Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
— Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président de la République pour l’Afrique.
Mercredi
6 novembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 19
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président
— 1 —
La séance est ouverte à neuf heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Notre audition porte aujourd’hui sur notre partenariat militaire avec le continent africain. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants, ancien secrétaire d’État à la coopération et à la francophonie et actuellement envoyé personnel du Président de la République en Afrique.
Après des coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, nous avons assisté à une montée des critiques sur l’influence française en Afrique, le plus souvent attisées par certains de nos compétiteurs stratégiques, à commencer par la Russie. Vous pourrez donc nous éclairer sur l’importance qu’il convient d’accorder à la réalité de ce phénomène. La France a entrepris une mise à plat de sa présence militaire dans la zone sahélienne. Cette réorganisation passe notamment par une évolution des missions.
Dans ce contexte, vous avez été chargé par le Président de la République d’étudier les modalités de réorganisation de la présence militaire française en Afrique. Vous lui avez déjà présenté votre travail, et votre présence ce matin doit nous aider à mieux comprendre les enjeux de cette réorganisation.
Nous constatons tous que nous sommes arrivés au bout d’un modèle. Compte tenu de votre longue expérience sur ces questions, nous serions très intéressés de connaître la façon dont vous envisagez l’avenir de nos rapports politiques, économiques et militaires avec les États africains. Nous serons aussi heureux d’entendre les premiers enseignements que vous tirez de votre mission pour le Président de la République et de vos déplacements récents sur le continent africain.
M. Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président de la République pour l’Afrique. Je me réjouis de me retrouver devant une commission au sein de laquelle j’ai eu l’honneur de siéger en 1987 et 1988. Un pré-rapport a effectivement été rendu, mais le travail se poursuit au fur et à mesure des contacts avec les différents pays. Nous nous inscrivons dans un continuum qui concerne aussi la réduction de l’empreinte militaire permanente dans les pays concernés.
Je souhaite d’abord évoquer le périmètre du rapport, qui porte très clairement, aux termes de la lettre de mission de février dernier, sur les quatre pays dans lesquels nous disposons encore d’une présence militaire française permanente – la Côte d’Ivoire, le Tchad, le Sénégal et le Gabon – même si j’ai également été conduit à m’intéresser à la relation avec d’autres pays de la région en matière de sécurité et de défense. Je me suis d’ailleurs également rendu à Addis-Abeba pour rencontrer les responsables de l’Union africaine. Je n’ai pas travaillé seul ; mon équipe était composée de diplomates, mais aussi de représentants du ministère des armées.
J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer le Président de la République en juillet pour effectuer un point d’étape, avant de présenter un pré-rapport – puisque nous n’avons pas pu pour le moment aller au Sénégal, où le processus électoral n’est pas encore achevé – à l’occasion d’un conseil de défense Afrique, qui s’est tenu le 23 octobre dernier et a rassemblé l’ensemble des parties prenantes. Ce pré-rapport et la démarche engagée ayant été appréciés, j’ai reçu hier une nouvelle lettre de mission. Le rapport définitif sera ainsi remis d’ici janvier prochain. Cette fin de mission sera axée également sur l’explication et, dans la mesure du possible, l’association de nos partenaires européens à notre présence dans un certain nombre de pays, laquelle les concerne et les intéresse, mais qu’ils critiquent également, parfois.
D’emblée, je me suis efforcé de porter un regard le plus large possible, pas seulement axé sur les enjeux sécuritaires et militaires avec ces pays, car le partenariat de défense s’inscrit dans une relation plus large avec les pays concernés. Nous nous inscrivons également dans la démarche « Agir autrement avec l’Afrique » du ministère des armées, que Sébastien Lecornu avait engagée en avril 2023, et dans l’agenda transformationnel du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
L’enjeu de cette relation avec l’Afrique est évidemment important, qu’il s’agisse des problématiques de terrorisme et de sécurité, du trafic illicite d’armes, de drogues, de ressources naturelles et d’êtres humains, ou du bouleversement climatique et du contexte démographique, ainsi que leurs conséquences migratoires. Notre relation intervient en outre dans un contexte de compétition stratégique avec un certain nombre de puissances, y compris celles qui sont parfois partenaires et amies. Ce contexte a pour corollaire une guerre informationnelle, qui comporte son lot de manipulations. Dans ce cadre, l’empreinte militaire visible constitue évidemment une cible de choix.
L’Afrique représente un certain nombre de risques, mais également des opportunités, que nous avions relevés dans un rapport sénatorial de 2013 avec mon collègue Jeanny Lorgeoux. Nous l’avions d’ailleurs intitulé L’Afrique est notre avenir. Mon regard est donc d’abord positif sur les opportunités de notre relation avec l’Afrique, qui doit forcément changer, et particulièrement sur la jeunesse africaine.
Je m’exprime librement devant vous aujourd’hui, je n’ai pas d’agenda politique, je suis bénévole et totalement engagé, animé par une conviction profonde vis-à-vis du continent africain. Notre mission a débuté dans un contexte particulier, celui de notre départ de trois pays du Sahel où nous étions présents, y compris politiquement : le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Pour le moment, elle a porté sur les trois pays précédemment cités et elle s’est plutôt bien déroulée ; nos partenaires ont rappelé leur attachement à la France et ont exprimé leur souhait d’un partenariat militaire ambitieux, qui réponde à leurs préoccupations, à leurs attentes. Soit nous parvenons à faire évoluer ce partenariat, soit nous serons remplacés par d’autres, qui n’attendent que cela.
Pour le dire autrement, il faut à la fois faire part de nos perspectives tout en étant à l’écoute, pour bâtir quelque chose, ensemble. Il s’agit d’observer comment, y compris sur la dimension sécuritaire, mieux travailler ensemble et être en mesure de répondre à un certain nombre d’attentes, notamment la demande de ces pays de renforcer leurs capacités de défense souveraine. En effet, un certain nombre de pays africains ont été conduits à déconstruire ces capacités, pour une série de raisons. Aujourd’hui, face aux menaces auxquelles ils sont confrontés à leurs frontières ou même sur leur territoire, ils font part de leur volonté de renforcer cette dimension.
Le rapport comporte vingt-quatre propositions, dont le tiers porte des recommandations sur les questions militaires, en réponse aux préoccupations exprimées et dans le respect des traités de coopération de défense. Évidemment, les partenariats militaires doivent être rebâtis avec, de part et d’autre, le souci d’une moindre visibilité et donc une évolution vers une réduction très claire du format, qui avait d’ailleurs déjà commencé. Mais les deux tiers de ces propositions concernent le champ multidimensionnel, au-delà des stricts aspects militaires. Ici aussi, les pays partenaires attendent une évolution de notre coopération.
Naturellement, dans le cadre de la démarche de soutien des outils de défense souverains, nous devons évidemment nous adapter face à des attentes qui diffèrent selon les pays. En outre, une partie des réponses n’implique pas nécessairement un coût considérable, car elles portent d’abord sur des méthodes, qui consistent à faire mieux avec les moyens existants. La question est d’autant plus essentielle que nous devons inscrire notre action dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.
Pour autant, nous essayons également, dans cette démarche, de nous inscrire dans le temps long, tant il est vrai que les partenariats de défense ne se construisent pas du jour au lendemain. Au demeurant, ils ne relèvent pas tous de projets entraînant un impact budgétaire. Il peut parfois s’agir de facilités, de prêts, de garanties.
Dans cette démarche à 360 degrés, nous avons également souhaité procéder à un certain nombre d’améliorations de la visibilité de l’action française et de la cohérence de l’équipe France, tous ministères confondus, mais aussi en intégrant l’Agence française de développement et ses crédits. De fait, de manière générale, la méthode, la vision, le projet passent avant la déclinaison budgétaire, même si elle ne peut être totalement négligée.
Nous nous inscrivons également dans les traces d’un certain nombre de travaux parlementaires. J’ai déjà mentionné le travail réalisé dans le cadre du Sénat, mais je pense également au rapport de vos collègues Tabarot et Fuchs, lequel exprime un certain nombre d’attentes, dans lesquelles nous pouvons également nous nous retrouver.
Nous souhaitons également contribuer à une stratégie française interministérielle plus visible et plus communicable, à partir des démarches que j’évoquais et qui sont déjà en cours. Il s’agit également d’être mieux outillés pour faire face à un certain nombre d’agressions, qui nuisent parfois fortement à la compréhension et la lisibilité de notre démarche. À ce sujet, je me suis rendu compte, au fil des mois, que notre marge d’amélioration est notable. Plus le partenariat évoluera et mieux nous pourrons nous faire comprendre et éviter un certain nombre de caricatures sur la réalité de la présence française. À ce titre, nous avons naturellement voulu rencontrer les autorités d’État, mais aussi les représentants de la société civile, les responsables économiques et les chercheurs des pays concernés.
Nous nous sommes également efforcés de dialoguer avec les pays européens partenaires, avec lesquels nous avons eu des discussions franches et qui ont pu nous faire part de certaines critiques. Je me suis en outre rendu à Bruxelles et nous avons noué des contacts approfondis avec un certain nombre de directions de la Commission européenne. Il faudra ainsi évoluer en bon ordre, en compagnie de nos partenaires européens, pour respecter l’esprit de notre démarche.
Tels sont les premiers éléments pour vous décrire, en quelques mots, l’esprit dans lequel nous avons travaillé. Je pourrais naturellement, en réponse à vos questions, aborder plus longuement certains aspects de notre relation avec les quatre pays mentionnés. Dans la nouvelle lettre de mission, il m’est également demandé d’accompagner les ministres, notamment des armées ou des affaires étrangères qui pourront se rendre dans tel ou tel pays, notamment le Sénégal, après la séquence électorale, afin d’assurer le tuilage. Nous sommes à bien des égards très présents dans ce pays, où nous sommes très actifs en matière de coopération et dont le devenir nous importe. Cette histoire demeure à écrire.
M. Alexandre Dufosset (RN). Vous êtes l’envoyé en Afrique d’un Président de la République dont la politique africaine n’existe pas. La France est en train de se faire chasser du continent africain, comme en atteste le retrait forcé du Niger l’année dernière et les tensions avec nombre de pays africains. Dans ce contexte, vous avez qualifié cette approche de « position médiane » et j’imagine que vous allez nous éclairer sur le sens de cette expression.
Face aux bouleversements qui touchent le continent africain, il est indiscutable que notre présence militaire doit être repensée. La France peut encore faire entendre sa voix en Afrique, mais elle n’y parviendra qu’à trois conditions. D’abord, il faut que les opinions africaines, et non seulement les dirigeants des États africains, le veuillent ; puis que la France elle-même le veuille. Enfin, elle doit se donner les moyens d’une politique africaine renouvelée, dont nous pouvons espérer qu’elle soit lucide, juste et ambitieuse.
Le rapport que vous avez remis au Président de la République propose sans doute des pistes de réponse à cette question. Il se trouve cependant qu’il n’a pas été rendu public pour le moment, ce que nous regrettons. En attendant de l’avoir en main, pouvez-vous d’ores et déjà nous donner votre sentiment et/ou votre éclairage sur certains points ? Quel type de relation pouvons-nous entretenir avec nos alliés d’hier qui, après nous avoir chassés de leur territoire, ne cessent de nous insulter et de menacer nos intérêts ?
Ensuite, dans les pays où nos forces sont toujours présentes, estimez-vous que l’opinion nous reste favorable ou devons-nous redouter un scénario « à la sahélienne » ? Enfin, dans ce nouvel ordre africain, la France peut-elle continuer à défendre ses intérêts, des intérêts qui ne peuvent pas toujours dépendre du bon vouloir des uns et des autres ?
M. Jean-Marie Bockel. Je ne reviens pas sur votre diagnostic, car la question de la perception, y compris de l’action du Président de la République, est évolutive. À titre d’exemple, j’ai assisté il y a quelques jours au sommet de la francophonie, à Villers-Cotterêts. Au-delà des critiques que nous devons entendre, des liens forts nous unissent encore, y compris au niveau des chefs d’État. À ce titre, la situation évolue en fonction d’éléments qui sont parfois liés à la conjoncture, aux problématiques auxquelles ces pays sont confrontés en matière sécuritaire et économique. Pour ma part, je me suis efforcé de prendre du recul par rapport à la dimension politicienne, certes légitime, afin de mener ce travail sereinement.
Cela dit, je ne souhaite pas occulter vos questions. La question du scénario est importante. Nous sommes un certain nombre à avoir mal vécu l’après-Barkhane. Mais il faut savoir se placer dans le temps long. Le Mali est le pays d’Afrique que je connais le mieux ou « le moins mal », depuis très longtemps. Je l’ai sillonné en tant que maire de Mulhouse, et nous avons mis en place des partenariats qui ont porté leurs fruits. Encore aujourd’hui, je garde des contacts avec mes amis de la région de Mopti, notamment la commune rurale de Sofara, où nous avons initié des projets longs avec les communautés villageoises, à rebours des actions qui n’ont pour objet que de se donner bonne conscience. De fait, les liens perdurent aujourd’hui, et j’ai conservé également des contacts avec des responsables du sud, mais aussi du nord du pays.
Ces quelques exemples ont pour objet d’illustrer l’idée que l’histoire commune n’est pas terminée, quelles que soient les erreurs qui ont pu être commises. Mon propos n’est pas de revenir sur ce que nous avons fait de bien, sur ce que nous avons manqué, même si ces questions me taraudent. Des contacts existent toujours, de même qu’un partenariat de qualité, que nous devons faire évoluer, de telle manière que, demain, nous ne soyons pas fragilisés. Au contraire, il s’agit de faire en sorte que nous puissions mieux préparer l’avenir, à la fois en soutien de ces pays, mais également en défense de nos intérêts légitimes. Le rapport vise précisément à y contribuer.
M. Yannick Chenevard (EPR). À cette période où nous portons le bleuet, je souhaite adresser une pensée particulière pour tous nos soldats morts ou blessés en Afrique dans leur lutte contre l’islamisme. L’Afrique témoigne d’une croissance et d’une démographie dynamique dans certains pays, recèle des métaux critiques dans ses sous-sols ; mais elle est également soumise à des crises de l’eau, des crises alimentaires et des coups d’État.
Surtout, l’Afrique n’est pas une réalité unique, elle est composée de cinquante-trois pays différents. Il s’agit également du continent du « temps long ». Or nous avons souvent tendance à envisager la situation de manière binaire, en « marche-arrêt », sans comprendre que les choses peuvent évoluer et que le temps, souvent, fait aussi son œuvre.
Vous avez rappelé la philosophie de cette nouvelle relation que nous souhaitons mener avec les pays d’Afrique qui le souhaitent. Quel regard portez-vous sur l’évolution actuelle du Mali, du Burkina Faso et du Niger ? Par ailleurs, quelles sont les approches employées, mais aussi les faiblesses de la Russie, de la Chine ou de la Turquie, ces pays qui pensent s’imaginer un avenir en Afrique ? Par contraste, quels sont nos points forts pour continuer cette relation historique si forte entre certains pays d’Afrique et la France ?
M. Jean-Marie Bockel. Je vous remercie pour ce rappel. Comme je l’ai indiqué, l’histoire n’est pas terminée.
Dans un certain nombre de pays, les populations – qui sont souvent d’ailleurs les premières victimes de ces dérapages ou débordements –, mais également les responsables, s’ils veulent regarder lucidement la situation, se rendent compte du décalage entre ce qui a été promis et ce qui se passe sur le plan sécuritaire, sur le plan économique et la surexploitation des ressources naturelles.
Au-delà, chaque pays est différent ; le Mali n’est pas le Niger ni le Burkina Faso. Le Burkina Faso est d’ailleurs le premier pays d’Afrique que j’ai découvert, à 26 ans, sac au dos, de Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, en train ou en taxi-brousse. Ce pays formidable est aujourd’hui confronté à des problèmes inimaginables, la situation s’est dégradée très rapidement.
Selon moi, il demeure des facteurs d’espérance au Mali et au Niger, au-delà de la situation actuelle. Il ne faut adopter une attitude déterministe et défaitiste consistant à dire que « puisque c’est l’Afrique, cela ne peut que mal se passer. » Au début des années 2 000, j’ai connu un Mali qui faisait certes face à la pauvreté, à des vagues d’émigration et à des tensions nord-sud, mais qui, à certains égards, était salué en matière de bonne gouvernance, d’opportunités économiques, éducatives et de santé. L’espoir était là.
S’agissant du Niger, rappelez-vous des perspectives à l’époque des présidences Issoufou et Bazoum. Je me souviens d’ailleurs de la venue du président Bazoum à Paris en novembre 2022. Une levée de fonds avait été organisée pour le développement du pays, à hauteur de 31 milliards d’euros ; plusieurs indicateurs économiques étaient positifs.
J’en tire un facteur d’espérance, considérant que chacun de ces pays n’est pas affecté par une fatalité intrinsèque qui les empêcherait un jour de pouvoir repartir du bon pied, à partir de leurs propres choix. Gardons l’espérance et gardons le contact.
Ensuite, la Russie, la Chine et la Turquie sont effectivement des compétiteurs, tout le monde considérant l’Afrique comme un continent d’opportunités. Lorsque j’avais rédigé le rapport sénatorial L’Afrique est notre avenir précédemment mentionné, l’émergence de la Chine était déjà un sujet qui nous occupait tous. Avec le recul, nos amis africains commencent à faire la part des choses, qu’il s’agisse de la manière dont un certain nombre d’infrastructures ont pu être construites ou dont certains partenariats ont pu être établis. De leur côté, les Chinois s’adaptent et évoluent également. Aujourd’hui, la compétition se poursuit, mais elle n’est plus marquée par le même aveuglement. Lors des discussions que j’ai eues avec des amis et partenaires africains, ceux-ci m’ont indiqué qu’ils nous connaissaient, qu’ils connaissaient nos défauts, mais aussi nos qualités. Nous avons une histoire en commun, faite de tragédies, mais aussi d’espérances et de moments forts. Nous ne passons pas de la lumière à l’ombre ; ils sont aussi conscients des convoitises, mais également des limites de certains partenariats.
Il nous revient donc d’être meilleurs, notamment concernant l’offre en matière de défense. Certains pays comme la Chine ou la Turquie effectuent des propositions bien moins chères ; c’est la loi de la compétition. Mais les Africains voient parfois aussi les limites. Par exemple, si tel nouveau partenaire construit des drones dans une base, il importe aussi de disposer de formations pour pouvoir les utiliser dans la durée. À ce moment, alors, ils reviennent vers nous. Par ailleurs, il faut également mentionner le partenariat spécifique et particulièrement agressif de la Russie, qui nous a beaucoup affectés dans certains pays. Cela n’est d’ailleurs pas terminé, notamment dans les trois pays que j’ai évoqués, mais ceux-ci commencent aussi à en percevoir les limites.
Apprenons à faire la part des choses et conservons « le calme des vieilles troupes », sans témoigner constamment d’une forme de fébrilité par rapport à ces compétiteurs. Il n’est parfois pas nécessaire de les critiquer ; il est préférable, au contraire, de montrer en quoi nous sommes différents et en quoi nous pouvons proposer, avec des moyens peut-être parfois plus limités, une valeur ajoutée, d’autant plus si nous arrivons à nous associer à d’autres partenaires, notamment européens, même si ce n’est pas toujours facile.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). En préambule, je souhaite adresser une pensée à toutes les victimes civiles des conflits passés et en cours dans la zone sahélo-saharienne, rendre hommage à nos soldats blessés ou qui ont perdu la vie dans l’accomplissement de leur mission et adresser un message d’affection et de soutien à tous leurs proches.
Je veux redire avec clarté et respect que l’échec de Barkhane ne saurait bien sûr leur être imputé ni remettre en cause le sens, la valeur de leurs engagements ou la grandeur des qualités qu’ils ont montrées pour l’honorer. Mais c’est malheureusement dans le sillage de l’échec de Barkhane que le Président de la République a jugé nécessaire de concevoir et déployer une nouvelle stratégie de la France en Afrique. Il était temps.
Je vois cependant au moins trois défauts majeurs à cette stratégie.
Premièrement, elle n’analyse nullement l’échec de Barkhane.
Deuxièmement, elle est floue. Elle semble reposer sur un mot d’ordre légitime, mais éculé, le rééquilibrage des relations entre la France et les États africains, et elle fait avant tout de nécessité vertu en revendiquant comme un changement substantiel de rendre simplement moins visible notre présence militaire sur le continent.
Enfin, l’esprit qui semblait la légitimer est constamment contredit par les actes, comme en témoignent le soutien constant à la dictature tchadienne, le renouvellement de l’accord avec Djibouti sans un mot sur la situation des droits humains, la reprise du partenariat avec la Guinée de M. Doumbouya en dépit de son virage autoritaire et violent, le silence assourdissant lors de l’enlèvement de Foniké Menguè et de Mamadou Billo Bah, figures éminentes de l’opposition démocratique, l’appui renouvelé à la représentante de M. Kagame à la Francophonie, en dépit des immenses réticences de partenaires comme le Canada ou du simple fait qu’elle n’est pas francophone, le déploiement difficilement compréhensible, en octobre 2023, d’un détachement d’instruction opérationnelle en Ouganda, dont le président est en poste depuis 1986, et, bien sûr, la loi immigration scélérate de janvier dernier, construite pour dissuader tous les jeunes Africains de venir étudier en France. Monsieur le ministre, qu’y a-t-il donc de neuf ou de bon dans la stratégie française en Afrique ? Allez-vous nous donner des faits précis et ne pas nous « saouler », s’il vous plaît, de généralités ?
M. Jean-Marie Bockel. Je ne veux pas vous « saouler », mais il faut bien comprendre qu’un certain nombre d’éléments de mon rapport sont classifiés et doivent d’abord être portés à la connaissance des pays partenaires. Nous ne devons pas avoir vis-à-vis d’eux une attitude arrogante. Les questions de méthode que j’ai mentionnées constituent peut-être des généralités, mais elles ne demeurent pas moins extrêmement importantes.
Je suis un « vieux », mais cela compte en Afrique. La manière d’aborder les sujets, y compris les plus précis, les plus concrets, compte également, dans le respect du partenaire. Je ne relèverai pas complètement votre critique – que je comprends – sur cet aspect, dans la mesure où je n’ai pas vocation à m’exprimer maintenant sur certains sujets, mais je pourrai répondre pays par pays si vous m’y invitez. Par exemple, il serait ainsi possible de parler d’aviation en Côte d’Ivoire, des enjeux maritimes et de la forêt au Gabon.
Vous avez mentionné le Tchad et « l’échec » de Barkhane. Certes, il est difficile de parler de réussite à partir du moment où nous partons. Pour autant, je ne parlerais pas d’échec. Sans même réitérer mon propos sur le temps long, notre action, dont vous avez rappelé les conséquences et les sacrifices, a contribué à réduire la menace terroriste et à permettre à ces pays de demeurer des pays. Les responsables actuels de ces pays, que nous rencontrons encore à Paris, en sont conscients, même s’ils ne peuvent pas le saluer publiquement.
Ensuite, nous avons conduit un diagnostic et une analyse de ce qui a fonctionné et de ce qui a échoué en termes de partenariat, ainsi que les raisons sous-jacentes. Malgré l’agenda transformationnel, nous éprouvons encore des difficultés à avancer en équipe France cohérente. Je partage à ce titre le diagnostic assez dur formulé par le rapport Fuchs-Tabarot à ce sujet.
En matière de visibilité, le rapport ne peut seulement se résumer à une baisse de l’empreinte ; il prône une transformation en profondeur. Dans les pays mentionnés, notre présence militaire permanente sera considérablement réduite, et cela commence déjà à intervenir, au profit de partenariats en matière de formation, d’équipement, de renseignements ou de soutien à tel ou tel aspect de défense spécifique. J’ai parlé de marine et d’aviation, mais je pourrais aussi évoquer des « forces spéciales » adaptées à certaines menaces. L’objectif consiste bien à renforcer les capacités souveraines de ces pays, pour les aider à faire face par eux-mêmes aux différents enjeux. Nous avons d’ailleurs évoqué ces aspects avec l’Union africaine, qui pourrait s’impliquer davantage sur ces enjeux, et qui en est consciente. En résumé, il ne s’agit pas seulement d’un problème de visibilité.
Ensuite, nous ne faisons pas n’importe quoi avec n’importe qui. Mais quels critères devons-nous mettre en place ? À une époque, nous avons voulu aller assez loin dans des critères de marche vers la démocratie. Le critère des droits de l’homme demeure cependant majeur. À ce titre, il m’est arrivé d’aller au Tchad dans des fonctions précédentes et de rencontrer des familles de disparus. La situation n’est pas statique, les dirigeants ne considèrent pas que les questions de droits et de démocratie n’existent pas. Simultanément, dans les partenariats que nous conduisons, y compris sur des enjeux sécuritaires qui nous concernent, nous ne devons pas nous comporter de manière arrogante, en jugeant ce qui doit être une « bonne » gouvernance.
Dans le cadre de ces partenariats anciens, les évolutions sont nécessaires, mais ils doivent également s’inscrire dans le temps long. Il s’agit d’une démarche itérative complexe. Dans ce domaine, la critique nécessaire est évidemment plus aisée que la gestion concrète de ce genre de situations, quand on est en responsabilité. Mais je suis convaincu que vous le savez déjà, monsieur le député.
M. Thierry Sother (SOC). Je souhaite à mon tour rendre hommage aux cinquante-huit militaires morts au cours des missions Serval et Barkhane et leur adresser l’expression de ma reconnaissance la plus profonde en tant que citoyen. Il est clair que la situation en Afrique, et plus spécifiquement au Sahel, a considérablement évolué en sept ans.
Après l’intervention militaire réclamée puis acclamée au Mali en 2013, étendue ensuite au G5 Sahel sur demande de ses États membres en 2014, nous sommes passés à une présence militaire contestée, puis clairement vilipendée à partir 2017, dans un cadre institutionnel, sécuritaire et économique de plus en plus dégradé dans ces pays. Chacun peut s’accorder sur le fait qu’une page s’est tournée l’année dernière, lors du retrait de nos troupes.
Si nous nous accordons sur la nécessité d’une nouvelle politique française en Afrique, celle-ci doit d’abord être redéfinie. J’espère que le Président de la République l’a fait, mais la représentation nationale a encore du mal à l’identifier. Nous attendons avec intérêt vos vingt-quatre propositions qui pourront nous éclairer.
C’est au centre du Sahel que le terrorisme est le plus menaçant et représente le plus fort risque pour la sécurité nationale. C’est aussi là que les États sont de plus en difficulté et que nos relations sont les plus dégradées. Votre mission inclut la collecte des besoins en formation et en équipement des pays partenaires africains. Quelles priorités de coopération avez-vous identifiées pour renforcer la sécurité au Sahel ? Avec quels pays la coopération est-elle rompue ? Avec quels pays est-elle en progrès aujourd’hui ? Surtout, quelle forme notre politique de lutte contre le développement du djihadisme prendra-t-elle dans un contexte de rejet ? Passe-t-elle par le multilatéralisme ? Par le recours principal au détachement de liaison interarmées, à la formation des forces locales, au risque d’être en retrait par rapport à d’autres puissances ?
M. Jean-Marie Bockel. Comme je l’ai indiqué précédemment, deux tiers des propositions du rapport concernent d’autres aspects que l’aspect sécuritaire. Même si la mise en œuvre ne s’est pas déroulée comme espérée, l’esprit de Barkhane et du G5 Sahel reposait sur le triptyque sécurité, gouvernance de l’État et développement au service des populations. Dans le cadre de notre mission, nous nous sommes également inscrits dans cet esprit.
Au Sahel, des dangers nouveaux apparaissent ; ils concernent évidemment le terrorisme et le djihadisme. De manière très concrète, il existe une forte demande en matière de formation et d’entraînement, y compris dans le cadre d’une association de plusieurs pays, dans une démarche d’appui opérationnel. Nous nous en sommes rendu compte au Mali, au Niger, mais aussi avec les forces tchadiennes, quand elles ont été partie prenante. Il n’y a pas de fatalité à voir des armées fuir face à la menace, comme cela a pu arriver ces derniers temps, ce qui s’est terminé par des massacres terribles. Mais pour y parvenir, il faut disposer de soldats bien formés, bien entraînés, bien commandés, qui touchent leur solde et à qui il faut garantir que leurs familles ne seront pas abandonnées s’ils devaient être blessés ou, hélas, tués. Il existe également des fraternités d’armes qui permettent de relever la tête, et de faire face.
À chaque fois que nous le pouvons, nous devons fournir cet appui, mais aussi une contribution au maintien de certaines capacités, y compris technologiques, ou en matière d’équipement. Simultanément, il est nécessaire que nous nous remettions en question sur les équipements adaptés que nous pouvons fournir. À ce sujet, le Rafale n’est pas la réponse à tous les problèmes et certains équipements ne sont pas forcément français, mais européens. Ces équipements concernent des aéronefs, des navires, des véhicules au sol, ou même des outils technologiques nouveaux, comme les drones, qu’il faut pouvoir entretenir pour pouvoir les utiliser dans la durée.
Par ailleurs, du point de vue français, ces actions doivent s’inscrire dans une démarche interministérielle, qui comporte naturellement une dimension militaire, mais également de sécurité intérieure, de formation professionnelle de la jeunesse. Cette jeunesse doit pouvoir trouver sa place au service de son pays et avoir envie d’y rester.
Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Je souhaite également rendre hommage à tous nos militaires présents en Afrique. Votre rapport semble nous orienter vers une réduction drastique de nos forces prépositionnées au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Tchad, qui passeraient de 2 300 à 600 hommes. Parallèlement, un commandement pour l’Afrique est créé.
Ces évolutions concernant nos forces armées s’inscrivent dans un contexte difficile. Au gré des coups d’État, nous avons dû nous retirer tour à tour du Mali, du Burkina Faso et du Niger, tout comme nos alliés américains, pour laisser la place à la Russie, déjà bien présente en Centrafrique. Notre présence recule et, avec elle, notre influence sur le continent, à l’inverse de celle des Chinois, des Turcs, des Émiratis ou encore des Hongrois.
Dans un tel contexte, un retrait aussi marqué est-il raisonnable ? À quels objectifs stratégiques répond-il ? Nos armées ont-elles décidé d’abandonner l’Afrique alors que les derniers Livres blancs l’identifiaient comme une zone stratégique pour notre sécurité nationale ? Enfin, quelle finalité le nouveau commandement pour l’Afrique poursuit-il dans le cadre de cette réorganisation ?
M. Jean-Marie Bockel. Cette critique existe également au sein de nos armées et de notre monde politique. J’ai pu m’en rendre compte, ayant mené dès le début de ma mission des discussions avec des responsables politiques de différentes sensibilités, mais aussi avec des chefs militaires. Aujourd’hui, nos partenaires africains, du plus haut niveau jusqu’aux opérationnels sur le terrain, nous disent que l’essentiel ne réside pas dans le nombre de soldats, mais dans les actions menées ensemble, afin qu’elles soient plus adaptées aux attentes. Ce message passe.
Aujourd’hui, le 43e bataillon d’infanterie de marine (43e BIMa) est stationné à Port-Bouët près d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Notre présence sur place a vocation à connaître une diminution significative. Lorsque je rencontre le président Ouattara, je lui indique que l’essentiel ne réside pas dans les effectifs traditionnellement présents sur place, mais dans notre action commune renouvelée, à partir d’un dispositif socle permanent, d’une capacité « à géométrie variable » en cas de nécessité ou d’attente de notre partenaire et en fonction de la menace. Quand la crise est intervenue au Niger, nous avons ainsi été capables d’installer 2 000 hommes à Abidjan, en quelques heures
Selon moi, un des aspects importants de la mission est d’avoir réussi à transmettre ce message auprès de nos partenaires, mais aussi de l’institution militaire en France. Les critiques ont diminué, la compréhension est meilleure.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). La page de la Françafrique se tourne, les pratiques changent et nos relations évoluent. Nous avons besoin de nous adapter aux différentes cultures africaines dans nos relations humaines, militaires, civiles et commerciales, afin de rétablir les liens de confiance et offrir une meilleure perception de nos intentions.
La stratégie française semble s’orienter vers le développement d’un soft power grâce aux partenariats actuels et futurs. La réduction de notre visibilité et de notre empreinte s’illustre par la modification de notre schéma d’implantation. Le dispositif compterait moins de troupes – environ 600 militaires –, mais serait appelé à s’accroître ponctuellement pour répondre aux sollicitations des pays partenaires, selon le rapport annexé de la loi de programmation militaire (LPM).
Quelles pourraient être les cas de figure où nous renforcerions notre présence sur ces terrains ? Quels seraient ces potentiels besoins ? Le devenir de nos bases passe-t-il par la mutualisation des bases militaires avec des États européens ?
Dans le même temps, l’accompagnement de la montée en puissance des armées souveraines se concrétise par la formation, des équipements, du renseignement, des exercices communs, y compris à l’échelle régionale. Les partenariats peuvent concerner la transmission des savoirs et des savoir-faire français, notamment à travers les écoles militaires, les écoles de guerre et les centres de formation.
Les sujets de préoccupation sont divers et majeurs : la lutte contre le terrorisme, l’extension des trafics comme le narcotrafic ou celui des êtres humains, ainsi que la protection de l’environnement. Certains pays africains commencent à être durement frappés par les conséquences du changement climatique et les politiques de prédation de la ressource.
Il existe actuellement une demande de renforcement des capacités africaines de paix et de sécurité. Quelles formations seront délivrées et auprès de quel personnel ? Je pense notamment au soutien des forces régionales avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ou avec l’Union africaine.
M. Jean-Marie Bockel. Je partage l’essentiel de vos propos. Nous nous inscrivons davantage dans une démarche de soft power. Les sollicitations peuvent exister, mais dans un cadre forcément multilatéral, en cas de menace accrue aux frontières, d’agressions qui ne relèvent pas des affaires intérieures d’un pays, mais de la sécurité de toute une région.
La baisse de l’empreinte et donc du nombre de personnels dans les bases permanentes, que j’ai qualifiée de « dispositif socle » est une étape. Nous devons garder en tête qu’il existera un jour une capacité souveraine complète, y compris régionale, et des partenariats de nature différente. Selon moi, tout le monde souhaite que les dispositifs évoluent ainsi, par étapes. La mutualisation est effectivement à l’ordre du jour, d’abord avec les pays concernés comme le Gabon ou la Côte d’Ivoire. Au Gabon, les enjeux concernent naturellement la marine face aux actes de piraterie, mais également la préservation de la forêt. Cela passe notamment par la formation des gardes aux dimensions sécuritaires, mais aussi environnementales. Dans ce domaine aussi, les attentes sont très fortes.
M. Fabien Lainé (Dem). Permettez-moi d’abord de rendre hommage au caporal Vasil Bychyk, du 16e Bataillon de chasseurs à pied, décédé récemment dans un accident à Djibouti.
La semaine dernière, après plusieurs années de tension, nous avons été les témoins d’une réconciliation inédite entre la France et le Maroc. Le Président de la République a choisi de soutenir la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, sujet de très grande importance pour le Maroc. Or, cette région est stratégique pour le royaume chérifien, en raison de ses ressources en phosphate et de son potentiel pour le développement des énergies vertes.
Lors de sa visite de trois jours, Emmanuel Macron était accompagné de TotalEnergies et d’EDF, qui auraient annoncé des investissements de plus de 6 milliards d’euros pour le développement des énergies renouvelables dans cette zone. La France renforce ainsi sa position de premier investisseur et de premier employeur du royaume chérifien. Il faut s’en réjouir. Cependant, cette prise de position sur le Sahara occidental, assez inédite, n’est pas sans risque pour l’avenir, puisque l’Algérie, par l’intermédiaire du Front Polisario, a toujours cherché à contrôler ce territoire pour obtenir un accès à l’océan Atlantique.
Il s’agit d’un sujet de tension majeur et récurrent entre le Maroc et l’Algérie, qui a parfois donné lieu à des incidents meurtriers à la frontière. La signature des accords d’Abraham par le Maroc, qui normalise et renforce ses relations avec Israël, a également suscité de vives réactions du pouvoir algérien, qui maintient une position ferme vis-à-vis d’Israël et continue à soutenir le Hamas. Plus préoccupant encore, l’Algérie a doublé en 2023 son budget militaire, tandis que le Maroc lui a emboîté le pas, dans une logique d’escalade.
Ces éléments montrent qu’un conflit important dans la région ne peut être exclu, d’autant plus que le pouvoir algérien, fragilisé sur le plan intérieur, accumule les échecs diplomatiques qui accentuent sa perte de leadership dans la région, au profit du Maroc. Pouvez-vous évoquer ce sujet ?
M. Jean-Marie Bockel. Votre question est passionnante, mais hors champ par rapport à ma mission. Simplement, le Maroc est très présent en Afrique subsaharienne, où il représente un partenaire. En conséquence, le renforcement de la relation avec le Maroc est également positif dans le domaine dont je m’occupe, et je m’en réjouis. Pour autant, l’Algérie reste un partenaire sécuritaire incontournable s’agissant des enjeux subsahariens.
M. Didier Lemaire (HOR). Comme mes collègues, je souhaite adresser une pensée, au nom du groupe Horizons, aux hommes et femmes engagés dans des opérations extérieures (Opex).
Je souhaite évoquer le sujet de la désinformation en Afrique et de son impact sur les partenariats militaires que nous pouvons construire avec les pays du continent. La désinformation fragilise les relations entre la France et ses partenaires. Des campagnes ciblées, parfois orchestrées par des acteurs extérieurs, visent à ternir l’image de la France en véhiculant des récits erronés concernant ses motivations, missions et actions sur le continent. Par exemple, au Mali, les milices de Wagner ont participé en 2022 à une vaste opération de décrédibilisation des armées françaises en publiant des images de fosses communes créées de toutes pièces, en accusant nos soldats d’exactions qu’ils n’ont pas commises.
Cependant, les fake news sur les interventions françaises ne sont pas le seul fait de puissances étrangères, mais aussi de médias et d’influenceurs locaux. La désinformation n’est pas nouvelle sur le continent. Elle a été tour à tour l’arme des puissances coloniales ou de dictateurs et de puissances étrangères pendant la guerre froide, puis a été exacerbée par les réseaux sociaux ces dernières années. Elle est particulièrement prégnante au moment des élections et utilisée autant par les dirigeants installés que par leurs opposants.
Il est certes important de rappeler que les conséquences de cette désinformation sont avant tout africaines. Elle participe à la montée de toutes les formes de violence, elle menace la cohésion des peuples et peut mener à des drames de santé publique, notamment lors de la pandémie de covid-19, en alimentant le scepticisme sur l’efficacité des vaccins.
Comment pouvons-nous rétablir durablement la confiance et renforcer notre crédibilité, non pas seulement avec les dirigeants, mais aussi auprès de l’ensemble des opinions publiques africaines ?
M. Jean-Marie Bockel. Cette question est centrale et nous y avons été confrontés en permanence. Avant de parler de désinformation, il faut d’abord s’intéresser au regard porté par les populations sur un certain nombre de situations. L’évolution de notre présence doit permettre également de moins nourrir un certain nombre de désinformations. Mais quoi que nous fassions, elles demeureront. Certains pays, dont la Russie, sont passés maîtres dans la capacité de manipuler les opinions.
Je n’entrerai pas dans le détail, mais nous avons renforcé nos capacités en matière d’influence et contre-influence, notamment pour déjouer les fake news. Par exemple, nous avons été en mesure de démontrer que les supposées fosses communes de Gossi étaient une grossière manipulation. Au-delà des aspects purement technologiques, nous menons un travail de fond auprès de certains médias et des sociétés civiles. Aujourd’hui, nos armées disposent de capacités pour vérifier la manière dont certains messages sont reçus.
En résumé, nous sommes mieux outillés aujourd’hui pour faire face à la désinformation, même si beaucoup demeure à accomplir, évidemment. Il faut prendre en compte cette question le plus en amont possible et multiplier les contacts. Nous avons progressé par rapport à l’époque où nous considérions que la vérité finirait de toute manière par l’emporter ; nous sommes mieux outillés face à cette guerre informationnelle que nous ne l’étions il y a quelque temps. Mais il ne faut jamais baisser la garde.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Permettez-moi à mon tour d’adresser une pensée chaleureuse à tous nos soldats présents en Afrique. Au Mali, au Burkina Faso ou encore au Niger, la principale préoccupation des nouveaux dirigeants semble être moins la lutte contre le terrorisme que la consolidation de leur pouvoir. Les gouvernements de ces États se tournent vers ceux qui peuvent garantir la sécurité de leur pouvoir. Il s’agit aujourd’hui des Russes, quand les Chinois sont actifs dans le domaine économique.
Les Français ont été priés de partir au Niger ; les États-Unis ont subi le même sort. À l’heure de la réorganisation de la présence militaire française en Afrique, la situation justifie un examen approfondi des raisons des échecs successifs et de la défaite morale subie par la France dans ces États. Entre la rupture unilatérale et l’interventionnisme pour assurer sécurité et stabilité, mais aussi protection des frontières extérieures de l’Union, une option intermédiaire permettant de configurer une nouvelle entente vous semble-t-elle possible ?
M. Jean-Marie Bockel. Tel est effectivement l’esprit de mon rapport, afin de renouveler notre relation avec nos partenaires. Cela implique de faire preuve d’une grande humilité, de pouvoir balayer devant notre porte et de produire un retour d’expérience sur ce qui n’a pas fonctionné. Lorsque l’on adopte cette attitude, nos interlocuteurs le comprennent rapidement, ce qui permet ensuite de mieux travailler ensemble, différemment.
Au-delà des généralités, il faut être très précis, sujet par sujet. Nous avons d’ailleurs beaucoup travaillé sur l’ensemble de ces aspects, avec mon équipe. Il convient d’être clair sur ce qu’il est possible de mettre en place, dans un cadre partenarial, puisque nous ne pouvons plus nous permettre d’agir seuls. Au fil des semaines et des mois, nous avons pu établir un climat de confiance, ce qui change beaucoup de choses.
M. Édouard Bénard (GDR). Si nous connaissons votre parcours, les missions afférentes au portefeuille qui vous est confié sont plus floues. Il vous revient « de revoir les formats et les modalités d’action du futur dispositif militaire français sur le continent » fortement mis à mal depuis 2022 et les coups d’État successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger, à l’origine du retrait des forces françaises du Sahel.
Vous évoquez ce matin la publication d’un futur rapport. Sa finalité et votre mission consistent-elles à tenter de convaincre les pays africains – le Gabon, le Sénégal et Tchad – que le plan diplomatique ou militaire de Paris est le bon, ou à savoir ce dont ils ont besoin pour faire remonter leurs doléances à Paris ? Très concrètement, avez-vous recueilli les doléances des militaires français stationnés en Afrique concernant leur rémunération, leur état de santé physique et moral ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la qualité du dialogue avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso, considérant que l’alliance des États du Sahel projette de se transformer en confédération avec une force de défense commune, ces trois États quittant à terme la Cedeao ? Qu’impliquent ces bouleversements dans la qualité du « partenariat » avec la France ?
Enfin, d’après votre expertise, par-delà les autorités officielles, comment les populations du Gabon, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Tchad apprécient-elles la présence militaire française, dans un contexte de réduction de l’empreinte militaire permanente sur le continent ? Qu’en est-il du sentiment anti-français ?
M. Jean-Marie Bockel. Vous avez parlé de « flou » et je ne vous répondrai pas par la citation habituelle prêtée au cardinal de Retz concernant l’ambiguïté. En réalité, il s’agissait d’une démarche « ouverte », qui a été appréciée par les pays partenaires et a offert une marge de discussion significative. Nous sommes sortis du « flou » peu à peu, à travers ce travail. Aujourd’hui, les trois partenaires n’emploient plus ce terme. Il ne s’agit pas non plus d’un plan en provenance de Paris, mais d’un plan partagé, condition nécessaire pour que la démarche soit perçue comme telle. Objectivement, je pense qu’elle l’est.
Ensuite, nous avons fait en sorte de passer suffisamment de temps sur place, notamment dans nos bases militaires. Un militaire m’a d’ailleurs indiqué qu’il n’avait pas vu depuis longtemps un envoyé officiel passer autant de temps avec les soldats et non pas uniquement les chefs. Cela inclut également des moments conviviaux. Nous avons été à l’écoute et avons fait remonter ce qui devait l’être.
S’agissant de la guerre informationnelle, il est certain qu’en période électorale, les slogans du type « France, dégage ! » fonctionnent, y compris pour détourner habilement un mécontentement vis-à-vis de dirigeants en place dans ces pays. Il faut savoir manier les symboles. À la fin novembre, en Côte d’Ivoire, le drapeau ivoirien précédera ainsi le drapeau français sur les enceintes militaires. Pour autant, les gens ne souhaitent pas notre départ définitif, mais une évolution importante, qui entraîne des changements concrets pour eux. À cet effet, la démarche à 360 degrés me semble plus que jamais essentielle.
M. Bernard Chaix (UDR). Alors que nous assistons à une déstabilisation de certains pays africains, nous attendions avec un grand intérêt votre éclairage sur la refonte de notre configuration militaire en Afrique et j’avoue qu’après une heure trente d’audition, je reste dans le flou, voire dans l’ignorance.
En septembre 2023, plus de 6 700 militaires français étaient déployés en Afrique. Ma prise de parole constitue l’occasion de leur rendre hommage. Au groupe UDR, il nous tient à cœur de participer à toute réflexion permettant d’assurer la sauvegarde de nos intérêts dans le monde. L’Afrique connaît des mutations profondes, dont les particularités peuvent mettre en péril nos intérêts stratégiques. Je pense évidemment à l’explosion démographique et aux flux migratoires qui en découlent, à l’influence de grandes puissances concurrentes et à la menace terroriste sur le continent.
Simultanément, la France voit son influence contestée, particulièrement avec le départ de nos troupes du Sahel, comme dernièrement au Niger, et le sentiment anti-français est très palpable. Bien que la quantité ne soit pas gage de qualité, comment la baisse de notre présence militaire à seulement quelques centaines de soldats s’insère-t-elle dans la stratégie du Président de la République et à la poursuite de quels objectifs, à l’heure de la nouvelle présence américaine en Côte d’Ivoire depuis juillet 2024, du déploiement de l’influence russe au Niger, des ouvertures d’écoles chinoises en Tanzanie et tant d’autres événements qui soulignent l’attraction de l’Afrique pour certaines puissances mondiales ?
En parallèle de la baisse des effectifs, quelles sont les grandes étapes de la future coopération militaire entre la France et ses partenaires américains ? Je pense particulièrement au sort réservé aux écoles militaires nationales africaines à vocation régionale. Par ailleurs, comment est-il envisagé de soutenir les entreprises françaises qui contribuent au rayonnement économique de la France en Afrique ?
M. Jean-Marie Bockel. Dans votre propos, vous évoquiez les 6 700 militaires français déployés en Afrique. Mais ce nombre n’a pas empêché la survenue de ce qui a été, à certains égards, un échec. Aujourd’hui, nous faisons un pari, en compagnie des pays partenaires : si j’avais été le porte-parole d’une démarche à laquelle ils ne croyaient pas, soyez assurés qu’ils l’auraient déjà fait savoir.
Les interlocuteurs, y compris dans les oppositions et dans les sociétés civiles, ont compris que le dispositif socle ne signifie pas un départ du jour au lendemain qui laisserait les pays partenaires face à des difficultés. En revanche, nous structurons, dans le dialogue, un rebasculement établi à la fois sur ce dispositif qui permet de faire le nécessaire en matière de formation, d’entraînement et d’exercices en commun, mais aussi de fournir ponctuellement des moyens plus amples, sur terre, en mer ou dans les airs.
Simultanément, nous faisons mieux, ensemble, et nous nous en donnons les moyens. Dans ce domaine, nous nous sommes rendu compte qu’il existait une réelle marge d’amélioration, qui était d’ailleurs attendue par nos interlocuteurs. Nous cheminons donc de concert, ce qui permet de créer un autre état d’esprit.
Parmi nos partenaires européens, ceux qui sont le plus présents sur place l’ont compris ; mais un travail reste à accomplir auprès des autres. J’ai par ailleurs rencontré les Américains sur le terrain, qui eux aussi ont dû faire face à des difficultés, notamment au Niger. De leur côté, ils cherchent également à établir des partenariats, voire des mutualisations, ce qui nécessite l’accord des pays concernés. Le chef d’état-major Burkhard ne l’avait d’ailleurs pas exclu lors d’une récente audition.
Par ailleurs, j’en profite pour dire que je n’aurais pas pu mener cette mission si je n’avais pas pu travailler en parfaite intelligence avec Sébastien Lecornu et ses équipes, le général Thierry Burkhard et ses équipes, mais également le ministère des affaires étrangères et les ambassadeurs de terrain. Sans l’action décisive de ces derniers, ma mission aurait été un échec.
Encore une fois, je ne suis pas dupe, je suis conscient qu’une série de problèmes demeurent sur la table. Mais à mon modeste niveau, j’estime que notre travail n’a pas été inutile.
M. Abdelkader Lahmar (LFI-NFP). Je souhaite commencer mon intervention en adressant une pensée aux millions de victimes de la colonisation en Afrique et en rappelant à mon collègue du Rassemblement national que ce crime contre l’humanité explique peut-être les positions de nos voisins africains et maghrébins qu’il ne comprend pas.
La situation en République démocratique du Congo devient très préoccupante. Le cessez-le-feu signé en août dernier semble bien loin, puisque le M23 a repris l’offensive fin octobre dans le nord du pays. Cette guerre, qui dure depuis près de trente ans, a occasionné plus de 6 millions de morts et 7 millions de déplacés, dans un silence assourdissant de nos médias occidentaux. Pourtant, les donateurs internationaux n’ont pas manqué, puisqu’ils ont injecté des milliards pour tenter de résoudre les conflits. Mais les stratégies occidentales classiques de maintien et de consolidation de la paix paraissent totalement inopérantes.
Cela montre bien que notre lecture du conflit est défaillante et dépassée. Cela illustre aussi peut-être un manque de volonté politique en France. À défaut de vouloir piller les ressources naturelles de ce pays, quelle est la stratégie de la France ?
M. Damien Girard (EcoS). Votre mission a pour objectif de participer à la construction d’une relation franco-africaine sur des bases saines et durables. Cette tâche comporte une dimension mémorielle significative. Je souhaite donc vous interroger sur le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye en 1944. Le meurtre et la condamnation de militaires africains qui ont défendu la France représentent une tache sur l’histoire de notre République et de sa relation avec le Sénégal.
Une tribune que j’ai signée avec une trentaine de collègues appelle à poursuivre l’effort mémoriel entrepris par François Hollande en 2014. Les pistes sont nombreuses pour reconstruire une mémoire digne et respectueuse de cet épisode. Je pense au versement de réparations aux descendants et à la reconnaissance officielle du massacre par l’Assemblée nationale. Je pense également à une commission d’enquête s’appuyant sur l’ensemble des archives nécessaires, et notamment celles du ministère de l’outre-mer, permettant de clarifier les circonstances de ce massacre. Quelle est votre position sur la reconnaissance de ce massacre et les outils concrets pour faire vivre sa mémoire et consolider les liens de notre pays avec le Sénégal ?
Mme Nadine Lechon (RN). Le Président de la République a supprimé deux corps diplomatiques d’excellence, celui de conseiller et de secrétaire des affaires étrangères et celui de conseiller et secrétaire cadre d’Orient. Cette décision est incompréhensible et lourde de conséquences, car elle remplace la compétence et l’expérience par la proximité avec le pouvoir. Que pensez-vous de cette décision et de son impact sur le terrain ?
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur Lahmar, la République démocratique du Congo ne faisait pas partie du champ de ma mission. Cependant, je ne suis naturellement pas insensible au sort de ce pays, le plus grand pays francophone au monde, qui est confronté à cette guerre sans fin. Au fond, si l’on adopte un regard respectueux de l’indépendance de l’Afrique et de la maîtrise de son destin, les premières questions qu’il faut se poser consistent à savoir quelles sont les stratégies de la sous-région, des pays concernés et des pays voisins.
Aucun d’entre nous n’adopte un esprit postcolonial qui consisterait à estimer que notre rôle est décisif. À chaque fois que nous avons pensé pouvoir régler la question, sans que les pays concernés ne soient intégrés au premier plan, nous savons ce qu’il est ensuite advenu. En conséquence, soyons concernés, soyons partie prenante, mais soyons humbles.
Monsieur Girard, je tiens à rappeler la volonté du Président de la République de poursuivre et même d’intensifier le travail mémoriel. D’ailleurs, celui-ci est pris en compte dans l’agenda transformationnel du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. S’agissant de Thiaroye, un dialogue est en cours. Les Sénégalais sont d’ailleurs venus consulter les archives en France et cette question sera évidemment prise en considération dans le cadre de la suite de nos relations avec ce pays, pour établir précisément les faits, le nombre de victimes et les suites à donner. Le Sénégal célébrera cet événement le 1er décembre prochain.
Madame Lechon, je n’ai pas compétence ni autorité pour répondre à votre question ; je me dois de rester dans le champ de ma mission.
M. Matthieu Bloch (UDR). Les récents événements au Mali, au Burkina Faso et au Niger témoignent d’un rejet virulent de la présence française. Ce ressentiment dépasse les simples questions de défense et concerne des dimensions identitaires et politiques profondément enracinées.
Des acteurs tels que le groupe russe Wagner exploitent ce ressentiment à travers des campagnes de désinformation et en se présentant comme des alliés alternatifs. Ces mensonges s’attaquent à l’image de notre pays, en le dépeignant comme une force d’occupation plutôt qu’un partenaire de paix, alors même que la France a œuvré pendant des années au renforcement des capacités locales, aux opérations de maintien de la paix et au développement de gouvernements stables, parfois au prix du sang et des larmes de nos militaires.
La lutte contre le sentiment anti-français nécessite de revoir nos modes d’intervention, de renforcer nos actions de diplomatie et de privilégier une présence discrète, mais influente. Dans cette optique, quelles actions concrètes envisagez-vous pour contrer cette désinformation et regagner la confiance des populations africaines ?
Mme Marie Récalde (SOC). Le commandement pour l’Afrique a été créé en août dernier et a pour comme commandant le général de brigade Pascal Ianni. Quel regard portez-vous sur ce nouveau commandement, dont les effectifs sont équivalents à celui d’un gros bataillon, alors que dans le même temps d’autres pays, notamment la Russie, ne cessent d’étendre leur influence ?
Ensuite, le prochain sommet Afrique-France se tiendra au cours du premier trimestre 2026 à Nairobi. Il se déroulera pour la première fois dans un pays africain non francophone et devrait permettre d’aborder des questions liées aux défis climatiques et à l’architecture financière internationale. Disposez-vous d’orientations de travail en amont de ce sommet ? Quelle y serait la place de la France ?
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur Bloch, je partage à bien des égards le constat que vous avez dressé. Il ne s’agit pas pour moi de relativiser le caractère virulent de ces manipulations. Cependant, les pays où des manifestations ont eu lieu récemment peuvent avoir également une attitude complètement différente vis-à-vis de la France.
Par exemple, pour la jeunesse africaine, la perspective de pouvoir travailler dans une entreprise française, y compris certaines très grandes sociétés du domaine énergétique parfois critiquées, est considérée comme un « plus », en termes de salaire, mais aussi de respect et de déroulement de carrière. En résumé, je ne nie pas la description que vous avez réalisée, mais nous avons néanmoins quelques arguments pour y répondre. Nous y parviendrons d’autant mieux que nous n’agirons pas seuls : sur ces rumeurs non fondées, notre meilleure défense émane du témoignage des autres.
Il est toujours plus facile de dénigrer que de construire. Mais la partie n’est pas perdue, d’autant plus qu’un certain nombre de compétiteurs agressifs ont également montré leurs limites concernant leur apport, dans la durée. Moi qui suis plutôt de tempérament un peu impatient et qui aime agir vite, je me discipline pour considérer en permanence que notre action dans le cadre des partenariats évoqués s’inscrit dans un temps bien plus long que celui de la manipulation et la désinformation. Mais à la fin, cela porte ses fruits.
Madame Récalde, avant de diriger le commandement pour l’Afrique, le général de brigade Pascal Ianni travaillait à l’état-major des armées sur ces sujets d’influence et de contre-influence. Selon moi, il s’agit de la bonne personne ; il sait de quoi il parle, il sait où il va. Vous avez mentionné les Russes ; mais la présence française n’avance pas masquée. Dans son commandement, le général Ianni est en charge de la moindre présence que vous évoquiez, mais aussi de notre assistance en matière de formation, d’entraînement et d’exercices en commun, ainsi que la géométrie variable de notre soutien. Nos partenaires le savent et nous sollicitent parfois pour nous demander que dans telle ou telle capitale, le représentant français demeure un officier général. Au-delà du nombre de personnels permanents, il y a tout le reste et ni les Russes ni les Chinois ne peuvent en dire autant. Les chefs d’État de ces pays savent que nous ne cherchons pas à être des partenaires exclusifs ; nous acceptons la compétition.
Ensuite, le prochain sommet Afrique-France se tiendra effectivement au cours du premier trimestre 2026 à Nairobi. À l’occasion de mes différents postes ministériels, j’ai sillonné le continent avec cette double casquette coopération et défense. J’ai pu me rendre compte que les partenariats y compris avec un certain nombre de pays anglophones ou lusophones sont parfois plus simples, y compris en matière de défense, car ils sont précisément exempts de tout ressentiment lié à une histoire commune.
Depuis l’époque où j’étais en charge de la francophonie au gouvernement, j’ai toujours considéré que la francophonie dépasse le cadre certes essentiel de la langue, pour concerner également la dimension culturelle ou le droit continental, c’est-à-dire un certain nombre d’éléments qui sont attendus, y compris dans des pays non traditionnellement francophones.
En conséquence, selon moi, le sommet de Nairobi constitue une preuve d’influence et d’une dimension qui n’est pas qu’une affaire franco-française. Restons modestes et jouons cette carte, y compris vis-à-vis des pays qui figurent dans mon périmètre. Ils peuvent ainsi voir que nous sommes capables de mener des partenariats plus larges. Par exemple, pour ne parler que de l’enjeu sécuritaire, le fait que nous ayons des partenariats de défense avec certains pays où nous ne disposons pas de base, qu’ils soient francophones ou non, fait partie de notre influence, au meilleur sens du terme.
Nous sommes une puissance moyenne, avec nos qualités et nos défauts, avec nos heures glorieuses et nos heures tragiques, mais nous exerçons toujours une influence, y compris dans les instances internationales.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie très vivement pour votre intervention et vos réponses.
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La séance est levée à onze heures vingt-cinq.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Édouard Bénard, M. Christophe Bex, M. Christophe Blanchet, M. Matthieu Bloch, M. Hubert Brigand, M. Bernard Chaix, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. Alexandre Dufosset, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Denis Fégné, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Frank Giletti, M. Damien Girard, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, M. Abdelkader Lahmar, M. Fabien Lainé, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Didier Lemaire, M. Guillaume Lepers, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, M. Karl Olive, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, Mme Marie Récalde, Mme Catherine Rimbert, M. François Ruffin, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Mikaele Seo, M. Thierry Sother, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi
Excusés. - M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Sophie Errante, M. Thomas Gassilloud, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon
Assistaient également à la réunion. - M. Olivier Becht, Mme Sylvie Bonnet