Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Audition, ouverte à la presse, de M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des partenariats internationaux 2
Mercredi
20 novembre 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 17
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des partenariats internationaux.
La séance est ouverte à 11 h 10.
Présidence de Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des partenariats internationaux, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue devant notre commission. Nous sommes très heureux de vous recevoir car vos responsabilités se situent au cœur des préoccupations de bon nombre d’entre nous.
Vous représentiez depuis 2011 le département de Mayotte au Sénat, dont vous avez été l’un des huit vice-présidents, et depuis le 21 septembre, vous êtes le premier Français mahorais à appartenir à un gouvernement de la République. Nous saluons ce parcours. Mayotte est un territoire pour lequel cette commission se mobilise depuis plusieurs années.
Vos fonctions ministérielles comportent deux enjeux essentiels : la Francophonie et les partenariats internationaux.
Les 4 et 5 octobre, nous avons accueilli à Villers-Cotterêts et à Paris le XIXe sommet de la Francophonie. La Francophonie peut-elle rester dans sa configuration actuelle ? N’y a-t-il pas une nouvelle étape à franchir, après la création de cet espace sur les bases de notre histoire, de notre langue et de notre culture communes, puis l’instauration d’une gouvernance multilatérale ? Quels sont les moyens dédiés au projet francophone ?
S’agissant de la coopération et des partenariats internationaux, alors qu’ils devaient mobiliser 0,7 % du revenu national brut (RNB) l’an prochain, les crédits budgétaires alloués à l’aide publique au développement (APD), examinés dans cette commission et en séance publique à l’occasion des débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, seraient amputés d’au moins 800 millions. Comment voyez-vous, dans ces conditions, la poursuite des grands partenariats internationaux ? De nouvelles recettes sont-elles envisagées ? Nous sommes nombreux à avoir déposé ou signé des amendements, visant par exemple l’augmentation de 0,3 % à 0,5 % du taux de la taxe sur les transactions financières, ce qui générerait 1,5 milliard d’euros de recettes supplémentaires.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État chargé de la Francophonie et des partenariats internationaux. La France a accueilli le XIXe sommet de la Francophonie, précédé par la XLVe conférence ministérielle de la Francophonie que j’ai eu l’honneur de présider.
Le sommet de Villers-Cotterêts a pleinement répondu aux défis posés pour faire rayonner la Francophonie, en se révélant historique à plus d’un titre. D’abord, par sa rareté : l’accueil de la plus haute instance de la Francophonie multilatérale que nous avons coconstruit avec l’Organisation internationale de la Francophonie – l’OIF – a constitué une première depuis trente-trois ans. Ensuite, le sommet a été historique par son décor : la cité internationale de la langue française du château de Villers-Cotterêts et le grand palais à Paris, tous deux fraîchement rénovés et récemment ouverts au public. Il a été historique, enfin, par son ambition : les États et gouvernements membres de la Francophonie ont relevé le défi de proposer aux francophones, en particulier les jeunes, des occasions concrètes et inédites pour créer, innover et entreprendre en français.
En marge du sommet, le festival Refaire le monde s’est tenu dans divers lieux culturels en France et dans une cinquantaine de pays. Grâce à notre réseau culturel, 350 000 personnes y ont assisté entre le 20 mars et début octobre. Je souligne aussi le succès du premier salon des innovations en français, FrancoTech, qui a rassemblé à la Station F plus de 2 500 participants de près de cent pays. Ces événements ont incarné une Francophonie de proximité, active, dynamique et inspirante. Ils ont suscité un engouement du public et des professionnels. Les retours des chefs d’État et de gouvernement, comme des ambassadeurs, sont positifs. Ce sommet était aussi un rendez-vous politique, avec la participation d’une cinquantaine de chefs d’État et de gouvernement sur une centaine de délégations. L’OIF s’affirme plus que jamais comme une enceinte singulière et attractive : en témoignent le retour de la Guinée, l’adhésion de l’Angola, du Chili, de la Sarre, de la Nouvelle-Écosse et de la Polynésie française, ainsi que le rehaussement du statut de Chypre et du Ghana.
Le sommet de la Francophonie s’est également inscrit dans une actualité immédiate. J’en veux pour preuve l’adoption d’une résolution sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix dans l’espace francophone, dont plusieurs paragraphes portent sur le Moyen-Orient, l’Ukraine, l’Arménie et le Sahel.
Par ailleurs, une déclaration de solidarité avec le Liban a appelé à un cessez-le-feu immédiat et annoncé la conférence internationale présidée par le chef de l’État à Paris, deux semaines seulement après le sommet. Au-delà des aspects politiques, la volonté du président de la République – partagée par la secrétaire générale de la Francophonie Louise Mushikiwabo – était de tenir un sommet utile, opérationnel et concret. Les chefs d’État et de gouvernement ont ainsi adopté une déclaration thématique incluant les priorités de la France, y compris sur les enjeux globaux et les prochaines échéances internationales. Cette déclaration a aussi fixé un cadre pour l’émergence de nouveaux projets, dont certains portés par la France, à l’instar de l’appel de Villers-Cotterêts pour la régulation des plateformes en ligne ou la création d’un collège international pour la formation des enseignants et des cadres éducatifs et celle des traducteurs-interprètes.
Le président de la République a annoncé seize engagements, parmi lesquels un soutien au programme international mobilité et employabilité francophone (PIMEF), à l’initiative de l’agence universitaire de la Francophonie, ainsi qu’au programme Volontaires unis pour la Francophonie et à la chaîne TV5 pour la jeunesse au Maghreb. Je citerai aussi la nouvelle Alliance féministe francophone.
Dans les mois à venir, avec le concours des services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, je m’attacherai à assurer le suivi de ces engagements, de ces projets et de l’utilisation des fonds alloués à la France. FrancoTech a vocation à être pérennisé et, dans chacun de mes déplacements, je défends les objectifs de la Francophonie du réseau pour l’égalité et les droits des femmes, que nous avons lancés avec la ministre québécoise. Par ailleurs, en sa qualité de pays hôte du sommet, la France en garde la présidence jusqu’à la prochaine édition en 2026 au Cambodge. Quant à la prochaine conférence ministérielle, c’est le Rwanda qui l’accueillera à l’automne 2025.
La France est, par ailleurs, le premier bailleur de la Francophonie multilatérale. Nous continuerons de soutenir les efforts de modernisation et d’élargissement de l’OIF pour en faire un acteur incontournable et influent du système multilatéral. Le soutien à cette organisation dans son rôle d’espace de concertation sera aussi une priorité et pourra s’illustrer lors des prochains rendez-vous internationaux, parmi lesquels le sommet pour l’intelligence artificielle de Paris en février, la conférence des Nations unies sur les océans en juin à Nice ou celle sur le financement du développement à Séville cet été, dans le prolongement du sommet pour un nouveau pacte financier mondial.
Dans notre dialogue bilatéral avec nos partenaires, je soutiendrai tous les efforts nécessaires pour faire rayonner la Francophonie. Je l’ai déjà fait en me rendant au Caire début novembre pour identifier, avec le ministre égyptien de l’éducation, des pistes opérationnelles permettant de maintenir l’apprentissage du français.
Puisque vous m’y invitez, je souhaite également dire un mot de nos partenariats internationaux et de notre politique d’aide au développement. Dans le contexte budgétaire que vous connaissez, le ministère a pris une part significative dans les annulations et gels de crédits décidés en février et en juillet pour un montant total de 800 millions d’euros, soit 12,5 % du budget. Pour apporter notre contribution à l’objectif de maîtrise des finances publiques fixé par le premier ministre, nous avons été conduits à faire des choix pour que ces réductions ne remettent pas en cause nos projets prioritaires. Notre boussole, fixée par Jean-Noël Barrot qui vous l’a exposée le 23 octobre, est de préserver d’abord les chantiers et actions qui nous permettent de porter la voix singulière de la France dans le monde, et ensuite les actions qui agissent directement sur le quotidien des Français et qui permettront de rendre notre diplomatie plus innovante, créative et efficace.
L’enveloppe du programme 209, Solidarité avec les pays en développement, connaît une baisse de 47 % de ses autorisations d’engagement. Toutefois, je rappelle la tendance haussière du programme depuis 2017. De surcroît, plusieurs outils ont vocation à être préservés. Nos outils bilatéraux seront ainsi les moins affectés. Les ambassades pourront continuer de lancer des projets grâce au fonds Équipe France, qui a fait la preuve de son efficacité et de sa réactivité. Nous continuerons à augmenter le nombre des experts techniques internationaux, qui sont un levier important d’influence. En matière humanitaire, avec 500 millions, nous préserverons une capacité à intervenir rapidement. C’est un gage de crédibilité politique dans les nombreuses situations de crise auxquelles nous sommes confrontés. Les crédits délégués à l’Agence française de développement (AFD), qui constituent le bloc le plus important du programme, seront nécessairement touchés par les réductions budgétaires. Je reviendrai sur nos efforts pour optimiser l’efficacité des aides. Enfin, les moyens destinés aux agences des Nations unies ainsi qu’aux autres organisations multilatérales et régionales seront affectés par la baisse de crédits. Nos partenariats devront donc être réévalués et rendus prioritaires à l’aune de l’influence qu’ils nous permettent.
Je me suis entretenu au sujet de ces perspectives avec Amina Mohammed, vice-secrétaire générale des Nations unies pour le développement. Dans le cadre de nos efforts d’application du pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P), la mobilisation de financements innovants de la finance privée ou des banques multilatérales de développement est une autre de nos priorités.
J’ai travaillé avec les membres exécutifs de la Banque mondiale et de la plupart des banques régionales de développement lors des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) à Washington, en octobre. Leur mobilisation sera nécessaire lors du One Water Summit co-organisé par la France à Ryad le 3 décembre, comme elle l’est pour le sommet pour la nutrition que la France accueillera en mars.
Au-delà des grands rendez-vous de 2025, j’aurai à cœur d’incarner l’agenda du renouveau de nos partenariats avec le continent africain, dont le président de la République a brossé les contours, dès 2017 dans son discours de Ouagadougou et lors du nouveau sommet Afrique-France de 2021. Il s’agit de mettre la jeunesse et la culture au cœur de nos relations bilatérales, dans un partenariat d’égal à égal, gagnant-gagnant, sans peur du passé et tourné vers l’avenir. J’ai commencé ce travail en me rendant en Côte d’Ivoire en octobre, pour signer des conventions de prêt qui permettront de soutenir 60 000 jeunes entrepreneurs, et je le poursuivrai au Kenya la semaine prochaine.
Nos priorités s’inscrivent dans le cadre des dix objectifs politiques prioritaires établis au Comité interministériel de la coopération internationale et du développement– le CICID –, qui consacrent une attention essentielle aux enjeux du climat, à la promotion de nos intérêts économiques avec 50 % minimum de projets assurés par des entreprises françaises, à l’éradication de l’extrême pauvreté et à la lutte contre les migrations irrégulières. J’inclus dans chacune de mes mobilisations à l’étranger une thématique relative aux droits des femmes car je porte une attention particulière à ce sujet. D’ici 2025, 75 % de nos projets devront répondre à cette priorité.
J’évoquerai aussi l’importance accordée au pilotage de notre aide et à une évaluation fine de l’impact de nos projets. Nous continuerons à mesurer et à améliorer l’impact réel de nos efforts dans un objectif de redevabilité que nous devons aux Français. Je me félicite de ceux qui ont permis de faire aboutir la création de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement. Je tiendrai le mois prochain un comité trimestriel interministériel de l’investissement solidaire et durable.
J’en viens aux crédits consacrés, au travers du programme 185, à notre diplomatie culturelle et d’influence. En dépit d’une baisse de 6 %, ils sont maintenus à un niveau élevé
– à 674,4 millions d’euros. Ce budget permettra de financer des actions essentielles au rayonnement international de la France. Nous réaffirmons ainsi le soutien aux Instituts français, relais d’influence indispensables à l’étranger. Nous avons besoin d’attirer les meilleurs dans nos centres culturels, pour l’organisation d’événements de qualité et pour convaincre nos partenaires et les mécènes.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
M. Michel Guiniot (RN). On ne peut qu’apprécier la volonté du gouvernement d’avoir resserré et réorienté votre secrétariat d’État vers la Francophonie et les partenariats internationaux. En tant que vice-président de la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), je me félicite qu’ils soient, pour la première fois depuis 2014, mis en avant dans son intitulé.
Les immortels ont remis la neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française à leur chef et protecteur, le président de la République. M. Macron en a profité pour souligner qu’il était important que ce soient des écrivains qui s’occupent de la langue, le rôle des académiciens étant de préserver et d’enrichir la langue française. Mais notre belle langue se retrouve face à une difficulté de taille : l’aberration inclusive imposée par les partisans de la déconstruction – puisque je ne veux pas employer « wokisme ». Le gouvernement du début de la présidence Macron avait interdit l’usage du point médian dans les textes officiels pour préserver notre patrimoine linguistique. Pourtant, ces marques orthographiques, de facto irrégulières, sont en constante progression dans les publications officielles des parlementaires, des administrations et des agences de l’État.
Une récente publication du ministère de la mer et de la pêche à la forme inclusive donne une bien triste image de la langue utilisée par nos ministres. Suivrez-vous la ligne définie par l’Académie française, selon laquelle l’écriture inclusive constitue un péril mortel pour la langue française ? Assumerez-vous de promouvoir la Francophonie en luttant contre l’écriture inclusive, en particulier l’abus du point médian qui défigure nos actes officiels ?
Par ailleurs, je vous signale que l’invitation à la séance inaugurale du XIXe sommet de la Francophonie nous est parvenue, à certains parlementaires et moi-même, hors délai fixé pour la confirmation de notre présence. Après prise de contact avec votre administration pour tenter d’y assister, j’ai été renvoyé dans mes buts. En tant qu’élu de la nation membre de la commission des affaires étrangères et de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, j’espère que vos services feront preuve d’une meilleure communication, sans mise à l’écart de certains députés.
M. le président Bruno Fuchs. Il est vrai que plusieurs députés ont rencontré des difficultés à participer au sommet. C’était une déception, s’agissant d’un événement francophone qui se tenait en France.
M. Michel Guiniot (RN). Ce sommet s’est même tenu dans ma région. Nous avons également été écartés de l’inauguration à Villers-Cotterêts. Peut-être était-ce un choix ? Dire aux députés qui ont reçu l’invitation trop tard pour y répondre qu’il fallait s’adresser aux organisateurs, c’est prendre les prendre pour des imbéciles et c’est bien ce qu’ont fait vos services puisqu’ils étaient eux-mêmes les organisateurs de ce sommet !
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Je suis sincèrement désolé de cette déconvenue.
Je me félicite de la remise de la nouvelle version du Dictionnaire de l’Académie française. C’est une séquence mémorable. Notre position est claire, concernant l’écriture inclusive. Notre objectif est que la langue française soit agile mais lisible, en phase avec son temps. Le nombre de mots a ainsi doublé. Par ailleurs, le président Fuchs a rappelé mes origines : le français, qui n’est pas ma langue maternelle et que j’ai commencé à apprendre à l’âge de six ans, est un bien précieux. Vous pouvez compter sur ma détermination pour le protéger.
M. Hervé Berville (EPR). Votre portefeuille est vaste, dense et essentiel pour nos concitoyens car les sujets dont vous traitez ne sont pas seulement internationaux mais au cœur de la vie de nos compatriotes. Nous vous remercions de votre présence dans de nombreux forums internationaux. La présence française est importante et je constate que vous portez haut et fort les valeurs de notre cher pays, avec chaleur et rigueur à la fois.
Alors que le commerce est un levier de développement, y compris pour un pays comme le nôtre, confirmez-vous que l’agriculture ne sera jamais une variable d’ajustement dans les négociations internationales d’accords et de partenariats ? Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères aura-t-il à cœur de défendre les intérêts de nos agriculteurs, comme le font d’autres pays pour leur agriculture ? Nous devons continuer à nouer des partenariats internationaux mais en tenant compte de la nécessité de préserver notre souveraineté alimentaire.
Par ailleurs, notre commission s’était battue pour augmenter l’aide publique au développement dans le cadre d’une loi de programmation pour la lutte contre les pauvretés, les inégalités et la transition écologique, mais aussi pour une évaluation des actions ainsi engagées comme vecteur de modernisation. Compte tenu de la baisse drastique et inédite de cette aide, à quels arbitrages allez-vous procéder ? Les programmes avec le plus impact seront-ils préservés ? Je pense notamment au fonds d’innovation pour le développement, que nous avons défendu avec la prix Nobel d’économie Esther Duflo.
Enfin, quelle place accorderez-vous, dans votre agenda chargé, au sommet des Nations unies pour les océans ? Outre la préservation de ce bien commun de l’humanité, la défense de l’économie maritime et la lutte contre les activités illégales, comment en faire un moment de rayonnement de la diplomatie française et de nos magnifiques littoraux, au premier chef les Côtes-d’Armor ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Votre première question dépasse le cadre de mon portefeuille mais j’observe que, en l’état, le projet d’accord commercial avec le Mercosur est inacceptable pour la France.
Vos interrogations m’amènent à aborder le sujet de la malnutrition, qui touche toutes les nations et dont les conséquences sont d’ampleur, puisque 145 millions d’enfants souffrent d’un retard de croissance, 45 millions d’émaciation et 37 millions de surpoids. Nous devons investir massivement en faveur d’une transition vers des systèmes alimentaires plus durables, équitables et résilients. C’est dans cette optique que je continuerai à être présent partout et à faire entendre la voix de la France pour tenter de relever le défi universel de la lutte contre la malnutrition.
Le contexte international nous oblige en matière de défense du multilatéralisme. Ma feuille de route consistera à porter notre voix lors des temps forts que la France accueillera en 2025 – nous avons le temps d’affiner la préparation et nos contributions, y compris la vôtre, car je sais quel a été votre engagement dans ce domaine –, mais aussi au sommet de Séville.
Une conférence a été consacrée au climat et accueillie à Paris il y a dix ans, dans le cadre de la COP21. En juin, celle de Nice sera la plus grande conférence internationale jamais organisée autour des océans et la plus ambitieuse sur le plan politique. Co-préparons cette échéance, nous en avons le temps.
M. le président Bruno Fuchs. Pour cette conférence, ne renouvelons pas les erreurs dont Michel Guiniot s’est fait le porte-parole. Travaillons ensemble et soyons largement présents lors de cet événement. C’est l’intention de notre commission.
Par ailleurs, nous avons récemment débattu d’un rapport d’information consacré à l’enjeu alimentaire, avec un volet dédié à la malnutrition. Les propositions judicieuses qu’il contient pourraient nourrir votre réflexion politique.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. J’ai trop de respect pour le travail parlementaire pour ne pas m’en inspirer.
M. Hervé Berville (EPR). L’une de mes questions portait sur le budget.
M. le président Bruno Fuchs. M. le ministre aura sans doute l’occasion d’y répondre ultérieurement dans les échanges.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Co-rapporteur, avec Amélia Lakrafi, d’une mission consacrée à l’avenir de la Francophonie, je ne partage pas votre constat selon lequel le sommet de Villers-Cotterêts aurait permis de renouer avec une véritable ambition pour l’espace francophone au sens de la défense de la place du français dans le monde et des liens privilégiés entre les pays qui le composent. Je le regrette.
L’enseignement du français à l’étranger est mis à mal. Nous avons rencontré, à de multiples reprises, ceux qui enseignent le français dans le monde et tous évoquent les bâtiments vétustes, les professeurs précarisés, le système de bourses dysfonctionnel ou les frais de scolarité trop élevés. De nombreuses familles envoient désormais leurs enfants dans les systèmes américain et britannique, au détriment de notre réseau éducatif. C’est préoccupant. Le refus d’accorder des visas aux étudiants étrangers francophones qui voudraient poursuivre un cursus universitaire en France contribue à cette situation : les étudiants préfèrent apprendre l’anglais ou le chinois dans le secondaire car ils sont certains de pouvoir aller étudier dans les universités de leur choix. Cela va de pair avec une vision restrictive de la politique migratoire. Tout cela nous isole dans l’espace francophone, tout comme nous isole notre politique internationale.
Vous avez mentionné le sommet de l’OIF. S’il a péniblement accouché de quelques conclusions sur le Liban, il n’a rien dit concernant la République démocratique du Congo, à tel point que le président Tshisekedi a quitté le sommet, alors même que c’est le plus grand pays francophone au monde et que les milices du M23 ravagent le Nord-Kivu.
Nous avons besoin de renouer avec une véritable ambition pour l’espace francophone, qui ne se borne pas à développer les contenus en français sur les plateformes de streaming ou à décliner la start-up nation au niveau francophone. J’espère que les conclusions du rapport que nous remettrons à la fin de l’année pourront inspirer vos travaux.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Les chiffres sont probants : plus de 321 millions de personnes parlent le français dans le monde, qui est la cinquième langue la plus parlée après l’anglais, le chinois, l’hindi et l’espagnol. C’est aussi la langue officielle de trente-deux pays et, avec l’anglais, c’est la seule à être présente sur les cinq continents. Par ailleurs, le français est la quatrième langue la plus utilisée sur internet et la deuxième langue étrangère la plus apprise, avec 150 millions d’apprenants dans le monde. Enfin, le nombre de francophones pourrait atteindre 750 millions d’ici 2050, dont une grande part sur le continent africain.
Partout où je suis allé depuis ma nomination, j’ai constaté une demande de France et du français. L’OIF, qui fait un travail formidable, a d’ailleurs accueilli cinq nouveaux membres cette année, preuve de l’attractivité de la Francophonie.
Je me suis rendu au Canada et au Québec avec le président de la République. À mon retour, j’ai signé avec le sénateur Jeremy Stine le renouvellement de l’accord de coopération relatif au Conseil pour le développement du français en Louisiane (Codofil).
J’ai assisté au lancement de l’Alliance de la propriété intellectuelle francophone, portée par l’Institut national de la propriété industrielle – l’INPI –, avec une dizaine de ses homologues.
Ces programmes montrent que nous ne baissons pas les bras. Nous ne sommes pas seuls au monde et l’anglais est agressif – si vous me permettez cette expression. Les personnes désireuses de réagir face aux risques qu’elles constatent pour la Francophonie sont des modèles dont nous pourrions nous inspirer pour éviter que le pire que vous décrivez arrive.
Mme Dieynaba Diop (SOC). Nous avons dû jouer des coudes pour pouvoir assister au bel événement qu’a été le XIXe sommet de la Francophonie, alors que nous sommes parlementaires et membres de cette commission. Une solution a été trouvée à la dernière seconde et je remercie les services qui nous ont permis d’y assister. Le contraire aurait été embêtant.
Nous traversons une période cruciale. La Francophonie est l’un des piliers de notre influence culturelle, éducative et diplomatique mais elle fait face à de nombreux obstacles, comme une dérive constante vers l’anglophonie. L’anglais plaît beaucoup et nous perdons de nombreux jeunes, qui ne s’orientent plus vers nos lycées français à l’étranger et qui peinent à arriver en France, car l’obtention d’un visa est de plus en plus compliquée. Une pression est également exercée par des puissances comme la Russie ou la Chine au travers des réseaux sociaux, en particulier au Sahel. Nous devons relever le défi de la transmission du français, notamment en Afrique où nous manquons d’enseignants formés à l’enseignement du français langue étrangère (FLE). Alors que le budget alloué à votre portefeuille connaît une forte baisse, nous avons demandé, à la quasi-unanimité, le rétablissement des crédits pour que vous puissiez continuer à travailler de manière correcte. Ce n’est pas qu’une question de budget, c’est un choix stratégique pour notre rayonnement.
Comment maintiendrez-vous l’ambition de doubler le nombre d’élèves en français dans les lycées étrangers, compte tenu des coupes budgétaires ? Comment offrir à la jeunesse francophone des possibilités éducatives et professionnelles, ce qui est un objectif affiché par notre pays ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Nos lycées français demeurent attractifs et l’objectif du doublement des effectifs reste prioritaire, tandis que le budget alloué aux lycées est globalement préservé. À New York, j’ai visité l’école d’Harlem qui bénéficie du programme French for all pour le financement de programmes d’enseignement bilingues aux États-Unis. L’avenir est le multilinguisme. En mettant l’accent sur sa promotion, nous contribuons à répondre aux défis que vous évoquez.
Il faut aussi mentionner la création du collège international de Villers-Cotterêts, à la cité internationale de la langue française. Dès 2025, ce laboratoire d’excellence pour améliorer la qualité de l’éducation francophone aura vocation à accueillir des enseignants et des cadres éducatifs. Il y aura aussi un centre de formation continue pour les traducteurs et interprètes des organisations internationales.
Encore une fois, je suis navré pour les déconvenues que certains d’entre vous ont rencontrées à l’occasion du sommet de la Francophonie. Retenons les annonces qui en ont découlé, qui vont dans le sens de vos propos et que je me ferai fort de concrétiser. Ne baissons pas les bras. Le français est mis en question mais nous allons tout faire pour sauver et préserver le français !
M. le président Bruno Fuchs. Au-delà d’une participation aux événements, les parlementaires ont une implication, une réflexion et une vision à apporter. C’est ce que traduisent les propos de nos collègues.
Mme Dominique Voynet (EcoS). La population de Mayotte s’est réjouie de la nomination inédite d’un ministre issu de l’île aux parfums. Ce n’est que justice ! Mais vous n’êtes pas le ministre de Mayotte ; vous êtes secrétaire d’État à la Francophonie et aux partenariats internationaux.
La Francophonie, c’est clair. Les partenariats internationaux, c’est plus flou et très large. Votre mission semble concerner en priorité le développement et la solidarité internationale. Si c’est bien le cas, vous êtes responsable de deux outils d’influence et de rayonnement de la France dans le monde : sa langue, et avec elle les cultures francophones – littérature, arts, cinéma –, et son appareil de soutien au développement.
Votre influence ne se mesure pas à l’ampleur de vos crédits d’intervention. La Francophonie en tant que telle en mobilise peu. L’aide publique au développement est aussi un petit budget, durement raboté dans le projet de loi de finances pour 2025. Le fonds de solidarité pour le développement n’est plus, et l’aide publique au développement perd ses ressources propres, à savoir la taxe sur les transactions financières et celle sur les billets d’avion. L’APD est victime de l’austérité, dans le PLF, et le gouvernement entendait même proposer en séance un amendement baissant ses crédits de 641 millions supplémentaires ! Quels seront les arbitrages, alors que de nouveaux et terribles besoins se font jour en Palestine, au Soudan et en République démocratique du Congo ?
Vous avez animé un panel au Forum de Paris pour la paix, en insistant sur la nécessité de préserver un système financier international favorisant le développement. Je m’interroge sur la finalité de ces sommets et conférences, qui bénéficient d’une exposition politique et médiatique de moins en moins convaincante, dans un environnement international de plus en plus complexe. Quel avenir pour ces formats ? Comment relancer le multilatéralisme ?
Enfin, quel regard portez-vous sur la conduite et l’efficacité du plan de développement France-Comores, conçu comme un instrument de développement des Comores dans les champs de la santé maternelle et infantile, de l’éducation, de la formation, du développement rural et des droits des femmes, avec l’ambition de convaincre les populations tentées par une hasardeuse et parfois mortelle traversée en kwassa-kwassa vers Mayotte ? Quel sera son avenir, dans le contexte budgétaire que nous avons décrit ?
M. le président Bruno Fuchs. Les questions sont nombreuses mais c’est peut-être le moment pour que vous preniez position vis-à-vis du budget : acceptez-vous les crédits tels qu’ils sont prévus ou vous battez-vous pour les augmenter ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Je suis dans un gouvernement qui a fait des choix. Le premier ministre a fixé un cap. Je suis rattaché au ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Vous comprendrez la solidarité que je dois à cette ligne politique. Quant à vous, parlementaires, ne négligez pas votre rôle. Vous disposez de marges de manœuvre jusqu’à la commission mixte paritaire. Je pense que nous ferons au mieux, collectivement, pour sauvegarder ce qui peut l’être.
S’agissant des baisses de crédits, j’ai précisé dans mon propos liminaire quelles étaient nos priorités. Nos outils bilatéraux seront les moins affectés. Les ambassades pourront continuer à lancer des projets grâce au fonds Équipe France et nous continuerons à augmenter le nombre d’experts techniques internationaux. En matière humanitaire, nous avons dû supprimer la provision pour crises majeures mais, avec 500 millions d’euros, nous préservons une capacité à intervenir rapidement. C’est un gage de stabilité politique.
Les crédits délégués à l’AFD seront touchés par les réductions budgétaires, avec l’objectif de nous centrer sur nos priorités géographiques et thématiques et d’optimiser l’efficacité de l’aide. Les moyens destinés aux agences et organisations multilatérales des Nations unies et régionales seront les plus affectés. Le ministère souhaite engager un dialogue inclusif avec les parlementaires pour établir les axes prioritaires de nos engagements multilatéraux.
Concernant les Comores, nous procéderons à une évaluation fine de ce qui s’est fait, en fonction de laquelle nous améliorerons ce qui peut l’être et arrêterons ce qui n’est pas efficace.
Mme Maud Petit (Dem). En novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, le président de la République avait souhaité permettre aux Africains, en particulier la jeunesse, d’avoir accès à leur propre patrimoine et au patrimoine commun de l’humanité en Afrique – et plus seulement en Europe.
Emmanuel Macron s’était engagé à ce que, dans les cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. S’appuyant sur le rapport Restituer le patrimoine africain en Afrique : vers une nouvelle éthique relationnelle, rédigé par l’écrivain et économiste Felwine Sarr et l’historienne de l’art français Bénédicte Savoye, il avait souhaité enclencher un processus de restitution à la demande des autorités béninoises et sénégalaises. C’est ainsi que vingt-six œuvres se trouvant au musée du quai Branly-Jacques Chirac, qui avaient constitué une prise de guerre lors de l’attaque, en novembre 1892, du palais du roi Behanzin par le général Dodds – attaque ayant conduit le roi et sa famille à s’exiler en Martinique –, ont été restitués au Bénin pour être exposées au futur musée de l’épopée des Amazones et des rois du Dahomey, projet soutenu par l’AFD. Dans le même esprit, le sabre d’El Hadj Oumar Tall et son fourreau, qui étaient conservés au musée de l’armée ont été rendus au Sénégal et sont désormais visibles au musée des civilisations noires de Dakar.
Étant donnée l’inaliénabilité des collections nationales, ces restitutions ont fait l’objet d’une loi spécifique autorisant une dérogation limitée, encadrée et circonstanciée à ce principe. Adoptée le 17 décembre 2020, cette loi a ouvert la porte à de nouvelles restitutions et de nouveaux partenariats avec les pays demandeurs.
Vous avez participé à une réunion de travail avec Rachida Dati et Françoise Remarck, ministres de la culture française et ivoirienne, à l’occasion de laquelle une convention a été signée pour préparer le transfert en Côte d’Ivoire du tambour Djidji Ayôkwé, surnommé « tambour parleur », actuellement au musée du quai Branly-Jacques Chirac. Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de ce programme et nous dire en quoi une politique de restitution active des biens culturels peut permettre un renforcement, voire un développement de la Francophonie ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Depuis 2017, la France a fait de la restitution des biens culturels une priorité dans ses relations avec ses partenaires africains. La cérémonie de signature de la convention du dépôt du « tambour parleur », qui s’est tenue le 18 novembre au ministère de la culture, en présence des ministres de la culture ivoirienne et française et de membres de votre commission et du Sénat, est symptomatique de cet engagement et a permis d’enclencher le processus de retour du tambour Djidji Ayôkwé. Les sénateurs présents ont annoncé le dépôt d’une proposition de loi visant la restitution à la Côte d’Ivoire, seul moyen juridique qui permettra la sortie du tambour des collections publiques françaises. Par cette étape, la France et la Côte d’Ivoire se sont engagées dans un dialogue étroit dans le domaine culturel et patrimonial, qui s’est traduit par plusieurs projets emblématiques comme la modernisation du musée des civilisations de Côte d’Ivoire, qui accueillera à terme le tambour, ainsi que la numérisation de ses collections. Le « tambour parleur » a été restauré, numérisé en 3D et présenté en janvier dans sa version numérique lors de la coupe d’Afrique des nations de football à Abidjan.
Notre coopération se poursuit, avec des actions visant à structurer la politique muséale ivoirienne, à valoriser le patrimoine ivoirien et à développer une filière professionnelle dans le secteur du patrimoine et des outils numériques. C’est ainsi tout un programme de coopération qui s’est enclenché entre deux pays francophones et membres de l’OIF. Je me suis engagé dans ce dossier en me rendant à Abidjan, après avoir fait connaissance de la ministre ivoirienne lors du sommet de la Francophonie. Ce processus participe aux relations nouvelles, d’égal à égal et de respect avec nos partenaires, en particulier africains.
M. le président Bruno Fuchs. Le projet de loi-cadre, qui permettrait la restitution d’œuvres d’art demandées par certains pays, est rédigé depuis un an mais n’est pas encore à l’ordre du jour du Parlement. Pour le « tambour parleur », nous passons par une loi dédiée ; or, s’il faut adopter à chaque fois une loi dérogatoire, nous ne sommes plus dans un principe universel. Son processus n’étant pas encore fluide et régulier, la restitution de ce type d’œuvres pose donc une question de fond.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Le principe d’une loi-cadre n’est pas abandonné mais il est de notre devoir de permettre certaines restitutions lorsqu’elles ne sont pas compliquées. Puisqu’il a été aisé d’obtenir une unanimité, il aurait été dommage de ne pas enclencher le processus de restitution du « tambour parleur » alors que passer par une loi-cadre aurait été plus long.
Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Alors que se tient le salon des maires et des collectivités locales, quel regard le sénateur que vous avez été porte-t-il sur les partenariats internationaux des collectivités, au-delà des jumelages entre villes ? À l’échelle de l’État, nous sommes convaincus que la Francophonie est un outil d’influence, dont les collectivités souhaitent se saisir pour être des traits d’union avec le reste du monde.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. J’attache une importance particulière à ce que les collectivités puissent participer à toutes les politiques publiques, y compris lorsque la Francophonie et les partenariats internationaux sont concernés.
Au Caire, lors du Forum mondial urbain, la délégation française comptait plus de 135 personnes et les élus locaux venus témoigner de leur expérience et de leur expertise se sont fortement engagés. La semaine prochaine, j’irai au Kenya pour signer une convention entre la chambre de commerce et d’industrie de ce pays et le département de Mayotte. Ce sont des exemples parmi d’autres de l’implication nécessaire des collectivités. J’ajoute que les collectivités d’outre-mer sont aux avant-postes des pays avec lesquels nous nouons des partenariats. Je compte sur l’expertise des élus locaux et des territoires pour œuvrer ensemble à faire avancer nos politiques publiques.
M. le président Bruno Fuchs. Votre expérience passée légitime la sincérité de vos propos et de vos intentions.
M. Laurent Mazaury (LIOT). En octobre, dans une interview à Radio France internationale (RFI), vous avez exprimé des craintes quant à l’utilisation de la seule démographie comme facteur de l’expansion de la langue française et aux risques de stagnation du français dans les pays dont les systèmes scolaires sont fragilisés et vous avez évoqué plusieurs actions en matière d’enseignement pour l’éviter. Dans cette optique, même si cela semble surprenant, il nous faut d’abord travailler sur la compréhension et sur l’acquisition de la langue française dans notre propre pays.
La Francophonie ne saurait concerner que les autres pays, d’autant que nous constatons des failles dans l’usage du français au quotidien sur le territoire national. Pourtant, dans la deuxième partie du PLF pour 2015, les crédits de l’action 12, Intégration des étrangers primo-arrivants, du programme 104 de la mission Immigration, asile et intégration, dont les actions visent principalement l’apprentissage de la langue française, devraient baisser de 43,73 % en autorisations d’engagement et de 45,41 % en crédits de paiement. Il est pourtant essentiel que cette action soit pérennisée. Quelles mesures le gouvernement compte-t-il prendre dans cette optique ? Pouvez-vous, compte tenu de vos responsabilités en matière de Francophonie, aider à cette prise de conscience ? Comment promouvoir la Francophonie dans le monde, quand nous avons de telles difficultés à faire apprendre le français sur notre sol ? L’enseignement est primordial pour développer la connaissance du français.
Par ailleurs, les inégalités et les discriminations de genres, qui sont monnaie courante et en progression constante dans certains pays du monde, sont un frein à l’apprentissage du français par les femmes, ce qui démontre que le facteur démographique ne peut être le seul indicateur de l’expansion de la pratique du français. Avez-vous des indications quant aux conséquences des inégalités et des discriminations sur la promotion du français à l’étranger ? Comment nos actions visant à promouvoir notre belle langue peuvent-elles lutter efficacement contre les inégalités de genres ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Le périmètre national de l’apprentissage du français échappe à mon portefeuille. Aussi laisserai-je à ma collègue qui en a la charge le soin d’y répondre.
Le budget de la Francophonie a vocation à ne pas mettre en péril nos priorités. Nous sommes dans une période difficile et les efforts à consentir nous engagent tous. Ils visent à mieux nous armer pour rebondir et revenir au premier plan.
S’agissant de la lutte contre les inégalités de genres, la diplomatie féministe me tient à cœur. C’était le principal sujet de mon récent déplacement au siège de l’Organisation des Nations unies. Par ailleurs, après le sommet de la Francophonie, nous avons lancé l’Alliance féministe francophone afin de soutenir les organisations féministes, dont les activités ont un effet transformateur sur les normes sociales et les politiques publiques.
Je viens de prendre mes fonctions et la seule garantie que je peux apporter est d’avoir à l’esprit tous ces sujets et toutes ces priorités. La défense de l’égalité entre les femmes et les hommes est ancrée en moi, compte tenu du statut matriarcal de mon territoire, Mayotte. C’est viscéral ! Je n’ai pas besoin d’être convaincu et je déploierai toute mon énergie pour faire avancer ce sujet avec vous.
Mme Véronique Besse (NI). Lors du sommet de l’OIF de novembre 2022, sa secrétaire générale avait alerté sur le recul du français dans les organisations internationales. Ce constat était d’ailleurs partagé par le président de la République, qui avait plaidé pour « un projet de reconquête ». Malgré les annonces des différents sommets, force est de constater que la langue française est en net recul. L’abandon et le désintéressement pour la langue de Molière ont des conséquences lourdes sur notre influence à l’international. Lors du XIXe sommet de la Francophonie, de nombreux observateurs ont déploré l’érosion de notre rôle dans le monde, notamment en Afrique. Cette situation ne doit rien au hasard : elle est le fruit de plusieurs années de renoncement, en particulier en matière d’enseignement du français.
Le cas du Liban illustre bien la perte de terrain de la Francophonie, indépendamment de la crise géopolitique actuelle. Ce pays compte 38 % de francophones. Son histoire est intimement liée à la nôtre et c’est le pays du Moyen-Orient dans lequel la France a le plus d’influence. Pourtant, depuis plusieurs années, on ne peut que constater le recul du nombre d’élèves dans les établissements francophones, au profit des classes anglophones qui ne cessent de se multiplier. Le cas du Liban est loin d’être isolé et le déclin de l’enseignement du français au profit de l’anglais se traduira, à terme, par une chute du nombre de locuteurs, donc par la fin de l’utilisation de notre langue dans les organisations internationales. Ce sont le rayonnement de notre pays et son influence diplomatique qui se jouent.
Deux ans après les annonces du président de la République pour la « reconquête » de la langue française, comment votre ministère agit-il en la matière et quels sont ses objectifs pour redonner un futur à notre langue dans le monde et dans les instances internationales ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Le sommet de la Francophonie a été l’occasion de nombreuses annonces, preuve de sa richesse. La Francophonie mobilise au plus haut niveau, parce qu’elle sait être force de proposition, d’action et de transformation. Ce sommet, coconstruit avec l’OIF, s’est montré à la hauteur des enjeux en matière multilatérale. Au sein de l’espace francophone, qui représente plus de 300 millions de citoyens, faut-il le rappeler, nous savons nous concerter et converger. En témoigne la solidarité francophone exprimée envers le Liban, au travers d’une déclaration adoptée à l’unanimité des membres de l’OIF, et les efforts conjoints de ces derniers pour peser dans les crises qui secouent le monde et pour s’organiser face aux défis globaux.
Après les constats, l’heure est à l’action. Nous devons nous préparer au doublement des locuteurs francophones d’ici vingt à trente ans. Le sommet a permis d’engager cette préparation, par la formation au français ou par la mobilité des jeunes. Je me fais fort de traduire en actes les annonces du sommet de Villers-Cotterêts. Au-delà du budget, des rapports, des relations et des partages d’expériences pourront servir d’exemple.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions à titre individuel.
M. Frédéric Petit (Dem). Merci d’avoir rappelé que la Francophonie, c’est le plurilinguisme. Par ailleurs, il ne faut pas confondre l’enseignement français à l’étranger et l’enseignement du français. Les chiffres sont démesurément différents et l’enseignement du français à l’étranger ne relève pas de votre ministère. Si nous progressons bien, nous compterons 30 000 bacheliers français dans le monde et nous visons la venue de 500 000 étudiants en France.
Je voudrais vous interroger sur un sujet qui passionne cette commission et dont nous n’avons pas parlé, ce qui est assez symbolique : France Médias Monde et TV5 monde. Le groupe France Médias Monde effectue un important travail sur internet, en particulier pour développer le multilinguisme, puisque nous avons vingt-neuf langues en plus du français. Comment vous situez-vous vis-à-vis des échéances de financement ? Discutez-vous avec vos collègues de la culture et des affaires étrangères, dans le cadre de la proposition de loi organique sur le financement de l’audiovisuel public ou de la grande réforme de ce dernier, des spécificités de la médiatisation de ce que nous faisons à l’international ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. J’ai rencontré la dirigeante de France Médias Monde pour aborder ces questions à l’aune du budget et nous avons convenu de travailler en étroite collaboration et de tout faire pour préserver les moyens d’action de ce groupe. Des actions que je ne peux pas détailler ici seront engagées pour rappeler la nécessité de préserver et de développer cet outil médiatique. Je m’engagerai aussi dans la lutte contre la désinformation. Nous affronterons collectivement ces défis.
Mme Pascale Got (SOC). À la lecture de vos interventions et de vos réseaux sociaux, il apparaît que les sujets de la malnutrition et de la constitution de systèmes alimentaires durables, résilients et inclusifs vous tiennent particulièrement à cœur, alors qu’une personne sur trois dans le monde est en situation d’insécurité alimentaire. La semaine dernière, nos collègues Garot et Caroit présentaient leur rapport d’information sur l’enjeu alimentaire. Alors que Paris accueillera le sommet Nutrition pour la croissance en mars, avez-vous pris connaissance des propositions formulées par les parlementaires ? Qu’attendez-vous de ce sommet et qu’y proposerez-vous ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Chaque euro investi dans la nutrition génère 23 euros de richesse : un retour sur investissement sans égal. La France s’est engagée à faire de la nutrition une priorité mondiale. Vous l’avez dit, elle accueillera le sommet Nutrition for growth les 27 et 28 mars, qui réunira à Paris des gouvernements, des organisations internationales, des philanthropes, des acteurs du secteur privé, des organisations non gouvernementales et des universités. J’en parle dans tous mes déplacements, comme à New York et à Washington, car c’est collectivement que nous le préparerons. Mes contacts, notamment les banques de développement, laissent penser que ce sommet sera une réussite. Je ne peux pas m’engager mais nous pourrions en faire collectivement un succès grâce à la prise de conscience que 1 euro investi dans la nutrition génère 23 euros de richesse. Ce rapport motive. À l’inverse, l’inaction produit plusieurs centaines de millions de dégâts chaque année.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous rassure, chère collègue, nous transmettrons le rapport d’information dont la commission a autorisé la publication au ministre.
M. Nicolas Dragon (RN). Le sommet international de la Francophonie s’est tenu à Villers-Cotterêts, dans mon département de l’Aisne. C’était une fierté de l’accueillir. Il était organisé par l’OIF, dont les missions premières sont de promouvoir la langue française, ainsi que les diversités culturelles et linguistiques. Cependant, ce moment fort a été gâché par des propos inadaptés et politiques, tenus par le premier ministre tunisien qui a qualifié l’État d’Israël de « génocidaire », avant d’évoquer son obstination à persister dans sa folie meurtrière. Il n’y avait pourtant pas eu un mot concernant les attentats terroristes du 7 octobre 2023, sur la recrudescence des actes antisémites dans le monde ou sur l’attaque récente de l’Iran contre la population israélienne.
Que doit devenir la Francophonie ? Est-elle un lieu d’échanges culturels et de développement des intérêts internationaux des pays francophones ou devient-elle une tribune depuis laquelle il serait permis d’incriminer une démocratie agressée par des terroristes ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. Je serai clair, court et bref : vous connaissez la position de la France et son engagement inconditionnel dans la lutte contre l’antisémitisme et toutes les formes de haine. Cet engagement ne saurait être remis en question. Je ne commenterai pas les propos des uns et des autres. Nous sommes dans un pays de liberté de propos. J’ignore si une suite a été donnée à ceux que vous évoquez mais permettez-moi de m’arrêter là en réitérant l’affirmation forte selon laquelle notre détermination est sans faille dans la lutte contre l’antisémitisme.
Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Paris concentre l’essentiel de notre offre culturelle et je salue le choix de placer la cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts. Après un an d’existence, ce lieu a-t-il trouvé son public ? Les Français se le sont-ils approprié et reçoit-il beaucoup de visiteurs étrangers ? Je propose à notre président d’y organiser une réunion décentralisée.
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. J’y ai tenu le séminaire de mon cabinet vendredi dernier. La cité internationale de la langue française a déjà reçu 250 000 visiteurs. C’est à nous de faire vivre ce site magnifique !
M. Hervé Berville (EPR). Quelles suites comptez-vous donner au partenariat dit « 4P » ? Comment s’inscrit-il dans la perspective de la conférence internationale sur le financement du développement, pour une évolution en profondeur de l’architecture financière internationale ?
M. Thani Mohamed Soilihi, secrétaire d’État. L’objectif de la recherche de financements innovants est de faire coïncider le partenariat dit « 4P » avec le sommet de Séville de juin 2025. J’en fais la promotion dans tous mes déplacements. Pour le moment, soixante-dix États y ont adhéré, sous l’impulsion de Macky Sall que j’ai pu rencontrer. Les conditions pour adhérer au 4P sont peu nombreuses et c’est collectivement que nous le ferons vivre et que nous trouverons les ressorts d’un changement d’architecture du financement des aides au développement.
M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’être venu à notre rencontre. J’espère que nous aurons d’autres occasions de vous entendre.
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La réunion est levée à 12 h 40.
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Membres présents ou excusés
Présents. - M. Hervé Berville, Mme Véronique Besse, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, Mme Stella Dupont, M. Bruno Fuchs, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Michel Herbillon, Mme Sylvie Josserand, M. Arnaud Le Gall, M. Laurent Mazaury, Mme Isabelle Mesnard, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Eléonore Caroit, M. Alain David, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Perceval Gaillard, Mme Clémence Guetté, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Kévin Pfeffer, M. Remi Provendier, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Vincent Trébuchet, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa