Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Examen, ouvert à la presse, et vote sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (n° 536) (Mme Pascale Got, rapporteure) 2
– Informations relatives à la commission.....................11
Mercredi
12 mars 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 42
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
— 1 —
La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 536.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. L’accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense a été signé le 28 juin 2021. Il a été complété par un échange de lettres le 18 août et le 9 novembre 2023. Le Sénat a adopté le projet de loi autorisant son approbation le 5 novembre dernier et il sera examiné en séance publique par l’Assemblée nationale le 20 mars au matin.
Au cœur de l’Indopacifique, l’Indonésie est l’un des pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) qui compte. Puissance émergente dynamique, elle nourrit l’ambition de devenir l’une des principales économies mondiales dans deux à trois décennies. Compte tenu de son potentiel, l’intensification de la relation bilatérale constitue un enjeu majeur au sein de cette zone stratégique, d’autant que, partisane d’une politique extérieure résolument non alignée, l’Indonésie cherche à diversifier ses partenariats.
Ce pays est aussi un client très important dans nos exportations d’armes. En 2024, Jakarta a commandé pour 2,6 milliards d’équipements militaires français, confirmant notamment l’achat de dix-huit Rafale dans le cadre d’un contrat signé en 2022 prévoyant d’en livrer quarante-deux. L’accord qui nous est soumis représente certes une première étape, mais une étape importante de notre diplomatie d’influence.
Mme Pascale Got, rapporteure. L’accord franco-indonésien du 28 juin 2021 est une nouvelle étape de l’approfondissement des relations entre les deux pays, qui prend toute son importance dans la situation actuelle.
La France a pris conscience il y a une dizaine d’années que l’Indonésie devenait un partenaire incontournable dans la zone indopacifique, en raison d’abord de sa position géographique, qui lui confère un rôle clé dans la stabilité et la prospérité de la région. Cet État archipélagique de 17 000 îles est le plus grand d’Asie du Sud-Est. Situé au carrefour stratégique des océans Indien et Pacifique, il contrôle des détroits majeurs, notamment celui de Malacca, par lequel transite une part considérable du commerce maritime international.
L’Indonésie est aussi la quatrième puissance démographique au monde, avec plus de 285 millions d’habitants. Sa croissance économique soutenue – avec un produit intérieur brut (PIB) qui augmente en moyenne de 5,3 % par an – lui assure la première place au sein de l’ASEAN et la seizième dans le monde.
Conscient de ses atouts, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du président Prabowo Subianto en octobre 2024, le pays affiche de plus en plus clairement ses ambitions internationales et s’engage plus activement encore au sein de l’ASEAN, dont le siège est à Jakarta, ainsi qu’au sein de l’Organisation des Nations unies (ONU). Depuis le mois de janvier dernier, l’Indonésie est membre du groupe des BRICS+.
L’Indonésie a opté pour une stratégie de non-alignement. Sa diplomatie très active et très ouverte cherche, comme la France d’ailleurs, à multiplier les partenariats autant que faire se peut. Cette diplomatie à 360 degrés l’amène à entretenir des liens sans exclusive avec la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud : tous des pays qui ont compris l’intérêt stratégique qu’elle revêt. La France peut y trouver son intérêt. Comme l’ont dit les diplomates auditionnés pour la préparation de l’examen de ce texte, il y a aujourd’hui beaucoup plus de « fées autour du berceau ».
L’Indonésie a aussi des aspects moins vertueux. Elle a une marge de progression en matière de droits humains, de droits des femmes – nonobstant les avancées réalisées depuis quelques années –, de peine capitale et de traitement des minorités. En matière d’écologie, la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre y sont significatives.
Il ne faut ni taire ni minimiser ces aspects, sans toutefois négliger le contexte global dans lequel se déploie notre relation bilatérale. L’Indonésie s’inscrit pleinement dans la stratégie française en Indopacifique, qui vise à préserver un espace ouvert, fondé sur le respect du droit international ainsi que du multilatéralisme, et qui identifie l’ASEAN comme un enjeu d’influence.
Dans ce contexte, les échanges politiques de haut niveau entre la France et l’Indonésie se sont intensifiés. Cette dernière apprécie le respect de sa souveraineté, dont nous faisons preuve dans le cadre de notre partenariat en matière de sécurité, de défense et d’équipement. Elle est très sensible à l’engagement constant de la France pour la stabilité régionale. Comme l’a indiqué par écrit son ambassade à Paris, le pays souhaite faire de l’Indopacifique une région de coopération plutôt que de compétition.
Notre coopération bilatérale excède le cadre de la défense et de la sécurité. L’Agence française de développement (AFD), présente dans ce pays depuis 2007, gère un portefeuille de 3 milliards d’euros concentré sur les secteurs de l’énergie, des transports, de la préservation de la biodiversité et de la mer. Sur le plan commercial, nos échanges ont plus que doublé en dix ans, atteignant 1,3 milliard d’euros d’exportations en 2023, au sein desquelles le secteur aéronautique domine.
L’Indonésie est le deuxième client de notre industrie de défense dans la zone Asie-Pacifique. De 2013 à 2024, ses prises de commande ont dépassé 10 milliards d’euros, notamment grâce aux contrats portant sur quarante-deux Rafale et deux sous-marins Scorpène.
La relation bilatérale de défense s’est récemment intensifiée grâce à plusieurs actions. Les échanges ministériels de haut niveau se sont faits plus réguliers. L’Institut français de défense et de diplomatie, piloté par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées, a joué un rôle structurant.
Historiquement, ce partenariat était centré sur l’armement. Il se diversifie de plus en plus pour inclure davantage d’interactions de nature militaire, notamment des propositions d’exercices conjoints et des escales aériennes – dans le cadre de la mission Pégase – et navales – le groupe aéronaval (GAN) français ayant été accueilli pour la première fois à Lombok en janvier 2025. La coopération de défense comprend aussi de la formation, notamment dans le domaine de l’artillerie, depuis que l’Indonésie a fait l’acquisition de camions équipés d'un système d'artillerie Caesar.
Il convenait de consolider durablement cette coopération. Il était devenu indispensable de doter notre partenariat, qui reposait sur un simple arrangement technique conclu en 2012, d’un cadre juridique renforcé. Tel est l’objet de l’accord que nous examinons, qui comporte les clauses figurant habituellement dans les accords de défense conclus par la France, en douze articles et une annexe. Cette brièveté est due à l’absence de clause relative au statut des forces armées.
L’article 4 énumère les nombreux domaines de coopération possibles, de la science et de la technologie dans l’industrie de défense au maintien de la paix, auxquels l’Indonésie tient particulièrement, en passant par l’aide humanitaire, la lutte contre la piraterie et le terrorisme ou des productions communes. Cette coopération pourra prendre la forme de consultations, d’échanges stratégiques et d’exercices conjoints, et inclure toute activité liée à la défense, sous réserve d’un accord mutuel. Conformément à l’échange des lettres des 18 août et 9 novembre 2023 validées par le Conseil d’État, les exercices militaires devront se dérouler hors du territoire indonésien, sauf conclusion d’un accord particulier.
L’article 5 institutionnalise un cadre de gouvernance plus clair et plus structuré. Un comité sera notamment chargé de la mise en œuvre de l’accord, coprésidé par le directeur général de la DGRIS, pour la France, et par le directeur général pour la stratégie de défense pour l’Indonésie. Ce comité se réunira annuellement et fixera les grandes orientations stratégiques tout en supervisant les activités de coopération, dont il évaluera les résultats. L’inscription de ce comité et de sa réunion annuelle dans un accord intergouvernemental institutionnalise la coopération et garantit un cadre pérenne.
L’article 7 ouvre la voie à la négociation d’un accord de statut des forces à l’étranger (SOFA), clé de voûte de l’avenir de notre coopération de défense. Il a été convenu avec l’Indonésie d’attendre la finalisation des procédures d’entrée en vigueur de l’accord du 28 juin 2021 avant d’ouvrir cette négociation.
L’article 10 prévoit une clause d’effort visant à la conclusion d’un accord de sécurité, dédié à l’échange et à la protection réciproque des informations et matériels classifiés. Cette négociation est en cours. La France et l’Indonésie ont échangé plusieurs propositions de texte.
L’accord qui nous est soumis n’est donc, comme l’a indiqué notre ambassadeur en Indonésie, qu’une « première étape » de notre coopération de défense avec l’Indonésie. Il offre un cadre juridique plus complet que l’arrangement de 2012, ce qui renforce la sécurité juridique des activités conjointes des deux pays et servira de base pour construire un véritable partenariat stratégique.
En Indopacifique, nous avons d’ores et déjà signé semblables accords avec les îles Fidji, en décembre 2023, et avec Djibouti en juillet 2024. Le contexte rend indispensable l’approfondissement de ce partenariat encore à l’état d’ébauche, notamment en concluant un SOFA offrant une protection juridictionnelle aux forces armées françaises, facilitant leur séjour et clarifiant les compétences respectives des juridictions pénales de l’État d’envoi et de l’État d’accueil. Il offrira également des avantages logistiques. Il est donc important que la France maintienne intacte cette ambition et convainque le partenaire indonésien de l’importance de ce complément juridique.
Compte tenu de la spécificité de la situation internationale, il importe de diversifier nos accords avec des pays tiers. Je vous invite donc à autoriser l’approbation de cet accord du 28 juin 2021, que l’Indonésie a d’ores et déjà ratifié, pour qu’il puisse ainsi entrer en vigueur.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. La commission de la défense nationale et des forces armées a émis à l’unanimité, le 12 février dernier, un avis favorable sur ce projet de loi. L’approbation de l’accord de défense nous semble nécessaire pour plusieurs raisons.
L’Indonésie est un partenaire stratégique de la France en Indopacifique. L’accord de défense dont nous discutons en est l’illustration concrète. Début février, le GAN, structuré autour du porte-avions Charles de Gaulle, a fait escale pour la première fois de son histoire en Indonésie, à Lombok.
Je salue la décision historique de notre partenaire indonésien d’autoriser cette escale. Elle représente un jalon essentiel de l’approfondissement de notre relation bilatérale de défense, dans une région du monde appelée à devenir l’épicentre des équilibres et des ruptures géopolitiques. Renforcer notre réseau de partenaires en Indopacifique permettra à la France d’asseoir sa stratégie, dont le premier pilier est dédié à la sécurité et à la défense.
Notre coopération bilatérale repose essentiellement sur l’armement. L’Indonésie est notre deuxième client à l’export en matière d’armement dans la zone indopacifique. La moitié du budget d’acquisition de défense indonésien va à des achats de matériels français. L’Indonésie a fait confiance à nos industriels pour lui fournir des capacités militaires de pointe. Elle a notamment signé des contrats visant à l’acquisition de quarante-deux Rafale, en 2022, à la fourniture par Naval Group de deux sous-marins Scorpène, en 2024, et à la fourniture par KNDS de canons Caesar.
Cet accord permettra d’aller plus loin, en renforçant et en pérennisant le cadre juridique de la relation bilatérale de défense entre la France et l’Indonésie. Il constitue un premier jalon essentiel sur la voie d’une pérennisation de nos relations, mais non suffisant.
L’approfondissement du cadre juridique bilatéral sera véritablement achevé lors de la conclusion par les parties d’un SOFA et d’un accord de sécurité relatif à l’échange d’informations classifiées. Le ministère des armées et le Quai d’Orsay, lors de leur audition, ont indiqué que la conclusion d’un SOFA est une priorité pour la France. Cela exige du temps. Nos diplomates en font une priorité.
Mme Got et moi-même avons exactement le même avis sur l’accord. Il incombera à nos deux commissions, dans les mois à venir, de vérifier, dans le cadre de leur mission de contrôle, que la négociation relative à ces deux clauses d’effort progresse et, je l’espère, de vous informer de l’issue favorable de ces négociations.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
M. Michel Guiniot (RN). L’accord que nous examinons pose des jalons dans la relation militaire que nous entretenons avec l’Indonésie, en particulier dans le domaine de la défense. Ce sujet ressortissait précédemment d’un accord technique de 2012, insuffisamment solide.
Les tractations avec l’Indonésie pour conclure un accord standard, tel celui que nous avons récemment conclu avec l’Espagne, ont suscité des réserves du Conseil d’État au motif qu’il n’offrait pas suffisamment de garanties au personnel militaire français déployé et contrevenait aux engagements conventionnels de la France.
Deux adaptations se sont donc avérées nécessaires. À l’article 7 d’abord, faute de parvenir à la conclusion d’un SOFA, les parties prévoient qu’elles s’efforceront d’en conclure un pour offrir aux personnels déployés un statut juridique particulier et dérogatoire. Faute de SOFA, la protection de nos troupes déployées en Indonésie est insuffisante. En conséquence, il sera impossible de réaliser des exercices sur le territoire indonésien, en raison de législations contraires à notre droit. Par ailleurs, aucune équivalence dans les niveaux de classification des échanges n’étant envisageable, l’accord constate, à l’article 10, l’absence d’accord et la nécessité de conclure une clause prochainement. Des échanges sont en cours pour donner à ces deux clauses leur plein effet.
La ratification de l’accord est rendue nécessaire par la nécessité d’entretenir de bonnes relations commerciales et militaires avec cet État de la zone indopacifique, où il nous faut des alliés. Toutefois, il ne comporte aucune disposition nous permettant d’engager des opérations conjointes sur le territoire indonésien. Il est donc plus un échange d’intentions que la formalisation d’une coopération à venir. Quelles assurances les forces déployées dans le cadre des opérations Clemenceau 25 et La Pérouse 25 ont-elles qu’elles ne feront pas l’objet d’une application stricte de la loi de la charia, comme le relève le site France Diplomatie ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Certes, il s’agit d’une première étape. L’Indonésie n’a conclu qu’un accord de défense, à ce jour, avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle a besoin d’un peu de temps.
S’agissant de l’impossibilité de réaliser un exercice conjoint sur le sol indonésien, elle peut être contournée pour un exercice spécifique par le biais d’une convention à l’objet précis conclue entre les deux pays.
M. Franck Riester (EPR). Le groupe Ensemble pour la République partage l’analyse et les conclusions des rapporteures. Cet accord important pour notre politique de défense et de notre présence en Indopacifique est un beau symbole du renforcement de notre partenariat stratégique avec l’Indonésie, et plus généralement des liens qui nous unissent avec ce pays qui aime la France.
Acteur majeur de la région – les chiffres qui ont été rappelés sont éloquents –, ce pays souhaite ardemment renforcer le partenariat avec la France. Approuver l’accord enverra un signal fort. Notre partenariat de défense a un potentiel de déploiement considérable. Je me réjouis à mon tour de ses aspects positifs et aspire à la réalisation des progrès qui s’imposent.
Le développement de nos relations économiques et commerciales n’est pas moins essentiel, non seulement dans le secteur de la défense mais aussi dans l’économie bleue, l’aéronautique, l’énergie et l’avènement de la ville durable. Pour m’être rendu en Indonésie en tant que ministre du commerce extérieur, je considère que nous devons accélérer notre partenariat et que les entreprises françaises doivent miser sur ce pays.
Notre groupe est favorable à l’approbation de l’accord, qui constitue une étape du renforcement de notre partenariat stratégique et est un signal très fort envoyé aux Indonésiens de notre volonté d’approfondir notre amitié.
Mme Pascale Got, rapporteure. Il faut en effet élargir notre coopération économique par-delà le secteur de la défense. On compte plus de 200 filiales d’entreprises françaises en Indonésie, employant environ 54 000 personnes.
Le nouveau président est très francophile. Dès son élection, nos relations se sont intensifiées, la France étant perçue comme engagée dans une stratégie de maintien de la paix dans la zone, ce qui importe beaucoup à ce pays et favorise le développement de relations, notamment économiques.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Je me réjouis que notre commission examine enfin cet accord, quatre ans après sa conclusion. Je me réjouis aussi d’entendre parler d’une politique de non-alignement, ce qui n’est pas si fréquent. Notre groupe essaie de promouvoir cette vision en France.
L’Indonésie est un membre historique du mouvement des non-alignés et l’un des rares grands pays le composant à conserver cette position. Quatrième pays le plus peuplé au monde, seizième économie mondiale, ce pays a conclu des accords de défense bilatéraux avec la Russie et la Chine mais aussi avec l’Australie. Il est l’un des rares à mener des exercices navals conjoints avec les Américains comme avec les Chinois.
Notre groupe soutient l’approbation de l’accord. Nous n’en regrettons pas moins que la politique militaire de la France demeure très éloignée des principes du non-alignement, quoi qu’en ait dit le ministre Lecornu lors de son déplacement en Indonésie. La France est dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ; elle a conclu des alliances dont dépendent très largement ses possibilités d’action. Tel n’est pas le cas de l’Indonésie.
Le lien bilatéral noué avec ce pays est important : il a déjà été question de son président francophile ou de ses achats d’armes auprès de la France, sachant que nous devons encourager les exportations françaises. Le point noir est la Papouasie, qui a rejoint l’Indonésie en 1969 à la suite d’un référendum validé par la communauté internationale mais où les violations des droits des minorités et du pluralisme politique sont inacceptables. La France devra trouver des leviers pour faire évoluer son partenaire indonésien sur ce sujet.
Mme Pascale Got, rapporteure. Le non-alignement de l’Indonésie est un point très important. L’Indonésie siège à l’ONU et elle est membre de l’ASEAN et des BRICS+, ce qui en fait un interlocuteur fort.
Mais j’ai aussi évoqué des points de progression, dont les droits des minorités font évidemment partie. Ce sujet fait partie de ceux qui sont abordés dans les discussions avec la France. Cela reste incontestablement un point très problématique.
M. le président Bruno Fuchs. Je partage vos premiers propos, Monsieur Taché : je me plains régulièrement au gouvernement du délai qui s’écoule entre la signature d’un traité ou accord international et l’examen du projet de loi en autorisant l’approbation ou la ratification par le Parlement : quatre ans en l’espèce. Il faut accélérer, sans quoi les débats n’auront plus guère d’autre utilité que formelle.
M. Stéphane Hablot (SOC). Depuis soixante-dix ans, la France et l’Indonésie entretiennent des relations solides. Cette coopération est censée participer à la stabilité régionale et internationale, dans un contexte où l’Indopacifique est soumis à des tensions croissantes. Les enjeux sont importants : renforcer la sécurité régionale ; pérenniser nos intérêts économiques ; garantir la paix ; lutter contre le terrorisme ; sécuriser les routes maritimes.
Le groupe Socialistes et apparentés approuve cet accord tout en restant vigilant sur trois points. Premièrement, le texte ne définit pas les modalités de la présence et de l’intervention des forces françaises : il constitue une étape et il convient maintenant de renforcer le cadre juridique bilatéral par la conclusion d’un SOFA. Deuxièmement, quel sera l’impact écologique de cet accord, étant donné que la coopération entraînera des conséquences environnementales : pollution maritime, dégradation des écosystèmes ? Enfin, nous ne pouvons fermer les yeux sur la question des droits humains : les garanties en la matière demeurent insuffisantes, bien que des progrès aient été accomplis.
Il est essentiel de faire toute la lumière sur ces points afin de garantir une coopération claire, équilibrée, durable et qui soit à la hauteur des défis du XXIe siècle, y compris en ce qui concerne le respect des droits de l’homme et de la femme.
Mme Pascale Got, rapporteure. Il s’agit d’une coopération en matière de défense mais j’ai souligné dans le rapport les problèmes relatifs aux droits humains et à l’environnement. Le nouveau président a compris que les pays étrangers avec lesquels il nouera des partenariats, dont fait partie la France, seront attentifs à ces sujets. L’intensification de nos relations au-delà du domaine de la défense permettra certainement d’améliorer la situation. Des efforts ont déjà été entrepris.
M. Michel Herbillon (DR). La coopération avec l’Indonésie, grand pays un peu méconnu bien qu’il soit le deuxième pays musulman au monde, constitue un enjeu majeur.
J’ai souligné dans mon rapport d’information sur la place de la France dans l’Indopacifique l’importance du rôle joué par l’Indonésie dans cette région. Le renforcement des relations entre nos deux pays montre que la France est en mesure de proposer aux pays de cette zone une alternative au choix entre la Chine et les États-Unis.
Les accords de défense entre la France et l’Indonésie sont importants et sont appelés à se renforcer. Cela étant, il convient de développer des coopérations dans d’autres domaines, notamment la culture ou le développement durable, où notre pays a un savoir-faire : par exemple en matière d’assainissement, de traitement des ordures ménagères ou de lutte contre la pêche illégale.
Je salue le travail de grande qualité réalisé par l’équipe diplomatique française sur place, qui développe un tissu de relations entre nos deux pays. La francophilie du nouveau président indonésien est un atout. Nous devons être vigilants en matière d’environnement et de droits humains.
Mme Pascale Got, rapporteure. Je me félicite des relations faciles et courtoises que nous avons entretenues avec la diplomatie indonésienne par écrit. Cela illustre une manière de voir les choses culturellement assez semblable et donne peut-être l’espoir d’une amélioration des points noirs que nous évoquions.
Les pays européens pourraient sans doute faire profiter ce pays de leur savoir-faire dans les domaines de la culture ou de la santé.
Mme Dominique Voynet (EcoS). L’Indonésie, puissance émergente dynamique, est un poids lourd de l’ASEAN. Votre travail démontre l’intérêt d’un renforcement de la relation franco-indonésienne, enjeu important de notre stratégie indopacifique.
La diplomatie indonésienne, soucieuse de n’être vassalisée par aucune puissance étrangère, construit dans le cadre d’une politique extérieure résolument non alignée un équilibre au sein duquel la relation avec la France pourrait trouver une place privilégiée.
Le texte, qui est conforme aux standards juridiques français et internationaux, ne comporte aucune clause relative au statut des forces à l’étranger, en raison d’une sensibilité particulière de l’Indonésie aux enjeux de souveraineté. De ce fait, les exercices visés par l’accord ne pourront se dérouler qu’en dehors du territoire de l’Indonésie. Dans la pratique, cela rend l’accord en grande partie inopérant. Il constitue néanmoins un premier pas dans l’attente de la conclusion d’un SOFA complémentaire, auquel une clause d’effort fait référence. L’absence de ce statut s’explique par le refus du gouvernement indonésien de garantir le respect des garanties procédurales françaises et la non-application de la peine de mort.
Le groupe Écologiste et social est favorable à une coopération renforcée entre la France et l’Indonésie, qui est une puissance de stabilisation dans la région et participe activement aux organisations internationales et aux opérations menées par les casques bleus. Il insiste sur l’importance des conditions nécessaires à une coopération militaire renforcée, rappelées par le Conseil d’État. Il alerte néanmoins sur les atteintes aux droits humains et le recours persistant à la peine de mort ; la France doit rester vigilante en la matière.
Enfin, il appelle à une coopération renforcée dans le domaine maritime, qui se traduirait par des collaborations civilo-militaires pour réaliser des tâches multiples, allant des patrouilles aux opérations de sauvetage en mer et des actions de protection civile à celles menées par des navires de combat en première ligne.
Mme Pascale Got, rapporteure. Nous partageons entièrement votre constat. La coopération maritime s’intensifie, ainsi qu’en témoigne l’escale de notre porte-avions à Lombok. Quant à l’absence d’une clause relative au statut des forces et protégeant les informations classifiées, elle réduit bel et bien la portée de l’accord. Je répète qu’il s’agit d’une première étape mais qu’un accord complémentaire devra être rapidement négocié, sans quoi il restera bancal et fragile.
M. Frédéric Petit (Dem). Cet accord permettra d’ancrer davantage l’influence de la France dans cette région, qui fait souvent l’objet de discussions dans notre commission s’agissant des aspects sécuritaires, bien sûr, mais aussi maritimes. Un accord en matière environnementale a par exemple déjà été conclu à l’Ouest de l’Indopacifique.
L’impact de cet accord sur les accords multilatéraux en vigueur dans la région a-t-il été évalué, dans le domaine environnemental, donc, mais aussi les domaines douanier, sécuritaire, policier ou commercial ? Par ailleurs, la zone d’exclusion maritime fait-elle partie des territoires dans lesquels nous n’avons pas le droit de mener des opérations ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Les autres matières sur lesquelles peuvent porter les accords en vigueur n’ont pas été abordées lors des auditions que nous avons menées. Nous nous sommes concentrés sur cet accord de défense, que nous nous sommes appliqués à rendre plus complet.
En vertu du droit coutumier, les escales de bâtiments de la marine sont pour leur part autorisées.
Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Le groupe Horizons & indépendants est très favorable à cet accord, alors que nous fêtons les soixante-quinze ans de la relation franco-indonésienne. Les symboles sont importants. L’accord s’inscrit dans le cadre de la stratégie indopacifique que nous menons depuis 2018, en lien avec nos outre-mer. Le respect de l’accès aux espaces communs, qu’il s’agisse de grands fonds marins ou de haute mer, est de plus en plus contesté. Ils sont désormais des objets de prédation.
Les faits parlent d’eux-mêmes : l’Indonésie est notre deuxième client en matière d’armement derrière l’Inde : quarante-deux Rafale, des A400M, des canons Caesar, des sous-marins. Grâce à cet accord, la coopération en matière de renseignement sera aussi renforcée.
Il y a quelques semaines, le Charles de Gaulle a fait escale pour la toute première fois en Indonésie, ce qu’elle n’a pas l’habitude d’accepter. Cela marque-t-il un tournant ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Cette escale, qui est un événement important, est de bon augure : elle laisse à penser que nous pourrons renforcer notre coopération, maritime comme terrestre, et démontre l’intérêt de la présence française dans cette zone sensible.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions des autres collègues formulées à titre individuel.
Mme Christine Engrand (NI). L’accord de défense entre la France et l’Indonésie marque une étape importante dans notre présence en Indopacifique. Ce travail mérite d’être salué.
Néanmoins, son cadre juridique demeure insuffisant. Si la coopération industrielle est prometteuse, avec plus de 10 milliards d’euros de contrats signés ces dernières années, l’Indonésie reste un partenaire pragmatique, multipliant les alliances et diversifiant ses fournisseurs. La France ne doit pas être un simple acteur commercial mais un partenaire stratégique incontournable. Nous devons donc accélérer notre coopération.
La protection des forces engagées dans cette coopération est-elle garantie ? Quelle est la temporalité en la matière ? Par ailleurs, comment nous assurer que nos intérêts industriels ne seront pas remis en cause par des choix politiques opportunistes de l’Indonésie ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Il n’existe aucun risque pour les forces car elles ne seront pas déployées en Indonésie. Quant à l’activité commerciale, la France est déjà le premier fournisseur d’équipement militaire du pays. Cet accord scelle une collaboration intensive en matière commerciale.
M. Alain David (SOC). Dans cette commission, nous évoquons régulièrement la contestation, plutôt effrayante, d’une certaine vision occidentale des relations internationales qu’exprime le « Sud global ». L’Indonésie est désormais membre permanent des BRICS+, groupe auquel appartiennent l’Égypte, l’Iran, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Éthiopie, qui se sont ajoutés au Brésil, à la Russie, à l’Inde, à la Chine et à l’Afrique du Sud.
Pourtant, le 24 février dernier, lors du vote de la résolution de l’ONU réaffirmant le soutien des Nations unies à l’Ukraine qui a tant fait parler, l’Indonésie n’a pas basculé dans le camp des contempteurs du multilatéralisme onusien aux côtés de la Russie et des États-Unis. Elle n’a pas davantage fait partie des pays ambigus, réfugiés dans le confort de l’abstention aux côtés de la Chine et des BRICS. Elle a bel et bien réaffirmé son soutien au droit international en votant avec les pays européens, le Canada et l’Australie. Y voyez-vous une crainte des velléités impérialistes de la Chine dans la zone indopacifique ou simplement un attachement sincère au système multilatéral qui est actuellement menacé ?
Mme Pascale Got, rapporteure. Il ressort de nos auditions que l’Indonésie est réellement attachée au multilatéralisme. Ils pratiquent une diplomatie à 360 degrés : comme ils ne souhaitent pas tomber sous la domination des États-Unis ou de la Chine, ils développent des partenariats avec d’autres pays et sont membres de nombreux organismes, parmi lesquels l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En outre, l’Indonésie est le cinquième contributeur mondial aux opérations de maintien de la paix, avec 2 800 soldats et policiers déployés, dont 1 250 au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Leur souci d’ouverture se traduit par une participation au niveau international qui ne relève pas de la facétie.
Il me semble que nous avons tous compris l’intérêt d’approuver cet accord. Je remercie Valérie Bazin-Malgras pour son travail en commission de la défense : nous partageons les mêmes arguments.
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Article unique (autorisation de l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense – ensemble une annexe –, signé à Paris le 28 juin 2021, complété par l’échange de lettres des 18 août 2023 et 9 novembre 2023)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
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Informations relatives à la commission
En conclusion de sa réunion, la commission désigne :
- M. Xavier Lacombe, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l’article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets et autres matières (n° 942) ;
- M. Vincent Ledoux, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de la résolution n° 259 portant modification de l’article 1er de l’accord portant création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin de permettre l’élargissement limité et progressif du champ d’action géographique de la Banque à l’Afrique subsaharienne et à l’Irak (sous réserve de sa transmission).
La séance est levée à 10 h 25.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Véronique Besse, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Pierre Cordier, M. Marc de Fleurian, M. Bruno Fuchs, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, Mme Constance Le Grip, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Élisabeth de Maistre, M. Laurent Mazaury, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Franck Riester, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Vincent Trébuchet, Mme Dominique Voynet
Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - Mme Valérie Bazin-Malgras