Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

 Table ronde, ouverte à la presse, sur la situation au Proche-Orient, avec la participation de M. Denis Charbit, professeur au département de sociologie, de sciences politiques et de communication de l’Université ouverte d'Israël à Raanana, M. David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, et M. Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités, directeur de la revue Confluences Méditerranée et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).               2

 Informations relatives à la commission ................. 27


Mercredi
27 novembre 2024

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 18

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Alain David,
Vice-président


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La commission procède à la table ronde, ouverte à la presse, sur la situation au Proche-Orient, avec la participation de M. Denis Charbit, professeur au département de sociologie, de sciences politiques et de communication de l’Université ouverte d’Israël à Raanana, M. David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, et M. Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités, directeur de la revue Confluences Méditerranée et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).

La séance est ouverte à 10 h 35.

Présidence d’Alain David, vice-président.

M. Alain David, président. Permettez-moi en ouverture d’excuser le président de la commission, Bruno Fuchs, qui participe actuellement à un Forum sur la paix en Afrique à Dakar.

Notre ordre du jour appelle la tenue d’une table ronde sur la situation au Proche-Orient. La semaine passée, nous avons reçu ici même Mme Hala Abou-Hassira, cheffe de la mission de Palestine en France. Aujourd’hui, nous poursuivons la réflexion en nous appuyant sur la hauteur de vue et l’expertise qui caractérisent nos trois invités.

Monsieur Charbit, vous êtes un chercheur franco-israélien en sciences politiques, professeur au département de sociologie, de sciences politiques et de communication de l’Université ouverte d’Israël à Raanana. Vous avez été professeur invité à l’Université de Californie à Irvine, à l’Université du Vermont et à Sciences Po Paris. Depuis 2022, vous dirigez le Centre d’études des relations entre juifs, chrétiens et musulmans.

Monsieur Khalfa, vous êtes codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, spécialiste du Maghreb et des dynamiques israélo-arabes, et vous avez été consultant au Centre d’analyse et de prévision (Caps) du Quai d’Orsay. Le 18 octobre dernier a paru sous votre direction un ouvrage collectif préfacé par Élie Barnavi intitulé Israël-Palestine, année zéro.

Enfin, monsieur Chagnollaud, vous êtes professeur émérite, directeur de la revue Confluences Méditerranée et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). Vous avez publié de nombreux ouvrages sur les relations internationales, la Méditerranée et le Moyen-Orient, parmi lesquels Quelques idées simples sur l’Orient compliqué en 2008, Atlas des Palestiniens : un peuple en quête d’un État en 2014, ou encore Moyen-Orient, idées reçues sur une région fracturée en 2019.

Avant de vous laisser la parole, je souhaite procéder à quelques rappels factuels. Le 7 octobre 2023 a indéniablement représenté une étape tragique et dramatique dans le conflit israélo-palestinien. Le pogrom perpétré par les commandos du Hamas aux abords de la bande de Gaza, par sa violence et son ampleur, a déclenché une riposte de l’État d’Israël qui s’est inscrite dans la durée et qui, aujourd’hui, se traduit par une situation régionale particulièrement inquiétante.

La France a condamné avec force les violences innommables perpétrées contre des Israéliens innocents ce jour-là et dénonce la captivité de plusieurs dizaines d’otages, dont deux de nos compatriotes que nous n’oublions pas. Dans le même temps, notre pays a aussi dénoncé la poursuite dans la durée des opérations militaires de Tsahal à Gaza et au Liban.

Un an après le 7 octobre, Israël a indéniablement infligé de lourdes pertes au Hamas et au Hezbollah. L’élimination des chefs politiques et militaires de ces deux entités semble marquer une forme d’aboutissement de la réponse de l’État hébreu au plus grand pogrom de ce XXIe siècle. Pour autant, alors que beaucoup espéraient que s’ouvre une nouvelle phase, débutant par la négociation d’un arrêt des opérations dans la région en contrepartie de la libération des otages et de garanties solides pour Israël, il n’en a rien été pour le moment.

Les autorités israéliennes ne se cachent pas de vouloir remodeler le visage du Moyen-Orient, sans que personne ne sache très bien ce que cet objectif recouvre, notamment s’agissant de l’Iran et de ses proxys. Le contexte est donc extrêmement tendu et sujet à de nombreuses préoccupations, même si l’accélération récente des discussions sur un cessez-le-feu au Liban donne quelques motifs d’espoir.

M. Denis Charbit, professeur au département de sociologie, de sciences politiques et de communication de l’Université ouverte d’Israël à Raanana. J’ai pour ligne directrice le refus du manichéisme. Or il me semble que depuis le 7 octobre 2023, la tentation est grande, et mondialement partagée, de céder à la tentation de ce que l’on nomme le « campisme », c’est-à-dire la propension à prendre fermement position pour un camp ou pour un autre. Je suis absolument convaincu que la période que nous vivons est fort peu propice à une telle attitude, même si je ne souscris pas à l’idée qu’un génocide est en cours à Gaza. D’ailleurs la Cour internationale de justice (CIJ) évoque un « risque de génocide ».

Il me semble que nous vivons des temps où il est particulièrement compliqué de se déclarer pro-israélien et de pro-palestinien, et pour autant les opinions publiques et les classes politiques ont estimé nécessaire de se rallier à l’un de ces deux camps. Refusant ce manichéisme, j’espérais que la France et l’Union européenne se fassent sur la scène internationale les porte-paroles d’une position plus nuancée. Pourquoi nuancée ? Parce que se sont produits au Moyen-Orient des événements sans précédent. Jamais n’a été commis un massacre d’une ampleur aussi grande que celle du 7 octobre. Et jamais la riposte israélienne n’a été aussi forte, justifiant la notion d’attaque disproportionnée. Les lignes rouges ont été franchies de part et d’autre.

Les Israéliens, mais aussi les Palestiniens même si je ne suis pas habilité à parler en leur nom, attendent de l’Union européenne, de la France et de la communauté internationale, autre chose qu’une prise de position binaire. Ils ont besoin qu’on leur apporte des solutions, et non que l’on importe leur conflit.

Il faut désormais s’interdire de parler comme on parlait le 6 octobre 2023. Mais comment parler un autre langage que celui que nous tenions tous, que nous soyons pro-palestiniens ou pro-israéliens, jusqu’au 6 octobre 2023 ? Comment prendre ses distances avec le massacre du 7 octobre et avec la guerre menée par Israël ? Comment réintroduire une logique politique ? Je pense qu’il convient, pour cela, de tenir un discours en quelque sorte sur la crête.

Une explication du conflit en cours me paraît insuffisante, voire insupportable tant elle est ressassée. Elle consiste à dire que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, dont je ne saurais être suspecté d’être un thuriféraire, a déclenché cette guerre uniquement pour satisfaire ses intérêts personnels. Permettez-moi de rappeler qu’Israël n’est pas une république bananière. Le procès de Netanyahou continue, et il est même appelé le 3 décembre à comparaître devant ses juges pour s’expliquer sur les délits qu’il est soupçonné d’avoir commis. En d’autres termes, qu’il soit actuellement chef de guerre, et non plus seulement premier ministre, ne lui offre aucune protection et aucune garantie devant la justice israélienne, qui est totalement indépendante. Non, la décision d’entrer en guerre ne relève pas d’une décision personnelle de Netanyahou, elle relève d’une logique d’aubaine.

Pour comprendre les ressorts de cette entrée en guerre d’Israël, il convient de rappeler que, depuis le retrait israélien du Liban en 2000, et depuis l’accession du Hamas au pouvoir à Gaza, Israël mène une politique de containment, c’est-à-dire d’endiguement ou de contention vis-à-vis de deux organisations, le Hezbollah et le Hamas, qui proclament leur volonté de le voir disparaître, et avec lesquels aucune négociation, aucun accord de paix durable, aucune réconciliation ne sont possibles. Il convient de rappeler également qu’en dépit de leurs réflexes politiques, stratégiques et tactiques, ces deux mouvements, le Hamas et le Hezbollah, s’appuient sur un fondamentalisme religieux pour lequel l’absolu l’emporte sur les impératifs du temps présent.

Cette politique de containment, d’accommodement en quelque sorte, a d’ailleurs été reprochée à Netanyahou, en particulier lorsque l’Autorité palestinienne a refusé de transférer les salaires des fonctionnaires de l’administration à Gaza. Le Hamas avait réagi en donnant de la canonnière sur la frontière, et le Qatar avait volé au secours des uns et des autres en se disant prêt à fournir l’argent nécessaire au paiement des fonctionnaires. Netanyahou avait alors été accusé de fermer les yeux, et il est bien entendu qu’il avait l’intention, en légitimant ainsi le Hamas, d’affaiblir l’Autorité palestinienne pour ne pas avoir à négocier avec elle.

Pourquoi Israël se contente-t-il de contenir ces deux voisins dont toutes les chartes, toutes les déclarations, expriment leur volonté de le faire disparaître ? Chaque fois qu’il est agressé, Israël mène des ripostes graduées de quelques semaines, comme en 2009 ou en 2014, pour citer les dernières et les plus éloquentes. Cette stratégie n’est même pas propre à Netanyahou puisque Ehud Olmert, lorsqu’il était premier ministre, avait déclenché la seconde guerre du Liban en 2006 en réaction à l’enlèvement de soldats israéliens.

Dans ce contexte, le 7 octobre représente une aubaine. Une aubaine, parce qu’en attaquant Israël, le Hamas et le Hezbollah lui ont fourni les moyens et la justification d’en finir avec eux. La question posée est donc celle de l’éradication du Hamas et du Hezbollah. Est-elle possible ? Je pense que les Israéliens ont compris, après l’élimination en septembre de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, et en octobre de Yahya Sinwar, chef du Hamas, que ses deux adversaires ne capituleraient pas. Dès lors, la question qu’il convient d’adresser au gouvernement israélien est celle des buts de guerre. Quelle guerre entend-il mener ? S’agit-il de réoccuper le Nord de la bande de Gaza, voire toute la bande de Gaza ?

Les autorités françaises et le Parlement français doivent se montrer très vigilants. La France a soutenu Israël dans sa guerre de légitime défense. Elle a condamné les excès de sa riposte. Désormais, nous nous acheminons peut-être vers un accord dans la bande de Gaza. Si un tel accord intervient, dans quelle mesure permettra-t-il de faire émerger un nouvel acteur palestinien, autre que le Hamas, et un nouvel acteur israélien qui n’entende pas se servir de cette guerre de légitime défense pour reprendre du territoire dans la bande de Gaza ?

M. David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. Je m’efforcerai de tirer les leçons stratégiques de la séquence qui vient de s’achever avec le cessez-le-feu au Liban, et plus largement de l’affrontement entre Israël et l’Iran et ses proxys. Enfin, j’aborderai l’éventuelle normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite dans le cadre de l’élection de Donald Trump aux États-Unis.

Les attaques du 7 octobre 2023 constituent un tournant stratégique dans la région. En effet, nous avons assisté à une guerre multi-théâtres, une guerre hybride avec une escalade régionale inédite, puisque, pour la première fois depuis quasiment un demi-siècle, un affrontement direct a opposé Israël à l’Iran. Jusqu’à ces derniers mois, la guerre se faisait par procuration. La stratégie de l’Iran consistait à mener une défense de l’avant, à travers une projection de puissance au Levant s’appuyant sur un réseau de proxys ayant vocation à enraciner la présence iranienne dans la région et à construire une capacité de seconde frappe face à d’éventuelles attaques israéliennes contre ses sites nucléaires. L’objectif stratégique des Iraniens était de sanctuariser leur territoire et prioritairement d’assurer la survie de leur régime. Ils ont évité, autant que faire se peut, un affrontement direct avec Israël, parce que sur le plan strictement conventionnel, l’Iran n’est pas en mesure de rivaliser avec la machine de guerre israélienne. L’affrontement direct aérobalistique entre l’Iran et Israël représente par conséquent une réelle nouveauté.

Si un processus de désescalade semble enclenché, au moins sur le front Nord d’Israël, je crois que la première leçon stratégique que l’on peut tirer de cette séquence se rapporte à la dislocation de ce que les Iraniens appellent « l’unité des fronts », autrement dit à la dissociation entre le front libanais et le front palestinien. Cette rupture était impensable il y a encore quelques mois, parce que l’objectif stratégique de Hassan Nasrallah, avec l’entrée en guerre du Hezbollah le 8 octobre 2023 et les premiers bombardements visant le Nord d’Israël, était de réaliser une jonction entre le front Nord et le front Sud. Politiquement et idéologiquement, il s’agissait aussi de raffermir l’axe dit de « la résistance » en portant secours au Hamas.

Nasrallah souhaitait à tout prix préserver ce lien entre ces deux fronts, parce qu’il estimait qu’il crée un précédent, une forme de jurisprudence, et que désormais, à chaque réplique israélienne face à une attaque du Hamas, le Hezbollah se joindrait au conflit. La stratégie était à l’évidence celle d’une guerre multi-fronts, d’une unification des fronts, s’inscrivant dans le cadre de la fameuse projection de puissance de l’Iran au Levant et de l’encerclement d’Israël. Le successeur de Nasrallah, Naïm Qassem, en acceptant cette disjonction des deux fronts que son prédécesseur avait refusée de manière principielle, a réalisé une concession majeure, très probablement dictée par la réalité du rapport de force militaire sur le terrain.

Le deuxième enseignement stratégique reste à ce stade une question davantage qu’une affirmation : quelle est la robustesse du réseau de proxys de l’Iran au Levant, au moment où Trump s’apprête à revenir au pouvoir aux États-Unis ? Le Hezbollah, c’est un peu le joyau de la couronne pour le régime iranien. Il existe une proximité historique, politique, religieuse, idéologique entre le régime des mollahs et le Hezbollah, qui a par ailleurs joué un rôle d’interface et de coordinateur pour le réseau de proxys iraniens au Levant.

L’affaiblissement du Hezbollah, c’est-à-dire du proxy le plus puissant, le plus aguerri et le plus enraciné politiquement au Levant, est susceptible de générer des conséquences en cascade sur l’ensemble du réseau de proxys. Dès lors, la question posée est celle de la redistribution des pouvoirs au sein de ce réseau, avec la montée en puissance des Houthis au Yémen, qui d’acteurs locaux sont devenus des acteurs régionaux à l’occasion de cette guerre en perturbant le trafic maritime en mer Rouge.

Le troisième enseignement stratégique se rapporte au cessez-le-feu au Liban. Un cessez-le-feu, par définition, est fragile. Il ne s’agit pas d’un traité de paix. La différence avec le cessez-le-feu conclu à l’issue de la seconde guerre du Liban en 2006 tient au mécanisme permettant de garantir sa pérennité ainsi qu’à l’implication directe des Américains, mais aussi de la France, qui a réussi à tirer son épingle du jeu.

Nous ne saurons qu’à la fin de la période de transition, c’est-à-dire les soixante prochains jours, si ce cessez-le-feu persiste. Je crois qu’il est de l’intérêt de tous qu’il tienne, y compris pour les Israéliens, notamment parce que la stratégie du Hezbollah était une stratégie d’attrition, c’est-à-dire une guerre d’usure visant à affaiblir militairement et économiquement Israël, à créer ce que dans le langage militaire on nomme une hypertension. Or l’armée israélienne repose sur un modèle des citoyens soldats, c’est-à-dire la mobilisation de la réserve. Tsahal ayant combattu sur deux fronts, au Nord et au Sud, une forme d’épuisement traverse ses rangs, et un grand nombre de réservistes aimeraient être rendus à la vie civile.

Quatrième enseignement stratégique, nous constatons que ces conflits ne sont pas résolus, autrement dit que nous sommes en dehors du paradigme de la résolution des conflits. M. Charbit vient de l’évoquer : nous sommes dans un paradigme de containment, et j’ajouterai de containment par défaut. En effet, les causes profondes qui se trouvent à la source de ces conflits régionaux ne sont pas réglées, parce qu’il est question d’États faillis, de problématiques de leadership politique, de légitimité et de représentativité des acteurs.

Par ailleurs, l’interconnexion des crises complexifie le tableau. La logique intellectuelle qui a conduit à la signature des accords d’Abraham en 2020 répond à une logique de séparation et d’isolement des crises, et porte sur le caractère bilatéral ou multilatéral des relations entre Israël et le monde arabe. Or non seulement la question palestinienne n’a pas disparu, mais il apparaît qu’elle est interconnectée avec celle du Liban.

En outre, nous avons assisté à un enchaînement des crises qui, bien qu’elles répondent à des dynamiques locales, ne seront pas sans conséquence sur une éventuelle normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. À cet égard, les enchères vont monter, ce qui transparaît dans le durcissement de la rhétorique de Mohammed ben Salmane à l’égard d’Israël, puisqu’il a repris très récemment à son compte l’accusation de génocide. Ce faisant, il s’adresse aussi à Trump, parce qu’il veut lui faire comprendre qu’il devra compter avec l’Arabie saoudite, et que le prix à payer pour une normalisation des relations avec Israël sera la prise en charge sérieuse de la question palestinienne.

La cinquième leçon stratégique est également liée aux accords d’Abraham. Ces accords de normalisation ont tenu, malgré la guerre. S’il y a bien eu un refroidissement bilatéral des relations entre Israël et les pays signataires, aucun de ces pays n’a en effet rappelé son ambassadeur. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’objectif de ces accords n’était pas la résolution du conflit israélo-palestinien. Comme je viens de l’expliquer, la question palestinienne et la question régionale étaient séparées.

À cet égard, on peut dire que le Moyen-Orient est entré dans une phase que je qualifierais de « transactionnelle », dans laquelle chacun des acteurs, dans le cadre d’une rivalité régionale, privilégie son intérêt national stricto sensu, et donc une stratégie multidimensionnelle. Concrètement, les Émiriens comme les Saoudiens ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. D’un côté, ils mènent une politique de détente vis-à-vis de l’Iran, de l’autre, ils normalisent leurs relations avec Israël. Pourquoi ? Parce que leur objectif prioritaire est la modernisation de leurs économies et la stabilité régionale. Afin d’y parvenir, ils multiplient les partenariats régionaux stratégiques.

Dès lors, la question est posée du prix politique et diplomatique qu’Israël sera prêt à payer, notamment dans la perspective des élections prévues en novembre 2026. Ces dernières pourraient rebattre les cartes de la politique intérieure israélienne, puisque, à ce jour, le rapport de force entre les blocs pro-Netanyahou et anti-Netanyahou semble favorable au second. Dès lors, Trump dispose de deux années pour imposer sa ligne aux acteurs régionaux, sachant qu’il privilégie lui-même les logiques transactionnelles et ne croit qu’aux rapports de force.

Le sixième enseignement stratégique, je l’évoque dans mon livre Israël Palestine, année zéro, dont le titre est une référence à Allemagne année zéro de Roberto Rossellini, en parlant de l’état de ruine dans lequel se trouve le camp de la paix, tant du côté israélien que du côté palestinien.

Côté palestinien, le mouvement national est en état de décomposition avancée. La déconnexion entre la Cisjordanie et la bande de Gaza est en réalité un quasi-antagonisme à la fois politique et idéologique. Les visions stratégiques du Hamas et les groupes islamistes armés d’un côté, et de ce qu’il reste du Fatah de l’autre, n’ont plus rien en commun. Or aucune troisième voie n’a réellement émergé, alors que le mouvement national palestinien doit se réinventer totalement s’il veut obtenir le droit légitime à l’autodétermination de son peuple. Un changement de leadership sera par conséquent nécessaire, ce que les Américains appellent « la revitalisation de l’Autorité palestinienne ». Il est la condition de la neutralisation politique du Hamas, et il ne sera pas porté par Mahmoud Abbas, qui est un cacique autocrate de 90 ans critiqué de toutes parts et sans la moindre légitimité.

Enfin, le mouvement national palestinien sera tenu d’opérer un choix stratégique, d’ailleurs symétrique à celui que devra faire Israël, entre la création d’un État aux côtés d’Israël ou la naissance d’une grande Palestine à la place d’Israël. Le Hamas est partisan de cette seconde option, et souhaite voir naître un État islamique, tandis que les forces nationalistes et laïques palestiniennes sont favorables à la première. Il faudra bien entendu se tenir aux côtés de ces forces, pour faire entendre et renforcer leur voix.

Quant à Israël, la crise existentielle et identitaire inédite qu’elle traverse a produit deux Israël, qui se sont rendus visibles lorsque Netanyahou a tenté d’imposer de manière illibérale une réforme de la justice et de neutraliser la Cour suprême. Comme dans de nombreux pays, dont le nôtre d’ailleurs, deux pays se sont fait face. D’un côté, un Israël périphérique, plus populaire, plus conservateur, qui a soutenu la coalition actuelle pour des raisons identitaires davantage que pour des raisons liées à la réalité de cette réforme, dont personne en Israël ne connaît les détails. De l’autre, un Israël plus urbain, plus laïque, plus bourgeois qui, au contraire, s’oppose à la réforme à travers un mouvement de contestation anti-gouvernemental totalement inédit dans l’histoire du pays, et qui perdure sur un mode mineur en raison de la guerre.

La cessation des hostilités au Liban aura-t-elle des conséquences vertueuses sur le front palestinien ? Le processus de désescalade enclenché entre Israël et le Liban permettra-t-il la conclusion d’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas à Gaza ? Rien n’est moins sûr. À ce stade, même si le Hamas, ce matin même, s’est déclaré favorable à un tel cessez-le-feu, les positions des deux belligérants sont figées. D’un côté, le Hamas demande un retrait total des forces israéliennes de la bande de Gaza, y compris du Couloir de Philadelphie et du Corridor de Netzarim. De l’autre, le gouvernement israélien confirme sa volonté de maintenir coûte que coûte la présence de l’armée israélienne sur ces deux couloirs stratégiques.

Dans cette situation, qui ressemble à une impasse, Netanyahou, qui très probablement veut entrer dans les bonnes grâces de Trump avant l’investiture du 20 janvier, va-t-il enclencher un processus de désescalade dans le Sud d’Israël ? Il est permis d’en douter, parce que le prix à payer pour lui serait probablement la chute de sa coalition gouvernementale.

M. Jean-Paul Chagnollaud, Professeur émérite des Universités, directeur de la revue Confluences Méditerranée et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). J’ai la naïveté de croire au droit international. Ce droit international est ma boussole, et je le considère comme un bien commun de l’humanité. Or il est de nos jours de plus en plus ignoré, bafoué, contourné, au Proche-Orient comme dans d’autres parties du monde.

M. Jean-Paul Lecoq (GRD). Comme au Sahara occidental, par exemple…

M. Jean-Paul Chagnollaud. Après les actes de terrorisme du 7 octobre 2023, qui sont des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité qu’il faut évidemment condamner, j’ai été stupéfait par ce qui se passait dans mon pays, à savoir une incapacité à penser différemment. Pour avoir participé à de nombreux débats dans les médias, j’ai ressenti profondément qu’une chape de plomb s’était posée sur les uns et les autres, les conduisant à ne produire qu’une seule lecture du conflit. Or ne disposer que d’une seule lecture du conflit, c’est se condamner à répéter tout ce qui a pu être pensé avant.

Cette lecture du conflit n’est pas totalement fausse, bien sûr, mais elle est dépourvue de toute complexité. Elle consiste à dire qu’une démocratie a été attaquée par une organisation terroriste. En soit, ceci est exact, bien que le Hamas ne soit pas tout à fait une organisation terroriste comme une autre. Quant à Israël, il s’agit à n’en pas douter d’une démocratie mais il s’agit aussi d’une puissance occupante, au sens du droit international, comme le rappellent toutes les résolutions des Nations unies. Le 29 janvier dernier, la Cour internationale de justice a elle aussi considéré que l’occupation, qui dure depuis 1967, et la colonisation sont illicites. Il convient de prendre la mesure de ce que signifie une occupation, au quotidien, concrètement.

Par ailleurs, la démocratie israélienne, comme toutes les démocraties, est traversée de courants politiques. Depuis 2001, l’un de ces courants politiques l’emporte sur les autres après une longue période d’alternance. Aujourd’hui, la droite au pouvoir est de plus en plus radicalisée, et a instrumentalisé le religieux. Le sionisme religieux est la base de la coalition de Netanyahou, et son horizon est une colonisation sans cesse intensifiée qui pourrait aboutir à l’annexion de la Cisjordanie. Tant qu’un tel courant politique détiendra le pouvoir, les Palestiniens, quelle que soit leur sensibilité ou leur idéologie, opposeront une résistance à cette occupation, une résistance qui sera qualifiée, à tort ou à raison, de terroriste. La dernière fois que je suis allé en Cisjordanie, en octobre dernier, des jeunes de Naplouse m’ont dit « viens, on va te montrer notre avenir », et ils m’ont emmené au cimetière. Ils m’ont dit : « tu vois, on ne pourra pas vivre ». Si nous ne tenons pas compte de cette réalité, nous connaîtrons toujours les mêmes errements.

J’aimerais utiliser trois mots. Le premier est « total ». Il n’est pas de moi, je l’emprunte à Netanyahou qui qualifie la guerre à Gaza de « guerre totale ». L’usage du mot « total » signifie que tous les moyens seront utilisés pour écraser l’adversaire, en l’occurrence le Hamas. Mais, au-delà du Hamas, le mot exprime la volonté de disloquer complètement la société palestinienne. Cette guerre totale a conduit à des transferts de population considérables. Aujourd’hui, environ 1,8 million de Gazaouis sont parqués entre Rafah et Khan Younès. Le reste de Gaza est détruit à 70 % ou 80 %. La guerre totale signifie théoriquement qu’il n’existe pas de compromis possible, et que la guerre ne peut s’achever que par la capitulation, la destruction.

La coalition gouvernementale israélienne, et je me garde à dessein de ne pas dire Israël, veut détruire l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), créé en 1949. Elle veut le détruire politiquement en le déstabilisant, matériellement en s’attaquant à ses écoles et à ses bâtiments et même, depuis peu, elle a voté une loi lui interdisant de mener ses activités. L’UNRWA est une institution majeure, qui veille sur 5 millions de réfugiés et mène des actions dans les domaines scolaire, social et sanitaire. Catherine Colonna, alors ministre des affaires étrangères, avait d’ailleurs déclaré qu’en dépit de ses réserves, l’UNRWA était indispensable et irremplaçable. Aussi, derrière la volonté de destruction de l’UNRWA se cache l’idée que sans UNRWA, il n’y aurait plus de réfugiés palestiniens, et que sans réfugiés palestiniens il n’y aurait plus de question palestinienne. La volonté d’anéantir l’UNRWA est très symbolique, et participe de cette guerre totale.

La guerre totale implique évidemment le recours à tous les moyens, y compris les pires, au mépris du droit international humanitaire. Celui-ci reste incantatoire tant que n’est pas offerte la possibilité de sanctionner ceux qui le violent. Or ces possibilités existent aujourd’hui. La Cour pénale internationale (CPI) de justice vient d’émettre des mandats d’arrêt contre des membres du Hamas, et contre Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, qui fut son ministre de la défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Le deuxième mot que j’aimerais prononcer est le mot « irréversible ». Irréversible, parce que ce qui se produit en ce moment à Gaza, voire en Cisjordanie, est une situation sans retour. Plus rien ne sera jamais plus comme avant à Gaza. L’irréversible le plus évident, c’est la mort. Entre 43 000 et 44 000 morts, sans doute plus de 100 000 blessés, pour une population de 2 millions d’habitants, c’est considérable. Je connais une famille à Gaza qui a littéralement disparu. Irréversible aussi le déchirement des liens familiaux. Irréversible aussi la destruction des liens sociaux. Gaza n’existe plus en tant que société, cette société est condamnée à l’errance, du Nord vers le Sud, et maintenant vers l’Ouest. Il y est impossible de mener une vie normale.

Par comparaison, la guerre au Liban est une guerre classique, avec un objectif de guerre déterminé, et finalement un cadre qui conduit à un accord. Après les souffrances, les traumatismes, les Libanais auront peut-être la chance de reprendre une vie à peu près normale, malgré la situation catastrophique du pays. Au Liban, on peut revenir à quelque chose, on peut reconstruire quelque chose. À Gaza, non. Le plan annoncé par le gouvernement israélien prévoit de vider le Nord de Gaza de sa population et de l’occuper voire de le coloniser à nouveau. De même, la Cisjordanie subit une accentuation et une densification de la colonisation, avec toute la violence qu’elle génère.

L’objectif fondamental de la coalition gouvernementale israélienne est la colonisation et, en dernière instance, l’annexion. La droite souhaite annexer la Cisjordanie, et le nouvel ambassadeur des États-Unis en Israël soutiendra la colonisation voire l’annexion. La colonisation accentuée, intensifiée, menant éventuellement à l’annexion, signifie que les habitants des territoires colonisés seront privés de tous leurs droits. Et nous parlons là de 5,5 millions de personnes.

Il est impossible qu’une telle situation perdure, et c’est pourquoi le troisième mot que j’ai choisi est le mot « insécurité ». L’insécurité des Palestiniens, bien sûr, mais aussi l’insécurité des Israéliens. Israël est condamné à une insécurité structurelle. Les Palestiniens, en dépit de l’incurie de leurs dirigeants, qu’il s’agisse du Hamas ou de l’Autorité palestinienne qui tous deux ont commis des erreurs stratégiques majeures et qui ne sont pas à la hauteur de l’histoire, voudront continuer à résister.

À cet égard, il convient d’appréhender la question des générations. Depuis un siècle, toutes les séquences de violence correspondent approximativement à l’irruption d’une nouvelle génération : l’émergence de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1968, la première Intifada en 1987, etc. Il est évident que les très jeunes Palestiniens qui vivent la guerre aujourd’hui participeront demain à d’autres violences.

Le seul moyen de mettre un terme à cette situation, c’est le droit international. La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 23 décembre 2016 exigeait que soit mis un terme à la colonisation afin d’ouvrir la voie à une solution à deux États. Celle du 10 juin 2024 appelait à des négociations. Il faut revenir à ce qu’ont été les accords d’Oslo, qui ont été piétinés par le Hamas et par Netanyahou, lequel, premier ministre de 1996 à 1999, estimait qu’ils représentaient le problème, et non la solution. Or, si on ne revient pas à des négociations dans le cadre du droit international, toutes les grandes considérations stratégiques seront vaines. Si on ne revient pas aux fondamentaux, la séquence absolument tragique que nous vivons se reproduira indéfiniment, générant des violences dont pâtiront les Palestiniens et les Israéliens.

Autrement dit, si les Israéliens veulent réellement la paix, ils doivent s’en tenir aux principes énoncés notamment par la Cour internationale de justice : la reconnaissance d’un État palestinien, une négociation, et l’arrêt d’une colonisation parfaitement illicite. Netanyahou n’a eu qu’un mot en guise de réponse à cet avis de la CIJ : « absurde ». Je ne crois pas que cet avis soit absurde, il est au contraire absolument fondamental.

M. Alain David, président. Je vous remercie, nous en venons à présent aux questions des orateurs des groupes politiques.

M. Stéphane Rambaud (RN). Depuis des siècles, les Chrétiens d’Orient sont les gardiens d’une civilisation plurimillénaire, ancrée dans des terres marquées par l’histoire et la foi. Aujourd’hui, ils subissent des persécutions d’une intensité dramatique, souvent dans une indifférence internationale préoccupante. Leur présence dans ces régions est menacée à terme. Au Liban, l’escalade des violences liées au conflit israélo-palestinien a durement affecté les communautés chrétiennes. Dans le Sud du pays, jusqu’à 90 % des habitants des villages chrétiens ont dû fuir leur foyer.

Les chrétiens arméniens ont subi les foudres de l’Azerbaïdjan. L’invasion de l’Artsakh par Bakou en septembre 2023 a conduit à un exode massif et à une épuration ethnique durant laquelle, en une semaine, 120 000 personnes ont dû tout abandonner et partir sur les routes de l’errance. En Syrie, les communautés chrétiennes arabes continuent de souffrir. Les attaques sporadiques de groupes armés dans certaines zones ont empêché des milliers de familles déplacées de retourner dans leur foyer. En Irak, la situation reste dramatique. Pour les chrétiens de la plaine de Ninive, les villages détruits par les combattants islamiques peinent à être reconstruits. Environ 80 % des chrétiens arabes qui vivaient dans ces zones avant 2014 ne sont toujours pas revenus.

En Égypte, la communauté copte continue de subir des attaques violentes. En 2022, un incendie criminel dans une église du Caire a causé la mort de 41 fidèles. En Iran, les chrétiens convertis, considérés comme apostats par le régime, vivent sous une surveillance permanente. Des arrestations récentes en 2023 ont mis en lumière les discriminations flagrantes à leur encontre, avec de lourdes peines de prison.

Ces persécutions exigent une réponse forte. Elles appellent à des engagements concrets et immédiats pour apporter une aide massive aux Chrétiens d’Orient, leur permettre de rester dans leur foyer et intensifier les efforts diplomatiques afin de garantir leur sécurité et leur droit à vivre en paix sur leurs terres ancestrales. La France doit pleinement assumer son rôle et travailler activement à leur protection, fidèle ainsi à ses promesses.

M. Alain David, président. Cette intervention relève davantage de la déclaration que de la question et, à ce titre, n’appelle pas de réponse.

M. Pieyre-Alexandre Anglade (EPR). Notre groupe salue l’accord de cessez-le-feu conclu hier soir entre Israël et le Liban.  Cet accord, qui représente un signe d’espoir pour l’avenir, est le fruit d’un intense travail diplomatique mené par la France et les États-Unis, et il est important qu’il puisse tenir dans la durée afin de rétablir la sécurité des Libanais et des Israéliens, permettre le retour de tous les déplacés dans les deux pays, restaurer la souveraineté du Liban et, plus largement, réunir les conditions d’une paix pérenne et du redressement durable évoqué hier soir par le président de la République lors de son allocution.

J’aimerais connaître votre appréciation des perspectives de redressement économique et politique du Liban au lendemain du cessez-le-feu, et votre sentiment sur la tenue la plus rapide possible d’élections mettant au pouvoir un gouvernement fort.

Cet accord doit conduire également vers un cessez-le-feu à Gaza, qui n’a que trop attendu, et qui doit rendre possible la libération des otages, l’entrée massive de l’aide humanitaire et surtout la fin de la souffrance insupportable et intolérable du peuple gazaoui. Monsieur Khalfa, pourriez-vous nous dire quelles sont, selon vous, les modalités nécessaires pour parvenir à un cessez-le-feu à Gaza, puis à une solution politique durable ?

M. David Khalfa. Concernant Gaza, l’hypothèse la plus probable, à ce stade, est une reprise des négociations. Le Qatar s’est temporairement retiré des négociations afin de faire pression à la fois sur Israël et sur le Hamas. Les Israéliens, d’ici à l’investiture de Trump le 20 janvier, ont tout intérêt à conclure un accord partiel de cessez-le-feu, parce que l’électorat de Trump comprend un segment arabo-américain auquel la nouvelle administration voudra en quelque sorte renvoyer l’ascenseur. Bien qu’il affirme à peu près tout et son contraire, et semble s’en remettre souvent à une forme de pensée magique, Trump a fait référence à un cessez-le-feu à Gaza et au Liban durant sa campagne électorale. Il a dit souhaiter que le conflit soit terminé los de sa prise de pouvoir. Il souhaite que la région soit au moins stabilisée, et surtout être en mesure de sous-traiter la sécurité régionale aux principaux partenaires stratégiques des États-Unis, c’est-à-dire Israël et les pays arabes. Dès lors, il est envisageable qu’un accord de cessez-le-feu partiel, graduel, soit conclu.

Un tel cessez-le-feu serait aussi dans l’intérêt du Hamas, dont le haut commandement militaire a été décapité. Le pouvoir y bascule vers la branche extérieure du Hamas, basée principalement à Istanbul, et qui est composée de politiques plutôt que de militaires. Le Hamas est très affaibli et il voudra sauver ce qui peut l’être de sa force combattante et de son arsenal.

M. Jean-Paul Chagnollaud. L’accord de cessez-le-feu au Liban est bien entendu très important, d’abord pour la population libanaise, qui a subi des bombardements ayant fait près de 4 000 morts. Toutefois, l’avenir est incertain, et il n’aura échappé à personne que le délai de soixante jours à l’issue duquel l’armée israélienne devra avoir quitté le Liban correspond au temps qui nous sépare de l’investiture de Trump.

L’aspect le plus important de cet accord concerne selon moi la déconnexion entre la situation au Liban avec le Hezbollah, dans le cadre de la résolution 1 701 du Conseil de sécurité des Nations unies, et, non pas simplement le Hamas, mais la question palestinienne elle-même. Pour celle-ci, deux voies sont ouvertes. Ou bien, et j’ai bien conscience que nous nous trouvons à des années-lumière de cette hypothèse, des négociations se mettent en place pour aboutir à deux États. Ou bien, et c’est probable, Israël poursuit sa guerre totale jusqu’à la capitulation sans conditions et sans négociations du Hamas. Hier soir Netanyahou a indiqué que le gel du front libanais lui laissait les mains libres à Gaza et par rapport à l’Iran.

M. Denis Charbit. Quelle que soit l’issue du conflit, si le Hamas parvient à se reconstituer, tout retour à la négociation est inenvisageable. De manière symétrique, tant que Netanyahou se maintient au pouvoir et, sauf en cas de dissolution de la Knesset, il s’y maintiendra jusqu’aux prochaines élections en novembre 2026, il ne faut rien espérer de sa part. Je ne miserai pas non plus sur Trump, dont le caractère imprévisible ne le conduit pas à prendre des décisions équilibrées.

Je suis réaliste et par conséquent pessimiste. Je pense que la situation est appelée à être gelée et bloquée, et qu’il faudra attendre la reconstitution d’une alternance tant du côté palestinien que du côté israélien. En Israël, l’hypothèse d’une victoire de l’opposition lors d’élections anticipées dépend du sort des otages. Si, parmi les 101 otages, seuls 10 reviennent vivants, Netanyahou sera tenu pour responsable, sinon coupable, de les avoir sacrifiés. S’il en revient 50, alors il pourra rester au pouvoir jusqu’en novembre 2026.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Depuis cette nuit, un cessez-le-feu est acté entre Israël et le Liban. Il s’agit évidemment d’une étape nécessaire pour mettre fin de manière permanente au massacre des Libanais par l’armée israélienne.

Dans ce contexte, l’action de la France est attendue. Jeudi dernier, la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, de son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, et de trois responsables du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Concernant les crimes commis par Tsahal dans la bande de Gaza, le procureur de la CPI a notamment cité le fait d’affamer délibérément des civils, l’homicide intentionnel, l’extermination et le meurtre. Aussitôt, Netanyahou a qualifié la Cour pénale internationale d’antisémite pour, encore une fois, créer un amalgame sur la nature du conflit. Or la guerre au Proche-Orient n’est pas une guerre de religion mais une guerre politique menée par l’armée de Netanyahou qui, pour rappel, a causé 44 000 morts à Gaza, sans compter les personnes sous les décombres, et plus de 100 000 blessés ; 247 travailleurs de l’UNRWA ont perdu la vie et l’UNRWA est désormais interdit d’accès sur les territoires israéliens ; 1,9 million de personnes ont été déplacées, soit 90 % de la population, et 91 % des Gazaouis font face à l’insécurité alimentaire ou à la famine.

Le 14 novembre, le Comité spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés a publié un rapport établissant que les actes perpétrés par Tsahal et le gouvernement israéliens, je cite, « correspondent aux caractéristiques d’un génocide ». La décision de la CPI et ce rapport du Comité spécial de l’ONU soulignent l’urgence d’une réaction de la France, qui ne peut se contenter d’un rôle de spectateur prenant acte ou saluant le cessez-le-feu. Cette réaction commence par rappeler qu’il ne s’agit pas d’une guerre d’Israël contre le Hezbollah mais d’une guerre contre le Liban. Il convient également de prendre ses distances à l’égard des déclarations des États-Unis ou de l’Allemagne qui ont fait savoir qu’ils ne respecteraient pas la décision de la CPI.

Il faut un cessez-le-feu partout au Proche-Orient, faire cesser non seulement la guerre au Liban mais aussi la colonisation et la guerre totale voulue par Netanyahou dans les territoires palestiniens. La France doit faire appliquer la décision de la CPI et ainsi faire respecter le droit international. Notre groupe estime que ce respect du droit international passe également par l’arrêt des livraisons d’armes à Israël.

Maintenant que le cessez-le-feu au Liban est acté, comment la France va-t-elle respecter sa part de l’accord et appuyer la reconstitution de l’armée nationale libanaise de manière à garantir la souveraineté du Liban ? De quelle manière va-t-elle contribuer à établir un cessez-le-feu partout au Proche-Orient ?

M. David Khalfa. Il me semble que votre intervention, madame la députée, tient davantage de la déclaration que de la question. Néanmoins, je pense qu’en personnifiant à outrance les enjeux, vous faites totalement abstraction de la dynamique belligérante. Le conflit en cours ne se résume pas à une opposition entre Netanyahou et les Palestiniens. Il existe de part et d’autre des acteurs dont l’objectif est de contrarier toute perspective de solution politique et diplomatique à ce conflit. En outre, vous avez passé sous silence l’origine de cette guerre et de la dévastation qui a suivi, avec une aventure militaire israélienne aux conséquences dramatiques pour la population civile palestinienne et un niveau de destruction sans précédent, sans compter l’absence de stratégie de sortie de crise de la part de Netanyahou, qui cherche à faire durer cette guerre pour des raisons de politique intérieure et parce qu’il veut se maintenir à tout prix au pouvoir.

Mais il me semble que décrire ce conflit de manière aussi simpliste et manichéenne est une erreur à la fois politique et morale. Encore une fois, il s’agit d’un conflit militaire, certes asymétrique, entre deux belligérants, et non d’une opposition politique entre des personnes.

M. Olivier Faure (SOC). Nous ne sommes ici ni Palestiniens ni Israéliens, et le devoir de la France est de chercher une solution, une issue à la crise. Monsieur Chagnollaud a souligné l’importance du droit international, qui doit en effet nous servir de boussole et qui nous permet de regarder dans la même direction. Or nous observons que les parties au conflit, ceux qui ont intérêt à la guerre, que ce soit Netanyahou et son gouvernement suprémaciste ou le Hamas, sont aussi les assassins d’Yitzhak Rabin. Ceux qui ont voulu l’échec des accords d’Oslo sont aujourd’hui au pouvoir de part et d’autre, et aucun n’a voulu la paix.

J’ai perçu une contradiction dans les propos de nos invités. En effet, tous s’accordent à dire qu’il est impératif d’entamer des négociations mais que celles-ci sont impossibles avec le Hamas. Je l’entends. Il faudrait par conséquent revitaliser l’Autorité palestinienne ou le Fatah et faire émerger un interlocuteur disposant d’une autorité. Mais comment conférer une autorité à des gens dont on continue à coloniser le territoire et qui sont victimes d’une accélération de la colonisation en plein conflit à Gaza ? Comment donner de l’autorité à des gens qui sont en réalité affaiblis en permanence ?

Je m’interroge par ailleurs sur les buts de guerre d’Israël. Ceux-ci ne sauraient correspondre à l’éradication du Hamas qui, chacun le sait, est impossible. La prochaine génération de Palestiniens n’aura qu’une seule envie : venger les frères, les cousins, les sœurs, les pères, les mères tués au cours du conflit. Dans ces conditions, comment interroger et limiter les buts de guerre de Netanyahou ? Si nous n’interrogeons pas ces buts de guerre et si nous restons dans une forme d’ambiguïté, il dépliera un même récit et nous n’aurons aucune possibilité d’interagir avec lui.

M. Jean-Paul Chagnollaud. Le schéma que vous décrivez est celui d’un éternel recommencement. En outre, il convient d’ajouter au tableau l’acteur majeur que sont les États-Unis. Même au temps de la présidence de Barack Obama, qui avait tenté de mettre la pression, les quelques processus de négociations qui avaient été engagés ont tous échoué. La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 23 décembre 2016 est fondamentale. Et pourtant, elle a été complètement oubliée. Elle constituait le testament politique d’Obama mais elle a été votée quelques jours avant l’accession de Trump au pouvoir.

Nous assistons au même cycle. Je rappelle en effet que la résolution prévoyant un cessez-le-feu, le retour des otages et la reconstruction de Gaza avec la perspective d’une solution à deux États existe : elle a été votée le 10 juin dernier. Et pourtant elle a été oubliée elle aussi. Le droit international, à peine évoqué, est aussitôt oublié.

La France, qui a joué un rôle important au Liban, est dans l’incapacité de peser par rapport aux États-Unis pour essayer de relancer des négociations. Et ne comptons pas sur Trump pour les relancer. Trump ressortira probablement son plan de 2020, qui consistait, pour caricaturer, à donner tout, tout de suite, à Israël, et puis rien, plus tard, aux Palestiniens. Il est possible que la question de l’annexion de la Cisjordanie soit posée dans les prochains mois, alors que le schéma est inchangé, puisque les États-Unis, pour des raisons historiques compréhensibles, soutiennent sans réserve Israël, quel que soit son gouvernement, même celui de Netanyahou qui entraîne son pays dans une impasse historique.

Mme Clémentine Autain (EcoS). Monsieur Charbit nous a rappelé que l’on ne saurait appréhender la situation au Proche-Orient selon le principe d’un camp contre un autre. Je veux dire d’emblée que nous n’appartenons qu’à un seul camp, celui de la paix, et que la paix ne saurait être acquise sans justice. Ce principe est le seul qui puisse nous guider dans ce conflit au long cours et la voie que nous cherchons est celle qui mène à la sécurité pour tous et à la reconnaissance des droits des peuples. Israël est un peuple, il a le droit à un État. Les Palestiniens sont un peuple, ils doivent avoir droit à un État.

Le 7 octobre 2023 a représenté à l’évidence une rupture, et rien ne peut légitimer une telle barbarie contre des civils, même s’il est nécessaire de rappeler que Gaza est une prison à ciel ouvert, que les droits des Palestiniens ne sont pas reconnus et que l’Autorité palestinienne est méprisée. Il est en effet impossible de comprendre le 7 octobre sans se souvenir que l’Autorité palestinienne a été « bousillée » et que le Hamas a pris la place et a malheureusement gagné en popularité. Ces éléments permettent de comprendre le 7 octobre, de le comprendre mais en aucun cas de le justifier.

Rien ne peut non plus justifier les crimes de guerre d’une violence absolument inouïe perpétrés par Israël. Des dizaines de milliers de personnes sont mortes, en particulier des enfants et des femmes, lesquelles sont d’ailleurs les premières victimes de ce conflit. Israël ne combat pas le Hamas : il veut exterminer les Palestiniens, ce qui n’est pas la même chose. Ses buts de guerre ne sont pas clairs, mais il apparaît qu’il utilise le 7 octobre pour aller plus avant dans sa logique d’extermination des Palestiniens.

Il convient de replacer le conflit dans l’histoire longue, sans quoi nous ne pouvons pas identifier des solutions. Cette histoire longue est celle de la colonisation d’un peuple par un autre et, de ce point de vue, la question du droit international est évidemment fondamentale. À cet égard, comment expliquer la timidité de la France vis-à-vis de la décision de la CPI d’émettre un mandat d’arrêt contre Netanyahou ?

Monsieur Chagnollaud a évoqué les nombreuses résolutions internationales censées faire respecter les droits des Palestiniens mais qui ne sont pas appliquées. Comment faire appliquer le droit international ? Comment faire respecter les résolutions et les mandats d’arrêt, qui sont nécessaires pour faire advenir la paix ?

M. Denis Charbit. Je suis assez surpris d’entendre des femmes et des hommes politiques animés par des principes de conviction, qui en général sont plutôt le fait des intellectuels, et moins par des principes de responsabilité. Pourquoi dis-je cela ? Parce que j’entends bien cette idée, à laquelle j’adhère, que le droit international est pareil à une boussole. Mais a-t-on jamais vu un navire piloté par une boussole ? Une boussole donne une orientation mais elle ne remplace pas un équipage. Or il me semble que la référence consensuelle au droit international esquive ce qui se passe dans tout conflit arrivant à son terme, à savoir qu’une négociation intervient, dans laquelle les acteurs peuvent en appeler au droit international. Pour autant, celui-ci n’a rien d’un deus ex machina qui s’applique tel quel.

Je suis tout à fait conscient des efforts entrepris par les différents gouvernements dirigés par Netanyahou pour laminer l’Autorité palestinienne. Mais Israël n’est pas responsable de l’absence d’un leadership compétent dans les rangs palestiniens. D’ailleurs, je fais remarquer à monsieur Faure que la présence de la puissance coloniale française en Algérie n’a empêché en rien l’émergence du Front de libération nationale (FLN).

Par ailleurs, j’entends que les Palestiniens auraient une vision sur le très long terme. Mais les Israéliens aussi. Si l’on considère, et c’est mon cas, que l’occupation israélienne depuis 1967 est illicite, on a tendance à oublier que, pour de nombreux Palestiniens, cette occupation est illicite depuis 1948. C’est la raison pour laquelle le droit international, qui naturellement porte des principes très importants, ne saurait se substituer à une reconnaissance entre Israéliens et Palestiniens. Autrement dit, rien n’est possible avant qu’un leadership palestinien dise aux Israéliens « vous êtes légitimes sur cette terre d’Israël », qui est aussi la Palestine, et qu’en face un leadership israélien dise aux Palestiniens « vous êtes légitimes sur cette terre de Palestine ». Vous le voyez, la question du temps long se pose pour les deux parties.

Enfin, concernant le Liban, n’oublions pas qu’il n’est pas d’acteur régional ayant plus d’intérêt à un Liban souverain qu’Israël. N’oublions pas que c’est le Hezbollah, qui est un État dans l’État, qui a décidé, en dépit du retrait d’Israël du Sud Liban, de poursuivre la guerre. Si le 8 octobre 2023, le Hezbollah s’était contenté de publier un communiqué pour apporter toute sa solidarité au peuple palestinien, Israël n’aurait pas ouvert un front au Liban, qui s’est traduit par le déplacement de plus de 80 000 Israéliens.

Voilà pourquoi il est essentiel d’envisager le problème sous tous ses aspects, et je suis déçu que nous échangions encore dans la langue du 6 octobre 2023.

M. Jean-Paul Chagnollaud. Je maintiens que le droit international est ma boussole. Étant moi-même marin du dimanche, je sais l’utilité d’une boussole pour traverser le brouillard, et le moins que l’on puisse dire est que nous sommes actuellement en plein brouillard. Et que nous dit notre boussole ? Elle dit que le droit international garantit le principe fondamental de la non-admissibilité de l’acquisition de territoires par la force. Si nous renonçons à ce principe, qui est d’ailleurs affirmé par toutes les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, alors nous empruntons la voie du chaos, et en disant cela je pense aussi à Taïwan, au Donbass.

Il me semble que la France devrait reconnaître l’État de Palestine mais en accompagnant cette déclaration par des propositions fortes. Dans tous les documents diplomatiques, notamment européens, qui portent sur ce point, on trouve toujours une phrase à la fois amusante et triste : nous reconnaîtrons l’État de Palestine, virgule, « le moment venu ». Nous sommes coincés dans la virgule et ce moment n’est jamais venu. Il serait temps qu’il vienne.

Vous avez dit en substance, madame Autain, que l’on ne bâtit pas la sécurité des uns, en l’occurrence les Israéliens, sur l’insécurité absolue des autres, en l’occurrence les Palestiniens. Ce principe me semble très important et, sans lui, rien ne sera réglé. Il convient de prendre en charge cette question et, à cet égard, la France pourrait prendre l’initiative.

M. David Khalfa. Je pense qu’il n’est pas impossible de concilier les deux approches, celle par le droit international et celle par les dynamiques politiques. J’estime qu’il est impératif de repolitiser le conflit, au bénéfice des Israéliens et des Palestiniens. Repolitiser le conflit signifie renforcer, sur place, les partisans du pragmatisme et de la paix dans chaque camp, et isoler les extrémistes de tous bords. Pour cela, il importe de bien caractériser les projets politiques, bien identifier leurs ressorts, et d’essayer, autant que se faire se peut, de favoriser une dynamique politique susceptible d’ouvrir un horizon diplomatique. Sans horizon diplomatique, il n’est pas de perspective de paix.

Mme Maud Petit (Dem). Depuis les attaques du 7 octobre 2023, la perspective d’une paix entre Israël et Gaza est difficilement envisageable, tandis que le soutien de la communauté internationale à l’égard du gouvernement hébreu s’effrite inexorablement. Face aux pertes matérielles et humaines occasionnées à Gaza, où 44 000 personnes sont mortes, et 82 % des infrastructures de santé et scolaires ont été détruites par les bombardements, la France et l’ONU continuent d’affirmer leur souhait d’agir au nom de la paix pour un cessez-le-feu durable. Sur ce conflit, la ligne de notre groupe est claire et demeure inchangée. Nous défendons nous aussi le respect du droit international humanitaire, seul cadre susceptible de garantir la sécurité des civils de part et d’autre, maintenant et demain.

Alors que le conflit s’est étendu à la frontière entre Israël et le Sud Liban, l’escalade des tensions militaires avec le Hezbollah a représenté un point de bascule pour le Proche-Orient. La mort du chef du Hezbollah fin septembre a notamment fait craindre que l’Iran ne devienne un acteur de premier rang dans le conflit, avec un risque d’affrontement direct avec Israël. Afin d’éviter l’embrasement général de la région, les États-Unis, la France et l’ONU n’ont cessé d’appeler à un règlement diplomatique du conflit. Hier soir, au moment où un nouveau bombardement aérien visait un bâtiment dans le quartier commerçant de Hamra, dans le centre de Beyrouth, l’adoption d’un cessez-le-feu au Liban était annoncée par Israël. Pensez-vous que l’accord de trêve au Liban puisse être durable ?

Face au risque de généralisation du conflit, il importe d’être attentif aux autres zones de la région, qui sont moins évoquées par la presse, comme la Cisjordanie et la mer Rouge, où se trouvent des rebelles Houthis du Yémen. Que pouvez-vous nous dire sur l’état des tensions qui traversent actuellement ces régions ?

Enfin, que pouvons-nous attendre d’un nouveau mandat de Trump en matière de politiques étrangère et de coopération des États-Unis pour un règlement du conflit dans cette zone ?

M. David Khalfa. Je pense que le cessez-le-feu au Liban peut tenir car il en va de l’intérêt stratégique des deux belligérants. Le Hezbollah est aujourd’hui très affaibli. Son gouvernement militaire est décapité, 10 % de sa force combattante est éliminée, et entre 60 % et 80 % de ses capacités aérobalistiques sont détruites. Au moment du cessez-le-feu, le mouvement islamiste chiite reculait, tout en résistant au moyen de frappes de saturation sur le territoire israélien. L’armée israélienne, quant à elle, traverse une phase d’hypertension, avec une surmobilisation de sa réserve et un épuisement d’un grand nombre de soldats, dont 67 sont morts dans l’affrontement avec les miliciens du Hezbollah.

La situation régionale est confuse et son évolution dépendra des dynamiques enclenchées par l’arrivée de Trump au pouvoir. L’Iran se trouve pris dans une forme d’hésitation stratégique, entre la volonté de désescalade dont témoigne la détente de ses relations avec les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite d’un côté, et l’anticipation du second mandat de Trump qui pourrait se traduire dans l’immédiat par le rétablissement de ce que le président américain appelait lui-même « la pression maximale », c’est-à-dire le renforcement des sanctions économiques. Toutefois, il n’est pas interdit d’imaginer que la mégalomanie de Trump l’incite à vouloir faire mieux qu’Obama en concluant un nouveau « deal », pour reprendre son terme, qui serait, selon lui, plus robuste que celui qu’avait signé en son temps Obama. À l’évidence, l’Iran est au Moyen-Orient le grand perdant de l’élection de Trump. Cependant, il sait faire preuve de patience stratégique et il a conscience que le mandat d’un président américain ne dure jamais que quatre ans, ce qui est bien peu à l’échelle de l’histoire. C’est la raison pour laquelle je pense que l’Iran peut enclencher un processus de désescalade tactique qui aura des répercussions sur ses proxys, notamment les Houthis en mer Rouge.

Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Je souscris aux propos de Monsieur Charbit nous invitant à prendre position sans choisir un camp, et mon groupe suit cette ligne directrice. À cet égard, j’ai été interpellée par le choix des autorités politiques françaises d’employer un vocabulaire de soutien inconditionnel à l’un ou l’autre des belligérants, alors que l’inconditionnalité n’est en rien une obligation. Notre camp est celui du droit.

Le droit est un ensemble d’écrits disposant d’un bras opérationnel chargé de l’appliquer, l’UNRWA en Palestine, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) sur la Ligne bleue. Or ces forces onusiennes sont décriées : l’UNRWA a été quasiment accusé de dérive sectaire, la FINUL d’incompétence totale étant donné que le Hezbollah dispose d’une multitude de caches d’armes à la frontière sud-libanaise.

En tant que décideurs politiques, il nous revient de nous appuyer sur l’ONU et sur le droit international humanitaire. Mais au regard de ses déclinaisons opérationnelles si décriées, il paraît difficile de discerner la bonne direction. Le droit international se consume sous nos yeux au Moyen-Orient ou en Ukraine. Monsieur Chagnollaud, quels seraient selon vous les outils à même de sauver, de porter et de défendre, sans s’en remettre aux incantations, ce droit international humanitaire ?

M. Jean-Paul Chagnollaud. En matière de droit international, un pays tel que le nôtre peut certes formuler de grandes ambitions mais il ne dispose pas des moyens de les satisfaire. L’Europe devrait s’unir sur ce sujet mais nous nous voyons bien qu’elle en est incapable.

Toutefois, l’incantatoire n’est pas sans signification politique. J’ai toujours pensé qu’une forte déclaration du président de la République affirmant l’importance du droit international humanitaire permettrait de sortir de l’ambiguïté dans laquelle se trouve actuellement la France à propos de la décision de la CPI. Peut-être cette ambiguïté est-elle liée à l’accord de cessez-le-feu au Liban ? Je l’ignore. Mais sortir de l’ambiguïté me semble important.

De même, énoncer fortement, aux côtés de partenaires, la nécessaire reconnaissance d’un État de Palestine représenterait une avancée. Toutefois, les déclarations sont insuffisantes si elles ne s’inscrivent pas dans une réflexion diplomatique productive. Souvenons-nous que de Gaulle avait posé dès 1967 un certain nombre de principes, parmi lesquels la condamnation de la colonisation israélienne. Je pense que la France est en mesure de procéder à des rappels au droit international, qui en effet est de plus en plus ignoré et dont l’avenir est assombri par la perspective d’un second mandat de Trump.

M. Denis Charbit. Au Moyen-Orient, on n’entend pas l’ONU, on n’entend pas la Cour internationale de justice, on ne comprend que le rapport de force, et cela des deux côtés. Si la situation s’est dégradée au Liban, c’est aussi parce que la FINUL, volontairement, involontairement, ou à son insu, a fermé les yeux sur la violation du droit international, en l’occurrence la résolution 1 701.

Une déclaration de reconnaissance d’un État palestinien doit s’incarner, non pas dans une déclaration incantatoire mais dans un rapport de force. Le président de la République pourrait en effet reconnaître l’État de Palestine, mais à deux conditions : d’abord en brandissant cette déclaration comme une menace à l’endroit des Israéliens, parce que ce langage-là est le seul qui soit entendu au Moyen-Orient ; ensuite en déclarant dans le même temps la reconnaissance de Jérusalem-Ouest comme capitale d’Israël.

Il me semble en effet fondamental de s’adresser toujours aux deux populations, aux deux opinions publiques favorables à la paix. Ces opinions existent et doivent être encouragées par des signes forts, à l’image de la double reconnaissance que je propose. Une déclaration purement incantatoire de reconnaissance d’un État palestinien, comme celle de l’Espagne, de la Norvège et de l’Irlande, n’apporte strictement rien. A contrario, menacer de reconnaître l’État de Palestine si Israël ne se retire pas de Gaza, et dans le même temps reconnaître Jérusalem-Ouest comme capitale de l’État d’Israël, représente un levier d’influence sur la région.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Lors de l’audition de madame Hala Abou-Hassira, représentante de l’Autorité palestinienne en France, j’avais rappelé la position de mon groupe en faveur d’une solution à deux États et du respect du droit international par et pour toutes les parties. J’avais également rappelé qu’il était indispensable que l’Autorité palestinienne soit en mesure de garantir une sécurité suffisante à son voisin israélien et de construire un État stable susceptible d’être reconnu.

J’avais interpellé madame Abou-Assira sur la capacité de l’Autorité palestinienne à réunir des hommes et des femmes compétents, incorruptibles, imperméables aux influences étrangères et régionales, susceptibles de convaincre le peuple palestinien de bâtir un État tourné vers le futur et moins vers le passé, et capables de dialoguer avec les acteurs régionaux sur la base d’un objectif unique, à savoir la pérennité d’un État palestinien en paix avec l’État d’Israël. La réponse qui m’avait été apportée ne m’avait pas semblé ouvrir de perspective positive.

Est-il envisageable de bâtir demain un État palestinien, et pour cela d’identifier et de soutenir en Palestine des interlocuteurs politiques fiables, n’ayant comme objectif que la création d’un État en paix avec tous ses voisins ? En d’autres termes, avec qui faut-il négocier ?

M. Jean-Paul Chagnollaud. On négocie avec ceux qui sont en place, parce qu’on ne choisit pas ses interlocuteurs. En 2021, des élections législatives et présidentielle étaient prévues et organisées en Palestine, et de nombreux Palestiniens, notamment des jeunes, étaient inscrits sur les listes électorales. Un accord avait été trouvé, pour une fois, entre le Hamas et l’Autorité palestinienne, donc le Fatah. Mais au dernier moment Mahmoud Abbas a différé les élections, ce qui revenait à les annuler. Je pense qu’il a commis une faute stratégique majeure, parce que la séquence était favorable à l’Autorité palestinienne, qui aurait pu ainsi se ressourcer. En confisquant le pouvoir dans des conditions gravissimes, Mahmoud Abbas a perdu sur tous les plans. Organiser de nouvelles élections serait bénéfique, mais, naturellement, la situation actuelle ne s’y prête absolument pas.

Côté israélien, ne nous voilons pas la face : la coalition au pouvoir ne veut pas entendre parler d’un État palestinien, ni même de négociations sur ce point. Elle pourrait éventuellement accepter des négociations sur un certain nombre de sujets tels que des accords de cessez-le-feu, mais certainement pas sur le fond du problème. Pour le dire autrement, il n’existe à ce jour aucun interlocuteur avec qui négocier, ni d’un côté ni de l’autre.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). En 2009, à l’issue de l’opération Plomb durci, répondant aux questions d’une délégation de l’Assemblée nationale conduite par son président Bernard Accoyer, Ehud Olmert avait déclaré : « La prochaine fois que nous irons à Gaza, vous entendrez les Palestiniens hurler et pleurer jusqu’au pôle Nord, jusqu’à ce que vous n’entendiez plus rien. » Cette phrase était-elle prémonitoire ? Sommes-nous en train d’assister à la réalisation de cette prophétie ? Cette phrase stratégique était-elle déjà inscrite dans l’agenda du gouvernement israélien ?

Le droit international suppose de placer chacun sur un pied d’égalité. La reconnaissance de l’État palestinien ne saurait en rester au stade de l’incantation. Elle implique d’installer les interlocuteurs dans une situation de discussions, de négociations, d’accords, sur le plan de la défense, de la coopération, du commerce, et de préparer les conditions d’une paix durable. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale, sous la présidence de monsieur François Hollande, avait reconnu à une très large majorité l’État palestinien.

Il convient de s’interroger également sur la reconnaissance du droit international lui-même. Israël, qui d’une certaine manière est protégé par le droit international, auquel il doit d’être officiellement reconnu, souhaite-t-il réellement le respecter aujourd’hui ? À considérer le nombre de résolutions qu’il a bafouées, il est permis d’en douter. Ces résolutions, rappelons-le, interdisent la colonisation parce que la colonisation est un crime en droit international. J’estime que nous ne parlons pas suffisamment de la colonisation. En France, on a même osé faire le distinguo entre des colonisateurs violents et des colonisateurs qui ne le seraient pas, alors que, violente ou non, la colonisation reste un crime. Monsieur Charbit a évoqué les rapports de force, j’ajouterai que dans un rapport de force, il est parfois nécessaire d’élever la voix.

M. Denis Charbit. Puisque toute perspective de négociation est gelée, tant du côté israélien que du côté palestinien, l’Arabie saoudite s’impose comme un acteur central. Ce pays dispose en effet des moyens nécessaires à la reconstruction de Gaza et cette construction pourrait s’articuler avec un projet politique. Or Trump souhaite trouver un accord bilatéral avec l’Arabie saoudite qui risquerait de marginaliser la question israélo-palestinienne. C’est la raison pour laquelle Mohammed ben Salmane est selon moi l’interlocuteur à privilégier, à aider politiquement afin qu’il ne cède pas sur la question palestinienne et pousse Trump, qui cherche à tout prix à conclure un deal, à faire des affaires, à se tourner vers Netanyahou pour trouver une solution.

Enfin, et au risque de heurter certaines sensibilités, j’estime que les Palestiniens devraient moins se draper dans leur sentiment d’injustice et se montrer davantage politiques, sans quoi les incantations ne suffiront pas. Ces incantations, quand elles émanent des journalistes, des intellectuels, des écrivains, des poètes, sont bien sûr louables, mais il revient aux politiques de faire de la politique, c’est-à-dire de pratiquer le donnant-donnant, de négocier. À cet égard j’insiste, même si je n’ai guère d’appétence pour le régime saoudien : la seule issue actuelle consiste à se tourner vers l’Arabie saoudite, qui dispose de leviers, de moyens de pression, dont les autres acteurs sont dépourvus.

M. David Khalfa. S’agissant de la reconnaissance de l’État palestinien, je pense, et je crois que messieurs Chagnollaud et Charbit souscriront à mon point de vue, que cette initiative doit être politique, c’est-à-dire conditionnée à des concessions fournies de part et d’autre. Reconnaître par une déclaration l’existence d’un État palestinien seulement pour maintenir en vie le principe d’une solution à deux États ne règle en rien le problème dans la mesure où la Palestine ne dispose ni d’un territoire unifié, ni d’un leadership unifié, ni d’aucune instance capable de revendiquer le monopole de la violence légitime. Dès lors, rien n’est possible sans ressourcer la légitimité de l’Autorité palestinienne, et cela passe par des élections.

Par ailleurs, nous appréhendons mal la réalité du terrain à Gaza, d’autant que les calculs politiques de Netanyahou obscurcissent la réalité du niveau de belligérance de l’adversaire. En vérité, deux guerres sont menées actuellement. Une guerre de destruction est en cours, un combat en milieu urbain équivalent à ce qui s’est passé à Raqqa, Falloujah ou Mossoul, trois villes où le niveau de destruction est proche de celui de Gaza. Et à cette guerre s’ajoute une vision politique portée par Netanyahou et surtout par ses alliés d’extrême droite, notamment Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui veulent profiter du traumatisme consécutif au 7 octobre pour mener à bien un projet d’occupation de Gaza et de recolonisation du Nord de la bande de Gaza.

Cependant, je crois que ce projet, comme celui de l’annexion de la Cisjordanie, est incompatible avec une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël. Dès lors, la très nationaliste coalition au pouvoir en Israël sera contrainte de choisir entre l’isolement diplomatique et l’intégration sur la scène régionale.

M. Alain David, président. Je vous remercie, nous en venons à présent aux questions des autres députés.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Au-delà du cessez-le-feu au Liban, le véritable enjeu porte sur l’application de la résolution 1 701, qui a été violée plus de 30 000 fois, aussi bien par Israël que par le Hezbollah. Quelles sont, selon vous, les chances de voir enfin cette résolution appliquée, alors que certains chercheurs tels que Karim Émile Bitar ou Agnès Levallois, parlent d’une menace d’effondrement de l’État libanais ? Quel rôle la France peut-elle jouer dans la reconstruction du Liban ?

M. Jean-Paul Chagnollaud. La guerre au Liban s’est ajoutée à la plus grave crise économique de l’histoire du pays. En outre, les fondamentaux de l’État libanais n’existent pas. Madame Oziol évoquait tout à l’heure le renforcement de l’armée libanaise. Mais celui-ci n’est pas envisageable sans un État légitime et stable.

Il importe certes que l’accord de cessez-le-feu tienne et débouche sur une stabilisation. Néanmoins, il ne s’agit que d’un épisode sur la route de la reconstruction du Liban, qui renvoie à une temporalité tout autre. En effet, cette question s’est posée bien en amont de la crise actuelle, et l’aval durera de longues années, tant les problèmes du Liban sont véritablement existentiels.

M. Pierre Pribetich (SOC). Le 15 septembre 2020, Donald Trump organisait en grande pompe la signature des accords d’Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn. Ces accords ont ruiné l’idée selon laquelle il était impossible de s’entendre avec Israël sans résolution préalable du conflit israélo-palestinien. L’Autorité palestinienne, à l’époque, avait dénoncé une trahison méprisable.

Avec le recul, quel jugement portez-vous sur les accords d’Abraham ? Pensez-vous que Trump souhaitera conclure des « accords d’Abraham 2 », pour entrer dans l’histoire et, en bon « commercial », permettre aux entreprises américaines de participer largement aux reconstructions au Moyen-Orient ?

M. David Khalfa. Toute initiative visant à faire baisser la tension au Proche-Orient me semble devoir être accueillie favorablement. Les accords d’Abraham ne sauraient se réduire à l’action de Trump, qui s’en est attribué l’exclusive paternité. Je rappelle en effet que l’administration Biden a enclenché un processus de normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite, interrompu par l’attaque terroriste du 7 octobre, dont l’un des objectifs était d’ailleurs d’empêcher la conclusion de cet accord.

Ce processus peut-il reprendre à court terme ? À mon sens, la configuration politique actuelle en Israël rend tout à fait impossible une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. Le prix à payer pour une normalisation des relations avec l’Arabie saoudite ayant augmenté en raison de la guerre, Netanyahou sait qu’à la moindre concession, il perdrait le soutien de sa coalition droite-extrême droite et que le pays se dirigerait vers des élections anticipées, ce qu’il refuse absolument. En revanche, le processus pourrait reprendre à la faveur de la victoire de l’opposition aux élections de novembre 2026.

M. Jorys Bovet (RN). Depuis dix ans, l’Égypte construit une barrière à sa frontière avec la bande de Gaza. Ces derniers mois, l’escalade du conflit israélo-palestinien l’a poussée à accélérer les travaux afin d’éviter un exode des Gazaouis vers le Sinaï, territoire dans lequel l’activité terroriste reste un défi majeur pour la sécurité du pays.

Cette politique n’est pas sans conséquences diplomatiques. Elle suscite des critiques dans le monde arabe, où elle est perçue par certains comme une forme de renonciation à la solidarité avec la Palestine, et une pression de la part des organisations internationales. La priorité accordée à la stabilité au prix d’un isolement stratégique risque-t-elle d’affaiblir la position de l’Égypte comme médiateur dans le conflit ?

M. Denis Charbit. Les discours autour de cette barrière sont contradictoires. En effet, l’érection de ce mur a pour objectif d’empêcher les réfugiés palestiniens de se rendre en Égypte, puisque l’Égypte, pour des raisons que l’on peut qualifier de nationales, s’oppose à cet exode qui, pourtant, aurait certainement épargné de nombreuses vies humaines. Mais les Palestiniens eux-mêmes n’envisagent pas de rejoindre l’Égypte, à cause du précédent de la Nakba. Cette situation démontre que la bande de Gaza est une poudrière, non seulement pour Israël mais aussi pour l’Égypte, de laquelle il est difficile d’exiger qu’elle remette en cause ce qu’elle estime relever de sa sécurité.

M. Jean-Paul Chagnollaud. L’idée d’un exode des Gazaouis est en vogue au sein de la coalition gouvernementale israélienne. On a même pu lire dans la presse internationale, dès octobre 2023, des tribunes signées par ses membres qui réclamaient que l’Europe prenne ses responsabilités en accueillant des réfugiés gazaouis.

Certains Palestiniens auraient souhaité quitter Gaza et se réfugier en Égypte en passant par Rafah mais ils savaient bien que ce voyage serait sans retour. Il convient de rappeler que 85 % des habitants de Gaza appartiennent à des familles qui ont vécu la Nakba en 1948. Pour ces gens, partir sans espoir de retour signifierait revivre la Nakba, d’autant qu’il n’est pas du tout certain qu’une reconstruction de Gaza soit possible, notamment dans le nord, qui est en train d’être vidé de sa population.

M. Denis Charbit. À ceci près qu’un réfugié palestinien à Gaza n’est pas en exil : il est en Palestine.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Depuis les manifestations en Iran à la suite de l’assassinat de Mahsa Amini en septembre 2022 et depuis la reprise de Kaboul par les talibans en Afghanistan, nous assistons à une régression très forte des droits des femmes dans ces deux pays. En Iran, le mouvement « Femme, vie, liberté » subit depuis deux ans une répression brutale. En Afghanistan, on peut parler d’une annihilation des droits des femmes, dont le son de la voix est littéralement proscrit dans l’espace public.

En droit international, la situation d’apartheid est clairement définie par la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973 et par le Statut de Rome de la CPI de 1998. Plusieurs associations et juristes appellent à la définition d’un crime d’apartheid de genre en Iran et en Afghanistan. Monsieur Chagnollaud, que pensez-vous de cette initiative et des perspectives qu’elle pourrait ouvrir en termes de justice internationale ?

M. Jean-Paul Chagnollaud. Le mépris des droits des femmes en Afghanistan est absolument terrible. En Iran, la rébellion des femmes se heurte à une répression systématique. Faut-il judiciariser et criminaliser ces sujets ? Il s’agit d’une question profonde mais je n’ai pas de réponse simple à y apporter. Parfois les évolutions les plus décisives sont de nature politique.

L’Iran est traversé de fortes contradictions politiques et à cet égard l’élection d’un nouveau président ouvrira peut-être de nouvelles perspectives. Il nous appartient d’être à la fois extrêmement fermes contre l’Iran et très sensibles aux évolutions internes du pays. Lorsque Barack Obama a su jouer des contradictions politiques iraniennes en s’appuyant sur un président modéré, Hassan Rohani, il a fait preuve d’intelligence et il est parvenu à un accord sur le nucléaire que personne n’espérait alors, et qui a été déchiré depuis non par l’Iran mais par Trump.

M. Michel Guiniot (RN). La semaine dernière, l’Agence France-Presse (AFP) annonçait que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avait constaté que l’Iran se préparait à stopper l’augmentation de son stock d’uranium enrichi, tout en restant extrêmement proche des niveaux requis par la mise au point d’une bombe nucléaire. Quelques jours plus tard, l’AIEA adoptait un texte proposé par la France visant à restreindre les capacités atomiques de l’Iran en corrélation avec ses constatations et en prenant en compte les circonstances géopolitiques au Proche-Orient. En réaction, le chef de l’organisation iranienne de l’énergie atomique a assuré tout mettre en œuvre pour reprendre la production d’uranium enrichi.

Ainsi nous avons observé, dans la même semaine, la République islamique d’Iran démontrer sa bonne foi en réduisant sa production d’uranium enrichi, puis sa mauvaise foi en réagissant de manière dangereuse à la volonté de l’AIEA de restreindre sa capacité atomique. Au vu du contexte politique régional, pensez-vous qu’un embrasement dramatique du Proche-Orient serait possible à l’initiative malheureuse de l’Iran ?

M. David Khalfa. Il convient de tenir compte des stratégies d’apaisement à l’œuvre dans la région, dont témoigne le rapprochement entre l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’objectif stratégique de l’Iran consiste à sanctuariser son territoire, au nom de son objectif supérieur qui est la survie du régime. La succession à venir du guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei, âgé de 85 ans, n’augure pas de grandes réorientations stratégiques du régime mais plutôt une continuité.

En revanche, il est permis de penser que des évolutions tactiques sont possibles et je pense que, au moins durant le mandat de Trump, l’Iran va se situer dans une logique de désescalade, non seulement sur le plan régional mais aussi à l’égard des États-Unis. En effet, compte tenu de la situation financière et économique dramatique du pays, avec 60 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté relative, le régime a tout intérêt à éviter un renforcement des sanctions. Autrement dit, des négociations auront lieu, même si au préalable nous assisterons à un rapport de force puisque Trump ne croit qu’à ce type de relation.

M. Frédéric Petit (Dem). Permettez-moi deux brèves remarques. D’abord, régler des crises internationales en 24 heures, comme l’annoncent certains, me semble difficile, sauf à sacrifier le respect du droit international. Ensuite, j’aimerais rappeler que Gaza n’est pas qu’un petit bout de désert, comme on l’entend parfois, mais qu’il fait partie du patrimoine de l’humanité.

En tant que rapporteur sur la diplomatie culturelle et d’influence, ce que j’appelle la diplomatie des sociétés civiles, je suis allé en Israël et Palestine il y a quelques semaines et j’y ai trouvé deux sociétés civiles tétanisées. Or, ainsi que l’a rappelé monsieur Charbit, la politique repose d’abord sur des citoyens.

Monsieur Khalfa, votre livre m’a intéressé parce qu’il évoque les sociétés civiles des deux parties. Comment évaluez-vous l’état des forces citoyennes aujourd’hui, en Israël et en Palestine ?

M. David Khalfa. Chacun vit dans une bulle cognitive et informationnelle étanche à l’autre, ce qui accroît la tragédie. Deux récits s’affrontent : du côté des Palestiniens, le sentiment qu’une deuxième Nakba se déroule sous leurs yeux ; du côté des Israéliens, la réactivation du traumatisme de la Shoah. L’année zéro du titre de mon livre désigne cette double impasse.

Toutefois, si le champ politique est à l’évidence un champ de ruines, les sociétés civiles sont traversées par une forte dynamique, avec des acteurs qui tentent de prendre à bras le corps la question de la coexistence, non seulement celle des Juifs et des Arabes en Israël mais aussi la coexistence entre Israéliens et Palestiniens. Ces mouvements considèrent nécessaire d’enclencher un processus vertueux au sein des deux sociétés pour renforcer le camp de la paix. Ils ont raison : sans le soutien d’un segment significatif des sociétés civiles palestinienne et israélienne, l’ouverture d’un horizon diplomatique est plus que compromise. Outre l’appui sur le droit international, il convient de favoriser cette dynamique politique et ne pas raisonner uniquement et classiquement en termes de rapport de force. Les acteurs de la société civile favorables au camp de la paix existent de chaque côté, il importe de les valoriser, de les encourager, de les accueillir et de faire entendre leurs voix.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Un rapport des Nations unies datant de juillet, et un autre du mois d’août réalisé par l’organisation non gouvernementale (ONG) israélienne B’Tselem, documentent la manière dont les prisonniers palestiniens sont traités dans les prisons israéliennes. Je ne parle pas ici des terroristes détenus dans des centres gérés par l’armée, dont nous ne savons rien et auxquels le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n’a pas accès, mais de médecins, d’avocats, de journalistes, de militants interpellés et maintenus en détention arbitrairement et dans des conditions ignobles. Les témoignages des violences et des humiliations subies sont glaçants. Les témoignages des rares otages libérés par le Hamas le 30 novembre prouvent également les mauvais traitements qui leur sont infligés : coups, privations, viols.

Ma question concerne l’impact de ces atrocités sur les sociétés civiles et sur le processus politique que vous avez tenté de dessiner à travers la restauration de la légitimité de l’Autorité palestinienne à la faveur d’élections, la reconnaissance de l’État de Palestine et la repolitisation des élites palestiniennes invitées à être moins émotionnelles. Les crimes de guerre commis des deux côtés devront être documentés et jugés mais cela sera-t-il simplement possible ? Cela suffira-t-il ? Comment ne pas en douter ?

M. David Charbit. Je partage le point de vue de monsieur Khalfa à propos de l’indispensable renforcement des sociétés civiles israélienne et palestinienne. Cela suppose, à mon sens, de modérer l’inflation d’un certain vocabulaire. Lorsqu’on parle d’une « extermination des Palestiniens », tout ce qui peut être dit ensuite n’est plus audible. Il est nécessaire d’employer un langage beaucoup plus mesuré, même si les catastrophes sont elles-mêmes démesurées.

Bien entendu, il convient de documenter les crimes commis de part et d’autre. Cependant, il me paraît préférable d’ouvrir des perspectives d’avenir plutôt que d’offrir à chaque camp des bonnes raisons de taxer l’adversaire d’exterminateur avec lequel aucune discussion n’est possible. Nous sommes tenus de nous adresser à des sociétés qui, cela a été dit, sont tétanisées et qui ont besoin d’être renforcées. Dès lors, plutôt que les pointer du doigt, nous devons les fédérer autour d’une idée. N’oublions pas que chaque camp mène deux guerres, l’une légitime et l’autre illégitime. Les Palestiniens mènent une guerre légitime contre l’occupation et une guerre illégitime contre la légitimité d’Israël, tandis que les Israéliens mènent une guerre légitime après le massacre du 7 octobre et une guerre illégitime d’occupation.

Ne croyez pas que les mandats d’arrêt émis contre Netanyahou et Gallant renforcent l’opposition en Israël. Non, en réalité tout le monde se rallie au drapeau, estimant qu’il s’agit d’un procès d’intention, sans le qualifier d’antisémite comme l’a fait Netanyahou, ce qui est tout à fait ridicule.

Enfin, l’enjeu ne consiste pas à parler avec les Israéliens puis avec les Palestiniens. L’enjeu consiste à s’adresser aux Israéliens et aux Palestiniens ensemble, pour montrer qu’il est possible de retrouver ce que l’on appelait « l’esprit de Genève », lorsque Palestiniens et Israéliens s’asseyaient à la même table pour élaborer un plan de paix.

M. David Khalfa. Soyons réalistes : à court terme, retrouver l’esprit de Genève est malheureusement inenvisageable. Lorsque l’on interroge les sociétés civiles israélienne et palestinienne, on mesure que le soutien à la solution à deux États s’est effondré. Toutefois, lorsqu’on leur demande s’il existe une solution alternative, l’écrasante majorité répond par la négative. En d’autres termes, l’opposition à la solution à deux États est aujourd’hui moins principielle, moins politique et idéologique, que pratico-pratique, parce que la désespérance et le scepticisme ont envahi les esprits. Dès lors, si les conditions politiques évoluent favorablement, la perception politique des deux sociétés civiles changera.

M. Jérôme Buisson (RN). Leviathan, un immense champ gazier découvert en 2010, se trouve à cheval entre les zones économiques exclusives (ZEE) d’Israël, du Liban et de Chypre. Dans cette région profondément marquée par la violence, la découverte d’une telle ressource pourrait devenir un facteur d’aggravation des conflits. Certains pays de la région se sont entendus pour exploiter Leviathan, tels la Grèce, Chypre et Israël, qui coopèrent pour construire le gazoduc Eastmed, ou encore le Liban et Israël, qui ont conclu un accord pour délimiter leurs ZEE respectives en octobre 2022.

Toutefois, à la suite de l’agression de l’Ukraine par la Russie et de l’arrêt des achats européens de gaz russe, du moins par gazoduc, Israël a exprimé la volonté d’augmenter ses exportations en direction de l’Europe. Il existe un gisement de gaz au large de Gaza appelé Gaza Marine, dont la mise en exploitation faisait l’objet de négociations entre l’État hébreu et l’Autorité palestinienne encore en 2023. Dans quelle mesure ce gisement influence-t-il le conflit en cours à Gaza ?

M. Jean-Paul Chagnollaud. Vous évoquez là, monsieur Buisson, un sujet important. Cependant, je crois qu’il est actuellement secondaire dans l’esprit des deux parties. Le pétrole, le gaz, les ressources ne figurent pas parmi les motifs de conflictualité. Les raisons du conflit sont bien plus profondes, plus complexes, plus enracinées.

En revanche, dans un avenir à construire, un avenir lointain, il est certain que la question de l’État palestinien est liée à celle de son territoire et de ses ressources. À cet égard, l’accès à des ressources telles que les gisements de gaz représentera un atout essentiel. Mais le sujet, hélas, n’est pas à l’ordre du jour.

Mme Sylvie Josserand (RN). Monsieur Charbit a insisté sur la nécessité de dialoguer avec Mohammed ben Salmane. L’Arabie saoudite se mue peu à peu en puissance diplomatique. Après une longue rupture des échanges, le rapprochement diplomatique entre Riyad et Téhéran a eu lieu sous l’égide de la Chine en mai 2023 et, le 11 novembre dernier, une étape supplémentaire a été franchie lorsque le prince héritier d’Arabie saoudite a qualifié l’Iran de, je cite, « république sœur ». Or Monsieur Khalfa a souligné que la stratégie d’apaisement avec l’Iran n’impliquait pas une normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël.

La politique de Mohammed ben Salmane peut-elle ériger son pays en médiateur dans le règlement de la crise régionale ? Ou bien, au contraire, la multiplicité des alliances saoudiennes est-elle de nature à favoriser l’instabilité ?

M. Denis Charbit. Si l’Arabie saoudite considère Israël comme un élément essentiel de sa stratégie économique à long terme, dans l’optique d’une transition vers les énergies renouvelables nécessitant l’expertise d’Israël qui, lui, a besoin des capitaux saoudiens, alors la guerre à Gaza ne remet pas en cause ce plan fondamental. En revanche, elle impose d’en réévaluer les conditions, au sens où la normalisation des relations avec Israël ne pourra plus s’effectuer sur le modèle des accords d’Abraham mais dans une version révisée prenant enfin en compte la question palestinienne.

L’ouverture saoudienne vers l’Iran s’explique par la quête de stabilité régionale du royaume, indispensable à ses projets. Nous assistons peut-être à un tournant historique pour ce pays traditionnellement discret sur la scène internationale. Nous ne sommes plus dans le paradigme de 2020, dans lequel la question palestinienne était oubliée. Mais nous ne sommes pas pour autant revenus à celui du début des années 2000, marqué par l’initiative saoudienne de reconnaissance d’Israël en échange d’un retrait total des territoires occupés.

Dès lors, malgré les controverses entourant Mohammed ben Salmane, notamment son implication dans l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, je pense qu’il représente dans les circonstances actuelles le meilleur espoir pour éviter un embrasement de la région. Son approche, qui inclut des rencontres avec des officiels iraniens, me semble positive. Sans elle, l’Iran risque d’être totalement isolé, ce qui empêcherait tout accord avec lui. Cette diplomatie saoudienne représente, selon moi, l’unique source d’optimisme dans la région, compte tenu de la politique de Netanyahou, de la reconstitution, à terme, du Hamas et du Hezbollah, et du retour de Trump.

M. David Khalfa. Je crains d’avoir été mal compris à propos de l’Arabie saoudite. La détente irano-saoudienne ne contrevient pas à la trajectoire de normalisation des relations entre l’Arabie saoudite et Israël, et ce pour une raison simple : les Saoudiens, comme d’autres puissances du Golfe, cherchent à diversifier leurs partenariats. Ils sont en quête d’autonomie stratégique et souhaitent s’appuyer sur des garanties de sécurité américaines en signant un accord de défense sur le modèle de l’accord signé entre les États-Unis et la Corée du Sud.

Dès lors, le chemin de Washington passe par Jérusalem. Le prix à payer pour les Saoudiens, en tout cas sous Trump, sera une normalisation des relations avec Israël. À court terme, une telle perspective me semble improbable, voire impossible. En revanche, elle est envisageable à moyen terme, notamment en cas d’alternance en Israël.

M. Alain David, président. Nous vous remercions, messieurs Khalfa, Chagnollaud et Charbit, pour vos éclairages sur cette partie du monde actuellement fracturée, qui contribuent à la réflexion de notre commission et de la diplomatie parlementaire.

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Informations relatives à la commission

Lors de sa réunion, la commission désigne :

-          M. Nicolas Forissier, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification du traité sur la coopération dans le domaine de la défense entre la République française et le Royaume d’Espagne (n° 621).

 

La séance est levée à 13 h 00.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Clémentine Autain, Mme Anne Bergantz, M. Hervé Berville, M. Guillaume Bigot, Mme Élisabeth Borne, M. Bertrand Bouyx, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Pierre Cordier, Mme Christelle D'Intorni, M. Gérald Darmanin, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, Mme Stella Dupont, Mme Christine Engrand, M. Olivier Faure, M. Marc de Fleurian, M. Nicolas Forissier, M. Julien Gokel, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Trébuchet, Mme Dominique Voynet

 

Excusés. - M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Bruno Fuchs, M. Perceval Gaillard, Mme Pascale Got, M. François Hollande, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Remi Provendier, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistait également à la réunion. - M. François Ruffin