Compte rendu

Commission de la défense nationale
et des forces armées

— Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, sur les enjeux de l’économie de guerre.


Mercredi
4 décembre 2024

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 28

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
président

 


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La séance est ouverte à onze heures.

M. le président Jean-Michel Jacques. Monsieur le délégué général, mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle consacré à l’économie de guerre en ayant le plaisir d’accueillir M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, accompagné de M. Alexandre Lahousse, ingénieur général de l’armement, qui pilote la direction de l’industrie de la défense créée au sein de la direction générale de l’armement (DGA) et de Mme Mathilde Herman.

La DGA est au cœur des enjeux de l’économie de guerre. Nous rappelons souvent qu’évoluer et suivre les nouvelles façons de travailler et organisations est indispensable. Je sais, monsieur le délégué général, que cette question constitue l’un des doubles défis que vous devez relever, à savoir adapter les méthodes de travail à un nouveau contexte stratégique qui fait évoluer le rapport au risque et à l’équilibre entre le coût et la performance tout en soutenant notre base industrielle et technologique de défense (BITD) dans sa démarche vers l’économie de guerre.

La transformation de la DGA est déjà amorcée, notamment à travers sa réorganisation interne mais aussi à travers les dispositifs votés dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui ont fait évoluer certaines de vos exigences à l’égard de la BITD.

Le 24 octobre dernier, lors de sa visite sur le site de la DGA à Vert-le-Petit, le ministre des armées et des anciens combattants a établi une feuille de route pour accélérer la transformation de la DGA. Il sera donc particulièrement intéressant de vous entendre sur les mesures que vous entendez prendre pour mettre en œuvre cette feuille de route portée par le ministre.

Je pense également que des précisions de votre part seront les bienvenues concernant la création de la force d’acquisition réactive et le travail effectué par la DGA en matière de simplification des normes. Vous savez que les députés sont très sensibles à ce sujet. En tant que rapporteur de la LPM, je l’ai moi-même souvent porté dans mon rapport.

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Je suis très heureux d’intervenir devant votre commission pour échanger sur les enjeux de l’économie de guerre.

Au regard des auditions précédentes, je vous propose que nous écartions le point de la terminologie parce que nous pourrions débattre assez longtemps sur ce choix des termes qui fait couler beaucoup d’encre. Or ces termes me semblent être l’arbre qui cache la forêt, à savoir les enjeux et les finalités de notre démarche. Ma préférence est donc plutôt de parler des objectifs, des méthodes et des résultats.

L’économie de guerre, comme elle est considérée aujourd’hui en France, n’est pas une économie de temps de guerre mais une économie qui se prépare à ne pas subir en cas de crise. Cela passe évidemment par les acteurs économiques de la défense, mais pas seulement. Il s’agit aussi de passer d’un modèle de temps des dividendes de la paix à un modèle d’engagement qui, à la différence des années précédentes, peut être probable et surtout non choisi.

Chacun visualise bien ce qu’est le temps de paix ou le temps de guerre mais il existe un entre-deux — dans lequel nous sommes —, fait de crises variées qui se succèdent, se superposent et nous appellent à faire monter en puissance notre outil de défense, sans pour autant être nous-mêmes engagés dans un conflit. C’est typiquement le cas de cette mission, qui est le soutien à nos alliés en guerre. C’est donc à cette situation que nous cherchons à faire face.

Durant mes différentes auditions, j’ai eu l’occasion de vous parler des résultats obtenus. Je souhaite féliciter les équipes de la DGA mais aussi les industriels et les forces, car il s’agit d’un effort commun.

Cette audition me donne l’opportunité de détailler davantage la méthode déployée depuis deux ans, que nous avions déjà commencé à préfigurer depuis la crise liée à l’épidémie de Covid-19. Je rappelle en effet que nous n’avons pas attendu les crises en Ukraine et au Moyen-Orient et que cette pression s’exerçait déjà sur l’ensemble de notre écosystème depuis la crise sanitaire.

Parmi les grands principes qui guident nos travaux sur l’économie de guerre, le premier est la cohérence d’ensemble, puisque cette économie a mécaniquement la performance de son maillon le plus faible. Faire un effort sur un axe sans cohérence d’ensemble produirait peu d’effets, voire des effets négatifs sur d’autres axes ou programmes. Une bonne illustration est le domaine des munitions.

Un deuxième principe est la subsidiarité maximale. Nous avons en effet un grand nombre de chantiers, très divers, et les acteurs doivent donc être responsabilisés de manière maximale pour pouvoir être impliqués directement, ce qui induit le fait de chercher à réduire nos interfaces pour permettre de créer des effets très concrets dans des temps très courts. C’est grâce à ce type de principe que les équipes projet ont les moyens de transformer des démonstrateurs de munitions téléopérées en véritables systèmes qui ont été et seront déployés en Ukraine en quelques mois seulement.

Le troisième principe, qui m’est assez cher, est lié aux risques et à l’audace à partager, puisque la prise de risques ne peut pas porter que sur un seul acteur et n’a de sens que si elle est distribuée, acceptée et partagée. Il s’agit d’un effort de la DGA pour remettre en question certaines méthodes, mais aussi de l’industrie, pour faire des stocks et miser sur l’export, ainsi que des forces, pour réévaluer leurs besoins au regard du contexte pour prendre en compte les enjeux industriels.

Par exemple, la DGA a fait évoluer assez drastiquement ses méthodes pour faciliter les vols de drones, afin de ne pas appliquer à un drone les règles les plus contraignantes des vols d’aéronef habités. Nous faisons la même chose pour les drones navals. Cette initiative est partagée avec les industriels et les forces. Les règles de navigabilité d’un drone naval peuvent aujourd’hui se résumer au fait que le drone doit rester dans un environnement et dans un volume maîtrisé.

Le quatrième principe est le « faire autrement ». Nous avons accompli un certain nombre d’actions et nous sommes encore en train d’en accomplir. Que faisons-nous lorsque nous n’y arrivons pas ? Cet objectif est prioritaire et dépend de trois points, à savoir :

– analyser la valeur du besoin, notamment partagé avec les forces,

– chercher à raccourcir les cycles d’acquisition et surtout les adapter en fonction de l’ampleur et des enjeux des programmes,

– chercher à développer des solutions qui font consensus pour qu’elles soient opératives, c’est-à-dire travailler ensemble avec la DGA, le ministère des armées et des anciens combattants, les états-majors, les services de soutien, les grands industriels maîtres d’œuvre mais aussi l’ensemble des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des petites et moyennes entreprises (PME) qui font notre BITD, le but étant de faire vite, efficace et décisif.

De plus, nous devons planifier aujourd’hui, en temps de paix, la bascule vers la production de masse en garantissant au maximum la réversibilité, l’agilité et évidemment l’innovation. Concernant ce talon de production minimale, j’insisterais sur le fait de ne pas confondre les stocks minimaux qu’il nous faut recompléter et les enjeux de capacité de production qui sont des flux et que l’on se doit de mettre en place pour préparer l’avenir.

Un travail est donc en cours avec le ministère des armées et des anciens combattants sur les mécanismes de montée en puissance des forces et de leur environnement, dans la perspective d’un engagement majeur. Nous travaillons sur les capacités d’adaptation des industriels de la défense, avec notamment des exercices opérationnels incluant les industriels visant à tester la capacité à faire monter en puissance la production mais aussi redescendre sereinement en cadence. En effet, si nous provoquons ou stimulons trop ces industriels pour accélérer leur production, il faut aussi considérer qu’un jour ils seront en mesure et en nécessité de redescendre. Les conséquences ne doivent pas être trop importantes d’un point de vue social et économique sur les acteurs considérés.

Enfin, nous devons mobiliser l’industrie civile. En 1915, les industriels de l’engrais chimique se sont mobilisés pour la sauvegarde de la Nation. L’audition étant publique et sachant que nous sommes sous accord de confidentialité, je ne vais pas vous donner davantage de détails mais nous menons aujourd’hui un certain nombre de travaux avec des industriels, qui ne sont pas du tout du monde de la défense, pour nous aider à atteindre cette production de masse.

Concernant la gouvernance et l’organisation pour poursuivre ces objectifs, l’économie de guerre et la transformation de la DGA sont deux chantiers qui vont de pair avec la direction de l’industrie de défense (DID), outil clé pour piloter cette économie de guerre qui vient d’être créé et est dirigée par l’ingénieur général de l’armement Alexandre Lahousse. La DID comporte trois services, relatifs à l’orientation industrielle et de gestion de la stratégie de notre BITD, la performance et la qualité industrielle ainsi que la sécurité économique, qui nous tient particulièrement à cœur. Nous avons eu l’occasion, lors d’autres auditions, de détailler les différentes menaces qui planaient sur nos PME, qu’elles soient économiques ou liées à la résilience en termes de sécurité physique ou cyber. Nous avons aujourd’hui un adjoint dédié aux PME, ETI et startups, également délégué ministériel aux PME et placé au sein de cette DID.

Concernant le bilan de l’activité 2024, la DID est très nouvelle mais fonctionne aujourd’hui en rythme accéléré. La direction a traité, depuis le début de l’année, 116 dossiers liés à des investissements étrangers en France (IEF), qui concernent les intérêts économiques de la Nation, mais également 19 fiches de performance qualité et quatre diagnostics de performance industrielle. Notons que trois autres diagnostics sont en cours.

La cible est de visiter 1 000 PME par an. Je rappelle que la BITD compte 4 500 PME, dont 1 200 PME critiques. Environ 700 PME ont déjà été visitées cette année. De plus, 55 propositions de relocalisation ont été reçues et étudiées et 11 projets ont été lancés sur financement du ministère, avec le programme France 2030, ou sur financement en fonds propres des entreprises concernées.

L’organisation nouvelle s’accompagne donc d’un pilotage nouveau de l’économie de guerre avec une mobilisation de l’ensemble des services et directions de la DGA, puisqu’un comité exécutif se réunit tous les 15 jours au niveau des équipes de projets sur l’économie de guerre. En outre, un comité de pilotage, que je préside, se réunit toutes les six semaines. Enfin, notons également l’existence de nouvelles interfaces, avec le lien sur le maintien en conditions opérationnelles à tous les niveaux ainsi que le lien avec le ministère des armées et des anciens combattants, car nous considérons les thématiques de soutenabilité et de cohérence avec nos alliances militaires.

Sept axes de travail ont été retenus, auxquels j’ajouterais un huitième.

Le premier axe est de produire davantage, plus rapidement, et de maintenir et régénérer, ce qui signifie donc mettre en place une capacité d’accélérer la production à la demande, en avançant par exemple en 2023 des commandes globales prévues plus tard selon la LPM.

Le deuxième axe consiste à produire, à spécifier et à contractualiser autrement.

Un troisième axe concerne l’aptitude de notre BITD à répondre, ce qui signifie, certes, offrir de la visibilité mais aussi identifier les goulets d’étranglement dans la durée, y remédier, utiliser de nouvelles techniques, comme l’impression 3D, ainsi que d’autres process innovants et construire des tours de surveillance avec l’industrie.

Le quatrième axe est de consolider la souveraineté. Cet axe concerne les enjeux, les relocalisations, les financements, les clauses de souveraineté dans les contrats, la mise en place de stocks stratégiques.

Le cinquième axe concerne la résilience cyber, physique et financière de la BITD. En termes de résilience cyber et physique, des listes d’entreprises qui participent notamment au soutien à l’Ukraine ont été signalées vis-à-vis de la direction de renseignement de la sécurité de défense afin que nous puissions aller les visiter et les sensibiliser.

Le sixième axe consiste à s’inscrire et peser dans les dispositifs internationaux. Les enjeux sont le fonds européen de défense, les initiatives European defence industry reinforcement through common procurement act (EDIRPA), Action de soutien à la production de munitions (ASAP), European Defence Industry Program (EDIP), European Defence Industry Strategy (EDIS) et le Livre blanc européen. Nous avons là aussi une nécessité d’influence pour promouvoir les coopérations, défendre sans hésitation les intérêts français et influer sur les choix.

Le septième axe, très important et complexe, est relatif aux ressources humaines. Beaucoup de filières sont en tension du point de vue des ressources humaines. Nous nous devons de mettre en place des remédiations — ce qui est complexe à réaliser —, notamment en utilisant de nouveaux outils, comme la montée en puissance de l’industrie de défense.

J’ai décidé d’ajouter un huitième axe, à savoir la production de masse. Il s’agit d’étendre les enjeux de production au-delà des acteurs de la défense pour tirer la meilleure partie de l’ensemble des atouts industriels français.

Notre but est de généraliser l’applicabilité de l’économie de guerre tout en faisant une priorisation. En effet, nous ne pouvons pas tout faire à la fois pour garantir l’efficacité en fonction des résultats recherchés. Nous avons priorisé les obus de 155 millimètres, les drones aériens, les munitions téléopérées, la défense solaire, les pièces de rechange, l’armement air-sol ou encore l’artillerie. Évidemment, nous continuerons sur cette voie.

Je citerai deux exemples pour illustrer assez concrètement les actions sur ces axes et leur transversalité : les munitions et les munitions téléopérées — lesquelles ne sont pas des munitions à proprement parler.

Les leviers d’application de cette démarche liée à l’économie de guerre pour les munitions sont tout d’abord les commandes globales, qui donnent une visibilité à l’industrie sur toute la LPM. Cette dernière prévoit en effet 12 milliards d’euros sur les munitions complexes, tels que les missiles, et 4 milliards d’euros sur les munitions simples, telles que les obus. Les leviers sont également l’accélération des démarches administratives et la capacité à acheter au « coup de sifflet ». En outre, nous avons passé un certain nombre d’autres commandes — qui concernent du 155 millimètres, du 120 millimètres, des missiles de moyenne portée (MMP), Aster ou encore Mistral —, que je pourrais vous détailler si vous le souhaitez.

Notre défi est évidemment d’améliorer les capacités de production souveraines. Cela nécessite d’affiner nos connaissances des capacités de production, ce qui n’est pas évident. Il faut identifier et recenser les goulets d’étranglement, qui ne sont pas forcément uniquement chez le maître d’œuvre mais le plus souvent dans les chaînes de sous-traitance.

Il existe une demi-douzaine de goulets d’étranglement directement liés au domaine des munitions mais une cinquantaine de goulets d’étranglement sont transverses, identifiés et ciblés. Ces derniers ont des impacts dans tous les domaines, et souvent dans le domaine des munitions. Ces actions individuelles de remédiation doivent être mises en place pour réduire les risques en termes de résilience et de performance, sachant que ces problèmes, pouvant être relatifs au financement, au recrutement, aux bassins d’emploi ou encore aux performances industrielles, sont communs à l’ensemble des industriels de l’armement. Il n’y a pas de thématique véritablement spécifique aux munitions dans ces domaines, si ce n’est la question des intrants et notamment des matières critiques. Aujourd’hui, 5 % des remédiations restent à faire, puisque 95 % des remédiations ont déjà été effectuées ou enclenchées. Je tiens à souligner que 23 % ont été refusées par les entreprises pour des raisons qui leur appartiennent.

Compte tenu du reste à faire à la suite du premier batch réalisé entre juillet et octobre, nous avons constitué un second batch selon les mêmes critères que le précédent. Ainsi, 22 entreprises ont été identifiées. Nous ne visons évidemment pas un objectif de zéro goulet d’étranglement, qui n’est pas réaliste. Au fur et à mesure que la démarche se poursuit, de nouveaux goulets sont évidemment identifiés.

Par ailleurs, nous devons être plus souverains. Relocaliser la fabrication de poudre permet de retrouver de la souveraineté et constitue la réparation d’une erreur historique. En effet, en 2010, nous avions fermé nos capacités souveraines de production de poudre, ce qui fut une erreur dont nous payons le prix aujourd’hui. Nous visons à revenir aux niveaux nécessaires pour alimenter notre industrie.

Une nouvelle filière, liée à l’impression 3D, s’est développée. De plus, nous avons une note d’orientation industrielle en publication pour la structuration d’une filière souveraine dans ce domaine. Il s’agit d’un plan d’action de la DGA qui sera décliné dans toutes les directions.

De plus, notons l’adaptation de l’outil industriel pour augmenter les cadences et accompagner les industriels dans la montée en puissance. Par exemple, dans le cas de la fabrication de l’Aster, nous avons constitué ce qu’on appelle une tiger team, c’est-à-dire une équipe très resserrée entre industriels, DGA et état-major des armées, qui a produit ces effets. Nous nous sommes réunis toutes les semaines pendant plusieurs mois. Nous ne devions pas avoir plus de 32 missiles Aster en 2025. Or nous en aurons normalement entre 80 et 100, avec une montée en puissance continue pour atteindre une capacité de production de plus de 300 missiles par an en 2028. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur ce sujet compliqué, cet outil et l’outil de production ayant été conçus à une période où des productions échantillonnaires étaient volontairement demandées, avec une coopération maximale entre les pays.

Par ailleurs, nous travaillons sur la constitution de stocks pour améliorer notre réactivité, rendue possible par les mesures normatives de la LPM. Le premier arrêté a été signé par le ministre le 12 mai dernier concernant la société MBDA. Ces éléments aident évidemment par rapport à cette thématique de l’économie de guerre mais aussi pour notre pertinence à l’export. En effet, nous risquons la perte de marchés parce que nous ne sommes pas capables de livrer dans les temps. La constitution de ces stocks nous permet donc aussi de garantir une certaine compétitivité de nos industries à cet égard.

Hormis ce focus sur les munitions, je dois signaler que certains industriels n’avaient pas attendu et avaient constitué des stocks, de titane ou de matières premières, par exemple. Pour d’autres, cette décision a permis d’enclencher la démarche. Des demandes de priorisation ont été adressées à cinq industriels. De plus, j’ai signé en novembre dernier des arrêtés de constitution de stocks pour Naval Group, ARQUUS et KNDS. Il s’agissait aussi d’une demande des maîtres d’œuvre industriels, car cela leur permet d’avoir, vis-à-vis de leur chaîne de sous-traitance, des arguments pour mobiliser l’ensemble de cette chaîne.

Dans le domaine des munitions, les deux derniers leviers sont les soutiens européens, notamment de la facilité ASAP et les achats conjoints entre les Européens, qui contribuent également au dynamisme à l’export, ainsi que le renfort de nos capacités RH.

Concernant les munitions téléopérées, notre accélération a très clairement été réalisée sur la base du retour de l’expérience du conflit ukrainien. Il s’agit donc d’une sorte de mélange des différents leviers, liés à l’innovation, aux commandes et au fait de faire autrement.

Nous avons, au milieu de l’année 2024, commandé les 460 premières munitions téléopérées françaises à courte portée dans la continuité d’un appel d’offres intitulé Colibri et initié dès mai 2022 par l’agence de l’innovation de défense (AID). De plus, nous avons acquis en urgence une première version de ce missile téléopéré, appelé OSKAR, qui conduira à de premières livraisons d’une centaine de munitions aux partenaires ukrainiens dans les prochaines semaines, avec, en complément, une vingtaine de munitions qui seront destinées aux forces françaises, à des fins d’expérimentation.

Un autre levier est la stratégie industrielle nouvelle. Je rappelle régulièrement notre soutien très actif aux PME. Nous ferons parvenir des fiches informatives sur notre action, notamment le plan en faveur des ETI, PME et startups (PEPS), et qui précise les dispositifs disponibles. Des acteurs pertinents dans ce domaine se trouvent sans doute dans chacune de vos circonscriptions.

Je citerais également la création du pacte « drones aériens de défense » pour une coconstruction de cette filière, signé lors du Salon Eurosatory.

Les missiles téléopérés constituent finalement un cas d’école pour travailler sur la production de masse avec des industriels civils. Je ne peux vous donner trop de détails publiquement mais sachez que cela progresse extrêmement rapidement.

L’économie de guerre et la transformation de la DGA vont donc de pair. Le discours du ministre à Vert-le-Petit, que je pourrais qualifier de refondateur, signifie que nous devons poursuivre les efforts engagés pour aller vers davantage de subsidiarité et de simplification ainsi que mener un travail sur les normes. De plus, notre efficacité doit être équivalente. Il n’y a pas de DGA à deux vitesses. Notre travail doit donc s’effectuer sur le temps court, le temps long et les ruptures technologiques qui peuvent apparaître entre les deux.

À la suite de ce discours, nous avons entamé la mise en œuvre de la suite de ce plan en adaptant notre comitologie interne, revue en fonction de l’importance des affaires traitées. Ces travaux sont rapidement effectifs puisque nous travaillons sur l’ensemble des déclinaisons de la comitologie.

Nous effectuons également un travail des ressources humaines sur la valorisation des parcours, et notamment des talents, avec un nouveau protocole que j’ai eu l’honneur de signer il y a deux jours sur le conseil général de l’armement, ainsi qu’un travail sur les parcours croisés entre industries et DGA.

Nous entendons simplifier l’exercice de l’autorité technique, avec la publication d’une circulaire.

Dans le domaine de la simplification des normes, le but est aussi de protéger l’ensemble des responsables de pôle qui seraient amenés à déroger aux normes applicables en milieu civil, avec la création d’une circulaire qui établira de façon opposable que le responsable de pôle se situe dans un cadre juridique quand il établit une telle dérogation.

Ces exemples font partie d’une liste de vingt actions concrètes et précises, dont le déploiement est prévu au plus tard à la fin de l’année 2025. Nous sommes donc dans un battle rhythm, si je puis dire, assez agressif.

Toute la DGA est pleinement mobilisée, comme à son habitude, pour poursuivre ces efforts.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie, monsieur le délégué général, pour votre travail de changement, déjà entrepris par la création de l’agence de l’innovation.

Il n’est parfois pas facile de changer les habitudes. Au-delà d’un changement des normes, valoriser l’audace me semble nécessaire. Je commence à percevoir des changements sur ce point mais je rencontre encore de personnes qui détiennent des responsabilités et qui manquent d’audace. Il faudrait peut-être bien les cibler ou dévaloriser ceux qui manquent d’audace.

Je cède maintenant la parole aux représentants des groupes politiques pour leurs questions.

M. Thierry Tesson (RN). Notre groupe a déjà exprimé sa circonspection envers le terme d’économie de guerre, qui masque en réalité une politique insuffisamment ambitieuse face aux enjeux actuels.

Un des facteurs de ces insuffisances est ainsi la faible capacité de financement mais aussi tout ce qui limite les possibilités de produire plus au moindre coût. Des exemples industriels comme Anduril aux États-Unis ou EOS Technologies en France démontrent pourtant que cette option est une bonne solution quand l’argent s’avère rare et cher.

Parmi les obstacles, on relève d’abord que les entreprises de défense se heurtent à des difficultés de financement dépendant de normes européennes qui incitent nos banques à considérer ces projets comme dommageables pour leur image. Ainsi, pour les livraisons de pickups non armés pour les forces du G5 Sahel, aucun établissement français n’a soutenu le projet malgré une participation de Bpifrance à 50 %. Seule Deutsche Bank et Al Arabiya Bank ont accepté d’y participer. Ce manque de financement nuit à nos capacités d’innovation. Il oblige nos entreprises à financer une partie de leur R&D sur fonds propres, ce qui concerne évidemment les grands groupes, mais plus encore une large partie des entreprises de moyenne et de petite taille.

Le recours à des sources de financement soutenues par l’État serait probablement un moyen de contourner ces difficultés structurelles qui, de fait, limitent l’ampleur et la diversité de notre BITD.

Face à ces blocages, existe-t-il de votre côté une liste des banques françaises qui refusent de prêter aux entreprises de défense nationale ? De plus, selon vous, serait-il pertinent de créer un livret A de défense pour financer l’industrie de défense ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Ce sont des questions extrêmement importantes que vous soulevez, sur lesquelles nous travaillons évidemment depuis de très nombreuses années, avant même la création de l’agence d’innovation défense. Nous voyons de plus en plus de petites sociétés porteuses d’innovation qui mettent en lumière un certain nombre de difficultés.

Vous avez cité Anduril et EOS Technologies.

EOS Technologies est une petite société française qui est soutenue par la DGA dans le domaine des munitions téléopérées. Nous effectuons donc vraiment notre travail et essayons de promouvoir cette solution extrêmement innovante venant d’une très belle société.

Le cas d’Anduril est un peu plus compliqué. Son fondateur est un milliardaire qui s’affranchit d’un certain nombre de réglementations puisqu’il fait ses expérimentations dans le désert, en dehors de tout centre. Toutefois, nous travaillons aussi sur la facilitation d’expérimentations un peu innovantes avec l’agence. Le fondateur d’Anduril fait ses expérimentations avec une mise de départ assez considérable, qui inspire aussi, bien évidemment, un certain nombre d’idées.

Je ne suis pas choqué que des entreprises financent leur propre R&D. Néanmoins, cela doit aller de pair vers un engagement à acheter les produits une fois qu’ils seront développés. Nous travaillons sur ce point. Ce mécanisme est assez vertueux parce qu’il permet aux investisseurs de ne pas miser sur des revenus non récurrents mais sur un engagement de commandes qui constitue un revenu récurrent. Je dis cela, car quelques entreprises, plutôt grandes, auraient tendance à considérer de temps en temps les financements de R&D comme une espèce de subvention pour charge de services publics. Il faut donc nuancer tout cela. Les capacités de R&D de nos grands industriels sont, dans un certain nombre de domaines de rupture, réunies dans des laboratoires communs, avec des unités du CNRS ou dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Nous rencontrons effectivement des difficultés, qu’il ne faut pas nier, pour le financement des entreprises, liées à une certaine interprétation des réglementations Environnement, social et gouvernance (ESG).

Il existe tout d’abord des difficultés de financement liées au manque de fonds propres chez les entreprises, estimé entre 100 et 200 millions d’euros par an environ. Nous regardons toutes les initiatives publiques ou privées qui nous permettraient de réparer cela. Ce manque de fonds est évidemment difficile à objectiver. Toutefois, en regardant à l’échelle européenne et française, nous trouvons tout de même des éléments.

Par ailleurs, nous réalisons une campagne auprès des banques et des assureurs afin de nous attaquer à toutes les institutions qui auraient des politiques d’exclusion du secteur de la défense dans leurs thèses d’investissement. Cela passe aussi par les termes des règlements. Par exemple, plutôt que de parler d’armes controversées, il vaudrait mieux parler d’armes interdites. Nous menons toute une action, notamment à l’échelle européenne, sur ce point. Le nucléaire étant désigné comme une arme controversée, vous voyez tout l’intérêt qu’auraient certains lobbies à dire qu’il ne faut pas financer des entreprises de la dissuasion. Nous devons être vigilants sur ce point.

Nous avons mis en place des référents bancaires ainsi qu’une médiatrice au sein de la DID. On pourrait s’attendre à ce que cette médiatrice ait été saisie d’une centaine ou d’un millier de dossiers. Or il y a eu douze dossiers. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il n’y ait besoin que de douze médiations ou par le fait que la présence même de ces référents bancaires et de cette médiatrice incite les gens à trouver eux-mêmes des solutions.

Évidemment, nous cherchons à développer d’autres outils, comme les fonds d’investissement. Nous disposons en effet du fonds Definvest et du fonds d’innovation de défense. Nous prévoyons éventuellement la création d’un fonds de fond. Nous travaillons avec la DG Trésor sur l’ensemble de ces sujets.

Il ne nous revient pas de porter la thématique du Livret A. Je rappelle qu’il s’agissait bien de la part du Livret A qui n’était pas fléchée vers le social et le logement, et qui aurait donc pu être fléchée sur ce sujet. Je ne fais pas de politique. Nous regardons donc froidement la diversité des outils qui sont à notre disposition. Un travail permanent est mené avec la DG Trésor sur ce sujet. Je pense qu’à un niveau interministériel, un événement sera organisé, sans doute au début de l’année 2025, sur le sujet du financement des entreprises de la défense.

M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Je voudrais tout d’abord vous remercier, monsieur le secrétaire général, au nom des députés du groupe Ensemble pour la République, ainsi que l’ensemble des 10 000 collaborateurs de la DGA, civils et militaires, pour vos travaux et votre réorganisation.

Votre audition se tient dans un double contexte.

Premièrement, votre audition a lieu dans un contexte géopolitique inquiétant et menaçant, au regard de la guerre en Ukraine, des tensions en Roumanie et en Géorgie, de la guerre au Proche et au Moyen-Orient ainsi que de la montée des tensions dans la zone indopacifique.

Nous avions anticipé ce contexte, comme l’attestent les deux LPM qui se sont succédé. Ces dernières permettent la préparation à l’économie de guerre pour laquelle la DGA et l’ensemble de nos industriels de défense français sont fortement mobilisés. Or, on ne produit pas de l’armement aussi facilement et rapidement qu’une simple voiture. Cela nécessite de plusieurs mois à plusieurs années, en fonction de ce dont on parle, et les stop and go ont des conséquences.

Le programme 146 « Équipement des forces » prévoit, en 2025, 51,3 milliards d’autorisations d’engagement et 18,7 milliards de crédits de paiement. C’est une bonne part des 3,3 milliards d’euros de marge de la LPM pour l’an prochain. Ces autorisations et ces crédits concernent des capacités essentielles : capacités terrestres, programme Scorpion, Griffon, Serval, Jaguar, hélicoptères Tigre, capacités aériennes, Rafales, Airbus A330 MRTT, capacités maritimes, frégates, sous-marins nucléaires d’attaque, porte-avions du futur mais aussi renouvellement de notre force de dissuasion, sous-marins nucléaires lanceurs d’attaques 3G, missiles M51.4 et missiles ASN4G.

Deuxièmement, votre audition se tient dans le contexte de la motion de censure qui sera examinée à l’Assemblée aujourd’hui. Je crois que la représentation nationale et les Français qui nous regardent ont besoin d’être informés sur les conséquences qu’auraient le vote de la motion de censure et le rejet du budget sur l’ensemble de ces questions liées à la défense et à son industrie.

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Je ne fais pas de politique et je n’en ferai pas. Le ministre des armées et des anciens combattants s’est exprimé sur ces sujets dans une interview au Parisien.

Ce que je peux vous dire est que tout le travail réalisé dans le cadre de l’économie de guerre ne tient que parce qu’il a été fondé sur le partage du risque, la confiance et la visibilité que nous donnons à nos industriels. Sinon, ces derniers n’ont aucun intérêt à rentrer dans une telle démarche, alors que leurs carnets de commandes sont déjà bien remplis. La véritable volonté industrielle ne tient qu’en raison de cette confiance.

Si nous ne sommes pas capables de passer les commandes prévues en LPM et si nous devions perdre en particulier cette marche à 3 milliards d’euros, nous briserons cette relation de confiance. Je ne vais pas quantifier mais le problème est surtout que nous ne pourrons plus être en mesure d’exiger des efforts et de la prise de risque de la part des industriels. Je rappelle que nous n’avons plus d’arsenaux. Nous sommes donc en quelque sorte dans un monde capitaliste qui attend des commandes, de la visibilité et des paiements. Si nous ne sommes plus en mesure de disposer de cette marche, il y aura des conséquences très directes sur l’équipement et le programme 146 « Équipement des forces », mais aussi des conséquences directes et plus insidieuses sur l’état d’esprit de notre écosystème industriel si nous leur montrons que nous ne serons pas au rendez-vous des commandes annoncées.

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Dans la dernière saison de Ces guerres qui nous attendent, initiative impulsée par l’agence d’innovation de défense, la Red Team élabore un scénario fondé sur un conflit entre deux puissances, luttant pour accaparer les ressources spatiales, reconduisant l’imaginaire culturel maintes fois ressassé de la conquête spatiale.

Un autre récit idéologique, autour de la startup et, a fortiori, de la startup nation, très en phase avec un pouvoir désormais déclinant, a valorisé la croissance de jeunes pousses réputées innovantes, qui seraient la clé du succès, et fait florès sur les fronts de l’innovation par et pour les armées.

Un autre récit, aujourd’hui à la mode, qui ajoute une strate narrative et qui est discutée dans ce cycle d’auditions, assume quant à lui que nous aurions basculé dans une économie de guerre, tendance ou transition sur laquelle nous avons déjà dit ici qu’elle relève d’abord de l’incantation rhétorique.

Sous l’angle de l’évaluation des politiques publiques, j’enchaînerais diverses questions générales portant sur le bilan que vous tirez des actions menées par l’AID en matière de management de l’innovation et de renforcement de la BITD.

Tout d’abord, j’aurais aimé vous entendre sur le régime d’appui à l’innovation duale (RAPID), le fonds d’innovation défense ou encore l’application hAPPI, qui constituent autant d’agencements s’entremêlant dans un mille-feuille organisationnel, peu lisible pour les acteurs et les parties prenantes, sans même mentionner les parlementaires. Les innovations soutenues dans ces cadres vont-elles porter leurs fruits sur le plan opérationnel ? Ces initiatives sont-elles productives à l’épreuve de l’innovation ordinaire ? N’y aurait-il pas d’ailleurs un coût caché, voire un coût d’opportunité financier, à soutenir des startups alors même que les accords-cadres de type Centurion — certes plus classiques — contraignent les grandes entreprises à sous-traiter 30 % du marché à des partenaires innovants ? Aurions-nous gagné à faire autrement qu’en passant par une mise en concurrence de startups qui, par inclination, ont tout à prouver et bien souvent versent dans la promesse sans lendemain ?

Ensuite, concernant l’innovation planifiée, quel bilan dressez-vous du plan d’action ministériel « Achats d’innovation » 2021-2024 ? Comment la DID compte-t-elle répondre aux besoins et honorer ces missions ?

Enfin, le modèle de financement de l’innovation ouverte vous semble-t-il compatible avec le financement de l’innovation planifiée, compte tenu de nos besoins matériels et capacitaires actuels à court et moyen terme ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Je rappelle que le travail de la Red Team était une expérimentation qui visait à voir si des auteurs, des dessinateurs et des scénaristes de science-fiction pouvaient nous aider à penser les menaces futures — et non les réponses à ces dernières. Ce programme a très bien fonctionné et a été pérennisé sous une initiative qui s’appelle RADAR, lancée à la maison de la radio avec plus de 1 200 personnes. Cette démarche se poursuit donc afin d’essayer de nous éclairer sur les menaces futures, peut-être à moins long terme, puisque RADAR s’intéresse à une prospective à dix ans.

Est-ce vraiment nécessaire que vous y voyiez très clair entre le dispositif RAPID, le fonds d’innovation défense ou l’outil hAPPI ? Du point de vue d’un entrepreneur, ce n’est pas à lui de choisir. C’est pour cela que nous avons mis en place un guichet unique. L’une des grandes innovations mises en place à l’agence d’innovation de défense est de nous dire que ce n’est pas au créateur de PME de savoir si son innovation est pertinente pour les besoins de la défense, ni à qui s’adresser dans ce ministère. Les organigrammes du ministère et des différentes armées et administrations peuvent être complexes à comprendre. Pourtant, cela fonctionne parce que nous avons du matriciel. Il s’agit de notre complexité à nous, que nous savons gérer. Effectivement, beaucoup de dispositifs interviennent en fonction du niveau de maturité technologique des différentes innovations. Ces niveaux sont particulièrement bas quand il s’agit d’innovations très exploratoires. Nous les aidons à monter en maturité. Cela peut venir de l’extérieur mais également de l’intérieur.

Au sein de l’agence d’innovation de défense, quatre types de projets sont soutenus. Tout d’abord, sélectionner les projets de technologies de défense, que vous appelez « innovations planifiées », nécessite de nous demander quelles sont les briques technologiques innovantes dont nous avons besoin — sans avoir la réponse aujourd’hui — pour construire les systèmes de défense que nous planifions de disposer demain. De plus, il y a la recherche plus ou moins fondamentale ainsi que l’innovation qui vient du monde civil, avec le financement de l’innovation ouverte qui peut se faire par des projets d’accélération d’innovation financés ou par l’injection de capitaux dans les entreprises concernées. Enfin, il y a l’innovation participative venant de l’ensemble des directions et des services du ministère.

Les questions que se pose un innovateur quant à l’intérêt des dispositifs pour lui et l’interlocuteur auquel il doit s’adresser sont donc résolues par le guichet unique, qui fonctionne très bien.

Un autre problème concerne la poursuite des démarches, à savoir la création d’une société, l’injection d’une innovation dans un programme d’armement comme Centurion ou encore le passage à l’échelle d’une innovation sur catalogue. Nous avons créé un comité de passage à l’échelle, coprésidé par les forces et par la DGA, qui nous permet de prioriser. Ainsi, nous avons sanctuarisé un certain nombre de lignes à flux sur le programme 146 « Équipement des forces » et le programme 178 « Préparation et emploi des forces », qui nous permettent d’expérimenter les toutes premières phases d’un passage à l’échelle pour que cette innovation se retrouve dans les mains de ceux et celles qui en ont besoin.

Concernant le fonds d’innovation défense, nous parvenons à investir dans des sociétés mais je ne peux pas vous garantir que ces dernières sont les licornes de demain. C’est toute la difficulté de l’exercice de l’investisseur. Je rappelle que d’autres acteurs, parmi lesquels des acteurs industriels, ont investi dans le fonds, qui est passé de 200 millions d’euros à 250 millions d’euros. Ce montant nous permet d’investir 25 millions d’euros par tour de table dans une société duale, innovante et dont le business model primaire n’est pas celui de la défense, car nous ne voulons pas les arsenaliser. Nous avons trouvé des sociétés du quantique, des matériaux ou des communications. Je n’ai pas en tête le nombre d’investissements réalisés à ce jour mais nous pourrons le partager avec vous.

Je rappelle que ce fonds d’innovation défense n’investit jamais seul. Nous investissons en minoritaire avec d’autres fonds, pouvant être des fonds corporate, des fonds de filières, des investisseurs en capital risk ainsi que d’autres fonds du ministère ou interministériels. Nous pouvons investir avec les fonds du secrétariat général pour l’investissement (SGPI) mais aussi avec le fonds Definvest, porté par le ministère des armées et des anciens combattants. Il s’agit donc plutôt d’un succès, à la fois dans son fonctionnement et dans le fait que nous parvenons à élargir sa surface financière.

Mme Anna Pic (SOC). Il semble évident que nous devons rassurer nos collègues du bloc central. Le groupe parlementaire Socialistes et apparentés a particulièrement montré la nécessité de la marche de 3 milliards d’euros lors du débat sur la LPM. Nous ne sommes pas des adeptes du chaos. Ainsi, nous ne doutons pas qu’après que nous ayons mis fin à la « méthode Barnier » et à un budget qui met en danger tant la croissance que le budget des Français, le président de la République nommera un premier ministre qui saura trouver les voies et méthodes pour prendre acte de l’absence de majorité à l’Assemblée et faire les compromis nécessaires pour établir un texte budgétaire, après la loi spéciale que nous voterons dans les prochains jours, au début de l’année 2025. Ce texte sera alors voté.

Puisque nous avons l’intérêt collectif au cœur, nous avons effectivement constaté depuis l’annonce du passage à l’économie de guerre plusieurs goulets d’étranglement, dans un contexte où les commandes passées aux industriels ont déjà doublé en une décennie, passant de 9,5 milliards d’euros en 2012 à 20 milliards d’euros en 2023.

Un certain nombre de dispositifs et d’actions menées par l’État, en la faveur de sous-traitants notamment, ont permis de densifier le maillage territorial. Nous ne doutons pas des efforts menés par la DGA pour faire en sorte que nos entreprises de la BITD, petites ou grandes, puissent travailler dans les meilleures conditions afin de répondre aux attentes exprimées par le pouvoir politique. Il n’en reste pas moins que tous ces efforts pourraient s’avérer insuffisants compte tenu de l’évolution du contexte géopolitique et de la trajectoire budgétaire. En effet, le budget de la mission défense atteint péniblement les 2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024.

Comme le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale l’exprimait lors de son audition devant notre commission, est-il bien pertinent de doubler le nombre de chars Leclerc quand nos partenaires disposent d’un grand nombre de chars Leopard ? À cet égard, comment la DGA collabore-t-elle avec ses partenaires européens et au sein de l’OTAN pour renforcer nos capacités et faire face à la montée de la conflictualité ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Les programmes en coopération se font effectivement aux niveaux européen, bilatéral et de l’OTAN.

Je ne reviendrai pas sur le dimensionnement de nos capacités. Je rappelle que ce n’est pas la DGA qui définit le besoin, mais bien les états-majors des armées. Tout cela a été construit dans une la programmation militaire et dans un contexte qui a évolué significativement entre le début de la préparation de cette loi, en septembre 2022, et sa signature, à l’été 2023, avec de nouvelles missions et une évolution du contexte à l’origine d’enjeux et de conséquences sur le développement capacitaire. Nous n’allons pas le nier.

Lorsque vous parlez des chars et des blindés, nous voyons bien qu’il y a un ajustement en fonction de l’évolution du contexte capacitaire. La LPM est une loi vivante, qui doit permettre de nous inscrire dans un mécanisme assez dynamique. Nous avons des outils pour cela, avec toutes les discussions autour des mises en place des mécanismes européens de l’EDIP, de l’ASAP pour les achats de munitions ou de l’EDIRPA pour les acquisitions communes d’équipements — qui est plutôt un succès.

Nous coopérons de manière assez pragmatique. Si nous voulons que notre industrie se transforme en vue d’être capable d’économie de guerre, il faut privilégier l’achat d’objets européens. Un certain lobbying existe bien évidemment sur cette question. Par exemple, nous nous attachons particulièrement, dans le cadre de l’EDIP, à l’éligibilité aux subventions européennes et aux mécanismes d’accompagnement. Nous sommes favorables à une préférence aux matériels qui sont conçus, développés, produits et utilisés en Europe, et sur lesquels il y a un retour d’expérience. S’il n’existe vraiment pas d’équivalent, nous devons en créer un ou nous fournir hors de l’Europe en fonction de l’urgence de la situation.

Par ailleurs, il faut que ces équipements soient interopérables. Un bon moyen d’atteindre cette interopérabilité est, par exemple, le programme Capacité motorisée (CaMo), qui vise à mutualiser des capacités de combat terrestre futur sur le modèle Scorpion, avec l’utilisation des mêmes équipements — les véhicules Serval et Griffon, les engins Jaguar, le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) mais également des systèmes d’information communs comme le système d’information pour le combat Scorpion ou encore les équipements du fantassin. Ce programme nous permet de procéder à des exercices communs sur les mêmes bases. Nous avons très récemment eu l’occasion de montrer au roi des Belges la réalité de l’engagement commun des militaires belges, français et luxembourgeois, dans un programme tout à fait illustratif en ce sens.

Évidemment, nous avons toujours la volonté de rester dans un cadre qui nous permet l’interopérabilité au sein de l’OTAN. Ce n’est pas toujours facile. En effet, je me suis déjà exprimé devant cette commission pour rappeler que le terme « interopérabilité » ne signifie pas « ITAR-opérabilité » et que nous devons faire un peu attention à ce que nous faisons. Néanmoins, nous travaillons avec l’OTAN dans le domaine de l’innovation et des équipements, ainsi qu’avec l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), en Europe, pour concevoir des systèmes qui soient évidemment interopérables dans un tel contexte.

Mme Valérie Bazin-Malgras (DR). Je tiens, au nom du groupe parlementaire Droite républicaine, à vous remercier, ainsi que nos industriels de la BITD et nos militaires pour leurs efforts au quotidien au service de la Nation.

Face aux tensions géopolitiques croissantes et à la montée en puissance des conflits de haute intensité, la capacité de la France à entrer rapidement en économie de guerre est un enjeu majeur pour garantir notre autonomie stratégique et notre capacité à répondre à une crise prolongée. Nous savons l’importance d’accélérer les rythmes d’innovation et de production, notamment pour les munitions, l’armement et les composantes critiques.

Quels sont, selon vous, les principaux freins industriels, réglementaires ou financiers qui limitent aujourd’hui cette capacité d’adaptation ? Comment l’État, en collaboration avec les industriels, peut-il mieux anticiper ces besoins pour éviter des ruptures dans nos chaînes d’approvisionnement stratégiques, tout en maintenant une compétitivité à l’échelle européenne et internationale ? Et enfin, quelles priorités identifiez-vous pour renforcer notre base industrielle de technologie de défense dans les années à venir, notamment dans un contexte où l’agilité et la rapidité sont devenues essentielles ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Certaines thématiques ont déjà été évoquées lors de mes propos liminaires.

Nous sommes véritablement dans une situation qui nous amène à rattraper des années de décélération depuis la fin de la guerre froide. Nous ne demandions pas à nos industriels de pas produire en grande quantité et rapidement. De plus, nous leur avons demandé de produire des choses extraordinairement performantes qui répondaient aux impératifs de la guerre choisie. Aujourd’hui, deux conflits nous apportent des retours d’expérience et nous conduisent à renforcer notre industrie de défense dans tous les domaines, en nous tournant vers davantage d’innovation, d’intelligence artificielle pour le ciblage, de basses technologies, de volume et d’armes d’usure plutôt que d’armes de décision. Nous sommes donc conduits à produire en quantité bien supérieure, à une époque où nous payons le fait d’avoir choisi d’être dépendants d’autres Nations en termes de matériaux, de technologies et d’avoir fermé les compétences essentielles sur notre territoire. En même temps, nous devons toujours être en mesure de délivrer des armes extrêmement performantes et puissantes. De plus, ce qu’il se passe au Proche et Moyen-Orient montre aussi l’utilisation de ciblages très précis ou de capacités de renseignement, qui font également partie des priorités que nous devons mettre en place dans le cadre de cette économie de guerre.

Le premier frein est le fait que, lorsque nous donnons de la visibilité à de grands maîtres d’œuvre industriels, cette visibilité doit ruisseler sur l’ensemble de la chaîne de sous-traitance, ce qui est — et je ne leur jette pas la pierre — compliqué pour eux aussi. En effet, à partir d’un certain niveau, il existe une dilution de cette chaîne. Lorsque nous la déplions, nous nous rendons compte que chacun doit être en mesure d’accélérer mais aussi qu’il existe une certaine interdépendance, de telle sorte que, si nous accélérons sur un axe, nous pouvons décélérer sur un autre. Les études réalisées pour l’accélération du développement du missile Aster nous indiquent qu’il faut être prudents, car toucher à certains éléments de la chaîne de sous-traitance au profit de l’Aster diminue l’efficacité d’autres chaînes également prioritaires. Cette problématique constitue un véritable frein, très compliqué.

Le deuxième frein est le financement des PME et tout ce qui s’y rapproche.

Le troisième frein est relatif aux ressources humaines. Neuf métiers sur dix sont en tension au sein de l’industrie de défense. Il y a la problématique du domaine mais aussi celle des bassins d’emploi. Dans certains bassins d’emploi, nous ne trouvons pas de personnes spécialisées, en mesure d’occuper le poste et disposées à travailler en trois-huit ou en cinq-huit étendus.

Nous sommes obligés d’engager un certain nombre de travaux dans les régions sur le sujet des ressources humaines. Nous avons mis en place des attachés de l’industrie de défense en région (AIDER) auprès des présidents de région, pour que les régions nous apportent toute la visibilité sur ces bassins d’emploi et sur ces filières. J’ajoute que les écoles internes à la DGA n’existent plus. Nous devons donc aussi travailler sur la formation, pour apprendre des compétences essentielles aux personnes disposées à travailler. Nous avons engagé un travail avec France Travail sur ce sujet. Un forum est d’ailleurs prévu en mars 2025. De plus, nous avons également réalisé un recensement des postes ouverts et immédiatement disponibles. Je tiens à souligner que 10 000 postes sont immédiatement disponibles dans les industries de défense, partout en France. Nous vous donnerons tous les éléments permettant de vous connecter aux représentants des PME.

Enfin, la réserve de l’industrie de défense nous permet de répondre à cet enjeu. Je rappelle que cette réserve est composée de volontaires (industriels, jeunes retraités, experts ou personnes voulant simplement collaborer) prêts à donner de leur temps pour aider leur industrie ou d’autres industries à monter en cadence, en production ou en compétences. La cible est de 3 000 réservistes. Nous avons déjà signé un certain nombre de conventions, avec KNDS, Arquus, Verney-Carron, Vistory ou encore Naval Group. Nous faisons donc actuellement monter cette réserve. Le principe est que nous formons ces volontaires, à notre charge, en échange d’un engagement à servir dans cette réserve. Ce dispositif est assez nouveau et nous permet de pallier la suppression de ces écoles de formation. L’expérience de personnels habitués aux fonctions très techniques ou de production est extrêmement utile. Nous travaillons d’ailleurs sur la constitution d’un vivier de réservistes de l’industrie de défense et au-delà de cette seule industrie, à savoir des personnes qui viendraient de l’industrie civile pour aider l’industrie de défense, notamment dans l’optimisation des chaînes de production.

Mme Josy Poueyto (Dem). Ma question se fait l’écho de l’une de mes précédentes interventions, lors de l’audition des représentants de la BITD, portant sur les conséquences du développement de l’innovation. Il ne s’agit pas de remettre en cause une des priorités fixées dans la LPM mais plutôt de voir si l’innovation est en mesure de servir encore davantage nos armées dans tous les cas de figure.

En effet, à l’heure du numérique et de la haute technologie, nos armées ont aussi besoin d’équipements dotés d’architecture ouverte aux spécialistes de la DGA ou du ministère des armées et des anciens combattants, lesquels sont les seuls à connaître la réalité d’une menace à un instant précis. L’objectif serait donc de procéder à des adaptations continues des systèmes face à ces menaces qui évoluent très vite.

On me dit que les industriels ne seraient pas prêts à partager des informations de cet ordre au nom de la propriété intellectuelle. Pourtant, les militaires sont dans l’attente d’une évolution favorable dans ce domaine. Existe-t-il des arguments de blocage ? Où en est ce débat ? Quelles solutions permettraient de répondre tout aussi bien aux contraintes de la propriété industrielle qu’aux contraintes des armées ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Il me semble important, surtout pour une administration un peu moins connue que les autres, comme la DGA, d’être assez transparent et informatif vis-à-vis de la représentation nationale, qui peut d’ailleurs nous aider dans un certain nombre de cas. Cela a d’ailleurs été le cas pour la LPM, avec la mise en place de ces mesures réglementaires qui nous sont aujourd’hui fort utiles.

Concernant le développement de l’innovation, 10 milliards d’euros sont consacrés à l’innovation dans la LPM. Cette innovation concerne tous les domaines, y compris des grands domaines nous demandant de faire des ruptures technologiques. Toute une partie est donc dédiée à la mise en place de démonstrateurs dans le domaine du quantique, de l’hypervélocité ou encore des armes à énergies dirigées.

Effectivement, une difficulté inhérente à notre métier est de concevoir des systèmes pour le temps long, avec des technologies que nous ne connaissons pas encore à bord. Il faut évidemment que l’architecture de nos systèmes leur permette de rester en première ligne et ne soit pas obsolète dès leur mise en service. Concernant la mise en service, des équipes travaillent déjà sur le démantèlement des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération qui ne sont pas encore construits, car ce démantèlement doit être prévu dès le neuvage et la conception du système. Quand je vous parle de temps long, il s’agit de temps vraiment très long.

Les architectures ouvertes sont l’un des moyens d’arriver à cet objectif. Elles permettent de concevoir des coques sans concevoir tout de suite leurs systèmes de combat, par exemple dans le système naval, et de nous dire que nous n’aurons pas à reconstruire un bateau de manière importante le jour où il faudra changer de système de combat. Ce point est compliqué parce qu’il faut tout de même une architecture. Nous ne pouvons pas nous permettre de concevoir un bateau en nous disant que nous allons faire son architecture numérique à la fin. Il y a des points communs entre le temps court et le temps long, à savoir cette architecture, et nous espérons que nous serons capables de la faire progresser.

Pour faire progresser cette architecture, il faut aussi des standards et l’accord des industriels. Il existe des discussions avec les industriels sur ce point parce qu’effectivement, tous n’acceptent pas. Se cacher derrière la confidentialité n’est pas une bonne chose. Il faut simplement que nous nous mettions d’accord sur des standards, comme nous sommes en train de le faire. Dans le projet comme Artemis.IA, qui vise à créer un socle commun pour les projets d’intelligence artificielle, le but est que nous proposions un socle et que chaque industriel plugge son système sur celui-ci. Le vrai problème est le partage des données, qui constitue un sujet extrêmement prégnant au sein du ministère, sur lequel nous travaillons.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). Lors de mes auditions pour le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », certains auditionnés ont parfois regretté la difficulté du passage à l’échelle, c’est-à-dire le délai entre l’expérimentation et la commande publique. Ce délai met dans certains cas les PME dans des situations financières critiques, au point que certaines d’entre elles envisageaient de ne plus répondre aux appels à projets. Je voudrais savoir comment vous prenez en compte, dans vos relations avec les PME, cette vraie problématique de survie d’un certain nombre d’entre elles.

Par ailleurs, la DGA a quand même une culture d’excellence — pour ne pas dire perfectionniste — c’est-à-dire que vous cherchez toujours le meilleur et le plus performant. J’ai cru comprendre, dans le discours du ministre des armées et des anciens combattants, que, dans certains cas, nous ne sommes peut-être pas obligés d’aller jusqu’à l’excellence. J’aimerais savoir comment vous prenez en compte cette nouvelle vision dans vos modes de fonctionnement et surtout qui va veiller à ce que nous ne soyons plus dans l’hyperexcellence en permanence.

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Effectivement, le sujet du passage à l’échelle a mené à la création de l’agence de l’innovation de défense. Si nous n’avions pas rencontré cette difficulté, nous ne nous serions pas interrogés sur la manière d’accélérer. Depuis le début, nous avions ce sujet en tête. J’ai déjà expliqué la mise en place du comité de passage à l’échelle.

La raison de tout cela est que nous avons beaucoup d’expressions de besoins mais ces dernières sont désincarnées. En 2019, j’avais fait voler Franky Zapata au-dessus de la Manche sur son Flyboard Air. Nous avions demandé l’expression de besoins d’utilisation d’un tel système, que nous avions commencé à trouver intéressant, dans les armées. Or nous avons mis un an à l’obtenir. Sans sponsors prêts à s’engager sur la mise en place d’une innovation — que nous devons être capables d’activer —, cela ne fonctionne pas. De plus, cela ne fonctionne pas si cela prend trop de temps, car, par définition, l’innovation sera déclassée au moment où elle sera mise en service.

C’est pour cette raison que nous avons cherché à mettre en place les nouveaux modes de fonctionnement. Un mode, appelé partenariat de l’innovation, fonctionne très bien sur le papier mais était un peu lourd. Nous avons réussi à le simplifier. Nous faisons par exemple du partenariat de l’innovation dans le domaine du quantique. Dans la mesure où nous ne savons pas quelle technologie ou quelle société gagnera, nous en choisissons cinq, au départ, auxquelles nous octroyons la même somme. Nous demandons une démonstration au bout d’un certain jalon, ce qui permet de garder les plus prometteuses. Évidemment, au fur et à mesure, nous parvenons à financer ces sociétés et à faire en sorte que celles qui ont participé à ce partenariat ne l’aient pas fait gratuitement. Ce point est assez important, car il s’agit d’une nouvelle manière de mettre en place des mécanismes de simplification dans la façon dont on conduit ces consultations.

Concernant la commande, rappelons tout d’abord qu’il ne faut pas que les sociétés, surtout petites, se consacrent exclusivement à la défense, ce qui tuerait leur activité. Travailler pour la défense est particulièrement prestigieux, ce qui peut inciter les entreprises à y consacrer toute leur activité. Or des retards d’un an ou des restrictions à l’export peuvent survenir et risqueraient d’entraîner des difficultés de financement. Nous visons donc vraiment des sociétés dont nous allons encourager la dualité. Il peut être un peu frustrant que nous ne passions pas nos commandes tout de suite mais cela encourage les sociétés à ne pas avoir cette seule ligne dans leur business model. Ce n’est pas parfait mais nous essayons de nous corriger.

Quelques exemples me viennent en tête de dirigeants d’entreprise ne sachant pas à quel interlocuteur s’adresser au sein de la DGA. Or j’ai moi-même dirigé treize PME et, chaque fois que j’ai rencontré une difficulté, j’ai essayé de trouver une solution. Certains patrons sont assistés et attendent d’être « pris en main ». C’est du darwinisme économique. Les innovateurs doivent également être innovateurs dans leur fonctionnement. Il est très rare que cela se passe de cette façon mais cela arrive. Nous avons mis en place tous les mécanismes. Nous pouvons communiquer toutes les coordonnées du guichet unique et le numéro vert spécial pour les PME, à savoir le 0800 02 71 27. Nous avons également fait des erreurs. Toutefois, en face, il faut que les gens soient volontaires et capables d’aller jusqu’au bout.

Concernant la surexcellence technologique, ma première réponse est la systématisation des mécanismes d’analyse de la valeur du besoin et de la valeur technique. J’avais signalé ce point devant la commission. Dans certains cas, nous déterminons des exigences parfaites. Nous nous demandons par exemple si un missile fait pour fonctionner de manière nominale, dans la limite des exigences de sécurité, à — 40 ou — 50 degrés vaut opérationnellement le coup. Si la réponse est négative et qu’une telle fabrication coûte 30 % de plus, ce n’est peut-être pas la peine de le produire, car nous ne l’aurons peut-être jamais ou plus tard et pour beaucoup plus cher. Si c’est difficile à faire pour les programmes qui sont déjà lancés, c’est aujourd’hui absolument systématique pour tous les nouveaux programmes.

Ensuite, nous avons également mis en place de nouvelles démarches, pour tous les projets pour lesquels le délai est un critère prioritaire. C’est ce que nous avons appelé la force d’acquisition réactive, qui pilote une vingtaine de projets afin que nous puissions les voir le plus vite possible. En tout état de cause, pour l’innovation, c’est entre aujourd’hui et trois ans.

De plus, il existe des comités de revue des exigences, qui nous permettent de spécifier ce dont nous avons besoin et d’éviter ces pelures d’oignon d’exigences de plus en plus contraignantes, y compris des exigences légales et inutiles parce que le Code des marchés publics permet déjà beaucoup de choses.

Un autre élément est la mise en place, dans toutes nos exigences, d’un critère de productibilité. En effet, depuis des années, nous avons l’habitude de faire exclusivement du développement et de la recherche. Le but est aujourd’hui de nous demander si un projet est productible et exportable. Ce sont des exigences nouvelles, qui ne sont pas des surexigences et sont à mon avis fondamentales.

Nous avons par exemple un projet de robot démineur pour l’armée de terre, pour lequel nous avons fait un hackathon entre les équipes de la DGA, du commandement du combat terrestre futur et de Renault. Chacune des quatre équipes a proposé un projet d’une manière différente. Une équipe nous a permis de déterminer que nous aurons ce robot pour un montant quatre fois moins cher et dans un délai deux fois plus rapide, car nous mixons des approches différentes.

Ce point et la réorganisation de la DGA nous permettent très concrètement d’entrer dans une nouvelle ère. Quand le ministre a évoqué ces sujets à Vert-le-Petit, il n’a pas dit que nous devons le faire maintenant mais qu’il faut poursuivre la démarche que nous avons engagée depuis deux ans sur l’ensemble de ces processus.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je cède la parole aux députés pour leurs questions individuelles.

Mme Florence Goulet (RN). Le président de la République a parlé d’économie de guerre et incité les industriels français à produire plus et plus vite. Encore faut-il avoir un matériel à produire, ce qui n’est malheureusement pas le cas des chars de combat, puisque la chaîne de production du Leclerc est arrêtée depuis 2008 et que le projet franco-allemand MGCS, lancé en 2015, est loin d’être opérationnel et semble même s’éloigner de plus en plus, puisqu’on parle maintenant d’une mise en service en 2040.

Pendant ce temps, de nombreux pays européens réarment à grande vitesse avec divers matériels américains, israéliens ou sud-coréens, et des chars allemands. En effet, les industriels de notre voisin se sont rapidement adaptés à cette nouvelle donne en proposant des versions modernisées du Leopard 2 et du Panther et KNDS Deutschland a aligné les commandes en Europe, en sus des 18 premiers commandés par l’armée allemande pour remplacer les Leopard 2A6 envoyés en Ukraine. Quel est votre éclairage sur ce sujet ? La DGA envisage-t-elle une version modernisée du Leclerc afin de préserver les compétences de notre industrie de défense dans ce domaine, voire de concurrencer l’Allemagne sur ce marché ? Sinon, sommes-nous condamnés à nous passer de chars de combat ou à acheter des Leopard 2 après les fusils HK416 ?

Mme Gisèle Lelouis (RN). L’incident survenu lors de l’entraînement DEFNET de mars 2024, où un Griffon a été temporairement mis hors combat à la suite d’une cyberattaque utilisant un télémètre militaire, soulève de sérieuses préoccupations quant à la sécurité informatique des systèmes embarqués dans nos véhicules blindés multirôles. Cet événement a démontré non seulement la vulnérabilité des véhicules Griffon face à des cyberattaques tactiques, mais aussi les implications opérationnelles graves que cela pourrait entraîner sur le terrain en compromettant à la fois la mobilité et le réseau de communication de l’armée.

Cet incident illustre un défi central dans le cadre de la montée en puissance de notre économie de guerre, à savoir garantir que nos capacités opérationnelles ne soient pas compromises par des vulnérabilités technologiques.

Dans ce contexte, la montée en cadence de la production et l’adaptation rapide de nos équipements face aux menaces émergentes sont essentielles. Ainsi, compte tenu de l’urgence stratégique, comment l’industrie de défense s’est-elle mobilisée pour intégrer des solutions de cybersécurité robustes dans les véhicules déjà produits, tout en accélérant la cadence de production des nouveaux modèles pour répondre aux besoins opérationnels ?

M. Romain Tonussi (RN). La guerre en Ukraine a montré l’importance d’une mobilisation rapide de l’industrie de défense pour répondre aux besoins opérationnels en matériels et équipements.

Pourtant, en France, les PME, qui pourraient jouer un rôle clé dans cette mobilisation, se heurtent à la complexité des cahiers des charges de la DGA et aux longs délais nécessaires pour obtenir l’homologation de leurs produits. Ces obstacles freinent leur capacité à accéder efficacement aux marchés publics et à répondre aux impératifs d’innovation.

Ainsi, quelles réformes concrètes prévoyez-vous pour réduire les délais d’homologation et simplifier les processus administratifs afin d’assurer une pleine mobilisation du tissu industriel de défense, notamment des PME, dans un contexte de crise majeure ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. J’ai déjà répondu à une partie de vos questions, monsieur le député, en évoquant les démarches sur la simplification des cahiers des charges, les partenariats d’innovation, la simplification des exigences de besoin et la comitologie.

L’instruction ministérielle n° 1618 est en vigueur pour la conduite des opérations d’armement. Sachez que nous la ferons évoluer, au moins dans son guide d’application. Il s’agit d’analyser les impacts de cette évolution sur les opérations d’armement. Toutefois, il est très clair que nous n’allons pas traiter une PME comme nous traitons Naval Group lorsqu’ils construisent un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE). Si cette critique pouvait auparavant être formulée, nous sommes vraiment sur le chemin de la résolution.

Par exemple, concernant les cahiers des charges, la documentation abondante demandée par les équipes de la DGA aux différentes petites entreprises est souvent évoquée. Or de nombreux exemples montrent que ce sont les maîtres d’œuvre industriels qui, pour se prémunir de tout recours vis-à-vis de la DGA, demandent à leurs sous-traitants des choses que nous ne demandons pas. Je ne jette pas l’opprobre sur les industriels de la défense, dont nous avons vraiment besoin. Néanmoins, il faut être conscients que les exigences documentaires que nous publions sont parfois assez significativement augmentées par des mécanismes de protection juridique ou de protection qualité des maîtres d’œuvre industriels, voire de leurs sous-traitants de premier ou deuxième rang. Nous n’avons pas forcément ni la connaissance ni la maîtrise de ce sujet.

Ce travail commun de simplification, qui a d’ailleurs donné lieu à un séminaire d’une journée conjointe avec le ministère des armées et des anciens combattants ainsi que les industriels au printemps dernier, se poursuivra. Nous réalisons quelques expérimentations assez ciblées pour déterminer comment nous pouvons nous prémunir de ce type de problème.

Par ailleurs, le char lourd est évidemment une préoccupation. J’ai déjà dit dans cette enceinte que nous ne faisons pas n’importe quoi et je continue de le dire. Nous avons évidemment étudié le fait de pouvoir prolonger le char Leclerc jusqu’en 2040. Nous nous donnons les moyens et le temps du choix. Je rappelle aussi que le système principal de combat terrestre (MGCS) n’est pas le successeur du Leclerc et que nous ne préfigurons en rien la nature du char lourd qui sera, le cas échéant, à l’intérieur du MGCS. En effet, il s’agit de moyens de combat terrestres avec des ailiers « scorpionisés », dronisés et dans un cloud de combat. Il est possible de se dire que les Allemands pourraient disposer d’un char lourd différent du char lourd français dans le même projet MGCS, ce qui ne me choquerait pas. Cela serait financé sur fonds propres. Mais, dans le cadre du projet, nous essayons d’avoir cette architecture de système de systèmes qui nous permet de préparer le système de combat futur.

En outre, nous avons évidemment des plans B. Nous soutenons nos champions français, et notamment ceux qui innovent sans arrêt. Je pense par exemple au canon Ascalon, innovation majeure qui montre que nos industriels sont capables de considérer des systèmes qui sont nativement en mesure d’effectuer du maintien en condition opérationnelle (MCO) effectif, car, sur l’Ascalon, l’idée est de pouvoir changer le canon d’une tourelle en moins d’une heure, ce qui est tout à fait nouveau et peut s’adapter sur une tourelle d’un partenaire. Nous disposons donc d’un nombre de possibilités qui nous permet de pallier le fait que nous avons fermé des chaînes et des usines de production et le fait que nous nous sommes rendus dépendants de certaines choses. Ce n’est pas en deux ans que tous les problèmes peuvent être résolus, mais cette progression militaire et sa déclinaison au combat blindé sont justement faites pour nous éviter tout trou ou rupture capacitaire dans les années concernées.

Par ailleurs, il est bénéfique que l’incident lié au Griffon soit apparu lors d’un exercice. Les exercices visent en effet aussi ce type de découverte. Un objet est d’autant plus vulnérable qu’il est sophistiqué, capable du combat collaboratif et connecté. Ce point constitue effectivement une préoccupation. Cela signifie que nos systèmes d’armes doivent être « cyber resilient by design ». Cette exigence nécessite de concevoir des architectures cyber résilientes, ce qui est le rôle d’architecte du système de défense de la DGA dans le numérique et dans le cyber. Toutefois, il faut aussi que les usines soient cyber résilientes et qu’il n’y ait pas des failles qui puissent apparaître dans la production de nos matériels ou dans la fabrication des chaînes. Ce point constitue une préoccupation.

J’ai inauguré il y a trois semaines, aux côtés de MBDA, la nouvelle usine de Matra Electronique, située à Venette. L’une des premières questions que l’on se pose, au regard du degré d’automatisation de cette usine, est de savoir si elle est cyber résiliente. Or la réponse est positive et ce point a été conçu en premier. Il s’agit d’une démarche vraiment partenariale avec les différents industriels d’armement.

Nous avons introduit un référentiel de maturité cyber. Si nous pouvons compter sur les facultés de cyber résilience des grands industriels de la défense, les sociétés moins expérimentées, plus petites et plus rapides sont moins familiarisées à ces sujets. Un conseil pour la cybersécurité de l’industrie de l’armement a été mis en place au mois de juin.

De plus, nous avons un certain nombre de dispositifs, tels que DIAG-CYBER, financé à 50 % par Bpifance et dont la DGA assure le suivi. Notre objectif est d’accompagner environ 600 entreprises sur trois ans pour un montant de 2,6 millions d’euros, via ce programme diagnostic ou un autre programme analogue. Évidemment, nous travaillons avec l’ensemble des partenaires concernés — agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), COMCYBER ou encore experts techniques de DGA Maîtrise de l’information — afin de minimiser les risques dans ce domaine. Néanmoins, toute innovation crée ses propres risques. Il nous revient d’y répondre de la manière la plus rapide, efficace et agile possible.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). La stratégie pour l’industrie de défense européenne s’appuie sur plusieurs instruments, dont le programme d’investissement EDIP, qui vise à réapprovisionner et acquérir de nouveaux équipements de défense. Les négociations entre les États membres sont en cours et semblent particulièrement âpres sur les critères d’éligibilité. En règle générale, ne peuvent pas être financés des produits de défense qui font l’objet de restrictions. Or on pense naturellement aux restrictions de type ITAR.

Concernant la part des composants étrangers autorisés dans le produit final, le niveau maximum est fixé à 35 % de la valeur totale du produit. Le principe d’instaurer une autorité de conception a été avancé par la partie française. Cela peut-il permettre de sécuriser, voire de dupliquer, certains composants critiques ? Que pouvez-vous nous dire des positions françaises quant aux négociations en cours ?

M. Thibault Monnier (RN). « On peut rester vingt-quatre, s’il le faut même trente-six heures sans manger ; mais l’on ne peut rester trois minutes sans poudre », disait Bonaparte. Sans poudre, il n’y a pas de guerre possible. Si la réouverture, par Eurenco, de l’usine de poudre à Bergerac rassure pour l’équipement en obus, la France reste critique en munitions par l’abandon de son industrie de petit calibre avec GIAT Industries, au Mans, et le rachat de Manurhin par la société émiratie EDIC. Depuis, elle s’en remet à l’international pour s’équiper.

L’une des missions de la DGA est l’acquisition de munitions complexes et classiques et le ministre vous a confié en décembre dernier une étude sur la viabilité économique de la relance d’une filière nationale de munitions de petits calibres. En effet, une filière nationale de 9 millimètres, couplé à du 5,56 millimètres, permettrait de répondre aux besoins des forces de sécurité intérieure et de l’armée. Ainsi, êtes-vous favorable au retour de cette filière pour retrouver une autonomie souveraine dans ce domaine ? Le ministre annonce un rapprochement avec la Belgique. Est-ce la voie d’un projet à vocation européenne ?

Mme Marie Récalde (SOC). Je ne vous cache pas mes grosses interrogations, voire mes inquiétudes, concernant EDIP. Que pensez-vous de l’idée de créer une DGA européenne ? Existe-t-il un risque de démantèlement de la souveraineté de la France ? Lorsque, par exemple, nous nous associons aux Allemands et aux Espagnols pour le système de combat aérien du futur (SCAF), pourquoi les Allemands achètent-ils aux États-Unis ?

Mme Alexandra Martin (DR). Un enjeu majeur de notre siècle est celui de la transition énergétique et nos entreprises de défense ont pour ambition de répondre à celui-ci en facilitant l’accès aux énergies non fossiles, en préservant des ressources naturelles et en permettant une production industrielle durable.

Parallèlement, les militaires se voient simultanément confrontés à des besoins énergétiques croissants de leurs équipements en raison de nouvelles capacités technologiques, d’une multiplication de matériel électronique ou d’informations et de communications énergivores nécessitant des puissances électriques supplémentaires.

Si les grandes puissances mondiales affichent une ferme volonté politique de réduire leur consommation énergétique, les perspectives militaires tablent sur des besoins énergétiques croissants. Comment les entreprises de défense pourront-elles concilier la transition écologique avec le maintien des performances de production des matériels de guerre ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement. Concernant le programme EDIP, je me suis récemment rendu à Bruxelles pour réaffirmer la position française, assez isolée au départ et qui fait aujourd’hui davantage consensus. Notre vigilance particulière vis-à-vis des mécanismes d’EDIP concerne évidemment les mesures relatives à la sécurité d’approvisionnement. Vous m’avez questionné sur la création de ce nouveau cadre et avez mentionné une DGA européenne. Je vous rappelle que la DGA n’effectue pas que de l’acquisition, mais aussi des essais et de la conduite de projets. Nous sommes effectivement extrêmement vigilants quant au risque de duplicatas ou d’éléments qui empiéteraient sur les prérogatives des États membres. Je note l’existence d’une nouvelle gouvernance, intitulée Defense Industrial Readiness Board. Le but est d’aboutir et de converger vers une position qui soit acceptée avant le passage à la nouvelle présidence, surtout compte tenu de ce que nous pouvons observer de l’actualité outre-Atlantique.

Nous travaillons donc évidemment sur ces critères d’éligibilité. L’autorité de conception, le développement, la production en Europe — avec, évidemment, le recours à des composants étrangers qu’en cas d’absence de substituts européens — ou encore la protection des développements — que nous effectuons aussi au Fonds européen de défense — font partie des lignes sur lesquelles nous nous battons dans le cadre de cette nouvelle réglementation et de cette nouvelle politique. Il en va de même pour la gouvernance.

De plus, j’ai une vigilance toute particulière sur le fait que les États membres doivent conserver le capacitaire à leur main. Il faut donc trouver cette bonne formulation juridique pour nous permettre d’inscrire ce principe dans le texte et être vigilants à ce que seuls des objets programmés au niveau national, mais relevant d’un véritable intérêt commun, puissent être proposés.

Un autre sujet est le contrôle des exportations. Je rappelle que le contrôle export doit rester la prérogative des Nations. Ce point représente pour nous une véritable ligne rouge, et, évidemment, un sujet majeur de vigilance sur le communautarisme d’un contrôle d’exportation qui pourrait être envisagé.

La position que nous défendons est donc un refus des duplications, notamment de l’OCCAr, l’idée que le capacitaire doit être aux mains des Nations et une prudence quant à la gouvernance, à l’éligibilité et aux exportations.

 Par ailleurs, je rappelle que, sauf erreur de ma part, seules les munitions de 9, 5,56 et 7,62 millimètres sont considérées comme des munitions de petit calibre. La position sur ce sujet a effectivement été réactualisée. Si nous ne pensions pas, il y a quelques années, avoir besoin d’une filière nationale de munitions de petit calibre, nous nous sommes réinterrogés au regard de l’évolution du monde. Nous nous rendons compte que le besoin des armées est effectivement d’être approvisionnées en priorité en munitions de 5,56 millimètres.

Une étude réalisée en quelques mois par la DGA confirme que nous pouvons exiger la localisation d’une usine en France au titre des intérêts essentiels de sécurité. Des discussions sont aujourd’hui en cours. Je ne vais pas vous en donner des résultats qui ne seraient pas encore connus, mais je confirme que la Belgique a déjà indiqué fortement sa volonté de candidater dans ce cadre.

Enfin, concernant la transition écologique, qui est un sujet extrêmement important, je voudrais tout d’abord dire que les armées et la DGA ne sont pas distinctes du reste de la Nation. Alors que le monde entier se détourne des énergies fossiles, nous ne pouvons pas nous dire que nous allons rester au diesel et au fioul aéronautique. Je rappelle que nous avons déjà commencé un certain nombre d’expérimentations, avec notamment des fiouls biosynthétiques, utilisés pour faire voler nos hélicoptères de combat. Ce point nous est apparu comme une priorité opérationnelle, car, le jour où nous aurons une dépendance trop forte à ces énergies et qu’elles ne seront plus disponibles, cela induira évidemment une contrainte opérationnelle majeure. De plus, d’un point de vue opérationnel, nous avons tout intérêt que tous nos équipements soient efficaces et sobres énergétiquement.

Ainsi, nous avons lancé un certain nombre d’études, notamment concernant l’électrification de systèmes, tels que le Griffon, et la non-dépendance aux énergies fossiles ou à de nouvelles sources d’énergie. Beaucoup de projets portent sur l’hydrogène et sur la transition énergétique. Un des scénarios de la Red Team, que je vous invite à lire, portait d’ailleurs sur une guerre de l’énergie, lors de laquelle des Nations en guerre ont l’interdiction d’utiliser au-delà d’un certain seuil d’énergie, ce qui induit des conséquences tout à fait directes comme le fait de conceptualiser comme doctrine d’emploi le vol d’énergie à des puissances compétitrices.

Au moment où nous observons des développements importants, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle embarquée, nous nous devons de travailler sur la sobriété énergétique des équipements embarqués, ce que nous faisons. Nous avons aujourd’hui des équipements de plus en plus puissants et miniaturisés, mais de plus en plus consommateurs. Nous nous demandons ainsi comment arriver à concilier sobriété énergétique et puissance naturelle pour atteindre les effets militaires dont nous avons besoin, tout en restant d’ailleurs dans des contraintes juridiques complexes. Nous devons également voir comment concilier les différentes normes, telles que la norme civile concernant l’embarquement de batteries au lithium, avec les exigences des besoins militaires. En tout cas, ce thème nous intéresse au premier chef.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.

 

 

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La séance est levée à douze heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Frédéric Boccaletti, M. François Cormier-Bouligeon, M. Alexandre Dufosset, Mme Sophie Errante, M. Thomas Gassilloud, M. Frank Giletti, M. Michel Gonord, Mme Florence Goulet, M. Daniel Grenon, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Abdelkader Lahmar, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, Mme Alexandra Martin, M. Thibaut Monnier, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, Mme Marie Récalde, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Arnaud Saint-Martin, M. Aurélien Saintoul, M. Thierry Tesson, M. Romain Tonussi, Mme Corinne Vignon

Excusés. - Mme Anne-Laure Blin, M. Manuel Bompard, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Chenevard, Mme Alma Dufour, Mme Catherine Hervieu, Mme Lise Magnier, Mme Mereana Reid Arbelot, M. Aurélien Rousseau, M. Mikaele Seo, Mme Sabine Thillaye, M. Boris Vallaud