Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stephan Steinlein, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne              2


Mercredi
28 mai 2025

Séance de 10 heures 30

Compte rendu n° 67

session ordinaire 2024‑2025

Présidence
de M. Michel Herbillon,
Viceprésident


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Stephan Steinlein, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Présidence de M. Michel Herbillon, viceprésident.

M. Michel Herbillon, président. Chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir M. Stephan Steinlein, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne en France. Monsieur l’ambassadeur, soyez le bienvenu parmi nous.

Notre président de commission, Bruno Fuchs, m’a chargé de l’excuser auprès de vous car il se trouve en déplacement en Asie centrale, pour intervenir au Forum d’Astana. La relation francoallemande lui étant particulièrement chère, il aurait aimé être présent mais avait pris cet engagement de longue date et, par conséquent, n’a pas pu se dédire.

Votre Excellence, nous sommes d’autant plus honorés de votre présence que vous avez accepté, dans des délais très courts, de bouleverser votre emploi du temps pour venir vous exprimer devant notre commission, ce qui est la preuve de l’importance que vous accordez au dialogue bilatéral, tout particulièrement dans le contexte actuel.

Je suis personnellement très heureux que nous ayons l’opportunité de cet échange, qui s’inscrit dans le sillage des changements politiques importants intervenus ces dernières semaines en Allemagne. L’accession du chancelier Friedrich Merz à la tête du gouvernement fédéral et le contrat de coalition conclu en avril augurent en effet d’une relance particulièrement opportune de la dynamique du couple francoallemand. L’excellence des relations entre nos deux pays est importante pour nos pays, mais aussi pour l’Europe.

Ceux qui connaissent bien l’Allemagne, dont je crois pouvoir dire que je fais partie, considèrent qu’en quelques semaines à peine, sous l’impulsion du nouveau chancelier, le pays a opéré une mutation véritablement historique à l’égard de ses fondamentaux de l’aprèsseconde guerre mondiale.

En effet, dans le prolongement du Zeitenwende annoncé par son prédécesseur Olaf Scholz, en février 2022, le nouveau chancelier fédéral a clairement fait du renforcement de la défense de l’Allemagne et de l’Europe une priorité, allant jusqu’à promettre, le 14 mai dernier, que l’armée allemande deviendrait la première force conventionnelle en Europe. Cette volonté est en soi une bonne nouvelle et elle trouvera sa concrétisation grâce à la modification de la règle constitutionnelle du « frein à l’endettement », qui limitait auparavant le déficit budgétaire annuel à 0,35 % du produit intérieur brut (PIB), pour permettre la création d’un fonds spécial permettant d’engager jusqu’à 500 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, pour les infrastructures et la transition climatique, mais aussi pour les dépenses d’armement et la consolidation de la Bundeswehr.

En France, nous nous réjouissons de ce réveil géopolitique allemand car nous savons que, ensemble, nos deux pays pèsent davantage en Europe et face aux puissances non européennes. Bien entendu, notre dialogue ne saurait être exclusif d’autres acteurs européens qui comptent, à l’instar du RoyaumeUni, autre puissance nucléaire européenne, ou de la Pologne, dans le cadre du triangle de Weimar. Il n’en demeure pas moins que, lorsque les positions et les attentes de Paris et Berlin sont alignées, la capacité d’entraînement du couple francoallemand est extrêmement forte.

Symbole de la solidité du lien entre nos deux pays, comme il est de tradition lors de l’arrivée au pouvoir d’un nouveau chancelier, Friedrich Merz s’est rendu à Paris dès le lendemain de son élection par le Bundestag à la chancellerie fédérale. À l’issue de cette rencontre, destinée à relancer le « réflexe francoallemand » sur la plupart des grands dossiers du moment, allant de la guerre en Ukraine à la préservation des intérêts commerciaux de l’Europe, nos deux dirigeants ont annoncé la création d’un conseil de défense et de sécurité francoallemand, qui se réunira régulièrement pour apporter des réponses opérationnelles à nos défis stratégiques communs. Vousmême, qui avez assisté à leur rencontre, pourrez sans doute nous en dire davantage à ce sujet.

Naturellement, la relation politique francoallemande ne se résume pas aux contacts étroits entre les Exécutifs de nos deux pays. L’Assemblée nationale et le Bundestag entretiennent également des relations suivies, que nous avons hâte de reprendre et relancer. Notre commission a pris l’habitude de se rendre à Berlin régulièrement et nous recevons souvent nos homologues allemands dans cette salle. Soyez certain que nous ne manquerons pas de reprendre ces habitudes très utiles et fécondes.

De même, l’Assemblée parlementaire francoallemande (AFPA), qui a pour mission de veiller à l’application du traité de l’Élysée du 22 janvier 1963 et du traité d’AixlaChapelle du 22 janvier 2019 sur la coopération et l’intégration francoallemandes, ainsi qu’à la mise en œuvre et à l’évaluation des projets qui en découlent, devrait, elle aussi, reprendre prochainement ses travaux. Je vous informe que le bureau de l’Assemblée parlementaire francoallemande se réunira cet aprèsmidi même. De plus, une réunion plénière de l’AFPA aura lieu à Paris le 16 juin. Nous nous félicitons tous de la reprise des travaux de cette Assemblée parlementaire.

De fait, monsieur l’ambassadeur, votre audition intervient à un moment charnière de notre relation bilatérale. Nos deux pays ont l’obligation de se concerter et d’agir ensemble pour permettre à toute l’Europe de faire face aux nombreux défis qui se présentent, qu’il s’agisse de sécurité et de défense, des enjeux migratoires, de l’économie, des relations commerciales ou encore de la préservation de la planète. Il existe peutêtre des nuances entre nous sur certains sujets – ce qui est normal – mais, en tout état de cause, le dialogue et la coordination demeurent absolument essentiels, raison pour laquelle il nous a paru souhaitable d’avoir l’opportunité d’un échange avec vous.

M. Stephan Steinlein, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne. C’est un grand honneur pour moi d’être parmi vous aujourd’hui. Je tiens à vous assurer qu’audelà de cette audition, je resterai toujours à votre disposition comme interlocuteur et que j’apprécierai vos idées et vos conseils.

Mon expérience de quatre ans au Bundestag m’a permis de comprendre l’importance que vos homologues à Berlin accordent aux échanges avec leurs collègues français. Notre nouveau ministre des affaires étrangères, Johann Wadephul, est luimême un membre de longue date de la commission des affaires étrangères, et certains d’entre vous le connaissent probablement déjà à ce titre.

Dans le complexe contexte international actuel, nous avons besoin de mieux nous connaître et de connaître les grandes orientations de nos politiques étrangères, ainsi que nos différences, afin de trouver ensemble des réponses aux nombreux défis auxquels nous sommes confrontés. C’est dans cet esprit de renforcement du réflexe francoallemand et de compréhension mutuelle que s’inscrit le nouvel agenda de relance des relations bilatérales, que nous aborderons sans doute largement au cours de notre discussion.

Cet agenda a été annoncé par le président de la République et le chancelier fédéral dans une tribune commune le 7 mai, lors de la première visite du nouveau chancelier à Paris. Cet agenda est ambitieux et à la hauteur des défis de sécurité, de compétitivité, de cohésion sociale et politique dans nos deux sociétés. Grâce à des mesures concrètes, cet agenda vise à rendre le partenariat entre la France et l’Allemagne plus stratégique et plus opérationnel, tout en l’inscrivant dans une perspective de souveraineté européenne.

Cet agenda est le fruit d’une étroite coopération entre les équipes du chancelier et du président Macron en amont de la première visite du chancelier à Paris, dès le lendemain de son élection. Depuis cette première visite du chancelier, de nombreux ministres allemands sont d’ores et déjà venus à Paris pour rencontrer leurs homologues français. C’est notamment le cas du vicechancelier et ministre des finances, du ministre des affaires étrangères et de son ministreadjoint chargé des affaires européennes, ainsi que des ministres de l’intérieur et de l’agriculture. Ces ministres, issus des trois partis formant la coalition du gouvernement fédéral – la CDU, la CSU et le SPD – ont tous porté un message clair : l’ensemble du gouvernement fédéral soutient un agenda francoallemand ambitieux pour une Europe plus forte et plus souveraine.

La mise en œuvre de l’agenda francoallemand n’exclut pas des accents différents entre les partenaires de la coalition, comme nous l’avons vu la semaine dernière sur l’évaluation de l’énergie nucléaire dans la taxonomie européenne.

Bien que la culture allemande du compromis soit admirée en France, je peux vous assurer que, même en Allemagne, tomber d’accord n’est pas toujours aisé. Certains dossiers nécessiteront du temps, y compris avec le nouveau gouvernement, avant qu’une position commune ne soit trouvée en Allemagne.

M. Michel Herbillon, président. Vous allez ainsi devenir de plus en plus français.

M. Stephan Steinlein. Vous pouvez y voir là une forme de convergence. (Sourires).

L’agenda francoallemand met l’accent sur trois domaines prioritaires : la sécurité, la compétitivité et la convergence.

Concernant la sécurité, les menaces qui pèsent sur la paix en Europe sont très concrètes. Nous faisons face à une guerre d’agression et de conquête brutale contre une démocratie, qui a déjà causé plus d’un million de morts et de blessés dans les deux camps. L’Ukraine peut compter sur l’Allemagne et la France dans sa lutte contre l’agression russe. Le déplacement conjoint du président Macron et du chancelier Merz à Kiev, aux côtés des premiers ministres polonais et britannique, en est la preuve. Nous œuvrons ensemble pour la fin des hostilités et pour une paix juste, durable et viable.

Depuis le début du conflit, l’Allemagne a mis à disposition ou promis près de 30 milliards d’euros pour le soutien militaire à l’Ukraine. Pour la seule année 2024, son soutien au secteur de la sécurité s’est élevé à 7,5 milliards d’euros, avec un accent particulier mis sur l’appui à la défense aérienne pour mieux défendre les villes ukrainiennes contre les attaques brutales russes. Le montant total de l’aide civile et militaire allemande atteint près de 40 milliards d’euros, faisant de la République fédérale d’Allemagne le deuxième plus important donateur après les ÉtatsUnis.

Parallèlement, nous devons accroître nos propres capacités de défense et assumer une plus grande responsabilité pour notre sécurité commune. Cela doit passer par une augmentation nette de nos dépenses de sécurité et de défense. La réforme du « frein à la dette » crée les conditions requises pour procéder aux investissements nécessaires. En 2025, l’Allemagne entend déployer un nouveau fonds spécial de 500 milliards d’euros pour des investissements supplémentaires dans la défense et les infrastructures. Ce fonds spécial, ancré dans la Loi fondamentale, doit être utilisé sur une période de douze ans. Sur cette somme, 100 milliards d’euros sont destinés aux Länder et 100 milliards d’euros au fonds pour le climat et la transformation. Ces ressources devront être utilisées de manière ciblée pour moderniser l’armée fédérale, développer les infrastructures et atteindre la neutralité climatique.

Le financement des dépenses militaires sera également au cœur des débats lors du prochain sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en juin prochain, qui revêtira une grande importance.

Nous sommes en passe de nous engager à allouer 3,5 % du PIB aux achats d’équipements militaires, ainsi que 1,5 % aux infrastructures jouant un rôle sur le plan militaire, comme les ponts ou les routes, essentiels pour le transport rapide des troupes vers la frontière orientale de l’OTAN en cas de conflit.

Pour renforcer notre sécurité, nous devons également développer une culture stratégique commune. La décision de renforcer le Conseil francoallemand de défense et de sécurité (CFADS), annoncée dans la tribune commune de nos dirigeants, est cruciale à cet égard. Ce Conseil sera le cadre d’une réflexion stratégique commune sur toutes les questions de défense et de sécurité, impliquant l’Élysée et la chancellerie fédérale, ainsi que les ministères des affaires étrangères et de la défense.

Nos deux pays partagent la volonté d’aboutir à des avancées concrètes dans le domaine de la sécurité. Pour ce faire, il est essentiel de développer une culture stratégique commune et de trouver des réponses communes à une situation en Europe dans laquelle les hypothèses des politiques de sécurité qui étaient valables par le passé ne le sont plus. Il est aussi important d’y associer étroitement nos voisins, notamment la Pologne et la GrandeBretagne, dont nous saluons le rapprochement avec l’Europe sous le gouvernement de Keir Starmer.

Les deux grands projets d’armement, à savoir le système principal de combat terrestre (Main Ground Combat System MGCS) et le système de combat aérien du futur (SCAF), restent d’une grande importance, aussi bien militaire que politique. Nos deux gouvernements feront tout pour les faire avancer. Je sais qu’en France et en Allemagne, de nombreuses critiques visent ces projets de coopération à long terme. Cependant, je crois aussi que nous devons tout faire pour unir nos forces afin de rester à la pointe du développement technologique. Par le passé, nos deux ministres de la défense ont montré leur ferme volonté d’aller de l’avant et de surmonter les résistances. Je suis fermement convaincu qu’il en sera de même à l’avenir.

Renforcer notre sécurité ne signifie pas renoncer au partenariat avec les ÉtatsUnis. Le soutien américain en matière de sécurité n’est pas vital que pour l’Ukraine : il l’est aussi pour nous. Le gouvernement allemand est lucide sur le défi du partenariat transatlantique mais celuici reste important pour notre sécurité et notre prospérité. Nous sommes convaincus que nous devons tout faire pour préserver l’engagement des ÉtatsUnis pour la sécurité transatlantique et personne ne peut dire actuellement dans quelle direction cet engagement va évoluer. C’est pourquoi il est important de travailler à un renforcement du pilier européen de l’OTAN. Le sommet de l’OTAN en juin nous permettra peutêtre d’y voir plus clair sur la forme que prendra l’engagement des ÉtatsUnis à l’avenir. Il est en tout cas évident que nous devrons assumer davantage de responsabilités et nous préparer à plusieurs scénarios possibles.

Outre la sécurité, la compétitivité occupe également une place centrale dans le nouvel agenda francoallemand. Nous avons de nombreux atouts en Europe : d’excellents chercheurs et universités, des entreprises innovantes, un taux d’épargne élevé et un marché très vaste. Pourtant, un triste constat est que l’écart se creuse avec les ÉtatsUnis et l’Asie en matière de haute technologie et de compétitivité. Le rapport Draghi ne nous a pas seulement tendu un miroir impitoyable, il a aussi esquissé des pistes pour rattraper notre retard dans la compétition internationale. Le développement du marché commun, y compris du marché des capitaux, est un facteur déterminant à cet égard, tout comme la suppression des obstacles bureaucratiques et une plus grande mobilisation des ressources pour la formation, la recherche et l’innovation.

L’union des marchés des capitaux est la condition sine qua non pour que notre épargne en Europe bénéficie à nos entreprises européennes, à nos investissements dans les infrastructures et à nos transitions numériques et vertes, plutôt que de servir à des investissements ailleurs dans le monde. Nos gouvernements feront tout leur possible pour progresser rapidement dans ce domaine.

Pour être compétitifs, nous devons également réduire le poids de la bureaucratie dans nos deux pays et dans toute l’Europe. Ce sujet est inscrit dans l’agenda francoallemand depuis le dernier Conseil des ministres à Meseberg. Nous soutenons l’agenda de simplification de l’Union européenne. Il faut réduire le poids de la réglementation européenne actuelle et future. Notre chancelier et le président Macron sont particulièrement attachés à cette question et entendent conjuguer leur influence à Bruxelles pour parvenir à de véritables avancées sur ce point.

La convergence constitue le troisième volet de notre agenda francoallemand. En dépit de leurs systèmes politiques et sociaux différents, nos deux pays sont confrontés à des défis similaires : les inégalités sociales, les disparités entre zones urbaines et rurales, les importants défis démographiques pesant de plus en plus lourdement sur nos systèmes de sécurité sociale, les changements du monde du travail liés à l’automatisation et à la numérisation, et, bien sûr, les défis climatiques. Nous avons tous ces problèmes en commun et nous voulons y apporter des réponses communes. Nos deux gouvernements entendent développer des formats au sein desquels nous travaillerons à des réponses communes en impliquant les partenaires sociaux et l’ensemble de la société.

De mon point de vue, la convergence constitue peutêtre la partie la plus surprenante et innovante de notre nouvel agenda francoallemand. Il s’agit aussi de la partie où il est le plus difficile de définir des formats de coopération adaptés. Toutefois, il s’agit peutêtre du domaine grâce auquel nous pourrons, à moyen terme, convaincre les diplomates et les représentants de l’économie que les relations francoallemandes prennent un nouveau départ. Ce domaine pourrait nous aider à développer dans l’ensemble de la société un sentiment de solidarité et de confiance européennes visàvis de l’avenir.

Nos deux gouvernements se sont fixés des objectifs ambitieux et je peux vous assurer que mon ambassade et moimême ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour mettre en œuvre cet agenda. Il est un vieux refrain qui n’a rien perdu de son sens : sans une étroite coopération francoallemande, rien n’avance en Europe. Mais, bien sûr, cette volonté ferme ne fera pas disparaître du jour au lendemain tous les problèmes et les divergences d’intérêts.

Nous avons heureusement des relations étroites à tous les niveaux, plus étroites qu’aucun autre pays dans le monde. Cela, ajouté à la ferme volonté de nos dirigeants politiques, nous permet d’envisager l’avenir avec un certain optimisme. Si l’on traduit en français l’expression « un certain optimisme » prononcée par un Allemand du Nord, cela veut dire que c’est une chance unique.

C’est dans cet esprit et avec cette ambition que nous projetons d’organiser rapidement le Conseil des ministres francoallemand en France, a priori à la fin du mois d’août. Dans cette relance, vous, les parlementaires, pouvez jouer un rôle crucial ou même, monsieur le président, renforcer le travail des commissions des affaires étrangères en Europe. Je ne peux que saluer cette initiative majeure. Dans deux semaines, l’Assemblée parlementaire francoallemande, qui compte des membres de votre commission des affaires étrangères, se réunira à nouveau à Paris. Je tiens ici à saluer leur engagement particulier.

Travaillons ensemble pour rendre notre Europe forte, résiliente et solidaire.

M. Michel Herbillon, président. Je vous remercie. Je cède la parole aux orateurs des groupes pour leurs interventions et questions.

Mme Laetitia SaintPaul (HOR). Je vous rejoins sur la nécessité d’une étroite coopération. En tant que rapporteure sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’AixlaChapelle sur la coopération et l’intégration francoallemandes, j’ai eu l’occasion d’échanger avec une chercheuse allemande qui soulignait que cette coopération avait pu beaucoup souffrir sur le plan politique, mais qu’il existe une ambition de résilience de nos sociétés civiles. Cette dynamique citoyenne persiste, même lorsque le lien est distendu sur le plan politique ou gouvernemental. Dans ce contexte, je souhaiterais obtenir un état des lieux du fonds citoyen francoallemand issu du traité.

Par ailleurs, concernant l’accord de Lauterbourg sur l’apprentissage transfrontalier, récemment rapporté par Brigitte Klinkert, pouvezvous nous éclairer sur ses retombées effectives, notamment en termes de liens professionnels et éducatifs ?

J’aimerais également savoir si vous constatez un recul de l’apprentissage du français en Allemagne similaire à celui de l’allemand en France. Quelles stratégies envisagezvous pour redynamiser l’apprentissage de la langue, fondamental dans la mesure où être germanophone aide à être germanophile ?

Enfin, sur le plan de la sécurité et de la défense, je souhaiterais un état des lieux du désengagement des forces américaines prépositionnées en Allemagne. Votre pays compte en effet treize bases et environ 34 000 militaires américains stationnés. Comment ce processus estil vécu, notamment à l’échelle des Länder qui accueillent ces bases, au regard de l’effort financier allemand pour l’OTAN que vous avez évoqué ?

M. Stephan Steinlein. Le fonds citoyen francoallemand est une grande réussite, peutêtre même la réalisation la plus aboutie parmi les institutions créées par le traité d’AixlaChapelle. Il permet de créer des conditions favorables à des rencontres citoyennes à toutes les échelles, particulièrement entre les communes, stimulant ainsi l’émergence de projets communs. L’Allemagne n’a pas encore adopté de budget pour l’année 2025. L’établissement de ce budget constitue une priorité pour le nouveau Bundestag et le gouvernement fédéral, afin de poursuivre le travail de ce fonds citoyen, mais aussi d’autres institutions de coopération, y compris l’Office francoallemand pour la jeunesse (OFAJ).

Le récent traité de Lauterbourg prévoit une coopération transfrontalière et une reconnaissance des diplômes, particulièrement dans les domaines du travail et de l’apprentissage. Les autorités concernées travaillent actuellement à sa mise en œuvre. Bien que nous disposions déjà de nombreux échanges scolaires et universitaires, nous pouvons intensifier nos efforts dans le monde professionnel et de l’apprentissage. Des projets extrêmement intéressants existent en Alsace dans les régions frontalières mais ils se heurtent aux difficultés liées aux différences structurelles entre nos systèmes d’apprentissage. Les institutions et la Commission transfrontalière s’efforcent de surmonter ces obstacles.

Les chiffres, tant pour l’apprentissage du français en Allemagne que pour celui de l’allemand en France, ne sont guère encourageants. Nous essayons, à tous les niveaux, de créer des structures nous permettant de rendre l’apprentissage de nos langues respectives plus attractif. Des initiatives émergent, notamment dans la région frontalière. La Sarre, devenue observateur à l’Organisation internationale de la Francophonie, s’engage à ce que chaque jeune Sarrois apprenne le français à l’école. Cependant, plus on s’éloigne de la frontière, plus cet objectif devient difficile. Nous continuons à réfléchir à des solutions pour lutter contre cette tendance car nous ne pouvons pas être satisfaits d’une situation où les jeunes des deux côtés du Rhin ne communiquent qu’en anglais. Nous n’avons pas encore trouvé la solution miracle mais, si vous avez des idées, nous sommes toujours preneurs.

Enfin, concernant les forces américaines en Allemagne, nous ne connaissons pas encore les plans de l’administration américaine. Nous ne parlons pas de retrait des troupes. Il est important de comprendre que les bases américaines en Allemagne ne servent pas uniquement de lieux de stationnement des troupes mais constituent également des plaques tournantes pour les militaires américains à l’échelle mondiale. Le remplacement de ces bases n’est donc pas facile.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Le jeudi 22 mai, le chancelier Friedrich Merz était en Lituanie pour l’inauguration d’une brigade militaire allemande qui sera stationnée de manière permanente près de la frontière avec la Biélorussie. Celleci, forte de 5 000 hommes, aura pour but de renforcer le flanc oriental de l’OTAN. Ce déploiement s’inscrit dans la continuité des propos de votre chancelier, qui a affirmé que le gouvernement fédéral mettrait à disposition toutes les ressources financières nécessaires pour faire de l’armée allemande la plus puissante d’Europe sur le plan conventionnel.

En 2024, cette volonté se traduisait déjà dans les faits, l’Allemagne, membre de l’Union européenne, ayant consacré le montant le plus élevé aux dépenses de défense, avec 77,8 milliards d’euros, se classant ainsi en quatrième position mondiale derrière les ÉtatsUnis, la Chine et la Russie.

Que cela s’inscrive dans le continuum stratégique qui se poursuit dans le cadre de la guerre en Ukraine ou que cela soit une réponse forte au désengagement des ÉtatsUnis visàvis de l’Europe, l’Allemagne entre donc dans une nouvelle ère stratégique, comme l’a souligné votre chancelier, en évoquant une forme d’émancipation et d’indépendance visàvis des ÉtatsUnis et de leur bouclier militaire.

Quelle est la place de l’OTAN dans l’avenir stratégique de l’Allemagne et qu’attendezvous du prochain sommet qui aura lieu les 24 et 25 juin prochains à La Haye ?

Par ailleurs, l’Allemagne comptetelle stationner d’autres brigades militaires à la frontière russe, comme elle a pu le faire en Lituanie, et éventuellement dans d’autres pays ?

M. Stephan Steinlein. J’ai déjà dit que l’OTAN reste le pilier le plus important de la sécurité en Europe, y compris pour l’avenir. Cette vision est, je pense, partagée par la France. Cependant, nous ne savons pas quel rôle les ÉtatsUnis souhaitent jouer au sein de l’OTAN. À ma connaissance, personne ne veut abolir, dissoudre ou quitter l’Alliance atlantique. Nous devons renforcer le pilier européen afin de nous préparer à plusieurs scénarios possibles. Nous ignorons quelle sera la position future de l’administration américaine, pour cette question comme pour celle des droits de douane. Nous ne pouvons que nous préparer à des scénarios en renforçant nos propres moyens, ce que souhaite faire l’Allemagne.

Quant à la brigade que nous souhaitons stationner en Lituanie, il s’agit d’une proposition acceptée par ce pays pour montrer que l’Allemagne est prête à défendre le flanc oriental de l’OTAN. Pour le moment, nous avons, comme la France, un problème de personnels, bien que nous affichions l’objectif d’avoir l’armée conventionnelle la plus forte d’Europe. Il existe un débat, dans notre pays, sur l’avenir du service militaire, qui deviendra peutêtre même obligatoire : cette discussion reste ouverte entre les partenaires de la coalition. Pour cette raison, nous ne pouvons pas envisager l’envoi d’autres brigades dans d’autres pays. Il n’existe donc pas d’autres projets de stationnement à l’heure actuelle.

M. JeanPaul Lecoq (GDR). Je tiens tout d’abord à saluer ma ville jumelle de Teltow et son maire, Thomas Schmidt.

Je voudrais connaître la position de la nouvelle administration de votre pays sur le traité d’interdiction des armes nucléaires, à un moment où la France envisage de partager sa bombe atomique avec le reste de l’Europe ?

Où en est l’Allemagne dans sa réflexion sur la reconnaissance de l’État palestinien ?

Quelles sont les avancées concernant les campagnes initiées par votre pays contre les robots tueurs ?

Quelle est votre position sur la réforme des Nations unies, notamment concernant la possibilité pour l’Allemagne d’obtenir un siège de membre permanent au Conseil de sécurité ?

La Cour de justice de l’Union européenne a dénoncé l’accord commercial avec le Maroc, compte tenu de la question du Sahara occidental. Votre pays respectetil cette décision de la Cour ?

L’Allemagne a été l’une des plus grandes puissances européennes au moment où elle ne pouvait pas investir dans ses dépenses militaires. Elle a consacré une très grande partie de son énergie et de ses moyens aux œuvres civiles et de paix, ce qui l’a rendue très puissante. Ne craignezvous pas que votre nouvelle stratégie affaiblisse l’Allemagne dans cette dynamique économique ?

Enfin, alors qu’il existait une coopération entre nos pays dans les domaines spatial et aéronautique, notamment sur des projets comme Airbus ou Ariane, nous avons aujourd’hui le sentiment d’entrer dans une étape de concurrence. Mon groupe parlementaire le regrette car nous pensons qu’au regard des défis internationaux à venir dans ce domaine, nos pays pourraient montrer l’exemple, en s’associant avec l’Italie et d’autres partenaires européens, pour que l’Union européenne soit une force spatiale à part entière ?

M. Stephan Steinlein. Concernant le traité d’interdiction des armes nucléaires, un précédent gouvernement a pris la décision d’adopter le statut d’observateur. Je ne sais pas si cette décision aurait été prise aujourd’hui. Je ne sais pas si les autorités actuelles veulent changer de statut mais, pour l’instant, elles sont plutôt réticentes à continuer sur cette voie. En effet, nous constatons que le nucléaire jouera un rôle important à l’avenir. Même à l’époque, cette décision avait été très critiquée à l’intérieur de l’Allemagne.

Concernant la Palestine, nous sommes très préoccupés par la situation humanitaire à Gaza. En même temps, nous avons une grande responsabilité concernant la sécurité d’Israël. Nos dirigeants, notamment le ministre des affaires étrangères et le chancelier, ont récemment durci le ton à l’égard d’Israël en raison de la crise humanitaire. Notre ministre des affaires étrangères est en contact constant avec son homologue israélien, demande que l’aide humanitaire puisse entrer dans Gaza et suit la situation de très près. La position allemande évolue. Nous participerons probablement à la conférence coorganisée par la France et l’Arabie saoudite à New York en juin prochain. Nous partageons l’objectif de faire avancer la solution à deux États. Quant à la reconnaissance de l’État palestinien par l’Allemagne, il n’est pas de mon ressort de le dire et de le décider. Cependant, nous estimons que cette reconnaissance doit s’inscrire dans un vrai progrès vers une solution négociée à deux États. Nous restons en contact constant avec la France sur ce sujet.

Concernant les robots tueurs, je n’ai pas connaissance de décisions récentes. Historiquement, l’opinion publique allemande a toujours été réticente à l’utilisation de drones armés. Ces derniers sont aujourd’hui utilisés par tous les pays, y compris par l’Allemagne, ce qui montre une certaine évolution. Toutefois, une responsabilité humaine doit rester au cœur du processus décisionnel, tant du point de vue de l’éthique que du droit international.

Quant à la question du Maroc, je ne dispose pas d’informations sur le sujet que vous soulevez mais je me renseignerai afin de vous tenir informé.

Enfin, nos pays travaillent ensemble sur le programme Ariane. Nous avons réussi à trouver un compromis sur son financement en novembre dernier, ce dont je me réjouis. Notre objectif est d’élaborer une vision commune de l’avenir de la politique spatiale européenne. Le programme Ariane est coûteux mais n’était pas prévu pour une commercialisation à grande échelle. En Allemagne, de petites entreprises souhaitent développer des lanceurs moins onéreux. L’enjeu consiste à trouver une solution permettant la coexistence de programmes relatifs aux grands lanceurs, comme Ariane, auxquels l’Allemagne participe et dont elle bénéficie, avec le développement de petits lanceurs, qui doivent trouver leur place dans une vision européenne de la politique spatiale. Ce sujet revêt une importance capitale et présente un fort potentiel de coopération future.

M. Guillaume Bigot (RN). Après avoir renoncé au nucléaire civil et militaire, votre pays a exprimé, par la voix du chancelier Merz, son souhait de bénéficier de la dissuasion nucléaire française.

Cette suggestion interroge assez profondément notre doctrine stratégique en France et la crédibilité même de la notion de dissuasion. La dissuasion nucléaire, par essence, ne se divise pas. De même qu’une armée ne saurait avoir deux chefs, la dissuasion repose sur l’unicité du commandement et la rapidité décisionnelle, conditions sine qua non de sa crédibilité. Toute mutualisation affaiblirait non seulement notre souveraineté stratégique mais compromettrait l’efficacité même de notre force de frappe. Comme l’a bien établi le général de Gaulle en son temps, la dissuasion française garantit notre autonomie, et notamment notre autonomie face aux abandons potentiels, y compris de nos alliés.

L’approche diplomatique allemande a jusqu’ici privilégié le multilatéralisme et le choix du parapluie nucléaire américain, qui sont des approches évidemment infiniment respectables mais diamétralement opposées à la logique française de la dissuasion. Le souhait d’un partage de dissuasion française soulève donc une question de cohérence. Peuton construire une défense commune avec un pays certes allié et ami mais aussi un partenaire qui n’a jamais voulu assumer cette responsabilité stratégique ?

La dissuasion nucléaire française est l’héritage d’une histoire, d’une vision politique assumée et d’un investissement conséquent et constant du peuple français et de ses finances. Pourquoi la France devraitelle aujourd’hui diluer cet acquis, alors que l’Allemagne a, par choix et par traité, renoncé à toute ambition nucléaire, militaire comme civile ? Et si la France décidait d’étendre le bénéfice de cette dissuasion à notre pays allié et ami, l’Allemagne, quelles seraient les contreparties de cet immense service que nous pourrions rendre à la République fédérale ?

M. Stephan Steinlein. J’ai une grande admiration pour la décision du général de Gaulle de développer la dissuasion française. Aujourd’hui, cette décision suscite encore plus de respect en Allemagne.

Les discussions sur l’avenir de la dissuasion européenne ne peuvent être menées en public. Nous prenons note des propos des différents présidents français sur la dimension européenne de la dissuasion française. Il est crucial de comprendre ses implications profondes. Nous devons mener une discussion approfondie sur une meilleure compréhension de la dissuasion française, mal connue en Allemagne, où peu de personnes connaissent sa subtilité. C’est pourquoi j’ai évoqué la nécessité de développer une culture stratégique commune et une vision partagée de nos défis de sécurité en Europe, dans un contexte où nous ne pouvons pas être certains que le parapluie américain s’applique à tous.

Toutefois, nous n’allons pas mettre les Américains à la porte. Personne n’a dit que la dissuasion nucléaire de l’OTAN ne fonctionne plus. Il est donc crucial de travailler ensemble au sein du CFADS, de façon constante, afin de mieux nous comprendre et d’élaborer une stratégie commune. Dans ce communiqué commun, nos deux dirigeants ont exprimé leur volonté de collaborer dans le développement des stratégies de défense et de sécurité nationales. Si l’Allemagne lance ce processus, elle le fera de manière conjointe.

Mme Brigitte Klinkert (EPR). La France et l’Allemagne partagent une amitié et une coopération inégalées dans l’histoire, compte tenu des siècles qui nous ont opposés. Cette amitié est un miracle et une chance pour l’Europe.

Avec l’investiture du chancelier Merz et sa rencontre à Paris avec le président Macron, une nouvelle ère de la relation francoallemande s’ouvre. Je me réjouis de cette relance politique, dont notre Europe a tant besoin compte tenu des crises. C’est avec une France et une Allemagne unies que nous pourrons avancer sur le chemin de l’autonomie stratégique. Nous ne devons plus être dépendants d’autres pays pour notre défense, notre énergie et notre industrie. Sans nous couper de nos alliés et partenaires, il nous faut assurer ensemble notre souveraineté.

Je me réjouis de l’agenda que vous nous avez présenté. La France a besoin d’une Allemagne forte, tout comme l’Allemagne a besoin d’une France forte, pour construire ensemble une Europe puissante.

Nous nous réjouissons que les chefs d’État et de gouvernement de nos deux pays aient annoncé un rapprochement inédit et une convergence renforcée en matières énergétique, économique et sociale. J’appelle également à rapprocher nos citoyens par des initiatives concernant notre jeunesse, notamment à travers la langue et la culture de l’autre, ciments de notre relation.

Enfin, la libre circulation entre nos deux pays est un élément clé pour nos concitoyens et incarne de manière tangible l’idéal européen. Le renforcement des contrôles à la frontière par les autorités allemandes suscite des préoccupations et des gênes, notamment pour les travailleurs frontaliers. Si la sécurité à nos frontières est évidemment un enjeu, j’en appelle à davantage de coopération francoallemande aux frontières et de fluidité, notamment pour les habitants et les travailleurs transfrontaliers.

M. Stephan Steinlein. Nous avons effectivement abordé les problèmes concrets qui se posent dans les régions frontalières, en particulier entre l’Alsace et l’Allemagne. Face à l’ampleur de la migration irrégulière ces dernières années, les nouvelles autorités de la République fédérale ont décidé, dans le contrat de coalition, de modifier la politique d’immigration. Les contrôles aux frontières, qui constituent l’un des moyens d’établir l’ordre et qui sont en place depuis septembre 2024, seront désormais intensifiés. Toutefois, il est important de souligner le caractère temporaire de ces mesures, qui visent à éviter la surcharge de nos communes et de nos systèmes sociaux, ainsi qu’à garantir la stabilité politique et sociale en Allemagne. Il ne s’agit en aucun cas d’une fermeture des frontières. La police fédérale et les autorités agissent afin d’éviter tout empêchement, problème ou irritation dans les zones frontalières et sont à l’écoute de leurs homologues françaises pour trouver des procédures qui entravent le moins possible la libre circulation.

Nous espérons que l’Europe sera capable de reprendre les contrôles à l’extérieur de ses frontières, ce qui permettra d’abolir ces contrôles temporaires entre nos pays.

M. Arnaud Le Gall (LFINFP). Vous avez évoqué une convergence stratégique. Comment envisagezvous cette convergence à un moment où l’Allemagne affirme ne pas vouloir accroître son autonomie visàvis des ÉtatsUnis ? En effet, vous maintenez la demande de bouclier nucléaire américain tout en sollicitant un bouclier nucléaire français. Ces deux positions sont incompatibles, si tant est qu’un élargissement de notre dissuasion nucléaire soit possible – cet élargissement n’étant pas, à mon sens, possible ni souhaitable. Comment percevezvous cette contradiction ?

Par ailleurs, le discours visant à faire de l’Allemagne la première armée conventionnelle d’Europe peut donner l’impression de ne pas s’inscrire dans une vision d’Europe de la défense. Comment ce débat estil abordé outreRhin ?

Les déclarations du nouveau chancelier concernant la livraison de missiles à longue portée en Ukraine ont suscité des interrogations ici. D’une part, le chancelier s’est exprimé également au nom du président de la République française, ce qui peut interroger. D’autre part, bien que des missiles à longue portée soient livrés depuis 2024, dans le cas français, ils sont théoriquement bridés à 250 kilomètres, ne permettant pas d’atteindre le territoire russe.

Sur le plan économique, vous avez souligné la nécessité de converger vers davantage de compétitivité, pointant les écarts que l’Allemagne, la France et l’Europe en général accusent visàvis d’autres puissances, comme la Chine et les ÉtatsUnis. Vous proposez des solutions similaires à celles avancées par les libéraux ici : plus de mobilité des capitaux, moins de bureaucratie. Cependant, n’existetil pas des problèmes plus profonds, tels que le coût de l’énergie ou le fait que la demande chinoise, qui avait permis la relance de l’industrie allemande en 2003, n’existe plus, la Chine produisant désormais ellemême ? De plus, la modération salariale ne semble plus suffire. Dans ce contexte, un débat en Allemagne porte sur un possible manque d’investissements par le passé. Ne craignezvous pas que les grandes annonces sur le militaire masquent un déficit d’investissement dans l’industrie et la planification, notamment en faveur de l’indépendance énergétique ?

Enfin, existetil un débat en Allemagne sur les risques de complicité liés à la poursuite des livraisons d’armes à Israël, sachant que le Nicaragua a intenté une action à ce sujet devant la Cour internationale de justice (CIJ) ?

M. Stephan Steinlein. Concernant le bouclier nucléaire français, l’Allemagne n’est pas demandeuse. Nous n’avons jamais affirmé vouloir nous placer sous un tel bouclier nucléaire français. Des propositions émanant de la France sur la dimension européenne ont été formulées, ce dont nous pouvons discuter. Pour l’instant, nous ne remettons pas en question le bouclier nucléaire américain. Je sais également que, pour la France, l’OTAN demeure le cadre le plus important de la sécurité européenne et nationale.

Lorsque l’Allemagne exprime son ambition de faire de la Bundeswehr l’armée conventionnelle la plus puissante, cela s’inscrit naturellement dans un cadre européen et dans une perspective de responsabilité tant européenne que transatlantique. Ce sont les Américains, mais aussi la situation extérieure, qui nous incitent à fournir un effort supplémentaire pour la défense de notre continent. L’Allemagne, en tant que première économie européenne, entend évidemment y contribuer, et c’est ce que le chancelier a voulu exprimer.

Concernant les missiles et leur portée, n’étant pas dans le secret militaire, je ne dispose pas d’informations. Le chancelier a décidé de ne plus communiquer ouvertement sur ce que nous livrons ou non. Nous fournissons ce qui est nécessaire à l’Ukraine pour se défendre mais sans en faire état publiquement.

Enfin, nous pourrions discuter longuement pour savoir si les mesures proposées dans le document commun sont libérales mais nous dépasserions le temps dédié à cet échange.

M. Alain David (SOC). Nous avons examiné ce même jour, au sein de la commission des affaires étrangères, le projet de loi autorisant l’approbation d’un avenant à une convention fiscale concernant les 236 000 travailleurs français exerçant en Suisse. L’Allemagne et l’Italie sont confrontées aux mêmes difficultés que celles que nous rencontrons avec ce pays. Comment pourrionsnous engager des pourparlers concernant les nouvelles réglementations liées au télétravail et aux mesures fiscales associées ? Seraitil envisageable d’harmoniser nos politiques en matière d’emploi des travailleurs transfrontaliers avec l’Italie, l’Allemagne, la France et la Suisse ?

M. Stephan Steinlein. J’ai évoqué l’idée de convergence et l’importance d’impliquer les partenaires sociaux dans ce débat. Les problématiques que vous soulevez sont précisément celles où l’engagement des partenaires sociaux serait bénéfique. Il s’agit de réfléchir à l’organisation d’un marché du travail intégrant différents systèmes sociaux, d’assurance chômage et d’assurance maladie dans les régions frontalières, où la mobilité accrue est à la fois nécessaire et source de défis.

Comment harmoniser ces systèmes pour faciliter la mobilité tout en évitant les difficultés pour les travailleurs ? C’est dans ce contexte que la proposition d’impliquer les partenaires sociaux constitue une grande chance, en établissant un dialogue social sur ces questions sociétales et de marché du travail. Cependant, comme vous le savez, nos systèmes ne sont pas harmonisés, ce qui nécessite un travail considérable et minutieux pour créer des passerelles et harmoniser nos dispositifs. Je suis convaincu que ce sujet recèle un grand potentiel.

M. Nicolas Forissier (DR). Premièrement, l’arrivée au pouvoir de M. Merz représentetelle véritablement un tournant pour l’Allemagne ? Les commentaires de la presse internationale soulignent que son élection en deux tours, fait historiquement nouveau, pourrait traduire une forme de faiblesse de cette coalition.

Deuxièmement, la France et l’Allemagne, moteurs de l’économie de l’Union européenne, fonctionnentelles encore efficacement ? En France, on entend souvent que l’Allemagne a privilégié ses intérêts, notamment industriels, avec une politique de l’énergie, dont les conséquences ont été très négatives pour notre pays. Cela s’est particulièrement manifesté lors de la crise des prix de l’énergie ces deux dernières années. Il existe un débat en France sur ce sujet et, disonsle, une certaine méfiance concernant la tendance de l’Allemagne à privilégier ses propres intérêts, y compris dans les relations commerciales – comme en ce moment avec l’Amérique latine –, nonobstant les discours de façade et les traditions d’amitié. Quel est votre jugement sur ce point et comment y répondezvous ?

Troisièmement, on entend fréquemment en Allemagne une grande méfiance à l’égard de la faiblesse française, presque structurelle, en matière de dépenses publiques et de finances publiques. La France se classe dernière dans toutes les statistiques à ce sujet et nos amis allemands se montrent très critiques sur ce point. Cette situation nuit, par un affaiblissement de la position française, à la relation francoallemande, pourtant motrice de l’Union européenne.

Enfin, quatrièmement, que pensezvous de l’Assemblée parlementaire francoallemande, à laquelle nous sommes attachés ? J’estime qu’elle devrait aller plus loin et bénéficier d’un soutien accru.

M. Stephan Steinlein. L’arrivée de M. Merz ne représente pas un tournant pour l’Allemagne car nous sommes de nouveau dans une situation de grande coalition des partis du centre. Les sociauxdémocrates et les chrétiensdémocrates doivent s’entendre, ce qui ne sera pas toujours aisé. Ce soir même, la coalition tiendra sa première réunion pour aborder les questions clivantes, notamment l’avenir du nucléaire à l’échelle européenne.

La coopération francoallemande fonctionne. Nous avons l’opportunité de la renforcer davantage, particulièrement dans le domaine énergétique. Les dirigeants des deux pays ont exprimé leur ferme volonté de renforcer la coopération énergétique. Cela implique notamment des discussions, en Allemagne, sur notre position concernant la taxonomie énergétique à Bruxelles. Bien que ce sujet ait été extrêmement délicat par le passé, le chancelier souhaite faire un pas en avant vers les Français et la neutralité technologique en matière d’énergie bas carbone.

Quant au Mercosur, il est vrai que des divergences persistent, non seulement entre la France et l’Allemagne mais aussi entre la France et le reste de l’Europe. Certains pays demeurent réticents et nous comprenons les raisons de ces positions. Notre rôle en tant qu’ambassade consiste à expliquer aux dirigeants allemands et à vos homologues du Bundestag les motivations de la position française. La solidarité européenne et francoallemande nous incite à prendre en considération les contraintes de l’autre. Nous cherchons à trouver un compromis sur ce point, ce qui n’est pas évident.

Concernant la situation budgétaire française, nous sommes évidemment concernés car nous souhaitons avoir un partenaire capable d’agir sur le plan financier. Cependant, je n’ai pas entendu de critiques en provenance de l’Allemagne à ce sujet. Lors des discussions sur la réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), il y a un an, nous sommes parvenus à un compromis. Notre ministre des finances de l’époque s’est personnellement impliqué, malgré les difficultés politiques que cela représentait pour lui. Nous essayons de comprendre les contraintes politiques et budgétaires françaises et évitons d’exercer une pression, ce qui serait inutile.

Quant à l’Assemblée parlementaire francoallemande, c’est à vous, parlementaires, de vous exprimer sur ce point.

M. JeanLouis Roumégas (EcoS). L’Allemagne, en raison de son histoire, a toujours eu des réticences à critiquer Israël et sa politique. Une évolution a été notée lundi dernier, lorsque le chancelier Merz a déclaré qu’il fallait faire pression sur Israël pour que l’aide humanitaire arrive immédiatement à Gaza. De quelle pression parleton ? M. Merz a déclaré qu’il fallait « dire son opposition un peu plus clairement à la politique israélienne ». Estce la seule pression que l’Allemagne entend exercer sur son allié ?

Nous connaissons les outils à notre disposition et savons ce qui pourrait réellement exercer une pression sur Israël. D’abord, l’Union européenne est le premier partenaire commercial d’Israël et des voix s’élèvent en Europe pour rompre l’accord d’association entre l’Union et Israël. Il faut appliquer le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre Netanyahou. Il faut reconnaître l’État palestinien, ce qui a été évoqué – quoique timidement –, mais il faut également mettre un embargo sur les armes. Pourtant, le même jour, votre ministre des affaires étrangères affirmait que l’Allemagne continuera à fournir des armes à Israël car la République fédérale a, du fait de la Shoah, une responsabilité particulière pour défendre la sécurité et l’existence de ce pays.

Ne pensezvous pas que l’Allemagne, la France et l’ensemble du monde ont une responsabilité particulière visàvis des Palestiniens et de leur existence ? Plus de deux millions de personnes sont bombardées, affamées par un État qui bafoue toutes les règles du droit international. C’est notre humanité qui se joue là. Alors, monsieur l’ambassadeur, l’Allemagne comptetelle prendre des sanctions contre le gouvernement israélien ? Il est temps d’agir, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

M. Stephan Steinlein. L’Allemagne est très consciente de sa responsabilité historique. Dans le contrat de coalition, les trois partis ont encore confirmé que le droit d’existence et la sécurité d’Israël sont et resteront une raison d’État pour l’Allemagne. Cela avait déjà été la ligne directrice pour tous les gouvernements précédents.

Nous suivons de près ce qu’il se passe à Gaza. Nous émettons des critiques et parlons avec les Israéliens. Néanmoins, pour l’instant, la ligne de nos dirigeants a toujours été de ne pas critiquer publiquement l’Israël. Pour la première fois, nos dirigeants, y compris le chancelier et le ministre des affaires étrangères, ont abandonné cette ligne et critiqué ouvertement la politique de l’État d’Israël. Ils ont aussi affirmé qu’ils suivent la situation de très près et qu’ils verront l’évolution de la position d’Israël.

Je vous prie de comprendre que nos relations avec Israël ont une qualité particulière, due à notre histoire. C’est pour cette raison que nous sommes très réticents et pensons quand même que nous avons une responsabilité pour donner à Israël la possibilité de se défendre, notamment par les armes. Une discussion existe, évidemment, quant aux livraisons d’armes. Toutefois, le gouvernement fédéral a jusqu’à maintenant pris la décision de les poursuivre.

M. Frédéric Petit (Dem). Depuis quelques mois, le rapprochement de nos Exécutifs au plus haut niveau de l’État est un fait, se matérialisant par divers accords et documents. Cependant, nombreux sont ceux qui, en France comme en Allemagne, ont le sentiment que la coopération éducative et culturelle n’occupe plus le devant de la scène. D’autres sujets, tout aussi cruciaux, semblent avoir pris le pas. Le contexte que nous connaissons est marqué par la récente crise des Instituts Goethe en France et la réorganisation décennale des Instituts français et francoallemands en Allemagne, qui pourraient se féconder l’un l’autre. De plus, dans le monde, l’enjeu militaire se confond aujourd’hui avec la défense des démocraties, avec un enjeu culturel et citoyen.

Comment accroître la visibilité de cette coopération dans sa dimension culturelle, économique et éducative ? Comme disait une citation attribuée à Jean Monnet : « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture ». De nombreux acteurs de terrain de ces domaines ont l’impression de passer après le militaire, ce que nous regrettons. Il serait temps que nous agissions pour que ce sujet reste sur le dessus de la pile et au cœur des accords que nous voyons fleurir.

M. Stephan Steinlein. Les relations et les échanges culturels me tiennent particulièrement à cœur. J’ai lu avec plaisir, dans le contrat de coalition, qu’« afin de promouvoir l’apprentissage transfrontalier et les amitiés européennes, nous développerons et renforcerons considérablement les œuvres de jeunesse européennes et bilatérales, ainsi que les services spécialisés dans les échanges européens et internationaux des jeunes et des professionnels ». La coalition projette donc d’agir davantage dans ces domaines.

Lors de ma récente participation à la conférence des ambassadeurs européens à Berlin, notre nouveau ministre des affaires étrangères a réaffirmé l’importance qu’il accorde personnellement à ces questions. Il a notamment mentionné le fait qu’il avait critiqué la décision de fermer trois Instituts Goethe en France. J’ai saisi cette opportunité pour souligner la nécessité d’intensifier nos efforts en France dans le cadre de la coopération francoallemande.

Je suis convaincu que nous avons, au sein du gouvernement, des personnes déterminées à renforcer financièrement cette coopération. Cependant, nous sommes confrontés à des contraintes budgétaires, rendant particulièrement ardue l’élaboration des budgets 2025 et 2026. J’espère que les mots seront suivis par des faits.

M. Lionel Vuibert (NI). Il est toujours précieux de confronter nos vues avec celles de nos partenaires, en particulier l’Allemagne.

En France, des territoires comme les Ardennes, dont je suis élu, entretiennent des liens historiques et solides avec la république fédérale, notre premier partenaire économique. Ces territoires, bien intégrés dans les chaînes de valeur européennes, ont su se réinventer, attirer de nouvelles activités et s’ouvrir à l’international. Ils maintiennent des liens anciens et denses avec des régions allemandes dans divers secteurs, tels que l’automobile, la mécanique, la plasturgie et l’agroalimentaire.

Malgré ces ancrages, nous sentons une certaine fragilité. Les chaînes logistiques sont sous tension, les incertitudes géopolitiques pèsent sur les carnets de commandes et la compétition mondiale s’intensifie. Certaines entreprises, même bien insérées, peinent à tenir le cap, voire déposent le bilan.

Dans ce contexte, il me semble que l’échelon européen, et particulièrement la relation francoallemande, doit jouer un rôle d’amplificateur et de stabilisateur, voire d’entraînement.

Nous partageons les mêmes objectifs : réindustrialiser – particulièrement pour la France –, investir dans la transition écologique, sécuriser nos approvisionnements et former les compétences de demain.

Or, trop souvent, nos politiques publiques ne convergent pas suffisamment, ce qui se traduit au quotidien par des difficultés pour nos entreprises, confrontées à des règles d’investissement, des normes et des logiques de financement différentes de part et d’autre du Rhin. Je pense notamment aux aides de l’État, aux dispositifs de soutien à l’innovation ou encore aux grands plans d’investissement européens relatifs à l’hydrogène, aux batteries ou encore aux semiconducteurs. Je pourrais ajouter les questions énergétiques et de défense, bien que nous n’ayons pas réellement, à l’heure actuelle, de politique européenne dans le domaine. Tout cela pourrait être plus affirmé, stratégique et cohérent.

Dans ce contexte, nos territoires ne demandent pas des discours mais des cadres d’action qui facilitent les projets communs, encouragent la mobilité des apprentis, incitent à l’implantation croisée des petites et moyennes entreprises (PME), harmonisent les normes quand cela a du sens et créent des chaînes de valeur communes sur des secteurs stratégiques.

Comment mettre en place une vraie politique économique francoallemande – voire européenne – pour renforcer nos territoires, qui ne se contente pas de coopérations ponctuelles mais qui permette réellement d’aligner nos outils, de faire converger nos financements et de créer des conditions d’un ancrage durable pour nos économies dans les territoires européens ?

M. Stephan Steinlein. La réponse réside effectivement dans l’application d’une logique de convergence. Cependant, il faut reconnaître que ce processus est long. Il faut impliquer l’ensemble de la société, y compris les partenaires sociaux. Je tiens beaucoup à cette approche novatrice, visant à réunir les gouvernements, les syndicats et les organisations patronales pour aborder ces questions sous tous les angles, pas uniquement du point de vue patronal. L’harmonisation des systèmes sociaux ne peut pas être décidée unilatéralement par les gouvernements. Il est nécessaire d’impliquer tous les acteurs concernés. J’ai eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec Mme Astrid PanosyanBouvet, qui se montre extrêmement ouverte à cette approche. Le secret est de trouver les structures adéquates pour mener ce dialogue en vue d’obtenir réellement des résultats.

Face aux problèmes concrets auxquels nous sommes confrontés, nous devons disposer de solutions concrètes en impliquant toute la société. La convergence est un concept séduisant mais sa mise en œuvre requiert un travail considérable sur le terrain.

M. Michel Herbillon, président. Je cède à présent la parole aux collègues désireux d’intervenir ou de poser une question à titre individuel.

M. Stéphane Rambaud (RN). Depuis plusieurs années, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) impose aux États membres des contraintes en matière migratoire qui entravent gravement leur capacité à garantir la sécurité de leurs citoyens. L’interdiction d’expulser, y compris des délinquants multirécidivistes, illustre un aveuglement idéologique déconnecté des réalités.

Neuf pays européens ont récemment apporté leur soutien à une initiative portée par l’Italie et le Danemark visant à réexaminer l’interprétation que la CEDH donne de la convention européenne des droits de l’Homme, particulièrement sur les questions migratoires. L’objectif est clair : rendre aux États la pleine maîtrise de leur politique d’expulsion et du contrôle des flux migratoires.

Pensezvous que l’Allemagne, confrontée elle aussi à une immigration clandestine massive et incontrôlée, devrait soutenir cette réforme afin de permettre aux États de protéger leurs populations, leurs territoires et leur souveraineté ?

M. Jorys Bovet (RN). Alors que les vingtsept États membres de l’Union européenne s’étaient accordés sur l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à partir de 2035 – une décision qui pénalise lourdement notre industrie automobile et nos équipementiers –, l’Allemagne, qui avait ellemême porté cette décision, a surpris en bloquant cette interdiction. Nos constructeurs automobiles français ont suivi les injonctions européennes pour s’adapter à cette transition imposée mais, aujourd’hui, avec l’influence du revirement allemand, notre industrie se trouve prise au piège de décisions contradictoires.

Au Rassemblement national, nous sommes opposés aux véhicules 100 % électriques, qui mettent en péril des centaines de milliers d’emplois, tant en France qu’en Allemagne, qui voient le savoirfaire de nos équipementiers automobiles s’effacer et qui ne font qu’accroître notre dépendance à l’égard des métaux rares, notamment visàvis de la Chine.

Comment justifiezvous cette volteface à l’égard de vos partenaires européens qui avaient accepté des compromis douloureux et consentis à des investissements massifs ? Comment garantir que l’Union européenne et ses États membres ne deviendront pas les otages des fluctuations politiques allemandes, au détriment de leur souveraineté et de leur indépendance manufacturière ?

Mme Sylvie Josserand (RN). En mars 2025, la Loi fondamentale allemande a été modifiée pour permettre une exception à la règle dite « du frein à l’endettement ». Ce changement constitutionnel a pour but de permettre des financements massifs, notamment dans le secteur de la défense et de la transition énergétique.

Pour financer cette défense et cette transition énergétique, la Commission européenne projette, quant à elle, la mise en œuvre d’une union des marchés de capitaux dont la plus grande profondeur devrait attirer les capitaux privés et les investisseurs qui partent aux ÉtatsUnis. La Commission européenne envisage en outre un nouvel emprunt de 150 milliards d’euros par an, et ce malgré un endettement de l’Union européenne de 514 milliards d’euros en mai 2024 et qui sera de 1 000 milliards d’euros fin 2026, d’après les projections.

Tout à l’heure, vous avez indiqué que l’Allemagne comptait prendre part à l’union des marchés de capitaux. Or, l’Allemagne refuse de prendre sa part dans une nouvelle dette européenne. En septembre 2024, Friedrich Merz avait – à raison – indiqué qu’il ferait tout pour empêcher l’Union européenne de s’engager sur la voie d’un nouvel emprunt car les taux d’intérêts allemands sont plus faibles.

La levée du frein à la dette doitelle se comprendre à la seule échelle nationale allemande, et non pas à l’échelle européenne ?

M. Michel Guiniot (RN). Le débat sur l’énergie nucléaire semble difficile pour le chancelier Merz, puisqu’il a déjà changé plusieurs fois d’avis depuis le début de l’année malgré un contexte de dépendance énergétique important et constant et de prix croissants. Le 24 février, il a annoncé qu’il était nécessaire d’arrêter le démantèlement des centrales nucléaires, dont la dernière a été fermée le 15 avril 2023. Le 6 mai, dans l’accord de coalition entre la CDU et le SPD, le retour au nucléaire a été écarté. Cette nouvelle orientation s’est retrouvée consacrée dans son premier discours devant le Bundestag le 15 mai, où aucun mot sur le sujet n’a, sembletil, été prononcé.

Et pourtant, en marge du Conseil européen sur la compétitivité, la ministre allemande de l’énergie a indiqué qu’un nouvel objectif était en cours de développement afin de promouvoir de nouvelles technologies, notamment en accordant des subventions pour le développement de petits réacteurs modulaires. Puisque l’Allemagne tend à revoir sa position sur le développement du nucléaire, pourriezvous nous indiquer si elle changera sa position sur l’interprétation de la directive du 18 octobre 2023, laquelle permettra à l’Union européenne et à la France de considérer l’énergie nucléaire comme une énergie renouvelable ? Pouvezvous nous confirmer l’actuelle position de l’Allemagne sur ce sujet ?

M. Alexis Jolly (RN). Depuis maintenant dix ans, l’Allemagne est confrontée à une pression migratoire considérable, situation illustrée par le nombre de plus de 200 000 demandes d’asile qu’elle a reçues en 2023, ce qui génère évidemment des inquiétudes croissantes dans l’opinion publique. Le débat public s’est d’ailleurs tendu, notamment à la suite d’attentats perpétrés par des migrants en situation irrégulière. La CDU au pouvoir a récemment annoncé un durcissement significatif de la politique migratoire, allant jusqu’à envisager le refoulement immédiat de demandeurs d’asile.

Dans le même temps, la politique extrêmement restrictive de Mme Frederiksen, première ministre socialiste au Danemark, avec à peine 860 demandes d’asile acceptées en 2024, pousse encore un nombre important de réfugiés à se tourner vers l’Allemagne et accentue la pression sur les structures d’accueil. Dans ce contexte, quelles sont les lignes rouges de l’Allemagne en matière d’immigration et comment votre pays envisagetil de concilier cette volonté de fermeté avec les obligations imposées par l’Union européenne en matière de droit d’asile et de libre circulation ?

M. Frédéric Petit (Dem). En tant qu’ambassadeur en France, comment travaillezvous aux relations entre la France et les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est ? Cette relation constitue un sujet. Votre position de l’autre côté de la frontière vous permetelle de réaliser des actions originales en matière linguistique, culturelle ou économique à destination de ces Länder ?

M. Stephan Steinlein. Concernant notre position envers les jugements de la CEDH, un principe fondamental que j’ai appris au cours de ma carrière politique et administrative est qu’on ne critique pas les juges et les tribunaux. Je ne critiquerai donc pas les jugements de la CEDH et je pense que cette position est également celle de mon gouvernement. Nous respectons, bien entendu, les jugements des tribunaux internationaux.

Sur la question des véhicules électriques et thermiques, je ne dispose pas d’informations sur le revirement que vous avez décrit. Nous pourrons en parler ultérieurement mais je ne suis pas dans une position me permettant de vous répondre aujourd’hui. De toute façon, la transition verte, incluant une plus forte présence de la mobilité électrique, est une nécessité. Les constructeurs allemands se sont engagés dans cette voie. Volkswagen, par exemple, a rapidement pris la décision de miser entièrement sur le moteur électrique. Avec l’arrivée sur le marché d’une nouvelle gamme de modèles, je pense que nous sommes sur la bonne voie, y compris pour les constructeurs européens.

Concernant l’emprunt européen, la position du chancelier avant son élection était claire et je ne pense pas qu’elle ait changé. Pour l’instant, nous suivons cette discussion au niveau européen mais l’Allemagne reste réservée. Je ne vois pas, pour le moment, de majorité ou de proposition assez concrète pour en parler sérieusement.

Quant au nucléaire, il n’est pas un secret que le chancelier Merz et la CDU ont traditionnellement été plus ouverts à cette énergie. L’arrêt complet des centrales nucléaires a été décidé par la chancelière Merkel. Je ne perçois pas de changement radical de position dans la société allemande sur ce point. Il est difficile de prédire l’avenir mais je vois mal une évolution qui reviendrait sur cette décision. Une large partie de la population y reste opposée. En outre, nous avons perdu les compétences nécessaires dans ce domaine. Il existe un débat en Allemagne sur un éventuel retour sur la décision d’arrêt du nucléaire. Néanmoins, je ne pense pas que cela se concrétisera, du moins pas au sein de la coalition actuelle. En effet, le SPD, partenaire de coalition, y est fermement opposé.

S’agissant de l’immigration, l’Allemagne souhaite rester un pays ouvert, notamment en raison de ses défis démographiques et de maind’œuvre. De plus, notre pays veut respecter ses responsabilités internationales, notamment en matière de protection des personnes en danger. Néanmoins, nous entendons durcir notre ligne sur les retours des personnes n’ayant pas obtenu le droit d’asile, pour faciliter ces retours et contrôler les flux migratoires illégaux.

Enfin, l’implication des nouveaux Länder dans ce réseau très étroit de coopération francoallemande est un vieux sujet. Il y a plus de trente ans, lorsque j’étais ambassadeur de l’Allemagne de l’Est, juste après la chute du mur et les élections démocratiques, j’avais déjà souligné l’importance d’intégrer les nouveaux Länder dans le réseau francoallemand. Cette question reste d’actualité. De nombreuses initiatives ont été prises, notamment en Saxe, en SaxeAnhalt et dans le Mecklembourg–PoméranieOccidentale, y compris par les cercles économiques, afin de rapprocher les Länder de l’Est de la France. L’ambassade s’engage pleinement à soutenir ces initiatives.

M. Michel Herbillon, président. Nous vous sommes reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré ce matin et le soin apporté à vos réponses. Il est important selon moi que nous maintenions des rendezvous francoallemands réguliers, tant ils influencent le contenu des grandes orientations géopolitiques, économiques et stratégiques de nos deux pays.

Le contexte international actuel rend plus que jamais nécessaire une étroite concertation, à tous les niveaux : Exécutifs, Parlements, collectivités locales et Länder. Tous doivent multiplier les occasions de travailler ensemble. Nos coopérations sont à cet égard fondamentales et elles doivent s’approfondir.

La France et l’Allemagne sont deux partenaires clés. Cela est vrai sur le plan économique, puisque l’Allemagne demeure à la fois le premier client et le premier fournisseur de la France et représente 13,2 % du total des exportations françaises. Cela l’est aussi de plus en plus sur les plans géopolitique et stratégique, surtout depuis la guerre en Ukraine. Vous avez rappelé les rendezvous communs entre le chancelier allemand et le président de la République française, impliquant également le premier ministre britannique. Il nous appartient donc d’approfondir cette dimension, y compris sur le plan géostratégique avec la guerre en Ukraine.

Vous pouvez être assuré qu’à notre niveau, nous nous attacherons à entretenir et approfondir le dialogue avec nos homologues du Bundestag. En effet, la diplomatie parlementaire n’est pas un concept, c’est une réalité que nous devons faire vivre au quotidien.

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La séance est levée à 12 h 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. Mme Clémentine Autain, M. Guillaume Bigot, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, Mme Stella Dupont, M. Marc de Fleurian, M. Nicolas Forissier, M. Guillaume Garot, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Vincent Jeanbrun, M. Alexis Jolly, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, M. Arnaud Le Gall, M. JeanPaul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Alexandra Masson, M. Laurent Mazaury, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Sébastien Peytavie, M. Kévin Pfeffer, M. JeanFrançois Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence RobertDehault, M. JeanLouis Roumégas, Mme MarieAnge Rousselot, Mme Laetitia SaintPaul, M. Lionel Vuibert

Excusés. Mme Nadège Abomangoli, M. Gabriel Attal, M. Bertrand Bouyx, M. PierreYves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Christelle D'Intorni, Mme Sylvie Dezarnaud, M. Marc Fesneau, M. Bruno Fuchs, M. Perceval Gaillard, M. Bastien Lachaud, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa