certains préfèrent rester discrets sur le sujet ou se déclarer en continuant à prendre sur leurs congés les journées consacrées à la réserve.

La réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2), composée d’anciens militaires d’active, est une ressource que nous développerons dans la deuxième partie de la LPM. Notre priorité porte aujourd’hui sur les réservistes opérationnels déclarés comme volontaires.

Dans une armée d’emploi, la fraternité d’armes est un socle que j’entends prioritairement promouvoir dans l’année qui vient. Pour des raisons opérationnelles, la force des unités de l’armée de Terre réside dans la fraternité d’armes qui recouvre plusieurs facettes. Dans l’armée de Terre, on ne choisit pas son frère. La fraternité d’armes est un facteur d’unité. Tout élément qui amènerait, pour des raisons religieuses, philosophiques ou politiques, à bâtir une cohésion avec ceux que l’on choisit plutôt qu’avec ceux qui sont placés à nos côtés serait un frein à l’efficacité opérationnelle de nos unités. Un facteur d’unité est le socle de valeurs de l’armée de Terre matérialisé par le code du soldat, et sa contrepartie de neutralité.

Un autre axe de la fraternité d’armes est la mixité. Dans l’armée de Terre, la mixité est correcte mais un pas supplémentaire est nécessaire. Du point de vue quantitatif, une évolution est difficile à envisager, puisque nous sommes une des armées occidentales aux recrutements les plus féminisés. En revanche, il convient d’améliorer les conditions d’évolution de la carrière, notamment parmi les officiers, en augmentant le taux de présentation et de réussite des femmes à l’École de guerre. Ainsi, par exemple, nous allons prendre des mesures pour l’adaptation des tenues. Nous sommes en train de développer des protections balistiques adaptées à la morphologie féminine.

Une atteinte à la fraternité d’armes et à l’efficacité opérationnelle sont les violences sexuelles et sexistes, qui relèvent de la qualification de crime et de délit. Nous avons décidé d’afficher dans toutes les unités de l’armée de Terre un « violentomètre » rappelant le code du soldat, notamment l’article 6 : « membre d’une communauté soudée, je respecte tous mes frères d’armes ». Il s’agit de faire prendre conscience que des comportements ne sont pas appropriés et que, sans être délictuels ou criminels, certains actes créent un environnement équivoque.

L’accompagnement des victimes est un élément très important. En nous inspirant des conditions d’accueil des victimes mises en œuvre par la gendarmerie nationale, nous avons désigné des officiers et sous-officiers pour mener des enquêtes de commandement afin de mieux prendre en compte la parole des victimes. Un autre axe de travail est de faire réaliser aux témoins qu’ils n’ont pas le droit de fermer les yeux sur une attitude équivoque. Il importe de rappeler aux chefs que leur mission est de protéger leurs subordonnés : en cas d’inaction, leur responsabilité est engagée. Appeler l’attention ou réagir dès les premiers signes équivoques peut prévenir la montée à des extrêmes.

M. Bernard Chaix (UDR). Compte tenu du contexte international, nous nous réjouissons que le projet de loi de finances pour 2025 prévoie un crédit budgétaire de 50,5 milliards d’euros pour la mission Défense, soit une hausse de 7 % par rapport à 2024. Ces crédits permettront de rapprocher la France de ses engagements vis-à-vis de l’Otan, de dépenser 2 % de son PIB dans la défense. Néanmoins nous devons aussi aux Français de mieux définir à quelles fins ces moyens financiers seront employés.

Les tensions géopolitiques sont réelles et palpables pour nos concitoyens : guerre en Ukraine, imminence d’un conflit généralisé au Proche-Orient et tant d’autres. Le rôle exact de la France et la voix qu’elle porte sont de moins en moins identifiables pour nos alliés, notamment du fait des positions successives du Président de la République. Le cap n’est pas clair pour les Français. La France a eu historiquement tendance à projeter sa puissance aux quatre coins du monde, mais la multiplication des conflits nous impose de réfléchir aux contours de notre doctrine militaire et à la rationalisation de nos interventions. Je pense notamment au sujet brûlant évoqué par le Président de la République, en mai 2024, de la possibilité d’élargir notre parapluie.

 Le moment n’est-il pas venu de redéfinir clairement une doctrine militaire française ? Quels en seraient pour vous les contours en matière d’interventions Terrestres ? Cette redéfinition pourrait-elle permettre de rationaliser l’utilisation de l’argent public dépensé dans ce cadre ?

M. le général Pierre Schill. Une partie de la question relève de la définition de la politique de défense déterminée par le Président de la République. Néanmoins mon rôle est de faire en sorte que l’armée de Terre soit polyvalente, c’est-à-dire capable de proposer des solutions au pays et à ses dirigeants politiques. Parmi les solutions figure la capacité à entraîner les alliés en tant que nation cadre, et celle à agir de manière souveraine ; ce sont les orientations stratégiques permanentes de notre pays.

L’idée fondamentale de la LPM est de disposer d’une capacité d’action autonome. En découlent les questions sur le modèle complet d’armée de Terre dont le cœur est la souveraineté.

Au-delà, la France doit être capable de peser, c’est-à-dire d’être une nation-cadre, de générer des coalitions et de donner confiance à des alliés avec lesquels nous sommes susceptibles de mener des opérations. Ces alliés appartiennent à des coalitions, notamment à l’Otan qui, au-delà de son objectif de défense collective du continent européen est un cadre normatif générateur d’interopérabilité. L’appartenance à l’OTAN m’impose un langage partagé et l’entretien de capacités crédibles. Telle est la philosophie de la démarche engagée. Toutefois, l’OTAN demeure un moyen. Compte tenu des ressources consacrées aux armées, l’armée de Terre propose des capacités d’action dans un large éventail de scénarios qui dépasse le cadre d’un engagement au sein de l’OTAN.

M. Julien Limongi (RN). Mon général, le succès des JO, incontestable et dans lequel nos armées ont joué un rôle majeur, a été rendu possible pour partie par les contrats Volontaires découverte proposés par l’armée de Terre à l’occasion de cet événement. Nombre de ces jeunes, engagés sous contrat court, ont choisi de prolonger leur engagement par des contrats de plus longue durée. La pérennisation des contrats courts peut être une source de recrutement pour nos armées. Ayant moi-même signé un contrat de volontaire aspirant de l’armée de Terre à la fin de mes études, je sais que si l’expérience est réussie, on peut avoir envie de s’engager à plus long terme. L’armée de Terre peut-elle utiliser son budget pour renforcer sa stratégie de recrutement à long terme par le biais de contrats courts ?

Mme Florence Goulet (RN). Général, se nombreux militaires du rang déclarent ne pas renouveler leur engagement en raison d’une trop faible activité militaire. Cela est aussi de plus en plus vrai pour les sous-officiers et les jeunes officiers. Or vous savez comme moi qu’on ne s’engage pas dans le métier des armes pour rester assis derrière un ordinateur ou dans un parc à chars vide.

Ce PLF pour 2025 vous donne-t-il les moyens nécessaires à l’entraînement de nos forces Terrestres ? Alors que dans la LPM, les normes d’activité sont de 70 % pour 2024 et 2025, quelles ont été et quelles seront les activités d’entraînement majeures de l’armée de Terre pour ces deux années ?

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NFP). Vous l’avez dit, 15 000 militaires ont été déployés autour des Jeux olympiques en 2024. Au regard de la menace et de son évolution, quels changements en matière de ressources humaines et financières doivent être opérés pour assurer la poursuite de l’opération Sentinelle en 2025 ? Ses missions vont-elles évoluer ? Au-delà de l’effet de visibilité, quel est le rapport coût/efficacité du dispositif ?

L’opération Sentinelle est déployée aux côtés des gardiens de la paix pour des missions de surveillance des frontières. Quel est le nombre d’unités concernées, quels sont leurs fonctions et les espaces frontaliers où elle agit ?

Où en est le développement de la 4e unité d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC) ? Quel est le résultat de l’opération Hephaïstos pour 2023 et 2024 ?

M. le général Pierre Schill. Le contrat de volontaire de l’armée de Terre (VDAT) a connu un très grand succès. Cent cinquante jeunes se sont engagés au 35e régiment d’infanterie pour une durée de quatre mois. Ils ont reçu une formation spécifique pour l’opération Sentinelle. Ils ont défilé en armes le 14 juillet ; alors que l’on craignait de leur part un manque d’entraînement, ils ont été excellents. Ils ont participé à la protection des Jeux Olympiques. Une partie d’entre eux était intégrée dans le bataillon de cérémonie qui montait les couleurs.

Nous allons renouveler et élargir l’expérimentation en 2025, dans des conditions plus proches de ce que nous pourrions développer à l’avenir ; l’objectif est de proposer une offre de contrats initiaux la plus large possible afin de répondre à des besoins d’engagement dans la durée, de première expérience ou de césure : du recrutement pour quelques jours comme réserviste au recrutement pour cinq ans comme engagé volontaire de l’armée de Terre. Une de ces expérimentations consistera à proposer en Nouvelle-Calédonie un temps de césure aux jeunes qui, après avoir passé le baccalauréat, attendent de venir en métropole pour leur année universitaire, les calendriers scolaires et universitaires étant décalés par rapport à la métropole.

L’incidence de l’entraînement de l’armée de Terre sur la fidélisation est évidente. La plupart des jeunes nous rejoignent pour vivre une vie militaire de terrain. Insister sur la singularité militaire, c’est ce que nous faisons dans la nouvelle campagne de recrutement « Peux-tu le faire ? », visible dans nos rues. Nous avons moins de difficulté pour recruter des fantassins, des cavaliers, des artilleurs ou des sapeurs que pour des métiers qui semblent plus proches de la vie quotidienne d’un jeune. Le niveau d’activité de nos unités est primordial non seulement pour garantir l’efficacité des forces mais aussi pour attirer et conserver, en nombre et en qualité les soldats dont nous avons besoin. Nous sommes une des rares armées européennes dont le recrutement permet d’atteindre ses cibles en matière d’effectifs.

La loi de programmation militaire et la loi de finances pour 2024 nous ont donné les moyens d’atteindre 70 % de la norme d’entraînement visée en fin de LPM. En dépit de la parenthèse des Jeux olympiques, il y a eu globalement plus d’entraînements. Pour 2025, le projet de loi de finances prévoit les ressources nous permettant de maintenir, voire d’augmenter ce volume. Les passages dans nos centres d’entraînement sont indispensables pour entretenir les savoir-faire des unités : le centre d’entraînement aux actions en zone urbaine et le centre d’entraînement au combat à Mailly-le-Camp.

Concernant l’opération Sentinelle post-Jeux olympiques, on distingue le socle déployé et une force de réserve au sein de laquelle des unités se tiennent prêtes à être engagées. Le dialogue civilo-militaire noué pendant les Jeux olympiques a révélé l’intérêt d’employer les capacités spécifiques des armées plutôt que de s’en tenir à une logique comptable des effectifs engagés. Il s’agit désormais de s’accorder sur le niveau seuil de déploiement permanent. Alors qu’il était de 3 000 jusqu’à présent, doit-on s’orienter vers 2 000 ou 1 500 et introduire une plus grande souplesse dans l’emploi de la force de réserve ?

Décentraliser le dialogue civilo-militaire, c’est aussi donner aux différents échelons la possibilité de disposer de réserves. Si la réserve est centralisée, la demande de renfort doit suivre la voie hiérarchique ; le préfet ou le délégué militaire départemental ne peuvent pas compter immédiatement sur elle. Le déploiement de réserves au niveau de l’état-major interarmées du territoire national ou des officiers généraux des zones de défense et de sécurité offrira davantage de souplesse.

Les deux grandes frontières sur lesquelles nous sommes déployés en permanence sont celles, ultramarines, de Mayotte et de la Guyane. Sur les frontières métropolitaines, un certain nombre de sections sont déployées en complément des forces de sécurité intérieures. Le déploiement de l’opération Sentinelle dans les points d’entrée intérieure que sont les aéroports relève aussi de la surveillance aux frontières.

L’institution formelle de la 4e UIISC est fixée au 4 décembre. Son chef est désigné, les premiers cadres sont en place et les militaires du rang sont mutés depuis les autres UIISC ou recrutés sur place. La montée en puissance se déroule normalement.

Le dispositif Héphaïstos prévoit des moyens de l’armée de Terre mobilisés et mobilisables pour intervenir en appui de l’échelon national. Il est lui-même en appui des services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) et des services départementaux. Ce système fonctionne bien. Son niveau a été rehaussé à la suite des grands incendies des années précédentes.

M. Pascal Jenft (RN). Mon général, puisque vous avez eu une pensée pour les 13 500 militaires en opération, permettez-moi d’en avoir une particulière pour le colonel Benoît Chrissement et pour les 1 200 femmes et hommes qui composent le 16e bataillon de chasseurs à pied, dit Bataillon d’acier, de Bitche. Son implantation, vitale pour notre circonscription, génère 30 % du chiffre d’affaires des commerçants de la ville, grâce aux familles des militaires qui suivent leur mutation. Pour assurer le confort de ces familles et la fidélisation des militaires, la dernière loi de programmation militaire a prévu le plan Famille dont le budget est de 750 millions d’euros pour 2024 à 2030. Estimez-vous suffisant le budget alloué dans le PLF pour 2025 pour la mise en place concrète et satisfaisante du plan Famille dès l’année prochaine ?

Mme Nadine Lechon (RN). Général, notre armée a indéniablement besoin d’un char pour succéder au Leclerc. Le Rassemblement national est conscient que le développement d’un char en partenariat avec d’autres pays est une solution intéressante pour maîtriser les coûts, mais nous sommes circonspects sur le projet franco-allemand de char du futur. Outre le fait qu’il soit miné par de nombreux désaccords industriels, l’annonce dans la presse d’un projet de blindé germano-italien appelé LRMV (Leonardo Rheinmetall Military Vehicles), ainsi que la volonté des Allemands de se concentrer sur des recherches propres, rendent l’échec de ce projet fort probable. En tant que militaire, vous n’êtes pas comptable des décisions politiques et industrielles. Toutefois, pouvez-vous nous indiquer quel est le coût du programme MGCS ? Ces moyens pourraient-ils être réattribués à votre projet alternatif ou intermédiaire ?

M. Guillaume Garot (SOC). Général, vous avez parlé d’une brigade déployable en trente jours. Alors que les opérations asymétriques sont toujours présentes et qu’apparaissent de nouvelles formes de combats Terrestres, quelles sont les garanties pour que cette brigade soit réellement opérationnelle et suffisamment réactive ?

M. le général Pierre Schill. Le plan Famille couvre plusieurs aspects. Le budget prévu dans le projet de loi de finances pour 2025 correspond aux objectifs planifiés. Ce plan va continuer à se déployer, mais il comporte une marge d’ajustement dans la répartition des efforts entre ses différents volets. L’un d’eux, majeur, concerne la garde des enfants, les crèches et l’accès aux berceaux, si possible en horaires décalés. Cette action est éminemment liée à celle des autorités locales et des collectivités, puisque, outre l’institution de gestion sociale des armées (Igesa), les grands acteurs sociaux du territoire peuvent apporter une première réponse. C’est aussi un appel aux élus, dans les domaines de la petite enfance et du logement, au travers des bailleurs sociaux. Au-delà du levier du plan ministériel, l’action des collectivités est majeure.

Le coût complet du programme MGCS, de l’acquisition du char à son environnement et à son soutien, sur toute sa durée de vie, sera conséquent. En comparaison, les coûts aujourd’hui engagés sont mineurs. Les premiers crédits, de quelques dizaines de millions d’euros, arriveront réellement en 2026. Ils entraîneront des choix structurels, en particulier sur la définition d’un matériel identique pour tous les Européens afin de réaliser des économies d’échelle. Indépendamment des aléas politiques, je juge important que ce programme se poursuive.

La polyvalence des brigades est indispensable. Nous structurons la transformation de l’armée de Terre autour de l’objectif d’une brigade projetable en 2025 ; elle sera à la fois un objet de la vie courante et un objet opérationnel. L’étape suivante, en 2027, sera celle de la division. Je ne veux pourtant pas donner l’impression que la brigade « bonne de guerre » combattant sur le front adverse est l’alpha et l’oméga de l’engagement de l’armée de Terre. Cette « brigade bonne de guerre » est une façon de synthétiser l’idée d’une réponse militaire dès l’apparition de menaces qui peuvent être non militaires ; réaliser une démonstration de puissance pour impressionner face à des tests, des attaques subreptices ou des actions de déstabilisation. L’objectif demeure de ne pas aller jusqu’à employer nos capacités dans ce qu’elles ont de plus structurant dans le cadre d’une guerre industrielle d’attrition. « Gagner la guerre avant la guerre », selon les mots du chef d’état-major des armées, consiste à tout faire pour empêcher la montée vers l’inéluctable. Pour cela, l’armée de Terre se prépare à combattre jusque dans les hypothèses les plus rudes. Nous agissons quotidiennement, tout en renforçant notre crédibilité car nous sommes engagés auprès d’alliés eux-mêmes au contact d’adversaires.

 

M. le président Jean-Michel Jacques. Merci beaucoup, mon général.

 

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La séance est levée à dix heures cinquante-huit.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Blanchet, M. Matthieu Bloch, M. Frédéric Boccaletti, M. Philippe Bonnecarrère, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, M. Yannick Chenevard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Alexandre Dufosset, Mme Alma Dufour, Mme Sophie Errante, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, Mme Catherine Hervieu, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Michèle Martinez, Mme Josy Poueyto, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. François Ruffin, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Thierry Tesson, M. Romain Tonussi

Excusés. - M. Manuel Bompard, Mme Cyrielle Chatelain, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Bastien Lachaud, Mme Anne Le Hénanff, Mme Alexandra Martin, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Aurélien Rousseau, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud

Assistait également à la réunion. - M. Karl Olive