Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Communication, ouverte à la presse, de Mme Amélia Lakrafi et M. Aurélien Taché, rapporteurs d’information sous la XVIe législature sur l’avenir de la francophonie, sur les enjeux du XIXe sommet de la Francophonie des 4 et 5 octobre 2024 2
– Informations relatives à la commission.....................18
Mercredi
2 octobre 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 2
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de Mme Éléonore Caroit,
Vice-présidente
— 1 —
La commission entend puis débat, de manière ouverte à la presse, d’une communication de Mme Amélia Lakrafi et M. Aurélien Taché, rapporteurs d’information sous la XVIe législature sur l’avenir de la francophonie, à propos des enjeux du XIXe sommet de la Francophonie des 4 et 5 octobre 2024.
La séance est ouverte à 15 h 45.
Présidence de Mme Éléonore Caroit, vice-présidente.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Avant de donner la parole à Mme Amélia Lakrafi et M. Aurélien Taché, je vais exceptionnellement permettre à des collègues qui en ont exprimé le souhait de s’exprimer à titre liminaire sur le fonctionnement de notre commission dans le contexte institutionnel que nous connaissons.
M. Pierre Pribetich (SOC). Merci Madame la vice-présidente. La nomination du nouveau gouvernement Barnier aurait dû conduire notre commission à auditionner le nouveau ministre de l’Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Noël Barrot. Or, tel n’a pas été le cas car celui-ci reste à ce jour président de notre commission des affaires étrangères, puisqu’il n’a pas démissionné.
Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je tiens à dénoncer cette situation de blocage, qui ne permet pas à notre commission de fonctionner normalement. Le bureau ne peut pas être réuni alors que la situation internationale l’exigerait, qu’il s’agisse de l’attaque de l’Iran, de la situation en Palestine ou au Liban. Je rappelle également que 97 otages demeurent captifs à Gaza, près d’un an après les attentats du 7 octobre perpétrés par l’organisation terroriste du Hamas.
Nos collègues Jean-Paul Lecoq et Arnaud Le Gall ont posé la question concernant la présidence de la commission. J’avoue avoir été surpris de l’argumentation selon laquelle la nomination de M. Barrot en tant que ministre ne conduit pas ipso facto à sa démission de la présidence de la commission : ceci est peut-être juste d’un point de vue juridique mais, sur le plan politique, cette situation nous pose un problème.
Mme Éléonore Caroit, présidente. J’entends tout à fait vos propos et je partage avec vous l’envie que notre commission puisse retrouver son fonctionnement normal le plus rapidement possible. Je tiens néanmoins à vous rassurer, dans la mesure où les réunions de commission ont bien lieu, à l’image de celle à laquelle nous participons actuellement. Sachez que je partage également votre volonté que nous puissions réélire un président ou une présidente de commission le plus rapidement possible.
M. Frédéric Petit (Dem). Je suis tout à fait d’accord avec les deux remarques qui ont été formulées par notre vice-présidente. La question relève du règlement de l’Assemblée nationale et est cadrée dans le temps. Ainsi, la démission de M. Barrot de la présidence de la commission interviendra au plus tard dans dix-huit jours.
Mme Dieynaba Diop (SOC). Je tiens pour ma part à vous interroger concernant la tenue du sommet de la Francophonie qui aura lieu vendredi 4 octobre. J’ai été assez étonnée que nous n’ayons pas reçu d’invitation, en notre qualité de commissaires de cette commission des affaires étrangères. Je trouve cela particulièrement dommageable et souhaiterais savoir de quelles marges de manœuvre nous pourrions disposer, afin que les membres de cette commission puissent justement se rendre à cette manifestation.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous sommes évidemment nombreux au sein de la commission et je comprends que les places puissent être limitées lors de la tenue de tels événements. Cependant, il me semble extrêmement important que notre commission puisse être représentée, au moins par quelques-uns de ses membres. Sachez qu’en compagnie de certains commissaires, je me bats en ce sens, afin que nous puissions être représentés dans un nombre très étendu de manifestations. À cet effet, je vous renverrai une liste des événements auxquels je vous propose que nous participions.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Nous sommes nombreux à avoir regretté de ne pouvoir être invités à ce sommet mais il convient de rappeler qu’il s’agit là d’un sommet de chefs d’État, qui réunit une soixantaine d’entre eux. Il est physiquement impossible d’inviter les 70 membres de notre commission, ainsi que les 150 membres de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).
Mme Éléonore Caroit, présidente. À défaut de pouvoir être tous présents, il faut qu’un compte rendu de ce type d’événements soit réalisé et que notre commission s’en saisisse.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je tiens à rappeler que sous la précédente législature, avec plusieurs députés, dont Sabrina Sebaihi et Éléonore Caroit, nous avions déjà évoqué ces sommets et événements internationaux. Il convient de les lister pour les porter à la connaissance du bureau et étudier la manière dont la commission pourrait y présenter une délégation. Ce travail mérite d’être relancé, ce qui implique au préalable de pouvoir réunir le bureau.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Je souligne que le bureau s’est néanmoins réuni cet été et que ce sujet y a été abordé. J’ai préparé une liste d’événements que nous devons finaliser et que je vous soumettrai. J’invite également chacun des commissaires à me faire part des sommets internationaux auxquels notre commission devrait être représentée, selon eux.
M. Michel Guiniot (RN). Je m’associe à un certain nombre de propos qui ont été tenus. Pour mémoire, je ne me souviens pas vous avoir entendu protester lorsque les parlementaires de la région n’ont pas été invités à l’inauguration du château de Villers-Cotterêts. On nous considère un peu comme des bovins qui regardent passer les trains.
Ensuite, il me semble urgent que notre commission puisse disposer d’un président. Je pense d’ailleurs que vous êtes plus proche du ministre actuel des affaires étrangères que nous ne le sommes. Il serait pertinent de pouvoir disposer d’une date le plus rapidement possible. Enfin, je ne peux que déplorer que le parti politique qui dispose du groupe le plus important en nombre à l’Assemblée nationale n’ait aucun représentant au sein du secrétariat ou de la vice-présidence de notre commission.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Je m’associe à la demande de régularisation rapide de la situation qui vient d’être formulée.
M. Stéphane Hablot (SOC). Je regrette à mon tour que des représentants de notre commission ne puissent assister à de tels événements. Députés, élus de la nation, nous ne sommes pas des potiches.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Je constate que nous partageons tous le souhait que notre commission soit mieux représentée dans les grandes réunions internationales. Nous allons à présent en venir à notre ordre du jour initial.
Chers collègues Amélia Lakrafi et Aurélien Taché, vous avez été chargés, lors de la précédente législature, d’un rapport d’information sur l’avenir de la Francophonie. La communication que vous allez nous présenter aujourd’hui vise à compléter les échanges que notre commission a pu avoir sur le sujet avec Mme Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de la Francophonie, que nous avons reçue le 17 septembre dernier.
Je tiens donc à souligner, à titre liminaire, que la communauté francophone est un acquis précieux et une cause fondamentale pour l’influence diplomatique de notre pays, dans un contexte de concurrence géopolitique et de lutte d’influence exacerbées. La langue française, qu’elle soit pratiquée au sein du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) ou des Alliances françaises, permet aussi à nos communautés des Français établis à l’étranger de maintenir et alimenter un lien étroit avec la France. Plus de 320 millions de personnes parlent français à travers le monde, ce qui en fait la cinquième langue la plus pratiquée. Le français est aussi la langue de scolarisation de 93 millions d’élèves, la deuxième langue la plus apprise et la quatrième langue la plus présente sur internet.
Le nombre de personnes qui s’expriment en français connaît une nette progression, de l’ordre de 8 % depuis 2018, partout dans le monde, et en particulier sur le continent africain. D’ici à 2070, le nombre de locuteurs francophones pourrait atteindre 750 millions et 90 % des jeunes francophones de moins de 30 ans résideront sur le continent africain, ce qui doit évidemment retenir notre attention.
La Francophonie, si elle s’appuie sur un vaste réseau culturel et d’enseignement français à l’étranger, repose aussi sur un dispositif institutionnel originel voué à promouvoir notre langue mais également à mettre en œuvre une coopération politique, éducative, économique et culturelle au sein des 88 États appartenant à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Au-delà de ces chiffres, nous devons collectivement nous interroger sur l’attractivité de la Francophonie comme un espace politique et un espace de coopération. À l’issue du XXVIe sommet des chefs d’État et de gouvernement du Commonwealth, qui s’est tenu à Kigali le 25 juin 2023, les États africains non anglophones du Togo et du Gabon ont rejoint cette organisation. Je pense que ce signal doit nous alerter à l’orée du XIXe sommet de la Francophonie.
Nos collègues Amélia Lakrafi et Aurélien Taché ont procédé à de nombreuses auditions et se sont rendus au Québec, mais aussi au Maroc et en République démocratique du Congo (RDC). Je leur laisse sans plus tarder la parole.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Mes chers collègues, je tiens à débuter cette intervention en adressant une pensée au Liban, à ses habitants et aux Français du Liban que je représente. Ce pays qui souffre depuis si longtemps, nous est pourtant si proche ; c’est un pilier de la Francophonie au Moyen-Orient.
Je voudrais également remercier le président de la commission, maintenant ministre de l’Europe et des affaires étrangères, d’avoir accepté que nous puissions vous présenter les travaux de notre mission réalisée sous la précédente législature. Nous avions auditionné près de 280 personnes, pendant près de six mois. Le sommet de la Francophonie se tiendra les 4 et 5 octobre ; le 4 à Villers-Cotterêts et le 5 au Grand Palais, à Paris. Il rassemblera 80 délégations, dont près de 60 au niveau des chefs d’État et de gouvernement.
L’attractivité de la Francophonie en tant qu’institution en sera sans doute attestée par l’adhésion de nouveaux membres. Le sommet va en effet se prononcer sur les demandes du Ghana et de Chypre de passer du statut de membre associé à celui de membre de plein droit, ainsi que sur les demandes de nouvelles adhésions de la part de l’Angola, du Chili, du Land de Sarre, de la Nouvelle-Écosse et, enfin, de la Polynésie française.
Les sommets de la Francophonie se tiennent tous les deux ans depuis le sommet de Versailles en 1986 et ils ont progressivement acquis un rôle de plus en plus important. Outre l’OIF elle-même, la Francophonie est un écosystème complexe, qui croise des initiatives et des intérêts, parfois convergents, parfois concurrents, et de nombreux acteurs. En effet, coexistent à la fois les initiatives de la France elle-même pour promouvoir la langue et la culture française dans le monde, mais aussi les politiques publiques de nos partenaires dans différents domaines. Je pense en particulier à l’action du Québec, du Canada, dans les domaines des politiques migratoires et de l’aide au développement. Nos partenaires belges sont très actifs à nos côtés pour promouvoir l’enseignement de la langue française auprès des fonctionnaires et des eurodéputés dans les institutions de l’Union européenne, qui sont si prompts, hélas, à basculer vers le tout anglais.
Je tiens à souligner que, loin de toute approche condescendante des pays du Nord, la Francophonie repose largement sur des initiatives venant du Sud. Par exemple, le Maroc voit dans l’Afrique francophone un vecteur de croissance sur le continent. La Côte d’Ivoire est très investie dans la Francophonie politique et économique, de même que le Sénégal. De nombreux pays de l’OIF engagent ainsi, à différentes échelles, des politiques propres de promotion de la Francophonie, parce qu’ils considèrent qu’ils ont intérêt à ce que leurs autres ressortissants parlent français ou que la Francophonie leur offre un espace de coopération et de dialogue adapté.
Le sommet va donc rassembler ces États autour de la secrétaire générale de la Francophonie mais traitera d’enjeux qui vont bien au-delà de l’OIF car d’autres organisations ou associations internationales jouent aussi un rôle majeur. Certaines sont qualifiées d’opérateurs par la Charte de la Francophonie : l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), l’Association internationale des maires de France (AIMF), le groupe TV5 Monde et l’université Senghor d’Alexandrie, auxquels s’ajoutent une assemblée consultative, l’Assemblée parlementaire de la Francophonie – je suis présidente déléguée de la section française et M. Fuchs en est le délégué général – et deux conférences ministérielles permanentes. L’AUF regroupe, par exemple, plus de 1 000 universités dans près de 120 pays, bien au-delà des frontières de la Francophonie institutionnelle que nous connaissons, notamment 63 universités algériennes, des universités en Chine ou en Inde.
D’autres organes francophones, comme l’Association internationale des régions francophones (AIRF) ne bénéficient pas du même niveau de reconnaissance institutionnelle dans la Charte, ce qui nous paraît constituer une anomalie à corriger. Il en est de même pour plusieurs associations de la promotion de la Francophonie des affaires. Enfin, il existe plus d’une centaine d’organisations rassemblées dans la Conférence des organisations internationales non-gouvernementales (COING). Certes, depuis le sommet de Djeddah, les acteurs reconnus par la Charte partagent un cadre stratégique mais l’articulation d’ensemble est encore à parfaire, ce qui constitue l’un des enjeux du prochain sommet.
Ces dernières années, la secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, a pu se concentrer sur un ambitieux travail de modernisation de l’OIF elle-même. Mais la Francophonie institutionnelle dans son ensemble demeure complexe et elle gagnerait peut-être à être mieux articulée. Désormais, je pense qu’il lui faut, d’une part, accroître son rôle de dialogue entre les États, notamment dans les situations de crise comme au Sahel ou en RDC et, d’autre part, jouer un rôle d’impulsion plus visible au bénéfice des acteurs tels que l’éducation nationale et l’enseignement supérieur, la promotion des échanges économiques, le numérique, les médias en langue française et, enfin, la Francophonie politique.
Le sommet doit aboutir à une déclaration qui sera la feuille de route pour les deux prochaines années. Il faut espérer qu’elle sera courte mais concrète et compréhensible pour nos concitoyens, et elle devra absolument aboutir à des « livrables », c’est-à-dire des projets concrets.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je m’associe naturellement aux propos de Mme Amélia Lakrafi concernant la souffrance du peuple libanais. Avant d’évoquer les projets et les livrables, je veux aussi revenir sur l’idée qu’à moyen terme, il me semble important de pouvoir réfléchir à ce que nous souhaitons vraiment entreprendre en faveur de ce beau projet qu’est la Francophonie.
Je crois, par exemple, que réaffirmer un rôle de secrétaire général avec une dimension plus politique, qui pourrait rassembler un noyau dur de pays qui ont le français comme langue officielle, pourrait constituer un pas décisif. Je pense ainsi que l’approfondissement de la Francophonie est au moins aussi important que son élargissement. En effet, l’espace francophone doit pouvoir faire entendre une voix originale, qui rassemble des pays du Nord et du Sud, afin de plaider pour la paix et pour un ordre international plus juste.
À la tribune de l’Organisation des Nations Unies, il y a quelques jours, le président de la République a ainsi rappelé : « Ne laissons pas s’installer l’idée, un seul instant, que les morts de l’Ukraine sont ceux du Nord, que les morts de Gaza sont ceux du Sud. » J’ajouterai que les morts de la RDC et du Liban, dont la Francophonie devrait se soucier au premier chef, ne doivent pas être non plus ceux d’une partie seulement de l’hémisphère. Ce bloc francophone présenterait de nombreux avantages, notamment celui de rassembler des anciennes puissances coloniales et des pays colonisés ou en cours de décolonisation, comme les outre-mer.
De la même façon que les institutions de la Francophonie ont joué un rôle important pour aider le Québec à atteindre la quasi-souveraineté et à se décoloniser de la domination anglaise, à titre personnel, je considère que les institutions de la Francophonie pourraient être un vecteur d’accès de la Nouvelle-Calédonie-Kanaky à la souveraineté, en lui permettant de devenir membre de plein droit de cette organisation, et non pas seulement un membre associé comme c’est le cas aujourd’hui. J’espère que le sommet de Paris fournira l’occasion d’aborder ce sujet et de réaliser ce saut qualitatif.
La constitution de ce bloc plus compact au sein de la Francophonie serait aussi très utile pour promouvoir l’éducation au français et en français. Parmi les 93 millions d’élèves qui ont le français comme langue de scolarisation, 75 % vivent dans les pays de l’Afrique francophone au sens strict. Or malgré la hausse de la démographie africaine, l’usage concret du français y croît de moins en moins vite car les systèmes éducatifs doivent relever le double défi de la démographie des élèves et de la démographie des enseignants. Les dépenses publiques consacrées à l’enseignement sont parfois très insuffisantes. Les méthodes éducatives dépassées et les systèmes scolaires n’offrent pas assez de perspectives, ni aux élèves et à leurs familles, ni aux enseignants.
Le premier défi de la Francophonie consiste donc à canaliser l’ensemble des mécanismes de coopération éducative des États francophones vers des dispositifs de formation adaptés aux réalités humaines et économiques de ces pays et répondre à leurs besoins concrets. Il s’agit d’espaces plurilingues où le français cohabite avec les langues nationales africaines et est surtout utilisé dans les grandes villes, dans l’administration et dans les secteurs de l’économie formelle. « Les familles et les communautés locales ne se sentent impliquées dans l’éducation en français que lorsque la langue nourrit son homme », nous disait le linguiste congolais, Salikoko S. Muffées. Au cours de ces auditions, beaucoup nous ont dit : « Nous aimons la langue française, mais donnez-nous envie de continuer à l’apprendre ; donnez-nous des raisons concrètes de le faire ».
Il faut donc adopter une approche d’ensemble allant de petites classes à l’enseignement supérieur, à l’enseignement professionnel et à la formation. Nous pensons que le prochain sommet devra identifier des mesures fortes de soutien à la modernisation des systèmes éducatifs, en permettant de mieux flécher les financements d’aide au développement, notamment le partenariat mondial vers l’éducation, vers des programmes qui produisent des résultats et en coordonnant mieux l’action des différentes composantes de la galaxie francophone.
Cela nécessite parfois aussi de modifier la perception de la langue française, encore souvent vue comme la langue des seules élites administratives, voire marquée par un héritage autoritaire ou colonial. Ceci pose la question de la place des autres langues nationales dans le système d’enseignement des pays francophones, qui sont tous plurilingues. Une approche plurilingue évite en effet une coupure non soutenable entre l’école et la société et permet de répondre aux aspirations extrêmement légitimes des peuples des pays anciennement colonisés. L’OIF s’y emploie avec le programme Élan, élaboré depuis l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation de Dakar, qui favorise dans les petites classes un enseignement concomitant en français et dans une autre langue nationale, avec des gains en rapidité d’apprentissage des élèves, qui sont mesurés dans plusieurs programmes pilotes.
De même, il ne faut pas opposer le français à l’anglais car les Africains ont aussi le droit d’apprendre l’anglais, évidemment, et d’ailleurs certains l’apprennent pour pouvoir accroître leurs chances d’être admis pour des études en France. La Francophonie est donc bien avant tout un multilinguisme. Cette question est également centrale dans les pays où le français n’est pas la langue officielle mais joue un rôle de langue d’enseignement. Nous avons constaté au Maroc une dynamique très positive : après trente ans d’arabisation des programmes scolaires, les autorités sont en train de réintroduire le français comme langue de scolarisation, avec l’appui de l’Agence française pour le développement (AFD).
Outre la centaine de millions d’élèves scolarisés en français, 50 millions de personnes supplémentaires apprennent le français comme langue étrangère en langue vivante numéro un ou deux (LV1 ou LV2), ou en tant que jeunes ou adultes s’inscrivant à des cours de langues, notamment dans des Alliances françaises et les Instituts français.
En raison du déclin du français comme LV1 en Europe et en l’absence d’une généralisation de l’obligation d’apprendre une LV2 chez beaucoup de nos voisins, la majorité des étrangers apprenants de langue française sont désormais situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ou encore dans les pays africains anglophones, où l’on apprend le français pour travailler avec des pays francophones ou pour émigrer vers le Canada.
Du Pérou aux Émirats, en passant par l’Égypte mais aussi l’Inde et les États-Unis, se dessine finalement un archipel des « francophilophones », pour reprendre un terme que Jacques Attali avait évoqué dans son rapport en 2014. Cet archipel rassemble les espaces importants non traditionnellement francophones, aux motivations diverses telles qu’un certain prestige de la culture française mais qui dépend de plus en plus aussi de dynamiques d’ensemble dans les espaces et cultures francophones.
Le recours à la langue française et son apprentissage dépendent donc étroitement des progrès de la Francophonie comme espace d’échange et de mobilité. Les décisions prises à Villers-Cotterêts ce week-end devront être évaluées à cette aune. Cela exige de concilier les politiques migratoires des pays du Nord avec les besoins de formation et les aspirations à la mobilité des pays du Sud, mais aussi avec les risques de fuite de cerveaux et l’appropriation des compétences par les pays les plus riches.
Concernant les mobilités étudiantes, la perspective d’un Erasmus francophone est invoquée depuis de nombreuses années, sans résultat majeur jusqu’à présent. Dans la perspective du sommet, l’Agence universitaire de la Francophonie élabore depuis un an un programme international de mobilité et d’employabilité francophone, qui pourrait constituer un double livrable pour le sommet de Villers-Cotterêts, puis pour la semaine mondiale de la Francophonie scientifique. Ce programme facilitera la mobilité des jeunes diplômés au niveau master et doctorat au sein des établissements conventionnés des pays volontaires, avec contributions financières des États partenaires, selon un principe de réciprocité.
Ce dispositif cible les mobilités professionnalisantes de courte durée à des fins d’employabilité en université pour des stages d’études, dans les laboratoires pour les stages de recherche, mais aussi dans les entreprises, pour les mobilités professionnelles. Au-delà de ce programme innovant, nous espérons que la France et d’autres États mettront le sommet à profit pour s’engager à favoriser les mobilités circulaires, en commençant par les entrepreneurs, les chercheurs, les artistes ou ceux qui ont vocation à circuler de manière extrêmement importante au sein de cet espace francophone.
Il faudra veiller à ce que les engagements que nous aurons pris lors du sommet ne soient pas ensuite victimes de l’instrumentalisation politique constante de la question migratoire dans notre pays et même parfois dans cette commission. Au lieu de les pousser au repli délétère, il faut au contraire aider nos concitoyens à s’approprier la Francophonie comme un espace d’affinité, d’opportunité et de solidarité. À cet égard, je salue l’initiative francophone des collectivités territoriales de métropole ou d’outre-mer, et notamment celle de l’île de la Réunion, très engagée sur le sujet.
Certaines collectivités associent par exemple la coopération décentralisée des actions de promotion des cultures, des diasporas et d’enseignement du français auprès des primo-arrivants immigrés dans le cadre de pactes linguistiques avec l’État et la délégation à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture. Tel est par exemple le cas du campus francophone de Seine-Saint-Denis, initié par notre collègue Pouria Amirshahi, qui avait été rapporteur d’une mission semblable à la nôtre en 2014.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Le sommet des 4 et 5 octobre peut offrir de nouvelles occasions à la Francophonie d’apporter des réponses concrètes pour lutter contre la perception d’une langue française en déclin, condamnée à être évincée par l’usage de l’anglais. C’est le cas en particulier dans les domaines scientifiques et de l’enseignement supérieur, où l’usage de l’anglais a été promu de manière très, voire trop volontariste, au point que la loi Toubon a été réformée en 2014 pour permettre d’accroître la place de l’anglais dans nos universités.
Même si elles sont indéniablement attractives, les formations uniquement en anglais de nombreux établissements d’enseignement supérieur ne jouent-elles pas en notre défaveur et en défaveur de notre langue, en envoyant le message que pour attirer des étudiants étrangers en France, il faut passer par le tout anglais ?
Parallèlement, dans les domaines de la recherche, la plupart des mécanismes d’incitation et de promotion des chercheurs ont survalorisé les publications en anglais. Or, l’enjeu, selon moi, consiste à éviter de perdre l’usage du français car cela constituerait un appauvrissement majeur pour l’esprit scientifique, en coupant nos chercheurs de tout un pan de leur héritage. Surtout, renoncer à une recherche et à des publications en français ne ferait que conforter les classements internationaux anglophones dont le règne est sans partage. Nous n’aurions rien à y gagner, malgré nos efforts.
Alors que certaines autorités françaises font preuve de défaitisme, des initiatives salutaires sont venues de nos partenaires francophones, notamment du Québec mais également de l’AUF qui, avec le soutien du Maroc, vient d’établir à Rabat une Académie internationale de la Francophonie scientifique (AIFS) pour promouvoir les publications et l’enseignement de hautes études en français. Ces initiatives de nos partenaires francophones semblent avoir trouvé un très bel écho en France et j’espère que le prochain sommet donnera lieu à des annonces importantes dans ce domaine, telles que l’initiative du classement de Paris, porté par plusieurs acteurs majeurs.
Il s’agira de valoriser les universités francophones qui promeuvent le travail scientifique en français, ou encore d’engager un travail permettant de définir des modèles d’incitation poussant les chercheurs à écrire et à publier dans d’autres langues que l’anglais. La Francophonie fournit ainsi la bonne échelle pour engager des chantiers dans lesquels la question de la langue croise celle de nouveaux enjeux de la souveraineté et de la compétitivité.
Par exemple, comment aider les innovateurs à déposer des brevets en français ? Comment faire de l’intelligence artificielle (IA) un atout pour le plurilinguisme ? À cet égard, il faut mentionner que la cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts accueillera un centre de référence pour les technologies des langues. Il s’appuiera en particulier sur le projet européen mené par la France, qui travaille sur les technologies permettant de placer d’autres langues que l’anglais au cœur des modèles d’IA. Le sommet pourrait donc voir la France s’engager dans de nombreux projets très concrets sur ces enjeux.
Nous devons aussi impulser des nouvelles initiatives pour permettre à TV5 Monde d’être un relais plus important de la création francophone, comme sur sa plateforme TV5 Monde Plus. Un projet d’ouverture de sa gouvernance à des sociétés publiques africaines, assorti de garanties, devra lui permettre de mieux intégrer les attentes des publics africains. Il conviendrait aussi de la doter de davantage de moyens pour en faire un véritable créateur de contenus audiovisuels francophones, capable de se mesurer aux grandes plateformes anglo-saxonnes que nos enfants aiment tant.
Au lieu de se limiter à une image surannée de la Francophonie, l’organisation du sommet doit aussi réussir le pari d’être attractive pour nos concitoyens. Les chefs d’État et de gouvernement seront rassemblés lors de réunions et ils échangeront avec des jeunes créateurs, innovateurs et entrepreneurs issus de l’espace francophone. En parallèle, FrancoTech, un salon professionnel de l’innovation en français se tiendra à la Station F. Il réunira 1 500 professionnels provenant de plus de 100 pays. Plusieurs chefs d’État et chefs de gouvernement se rendront à ce salon, ce qui atteste de la priorité désormais accordée à la Francophonie des affaires.
Notre pays a besoin de l’espace francophone, tout comme les francophones ont besoin de la France. Pour la France, il s’agit à la fois d’un enjeu de cohésion sociale mais aussi de croissance et d’innovation. Il faut donc que nos compatriotes comprennent à quel point la Francophonie est un enjeu d’avenir pour notre pays. Lors de ce sommet ou lors des échanges ultérieurs, donnons ainsi la visibilité à la Francophonie à travers ses grands projets, à la croisée de la culture du numérique et de l’éducation, co-construits avec nos partenaires du Sud.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je souhaite aussi insister sur une idée qui a déjà été évoquée dans un rapport d’Hervé Bourges en 2008 et qui vise à créer une académie francophone des langues. L’idée est simple : elle consiste à accorder un droit de regard sur la langue à tous les pays qui ont la langue française en partage. Il ne s’agit pas de constituer un concurrent de l’Académie française mais de matérialiser le fait que la langue française appartient à tous les francophones et se développe dans des espaces multilingues en relation avec d’autres langues nationales ou d’autres langues internationales.
Cette structure pourrait disposer d’un siège ailleurs qu’en France et tenir des réunions itinérantes dans les différents pays francophones, par exemple dans des instances académiques ou universitaires des pays membres. Elle devrait être vue comme la pointe avancée d’une politique plus large favorisant les échanges dans l’espace culturel où le français est la langue commune, sans être la langue exclusive. Il ne faut donc pas se limiter aux auteurs d’expression française mais faciliter la traduction et la circulation d’ouvrages d’auteurs de langue arabe, amazighe ou africaine. Il faut valoriser réellement, sur un pied d’égalité, toutes les cultures de cet espace de solidarité qui doit devenir plus polycentrique, avec des grands pôles culturels dans les grandes villes de l’espace francophone, à l’image de Dakar, du Caire ou de Kinshasa.
Par ailleurs, nous pensons que la contribution de la France elle-même à la Francophonie peut être plus lisible et mieux incarnée. Au sein du Gouvernement, les attributions en matière de Francophonie ne cessent de changer depuis ces dernières années. Elles ont parfois un ministre délégué, parfois un simple secrétaire d’État, comme dans le gouvernement actuel. Il faudrait a minima un ministre délégué, aux champs de compétences larges, pour disposer d’une approche d’ensemble couvrant à la fois les enjeux de coopération culturelle et éducative universitaire, de la Francophonie scientifique, qui pourrait relever du Quai d’Orsay, mais aussi de l’aide publique au développement et de certains enjeux des politiques de langue relevant de la culture, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur ou des outre-mer.
Nous pouvons aussi regretter que le mot de Francophonie ne figure pas dans la dénomination du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, contrairement à un grand nombre de nos partenaires dont les ministères l’arborent de façon pérenne.
J’ajouterai en outre, comme l’a dit la secrétaire générale de l’OIF devant notre commission, que nos gouvernants, au plus haut niveau, manquent trop souvent à leur responsabilité de défendre l’usage du français dans les organisations internationales, alors que nos partenaires l’attendent. De fait, quand nous avons été auditionnés à la représentation permanente auprès de l’Union européenne (UE), nous avons été agréablement surpris de voir que ceux qui l’incarnent menaient un véritable combat afin que le français ne disparaisse pas de l’UE au profit de l’anglais, alors même que le Royaume-Uni n’en fait plus partie.
Enfin, je me dois de pointer une dernière anomalie. La France est aujourd’hui le premier pays financeur de la Francophonie institutionnelle mais elle ne dispose pas d’une représentation permanente de rang diplomatique à l’OIF. Notre correspondant national auprès de l’organisation occupe un poste relativement modeste de délégué aux affaires francophones au sein de la direction centrale du ministère des affaires étrangères. Cette représentation pourrait évoluer vers une représentation diplomatique de premier rang, avec un ambassadeur qui représenterait la France au sein de la Francophonie politique.
Nous espérons que l’action de la France sera à la hauteur des engagements qui figureront dans la déclaration finale du sommet de Villers-Cotterêts et nous formons bien sûr le vœu que notre commission puisse être attentive aux suites concrètes qui seront données à ces recommandations.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Notre commission restera très attentive aux suites du sommet. Il me semble pertinent d’envisager une autre séance consacrée à la Francophonie, à la suite des décisions qui seront prises lors du sommet.
J’ouvre maintenant la discussion générale. Comme vous le savez, notre bureau de commission a acté du principe du « tourniquet » : l’ordre de la prise de parole des orateurs de groupe n’est plus immuable ; il change à chaque fois.
M. Bruno Fuchs (Dem). Je vous remercie pour ce premier éclairage, quelques jours avant le sommet de la Francophonie. Je lirai avec grand plaisir votre rapport pour connaître vos propositions.
La Francophonie et ses institutions font preuve d’une forte attractivité. L’Assemblée parlementaire de la Francophonie a vu cette année l’Angola, Sao Tomé ou Pondichéry rejoindre ses rangs. Cependant, nous vivons dans un monde multipolaire et le monde francophone est multilatéral. Aucun pays ne peut se développer dans n’importe quel endroit du monde, notamment en Afrique, avec un seul partenaire. Il va nous falloir apprendre à travailler avec des Russes, des Turcs, des Chinois ou des Américains.
Vous avez rappelé les initiatives existantes sur la langue, le numérique, les médias ou la recherche. Mais si la Francophonie doit se développer dans les années à venir, elle doit changer de logiciel. Il faut passer d’une Francophonie des États à une Francophonie des citoyens. Il faut à la fois accroître les échanges économiques, culturels, mais également faire en sorte que les citoyens s’approprient cette Francophonie.
Pour y parvenir, nous disposons selon moi de plusieurs armes. Le premier enjeu concerne la mobilité : il n’est pas possible de développer un espace francophone sans règles claires de mobilité. Aujourd’hui, des entraves demeurent : pour un francophone, il est beaucoup plus facile d’aller en Chine, en Turquie, aux États-Unis ou au Canada que d’aller en France, pour des questions administratives. Le deuxième enjeu porte sur le modèle. Nous devons asseoir la Francophonie sur un modèle de solidarité, de libertés publiques, d’État de droit, de vision multilatérale du monde.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Je partage totalement ces propos. Je crois dans les propositions qui seront formulées par l’AUF concernant son programme de mobilité internationale et d’employabilité.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Nous plaidons pour un Erasmus de la Francophonie. La question de l’attribution des visas aux francophones du Sud constitue à ce titre une forte interrogation. Par ailleurs, s’agissant du second point, il faut faire preuve de cohérence. À ce titre, la réintégration de la Guinée dans l’espace francophone la semaine dernière, à la demande de la France, me paraît assez contradictoire avec les grands enjeux d’État de droit que vous avez évoqués.
M. Bertrand Bouyx (HOR). La Francophonie connaît des progrès considérables depuis ces cinquante dernières années. La langue française représente un bien commun précieux que nous devons protéger et développer.
Le XIXe sommet de la Francophonie constituera un rendez-vous politique et diplomatique de grande ampleur. Comme beaucoup, je regrette que nous ne puissions pas y être présents. Quoi qu’il en soit, j’estime qu’une piste importante de réflexion porte sur le développement de la langue française sur internet. Bien que le français soit en quatrième position dans ce domaine, son avance sur les langues suivantes s’est considérablement réduite à cause de deux phénomènes principaux : les taux de connexion sur internet des francophones des pays industrialisés sont proches de la saturation et, par ailleurs, la fracture numérique des pays francophones africains est très lente à se résorber.
Aussi, je me permets de vous interroger sur les leviers d’action envisageables pour développer l’utilisation du français sur internet et sur les pistes de réflexion en cours sur les futurs chantiers auxquels la Francophonie devra se confronter dans l’entrepreneuriat, pour faire rayonner la langue française.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Les contenus en français sur internet constituent effectivement un réel enjeu. Il est souvent question de la « découvrabilité numérique ». Au Canada, le législateur a dû utiliser la loi pour imposer à certaines plateformes et à des moteurs de recherche de proposer au moins 30 % de contenus en français. Il s’agit là d’une piste de travail que nous pouvons explorer.
Ensuite, l’Europe, les Nations unies, la Banque mondiale mais aussi des pays accompagnent de nombreux États africains pour améliorer l’accès à l’électricité et à internet. Ces priorités sont également partagées par l’OIF et l’AFD y consacre de nombreux fonds.
M. Davy Rimane (GDR). Le dernier rapport de l’OIF s’ouvre sur un constat qui me parle tout particulièrement. Il y est écrit que l’on naît de moins en moins francophone mais qu’on le devient de plus en plus. La Francophonie serait ainsi la promotion continue du pluralisme linguistique, ce qui participe de fait au rayonnement international de la France. Ce pluralisme est pourtant envisagé avec un peu plus de crispations, dès lors que nous réinvestissons le champ géographique national, alors même que la France dispose d’une remarquable diversité linguistique.
Sur les 75 langues régionales reconnues en France, nos territoires ultramarins en réunissent 50. Je m’interroge donc sur le paradoxe de cette cohabitation entre, d’une part, une langue officielle standard et, d’autre part, la diversité linguistique réelle d’une nation. En effet, si cette cohabitation est encouragée voire célébrée par la France hors de ses frontières, elle est envisagée avec beaucoup plus de retenue dès lors qu’il s’agit de reconnaître ses propres particularismes culturels.
Lors des auditions menées dans le cadre de votre travail, cette sorte de dissonance idéologique a-t-elle été abordée ? Qu’en est-il ressorti ? En effet, la philosophie portée par l’OIF développe une pensée similaire à celle de nombreux écrivains et penseurs ultramarins qui conçoivent une mise en relation avec le monde en rupture avec le principe d’identité unique.
Célébrer la diversité linguistique et le multilinguisme revient à mon sens à reconnaître, accepter et embrasser la diversité culturelle et donc les particularismes qui fondent nos identités. Si l’OIF et, à travers elle, la France prônent un universel qui ne tourne pas le dos aux particularismes et à l’enracinement, comment se fait-il qu’à l’intérieur même de notre pays, il soit si difficile d’accorder à nos propres langues régionales un niveau de reconnaissance et de mise en valeur équivalent, d’autant plus que la question linguistique est directement liée à un questionnement identitaire de plus en plus présent, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale ? D’ailleurs, il suffit de regarder du côté de certains pays, notamment en Afrique, qui font justement reculer la pratique de l’enseignement du français et qui font de ce recul un outil géopolitique pour réaffirmer leur propre bagage identitaire et culturel.
Il est question de faire rayonner la langue française mais, dans notre pays, les langues initiales sont marginalisées, pour ne pas dire autre chose.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Lors de notre travail, nous avons pu auditionner notamment Mme Huguette Bello, qui est particulièrement attachée à cette idée d’un plurilinguisme au sein même de l’Hexagone et de nos outre-mer. L’Académie francophone des langues que j’ai mentionnée ne concerne pas uniquement l’international ; j’y vois un moyen d’accorder une place aux langues régionales, qui sont en coexistence avec le français. Je suis convaincu que la Francophonie ne peut être qu’un espace plurilingue, un espace qui favorise le multilinguisme. Je vous rejoins sur l’idée que cela n’est pas toujours le cas sur notre territoire national.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Il existe une délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), qui relève du ministère de la culture, mais elle demeure malheureusement méconnue. L’une des prérogatives de cette délégation consiste justement à échanger avec les élus. Il s’avérerait peut-être utile de la contacter pour savoir comment nous pouvons l’aider dans sa mission de promotion des différentes langues de France.
Mme Marine Hamelet (RN). Madame la vice-présidente, je tiens, en avant-propos, à revenir sur le principe du tourniquet. Notre groupe souhaiterait que soit rétabli l’ordre dans lequel nous avions travaillé lors de la précédente législature, afin de respecter le vote des électeurs, qui se sont prononcés au mois de juillet.
La Francophonie rassemble 321 millions de locuteurs, sur 112 territoires. Elle représente également une dynamique, avec plus de 20 millions de francophones supplémentaires depuis 2018, principalement grâce à la démographie africaine. Bien que 21 États partagent notre langue, la France n’est que onzième dans le classement des partenaires les plus bénéfiques, derrière la Russie ou la Chine. Le poids économique de nos échanges avec l’Afrique se réduit également, passant de 10 % à 5 % en vingt-cinq ans.
Les causes sont multiples. J’y vois d’abord l’abandon de toute vision stratégique et cohérente depuis les années 1990, ce qui a préparé le terrain à une désunion dans un continent qui est désormais courtisé par tous. Il faut aussi mentionner une attitude parfois condescendante du chef de l’État, se permettant en public des blagues de mauvais goût, comme cela a été le cas avec le président burkinabé. Je relève en outre également le choix contreproductif de soutenir à la tête de l’OIF une proche du président Kagame, farouchement anti-français, ou encore une communication hasardeuse qui rend invisible pour les populations locales le bénéfice apporté par les milliards d’euros investis par l’Europe en faveur du développement.
La Francophonie est une réalité humaine qui doit structurer notre partenariat avec l’Afrique. Elle n’est pas la roue de secours de l’influence française mais un canal naturel de dialogue pour les pays ayant le français en partage. Elle doit pour cela apparaître comme directement utile à la jeunesse africaine.
L’organisation en France de ce XIXe sommet de la Francophonie représente une bonne opportunité de relancer une dynamique partenariale francophone. Préconisez-vous un changement de paradigme de notre politique africaine et si oui, lequel ?
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Le paradigme a changé depuis déjà sept ans, depuis l’élection du président Emmanuel Macron, qui a multiplié les annonces et les actions pour faire de la relation entre la France et l’Afrique une relation partenariale. Les causes de la diminution des échanges économiques sont surtout liées au fait que l’Afrique multiplie ses partenaires.
Ensuite, le président Kagame n’est pas anti-français mais pro-kinyarwanda, comme il l’a indiqué à plusieurs reprises. Le site internet du gouvernement rwandais indique par exemple que la langue française fait partie des langues officielles du pays.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je suis favorable à un changement de paradigme en matière de politique africaine mais je ne pense pas que nous nous accordions sur son contenu. Cela étant, la Francophonie ne se résume pas à la France et encore moins à la Françafrique ; elle concerne tous les pays qui ont la langue française en commun.
De votre côté, seriez-vous d’accord pour soutenir les propositions que nous formulons en faveur d’une plus grande mobilité de l’espace sud de la Francophonie, et notamment de l’Afrique vers son espace nord ? Généralement, le groupe parlementaire auquel vous appartenez n’est guère favorable à ces mobilités.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). La Francophonie n’a pas été inventée par la France, elle a été initiée par l’Afrique mais aussi l’Asie, à travers des personnages comme Senghor, Bourguiba ou Sihanouk.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Il y aurait beaucoup à dire, en effet, sur les politiques qui ont mené à une crise de la Francophonie politique en Afrique et ailleurs. Je m’en tiendrai à ce que nous avons dit ce matin. Nous sommes dans l’impossibilité de contrôler l’action du ministre qui, en même temps, préside notre commission. Nous avons un désaccord avec la présidente de cette séance, qui considère que le bureau peut se réunir, ce qui n'est pas vrai. Pour l’heure, l’actualité internationale appelle des modifications de nos ordres du jour. Notre pays est en première ligne dans les événements qui se déroulent au Liban, qui est lui-même un pays majeur de la Francophonie.
Tant que le président de la commission n’aura pas démissionné pour permettre d’élire un nouveau président, nous nous en tiendrons à cela.
M. Stéphane Hablot (SOC). La Francophonie ne se limite pas au rôle de la langue française, son développement ou son partage, mais aussi et surtout à la défense et au rayonnement de nos valeurs républicaines. Je pense notamment à la solidarité.
Je prends pour exemple les États francophones, notamment les États du Sud. Ces États attendent un accompagnement en matière de développement durable et, souvent, les populations souhaitent que nous les aidions à rester chez elles. Face aux défis engendrés par la crise climatique et aux enjeux du développement durable, ces États ont besoin de la France. Ils attendent que nous les aidions à éviter les futures crises migratoires, dont les conséquences pourraient être dramatiques, notamment pour les pays concernés comme pour les pays d’accueil. En quoi toutes ces questions d’avenir sont-elles prises en considération lors de ce sommet ?
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Ce sujet est pris en compte par les institutions de la Francophonie. Simultanément, il me semble que la France pourrait agir de bien meilleure manière. Certains programmes de développement existants pourraient sans doute être davantage ciblés. Mais il ne vous a pas échappé que la baisse annoncée des crédits de l’aide publique au développement ne nous aidera pas à faire face à ces grands défis, que vous avez soulevés à juste titre.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Plus de 40 % des financements de l’AFD sont dirigés vers les pays francophones, notamment les projets environnementaux. J’en appelle à ce titre à une Francophonie « verte ». Il serait à cet égard pertinent que la commission puisse auditionner l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), basé à Québec.
M. Pierre Cordier (DR). Tout d’abord, la présence d’un représentant par groupe lors de ces rencontres internationales me paraîtrait pertinente. Ensuite, je rejoins les propos de notre collègue sur les valeurs de la France, que nous avons véhiculées très longtemps. Malgré un passé colonial parfois lourd, dont les apports ont été positifs mais aussi négatifs, ces pays et ces peuples ont su faire la part des choses et considèrent qu’ils peuvent s’appuyer sur la France, ses valeurs et sa langue.
S’il est vrai que l’on apprend davantage aujourd’hui une langue grâce à un ordinateur ou internet, je suis persuadé qu’il faut continuer de s’appuyer sur des supports plus classiques, comme des livres. Par ailleurs, j’ai toujours été surpris par le choix du slogan « Choose France » pour mettre en valeur l’économie et les entreprises françaises. Pourquoi ne pas avoir choisi une expression plus francophone ? Cette anecdote est révélatrice de la manière dont les pouvoirs publics appréhendent cette question.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question au sein de cette commission. Je signale par ailleurs l’existence de la manifestation « Goût de/Good France », qui met la gastronomie française à l’honneur.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Je partage à moitié votre remarque sur « Choose France », qui s’adresse à des personnes qui parlent anglais. À ce titre, il importe selon moi de ne pas opposer le français et l’anglais et je serais favorable à proposer le slogan à la fois en français et en anglais.
S’agissant de l’enseignement de la langue française, nous avons la chance d’avoir une association, la fondation des Alliances françaises, qui assure des cours de français dans plus de 137 pays. Dans des pays où l’accès à l’éducation est très difficile, les Alliances françaises réalisent un travail remarquable.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je souhaite également rendre hommage à ces professeurs de français, qui témoignent d’une motivation et d’une vocation extrême, dans des conditions parfois très difficiles. J’ai souvenir de l’audition de la fédération internationale des professeurs de français, qui avait évoqué devant nous le cas d’un professeur qui, chaque jour, marche plus de 4 heures pour aller dispenser ses cours de français. En dépit de moyens de plus en plus limités, il faut souligner les nombreuses initiatives des Alliances françaises et des Instituts français, notamment à travers la mise à disposition de livres.
S’agissant de la défense de la langue, les Québécois ont mis en place une législation très stricte en matière d’anglicismes, dans la mesure où ils luttent de manière existentielle pour le français dans cet océan anglophone qu’est l’Amérique du Nord.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Je cède à présent la parole aux députés qui désirent intervenir à titre individuel.
M. Jérôme Buisson (RN). La ministre québécoise des relations internationales et de la Francophonie, Mme Martine Biron, a fait part, dans un entretien à la presse québécoise, de la volonté du gouvernement québécois d’utiliser la Francophonie comme vecteur de développement des échanges commerciaux de la Belle Province. Notre présidente Marine Le Pen a fait de la Francophonie une part importante de son programme de politique étrangère.
La Francophonie, en raison de sa taille et de sa diversité géographique, doit devenir un levier d’influence non seulement culturelle mais aussi économique pour notre pays, qui n’a pas vocation à être un simple acteur européen, n’en déplaise à certains, mais aussi un acteur mondial. Aussi, le Royaume-Uni a renforcé, depuis le Brexit, ses relations tant politiques qu’économiques avec le Commonwealth, en l’utilisant comme levier d’influence. Nous devrions en faire de même.
Quelles sont, à votre avis, les perspectives d’approfondissement économique et commercial des relations avec la Francophonie ?
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). La dimension économique de la Francophonie est effectivement importante. J’ai déploré la diminution des crédits de l’aide publique au développement française mais je constate que les Britanniques ont fait pire, puisqu’ils ont divisé par deux la leur, notamment à destination du Commonwealth.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). La dimension économique est tellement importante que le Mouvement des entreprises de France (Medef) a créé l’Alliance des patronats francophones et que la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) a créé depuis de nombreuses années le groupement du patronat francophone (GPF).
Dans de nombreux pays de ma circonscription, les pays du Golfe ou de l’Afrique de l’Est, des ambassadeurs sont venus me dire qu’ils sont intéressés par le français pour avoir accès plus facilement aux entreprises de l’espace économique francophone, notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire mais aussi le Cameroun et la RDC. Aux Émirats, plus de dix écoles publiques enseignent obligatoirement le français en primaire et l’Arabie saoudite conduit un grand projet pour enseigner la langue française dès le primaire dans les écoles publiques. L’Ouganda mène un projet similaire.
M. Frédéric Petit (Dem). Je rappelle pour ma part que la Francophonie n’appartient pas à la France. Elle n’est pas un outil de développement de la France, ni un outil diplomatique. Par ailleurs, tous les pays francophones sont bilingues, sauf la France
M. Pierre Pribetich (SOC). L’avenir de la Francophonie passe par la Francophonie des citoyens. Je pense que les logiciels de traduction doivent être plus ou moins « contrôlés », notamment en qualité et en volumétrie. En effet, la qualité de traduction permettrait à la fois de diffuser et de faire rayonner l’ensemble de la Francophonie. À ce titre, il me semble opportun d’établir une charte de qualité de la traduction.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Lorsque nous nous sommes rendus à Bruxelles, il nous a été indiqué que les traductions représentaient un poste budgétaire particulièrement important, le premier à souffrir lorsqu’il est question de réaliser des économies. Cependant, dans le cadre du programme « Langu : IA », des chercheurs mettent en avant des algorithmes de traduction qui concernent des langues latines, dont le français mais aussi l’espagnol et l’italien.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). À ce sujet, la Cité internationale de la langue française réalise des travaux particulièrement intéressants. L’un des enjeux centraux porte en effet sur la place du français – mais aussi des langues autres que l’anglais – dans l’intelligence artificielle et les technologies de demain.
M. Pierre Cordier (DR). Mon intervention constitue une forme de clin d’œil. Il y a quelques années, le président Sarkozy avait eu l’excellente idée de découper la planète en onze pour élire des députés des Français de l’étranger. Comment ces derniers peuvent-ils agir pour promouvoir la Francophonie ? Quelles sont les pistes de réflexion pour l’avenir ?
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Nous remercions tous, nous les députés des Français établis hors de France ici présents, le président Sarkozy pour cette innovation. Chacun d’entre nous intervient pour la promotion du français et de la culture française.
Pour ma part, j’ai porté un certain nombre de projets, dont la création d’un prix littéraire pour les francophones du monde, en lien avec l’UNESCO. En juin dernier, nous avons remis ce prix à un enseignant français dans un lycée français en Tunisie. Il existe également des clubs de lecture francophones dans le monde entier, des clubs de lecture adossés à la Fédération internationale des accueils français et francophones d’expatriés (FIAFE). J’ai également créé le cercle des clubs d’affaires.
M. Frédéric Petit (Dem). Les députés des Français établis hors de France sont la preuve que la Francophonie s’exerce dans un cadre plurilingue. Il convient de rappeler aussi que nous, parlementaires, ne sommes pas les seuls élus des Français à l’étranger. Il existe 457 élus locaux des Français à l’étranger qui accomplissent un très grand travail, parce qu’ils sont souvent intégrés dans des instances locales, en particulier en Allemagne. Ce tissu d’élus au suffrage universel direct constitue une force, qui fait évidemment avancer l’esprit francophone.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Tout en saluant la qualité des échanges que nous venons d’avoir, je souhaite adresser un message au président de la commission devenu ministre, M. Barrot, pour lui indiquer que M. Antoine Armand, également nommé ministre, a semble-t-il indiqué à certaines personnes qu’il était sur le point de présenter sa démission de la présidence de la commission des affaires économiques. Au groupe LFI-NFP, nous souhaitons que M. Barrot en fasse de même le plus rapidement possible.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’élire très rapidement un président ou une présidente de notre commission.
La séance est levée à 17 h 00.
*
Informations relatives à la commission
En ouverture de sa réunion, la commission désigne :
- Mme Brigitte Klinkert, rapporteure pour avis sur les crédits de la mission Immigration, asile et intégration dans le projet de loi de finances pour 2025, en remplacement de M. Benjamin Haddad, nommé ministre délégué chargé de l’Europe.
_____
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, M. Pierre Cordier, Mme Dieynaba Diop, M. Marc de Fleurian, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Vincent Jeanbrun, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich, M. Davy Rimane, M. Aurélien Taché
Excusés. - M. Guillaume Bigot, M. Pierre-Yves Cadalen, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Perceval Gaillard, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Franck Riester, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa