Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Table ronde, ouverte à la presse, sur les élections américaines du mardi 5 novembre 2024 et leurs conséquences sur les relations internationales, avec la participation de Mme Laurence Nardon, directrice du programme relatif aux Etats-Unis de l’Institut français des relations internationales (IFRI), Mme Célia Belin, directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), et Mme Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund. 2
Mercredi
6 novembre 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 12
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
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La commission procède à la table ronde, ouverte à la presse, sur les élections américaines du mardi 5 novembre 2024 et leurs conséquences sur les relations internationales, avec la participation de Mme Laurence Nardon, directrice du programme relatif aux Etats-Unis de l’Institut français des relations internationales (IFRI), Mme Célia Belin, directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), Mme Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund.
La séance est ouverte à 11 h 30.
Présidence de Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Nous entamons notre deuxième séance de la matinée, consacrée à l’actualité électorale aux États-Unis et à ses répercussions sur les citoyens américains ainsi que sur nous-mêmes. Nous examinerons les conséquences géopolitiques pour l’Europe, l’Indo-Pacifique et l’Afrique avec nos invitées.
Madame Alexandra de Hoop Scheffer, membre de la direction du German Marshall Fund, dont vous assurez actuellement la présidence après avoir dirigé son bureau parisien. Vous êtes également présidente du conseil consultatif du chef d’état-major des armées françaises, ainsi que membre du conseil consultatif de la Fondation pour la recherche stratégique et du comité éditorial de The Washington Quarterly.
Madame Laurence Nardon, vous dirigez le programme relatif aux États-Unis de l’Institut français des relations internationales. Docteure en sciences politiques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, vous avez étudié à l’université de Kent et publié récemment un ouvrage sur la géopolitique de la puissance américaine.
Madame Célia Belin, vous êtes directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations, chercheuse invitée à la Brookings Institution de Washington et chercheuse associée au centre Thucydide de Paris. Vous avez également travaillé cinq ans au centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Quai d’Orsay.
Le président Trump a annoncé sa victoire, bien qu’elle ne soit pas encore officiellement confirmée. Nous partirons de l’hypothèse évidente de sa confirmation imminente.
Mme Alexandra de Hoop Scheffer, présidente du German Marshall Fund. Donal Trump a une nouvelle fois déjoué les pronostics d’une élection qui devait être serrée. Il disposera de larges pouvoirs, avec une majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, lui offrant une grande liberté pour déployer ses politiques intérieures et extérieures.
Je soutiens depuis un certain temps qu’il faut sortir d’une forme d’illusion ou de déni. Nombre de nos partenaires européens ont pensé que Trump était une parenthèse et qu’avec le retour de Biden, on revenait à une relation transatlantique normale, de statu quo. La guerre en Ukraine a largement contribué à ce retour à un statu quo dans cette relation. Or le « trumpisme », dont Trump n’est qu’un symptôme, est profondément ancré dans la société américaine.
Il est intéressant de constater à quel point la base électorale de Trump s’est diversifiée et élargie. Il a gagné davantage de voix parmi les afro-américains et les latinos, faisant un bond de près de dix points chez les hispaniques. Il a également progressé chez les Asiatiques, les jeunes de 18-29 ans, les primo-votants et les 30-44 ans. Paradoxalement, il perd des points chez les plus de 65 ans, mais a gagné dans tous les autres segments de l’électorat américain, réussissant à conquérir des électeurs habituellement démocrates.
Pour nous, en France et en Europe, il importe de s’interroger moins sur Trump en tant qu’individu que sur le « trumpisme », sa signification et les raisons de sa réélection quatre ans après. Le Parti démocrate devra analyser sa propre stratégie. Kamala Harris a en quelque sorte reproduit l’approche de Hillary Clinton, avec le même moralisme, le même soutien des élites et le même communautarisme, une stratégie qui s’est avérée perdante.
La question de la démocratie américaine se pose avec une acuité particulière pour les États-Unis, mais aussi pour nous, car Trump sera probablement plus disruptif dans sa conception et sa pratique de la démocratie américaine. Elon Musk a bouleversé ce débat sur la démocratie. Ses interventions aux côtés de Donald Trump ont été très intéressantes, car il a convaincu des électeurs hésitants en affirmant qu’un vote pour Trump était un vote pour la liberté d’expression et pour la sauvegarde de la démocratie.
Concernant les implications pour la relation transatlantique, plusieurs dirigeants européens et ukrainiens ont réagi. Les États-Unis demeurent nos alliés et il faudra travailler avec eux. La question est de savoir comment maintenir cette relation efficace sur les sujets qui nous concernent.
Le premier test pour la relation transatlantique sera l’Ukraine. Trump s’est engagé à trouver rapidement une solution ou du moins à mettre fin à cette guerre. Il faut le croire quand il l’affirme. La question pour nous, Européens, est de savoir comment il procédera, avec quels moyens, et si nous serons inclus dans l’équation de cet accord qu’il mûrit et qui est déjà en discussion dans les cercles politiques américains au plus haut niveau. Trump voudra véritablement le mettre en œuvre. C’est donc le premier test pour la relation transatlantique, qui révélera sa conception de la relation avec nous, Européens.
Le deuxième enjeu majeur concerne la compétitivité économique, industrielle et technologique, dans le contexte plus large de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Il convient de comprendre que toutes les décisions et lois adoptées ces dernières années aux États-Unis, telles que l’Inflation Reduction Act, le Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors (CHIPS) Act et l’Infrastructure Act, visent certes à réinvestir dans la technologie, les infrastructures et les industries américaines, mais s’inscrivent également dans le cadre de la compétition avec la Chine.
Aujourd’hui, nous devons nous interroger : souhaitons-nous rester spectateurs, voire victimes collatérales, de cette compétition sino-américaine ? Nos entreprises subissent quotidiennement les effets de cette rivalité. Le marché américain devient extrêmement attractif, incitant nos entreprises à relocaliser en grande partie leurs sites de production et leurs chaînes d’approvisionnement aux États-Unis. Cette tendance s’est accentuée sous la première présidence Trump, s’est poursuivie sous Biden, et s’intensifiera davantage sous un second mandat de Trump. Notre compétitivité européenne s’en trouve directement affectée.
Je perçois une réelle opportunité dans la synchronisation entre une nouvelle administration américaine et une nouvelle Commission européenne pour façonner ensemble cet agenda transatlantique. Cela reste envisageable, même avec une administration Trump, car y compris sur des sujets complexes lors de son premier mandat, des avancées ont été possibles sur certains dossiers.
Mon message est clair : l’impulsion et les initiatives doivent émaner de la France, de l’Europe et de Bruxelles, car elles ne viendront pas de Washington. Nous sommes de moins en moins pris en compte dans les calculs politiques américains. L’adoption de l’Inflation Reduction Act par l’administration Biden en est une illustration frappante. Lorsque le président Biden déclare lors d’un G7 ne pas avoir pensé à l’impact sur l’Europe, il faut le prendre au pied de la lettre : nous ne figurons plus dans les priorités américaines.
Il nous incombe d’être offensifs, non seulement auprès de la Maison-Blanche, mais aussi du Congrès américain, des centres de recherche et des think tanks aux États-Unis. Notre présence sur la scène américaine est primordiale. Je m’y emploie personnellement en présidant l’un des plus importants think tanks transatlantiques, afin de faire entendre une voix européenne dans ce microcosme de réflexion américain.
Il est essentiel aujourd’hui de considérer moins la disruption de Trump que ce qu’il incarne en termes de continuité dans les politiques américaines. En observant la séquence « fin d’Obama, Trump, Biden et Trump à nouveau », on constate des tendances structurelles redéfinissant les orientations de la politique intérieure et étrangère américaine.
Deux aspects seront davantage accentués : « America First », l’Amérique d’abord, qui englobe tout l’agenda de réindustrialisation et de compétitivité américaine. Le programme économique de Trump, intitulé « A Plan for a New American Industrialism », renforce cette orientation. Deuxièmement, « China First », la Chine d’abord, avec des conséquences sur notre compétitivité et notre capacité d’innovation à l’échelle européenne.
L’Europe est de plus en plus perçue par Washington comme une variable d’ajustement dans ces deux priorités. Notre véritable défi consiste à nous doter des moyens nécessaires pour nous affirmer face à une Amérique qui continuera à déployer l’outil économique et financier comme principal moyen de pression, notamment à travers les taxes douanières évoquées par Trump, qui nous impacteront.
Nous devons nous équiper au niveau de l’Union européenne et cesser d’engager les États-Unis et l’administration américaine de manière dispersée. Notre réaction désordonnée à l’Inflation Reduction Act illustre ce qu’il ne faut pas faire. Il est impératif de consulter nos homologues allemands, italiens, espagnols, polonais avant de nous rendre à Washington, afin que le message que nous portons, bien que français, s’inscrive dans un corpus européen plus large. Un tel message, coordonné en amont, aura beaucoup plus d’impact et sera mieux reçu à Washington.
Mme Laurence Nardon, directrice du programme relatif aux États-Unis de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Je souhaite analyser les raisons de la réélection de Donald Trump en me concentrant sur la politique intérieure américaine. Cette victoire spectaculaire pourrait lui assurer non seulement la Maison-Blanche, mais également le contrôle du Sénat et de la Chambre des représentants, formant ainsi ce qui est appelé aux États-Unis, un trifecta. On pourrait même parler de quadrifecta en incluant la Cour suprême, dont il a profondément modifié les équilibres idéologiques. Par ailleurs, Trump semble avoir remporté le vote populaire, surpassant sa performance de 2016.
J’identifie trois causes principales au « fiasco » démocrate. Premièrement, la faiblesse de Kamala Harris comme candidate. Malgré une campagne éclair depuis fin juillet, elle n’a pas réussi à incarner son propre récit avec authenticité, un critère essentiel pour les électeurs américains.
Deuxièmement, l’économie, facteur déterminant dans les élections américaines. L’inflation galopante, 9,2 % en juin 2022, particulièrement sur l’alimentation et l’essence, a pesé lourd. Bien que l’administration Biden ait mis en place un ambitieux programme économique, les Bidenomics, visant à reconquérir l’électorat des classes moyennes et ouvrières, celui-ci n’a pas été perçu positivement. Les investissements massifs de l’État fédéral, comparables au New Deal, ont été jugés dispendieux par de nombreux Américains, qui préfèrent une approche plus individualiste.
Troisièmement, le positionnement trop progressiste du parti démocrate depuis 2020 a été perçu comme radical, y compris par une partie de l’électorat démocrate. Il est important de noter que le meilleur prédicteur du vote aux États-Unis est désormais le niveau d’éducation, plus que l’origine ethnique, le lieu de résidence, le genre ou le revenu. Les personnes peu ou pas diplômées, y compris parmi les minorités, tendent à voter Trump, tandis que les diplômés et les étudiants penchent vers les démocrates.
Les militants du parti démocrate depuis 2020 ont principalement été, comme c’est le cas depuis une décennie, des étudiants issus de campus extrêmement progressistes. Ils ont élaboré des programmes radicaux en 2019-2020, notamment la proposition de définancer la police suite à l’assassinat de George Floyd, ainsi qu’une politique d’ouverture généreuse à l’immigration, perçue négativement par l’électorat. Des positions radicales sur les questions sociétales, notamment LGBTQ+, ont également été adoptées.
Dans la campagne de 2024, Kamala Harris s’est abstenue de reprendre ces propositions, consciente de leur impopularité auprès de l’électorat démocrate. Cependant, il semble qu’elle n’ait pas réussi à s’en distancier suffisamment, comme en témoignent les résultats de cette nuit. Les démocrates sont perçus par les électeurs comme responsables de l’inflation et radicaux sur les questions sociétales, ce qui explique leur échec ce matin.
Au sujet de Donald Trump, le projet 2025, préparé par le think tank conservateur Heritage Foundation à Washington, mérite notre attention. Cette organisation avait déjà élaboré un programme pour Reagan en 1981, axé sur le libre-échange et l’anticommunisme. Aujourd’hui, le parti républicain a considérablement évolué.
Trump s’est distancié de ce programme en août, mais il est probable qu’il s’en inspire largement, ne serait-ce que parce que la Heritage Foundation a déjà identifié le personnel « trumpiste » susceptible d’intégrer son administration dès janvier prochain, voire son équipe de transition dans les semaines à venir.
Ce programme de 900 pages, couvrant toutes les politiques sectorielles, présente des aspects contradictoires pour un observateur français. D’une part, il propose des mesures extrêmement conservatrices sur les questions sociétales, rappelant les positions de Viktor Orbán sur le genre, les droits des femmes, l’immigration, etc. Il inclut notamment l’idée de « remigration » (deportation en anglais), suggérant l’intervention de l’armée et de la garde nationale non seulement à la frontière sud, mais aussi à l’intérieur du pays pour appréhender et expulser les immigrés en situation irrégulière. Trump a lui-même évoqué l’objectif de renvoyer les 11 millions d’immigrés illégaux présents aux États-Unis.
D’autre part, le programme comporte un volet libertarien prônant une dérégulation massive, incluant la suppression du ministère de l’Éducation, un objectif de longue date des libertariens américains. Contrairement aux anarchistes français inspirés par Proudhon, les libertariens américains sont des anarcho-capitalistes : ils rejettent l’État tout en défendant la propriété privée et l’entreprise.
Cette seconde partie du programme s’inspire davantage de Javier Milei que d’Orbán, ce qui engendre des contradictions. Par exemple, concernant l’immigration, on trouve à la fois des propositions de « remigration » et de fermeture des frontières (approche « Orbán ») et de suppression de la police des frontières (approche « Milei »). Trump devra donc opérer des choix idéologiques pour mettre en œuvre ce projet préparé par la Heritage Foundation.
Mme Célia Belin, directrice du bureau parisien de l’European Council on Foreign Relations (ECFR). En politique intérieure comme en politique étrangère, la parole de Donald Trump primera, mais il évoluera dans un écosystème contraignant, tant sur le plan intellectuel que partisan. En tant que chef du camp républicain, il devra composer avec l’administration qu’il façonnera au cours des trois prochains mois.
Aux États-Unis, chaque nouvelle administration implique le renouvellement de 4 000 postes politiques. La sélection des individus pour ces postes est cruciale, car ils devront traiter de nombreux dossiers tout en respectant les grands principes de Donald Trump. Ces nominations, bien que facilitées par la majorité républicaine au Sénat, devront proposer des options politiques conformes à la vision du président.
Concernant la politique étrangère de Donald Trump, deux perceptions coexistent. D’un côté, elle est parfois décrite comme incohérente, erratique, voire chaotique, dépendant uniquement de son humeur du moment. De l’autre, ses partisans défendent l’idée d’une logique intrinsèque, inspirée de Reagan, prônant la paix par la force. Trump a utilisé cet argument durant sa campagne, opposant sa vision à celle de Joe Biden et Kamala Harris, qu’il percevait comme incarnant la faiblesse.
Cette stratégie s’est particulièrement manifestée dans le contexte des deux conflits majeurs actuels, en Ukraine et à Gaza. Dans les deux cas, le président Biden est apparu aux yeux des Américains comme incapable d’influencer l’issue des conflits, malgré sa capacité initiale à rallier les Européens. Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, aucune stratégie de sortie n’est perceptible. Quant à Gaza, Biden a été critiqué tant par son aile progressiste que par le camp pro-Israël, sans réelle avancée visible.
Trump s’est emparé de ces critiques pour se présenter comme l’antithèse de cette approche. Il affirme que ces guerres n’auraient pas eu lieu sous sa présidence, arguant que la Russie n’a envahi aucun pays lorsqu’il était au pouvoir. Il soutient que Vladimir Poutine le craint et promet de rétablir la paix en 24 heures s’il est élu.
Néanmoins, Trump devra composer avec différentes écoles de politique étrangère au sein de son propre camp. Il devra tenir compte du Congrès, de sénateurs républicains influents qui ne partagent pas toujours ses vues en matière de politique étrangère, et d’une base électorale aux attentes diverses.
On distingue trois grandes écoles de politique étrangère. La première, celle du primat américain, héritière des néoconservateurs, considère que l’Amérique reste la première puissance mondiale et doit peser dans toutes les affaires internationales. Cette vision est partagée par de nombreux sénateurs républicains qui soutiennent fermement l’Ukraine et l’idée d’imposer une défaite stratégique à la Russie. Ce camp n’a pas les faveurs du président Trump.
Les deux autres écoles sont plus proches du camp « trumpiste ». L’une prône la retenue stratégique, parfois qualifiée à tort d’isolationniste. Elle estime que l’Amérique s’est fourvoyée dans des aventures extérieures depuis vingt ans, citant les guerres en Irak et en Afghanistan comme exemples. Ce camp, composé en grande partie de vétérans de ces conflits, est proche de Donald Trump et considère que l’Amérique devrait se concentrer sur ses problèmes intérieurs et sa frontière sud plutôt que de s’occuper du reste du monde. Donald Trump lui-même a des instincts qui proviennent de cette approche.
Entre ce camp et celui des interventionnistes, un troisième groupe émerge avec force : les partisans de la priorisation. Ils estiment que l’Amérique s’est égarée dans des interventions extérieures sans intérêt fondamental pour elle. Selon eux, le seul défi du XXIe siècle est la Chine, sur laquelle il faut concentrer tous les efforts, y compris militaires. Cette vision inspire fortement le colistier de Donald Trump, James David (J.D.) Vance, et trouve de nombreux adeptes au Congrès et parmi les potentiels membres de son administration.
Les tensions se cristallisent autour de trois options : un retrait complet, une focalisation sur le défi chinois, ou la poursuite d’une politique étrangère interventionniste.
Concernant la politique étrangère de Donald Trump, plusieurs éléments se dégagent de sa campagne. Sur l’Ukraine, sa promesse la plus claire est de mettre fin à la guerre en 24 heures, ce qui nécessiterait d’influencer les décisions russes et ukrainiennes. Son colistier a évoqué un plan de paix reconnaissant les gains territoriaux russes et garantissant la neutralité de l’Ukraine, des points auxquels les Européens s’opposent.
Quant à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), Trump a maintes fois exprimé son refus de soutenir des alliés ne contribuant pas suffisamment à leur propre défense. Certains conseillers lui suggèrent de réduire la participation américaine à la simple dissuasion nucléaire et de redéployer les troupes vers l’Asie.
Concernant Israël et la guerre à Gaza, Trump affiche un soutien sans nuance, dans la continuité de son premier mandat marqué par des décisions pro-israéliennes fortes. Il aspire à poursuivre les accords d’Abraham, une idée partagée par l’administration Biden qui envisageait un accord entre Israël et l’Arabie saoudite. Son entourage semble par ailleurs peu préoccupé par les droits politiques des Palestiniens, voire enclin à nier la question palestinienne.
Sur la Chine et le commerce, la stratégie est double. La défense de Taïwan par les États-Unis reste incertaine, révélant une contradiction entre les partisans de la retenue et ceux de la priorisation. Sur cette question, Trump propose surtout une stratégie industrielle et commerciale, avec des droits de douane universels de 10 % et une augmentation de 60 % sur les produits chinois.
Ce nationalisme américain exacerbé s’imposera à l’Europe, qui devra y répondre de manière unie et collective. Il est impératif d’éviter le transactionalisme et la bilatéralisation qui l’affaibliraient, et de définir des lignes rouges face à ce président américain.
Mme Maud Petit (Dem). Contrairement aux prévisions de nombreux observateurs annonçant un scrutin serré, Donald Trump a remporté une victoire éclatante à l’issue d’une campagne s’étendant sur quatre années. Cette issue ne présage rien de bon pour l’Union européenne, et particulièrement pour la France.
Les répercussions de ce résultat seront multiples. Sur le plan économique d’abord, l’ancien président américain affiche une hostilité manifeste envers l’Union européenne, comme en témoigne sa récente déclaration de campagne : « L’Union européenne profite de nous. On achète leurs produits, mais ils n’achètent pas les nôtres. Les gens pensent qu’ils sont gentils, mais non. Ils sont unis pour profiter des États-Unis. » Adepte du protectionnisme, il envisage notamment d’augmenter les droits de douane sur les produits importés de 3,3 % à 10 % si l’Union européenne n’accroît pas ses achats de biens américains. Une telle décision aurait des conséquences néfastes sur notre économie et celle de nos partenaires européens. Étant donné la forte progression des exportations européennes vers les États-Unis ces dernières années, quelles seraient les implications pour notre compétitivité ?
Sur le plan environnemental, les conséquences s’annoncent également préoccupantes. La réélection de Donald Trump, climatosceptique notoire, constitue une menace sérieuse pour la préservation de notre planète. Alors que les catastrophes naturelles se multiplient et s’intensifient, il souhaite à nouveau retirer son pays des accords de Paris sur le climat. Pour lui, l’urgence climatique n’est qu’une supercherie. Il s’est par exemple engagé à reprendre l’extension des forages pétroliers dans les réserves d’Alaska. Sa victoire entraînera vraisemblablement une augmentation significative des émissions de gaz à effet de serre, alors que les États-Unis sont le deuxième plus gros émetteur mondial, derrière la Chine. Or l’engagement des pays développés, dont les États-Unis, sera déterminant lors de la COP 29 pour l’augmentation de l’aide financière aux pays vulnérables, sujet central des discussions cette année.
Enfin, sur le plan diplomatique, Donald Trump a affirmé qu’il mettrait un terme à la guerre en Ukraine en 24 heures. Comment compte-t-il procéder ? Par un arrêt du soutien financier à l’Ukraine, une partition de l’État ? Cet éventuel accord de paix sera-t-il imposé aux Ukrainiens à leur détriment ? Et comme vous le souligniez, serons-nous inclus dans les négociations ? Au Proche-Orient, Donald Trump renforcera-t-il son soutien financier à l’État hébreu, au risque d’attiser davantage les tensions dans la région ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. Je pense que la différence majeure entre Harris et Trump réside dans leur approche de l’agenda climatique. Trump est un climatosceptique notoire, voire un négationniste à ce sujet. Néanmoins, deux éléments sont à prendre en considération.
D’une part, le débat sur le climat aux États-Unis a considérablement évolué. Le passage de l’ouragan Helene, qui a notamment touché deux États pivots, la Géorgie et la Caroline du Nord, a marqué un tournant dans la prise de conscience des citoyens américains quant à l’impact du changement climatique sur leur quotidien.
D’autre part, Trump devra faire face à un débat public qui s’est transformé sur ce sujet. Il a cependant affirmé qu’il retirerait à nouveau les États-Unis de l’accord de Paris, ce qui est tout à fait envisageable. Dans cette éventualité, comme nous l’avions fait lors de son premier mandat, il faudra gérer l’agenda climatique avec les Américains sous une autre forme. Cela implique de privilégier la diplomatie des villes et des États, en mettant l’accent sur le niveau sous-fédéral. Nous l’avons constaté avec la Californie, qui s’est positionnée fermement sur cet agenda climatique.
Mon message est donc le suivant : il faut faire preuve de créativité et d’innovation dans les formats de coopération avec les États-Unis sous l’administration Trump. Nous avons démontré qu’il était possible de maintenir les discussions sur le climat, mais à un niveau sous-fédéral, étant donné que le président Trump, à l’époque, ne croyait pas du tout au changement climatique et s’était retiré de l’accord de Paris. Soyons donc inventifs dans notre approche.
Mme Célia Belin. Pour parvenir à la paix en 24 heures, Donald Trump pourrait, selon les principes exposés dans son livre The Art of the Deal, exercer des pressions sur Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky. Il pourrait, par exemple, utiliser comme levier un paquet financier d’aide à l’Ukraine soumis au vote du Congrès, en déclarant à Zelensky : « Je ne voterai plus la moindre aide si tu ne participes pas à mon sommet pour la paix. » À Vladimir Poutine, il pourrait proposer de doubler cette aide s’il ne se présente pas non plus au sommet.
L’objectif serait de réunir les deux dirigeants. Le plan envisagé inclurait la reconnaissance de la souveraineté russe sur la majorité des territoires saisis, avec peut-être comme concession la restitution de Kherson ou Zaporijia à l’Ukraine. Le Donbass serait attribué à la Russie. En contrepartie, la démilitarisation de cette région et sa neutralité seraient imposées.
Cette situation soulèverait des questions épineuses pour les Européens. Ils devraient rapidement se positionner sur le maintien des sanctions contre la Russie, l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais aussi son intégration à l’Union européenne, cette dernière n’étant probablement pas perçue comme un élément de neutralité par la Russie. Ces enjeux nécessiteraient des décisions difficiles dans un délai très court.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Le résultat des élections présidentielles américaines marque indéniablement un tournant historique. Le retour inédit de Donald Trump s’inscrit dans un contexte complexe, caractérisé par une désinformation généralisée, un recul de l’État de droit et une remise en question du modèle démocratique qui prévalait dans nos sociétés occidentales depuis la seconde moitié du XXe siècle, y compris sur notre continent.
Bien qu’il ne nous incombe pas de juger le résultat d’une élection légitime dans un pays souverain, nous devons faire preuve de lucidité et de détermination. Les implications du retour de Donald Trump sont nombreuses et génératrices de tensions et d’incertitudes majeures, notamment concernant l’Ukraine, le Proche-Orient, la Chine et l’Iran.
Récemment, le premier ministre polonais, Donald Tusk, dirigeant d’un pays en première ligne de ce que l’on peut qualifier de conflit, déclarait : « Il est temps pour l’Europe de grandir enfin et de croire en sa propre force. » Sans faire preuve de naïveté, et tout en reconnaissant que les États-Unis demeurent nos alliés jusqu’à preuve du contraire, il devient impératif que l’Europe connaisse un sursaut et renforce son indépendance militaire, stratégique, économique et politique.
À la lumière de ce nouveau paysage international qui se dessine, je soumets donc au débat la question suivante : quelles seront les conséquences à court et moyen terme sur l’avenir de l’Europe ?
Mme Laurence Nardon. La réélection de Trump nous confronte certes à nos difficultés et nous accule, mais j’exhorte chacun à ne pas perdre espoir en l’Union européenne. En 2016 déjà, nous avions su faire front commun face aux propositions d’accords bilatéraux que Trump avait présentées, notamment à Angela Merkel et à Paris. L’Union européenne avait alors démontré sa capacité de résistance.
En 2022, lors de l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne a réagi avec une célérité inattendue, prenant des mesures que nul n’aurait cru possibles quinze jours auparavant. Elle a notamment mis en place, dès février 2022, un train de sanctions contre la Russie, dont nous sommes aujourd’hui au treizième ou quatorzième volet. Nous avons également activé des mécanismes prévus par l’Union européenne, jusqu’alors inédits, pour l’aide militaire et la formation en Ukraine. Je suis convaincue que nous pouvons réitérer cette prouesse.
Je souhaite partager mon expérience concernant l’image de l’Union européenne aux États-Unis. Nous avons trop souvent tendance à déplorer notre prétendue faiblesse et notre manque de perspectives. Or de nombreux Américains ne partagent pas cette vision. Ils reconnaissent l’Union européenne comme le plus grand marché de consommateurs au monde et comprennent que pour y écouler leurs produits, ils doivent se conformer à nos normes.
Un autre aspect particulièrement positif de l’image de l’Union européenne aux États-Unis réside dans l’intérêt que portent de nombreux Américains, notamment en Californie, à notre capacité à édicter des normes. En Europe, nous avons tendance à percevoir l’élaboration de normes par Bruxelles comme une activité rébarbative, inutile et contraignante. Pourtant, de nombreux Américains envient cette capacité, particulièrement dans le domaine numérique.
Nos règlements européens sur les services numériques, les contenus en ligne et le commerce électronique sont des exemples de notre réussite à légiférer au niveau des vingt-sept États membres. Les États-Unis, en revanche, peinent à établir une réglementation fédérale cohérente. Ils ne parviennent qu’à adopter des lois locales, ce qui constitue un véritable défi pour eux.
Je rejoins donc mes collègues pour affirmer que l’Europe dispose d’un potentiel considérable.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Les intervenantes ont judicieusement souligné, à plusieurs reprises, que la solution se situait à l’échelon européen, sans pour autant négliger les intérêts des États membres.
Il sera intéressant d’observer quels pays européens seront les premiers à se rendre aux États-Unis dans les prochains jours pour saluer et féliciter le président américain. Traditionnellement, l’Allemagne occupe cette position, mais j’espère qu’il en sera autrement cette fois-ci.
L’enjeu principal réside dans la capacité des Européens à agir collectivement et, surtout, dans la volonté de la France de faire entendre sa voix, en complément ou face à certaines actions de nos partenaires allemands. Ces derniers, comme trop souvent ces dernières années, semblent nous imposer leur vision du collectif. Les États-Unis exploitent sans retenue cette dynamique, reprenant en quelque sorte le rôle jadis tenu par nos alliés britanniques.
Mesdames, percevez-vous un moyen d’obtenir une cohésion européenne renforcée à ce niveau, ou du moins celle d’un noyau dur, que ce soit sur les questions commerciales ou sur le sujet, sans cesse évoqué mais toujours en chantier, d’une défense européenne et d’une stratégie militaire industrielle européenne qui fait encore défaut ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. Votre question est essentielle et concerne un sujet sur lequel nous devrions tous réfléchir en tant qu’Européens. Je dirais, de manière réaliste, que nous avons bénéficié de quatre années sous l’administration Biden pour nous préparer à ce scénario. Des efforts considérables ont été déployés, notamment en matière d’aide à l’Ukraine et de dépenses de défense. Cependant, bien que nos dépenses aient augmenté, nous achetons massivement du matériel américain. Deux tiers des équipements militaires que les Européens fournissent à l’Ukraine proviennent des États-Unis.
Pour construire une Europe de la défense forte, nous savons qu’il est impératif de développer une industrie de défense solide. C’est précisément sur ce point que le débat euro-américain s’enlise. Les Américains insistent, à juste titre, sur la nécessité pour les Européens d’augmenter leurs dépenses, mais dans le but d’acheter du matériel américain. C’est là que nous, Européens, devons saisir l’opportunité que pourrait représenter une administration Trump. Plusieurs de ses conseillers en matière de défense et de sécurité semblent comprendre l’importance pour l’Europe de disposer d’une industrie de défense robuste, un aspect que l’administration Biden semblait moins encline à reconnaître. Je pense qu’une administration républicaine pourrait nous permettre de progresser davantage sur ce sujet.
Trump cherchera probablement une solution pour l’Ukraine afin de se concentrer sur l’Iran, le Proche-Orient et la Chine. Pour cela, il est nécessaire que nous augmentions nos dépenses, mais en faveur de l’industrie européenne. Il nous incombe de redéfinir le débat sur l’autonomie stratégique ou opérationnelle. Les Européens doivent développer des capacités d’intervention et d’assurance de leur propre sécurité, notamment dans des scénarios où Washington ou l’OTAN pourraient se désengager.
La déclaration de Donald Tusk, affirmant que « l’ère de la sous-traitance géopolitique est terminée », revêt une importance capitale, d’autant plus qu’elle émane de Varsovie, l’une des capitales européennes les plus atlantistes. Cela témoigne d’un changement profond dans le débat sur les relations avec les États-Unis, y compris dans les pays traditionnellement les plus favorables à l’OTAN. Cette évolution représente une opportunité pour la France de promouvoir son concept d’autonomie stratégique européenne auprès de ses partenaires.
Néanmoins, il est impératif d’adopter une approche collective et concertée, en évitant les grands discours unilatéraux. Nous devons intensifier nos efforts politiques et diplomatiques pour créer un corpus commun en Europe. Un second mandat de Trump pourrait être le véritable catalyseur incitant les Européens à ajuster leur approche, notamment en matière de défense.
Concernant le concept de pilier européen au sein de l’OTAN, qui remplace progressivement celui d’autonomie stratégique jugé plus controversé, la question de sa mise en œuvre reste posée. Sa construction repose avant tout sur le développement de capacités de défense européennes. Notre principale faiblesse réside dans notre fragmentation et la compétition entre nos industries de défense intra-européennes, qui nous rendent dépendants des États-Unis. De même, nos désaccords sur la transition énergétique nous rendent dépendants de la Chine pour les panneaux solaires. Tant que nous n’aurons pas résolu cette fragmentation intra-européenne, nous resterons dépendants des autres puissances.
M. Alexis Jolly (RN). Au nom du Rassemblement National, je tiens à féliciter le président Trump pour sa victoire à l’élection présidentielle. Cet événement nous interpelle, démontrant que les citoyens américains, dans leur majorité, ont opté pour une orientation différente de celle préconisée par les grands médias, exprimant ainsi une volonté réelle de changement.
Cette élection doit nous servir de leçon et nous permettre d’en tirer des conclusions. Les peuples aspirent à reprendre le contrôle de leur destin, à préserver la souveraineté de leur nation et à protéger leurs valeurs. Au-delà des caricatures et des discours de façade, Donald Trump a défendu des politiques publiques plus en phase avec les préoccupations quotidiennes des citoyens américains. L’immigration, la sécurité et la réindustrialisation sont au cœur des inquiétudes des classes populaires américaines, tout comme des nôtres. C’est ce qui lui a permis de l’emporter malgré les scandales, les polémiques et les procès.
Les grands équilibres internationaux sont bouleversés par cette élection. Quelles implications cette victoire de Donald Trump pourrait-elle avoir pour la France et plus largement pour le continent européen ? Elle pourrait signifier un retour à la voie diplomatique sur la question ukrainienne, mettant potentiellement un terme au risque d’embrasement général. On peut également envisager un retour à une politique de paix au Moyen-Orient de la part des États-Unis, sur le modèle des accords d’Abraham.
Cette élection implique aussi que la France devra relever le défi d’une Amérique qui se renforcera sur le plan économique et défendra ses intérêts par des politiques intérieures plus protectionnistes. Nous devrons redoubler d’efforts pour défendre nos intérêts, notamment notre accès au marché américain que Donald Trump rendra plus difficile.
Ce scrutin américain sert également d’avertissement à nos adversaires, la Commission européenne, la macronie et la gauche. Les peuples réclament des politiques patriotes et pragmatiques. Ils rejettent les frontières ouvertes, le wokisme et la destruction des industries et des emplois sous prétexte d’écologie.
Partout en Occident, les peuples et les nations manifestent leur mécontentement et exigent un véritable changement. Le peuple français partage les mêmes aspirations, les mêmes espoirs et les mêmes attentes que le peuple américain, malgré la pression médiatique et les manœuvres des partis qui se sont succédé et alliés dans les sphères du pouvoir et dans les urnes depuis des décennies.
Le peuple français aspire à la liberté, à la prospérité, à la souveraineté, à la fierté et à une vision ambitieuse pour la France. Au Rassemblement National, nous nous engageons à tout mettre en œuvre pour concrétiser ces aspirations et restaurer la grandeur de la France.
Mme Célia Belin. Le nationalisme américain incarné par Donald Trump se manifeste principalement à travers son slogan « America First ». L’un des enjeux majeurs consiste à déterminer dans quelle mesure Trump cherchera des alliés hors des États-Unis. Bien qu’il ait entretenu des relations positives avec certains dirigeants européens et mondiaux, cela n’a jamais infléchi sa ligne politique. La politique industrielle et technologique actuelle des États-Unis, axée sur la compétitivité, menace la prospérité européenne.
Il convient de souligner la difficulté extrême des négociations avec la première administration Trump. Nous nous trouvons aujourd’hui confrontés à un nationalisme puissant, déterminé à défendre exclusivement les intérêts américains. L’enjeu réside désormais dans la construction d’un rapport de force entre ce nationalisme américain et l’Europe.
En tant que puissance moyenne, la France n’est pas dans une situation avantageuse. Cependant, à l’échelle européenne, nos chances s’améliorent. Trump lui-même en est conscient, ayant déclaré lors de son premier mandat que l’Union européenne était comparable, voire « pire » que la Chine, en raison de sa force et des déficits commerciaux américains vis-à-vis d’elle.
Dans ce contexte, il incombe aux Européens d’établir un rapport de force leur permettant de défendre collectivement leurs intérêts face à ce nationalisme américain.
Mme Éléonore Caroit (EPR). Tous les quatre ans, le monde attend avec appréhension de connaître le prochain président des États-Unis. Compte tenu des spécificités du système électoral américain, le vote des électeurs de Pennsylvanie, du Michigan, de Géorgie et d’autres États pivots semble déterminer l’avenir de la planète, et certainement celui de l’Europe.
L’Europe se réveille ce matin avec l’annonce d’une victoire de Donald Trump et d’une vague républicaine sans précédent aux États-Unis. Cela soulève des interrogations profondes au sein de notre commission, notamment concernant les positions de Donald Trump sur le conflit en Ukraine, la situation au Moyen-Orient et les relations commerciales avec l’Europe.
Concernant l’Ukraine, vous avez évoqué l’importance pour les Européens de prendre part aux négociations en cours. Quelle approche préconisez-vous pour l’Europe face au changement d’approche des États-Unis ? Comment ce changement devrait-il nous interpeller concrètement ? Pourriez-vous également apporter des précisions sur la question de l’OTAN ?
S’agissant du conflit israélo-palestinien, j’aimerais connaître vos avis sur les perspectives à court et moyen termes. Quel impact anticipez-vous sur les relations diplomatiques en cours et sur les questions humanitaires ?
Nous n’avons pas abordé l’impact de l’élection de Donald Trump sur la politique des États-Unis sur le continent américain, notamment sur la crise démocratique au Venezuela. Pensez-vous que cela entraînera des changements significatifs ?
Enfin, en tant que parlementaires français, nous nous intéressons particulièrement à la question des échanges commerciaux transatlantiques et à la vulnérabilité de l’Union européenne face au protectionnisme affiché de Donald Trump. Il a évoqué un droit de douane de 20 % sur les produits importés. Une telle hausse pourrait entraîner une baisse d’un tiers des exportations européennes dans certains secteurs.
Donald Tusk a souligné la nécessité d’un sursaut européen, qui n’avait pas eu lieu en 2016 mais pourrait, selon vous, se produire en 2024. Cependant, dans le contexte actuel de l’Union européenne, suite aux élections du Parlement européen et à l’émergence d’une vague eurosceptique et nationaliste, estimez-vous que ce sursaut soit encore envisageable ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. Concernant l’Ukraine et l’OTAN, il serait illusoire de penser que la résolution du conflit ukrainien proviendra uniquement de l’Occident. Des pays comme la Chine, la Turquie et le Qatar jouent déjà un rôle très actif sur de nombreux aspects entre l’Ukraine et la Russie. Nous devons faire preuve de davantage de créativité dans notre approche. J’envisage tout à fait Trump se rendant à Moscou, mais également à Pékin. Étant donné l’importance de la Chine dans le soutien à l’effort de guerre russe, il pourrait intégrer la question ukrainienne dans un accord plus large avec Xi Jinping, en lui proposant d’adopter une position plus constructive sur l’Ukraine et de l’aider à mettre fin à ce conflit pour qu’en contrepartie, les États-Unis signent un accord commercial et tarifaire plus favorable.
En matière de politique étrangère, Trump n’est nullement isolationniste. Il fait preuve de créativité, comme nous l’avons constaté notamment au Proche-Orient avec les accords d’Abraham. Il peut nous surprendre et utilisera tous les leviers à sa disposition. La question qui se pose est de savoir où se situe l’Europe dans cette équation. Nous devons élaborer une stratégie d’engagement auprès du Congrès américain et des conseillers de Trump sur les questions de sécurité et de défense, afin de garantir notre présence aux négociations. Dans sa conception, la solution est moins occidentale que multipolaire.
Concernant l’OTAN, je ne crois absolument pas à un retrait américain. L’Alliance demeure un instrument privilégié permettant aux États-Unis de faire pression sur leurs alliés européens. Ils garantissent la sécurité de l’espace euro-atlantique, mais exigent en retour que nous les suivions dans leur politique envers la Chine, notamment sur le de-risking, voire le de-coupling, notamment technologique. L’OTAN constitue ainsi un parfait outil de négociation pour les États-Unis. J’anticipe plutôt une OTAN en sommeil, avec un leadership américain en retrait, mais l’utilisant judicieusement pour nous mettre sous pression sur certains sujets.
Quant à Gaza, Trump a démontré sa créativité au Moyen-Orient. Les accords d’Abraham, poursuivis par l’administration Biden, et sa relation étroite avec Benyamin Netanyahou, dont Biden ne dispose pas, peuvent être utilisés comme leviers supplémentaires. Il cherchera probablement à impliquer la diplomatie régionale, notamment Mohammed ben Salmane en Arabie saoudite, pour éviter une implication trop importante des États-Unis dans la région.
En revanche, l’Iran représente pour lui une menace prioritaire. Si la situation continue de s’aggraver, on peut tout à fait envisager qu’il décide d’une frappe préemptive pour régler la question du Proche et Moyen-Orient. Il l’a démontré en Syrie, en réagissant rapidement là où Barack Obama n’avait pas respecté sa « ligne rouge ».
C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il n’est pas isolationniste. Il prône certes un nationalisme économique, axé sur la protection et le protectionnisme, ce qui fait écho à certaines tendances que nous observons en Europe. Mais sur le plan diplomatique, il utilisera tous les leviers à sa disposition, notamment ses relations privilégiées avec certains dirigeants autoritaires.
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Je souhaite exprimer ma profonde préoccupation concernant les résultats de l’élection présidentielle américaine. La victoire de Donald Trump face à Kamala Harris représente un jour sombre pour les droits et les libertés aux États-Unis. Je m’inquiète particulièrement pour les femmes américaines, dont le droit à disposer de leur corps, notamment par l’accès à l’avortement, constituait l’un des rares points de différenciation claire entre les programmes des deux candidats.
Mes pensées vont également aux millions d’immigrés en situation irrégulière que Donald Trump a promis d’expulser, se targuant de mettre en œuvre « le plus grand plan d’expulsion de l’histoire des États-Unis ».
Cette campagne s’est révélée atypique, marquée par des attaques personnelles et des invectives lors des grands rassemblements, au détriment d’un débat de fond. Nous avons également assisté à un changement inattendu, avec le remplacement du président sortant vieillissant par la vice-présidente en pleine campagne.
La défaite de Kamala Harris et des démocrates démontre qu’on ne peut vaincre l’extrême droite réactionnaire sans proposer un programme alternatif clair. Pour la première fois en vingt ans, les républicains remportent l’élection présidentielle avec le vote populaire. Il est évident qu’une ligne néolibérale ne suffit pas à mobiliser le peuple, pas plus qu’une absence de rupture sociale et géopolitique.
Trump et Harris se sont tous deux alignés sur la politique belliqueuse de Netanyahou, sans dénoncer le génocide du peuple palestinien, malgré les manifestations massives à New York et dans tout le pays contre le massacre au Proche-Orient. L’absence de discours en faveur de la paix chez la candidate Harris lui a été préjudiciable, tout comme son manque de propositions pour enrayer l’inflation qui affecte les plus démunis et les plus précaires, à l’instar de l’Europe, ou encore son renoncement à taxer les plus riches. Les démocrates n’ont pas su tirer les leçons de leur précédente campagne et paient aujourd’hui le bilan de l’administration Biden.
Trump avait promis d’augmenter les droits de douane, ciblant la Chine comme principal ennemi commercial, et nous anticipons des pressions accrues sur l’Europe. Pour la France Insoumise, ces résultats confirment plus que jamais la nécessité pour la France de s’affranchir de sa dépendance vis-à-vis des États-Unis, de construire une politique de paix et de coopération internationale, et de mettre en œuvre une politique étrangère indépendante, non alignée et altermondialiste.
Mme Laurence Nardon. Je souhaite aborder un sujet encore non traité, à savoir les relations interaméricaines, avec l’Amérique latine et l’Amérique du Sud. La réélection de Donald Trump ramène la dynamique des relations entre les États-Unis et leurs voisins du Sud à celle observée entre 2016 et 2020. Il existe une nette inversion des relations diplomatiques entre démocrates et républicains sur ce point.
Nous assisterons probablement à une Maison-Blanche beaucoup plus favorable à Javier Milei en Argentine, ainsi qu’à Bolsonaro, qui, bien que n’étant plus au pouvoir, demeure influent dans le paysage politique brésilien. Parallèlement, on peut s’attendre à une hostilité renouvelée envers les dirigeants vénézuéliens similaire à celle manifestée par Donald Trump lors de son premier mandat, laquelle n’avait cependant pas produit de résultats significatifs.
Au-delà de cette bascule évidente entre les deux partis politiques américains, il convient d’insister sur l’impact probable du retour de Donald Trump sur les relations avec le Mexique. En effet, ces dernières seront particulièrement affectées, car elles revêtent une importance capitale dans la politique étrangère américaine actuelle.
L’administration américaine sera très offensive concernant les questions d’immigration : elle exigera davantage du Mexique en termes de surveillance frontalière au sud et de centres de rétention sur son territoire. Bien que cette politique soit déjà mise en œuvre sous l’administration Biden, elle deviendra beaucoup plus exigeante et brutale sous un second mandat Trump.
Un autre aspect crucial concerne la lutte contre les importations illicites d’opioïdes orchestrées par les cartels mexicains via diverses méthodes telles que des tunnels ou des « go fast ». L’administration Biden a initié certaines actions en ce sens ; néanmoins, l’administration Trump promet d’intensifier considérablement ces efforts.
M. Julien Gokel (SOC). La victoire de Donald Trump suscite des inquiétudes quant à la liberté des Américains ainsi qu’aux répercussions mondiales. Cette nouvelle est préoccupante pour le monde entier, l’Europe, les femmes, le climat et les démocraties en général.
Nos relations transatlantiques vont évoluer ; l’avenir de l’OTAN est incertain. Le soutien à l’Ukraine sera partiellement révisé et nos échanges commerciaux subiront des modifications. Un article de Politico mentionne que certains responsables européens voient dans cette situation une opportunité pour renforcer l’Union européenne. En effet, ces dernières années ont démontré que l’Union a su mobiliser ses ressources et surmonter ses divisions face aux crises telles que la pandémie de covid-19 ou encore la crise énergétique, tout en soutenant fermement l’Ukraine.
Si Kamala Harris représentait une option favorable pour la démocratie et nos relations transatlantiques, il semble néanmoins que l’Europe soit mieux préparée qu’en 2016 face à la présidence de Donald Trump. En matière de défense – domaine où une présidence Trump pourrait provoquer d’importants changements – ce dernier n’hésite pas à accuser le vieux continent d’abuser de la protection militaire américaine via l’OTAN, menaçant même un retrait américain.
Quel scénario envisagez-vous pour la France et pour l’Union européenne si les États-Unis se retiraient formellement ou réduisaient fortement leur contribution à cette Alliance ? Concernant le soutien à Ukraine, le retour de Trump pourrait accroître la pression sur l’Europe concernant le partage du « fardeau » au-delà des efforts consentis depuis 1949 lors création de l’OTAN. Dans ce contexte hypothétique, serait-il possible que les pays membres s’accordent sur un emprunt commun afin de soutenir Kiev ?
Sur plan commercial, le nouveau mandat Donald Trump pourrait-il entraîner l’adoption d’une politique économique plus protectionniste à l’échelle européenne ? Risquons-nous d’assister à une politique du chacun pour soi où de nombreux pays membres chercheraient des accords bilatéraux avec d’autres puissances ?
Ces questions reflètent les craintes suscitées par cette élection américaine qui reviennent à chaque scrutin présidentiel outre-Atlantique. Pour conclure, je dirais que nous devons être davantage maîtres de notre destin et plus indépendants, afin d’éviter d’avoir le sentiment que notre avenir se joue à quelques milliers de voix dans des États américains.
Mme Célia Belin. Quel serait le scénario si les États-Unis se retiraient de l’OTAN ? Je ne crois pas que ce soit prévu. Le Congrès américain a adopté une loi rendant plus difficile pour le président de quitter formellement l’Alliance atlantique, afin de protéger cette relation et d’empêcher une volonté des trumpistes de s’en retirer. Concrètement, le président peut cependant prendre des décisions budgétaires qui affaibliraient l’OTAN, ce qui montrerait un réel désengagement américain. Mme Hoop Scheffer évoquait précédemment une OTAN « dormante » où les Américains cesseraient de participer aux décisions quotidiennes et stratégiques tout en cherchant à imposer une paix ou au moins un cessez-le-feu en Ukraine. Tout dépendra alors de la capacité des Européens non seulement à démontrer leur engagement sur le long terme mais aussi à s’affirmer comme partenaires indispensables lors des négociations. Une négociation tripartite entre Américains, Ukrainiens et Russes se ferait nécessairement au détriment des Ukrainiens ; il est donc impératif que les Européens soient présents dans ces discussions.
Concernant la politique économique, nous disposons d’un instrument développé par l’administration Biden : le Trade and Technology Council (conseil sur le commerce et la technologie). Ce conseil visait principalement à progresser dans les domaines commercial et technologique – enjeu majeur pour les années et décennies futures – et appelle à un renforcement de la compétitivité européenne. Il sera crucial de maintenir cet objectif, car Européens et Américains doivent continuer à dialoguer sur ces questions technologiques sans entrer dans une guerre technologique totale qui nuirait aux intérêts européens.
Il est essentiel de soutenir nos champions européens face aux puissants intérêts technologiques américains incarnés notamment par Elon Musk. Nous devons proposer quelque chose d’innovant pour faire évoluer ce conseil en impliquant sinon Trump lui-même, du moins certains membres influents de son cabinet.
M. Michel Herbillon (DR). Ma première question concerne la période de transition jusqu’au mois de janvier. On peut supposer que cette fois, avec le président Biden au pouvoir, la transition se déroule mieux qu’il y a quatre ans, surtout compte tenu du fait que la victoire de Trump est absolument incontestable tant en termes d’États remportés que du vote populaire. Pendant cette longue période de transition, les conflits continuent au Moyen-Orient et en Ukraine. Que se passe-t-il si des décisions importantes doivent être prises en raison de ces deux conflits ? Comment cela fonctionne-t-il entre le président Biden et le nouveau président Trump, qui n’est pas encore installé ? En cas de nécessité urgente due à la situation internationale, comment envisagez-vous ce processus décisionnel ? S’agit-il d’une décision concertée ou bien est-ce le nouveau président non encore investi qui détient ce pouvoir ?
Ma seconde question porte sur l’Indo-Pacifique, une zone connue comme étant un champ de confrontation entre la Chine et les États-Unis depuis que sous l’administration Obama, un pivot vers l’Asie a été décidé par les États-Unis. Parmi les différentes écoles de politique étrangère dont vous avez parlé et concernant les personnes qui intégreront l’administration Trump, comment anticipez-vous cette confrontation dans l’Indo-Pacifique entre la Chine et les États-Unis ? Quel est votre avis quant aux approches respectives : celle prônant une priorisation stratégique ou celle défendant une retenue stratégique ? Selon vous, laquelle prévaudra et comment cette compétition se déroulera-t-elle dans cette région primordiale ?
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. Concernant l’Indo-Pacifique, deux personnalités méritent une attention particulière. D’une part, Bob Lighthizer, conseiller de Trump sur les questions commerciales lors de son premier mandat, façonne sa politique commerciale, sa politique vis-à-vis de la Chine et sa politique douanière. D’autre part, Elbridge Colby, qui le conseille sur les questions de sécurité nationale et l’articulation entre les théâtres européen et indo-pacifique, a récemment exposé sa réflexion dans le Financial Times, résumant parfaitement le cadre de réflexion de Trump.
Il est essentiel de comprendre que les États-Unis ne perçoivent pas l’Europe comme un acteur majeur dans la région indo-pacifique, mais plutôt comme un maillon faible. C’est pourquoi ils intègrent de plus en plus la question chinoise dans le cadre de l’OTAN. Ils estiment que les investissements massifs chinois dans nos infrastructures critiques, notamment nos ports, nous rendent vulnérables à l’influence chinoise. En cas de conflit militaire, la Chine pourrait potentiellement entraver la mobilité de nos troupes sur le continent européen. Pour les États-Unis, la question chinoise en Europe est désormais abordée sous l’angle de la sécurité, une tendance que nous tentons de modérer, mais qui s’impose inexorablement.
Par ailleurs, dans le débat stratégique américain, les questions de sécurité et de défense européennes, y compris la guerre en Ukraine, sont de plus en plus analysées à travers le prisme chinois. L’argument avancé est que si nous, Européens, maintenons notre dépendance à la Chine dans de nombreux domaines technologiques et industriels sans remettre en question la nature de notre relation, nous permettons à la Chine de continuer à alimenter l’effort de guerre en Ukraine. La question du « dérisquage » par rapport à la Chine est ainsi étroitement liée à l’avenir du conflit en Ukraine.
Concernant l’Ukraine et l’OTAN, le refus de l’administration Biden d’envisager une adhésion potentielle de l’Ukraine à l’Alliance est révélateur. Le message est clair : l’avenir de l’Ukraine se situe au sein de l’Union européenne, non dans l’OTAN. Les États-Unis n’ont ni l’appétit ni probablement les capacités pour maintenir indéfiniment leur aide militaire et financière à l’Ukraine. La charge de l’assistance, de la garantie de sécurité et de la reconstruction de l’Ukraine incombera aux Européens.
Nous devrons collectivement réfléchir à cette question. Un emprunt commun semble inévitable, malgré les réticences de l’Allemagne et d’autres pays. L’administration Biden a clairement indiqué que, même avec Kamala Harris, l’aide américaine serait réduite et que nous devrions assumer la responsabilité de l’avenir de l’Ukraine dans le cadre européen.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Donald Trump est devenu le 47e président des États-Unis, malgré les risques qu’il fait peser sur la démocratie américaine et nos démocraties européennes. Cette élection n’augure rien de bon pour l’avenir du soutien à l’Ukraine face à la Russie ni pour les perspectives d’un cessez-le-feu à Gaza. Elle ne présage rien de favorable non plus pour les femmes, les personnes immigrées, l’environnement ou encore la communauté LGBT.
Nous savons bien de quel côté des dirigeants Donald Trump se range lorsqu’il qualifie Viktor Orbán et Vladimir Poutine de « chefs forts ». Sa campagne s’est articulée autour des thèmes habituels de l’extrême droite européenne : le pouvoir d’achat et l’immigration. Elle a été marquée par une désinformation massive, un discours raciste et xénophobe.
Les démocrates n’ont pas su faire du pouvoir d’achat une priorité ; cette lacune leur a probablement coûté la victoire. Les effets dévastateurs de la désinformation sont apparus clairement lors de ces élections. Elon Musk y contribue activement sous couvert d’une liberté d’expression fallacieuse. Ses récentes actions assimilables à un achat de vote ainsi que son utilisation stratégique de sa plateforme X ont mis en péril le débat démocratique américain.
Aujourd’hui, 62 % des républicains adhèrent à la théorie du complot selon laquelle l’élection présidentielle de 2020 aurait été volée. L’arrêt rendu par la Cour suprême en 2013 a également remis en cause l’organisation unifiée des élections dans tout le pays en annulant une disposition clé de la loi électorale de 1965. Cette dernière obligeait les États à soumettre toute modification de la loi électorale et des procédures de vote pour avis préalable au département de la Justice avant mise en œuvre.
Cette élection risque donc de précipiter les États-Unis vers une forme de démocratie illibérale, avec un projet de relecture de la Constitution attribuant au président un contrôle quasi total sur la bureaucratie fédérale, incluant les agences indépendantes nommées par le Congrès, le ministère de la justice, la police fédérale, etc. La question demeure quant aux capacités actuelles des institutions américaines à faire barrage à ces mesures.
Il semble légitime de se demander si le Congrès et la Cour suprême n’ont pas déjà failli dans leur défense de la démocratie. Comment l’homme ayant appelé ses partisans à marcher sur le Congrès pour empêcher la certification du dernier scrutin a-t-il pu être candidat à un nouveau poste présidentiel ? Il devient difficile de ne pas redouter les années à venir pour les États-Unis et par extension pour l’Europe. Selon vous, de quels garde-fous dispose encore la démocratie américaine pour éviter une dérive vers l’illibéralisme ?
Mme Laurence Nardon. Il convient de noter que malgré l’existence d’une extrême-droite et d’une extrême-gauche, la majorité des Américains demeurent profondément modérés et aspirent à la stabilité. Paradoxalement, l’élection de Trump, vue de loin, laisse présager une transition relativement paisible. J’ajouterais un autre fait surprenant : toute cette rage autour des élections, depuis celle de 2016, a engendré une participation électorale des citoyens américains nettement supérieure à celle observée auparavant. Si Trump obtient le contrôle de la Chambre, toutes les institutions seront de son côté. Cette perspective s’avère préoccupante.
Du point de vue constitutionnel, le président Biden conserve l’intégralité des pouvoirs jusqu’au 21 janvier, date à laquelle le nouveau président prendra ses fonctions. Idéalement, l’équipe de transition du nouveau président devrait collaborer avec les équipes en place. Cependant, il est rare que cela se produise ainsi, même avant Trump. Les États-Unis ne sont alors pas en vase clos et nombreux sont leurs alliés ou ennemis qui profitent de cette période transitoire.
En 1980, par exemple, les Iraniens avaient attendu l’investiture de Reagan pour libérer les otages après l’échec des négociations de Carter. L’un des principaux risques durant cette période de transition, qui s’étend d’aujourd’hui jusqu’au 21 janvier 2025, réside dans une possible frappe préemptive israélienne sur l’Iran. En effet, Israël pourrait agir sans retenue ni obligation de rendre des comptes à l’administration sortante, qu’ils ont déjà ignorée tout au long de l’année écoulée, malgré les appels répétés à la modération émis par Joe Biden et ses conseillers auprès du gouvernement du Likoud.
Mme Célia Belin. En ce qui concerne les droits des femmes, il convient de souligner que c’est la deuxième femme qui a été battue par Donald Trump, alors que les deux candidates étaient respectivement la première et la deuxième femme à se présenter à la présidence américaine. Cela démontre la persistance du plafond de verre. Il est indéniable que Kamala Harris a mené la campagne la plus courte de l’histoire moderne, rendant son parcours quasi impossible. Il faut se rappeler que lorsque Joe Biden a abandonné, il était en train de perdre. Par conséquent, Trump n’a fait que poursuivre sa victoire dans cette élection.
Néanmoins, face à cette situation et au recul des droits reproductifs, les femmes pourraient devenir ce garde-fou, notamment en descendant dans la rue. Nous avons observé ces mouvements de mobilisation en 2017-2018, et ce sont peut-être ceux-ci qui vont se réactiver. Il est possible que cela ne passe désormais que par la mobilisation citoyenne.
Malgré tout, nous assisterons à une transition pacifique. C’est là que réside la force de l’Amérique : continuer à avoir, tous les quatre ans, un président qui prend ses fonctions le 20 ou le 21 janvier. Cette tradition perdure malgré toutes les attaques contre le système. Ainsi, l’alternance pourrait bien survenir.
M. Jérôme Buisson (RN). Lors de ces élections, les deux prétendants ont été présentés, à juste titre, comme ayant des positions diamétralement opposées en matière de politique intérieure. Cependant, en dépit des espoirs des partisans français de la candidate démocrate, de nombreux points de consensus existent entre les deux candidats, notamment en termes de politique étrangère.
On constate ainsi une continuité dans les mesures protectionnistes, depuis celles initiées par Obama jusqu’à celles mises en œuvre par Trump puis Biden. L’Inflation Reduction Act, instauré par l’administration Biden, illustre parfaitement la pérennité de la politique protectionniste des démocrates.
La démocratie s’étant exprimée, quel que soit le résultat, le renforcement du volet protectionniste de la politique commerciale américaine s’avère inéluctable. La question qui demeure est celle de son ampleur. Cette orientation, associée aux écarts de prix de l’énergie entre les États-Unis et l’Europe, représente une menace sérieuse pour notre industrie.
Je m’interroge donc : les Français et les Européens persistent-ils à être dupes en s’obstinant dans le dogme d’un libre-échange effréné ? Comment envisagez-vous l’évolution des relations commerciales entre les États-Unis et l’Union européenne ?
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). La politique africaine des États-Unis constitue un aspect important que nous n’avons pas abordé. La BBC avait notamment souligné les potentielles répercussions significatives dans ce domaine. L’administration Biden s’était engagée à investir 55 millions de dollars, principalement dans le secteur de la santé en Afrique. Ce continent représente également un terrain de rivalité avec la puissance chinoise. Je souhaiterais donc connaître votre analyse sur l’évolution de la politique africaine dans ce contexte.
M. Frédéric Petit (Dem). Une question importante n’a pas encore été abordée : celle de l’Organisation des Nations unies (ONU). Je m’interroge sur son absence dans les discussions, notamment concernant la situation en Ukraine. Il me semble que la charte des Nations unies constitue aujourd’hui le seul garde-fou définissant ce qui est acceptable ou non pour mettre fin à cette guerre, en particulier en ce qui concerne le respect des frontières internationales. En tant qu’Européen, je considère cela comme une ligne rouge infranchissable. Comment pouvons-nous envisager la position des États-Unis vis-à-vis de l’ONU ? Il s’agit ici d’une question concrète liée à l’Ukraine et au non-respect flagrant de sa charte – un point souligné par les représentants onusiens lors de leur rencontre avec Vladimir Poutine il y a quinze jours.
M. Karim Ben Cheikh (EcoS). Quel est l’impact de la situation actuelle sur le système onusien et sur l’avenir de l’architecture internationale de paix ? Bien que cette dernière n’ait pas produit beaucoup d’effets ces dernières années, que ce soit sur les conflits syrien, ukrainien ou à Gaza, sommes-nous en train d’assister à la fin de cette architecture ?
Je m’interroge aussi sur les contributions américaines, qu’il s’agisse des contributions volontaires aux Nations unies ou de celles destinées à la solidarité internationale. Je mets cela en perspective avec les actions de la France. Est-il opportun pour notre pays de réduire de 30 % son aide publique au développement, comme nous l’avons entendu ce matin dans cette commission ? Est-ce le moment de diminuer nos contributions volontaires aux Nations unies ?
M. François Hollande (SOC). J’ai retenu de mon expérience avec Donald Trump que ses déclarations se concrétisent systématiquement. Lors de sa transition vers le pouvoir en 2016, il m’avait annoncé son intention d’annuler l’accord avec l’Iran et de se retirer de l’accord sur le climat. Il a tenu parole. Aujourd’hui, il risque d’aller encore plus loin. Tout ce qu’il a énoncé, malgré les excès connus, sera probablement mis en œuvre sans résistance, grâce aux libertés que lui offriront le Congrès et le système institutionnel.
Concernant l’Ukraine, sa proposition de résoudre le conflit en quelques jours, initialement perçue avec scepticisme, pourrait se réaliser. Ses relations avec Poutine laissent présager un accord prédéfini : il céderait à la Russie les territoires conquis et contraindrait Zelensky à accepter ce compromis, ce dernier n’ayant guère d’alternative. Les Européens, malgré leurs déclarations actuelles, seraient contraints de participer à une conférence de paix incluant la Chine, la Turquie et l’Union européenne.
Sur le conflit israélo-palestinien, Trump intensifierait son soutien à Netanyahou, avec toutes les implications envisageables, y compris une possible confrontation avec l’Iran, bien que ce dernier ne semble pas enclin à une telle escalade.
La Chine demeure son objectif principal. Il tente de la dissocier de la Russie, n’étant pas totalement convaincu de leur unité. Son but serait donc de résoudre la question ukrainienne pour se concentrer sur la confrontation avec la Chine.
Quant à l’Europe, sa capacité à faire face à cette menace est compromise par ses divisions internes, plus prononcées qu’entre 2016 et 2020. Certains dirigeants européens s’alignent sur les positions de Trump, espérant même le convaincre. L’incertitude plane sur les intentions de Donald Tusk concernant un éventuel éloignement de la Pologne des États-Unis.
La réaction européenne dépendra essentiellement de la France, de l’Allemagne et de la Pologne. Une réponse unifiée de ces trois pays face aux enjeux mentionnés pourrait instaurer un rapport de force. Cependant, des interrogations subsistent : l’Allemagne résistera-t-elle malgré la menace des droits de douane ? La Pologne tiendra-t-elle bon malgré ses liens avec l’Alliance atlantique et sa proximité avec la Russie ? La France maintiendra-t-elle sa position dans le contexte politique actuel ?
M. le président Bruno Fuchs. En guise de conclusion, je souhaite reprendre l’idée évoquée par Karim Ben Cheikh concernant la politique du président Trump lors de son premier mandat. Nous avons constaté ses efforts pour déréguler les principales institutions de gouvernance mondiale. L’ONU et l’OTAN ont été mentionnées, mais il convient d’ajouter l’UNESCO et les instances du commerce international. La question se pose désormais de savoir si cette tendance va s’accentuer, menant potentiellement à un déclin de la mondialisation, où prévaudraient des rapports de force au lieu des rapports de droit.
Mme Alexandra de Hoop Scheffer. Je vais synthétiser mes réflexions sur la gouvernance mondiale et le multilatéralisme. Nous faisons face à une crise évidente du multilatéralisme, illustrée par la paralysie stratégique du conseil de sécurité des Nations unies. Cette situation reflète la compétition entre les grandes puissances et entrave la recherche de solutions aux crises et conflits actuels.
Nous assistons à une mutation de la gouvernance mondiale. Bien que notre vision soit souvent euro-atlantique, l’élargissement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et l’approfondissement des alliances entre la Chine, la Russie, l’Iran et la Corée du Nord nous obligent à repenser nos propres alliances et partenariats. Il est impératif d’adopter une approche créative en matière de diplomatie et de partenariats stratégiques.
Les enjeux climatiques, énergétiques et la transition numérique nécessitent désormais l’inclusion de pays tels que l’Inde ou le Brésil dans les discussions. Ces nations s’affirment de plus en plus sur la scène internationale. La résolution de la guerre en Ukraine, par exemple, ne sera pas uniquement occidentale, mais impliquera un ensemble diversifié de pays.
Je partage l’analyse de François Hollande. Notre organisation, présente à Paris, Berlin et Varsovie, constate que le dysfonctionnement du triangle de Weimar découle de l’inefficacité du leadership franco-allemand. Paris et Berlin divergent sur de nombreux sujets cruciaux : l’Europe de la défense, les relations avec la Russie et les États-Unis. Cette discordance paralyse les formats de coopération que nous pourrions coanimer.
Je crois fermement aux alliances au sein de l’Union européenne. Nous devrions explorer davantage les possibilités offertes par Weimar, Weimar Plus, et envisager d’inclure les Britanniques, désireux de renouer avec l’UE sur les questions stratégiques de sécurité et de défense. Cette approche pourrait contribuer à recréer un alignement franco-allemand sur certains sujets de désaccord.
Face à l’administration Trump, nous devons faire preuve d’astuce dans nos échanges avec les États-Unis sur des sujets primordiaux tels que le climat, l’Ukraine et le Proche-Orient. En l’absence d’un leadership franco-allemand fort, les institutions européennes ont un rôle majeur à jouer, comme l’ont démontré les crises du covid-19 et de la guerre en Ukraine.
La perspective d’une nouvelle administration américaine et d’une nouvelle Commission européenne offre une opportunité de collaboration sur des projets concrets. Il est essentiel d’adopter une approche pragmatique et de présenter des propositions tangibles aux Américains.
Enfin, concernant la Chine, qui constitue un enjeu existentiel pour Washington, il faut faire comprendre aux États-Unis qu’une position européenne stratégiquement complémentaire à la leur peut leur être bénéfique. Notre capacité à être plurialignés est particulièrement pertinente à un moment où des pays comme l’Inde, la Turquie et le Brésil refusent de choisir entre les États-Unis et la Chine. Mettons en avant cette complémentarité et ses avantages potentiels pour les Américains.
Mme Laurence Nardon. J’insiste sur la nécessité d’être vigilants quant aux déclarations de Trump dès maintenant. En effet, depuis ce matin, ses propos ont déjà un impact considérable sur le monde et revêtent un caractère performatif. Il serait donc imprudent d’attendre janvier prochain pour y prêter attention.
Mme Célia Belin. Alexandra de Hoop Scheffer a parfaitement résumé la notion d’un monde en mutation, devenant à la fois plus compétitif, plus prédateur, mais également plus ouvert. Dans ce contexte, il est impératif que les Européens fassent preuve de créativité, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Ils doivent également démontrer leur unité.
Il est nécessaire que l’Union européenne élabore une stratégie vis-à-vis des États-Unis, à l’instar de celles qu’elle a su développer pour la Chine, l’Indo-Pacifique et la sécurité économique. Cette stratégie devrait émaner conjointement de la Commission et du service européen pour l’action extérieure (SEAE). Des conclusions du Conseil pourraient être adoptées dès décembre, permettant d’établir certaines lignes rouges et de formuler des propositions créatives et concrètes à l’intention de la nouvelle administration américaine.
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La réunion est levée à 13h 20.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Guillaume Bigot, Mme Élisabeth Borne, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, Mme Stella Dupont, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, Mme Alexandra Masson, M. Laurent Mazaury, Mme Isabelle Mesnard, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Dominique Voynet
Excusés. - Mme Clémentine Autain, M. Éric Ciotti, M. Olivier Faure, M. Perceval Gaillard, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Remi Provendier, M. Davy Rimane, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. – M. Karim Ben Cheikh