Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 321) 2
– Présence en réunion...........................19
Mercredi
5 mars 2025
Séance de 9 heures 45
Compte rendu n° 088
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission procède à l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 321)
M. Éric Woerth (EPR). Un mot sur l’organisation de nos travaux. L’agenda de la commission des finances est entièrement occupé par les auditions organisées dans le cadre de son enquête sur les variations et les écarts des prévisions fiscales et budgétaires 2023-2024. L’objectif est probablement, in fine, de mettre en cause le pouvoir, mais force est de constater qu’on tourne en rond. Certes, notre commission examine, comme c’est son rôle, des textes de loi. Mais qu’en est-il de la préparation du projet de loi de finances pour 2026, des missions d’information sur les enjeux financiers considérables auxquels nous faisons face ou du Printemps de l’évaluation ?
M. le président Éric Coquerel. Le bureau qui se réunira mercredi prochain sera précisément consacré à la fixation de l’agenda de la commission, notamment celui du Printemps de l’évaluation et de certaines auditions.
Je rappelle tout de même que la discussion budgétaire – qui s’est étalée jusqu’au mois de février, ce qui n’est pas fréquent – a grandement perturbé l’agenda de notre commission. Quant à l’enquête que nous menons, même si vous estimez que nous y passons trop de temps, elle n’est pas inutile, puisque, hier, les réponses des ministres avaient un lien avec notre sujet.
Nous en venons à l’examen de la proposition de loi inscrite à notre ordre du jour.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La proposition de loi vise d’une part à garantir une meilleure protection du consommateur, d’autre part à lutter contre le sentiment d’arbitraire et d’impuissance que ne peut manquer de susciter la notification par la banque de la résiliation unilatérale d’une convention de compte.
L’absence de motivation donnée par les banques et, surtout, l’impossibilité pour le client lésé de réclamer des explications constituent une asymétrie de fait de la relation bancaire. Le législateur est donc fondé à intervenir pour rééquilibrer celle-ci au bénéfice de la partie au contrat la plus faible : celle qui se voit imposer un contrat d’adhésion sans pouvoir en négocier distinctement les clauses et qui, surtout, se trouve dans une situation de dépendance absolue à l’égard de l’établissement bancaire pour exercer des opérations de la vie courante.
La situation à laquelle la proposition de loi entend remédier concerne, et c’est heureux, un nombre très restreint de consommateurs. Combien exactement ? Il est malheureusement impossible de le déterminer : ni la Banque de France, ni l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ni l’administration de Bercy, ni même les associations de consommateurs n’ont été en mesure de me fournir des données précises.
Je n’ai pas besoin de vous exposer plus longuement les enjeux de protection des droits du consommateur qui s’attachent à une telle proposition de loi. Je dois cependant vous faire part des limites et des risques que mes travaux m’ont permis d’identifier, et qui me conduiront à défendre une réécriture du dispositif sans perdre de vue l’objectif légitime que nous partageons tous.
Tel qu’il a été amendé au Sénat, le texte fait peser des injonctions contradictoires sur les banques et porte atteinte à l’efficacité de leur coopération avec Tracfin dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En motivant la décision de résiliation dans tous les cas où celle-ci ne contrevient pas aux objectifs de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public, les banques s’exposent, dans ce dernier cas, à une forme de divulgation négative des soupçons portés sur leurs clients. En outre, l’interdiction de résilier un compte pour des motifs prédéfinis porterait une atteinte excessive à la liberté contractuelle alors qu’en matière commerciale, l’une des parties n’a pas à se justifier si elle ne trouve plus convenance à poursuivre la relation.
Ces griefs sont sérieux. Je crois cependant qu’une voie peut être trouvée pour rééquilibrer la relation contractuelle au bénéfice du consommateur sans exposer le texte que vous voterez à une censure pour inconstitutionnalité.
Le dispositif que je proposerai établit un triple niveau de protection pour les clients des banques et apporte donc des garanties bien plus substantielles que la seule information des motifs de la résiliation, qui était, je le rappelle, l’unique objet de la proposition de loi initiale.
D’une part, il encadre les conditions dans lesquelles une banque est fondée à résilier une convention de compte, en excluant les considérations liées à la seule absence de rentabilité individuelle du client ou à la lourdeur administrative de la gestion de certains profils de clients, en particulier les personnes politiquement exposées. D’autre part, il impose aux banques, dès la notification de la résiliation à leur client, de mentionner la possibilité pour ce dernier de saisir le médiateur de l’établissement pour vérifier que la résiliation intervient bien pour un motif légitime et pour recevoir des explications sur les motifs de la résiliation. Enfin, en ayant pour effet de proroger automatiquement le préavis de deux mois, la saisine du médiateur permet au client lésé de bénéficier d’un délai supplémentaire pour faire face aux conséquences de la résiliation.
La proposition de loi porte sur des enjeux importants, mais elle risque d’être inapplicable si l’Assemblée nationale ne veille pas à renforcer la sécurité juridique de son dispositif. La réécriture que je propose, par le rôle donné au médiateur et au dialogue qui s’établit avec le client, permettra également, et ce n’est pas accessoire, de réhumaniser la relation bancaire et de lutter ainsi efficacement contre le sentiment d’arbitraire tout en instituant une véritable voie de recours à même d’inciter les banques à renforcer les bonnes pratiques et à toujours prendre en compte l’intérêt du client.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La fermeture unilatérale d’un compte bancaire peut avoir des conséquences lourdes pour les personnes concernées ; il est anormal qu’une banque puisse mettre fin à une relation bancaire sans explication.
La proposition de loi introduit davantage de transparence et d’équilibre dans la relation entre les banques et leurs clients en imposant aux établissements de motiver toute décision de fermeture de compte dans un délai de quinze jours ouvrés. Elle permet ainsi aux usagers de mieux comprendre les raisons de leur exclusion et de prendre les mesures nécessaires pour y remédier, voire de saisir la justice ou le médiateur.
Le texte vise en outre à limiter les fermetures de compte en interdisant les motifs liés à l’absence de rentabilité, au refus d’une modification de convention bancaire ou à des retraits jugés trop importants. Il tend par ailleurs à allonger le délai de préavis pour les Français de l’étranger afin de leur donner le temps de trouver une solution alternative, mais ce régime dérogatoire ne me semble pas justifié.
Nos inquiétudes concernent la liberté contractuelle, l’augmentation des contentieux et l’articulation du dispositif avec les moyens de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Notons que le texte n’empêche pas les banques de résilier un contrat lorsqu’elles l’estiment nécessaire. Une information claire pourrait réduire les contestations de la clientèle. Il appartient aux autorités compétentes de veiller à ce que le dispositif ne mette pas en péril nos moyens de protection contre les réseaux dangereux.
La proposition de loi va dans le bon sens et s’inscrit dans la droite ligne de l’action de notre commission en matière de lutte contre l’exclusion bancaire et de plafonnement des frais bancaires. Le groupe LIOT lui apportera son soutien, sous réserve du sort que connaîtront les amendements de M. le rapporteur.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Bruno Clavet (RN). Sans compte en banque, il est impossible de percevoir un salaire, de payer un loyer, de régler ses factures ou de faire fonctionner une entreprise ou une association. Pourtant, une banque peut fermer un compte unilatéralement, sans justification ni recours possible. Cette décision brutale peut frapper un particulier ou une entreprise, mais aussi des élus locaux, voire des militants, et leurs conjoints, dont certains sont véritablement persécutés par les banques. En cela, cette pratique constitue une entrave grave à l’exercice de la démocratie. Aucune autre entité privée ou publique ne bénéficie d’un tel pouvoir !
Parce que la proposition de loi est un premier pas dans la lutte contre la fermeture abusive de comptes bancaires, le groupe Rassemblement national soutient les mesures de transparence qu’elle comporte. Toutefois, le texte pourrait aller plus loin, par exemple en sanctionnant financièrement les banques qui fermeraient de manière unilatérale et abusive un compte bancaire ou en imposant une contribution des banques privées au financement de la mission d’accessibilité bancaire de la Banque postale.
Au-delà des fermetures arbitraires de comptes, le rapport de force entre les banques et leurs clients est profondément déséquilibré. Ainsi, les frais bancaires, qui explosent, n’ont parfois aucune justification. Socialistes et macronistes nous promettent depuis 2013 de s’y attaquer, mais ils n’ont pas eu le courage d’aller jusqu’au bout. Les découverts sont toujours surfacturés alors que les établissements bancaires bénéficient d’une rentabilité record. En 2023, les frais liés aux incidents bancaires ont produit un revenu d’environ 7 milliards d’euros pour les banques françaises.
Le Rassemblement national souhaite mettre fin à ces pratiques abusives en instaurant des plafonds clairs, encadrés par la Banque de France, qui prennent en compte l’inflation et la réalité économique des Français. Nous voulons établir un équilibre entre les banques et leurs clients pour que le système bancaire soit un outil au service de l’économie réelle.
M. David Amiel (EPR). Nous souscrivons, bien entendu, à l’objectif de la proposition de loi. Toutefois, il ne faudrait pas que le dispositif visant à protéger les consommateurs ait pour effet d’informer ceux d’entre eux qui sont soupçonnés de blanchiment ou de financement du terrorisme des procédures judiciaires dont ils font l’objet. Or c’est le risque que comporte l’article 2, puisqu’il vise à imposer aux banques de justifier la fermeture d’un compte sauf dans ces deux hypothèses. C’est pourquoi les amendements déposés par le rapporteur nous semblent essentiels.
Quant à l’article 1er, je me range aux arguments du rapporteur et du rapporteur général : la dérogation prévue pour ceux de nos concitoyens qui vivent à l’étranger ne nous paraît ni justifiée ni conforme à la réglementation européenne.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Il est temps de mettre fin au régime des banquiers. Certes, la proposition de loi ne suffira pas à supprimer tous les abus des banques, qui sélectionnent leurs clients de manière discrétionnaire, s’engraissent sur le dos des plus pauvres, fraudent le fisc ou multiplient les investissements polluants. Mais c’est mieux que rien.
Avoir accès à un service bancaire est un droit. Pourtant, de trop nombreuses banques ferment des comptes bancaires sans avoir à se justifier. Les pauvres, dehors ! Pardon, il faut dire que « le profil du client est trop à risque » – comprenez : il ne rapporte pas suffisamment d’argent. C’est le régime du fric et de l’arbitraire !
Or, comment est-il possible de vivre, ne serait-ce que quelques jours, sans compte bancaire ? Pas de salaire, pas de pension de retraite, pas de remboursement des frais médicaux, pas de possibilité de payer son loyer…
Si seulement cet abus était le seul ! Mais les frais bancaires ont augmenté de 14 % en cinq ans et seront, cette année encore, en hausse de 5 %. Dans un pays où les gens galèrent pour manger, la possibilité qu’ont les banques de lever cette espèce d’impôt privé est un pur scandale. Les frais d’intervention ou de prélèvement qui frappent les Français les plus précaires ne sont rien d’autre que du racket. Ainsi, chaque année, 6,5 milliards d’euros sont pris à 8 millions de Français. Est-il nécessaire de rappeler qu’en 2024 les cinq plus grands groupes bancaires français ont réalisé 32,2 milliards de profits ?
Nous voterons probablement pour la proposition de loi pour qu’à tout le moins, les banques rendent des comptes à leurs clients et que cessent les fermetures abusives. Toutefois, il est urgent d’encadrer davantage les pratiques bancaires.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). La proposition de loi est une pierre supplémentaire dans l’édifice d’un meilleur encadrement des pratiques des groupes bancaires. À ce propos, nous nous réjouissons que des textes tels que ceux visant à mettre fin à la fraude dite du CumCum, pratiquée par les banques, ou à encadrer les frais bancaires prélevés sur les successions aient fait l’unanimité, même si le premier, sur lequel le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer, reste à la merci des pressions exercées par les lobbys sur le gouvernement et que le second n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Les banques se rémunèrent deux fois grâce à nos dépôts : en prélevant des frais sur nos comptes et en utilisant notre argent comme ressource pour leurs opérations financières. Dès lors, si, pour protéger les plus précaires, nous encadrons très légèrement et les clôtures de compte et les frais bancaires, nous n’affecterons qu’une toute petite partie de leurs revenus.
S’agissant de la proposition de loi, le groupe Socialistes et apparentés sera attentif à trois éléments. Premièrement, le texte doit être conçu pour protéger d’abord nos concitoyens les plus vulnérables et non uniquement les personnes politiquement exposées. Deuxièmement, il ne doit pas être détricoté au prétexte de la concurrence à laquelle sont soumises les banques françaises, car le risque que leurs clients fuient à l’étranger est faible, voire nul. Enfin, nous formons le vœu que les complexités techniques liées à des cas exceptionnels – notamment dans le cadre des signalements à Tracfin – soient appréhendées avec rigueur mais sans remettre en cause l’objectif du texte, qui est de protéger les plus vulnérables contre les abus de certains groupes bancaires.
M. Philippe Juvin (DR). Si l’objet de la proposition de loi est louable, celle-ci suscite des interrogations : quelle est l’ampleur du phénomène ? Notre droit ne comporte-t-il pas déjà des protections ? Par ailleurs, sur le fond, le texte ne semble pas opérant. C’est pourquoi nous sommes très intéressés par les amendements déposés par le rapporteur, dont nous attendons des éclaircissements.
Cela étant dit, pendant que nous passons des heures à débattre de textes relatifs à la vie quotidienne et à peaufiner des détails qui sont quasiment d’ordre réglementaire, l’histoire s’accélère. Lutte contre le frelon asiatique, accès au travail des demandeurs d’asile, fermeture des comptes en banque… : ce n’est pas en réglant au millimètre chaque norme du quotidien que nous protégerons nos concitoyens. Compte tenu des événements mondiaux auxquels nous assistons, la commission des finances ne devrait-elle pas plutôt s’interroger sur les conditions de la sauvegarde du pays ? La première condition du réarmement, sur la nécessité duquel tout le monde s’accorde, est la baisse de la dépense publique et de la dette en vue d’une réallocation des ressources.
M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas le moyen de contrôler les propositions de loi examinées par notre commission, et je ne le revendique pas, du reste.
M. Tristan Lahais (EcoS). Je suis d’accord à la fois avec la dernière remarque de M. Juvin et avec l’explication de M. le président.
En permettant de corriger une asymétrie qui profite aux banques et d’instaurer des règles de transparence, la proposition de loi marque une première avancée. La fermeture discrétionnaire des comptes permet surtout aux banques de se défaire, sans avoir à se justifier, de comptes fragiles ou qui n’offrent qu’une rentabilité faible. Ce faisant, elles plongent les clients concernés dans une situation de détresse et alourdissent la tâche des établissements chargés d’une mission de service public auprès des clients exclus du système bancaire, en particulier la Banque postale.
Dans sa version initiale, le texte ne prévoyait qu’un simple droit à l’information. Grâce au travail des groupes de gauche du Sénat, il nous arrive enrichi de dispositions qui permettront de lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires. Nous regrettons néanmoins que la proposition de loi ne s’inscrive pas dans une démarche plus large de régulation du secteur bancaire. Il est en effet indispensable de lutter contre la cherté des services financiers, la France étant un des pays d’Europe où les frais bancaires sont le plus élevés.
Nous soutiendrons la proposition de loi ainsi que l’ensemble des amendements qui vont dans le sens d’une meilleure régulation et d’une plus grande inclusion.
Mme Marina Ferrari (Dem). Une banque peut décider unilatéralement de fermer le compte d’un client à tout moment, en respectant un préavis de deux mois. Elle n’est pas tenue de justifier sa décision, ce qui expose le client à une forme d’arbitraire et peut susciter son incompréhension. Les associations de consommateurs confirment du reste que les fermetures de compte sont souvent mal comprises et peuvent, dans certains cas, donner lieu à des abus. Hélas, nous ne disposons pas de données chiffrées dans ce domaine.
Nos collègues sénateurs ont construit un dispositif à deux étages, qui est au cœur de l’article 2. Il s’agit, d’une part, d’obliger les banques à fournir de manière automatique le motif de la résiliation, sauf si cela contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public, d’autre part, d’introduire trois motifs d’interdiction de résiliation.
Bien que louable, ce texte présente des risques sérieux d’insécurité juridique sans remplir parfaitement son objectif initial. En effet, l’obligation de justification pourrait conduire à une forme de divulgation négative de leur situation aux clients qui ont fait l’objet d’une déclaration de soupçons auprès de Tracfin. Par ailleurs, en interdisant la résiliation si elle résulte du refus par le client d’une modification de la convention, on porterait une atteinte excessive à la liberté contractuelle.
Face à ces difficultés, le rapporteur nous propose une solution équilibrée, que nous soutiendrons. Elle consiste à qualifier précisément ce qui constitue une fermeture de compte abusive tout en offrant la possibilité au client qui pense subir une décision arbitraire de saisir le médiateur de l’établissement bancaire pour vérifier que son compte n’a pas été fermé de manière illégitime. Si ces amendements sont adoptés, nous soutiendrons le texte.
Mme Félicie Gérard (HOR). S’il est intéressant et légitime de vouloir renforcer la transparence et l’information des clients en cas de résiliation d’un compte par une banque, la proposition de loi comporte de nombreuses limites.
Tout d’abord, elle aurait des conséquences sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les banques jouent un rôle crucial dans ce combat et leur capacité à fermer un compte suspect sans en révéler la raison est une pierre angulaire de notre dispositif de renseignement financier.
Avant d’agir, il est indispensable d’objectiver la situation. Les résiliations de comptes de dépôt par les banques ne sont pas encore documentées, de sorte qu’il n’est pas possible de distinguer ce qui relève de la politique de gestion du risque ou de la politique commerciale ni d’apprécier l’ampleur du phénomène.
Nous appelons donc à la prudence. L’amélioration de l’information des clients est un enjeu essentiel, mais elle ne doit pas se faire au détriment des principes de droit ou de l’efficacité de nos dispositifs de lutte contre la fraude et le terrorisme. Les députés Horizons et indépendants détermineront donc leur vote en fonction de l’issue de nos débats. J’ajoute que je souscris aux propos de Philippe Juvin.
M. Nicolas Sansu (GDR). La lutte contre les fermetures abusives de comptes bancaires est un enjeu majeur pour la protection de nos concitoyens les plus fragiles. La proposition de loi a été grandement améliorée par le Sénat, qui a décidé que c’est à la banque qu’incombe l’initiative de motiver la décision de fermer le compte, dispensant ainsi le titulaire du compte de demander à celle-ci des explications. Si nous revenions sur cette mesure, le texte serait largement privé de son efficacité.
Puisque certains invoquent l’efficacité de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, je souhaiterais savoir quelle est la part des fermetures de comptes qui obéissent à ces motifs. Au demeurant, les clients concernés pourraient, en tout état de cause, saisir le médiateur, lequel ne pourrait pas non plus les informer des raisons de la fermeture de leur compte. Le résultat serait donc le même.
Si nous restons le plus près possible du texte du Sénat, le groupe GDR votera la proposition de loi avec enthousiasme.
M. le président Éric Coquerel. Je souhaite réagir à la remarque de M. Juvin sur l'absence de débat sur les grandes questions telles que la dette. Nous pourrions les aborder plus facilement si nous votions le budget et allions au bout du processus d’examen des amendements. Malheureusement, pour les raisons que nous connaissons, nous sommes privés de ce débat depuis 2022.
Je suis convaincu que vous connaissez tous le sujet de la fermeture abusive de comptes bancaires, ne serait-ce qu'en tant que personne politiquement exposée (PPE). Vos enfants, petits-enfants ou associés peuvent être touchés par des fermetures injustifiées. C'est un problème quotidien pour des millions de citoyens et d'entreprises. J'en ai moi-même fait l'expérience en entreprise et je sais que les conséquences peuvent être lourdes.
Je salue donc cette proposition de loi et partage ses objectifs. Je ferai cependant les mêmes remarques que M. Amiel. Il faut bien sûr rester vigilant sur les risques liés à des opérations illicites pouvant être surveillées par Tracfin. La Banque de France nous a d’ailleurs alertés à ce sujet. Il nous faut toutefois prendre garde à ne pas laisser les banques fermer des comptes sans justification ni risque.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Nous ne disposons pas de statistiques sur les fermetures, notamment celles qui ont un lien avec Tracfin. Par ailleurs, monsieur Juvin, nous sommes lucides et distinguons bien l’essentiel de l’accessoire.
Je suis convaincu que ce texte, qui s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de nos travaux, est utile et nécessaire. Pour autant il n’est pas parfait et c’est afin qu’il soit efficace que je propose de réécrire l’article 2.
À l’heure de l’intelligence artificielle, nous souhaitons introduire une dimension humaine dans le processus en impliquant un médiateur et éviter les réponses automatiques, d’autant que bien souvent, lors de l’ouverture du compte, les contrats d'adhésion sont signés sans que toutes les clauses en aient été consultées.
Le texte a été enrichi au Sénat, notamment par le groupe Écologiste, le groupe Communiste ayant posé des bornes. Pour ma part, je propose que le médiateur vérifie que la fermeture n'est pas liée à la qualité du client, qu'il soit peu rentable ou politiquement exposé – cela nous concerne directement mais il ne s’agit évidemment pas de rédiger un texte sur mesure. Je propose aussi que le médiateur examine les effets collatéraux de la fermeture sur d'autres relations contractuelles du client avec la banque.
S’il n'y a pas lieu de modifier les délais en fonction de la situation géographique, raison pour laquelle je m’opposerai aux amendements à ce propos, la saisine du médiateur porterait le délai de deux à trois mois, ce qui laisserait plus de temps aux clients pour se retourner.
Si je comprends le souhait d’un vote conforme, il me semble néanmoins nécessaire de le réécrire afin de sécuriser le dispositif.
Article 1er
Amendement de suppression CF24 de M. Jean-Paul Mattei
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. En cohérence avec mon amendement de réécriture de l’article 2 et toujours dans un souci d’efficacité, je propose de supprimer cet article qui a été ajouté par le Sénat et qui présente un risque d'incompatibilité avec les règles européennes, qui fixent un délai de deux mois.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous luttons tous contre les surtranspositions, en voici un excellent exemple.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Je partage l'objectif de M. Mattei de ne pas créer de distinction entre les clients selon leur lieu de résidence. Je préférerais toutefois porter le délai à quatre mois pour tous. Protéger le consommateur est une forme de surtransposition positive.
M. Tristan Lahais (EcoS). Les règles doivent effectivement être les mêmes pour tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Nous voterons contre l’amendement de suppression et soutiendrons les amendements identiques qui suivent.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Les règles européennes prévoient un délai de deux mois et non de quatre et il faut prendre garde au risque de surtransposition. Je suis conscient que l’adoption de l’amendement ferait tomber ceux qui prévoient d’allonger le délai pour tous, mais je rappelle que mon amendement de réécriture de l’article 2 permettrait qu’il aille jusqu’à trois mois.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF22 de M. Tristan Lahais
M. Tristan Lahais (EcoS). Il propose d’étendre le délai de deux à quatre mois pour les personnes résidant à l'étranger, mais je le retire au profit des amendements identiques suivants.
L’amendement est retiré.
Amendements identiques CF13 de Mme Christine Pirès Beaune et CF15 de M. Nicolas Sansu et sous-amendement CF26 de M. Tristan Lahais
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Tous les titulaires d’un compte bancaire doivent être traités de la même manière, quel que soit leur lieu de résidence. Il faut un délai de préavis de quatre mois pour tous, car deux mois sont insuffisants pour les personnes vulnérables celles qui m’intéressent le plus, même si, initialement, le texte concernait les personnes politiquement exposées et faisait suite au problème rencontré par Philippe Folliot.
Je déplore le manque d'informations sur les comptes clôturés, notamment en lien avec le blanchiment, ce qui nous oblige à légiférer à l'aveugle.
M. Tristan Lahais (EcoS). Le sous-amendement propose d’introduire la possibilité de prolonger le délai par arrêté du ministre de l’économie.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’allongement des délais constituerait une surtransposition de la directive européenne sur les services de paiement, qui prévoit un délai minimal de deux mois. Cette extension n'est pas justifiée. De plus, en cas de dysfonctionnement lié à des comportements suspects, permettre à un compte de fonctionner deux mois de plus présenterait un risque important en termes de réactivité et de prévention.
La réécriture de l’article 2 laisse le temps, notamment aux personnes vulnérables, de comprendre, avec l’aide du médiateur, pourquoi le compte a été fermé.
Avis défavorable aux amendements identiques et au sous-amendement.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je souligne que le manque d'informations est dû au lobby bancaire, qui cherche à préserver ce privilège exorbitant contre lequel nous devons fermement lutter.
Nous soutenons les amendements et le sous-amendement. En effet, compte tenu des difficultés rencontrées pour transférer un compte, y compris pour les personnes disposant de moyens et même lorsque la Banque de France intervient pour faire valoir le droit au compte bancaire, un délai de quatre mois est un minimum pour que les choses se passent dans de bonnes conditions et que le client ne subisse pas les conditions exigées par la banque vers laquelle le compte est transféré.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Si nous n'adoptons pas ces amendements, nous maintiendrons une discrimination totalement illégitime selon le lieu de résidence.
Mme Marina Ferrari (Dem). Ces amendements fragilisent le texte par rapport à la réglementation européenne : une surtransposition positive reste une surtransposition.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je comprends l'argument de l'allongement du délai, mais je crains que cela ne crée une insécurité juridique. L'échange avec un médiateur me semble plus efficace et il pourrait porter le délai jusqu’à cinq mois.
J'espère que nous parviendrons à une rédaction plus stable lors du débat en séance publique.
La commission adopte le sous-amendement et rejette les amendements identiques.
Elle rejette l’article 1er.
Article 2
Amendement de suppression CF9 de M. Daniel Labaronne
M. Daniel Labaronne (EPR). L'article 2 contient une disposition curieuse puisqu’il prévoit que les banques doivent justifier la fermeture d'un compte auprès de tous les clients, sauf les terroristes et les blanchisseurs d’argent à qui cela revient à envoyer un message très clair : « On ne vous informe pas, car vous avez été repérés. »
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je vous invite à examiner ma proposition de réécriture, qui prend en compte ces imperfections et propose un dispositif plus équilibré, avec un médiateur qui pourra donner des explications.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. David Guiraud (LFI-NFP). Un terroriste dont le compte est fermé se doutera qu'il est soupçonné, avec ou sans cette loi.
M. Daniel Labaronne (EPR). Je maintiens ma position. La rédaction actuelle de l'article 2 affaiblit l'action contre le blanchiment et le financement du terrorisme
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF23 de M. Jean-Paul Mattei
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Tel qu’il a été adopté au Sénat, l’article 2 présente des risques sérieux d’insécurité juridique et ne répond pas totalement au souci de concilier la motivation systématique par la banque qui procède à la résiliation et les obligations qui lui incombent au titre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
En effet, la motivation systématique, sauf si celle-ci « contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public », conduira à une forme de divulgation passive de la part des banques des soupçons qui pèsent sur leur client, lorsque celui-ci ne se voit notifier aucun motif de résiliation.
D’autre part, les amendements adoptés par la chambre haute, en interdisant strictement certains motifs de résiliation, portent une atteinte excessive à la liberté contractuelle. La convention de compte est un contrat intuitu personae, le cocontractant doit toujours pouvoir mettre fin à la relation s’il n’y a plus convenance.
Je propose donc de réécrire le dispositif afin d’imposer aux établissements de crédit, dès la notification à leur client de la résiliation de la convention de compte, de mentionner la possibilité pour ce dernier de saisir le médiateur de l’établissement, mis en place conformément à l’article L. 316‑1 du code monétaire et financier et agissant sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans l’intérêt du consommateur. La saisine du médiateur, qui doit rendre sa décision sous un mois, proroge le préavis de deux mois déjà prévu. Le rôle du médiateur consisterait alors à s’assurer que la résiliation intervient pour un « motif légitime », sans qu’il soit tenu, eu égard aux exigences de confidentialité précédemment évoquées, d’en révéler le motif précis.
Naturellement, il appartient au législateur de caractériser ce motif légitime et je propose de regarder comme abusive une résiliation dont le seul motif serait soit l’absence de rentabilité du compte, soit les lourdeurs administratives de la gestion de certains profils de clients, en particulier les Français de l’étranger et les personnes politiquement exposées et leurs proches, pour lesquels les procédures de due diligence peuvent être perçues par les banques comme excessivement contraignantes.
Ma proposition étend également le dispositif aux établissements de paiement.
M. Daniel Labaronne (EPR). Comment apprécier le caractère abusif au motif de l’absence de rentabilité liée aux caractéristiques individuelles du client alors qu’un grand nombre d’établissements, comme La Banque postale, ne prennent pas en compte cette rentabilité dans la gestion des comptes ?
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous voterons contre cet amendement car il fait dans la demi-mesure et ajoute des procédures et des embêtements. Cette pratique bancaire est illégitime et exorbitante du droit commun ; elle doit cesser. Les banques doivent arrêter de demander toujours plus de privilèges et de considérer qu’elles n’ont pas à se comporter comme des entreprises commerciales normales. Il faut protéger les consommateurs, les entreprises, les associations et les élus. Les banques n’ont qu’à faire leur travail plutôt que de dépenser un temps précieux en lobbying. Je m’étonne que, pour une loi prétendument anecdotique et sans incidence, tout le monde ait l’air à cran, s’excite, demande le recomptage des votes et mette en cause notre administration !
M. Charles de Courson, rapporteur général. Nul ne sait vraiment ce qu’est la rentabilité d’un compte – ceux qui, comme moi, se sont intéressés à la comptabilité analytique bancaire le reconnaissent, de même que les banquiers. Un client ne se résume pas à son compte ; il peut avoir souscrit des prêts ou des placements qui font gagner beaucoup d’argent à la banque. La rentabilité doit être appréciée de façon globale, selon qu’elle est immédiate, différée, etc.
La fermeture d’un compte peut avoir de nombreuses conséquences ; elle n’entraîne pas la résiliation du prêt immobilier détenu par le même client, entre autres exemples.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Pour expliquer que les banques sont incapables d’estimer la rentabilité des clients, M. Labaronne cite l’exemple de La Banque postale, qui a pour mission de service public d’ouvrir un compte à tout demandeur. Par définition, elle n’a pas une logique de rentabilité ! À côté de cela, certaines banques ou institutions financières, qui n’ont pas nécessairement pignon sur rue, n’acceptent des clients qu’à partir d’un certain niveau de revenus ou de patrimoine. Ne me dites pas qu’elles ne savent pas calculer leur rentabilité ! C’est évidemment faux et cela crée un risque de discrimination, d’où cette proposition de loi.
M. David Amiel (EPR). Il faut certes protéger les consommateurs et les entreprises en exigeant que les fermetures de comptes soient justifiées, mais il faut aussi préserver la capacité de Tracfin de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment. L’amendement du rapporteur vise à concilier ces deux objectifs ; je vois mal comment on peut s’y opposer.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La rédaction que je vous soumets me paraît la seule qui n’encoure pas la censure du Conseil constitutionnel et qui offre un dispositif efficace à tous nos concitoyens. Dans la mesure où les banques exercent une forme de monopole – et donc une mission de service public –, elles doivent être encadrées. Un décret en Conseil d’État précisera les modalités selon lesquelles le médiateur vérifiera qu’un conseiller n’a pas fermé un compte de manière discrétionnaire pour sa trop faible rentabilité.
La liberté contractuelle existe bel et bien, monsieur Tanguy, mais nous l’encadrons. Le médiateur prendra plus largement connaissance des pratiques commerciales de la banque ; je proposerai dans mon amendement CF25 que la Banque de France dresse un bilan des litiges afin d’identifier les établissements qui ne remplissent pas leur mission de service public.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF10 de M. Daniel Labaronne
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Compte tenu du dernier vote, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée. La mesure proposée a une faible portée ; elle n’ouvre aucun droit pour le client et le laisse en proie au sentiment d’arbitraire.
M. Daniel Labaronne (EPR). J’ai du mal à comprendre et j’avoue mon désarroi intellectuel. Avez-vous bien lu la proposition de loi issue du Sénat ? Elle a pour conséquence explicite qu’une personne qui blanchit de l’argent saura immédiatement qu’elle est repérée. Je ne fais là aucune interprétation : c’est dans le texte. Le législateur ne peut que s’en étonner.
Le médiateur était une solution de compromis qui permettait d’éviter ce travers, mais vous ne l’avez même pas votée. Puisque je n’ai pas réussi à vous convaincre, j’aborderai le sujet sous un autre angle : la théorie des contrats. Toutes nos relations économiques reposent sur la contractualisation, qu’elle soit privée ou publique. Adopter les dispositions du Sénat, ce serait aller à l’encontre de toutes les règles qui régissent l’économie des contrats. J’en conclus que vous êtes contre cette forme d’économie de marché qui repose sur la notion de contrat.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec vous qu’on n’a pas compris vos arguments, qu’on n’a pas lu le texte et qu’on est intellectuellement incompétent.
Votre argument des contrats ne tient pas. Le lobby bancaire se comporte en oligarque : ils s’entendent entre eux, ont les mêmes conventions, les mêmes produits, les mêmes comportements. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas besoin du service public de La Banque postale, et les contribuables n’auraient pas à le financer à hauteur de centaines de millions d’euros !
Si vous voulez être cohérent, supprimez le service public de La Banque postale et obligez les banques à adopter un comportement juste. Quand vous êtes au RSA et que la Société générale vous vire, vous n’êtes pas à égalité contractuelle avec elle ! C’est à la tête du client. Un épicier n’a pas le droit de refuser de vendre une bouteille d’eau à quelqu’un qui lui paraît louche. Les banques, elles, ont le droit de virer un client dont la tête ne leur revient pas : voilà la réalité du droit bancaire. C’est inacceptable, et cela n’a rien à voir avec le droit des contrats. Le lobby bancaire considère qu’il n’a pas les mêmes droits et devoirs que les autres ; cela le dérange visiblement de devoir respecter les Français quels que soient leur niveau de revenus et leur statut.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Lorsque j’étais trésorier d’un parti, j’ai reçu une lettre, un beau matin, m’informant sans autre explication que notre compte était fermé. J’ai dû appeler le président de la banque pour apprendre qu’il ne voulait plus de parti politique parmi ses clients. Ce n’est pas normal. Qu’une banque soit obligée de justifier la résiliation d’un compte, c’est le minimum, ne serait-ce que pour que le client puisse se défendre – la théorie des contrats prévoit bien que quand votre contrat est rompu unilatéralement, vous avez le droit de vous défendre. On ne va tout de même pas demander à la justice d’obtenir une explication ! Exiger que les décisions soient motivées, ce n’est pas défendre une théorie anticontractuelle, c’est tout simplement normal.
M. Gérault Verny (UDR). Toute relation commerciale doit être équilibrée. Avec les banques toutefois, la relation est profondément déséquilibrée – sauf quand le client s’appelle LVMH ou TotalEnergies. La capacité des banques à fermer le compte d’un simple usager sans justification pose un problème de liberté et contrevient au droit d’avoir un compte bancaire. Il n’est pas si contraignant pour une banque de se justifier ; notez aussi qu’en général, il n’y a aucune voie de recours.
J’ajoute que les banques n’ont pas à faire la police en fermant des comptes pour suspicion de blanchiment ou de financement du terrorisme. C’est le rôle de la justice. La loi a un côté quelque peu totalitaire quand elle permet aux banques de résilier n’importe quel compte en se réfugiant derrière cet argument fallacieux.
M. le président Éric Coquerel. Le problème est d’autant plus grave qu’il est obligatoire d’avoir un compte en banque. Quand vous brandissez l’argument de Tracfin, j’ai l’impression que vous tuez une mouche sur une vitre avec un marteau : vous n’en mesurez pas les conséquences. Chacun d’entre nous a eu connaissance, de près ou de loin, de fermetures de comptes qui mettaient en danger la vie privée ou celle d’une entreprise. Le problème est massif, et nous ne devons pas l’entretenir au nom de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces arguments ne sauraient justifier le comportement insupportable des banques. Si quelqu’un est recherché pour terrorisme, la législation permet de fermer son compte sans pénaliser tous les autres.
M. Daniel Labaronne (EPR). Il n’y a pas d’arbitraire, et tout est bien encadré par le code civil : je vous renvoie aux articles 1102 sur la liberté contractuelle de la banque, 1210 sur la prohibition des engagements perpétuels et 1211 sur les délais de préavis.
La lutte contre le financement du terrorisme est elle aussi encadrée par la loi en vigueur, mais le dispositif proposé introduirait de la dérégulation. Votre argument vaut dans le dispositif existant, monsieur le président, mais il ne vaudra plus dans celui qui pourrait être voté.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CF1 de M. Aurélien Le Coq et CF12 de Mme Christine Pirès Beaune (discussion commune)
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Nous voulons imposer aux banques de motiver automatiquement les fermetures unilatérales de comptes, sans que les clients aient à le demander. Le droit de solliciter une explication ne suffit pas, car nombre de nos concitoyens ne l’exerceront pas – il n’y a qu’à voir combien le non-recours aux droits est important dans notre pays. De plus, les procédures de demande de justification seront très probablement dématérialisées, ce qui exclura près d’un cinquième de notre population touchée par l’illectronisme.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Nous demandons aussi que les résiliations de comptes soient systématiquement motivées. Si nous sommes opposés au recours au médiateur, c’est parce qu’une infime minorité de clients lésés s’en saisiront. Nous savons bien que notre pays a un problème de non-recours aux droits ; en l’occurrence, c’est le pot de fer contre le pot de terre, car les victimes sont généralement vulnérables.
Enfin, un terroriste dont le compte est fermé n’a pas besoin d’explications : il sait parfaitement pourquoi. Qu’il reçoive ou non un courrier de motivation, cela ne changera rien.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La banque se contentera le plus souvent d’un courrier électronique standard de justification. Cette réponse lapidaire n’offrira aucune protection au consommateur ; c’est pourquoi j’y suis opposé. Je regrette que vous n’ayez pas adopté l’amendement relatif au médiateur, qui ouvrait la voie au recours et au dialogue avec une personne physique tenue à des obligations légales. Cela aurait réintroduit de l’humain dans la relation entre le client et la banque. Je vous invite à y réfléchir avant l’examen en séance.
M. Gérault Verny (UDR). Ceux qui s’opposent à ce texte n’ont probablement pas subi de fermeture de compte. Le 14 janvier, j’ai reçu un courrier m’informant que mes trois comptes seraient clôturés sous un mois : « Nous vous prions d’accepter, monsieur Verny, nos sincères salutations », point barre. Est-ce parce que j’étais à découvert ? Absolument pas. Est-ce à cause de mon engagement politique ? Peut-être. Je ne pense pas non plus financer le terrorisme. Mes demandes d’explication n’ont reçu aucune réponse. C’est parfaitement arbitraire. J’ai les moyens d’ouvrir d’autres comptes, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a une distorsion énorme dans la relation ; c’est le pot de fer contre le pot de terre. Quand une banque résilie un compte, c’est pour une bonne raison ; la moindre des choses est qu’elle le justifie. C’est du bon sens.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Au-delà de la justification de celui qui a fermé le compte, il me paraît utile qu’un tiers de confiance vérifie si le chef d’agence n’a pas fait d’excès de zèle et si le processus de décision a été encadré et respecté – cela vous aurait permis d’obtenir des explications, monsieur Verny. Cette solution offre une garantie au consommateur, sans compter qu’elle est plus sécurisée juridiquement.
M. Daniel Labaronne (EPR). Admettons que la banque vous réponde que vous ne faites pas suffisamment de transactions. Qu’est-ce que cela change ? Quelle est votre voie de recours ?
M. Gérault Verny (UDR). Je peux le contester devant un tribunal.
M. Daniel Labaronne (EPR). La voie du médiateur est plus facile et plus rapide.
La commission adopte l’amendements CF1
En conséquence l’amendement CF12 tombe
Amendement CL5 de M. Alexandre Allegret-Pilot
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Il s’agit d’ajouter la qualité d’élu de la République aux motifs qui ne peuvent pas justifier la fermeture d’un compte bancaire. J’en ai fait les frais il y a quelques semaines, comme M. Verny, et l’on m’a répondu qu’aucun motif n’avait à m’être communiqué.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je suis toujours gêné par les amendements qui ne concernent que les élus de la République. Je ne vois pas pourquoi nous serions plus protégés que les autres. Avis défavorable.
M. Gérault Verny (UDR). Les personnes politiquement exposées – comme les banques nous appellent – ont des obligations très lourdes : on nous demande une transparence totale, de publier notre patrimoine, de déclarer nos intérêts… On se met à poil devant les Français, ce que je trouve parfaitement choquant ; en contrepartie, le droit bancaire devrait corriger un petit peu cette distorsion. Nous sommes tout de même plus surveillés que le commun des mortels.
M. Philippe Juvin (DR). Cet amendement de bon sens ne vise pas à conférer un privilège aux élus de la République mais simplement à leur garantir une égalité de traitement. Je le voterai.
Cependant, je suis réservé sur l’emploi de l’expression « élus de la République » ? Faut-il comprendre que les conseillers prud’hommes ou les conseillers des Français de l’étranger sont concernés ?
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement laisse sous-entendre qu’un éventuel comportement délictuel en matière bancaire de la part d’un élu pourrait être toléré. Sous prétexte qu’il est élu, il pourrait bénéficier d’un compte à vie. Je suis totalement opposé à un tel traitement particulier.
M. le président Éric Coquerel. J’entends des propos très éloignés de la réalité. Ce ne sont pas seulement les élus mais aussi leurs parents, leurs enfants ou leurs associés qui voient leurs comptes fermés sans explication. Cette pratique pose problème, indépendamment des exigences de transparence auxquelles les élus sont légitimement soumis.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). J’en conviens, le fait d’être une personnalité politique peut vous exposer à certains risques.
Toutefois, l’amendement me semble satisfait par l’adoption du précédent, qui impose aux banques de motiver leur décision. La fermeture d’un compte au motif que son titulaire est un élu constituerait une discrimination répréhensible.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Le code monétaire et financier comporte des dispositions spécifiques pour la personne « qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques […] qu’elle exerce […] ». Cette notion pourrait être substituée à celle d’élu de la République. Je propose un sous-amendement en ce sens.
L’amendement n’empêche pas la fermeture du compte mais le motif ne pourrait être la qualité de personne politiquement exposée.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). J’accepte le sous-amendement. L’intention n’est pas de créer une catégorie spécifique mais de rétablir une égalité de traitement.
M. le président Éric Coquerel. Je vous invite à présenter le sous-amendement en séance.
M. Jean-Didier Berger (DR). La catégorie des personnes politiquement exposées est à la fois inutile et discriminatoire. Il conviendrait de la supprimer. Les élus apportent des garanties de transparence bien supérieures à n’importe quel autre citoyen. Il n’est pas acceptable que celles-ci soient utilisées contre les élus – à leur détriment ou à celui de leur famille.
On peut d’ailleurs s’interroger, compte tenu de la réglementation sur la protection des données personnelles, sur les conditions dans lesquelles les banques ont connaissance des liens de parenté de leurs clients.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’amendement, en tendant à interdire à l’établissement bancaire de résilier une convention de compte de dépôt signée avec une personne exposée politiquement, va trop loin. Ce n’est pas l’esprit de la proposition de loi.
La commission adopte l’amendement.
L’amendement CF18 de M. Christian Girard est retiré.
Amendement CF21 de M. Tristan Lahais
M. Tristan Lahais (EcoS). Il s’agit de demander un rapport sur les effets économiques et sociaux du texte que nous adopterons ; de l’article 21 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat sur l’inclusion bancaire et les frais restés à charge des usagers des services bancaires ; de l’adoption ou non des mesures proposées dans le Manifeste pour une inclusion financière universelle, publié en octobre 2022.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement au profit de celui que je présente après l’article 2 – CF25 – et qui a pour objet d’organiser le suivi des données sur les fermetures de comptes, les motifs invoqués par les banques et les litiges dont sont saisis les médiateurs.
Par ailleurs, les rapports annuels de la Banque de France et de l’Observatoire de l’inclusion bancaire fournissent de nombreuses informations sur les dispositifs de protection du consommateur et des publics vulnérables.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement CF16 de M. Jean-Philippe Tanguy
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous proposons tout simplement d’interdire aux banques de choisir leurs clients.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Avis défavorable. Le droit à un compte bancaire tel que vous le concevez porte atteinte à la liberté contractuelle et méconnaît le fait qu’une convention de compte demeure un contrat intuitu personae.
L’article L. 312-1 du code monétaire et financier consacre déjà le droit au compte même si, je le reconnais, ses conditions d’exercice sont parfois dégradées.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Votre réponse illustre le problème récurrent auquel la commission et l’Assemblée sont confrontées : à force de ne pas avoir le courage d’énoncer des principes simples, nous sommes obligés d’imaginer des dispositifs très compliqués.
Dans n’importe quel autre commerce, vous êtes obligés de servir le client même si sa tête ne vous revient pas. Pourquoi les banques bénéficieraient-elles d’une exemption ? L’application du principe simple du droit au compte serait moins coûteuse, moins énergivore et moins problématique pour les gens.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF20 de M. Jean-Philippe Tanguy
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’amendement est satisfait. Le droit au compte bénéficie à tout personne physique ou morale, ce qui inclut les associations, les partis et les fondations.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF11 de M. Alexandre Allegret-Pilot
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Il s’agit d’instaurer une sanction en cas de fermeture de compte d’un parlementaire au motif de cette seule qualité.
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Le débat a eu lieu précédemment. Défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CF6 et CF7 de M. Alexandre Allegret-Pilot ainsi que l’amendement CF19 de M. Christian Girard.
Amendement CF25 de M. Jean-Paul Mattei
M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Les données, issues des comptes rendus des médiateurs – j’espère que leur intervention sera acceptée en séance –, seront transmises au gouverneur de la Banque de France pour nourrir un rapport annuel au Parlement sur l’inclusion bancaire des Français, les motifs de résiliation et la mise en œuvre du droit au compte.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 5 mars 2025 à 9 heures 45
Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Anthony Boulogne, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Bruno Clavet, M. Éric Coquerel, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Thierry Liger, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Laurent Baumel, M. Karim Ben Cheikh, M. Charles de Courson, M. Philippe Lottiaux, M. Damien Maudet, M. Nicolas Metzdorf, M. Alexandre Sabatou, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Daniel Labaronne