Compte rendu
Commission
des affaires étrangères
– Communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué par une délégation de la commission au Liban, du 2 au 5 juin 2025 2
Mercredi
9 juillet 2025
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 82
session ordinaire 2024-2025
Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président
— 1 —
La commission entend une communication, ouverte à la presse, sur le déplacement effectué au Liban, du 2 au 5 juin 2025, par une délégation de la commission.
La séance est ouverte à 9 h 30.
Présidence de M. Bruno Fuchs, président.
M. le président Bruno Fuchs. Nous allons entendre ce matin la présentation du déplacement d'une délégation de notre commission au Liban qui s'est déroulé du 2 au 5 juin. Cette délégation était composée de Mme la questeure Brigitte Klinkert, de Mme Alexandra Masson, de M. Arnaud Le Gall, qui préside également le groupe d'amitié France-Liban, ainsi que de M. Pierre Pribetich. Cette mission s'inscrit dans notre démarche de diplomatie parlementaire, à l'instar de nos précédentes délégations au Maroc, en Serbie ou au Kosovo. Notre objectif est d'affirmer la présence de parlementaires dans le champ du débat politique et public, particulièrement dans les pays où la France joue un rôle significatif.
La France et le Liban partagent une longue histoire et une relation singulière, puisque la France a proclamé en septembre 1920 la création du Grand Liban, doté en 1926 d'une Constitution. Longtemps langue officielle, le français y reste largement pratiqué et nos échanges culturels demeurent extrêmement étroits. Le général de Gaulle a parfaitement résumé la singularité et la force de nos liens le 27 juillet 1941, au lendemain de son arrivée à Beyrouth, en déclarant : « De tout cœur de Français dignes de ce nom, je puis dire que le nom seul du Liban fait remuer quelque chose de très particulier ». Ce message profond conserve aujourd'hui toute sa vitalité et continue d'incarner la relation que la France entretient avec le Liban.
Depuis son indépendance en 1943, le Liban fonctionne selon un pacte confessionnel, consolidé par l'accord de Taëf en 1989. Ce système constitue un élément essentiel pour comprendre tant la stabilité du Liban que les entraves à son évolution récente. L'accord de Taëf, qui a mis fin à quinze années de guerre civile entre 1975 et 1990, répartit les postes institutionnels selon un équilibre confessionnel précis : la présidence de la République revient à un maronite, le poste de premier ministre à un sunnite, la présidence du Parlement à un chiite, tandis que le Parlement lui-même est réparti à égalité entre chrétiens et musulmans, avec dix-huit confessions reconnues. Ce système, s'il a permis la stabilité et la fin du conflit, est devenu progressivement une entrave, notamment avec la montée en puissance du Hezbollah dès les années 1980 sur les plans militaire, politique et économique, rendant le pays rapidement ingouvernable.
En représailles à l'attaque du 7 octobre, Israël a commencé à pilonner les positions du Hezbollah, avec un tournant décisif en août 2024 caractérisé par des attaques directes contre les bases stratégiques du Hezbollah dans la Bekaa, suivies par un démantèlement progressif de l'organisation. Cette situation a conduit à l'élection du président Aoun en janvier 2025, mettant fin à une vacance institutionnelle de plus de deux ans, aggravée par des crises économiques et politiques profondes. La France et l'Arabie saoudite ont joué un rôle déterminant dans cette nouvelle gouvernance du Liban. Lors de la visite officielle du chef de l’Etat à Beyrouth, en janvier 2025, j'ai personnellement constaté la détermination du président Aoun, de son premier ministre et du peuple libanais en faveur du redressement du pays.
À travers le Liban, se joue actuellement la stabilité et la reconfiguration de tout le Proche-Orient, avec une nouvelle gouvernance en Syrie, un affaiblissement du Hamas et des relations avec l'Iran en pleine mutation.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Nous avons assumé, avec mes trois collègues, la responsabilité de conduire cette mission parlementaire au Liban, pays qui se trouve, vous le savez, au cœur de tensions géopolitiques régionales qui n'ont cessé de s'intensifier depuis le 7 octobre 2023, et qui ont connu de nouveaux développements depuis notre déplacement il y a un mois. Je tiens à souligner la qualité du travail commun que nous avons mené sur place et l'esprit transpartisan de responsabilité qui nous a permis de mesurer l'ampleur des défis que traverse ce pays ami, mais également la vitalité de la société libanaise et la pertinence du partenariat franco-libanais.
La relation entre la France et le Liban est ancienne et profonde, comme l'a rappelé le président de notre commission. Elle engage autant notre histoire que notre avenir et repose sur des liens humains, culturels et économiques particulièrement denses, mais également sur une fidélité politique indéfectible. Le président de la République a réaffirmé à plusieurs reprises l'engagement de la France pour la souveraineté, l'unité et la stabilité du Liban, notamment lors de sa visite officielle en janvier dernier. Sa parole est attendue, respectée et très écoutée au Liban et notre mission visait à la traduire en observations concrètes et en recommandations réalistes.
Le Liban traverse actuellement une crise multidimensionnelle – politique, sécuritaire, économique et sociale – d'une intensité exceptionnelle. Cette crise, bien qu’ancienne, atteint aujourd'hui un point de bascule puisqu’en quelques années, le pays a perdu près de 60 % de son produit intérieur brut (PIB), sa monnaie s'est effondrée, ses institutions ont été paralysées pendant plus de deux ans et l'ensemble de sa population a vu son niveau de vie régresser de plusieurs décennies. Dans ce contexte, notre mission a mis en évidence trois enseignements majeurs.
Nous avons tout d’abord constaté que, malgré la gravité de la situation, des leviers d'action existent. Le Liban n'est pas un État failli mais un État en crise profonde, avec des capacités encore actives, à commencer par ses forces armées, qui jouent un rôle central dans la stabilisation du Sud du pays. Certaines réformes, comme la levée du secret bancaire votée en avril dernier, témoignent d'une réelle volonté de reprendre le contrôle des grands équilibres nationaux.
Nous avons ensuite pu observer que les attentes envers la France demeurent très fortes, en tant que puissance de paix et d'équilibre. Nous avons constaté à quel point notre pays est perçu comme un acteur de confiance, respecté pour son engagement constant et sa posture équilibrée. Nous pourrions même parler d'un véritable amour pour la France. Cette confiance nous engage et exige que nous soyons à la hauteur de cette relation singulière, en évitant les deux écueils majeurs que sont le désengagement et l'ingérence.
Nous affirmons enfin que notre rôle doit s'adapter à une réalité en constante évolution. Il ne s'agit pas de reproduire des schémas anciens, mais d'inventer une coopération nouvelle, plus agile, mieux articulée avec la société civile, les collectivités locales et les jeunes générations qui, au Liban comme ailleurs, aspirent à la dignité, à l'emploi et à la transparence.
À cet égard, nous formulons plusieurs recommandations dans notre rapport. Nous préconisons tout d’abord de consolider notre soutien aux forces armées libanaises (FAL), pilier de stabilité et acteur crédible pour une reprise en main progressive du territoire. Nous recommandons ensuite de renforcer notre action dans les secteurs sociaux, particulièrement l'éducation, la santé et l'appui aux collectivités, afin d'éviter un effondrement humanitaire aux conséquences régionales majeures. Nous suggérons également de soutenir les réformes économiques structurelles, y compris en dialoguant avec les partenaires internationaux pour assouplir des conditionnalités parfois excessivement rigides. Nous proposons enfin, point qui me tient particulièrement à cœur, d'accompagner les dynamiques de résilience locales en soutenant les organisations non gouvernementales (ONG), les associations, les maires et les entrepreneurs, sans lesquels aucun avenir démocratique ne sera possible.
Le Liban est un pays qui vacille mais qui ne renonce pas. Il conserve une capacité unique à faire société dans la diversité, à créer, à débattre et à innover. Notre devoir, en tant que parlementaires, consiste à relayer cette complexité, à porter une voix d'équilibre et à veiller à ce que l'action internationale ne sacrifie pas la stabilité au profit d'exigences sécuritaires inatteignables à court terme. Nous avons un rôle déterminant à jouer pour accompagner le Liban dans son redressement et garantir la paix et la stabilité dans la région, en partenariat avec les Libanais eux-mêmes.
Je tiens, pour terminer, à remercier l’administrateur, qui nous a accompagnés et nous a permis de produire un rapport de grande qualité.
M. Pierre Pribetich, rapporteur. Je tiens également à saluer la qualité du travail collectif réalisé et de celui de l'administrateur. Je remercie M. l'ambassadeur et l'ensemble des services qui ont organisé ce déplacement dans le cadre de notre mission.
Le bruit d'un drone au-dessus de l'ambassade de France nous a rapidement rappelé, si nous l'avions oublié, que ce pays n'est pas en paix mais sous surveillance militaire.
Le dimanche 13 avril 1975, les phalangistes attaquaient un bus transportant des Palestiniens vers un camp de réfugiés à Tel al-Zaatar, dans la banlieue de Beyrouth, provoquant le début de la guerre civile libanaise qui a dévasté le pays, notamment durant une première période entre 1975 et 1990, et ancrant durablement un système de gouvernance fondé sur le confessionnalisme. Cette organisation politique, répartissant les postes-clés de l'État entre les communautés religieuses était censée, en institutionnalisant cette répartition confessionnelle du pouvoir, mettre un terme aux hostilités.
Trente-six ans après les accords de Taëf de 1989, notre déplacement nous a confrontés à la réalité saisissante d’un pays qui tient encore debout, vivant, renaissant de ses cendres, malgré une succession de crises depuis 1990, sans oublier cette explosion monstrueuse survenue au sein du port de Beyrouth le 4 août 2020. La résilience de ce peuple, de sa population, la force d'une société civile remarquable, dynamique et entreprenante sont impressionnantes.
De cette plongée dans l'univers de Beyrouth 2025, quels enseignements pouvons-nous tirer ? Certainement la nécessité d'un respect strict du droit international et d'un renforcement des fonctions régaliennes libanaises. Comme nous l'avons constaté sur le terrain, les frappes israéliennes dans le Sud du Liban ont un effet délétère et la cessation des hostilités annoncée en novembre 2024 n'empêche nullement la poursuite quotidienne des bombardements avec leur lot de drames, un lourd tribut payé par les civils. Comble de l'ingérence, une zone de fait occupée par une puissance étrangère, interdite d'accès aux Libanais sur plus de 120 kilomètres, est totalement polluée par l'usage de défoliants. Cette attaque manifeste à la souveraineté du Liban constitue une violation répétée de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui alimente un cycle sans fin de tensions et contribue à l'érosion du droit international, chaque fois qu'aucune réponse n'est apportée.
La diplomatie française est respectée et doit être écoutée à New York. Elle doit porter une parole claire et ferme sur le respect des résolutions de l'Organisation des Nations unies (ONU), un respect qui ne saurait être à géométrie variable. Sur le plan du droit international, la sécurité d'un pays ne peut être assurée au prix de l'occupation d'un autre, et la stabilité régionale passe avant tout par la fin des logiques d'escalade.
Je souhaite insister sur la place et le rôle des forces armées libanaises. J'ai été choqué par le fait qu'une partie des militaires libanais soit contrainte de travailler comme chauffeurs de taxi ou livreurs de pizza pour financer leur quotidien. Un problème fondamental se pose donc concernant le rôle et le soutien financier à ces forces armées, centrales dans l'organisation du pays, dont le redéploiement au Sud et le professionnalisme doivent être renforcés. Ces éléments constituent un socle essentiel pour la stabilité du pays et leur coopération croissante avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) doit être saluée. Nous devons constamment garder à l'esprit ce triptyque : renforcer, soutenir, équiper. Il s’agit de la seule alternative crédible à la prolifération des milices et à la fragmentation sécuritaire auxquelles nous assistons.
Seul un État fort, doté d'une armée capable d'imposer des règles, peut permettre au Liban de sortir de cette situation et de renforcer ses structures régaliennes. Le mandat de la FINUL doit évidemment être maintenu, sans être affaibli ni durci. Nous devons trouver le point eutectique, pour employer un terme technique de chimie qui désigne un point d'équilibre entre phases liquide et solide. La FINUL reste la pierre angulaire de la désescalade, sans avoir vocation à devenir ni une force d'intervention, ni une force d'enquête. La solution réside dans une alliance forte entre les forces armées libanaises et la FINUL, avec la volonté de conforter et de restaurer la souveraineté du pays, étape par étape.
Mon deuxième point concerne la société civile libanaise, force de résilience absolue et démocratique. Alors que les institutions sont sclérosées et en panne, tout comme l'économie avec un système bancaire en ruine, nos rencontres avec les associations, les collectifs citoyens et les ONG de terrain ont révélé l'existence d'un tissu social qui supplée au quotidien l'État défaillant et assure l'accès aux soins, à l'éducation, à l'alimentation, accompagnant les plus vulnérables, tant dans les camps de réfugiés que dans les quartiers populaires. Mais cette mobilisation admirable est aujourd'hui à bout de souffle et a besoin de financements alors que ceux-ci s'amenuisent. La lassitude gagne les militants et les exigences administratives imposées par les bailleurs internationaux deviennent souvent dissuasives, les poussant parfois à l'abandon.
Notre responsabilité en tant que République et pays acteur est de soutenir ces acteurs, non pas en leur imposant de nouvelles conditionnalités irréalistes, mais en leur faisant confiance. L'outil de base consiste sans doute en un fléchage plus direct de notre aide, avec des partenaires de proximité et une reconnaissance institutionnelle de leurs rôles.
Pour conclure, notre diplomatie française doit faire preuve de cohérence. Le Liban ne demande pas l'aumône, mais simplement des partenaires fiables, engagés et sincères, tenant une ligne diplomatique claire et cohérente. Cela vaut pour l'ensemble du monde, mais particulièrement pour ce secteur et notamment pour le soutien au Liban. Le noyau de notre action doit être de défendre le droit international partout, sans deux poids deux mesures, de soutenir l'État et les institutions régaliennes, notamment l'armée. Nous devons les aider à gérer les 1,5 million de Syriens réfugiés au Liban, qui constituent un poids considérable pour la population, et les accompagner avec la volonté de les intégrer et de permettre éventuellement à une grande majorité d'entre eux de retourner dans leur pays. Enfin, nous devons préserver la vocation strictement multilatérale et impartiale de la FINUL et soutenir la société civile sans clientélisme ni ingérence.
La France est attendue, aimée et respectée. Elle est encore écoutée et doit le rester. Nous devons peser de tout notre poids, parler d'une voix autonome, respectueuse de la souveraineté des peuples et des principes, en respectant également la Charte des Nations unies. Le Liban, avec ses dix-huit confessions, n'a pas besoin de leçons mais d'alliés, de soutiens fidèles et soucieux de sa stabilité. Il a besoin de sa dignité et de son avenir.
Mme Alexandra Masson, raporteure. Je tiens à saluer l'esprit de coopération franc et sincère qui a animé cette mission parlementaire au Liban et le remarquable travail d'assistance de notre administrateur sur place.
Notre mission s'est révélée passionnante et, au-delà de nos divergences d'appréciation, nous avons unanimement constaté la gravité de la situation, l'ampleur des défis et la complexité des équilibres libanais. Tout au long de nos rencontres avec les plus hautes autorités libanaises – notamment le président de la République Joseph Aoun, le premier ministre Nawaf Salam, le ministre des affaires étrangères, ainsi que de nombreux parlementaires – il est apparu avec clarté et constance que le Liban souhaite que la France s'implique plus activement pour soutenir sa souveraineté. Cette demande ne relève nullement d'une logique d'assistanat, mais constitue un appel à une solidarité stratégique fondée sur l'histoire commune unissant nos deux nations.
Le Liban fait face à des pressions multiples, tant militaires que politiques, exercées par diverses puissances régionales dont certaines poursuivent des logiques d'ingérence directe. Dans ce contexte, les mécanismes multilatéraux actuels apparaissent, aux yeux de nos interlocuteurs, de plus en plus affaiblis, parfois biaisés et rarement capables de garantir une protection effective de la souveraineté libanaise. Le pays est entré dans une forme d'instabilité prolongée, sans issue claire à court terme, mais conserve à moyen terme de réels espoirs avec des partenaires tels que la France.
Nous avons unanimement reconnu le rôle central que jouent les forces armées libanaises dans un contexte où la présence de la FINUL, bien que sous pression, demeure un facteur de stabilisation essentiel. Je souscris pleinement à l'idée que la souveraineté libanaise doit impérativement être restaurée. Nous avons constaté, comme l'affirment les autorités locales elles-mêmes, que le Hezbollah conserve une capacité de nuisance significative, même s'il a amorcé un retrait partiel du Sud-Liban. Ce statut ambigu, entre acteur politique et force militaire parallèle, bloque toute perspective d'État de droit digne de ce nom.
La France doit continuer à porter les exigences légitimes du Liban, notamment le retrait des dernières forces israéliennes encore présentes dans le Sud, le respect intégral de la résolution 1701 de l'ONU et la prise en compte de la pression migratoire exercée par les réfugiés syriens. Sur ce dernier point, l'inquiétude est particulièrement vive et tous nos interlocuteurs, y compris les plus modérés, nous ont alertés sur la gravité de la situation. 30 % de la population du Liban est aujourd’hui constituée de réfugiés syriens, alors même que les infrastructures sont exsangues et les équilibres communautaires fragiles. Cette situation exerce une pression insupportable sur les finances publiques, l'accès aux services de base, le marché du travail et la cohésion nationale. Elle alimente des tensions sociales et confessionnelles de plus en plus explosives, dans un contexte où l'aide internationale tend à se réduire.
L’aide internationale versée aux réfugiés syriens s'avère parfois contradictoire avec les intérêts des Libanais eux-mêmes. Face à cette réalité, les autorités libanaises appellent à une approche réaliste, visant à organiser un retour progressif, sécurisé et coordonné des réfugiés vers la Syrie, afin de préserver la stabilité intérieure du pays. Cette position, qui me semble légitime et responsable, mérite le soutien de la France. Défendre la souveraineté du Liban implique également de reconnaître que cette crise migratoire ne peut être indéfiniment externalisée sur un État déjà au bord de l'effondrement.
Le rôle de la France ne consiste pas à se substituer au peuple libanais, mais à se tenir résolument à ses côtés dans un Proche-Orient profondément fragmenté. Notre voix reste écoutée et attendue plus que jamais. Elle doit porter avec force les exigences légitimes du Liban qui sont le respect de son intégrité territoriale, le retrait des forces étrangères encore présentes, le soutien aux forces armées libanaises et la reconnaissance de la nécessité d'une réponse durable à la question des réfugiés syriens.
Préserver le Liban aujourd'hui, c'est défendre un État souverain afin que ce pays demeure un partenaire francophone et un bastion de pluralisme. C'est également faire le choix de la stabilité contre le chaos. Je plaide donc pour un changement de cap dans la politique française, qui consisterait à soutenir un retour progressif et encadré des réfugiés vers les zones sécurisées de Syrie dans le cadre de mécanismes multilatéraux de garantie, à refuser toute pression politique ou financière visant à faire du Liban une zone tampon migratoire aux portes de l'Europe et à redonner aux autorités libanaises les moyens de contrôler leur territoire et leurs flux migratoires, sans se heurter systématiquement à des objections idéologiques. Notre devoir, en tant que Français, est d'aider le Liban, pays ami, francophone et francophile, à retrouver pleinement sa souveraineté, à commencer par celle qui passe par ses frontières, ses institutions et sa cohésion nationale.
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Je tiens tout d'abord à remercier les services de l'Assemblée, notamment l’administrateur du secrétariat de la commission sans lequel cette mission n'aurait pu atteindre ses objectifs.
Nous avons effectué ce déplacement dans un moment particulièrement grave pour le Liban et pour l'ensemble du Proche-Orient, un moment qui cristallise toutes les craintes mais qui suscite également un certain nombre d'espoirs.
Le Liban dispose depuis plusieurs mois d'une équipe solide de dirigeants, ce qui constitue une avancée longtemps attendue. Ces responsables apparaissent en capacité d'affronter des défis immenses, mais le Liban ne pourra relever ces défis sans un changement radical d'approche de la communauté internationale.
Le pays fait face à une multiplicité de crises qui s'enchâssent les unes dans les autres. Au début des années 2010, nous assistions à un quasi-processus de révolution citoyenne avec un quart de la population libanaise manifestant dans les rues. Sont ensuite survenues l'explosion catastrophique du port de Beyrouth, la déstabilisation des fondements bancaires et économiques, puis la guerre.
La question centrale au Liban, sans la résolution de laquelle rien d'autre ne pourra être réglé, concerne la situation sécuritaire au Sud et plus largement le rôle joué par Israël. Ce constat est ressorti de l'essentiel des échanges que nous avons eus, y compris ceux que j'ai pu mener en tant que président du groupe d'amitié. Cette fonction m'impose de dialoguer avec l'ensemble des acteurs et, ce qui m'a particulièrement marqué, c'est que par-delà les profondes divergences sur de nombreux sujets entre les différents blocs parlementaires libanais, une convergence de vues existe sur la nécessité impérieuse de voir le droit international respecté et l'intégrité territoriale du Sud-Liban préservée.
Notre rapport évoque la réalité du terrain. Depuis l'automne 2023, le Liban subit des frappes quasi-quotidiennes de l'armée israélienne. On a prétendu qu'il s'agissait d'une guerre contre le Hezbollah mais, et j'assume pleinement mon propos, il s'agit en réalité d'une guerre contre le Liban dans son ensemble. Cela transparaît dans les méthodes employées, dans les discours tenus au plus haut niveau du gouvernement israélien menaçant le Liban de subir le sort de Gaza, et dans le ressenti profond de la population libanaise.
Je tiens à rappeler que, depuis le cessez-le-feu théorique de novembre 2023, plus de 2 000 violations ont été recensées. Le conflit a causé plus de 4 000 victimes libanaises et, depuis septembre 2024, des villages entiers ont été rasés, des habitations détruites au bulldozer ou par l'usage de phosphore blanc, créant un véritable no man's land destiné à empêcher le retour des populations. Une atmosphère de terreur est donc délibérément maintenue au Liban. Les drones évoqués par Pierre Pribetich ne sont pas des appareils qui se contentent de survoler Beyrouth, mais des engins qui volent suffisamment haut pour demeurer invisibles tout en émettant un bruit assourdissant dans une pure logique d'intimidation.
Alors qu’Israël applique au Sud du Liban une politique de la terre brûlée, en violation flagrante des résolutions de l'ONU, notamment la résolution 1701, aucun cessez-le-feu n'est pourtant formalisé ni aucune enquête internationale lancée concernant les bombardements de civils. Aucune investigation n'est menée sur les tirs subis par la FINUL qui, bien que n'ayant pas causé de pertes humaines, constituent des actes symboliquement graves contre une force de l'ONU, manifestement perpétrés par l'armée israélienne. Ce deux poids deux mesures permanent mine la crédibilité de l'ONU dans le pays et affaiblit notre capacité collective à œuvrer pour la paix.
La France doit prendre des engagements plus clairs et plus fermes, et je l'affirme d'autant plus que notre pays compte parmi ceux dont la voix porte encore, ce qui n'est désormais plus nécessairement le cas de tous les pays de la région. Je ne reviendrai pas sur certaines orientations que je considère comme des erreurs diplomatiques majeures ayant affaibli la voix de la France dans la région mais, au Liban, elle conserve encore son influence.
Le Liban constitue l'un des rares pays de la région où la place de la France demeure centrale et nous y disposons de services diplomatiques de grande qualité. Notre ambassadeur accomplit un travail remarquable que je tiens à saluer, se tenant constamment aux côtés des Libanais et jouissant d'une reconnaissance dans les rues de Beyrouth, ce qui n'est assurément pas le cas de tous les ambassadeurs du monde. Notre discours de fermeté s'adresse évidemment au Hezbollah, dont nous ne partageons ni les objectifs, ni les principes, ni la doctrine, mais également à Israël qui agit de fait comme puissance occupante et bafoue les principes du droit international.
Il est en outre impératif de soutenir le renouvellement du mandat de la FINUL, qui joue un rôle essentiel, dans ses termes actuels, sans transformation complète sous pression américaine. Même si elle n'enquête pas, elle observe, et peut ainsi fournir des données indépendantes sur les violations du cessez-le-feu au Sud du Liban, sur les villages rasés et les autres exactions.
Nous devons prioriser nos objectifs, car nous ne construirons pas la paix en exigeant d'un pays affaibli, étranglé économiquement, confronté à une crise migratoire, avec des dizaines de milliers de déplacés internes incapables de regagner leurs villages, et à un effondrement bancaire, qu'il soit le seul à faire des concessions. Cette approche n'est ni moralement acceptable ni réaliste.
Dans ce contexte, le rôle de la France consiste à garantir un minimum de justice dans la région, et non à relayer certains diktats sécuritaires de Washington ou Tel-Aviv. Pour prendre un exemple concret, nous devons, selon moi, dissocier les questions de désarmement des questions de reconstruction et de réformes économiques qui sont actuellement liées dans les négociations internationales, notamment lors des conférences des bailleurs de fonds libanais où tout est conditionné à tout, aboutissant à une paralysie totale.
La question du désarmement est essentielle, puisque les autorités libanaises sont sommées de démanteler l’ensemble des milices du Hezbollah avant toute autre initiative. Pourtant, cette approche est vouée à l’échec car si le désarmement progresse de manière notable, en particulier dans le Sud du Liban, et si l’armée libanaise accomplit ses missions avec un sérieux et une efficacité remarquables, nous atteignons néanmoins un stade où cette armée se voit réduite à un rôle de force de police chargée de neutraliser les milices, sans pour autant disposer des moyens nécessaires pour garantir l’intégrité des frontières nationales, en l’absence, notamment, de capacités aériennes. Toute la subtilité du discours israélien et américain repose sur l’idée que l’armée libanaise doit surpasser le Hezbollah en puissance, mais encore faut-il qu’elle soit en mesure d’assurer la défense des frontières du Liban, ce qui implique de lui fournir les attributs d’une véritable force militaire, et non les seules ressources d’une force de police.
Ce point est déterminant, car demander aux Libanais d’agir autrement revient à leur imposer le pari impossible de désarmer des milices qui, chacun en convient, nuisent à la souveraineté du territoire, tout en leur refusant les moyens de reconstruire une armée capable de défendre l’intégrité du pays. Cette contradiction alimente un risque réel de guerre civile et d’exacerbation des tensions. Si le président de la République libanaise fait preuve d’une extrême prudence, tout en demeurant résolu sur la question du désarmement, c’est précisément parce qu’il a pleinement conscience de ces risques.
Nous devons renoncer à cette logique qui exige l’impossible des autorités libanaises. Même s’il faut évidemment soutenir les réformes structurelles exigées par la population (assainissement du secteur bancaire, restitution des dépôts, justice fiscale), aucune avancée significative ne pourra se produire tant que l’obsession sécuritaire primera sur toutes les autres priorités.
Nous devons par ailleurs agir sans nous soumettre systématiquement aux injonctions du Fonds monétaire international (FMI) ou de certains bailleurs du Golfe. Autrement dit, il est profondément injuste que le peuple libanais paie les conséquences des fautes commises par une minorité de dirigeants, notamment dans le secteur économique. Ce peuple a déjà payé un lourd tribut, puisque plus de 70 milliards de dollars se sont évaporés. Aujourd’hui, les Libanais ne peuvent retirer que des sommes dérisoires de leurs comptes bancaires et ceux qui n’ont pas eu les moyens de placer leur argent à l’étranger en dollars sont totalement ruinés. Le salaire d’un officier de l’armée libanaise est passé de 3 000 ou 4 000 dollars à seulement 250 dollars, et je ne parle même pas de la situation des simples soldats, contraints d’exercer un second métier pour survivre.
Tout démontre pourtant que l’armée libanaise reste consciente de sa mission, disciplinée et professionnelle. Ce constat est confirmé par les témoignages recueillis et les observations de terrain, notamment lors de la chute du régime de Bachar al-Assad : face aux milices qui descendaient rapidement vers Damas, et à la crainte qu’elles n’atteignent le territoire libanais, l’armée s’est repositionnée en deux jours pour défendre la frontière Nord, mobilisant des hommes qui, la veille encore, conduisaient des taxis. Cette réactivité témoigne d’un véritable professionnalisme et d’une capacité d’action réelle.
Je souhaite enfin, à la lumière de nos échanges, saluer la société civile libanaise et la nation dans son ensemble. Le Liban est trop souvent réduit à une mosaïque de communautés, alors que la réalité est bien plus complexe, intégrant également des dynamiques familiales. J’affirme qu’il existe une véritable nation libanaise qui, au-delà des différends et oppositions internes, se conçoit comme une entité unifiée. Il existe un peuple libanais qui n’a pas besoin de pitié, mais de partenaires honnêtes et solidaires. La France doit être en première ligne pour promouvoir une paix juste et durable au Liban.
M. le président Bruno Fuchs. Je tiens tout d’abord à saluer l'excellent esprit qui a caractérisé cette mission composée de membres issus de quatre groupes parlementaires différents. Le travail collaboratif que vous avez mené incarne parfaitement l'esprit que je souhaite insuffler à notre commission depuis plusieurs mois. Cette cohésion est d'autant plus importante sur le terrain, non seulement pour notre fonctionnement interne mais également pour l'image que nous projetons et l'efficacité de nos échanges avec nos interlocuteurs.
J'aimerais obtenir davantage d'informations sur la nature des échanges que vous avez conduits. Vous nous avez présenté de nombreuses analyses politiques et géopolitiques, mais pourriez-vous nous préciser comment ces analyses ont été nourries par vos rencontres ? Nous savons que vous avez rencontré un large spectre d'interlocuteurs, du président de la République jusqu'aux représentants de la société civile.
Vous avez évoqué des points de convergence entre différentes formations politiques libanaises. Pourriez-vous nous décrire la façon dont les parlementaires libanais perçoivent la situation actuelle ?
Enfin, quel rôle les parlementaires, notamment libanais, peuvent-ils jouer dans la durée pour relever les défis actuels et concrétiser les propositions que vous avez formulées ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Les parlementaires que nous sommes ont bénéficié d'un accueil remarquable de la part de l'ensemble de nos interlocuteurs. Nous avons clairement perçu une attente considérable vis-à-vis de la France, mais également concernant le message et l'influence que nous pouvons porter ici, d'abord au sein de la commission des affaires étrangères, puis auprès du gouvernement français.
Comme cela a été mentionné, nous avons participé à des rencontres au plus haut niveau de l'État, notamment avec le président de la République libanaise, avec lequel nous avons pu échanger pendant une durée significative, ainsi qu'avec le premier ministre. Nous avons également rencontré les représentants français présents sur place. Nous avons par exemple tenu une réunion avec l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) et l'ensemble des acteurs qui œuvrent à la promotion de la culture et de la langue françaises dans l'éducation libanaise. Tous ces rendez-vous attestent de l'intérêt manifeste des autorités libanaises.
Je souhaite également souligner nos échanges avec les représentants de la société civile, car c'est peut-être auprès d'eux que nous avons ressenti les attentes les plus fortes vis-à-vis de notre délégation et de la France.
M. le président Bruno Fuchs. Lors de ma visite au Liban en janvier 2025, j’ai rencontré une quinzaine de parlementaires issus de différentes formations politiques, parmi lesquels mon homologue, le président de la commission des affaires étrangères. Ce qui m’avait alors particulièrement frappé, c’était leur reconnaissance unanime du fait qu’après avoir passé trop de temps à se quereller, il était désormais temps de tourner la page des divisions pour travailler ensemble à l’édification d’un nouveau Liban. Cet esprit de collaboration est-il toujours présent ? Quelles sont les actions concrètes que nous, parlementaires français, pouvons mener dans la durée pour soutenir et concrétiser les propositions que vous avez formulées ?
Mme Alexandra Masson, rapporteure. Je partagerai une réponse personnelle concernant nos contacts avec nos homologues parlementaires, qui se sont révélés particulièrement enrichissants. Nous avons rencontré des représentants de toutes tendances politiques confondues, et j'ai été frappée par leur unité dans leur mode de communication à notre égard. Une véritable cohésion se dégageait quant à leur volonté de collaborer avec leurs collègues. Cette unité était manifeste malgré leurs appartenances à des courants politiques parfois diamétralement opposés, similaires à nos propres clivages. Ils s'exprimaient pourtant à l'unisson concernant leurs attentes envers la France.
Quant à nos rapports futurs avec eux, je prendrai l'exemple concret de la conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC). J'ai revu de nombreux parlementaires libanais dix jours après notre mission, venus participer à cet événement. Ayant échangé nos coordonnées personnelles, ils m'ont clairement manifesté leur volonté de travailler en partenariat sur des sujets thématiques précis. Ils sont convaincus que nous pouvons leur apporter des compétences spécifiques, tout en reconnaissant que nos modes de fonctionnement diffèrent. Cette volonté de maintenir des liens étroits et de bénéficier de notre soutien était manifeste.
Un dernier exemple concret concerne ma rencontre avec la ministre de l'environnement, ancienne chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), également présente à l'UNOC. Nous avions préalablement mené un travail de sensibilisation auprès d'elle, ce qui a finalement conduit à l'envoi de l'accord international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction ou BBNJ). Voilà une illustration parfaite d'une coopération efficace sur un sujet où ils n'étaient pas initialement pleinement engagés. Nous avions transmis plusieurs notes à ce sujet – je remercie d'ailleurs les administrateurs du secrétariat de la commission pour leur appui – et, lors de notre rencontre, la ministre s'est montrée particulièrement satisfaite de notre insistance sur ce dossier.
Je suis convaincue que nous pouvons développer un véritable travail commun avec eux sur diverses thématiques spécifiques, au-delà des problématiques principales que nous avons évoquées.
M. Pierre Pribetich, rapporteur. Concernant la relation avec nos collègues parlementaires, j'ai été particulièrement marqué par certains détails qui, bien qu'anecdotiques en apparence, reflètent parfaitement l'état d'esprit et la situation actuels.
Le premier constat est que le quartier parlementaire est entièrement bouclé. Un second élément mérite d’être souligné car, contrairement à ce que l’on pourrait appeler un simple exercice de courtoisie, nous avons entendu des propos francs et directs émanant de parlementaires qui connaissent parfaitement la France, certains y exerçant même une activité professionnelle. Ce qui frappe davantage encore, c’est la détermination des représentants de différentes sensibilités politiques à exprimer sans détour leurs ressentis et leur volonté d’avancer.
Il est utile de rappeler que le président du Parlement, Nabih Berri, âgé de 87 ans, occupe cette fonction depuis 1992, ce qui témoigne d’une longévité remarquable, malgré les nombreuses crises traversées, et constitue une situation qui pourrait, peut-être, inspirer certains d’entre nous.
Je perçois une volonté sincère de voir la France s’impliquer concrètement dans le soutien à la reconstruction et au développement du Liban. Nos interlocuteurs, qui attendent davantage qu’un simple discours, souhaitent une présence française tangible, qui les aide à surmonter les blocages actuels, en particulier ceux issus des accords de Taëf et de la répartition contraignante des pouvoirs qui en découle. Ils aspirent à pouvoir progresser et rebondir.
Nous sommes clairement confrontés à une demande appuyée de soutien de la part de nos homologues parlementaires, qui souhaitent que nous les accompagnions dans cette démarche en respectant leur indépendance, tout en maintenant une présence active et un appui. J’ai ressenti cette attente avec une intensité que j’ai rarement rencontrée lors d’autres missions parlementaires
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Une véritable demande émane effectivement des parlementaires libanais. Ce qui m'a particulièrement frappé contredit cette description d'un pays où les citoyens ne dialogueraient plus, incapable de surmonter les fractures historiques. Il existe bel et bien une nation libanaise, ce que reflète également le Parlement.
Les fins connaisseurs du pays rappellent souvent que même durant la guerre civile, le dialogue n’a jamais totalement cessé. Contrairement à d’autres contextes marqués par un cloisonnement complet, le Liban a toujours conservé une forme d’échange. Aujourd’hui encore, une dynamique collective de reconstruction est à l’œuvre, les parlementaires ayant une perception claire de l’état du pays et des attentes de la population. Si le quartier parlementaire demeure bouclé, ce n’est pas uniquement en raison de la situation sécuritaire liée à Israël. Ce bouclage répondait, à l’origine, aux manifestations populaires qui visaient notamment le Parlement. Il existe donc une pression populaire bien réelle. Je n’irai pas plus loin sur ce sujet, qu’il convient de considérer comme une affaire interne au Liban, tout en gardant cet élément à l’esprit.
Une volonté unanime s’exprime par ailleurs en faveur du respect de la souveraineté libanaise et, même si des nuances subsistent quant à l’ordre de priorité des objectifs, un consensus général émerge néanmoins pour rejeter fermement la situation actuelle, marquée par une violation constante de cette souveraineté.
S’agissant des autres rencontres, leur niveau atteste de l’importance accordée à notre mission, dans la mesure où nous avons été reçus par le président de la République. Bien que mon rôle ne consiste pas à commenter les propos des différents responsables institutionnels libanais rencontrés, j’ai toutefois été frappé par l’intelligence et la sérénité du président, qui saisit parfaitement l’ensemble des enjeux dans un contexte d’une grande complexité. Il parvient à expliquer clairement à ses interlocuteurs étrangers, en particulier américains et français, la nécessité d’adapter le calendrier aux réalités locales afin d’éviter un retour à des logiques potentiellement dangereuses. Le premier ministre, quant à lui, adopte une autre approche du temps, son mandat étant potentiellement plus court du fait des élections législatives prévues l’an prochain. Il souhaite avancer plus rapidement et ne traite pas exactement les mêmes dossiers.
Les représentants de la société civile que nous avons rencontrés tiennent, malgré la diversité de leurs origines sociales, des discours largement convergents sur les principaux enjeux. Contrairement aux idées reçues selon lesquelles ils seraient incapables de se comprendre ou de dialoguer, notre expérience démontre précisément le contraire.
À titre personnel, j’ai rencontré des membres d’une organisation humanitaire spécialisée dans la médiation, qui œuvrent discrètement pour organiser des pourparlers entre des parties en opposition dans l’objectif d’ouvrir la voie à des négociations publiques. Ces acteurs, qui entretiennent des relations étroites avec certaines puissances extérieures qui jouent un rôle déterminant au Liban, m’ont fait part d’un changement notable dans la manière dont les pays du Golfe abordent désormais la question libanaise. L’Arabie saoudite occupe à cet égard une position centrale. L’effondrement du tourisme saoudien constitue un enjeu économique crucial pour le Liban. Alors que l’on analysait auparavant toute la situation à travers le seul prisme du Hezbollah et de l’Iran, cette lecture n’est plus dominante. Les pays du Golfe ont compris que l’attitude du gouvernement israélien rend toute paix régionale impossible, et en tirent désormais les mêmes conclusions pour le Liban.
M. le président Bruno Fuchs. Dans le cadre des actions menées par la diplomatie parlementaire, je vous invite à identifier deux ou trois programmes concrets sur lesquels nous pourrions nous engager durablement avec nos partenaires, au-delà de simples missions d’observation.
M. Frédéric Petit (Dem). Je tiens d'abord à saluer cette mission et l'esprit que vous avez tous les quatre confirmé, qui transparaît remarquablement dans votre rapport. La présentation de votre communication m'a profondément satisfait, me rappelant les motivations essentielles qui m'ont conduit à accepter ce mandat parlementaire.
Je souhaite formuler deux types d'observations et vous adresser une question absente de votre rapport. Vous avez largement évoqué la dimension culturelle. Exerçant la fonction de rapporteur pour la diplomatie culturelle, je me suis rendu plusieurs fois au Liban dans ce cadre et ai toujours considéré que ce pays occupait une position offensive et non défensive dans ce secteur. Dans notre politique culturelle, le Liban représente un atout extraordinaire. Je l'avais qualifié en 2018 dans mon rapport de véritable hub de notre diplomatie culturelle au Moyen-Orient. Nous évoquons fréquemment l’IFPO, dont le siège se situe précisément au Liban. Ses équipes interviennent à Erbil, à Palmyre et sur d’autres sites. Vous avez mentionné leur présence à l’UNOC, ce qui ne surprend aucunement tant ces professionnels se distinguent par leur dynamisme.
Quelques remarques concrètes méritent toutefois d’être formulées au sujet de la coopération culturelle. Le Liban est le pays qui compte le plus grand nombre de lycées français à l’étranger, tout en recevant une subvention particulièrement modeste. Ces établissements ont certes bénéficié d’une aide ponctuelle pendant les périodes de crise, mais leur dotation habituelle demeure très faible. Je rappelle qu’ils regroupent environ cinquante établissements homologués, accueillant quelque 50 000 élèves au sein du système français, ce qui place le Liban en tête dans ce domaine. Il s’agit d’une véritable coopération, dans la mesure où le nombre de fonctionnaires français détachés y reste extrêmement limité.
Le programme Nafas marque une transition concernant la question des visas, ayant permis à la France d'accueillir des artistes qui ne pouvaient plus créer dans leur pays. Nous leur avons ainsi offert, durant six mois, un espace de respiration en France. La diplomatie culturelle, tout comme la diplomatie d’influence, s’exerce également sur notre sol à travers la politique des visas, qui constitue un enjeu majeur sur lequel je travaille actuellement afin de formuler des propositions concrètes. Nous sommes cependant souvent nos propres adversaires, car nous échouons à distinguer les situations particulières, notamment lorsqu’il s’agit de chercheurs ou d’artistes participant à notre diplomatie, auxquels nous opposons le fait qu’ils se sont déjà rendus dans l’espace Schengen l’année précédente.
S’agissant de ma question, je souhaitais approfondir la réflexion sur la notion de zones grises et de frontières, ainsi que sur l’impuissance ponctuelle des forces internationales. Ma circonscription comprend les Balkans et l’Ukraine, deux régions où ces problématiques sont particulièrement sensibles. Nous sommes confrontés à un conflit dans lequel la voix de la France, que nous nous efforçons de porter, se trouve aujourd’hui contestée par les empires ou les théocraties. Cette analyse peut d’ailleurs s’appliquer de façon quasiment identique à plusieurs régions du monde évoquées dans votre rapport.
Ma question porte plus spécifiquement sur les forces libanaises, sur lesquelles vos observations sont particulièrement pertinentes. Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle avec l’aide apportée à l’Ukraine, en affirmant que soutenir une nation dans sa capacité à se défendre et à rétablir son autorité ne relève pas nécessairement d’un acte de guerre. Votre rapport saisit avec justesse la nature des forces libanaises, qui apparaissent désormais moins confessionnelles et davantage structurées autour d’une conception citoyenne.
Je souhaiterais donc savoir si vous confirmez cette analyse, en tenant compte du fait que votre délégation n’a pas eu de contact direct avec ces forces. Par ailleurs, concernant leur neutralité politique, il me semble utile de rappeler qu’historiquement, dans les périodes de guerre, les forces armées libanaises étaient relativement engagées sur le plan politique. Cette dimension est-elle toujours d’actualité aujourd’hui ? Ces forces sont-elles encore perçues comme politiquement marquées ou bien ont-elles atteint une véritable neutralité politique, qui viendrait s’ajouter à leur caractère laïc ?
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Sur la question des visas, je partage entièrement votre analyse. Nous plaidons depuis longtemps pour un retour du ministère des affaires étrangères en première ligne dans l'attribution des visas, car le système actuel est défaillant. La hiérarchie décisionnelle s'avère complètement renversée, puisque le ministère ne dispose plus d'aucun pouvoir sur ces questions, conduisant à des situations absurdes où des personnes officiellement invitées par la France se voient refuser leur visa, au Liban comme ailleurs.
Concernant les zones grises, cette notion ne découle généralement pas du droit mais relève d'états de fait. L'établissement d'une zone tampon officielle entre le Liban et Israël devrait procéder d'une décision bilatérale des deux États, et non de l'initiative unilatérale d'un État créant un no man's land sur plusieurs kilomètres où tout est détruit, notamment les terres agricoles. La population libanaise, majoritairement rurale et paysanne dans le Sud, dépend de ces terres pour sa subsistance. Le Liban est un pays fertile, ce qui explique sa convoitise historique, particulièrement dans cette région, et ces actions s'exercent en totale illégalité.
S’agissant de l’armée et de la nation libanaises, on constate effectivement une forme de laïcité, souvent désignée localement par l’expression « état civil ». L’armée libanaise joue historiquement un rôle essentiel, précisément parce qu’elle constitue l’un des rares corps de l’État à fonctionner en dehors des clivages confessionnels. C’est dans cette singularité que réside sa grande force. Aujourd’hui, les unités militaires sont véritablement mixtes, ce qui fait de cette institution l’une des rares à échapper à la logique confessionnelle.
Dans un pays en guerre, il est naturel que les chefs militaires jouent un rôle central. La tradition libanaise qui veut que les présidents soient issus des forces armées ne doit pas être jugée problématique, contrairement à ce que l’on pourrait penser dans d’autres contextes nationaux. Ces présidents agissent en garants de l’unité nationale, sans jamais outrepasser leurs prérogatives. On n’observe ni coups de force ni volonté manifeste de se maintenir au pouvoir au-delà de la durée fixée par la Constitution. Ils incarnent un pôle de stabilité, même si tout le reste demeure à bâtir.
En conclusion, la FINUL ne saurait être qualifiée d’impuissante, contrairement à certaines perceptions. Elle joue une fonction essentielle, bien que l’affaiblissement du droit international et la perte de crédibilité de l’ONU dans la région suscitent parfois des réactions ironiques à son égard, y compris au sein de la société libanaise. Les événements survenus en septembre 2024 viennent rappeler son rôle déterminant. Au moment du début de l’invasion israélienne dans le Sud, des tirs délibérés ont visé les bases de la FINUL, sans faire de victimes. Lorsque l’état-major a annoncé qu’il maintiendrait ses positions, les forces israéliennes ont immédiatement cessé leurs attaques, révélant ainsi que leur objectif initial consistait à provoquer le retrait de la FINUL. Le maintien de cette dernière sur place confirme l’importance stratégique de sa présence.
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. La coopération culturelle constitue effectivement un élément fondamental pour le Liban, la présence française agissant comme un rempart contre l'isolement intellectuel pour la jeunesse libanaise, confrontée également à un phénomène d'exode. Elle représente un vecteur de lien particulièrement puissant avec l'Europe, revêtant ainsi une importance capitale.
Je partage entièrement l'analyse d'Arnaud Le Gall concernant la question des visas. J'ai d'ailleurs, lors d'une rencontre avec le cabinet du ministre de l'intérieur, spécifiquement souligné la nécessité de réviser cette politique à l'égard des ressortissants libanais.
Concernant les forces armées libanaises, elles s'avèrent essentielles pour rééquilibrer le pays et briser le monopole des armes détenu par le Hezbollah, qui refuse de désarmer, tandis que des négociations se poursuivent avec les Américains pour réduire son influence. L'objectif consiste à faire des FAL des forces véritablement neutres, au service d'un État multiconfessionnel. Un émissaire américain se trouve actuellement au Liban pour traiter spécifiquement la question du désarmement du Hezbollah.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. La question des écoles constitue un point extrêmement important auquel tous les Libanais demeurent profondément attachés. Il est impératif de maintenir ces établissements et de poursuivre notre soutien, car les écoles anglo-saxonnes et américaines gagnent du terrain. Même si la proportion de Libanais francophones a nettement diminué par rapport à la situation d'il y a vingt ans, le maintien de notre culture et de notre langue au Liban représente un enjeu stratégique majeur pour la France. Nous ne devons absolument pas relâcher nos efforts dans ce domaine, d'autant que les Libanais expriment une réelle demande de soutien aux écoles françaises, conscients de l'érosion progressive de l'influence francophone face à la concurrence anglophone.
M. Pierre Pribetich, rapporteur. Je partage entièrement l'analyse de mes deux collègues concernant la politique des visas et appelle le ministère des affaires étrangères à reprendre la main sur cette question. Je tiens à ce que nous mettions particulièrement l'accent sur ce point, car cette prérogative, qui relève de notre diplomatie, ne peut relever exclusivement du ministère de l'intérieur.
Je constate ensuite que nous passons trop rapidement sur le fait que le Liban accueille 1,5 million de réfugiés syriens, ce qui représente 26 % de sa population totale de 5,733 millions d'habitants. Pour mettre cette situation en perspective, cela équivaudrait à accueillir 17,66 millions de réfugiés en France. Cette situation engendre des défis colossaux sur les plans économique, politique et sociétal, et il est donc essentiel d'accompagner la volonté libanaise de régulariser cette situation.
S'agissant enfin des forces armées libanaises, je suis convaincu que le désarmement effectif des milices, notamment du Hezbollah, passe nécessairement par le renforcement de l'armée nationale libanaise. Bien que professionnelle, celle-ci doit évoluer d'un statut intermittent à une force permanente et pleinement opérationnelle. Cette transformation constitue l'un des facteurs essentiels, parmi d'autres, d'une solution qui demeure multifactorielle et complexe.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous rappelle, concernant la question des visas, que le rapport que j'ai rédigé en 2023 avec Michèle Tabarot sur le renouveau des relations entre l’Afrique et la France préconisait clairement l'instauration d'une double compétence en la matière. Nous demandions, dans un premier temps et par souci de réalisme, que le ministère des affaires étrangères revienne au moins en cogestion sur ce dossier. Cette recommandation n'a malheureusement pas encore été suivie d'effet. Nous constatons quotidiennement des refus de visas opposés à des ressortissants de certains pays qui entretiennent pourtant des relations anciennes et riches avec la France.
Quant aux réfugiés syriens, il faut préciser que 70 % d'entre eux vivent dans des conditions extrêmement précaires et ne contribuent donc pas au développement économique du pays dans ces conditions.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Je tiens à vous remercier pour votre rapport de mission particulièrement riche. Vous avez remarquablement réussi à nous transmettre la substance de vos échanges. Comme vous l'affirmez avec justesse, le Liban se trouve effectivement à la croisée des chemins. Menacé au Sud par son voisin israélien, qui poursuit sa guerre génocidaire à Gaza, bombardé jusqu'au cœur même de sa capitale, le Liban fait preuve d'une résilience que la France a tout intérêt à soutenir activement. C'est précisément ce que vous avez démontré dans chacune de vos interventions sur les différentes thématiques abordées. La présence diplomatique française dans la région est également essentielle. Je pense notamment au renforcement des canaux diplomatiques avec la Syrie, qui témoigne d'une volonté réelle de la France de maintenir son engagement dans la région et même de revitaliser nos partenariats.
Je m'interroge en revanche, depuis le début, sur le silence global qui règne concernant les exactions attribuées aux nouveaux dirigeants syriens issus de mouvements djihadistes violents. Cette situation paraît contradictoire avec l'argument fréquemment avancé par Israël pour justifier ses comportements bellicistes au nom de sa sécurité. Manifestement, ces préoccupations ne semblent pas s'appliquer à la Syrie sous sa gouvernance actuelle. En tant qu'Insoumis, nous considérons que le non-alignement et le respect scrupuleux du droit international constituent des principes fondamentaux. C'est pourquoi nous adhérons particulièrement à votre proposition visant à ce que la France agisse pour que le Liban recouvre pleinement sa souveraineté, avec toutes ses composantes, y compris militaire. La coopération militaire française avec le Liban, notamment dans le domaine de la formation, est effectivement essentielle, tout comme une coopération s'inscrivant dans un cadre multilatéral pour la gestion de la crise des réfugiés syriens, qui constitue une urgence absolue.
Ma question est la suivante : quel est actuellement l'état des relations entre la Syrie et le Liban, et quelles peuvent être les conséquences de ces relations sur l'action d'Israël dans la région ?
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Je souhaite d’abord apporter une légère nuance dans l'expression utilisée. Pour ma part, je n'ai pas entendu dire, au Liban, que le Hezbollah refusait de rendre ses armes. La problématique concerne principalement les armes lourdes et les caches d'armes situées dans la partie Nord du pays. En revanche, dans la partie Sud, qui constitue la zone la plus sensible, le taux de désarmement est aujourd’hui estimé à plus de 80 %. Cette évolution traduit une acceptation de fait car, si le Hezbollah n'avait pas consenti à ce désarmement, les forces armées libanaises n'auraient pas pu le conduire sans le moindre accrochage. Il existe effectivement un discours selon lequel l'armée libanaise ne conserve pas pour elle-même les armes récupérées auprès du Hezbollah. Dans la plupart des cas, elle les détruit car elles seraient incompatibles avec son armement existant. Par conséquent, lorsque des armes lourdes sont récupérées du Hezbollah, elles ne sont même pas intégrées à l'arsenal de l'armée libanaise, alors même que celle-ci manque précisément d'armes lourdes et d'une force aérienne.
Nous revenons en définitive à la question centrale, qui consiste à déterminer jusqu’où il est possible d’aller sans obtenir la moindre garantie quant au respect des frontières au Sud. Ce que nous exigeons des Libanais revient en réalité à leur faire prendre un pari considérable. Cela reviendrait, pour nous, à accepter que des milices existent sur notre sol et à demander à notre armée nationale de les désarmer, sans qu’elle soit pour autant autorisée à défendre le territoire en cas d’agression extérieure. Même si cette exigence n’est pas formulée de manière explicite, elle est bel et bien présente dans des négociations profondément déséquilibrées.
Concernant la Syrie, je crois qu'un pari est en cours, qu’il ne faut pas interpréter sous un prisme purement idéologique, comme si les diplomaties occidentales étaient conciliantes envers des islamistes après avoir été intransigeantes avec Bachar al-Assad. Je précise que ce n'est pas ce que vous avez dit personnellement, mais c'est une lecture que l'on trouve dans certains segments de l'opinion et dans certains médias. Le pari consiste plutôt à miser sur la stabilité et sur le rétablissement du monopole de la force par le régime syrien, qui actuellement ne maîtrise pas certaines de ses milices, ce qui constitue un problème majeur.
S’agissant des relations entre le Liban et la Syrie, elles ont repris dans un contexte marqué par des défis communs, au sein duquel l’influence d’autres acteurs régionaux joue un rôle déterminant. Aucune avancée significative ne pourra être envisagée sans une implication active de l’Arabie saoudite dans ces deux pays. Aujourd’hui, les Libanais expriment une vive inquiétude face au développement, sans doute pour des raisons essentiellement économiques, de relations approfondies entre l’Arabie saoudite et la Syrie, sous l’égide des États-Unis, alors que les initiatives à l’égard du Liban demeurent bien plus limitées.
Le Liban apparaît sans doute comme le pays où les effets du « deux poids deux mesures » se manifestent de la façon la plus flagrante. Il s’agit d’un pays qui conjugue, de manière paradoxale, une critique appuyée de l’application à géométrie variable du droit international et une attente très forte vis-à-vis de la communauté internationale. Le Liban n’est pas un pays résigné mais un pays où, tout en dénonçant la sélectivité du droit international, on continue de croire profondément en la nécessité de son respect.
M. Karim Ben Cheikh (EcoS). Je ne partage pas votre analyse au sujet de l'accord de Taëf, que vous avez évoqué comme étant à l'origine de la répartition confessionnelle. Le pacte national qui établit la répartition confessionnelle date de 1943, tandis que l'accord de Taëf, qui est bien postérieur, rééquilibre certes les pouvoirs entre musulmans et chrétiens, mais place surtout le Liban sous contrôle syrien. C'est là sa véritable problématique.
Il convient de rappeler que le pacte de 1943 a été conclu avant même l'indépendance du Liban, sous mandat français. Nous avons donc nous-mêmes participé à la construction de ce système confessionnel, puis contribué à le réaffirmer lors des accords de Taëf. La difficulté majeure de ces accords réside dans l'organisation délibérée de la faiblesse de l'État. En affaiblissant la présidence chrétienne au profit du président du conseil des ministres sunnite sous prétexte de rééquilibrer les pouvoirs, nous avons poursuivi l'affaiblissement structurel de l'État libanais.
Vos interlocuteurs ont-ils évoqué cet affaiblissement organisé de l'État ? Il me semble en effet que, derrière cette fragilisation, se cache l'incapacité de l'État à assurer un minimum d'égalité sociale et à garantir des droits sociaux fondamentaux au Liban. Ces missions sont donc assumées par les confessions et leurs leaders respectifs, créant ainsi un désengagement étatique. Historiquement, nous observons une répartition, voire une prédation du budget de l'État au profit des différentes confessions, celles-ci devenant des intermédiaires chargés de redistribuer une part du budget à leur propre électorat confessionnel.
Vous avez justement souligné l'importance de poursuivre notre accompagnement des dynamiques dans les secteurs sociaux. Cette approche est effectivement essentielle pour reprendre l'initiative face au système confessionnel. La restauration de l'État par l'instauration de véritables droits sociaux a-t-elle été abordée lors de vos entretiens ? Vous a-t-on parlé du fait que chaque grand conflit libanais a été précédé de révoltes sociales ? Avant la guerre de 1975, le pays a connu les soulèvements sociaux des années 1970. Même la guerre de la montagne de 1860 fut précédée par les révoltes sociales dès 1858. Systématiquement, la réponse apportée a consisté à renforcer le pouvoir des confessions et à attiser les clivages interconfessionnels plutôt que de répondre aux revendications sociales légitimes. Les soulèvements libanais de 2019, de nature fondamentalement sociale, n'ont reçu aucune réponse satisfaisante. Existe-t-il des perspectives et des moyens de répondre à cette question sociale, sur laquelle s'est bâti le Hezbollah ainsi que d'autres formations politiques au Liban ?
M. Frédéric Petit (Dem). S’agissant des zones grises et de la question de l’impuissance, je souscris pleinement à l’analyse développée par Arnaud Le Gall. À mes yeux, la zone grise constitue l’exact opposé de ce que représente un point d’équilibre international. Nous sommes confrontés au Donbass, depuis 2014, à une situation de zone grise, particulièrement propice au déclenchement de conflits. Ce type de configuration profite systématiquement aux régimes autocratiques ou théocratiques. Concernant l’impuissance, mon propos portait sur les forces internationales, au Liban comme ailleurs, qui illustrent précisément l’affaiblissement du pouvoir politique interne.
Sur la question des visas, j’ai d’ores et déjà transmis au ministre une proposition de fond. Bien que techniquement complexe, ce sujet me semble devoir être traité avec la volonté de préserver certains dispositifs et de lever le blocage qui entrave actuellement notre diplomatie, en raison des tensions persistantes entre le ministère de l’intérieur et celui de des affaires étrangères. Il est essentiel d’aider ce dernier à mobiliser les outils adaptés pour sortir de cette impasse. Je présenterai prochainement cette proposition de manière concrète.
M. Karim Ben Cheikh (EcoS). Dans le prolongement de vos observations sur les visas, je souhaite apporter une précision concernant cette situation problématique, qui demeure relativement récente puisqu’elle trouve son origine dans la réforme ayant transféré la gestion des visas de court séjour au ministère de l’intérieur. Pour ma part, je défends depuis longtemps, aux côtés de plusieurs collègues, une répartition des compétences plus cohérente avec les missions respectives de chaque ministère.
Il serait en effet logique que les questions de mobilité et les visas de court séjour relèvent du ministère des affaires étrangères, tandis que les visas de long séjour continueraient à dépendre du ministère de l’intérieur, conformément aux domaines de compétence habituels. Or depuis ce transfert, le visa de court séjour, qui devrait constituer un outil de mobilité, est traité avant tout selon des considérations liées au séjour.
M. Pierre Pribetich, rapporteur. L'expertise professionnelle de notre collègue sur le Liban est reconnue. Nous n'avons pas eu la prétention d'approfondir tous les aspects historiques et, si j'ai mentionné l'accord de Taëf, c'est principalement pour sa dimension confessionnelle. Comme vous l’avez justement rappelé, cette organisation prévalait depuis bien plus longtemps.
Ce qui a été particulièrement souligné lors de nos entretiens, c'est la gravité de la crise bancaire. Vous évoquiez les crises sociales précédant les conflits majeurs et, actuellement, l'inflation atteignant 250 %, la perte de solvabilité et les inquiétudes découlant de cette crise bancaire constituent un facteur déstabilisant majeur pour la cohésion sociale. Plus qu'un État à renforcer, nos interlocuteurs ont insisté sur l'urgence de répondre à ces difficultés économiques catastrophiques qui préoccupent profondément la population libanaise.
M. Michel Guiniot (RN). Vous avez indiqué que l'aide internationale destinée aux réfugiés syriens entre parfois en contradiction avec les intérêts des Libanais eux-mêmes. Estimez-vous nécessaire de modifier notre approche concernant cette assistance aux populations concernées ? Avez-vous constaté, lors de votre déplacement, que des puissances étrangères continuent d'interférer dans le processus de stabilisation régionale ?
Mme Brigitte Klinkert, rapporteure. Il faut comprendre qu'un désarmement forcé et précipité du Hezbollah réactiverait des milices dormantes dans certains quartiers chrétiens et sunnites. Ces milices sont alimentées à la fois par la crainte de l'affaiblissement du Hezbollah, perçu comme un acteur stabilisateur, et par des discours de revanche politique. Les élections municipales d'avril dernier démontrent clairement le retour de figures communautaires, tandis que les rares tentatives de listes pluriconfessionnelles ont été marginalisées.
L’importance et l’action sur le terrain de l'Agence française de développement (AFD) sont par ailleurs considérables, comme le détaille en partie notre rapport. Sur le dossier des réfugiés syriens, la France doit poursuivre ses efforts pour faciliter une sortie de crise en aidant et en accompagnant le Liban dans ses négociations avec la Syrie, dans un cadre sécurisé et multilatéral, respectueux du droit international et en plaidant pour un partage plus équitable de la charge migratoire.
Mme Alexandra Masson, rapporteure. En réponse à Michel Guiniot, il existe effectivement un sentiment d'injustice chez certains Libanais en situation d'extrême précarité. Les réfugiés perçoivent des aides souvent importantes, parfois mal ciblées et insuffisamment coordonnées sur place. Les solutions à apporter résident principalement dans l'amélioration du ciblage et de la coordination locale.
Lors de tous nos entretiens, nous avons constaté que l'effondrement de l'État n'est pas considéré comme la priorité principale. La préoccupation majeure concerne l'effondrement bancaire, mentionné par tous nos interlocuteurs. Cette crise bancaire s'accompagne d'une problématique de corruption, entraînant un enrichissement encore plus marqué des plus fortunés, comme c'est souvent le cas dans les situations de conflit et d'effondrement économique. Cette situation est véritablement dramatique et revient constamment dans les discussions. La seconde préoccupation concerne les frontières. L’effondrement de l'État n’intervient qu'en troisième position dans l'ordre des priorités pour les Libanais. Nos interlocuteurs partagent nos analyses, mais leurs priorités s'articulent clairement dans cet ordre : d'abord la crise bancaire, ensuite les frontières et enfin la question des réfugiés.
M. Arnaud Le Gall, rapporteur. Je souhaite rebondir sur les propos de Karim Ben Cheikh concernant la faiblesse de l'État. Comme l'a souligné Alexandra Masson, les Libanais ne mentionnent pas l'effondrement de l'État car ils sont habitués à vivre sans sa présence. Cela ne signifie pas pour autant qu'un retour de l'État ne serait pas nécessaire pour résoudre certains problèmes fondamentaux.
Ce qui m'a particulièrement frappé au Liban, c'est l'omniprésence du secteur privé. Dans ma famille politique, nous affirmons souvent que lorsque tout est privatisé, les citoyens se retrouvent privés de tout. Sans nier que le secteur privé puisse répondre à certains besoins, dès qu'il s'agit du droit à la santé, des transports, de l'accès à l'énergie ou aux biens essentiels de la vie quotidienne, la situation au Liban devient intenable pour quiconque ne dispose pas de ressources financières conséquentes. Sans épargne en dollars placée à l'étranger, les citoyens se retrouvent totalement démunis.
Même les personnes qui occupaient auparavant des positions relativement confortables, comme les fonctionnaires ou les enseignants du secteur public, ne perçoivent plus que l'équivalent de 100 à 150 euros mensuels dans un pays où les coûts sont exorbitants. Pour illustrer ce propos, lors de notre séjour, nous avons dû contourner l'absence de réseau 4G par des abonnements alternatifs qui nous ont coûté 200 euros en seulement trois jours. Cet exemple démontre le coût démesuré de services essentiels pour des populations aux ressources désormais limitées.
Conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’issue des échanges, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information qui lui a été présenté sous la forme d’une communication des participants à ce déplacement.
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La séance est levée à 11 h 05.
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Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Alain David, M. Bruno Fuchs, M. Michel Guiniot, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, M. Xavier Lacombe, M. Arnaud Le Gall, Mme Alexandra Masson, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet
Excusés. - M. Hervé Berville, M. Éric Ciotti, M. Olivier Faure, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Pascale Got, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, M. Davy Rimane, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - M. Karim Ben Cheikh