Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 1025) (M. Jean-Paul Mattei, rapporteur) 2
– Audition de M. André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958) 3
– Information relative à la commission................22
– Présence en réunion...........................23
Mardi
11 mars 2025
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 089
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission procède à l’examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 1025) (M. Jean-Paul Mattei, rapporteur)
Le tableau ci-dessous récapitule ses décisions :
N° Amdt
|
Place
|
Auteur
|
Groupe
|
Position de la commission
|
7 |
2 |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Repoussé |
6 |
ap PREMIER |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Repoussé |
32 |
2 |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Accepté |
29 |
2 |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Repoussé |
42 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
23 |
2 |
M. LIGER Thierry |
DR |
Accepté |
27 |
2 |
M. BERGER Jean-Didier |
DR |
Accepté |
8 |
2 |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Accepté |
45 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
9 |
2 |
M. CIOTTI Éric |
UDR |
Repoussé |
15 |
2 |
Mme DUBY-MULLER Virginie |
DR |
Repoussé |
43 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
38 |
2 |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Repoussé |
44 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
46 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
24 |
2 |
M. LIGER Thierry |
DR |
Accepté |
28 |
2 |
M. BERGER Jean-Didier |
DR |
Accepté |
3 |
2 |
M. SITZENSTUHL Charles |
EPR |
Repoussé |
22 |
2 |
M. DE COURSON Charles |
LIOT |
Accepté |
35 |
2 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
19 |
2 |
M. TANGUY Jean-Philippe |
RN |
Repoussé |
26 |
2 |
M. WILLIAM Jiovanny |
SOC |
Repoussé |
33 |
2 |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Repoussé |
34 |
2 |
M. LE COQ Aurélien |
LFI-NFP |
Repoussé |
36 |
3 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
5 |
3 |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Accepté |
21 |
3 |
M. LABARONNE Daniel |
EPR |
Accepté |
30 |
3 |
Mme PIRÈS BEAUNE Christine |
SOC |
Accepté |
37 |
3 |
M. MATTEI Jean-Paul |
Dem |
Accepté |
13 |
3 |
M. SITZENSTUHL Charles |
EPR |
Accepté |
20 |
ap 3 |
M. TANGUY Jean-Philippe |
RN |
Repoussé |
25 |
ap 3 |
Mme MARAIS-BEUIL Claire |
RN |
Repoussé |
Puis la Commission procède ensuite à l’audition de M. André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958)
M. le président Éric Coquerel. La présente audition se tient dans le cadre de nos travaux pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, pour lesquels notre commission s’est vu octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Ces auditions obéissent au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit, qui a été communiqué à la personne auditionnée.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Monsieur Laignel, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. André Laignel prête serment.)
M. André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). C’est avec gravité et intérêt que je me présente devant vous, dans le cadre d’une commission d’enquête. Lorsque vous m’aviez auditionné en octobre dernier, nous avions débattu de l’annonce gouvernementale d’un dérapage de 16 milliards d’euros attribué aux collectivités territoriales. J’avais alors fait savoir que ce chiffre, peu argumenté, ne correspondait pas à la réalité. L’exercice 2024 étant achevé, les estimations sont devenues des certitudes, même si tous les chiffres définitifs ne sont pas encore connus. Chacun peut ainsi constater que ces fameux 16 milliards n’existent pas – fort heureusement. Le seul dérapage effectivement observé concerne les propos de ceux qui ont attribué aux collectivités territoriales un tel écart dans la gestion de leurs finances.
D’autres erreurs de prévision, plus excusables, sont apparues. Je pense par exemple à l’évolution des recettes de TVA censées compenser la suppression de certains impôts qui étaient perçus par les collectivités territoriales. Selon les estimations faites en début d’année 2024, la hausse devait être d’un peu plus de 4 %, mais elle s’est malheureusement limitée à 1,7 ou 1,8 %, ce qui a conduit de très nombreuses collectivités à devoir rembourser une partie de la TVA qui leur avait été versée.
Ces écarts de prévision ont nui à la considération qui devrait être portée à la qualité de la gestion des collectivités territoriales – auxquelles a été attribué un pseudo-dérapage de 16 milliards – et porté directement un coup aux finances locales – puisqu’on a demandé à certaines collectivités de rembourser des compensations alors qu’elles n’étaient nullement responsables de la faiblesse des recettes de TVA.
Mais ce qui est peut-être encore plus grave que ces écarts, c’est l’obscurité dans laquelle les collectivités territoriales sont tenues – je m’exprime ici à la fois en tant que premier vice-président de l’AMF et en tant que président du Comité des finances locales (CFL). Ainsi, alors que nous cherchons depuis un certain temps à obtenir une revue des recettes des collectivités territoriales, l’État, par ailleurs très friand de revues des dépenses, nous laisse sans réponse. Bruno Le Maire n’a d’ailleurs même pas accusé réception de la demande que Jean-Léonce Dupont, président de la commission des finances de Départements de France, et moi-même lui avons adressée. Faute de temps pour solliciter son successeur, M. Armand, nous avons soumis les mêmes questions à M. Lombard il y a une quinzaine de jours.
Nous souhaitons d’abord connaître l’évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) en euros constants au cours des quinze dernières années, ce qui ne devrait pas être très compliqué. L’AMF et le CFL ont eux-mêmes fait cet exercice et conclu à une perte de DGF pendant cette période, qui englobe plusieurs majorités, mais il me semblerait bon, dans un souci de démocratie et de transparence, que nous disposions de données partagées. Il est donc important qu’on nous réponde sur ce point.
Nous voulons par ailleurs établir le compte précis de la compensation des recettes fiscales nationalisées, notamment la taxe d’habitation et la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Voilà deux ans que je demande à Bercy de bien vouloir me transmettre le montant exact de CVAE perçu en 2023 par l’État, que nous pourrions comparer à la compensation qui nous a été allouée. Je n’ai jamais obtenu de réponse, malgré de multiples relances.
La troisième question figurant dans le courrier porte sur les compensations de dégrèvements de fiscalité locale, dont certaines présentent des écarts importants avec le montant effectif des dégrèvements.
Enfin – mais nous aurions pu aller plus loin –, il nous faut connaître le montant des crédits d’investissement affectés aux collectivités territoriales – DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux), DSIL (dotation de soutien à l’investissement local) ou fonds Vert – afin de mesurer l’éventuel écart entre les annonces et les sommes réellement allouées.
Aux erreurs de prévision s’ajoute donc une certaine obscurité quant à la réalité des crédits et compensations alloués aux collectivités territoriales. Alors qu’on nous avait assuré que la suppression de la CVAE et d’autres impôts ferait l’objet d’une « compensation évolutive », « à l’euro près », par l’affectation d’une part de TVA, celle-ci est en réalité plafonnée dans la loi de finances pour 2025, ce qui entraînera une perte de 1,2 milliard d’euros pour les collectivités.
Je constate surtout, dans la communication du gouvernement, une volonté de ne pas tenir compte de tous les impacts du budget 2025 pour les collectivités territoriales. Les annonces faisant état d’un effort de 2,2 milliards ne constituent certes pas, en elles-mêmes, une erreur de prévision, mais elles sont incomplètes : en réalité, la facture des différentes décisions qui nous sont imposées dans la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale sera de 7,4 milliards d’euros – à supposer que nous ayons pu tout répertorier. Aux 2,2 milliards liés au « Dilico » (dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales) nouvellement créé et au gel de l’augmentation de la fraction de TVA due aux collectivités, il convient en effet d’ajouter la baisse des crédits du fonds Vert, pour 1,35 milliard, ou encore les 4 points de hausse des cotisations à la CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), pour 1,4 milliard – les 3 points de hausse décidés pour 2025 se cumulant avec la fin de la compensation de la hausse de 1 point qui avait été adoptée l’année précédente.
Je pourrais citer d’autres évolutions concernant des sommes moins élevées, comme la suppression de crédits relevant du plan Vélo – auquel le gouvernement semble préférer les chars d’assaut, même si je n’ai pas très bien compris qu’on fasse un parallèle entre les deux – ou la baisse du fonds Économie circulaire. Je n’énumérerai pas tous les exemples qui, mis bout à bout, conduisent au montant que j’ai évoqué, mais deux cas me paraissent symboliques : la suppression du fonds de soutien aux activités périscolaires, dont on sait pourtant combien elles sont essentielles pour prévenir la délinquance et compenser l’absence d’éducation dont souffrent certains jeunes dans leur famille, et la fin du plan national de prévention et de lutte contre les violences aux élus, qui me paraît constituer une immense maladresse, d’une portée bien supérieure aux 5 millions d’euros de crédits supprimés.
M. le président Éric Coquerel. Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, a indiqué que ses services n’avaient été ni associés ni sollicités lors de la détermination de la trajectoire financière des administrations publiques locales, ce qui m’a étonné. J’imagine que le gouvernement avait tout de même pris la peine de consulter les associations d’élus locaux. Avez-vous été associés à la construction de cette trajectoire ? Le gouvernement vous a-t-il demandé si ses prévisions vous semblaient réalistes ?
M. André Laignel. Au cours de la deuxième – et dernière – séance d’une instance pompeusement nommée Haut Conseil des finances publiques locales, on nous a annoncé au sujet de la trajectoire financière des collectivités territoriales une baisse de 0,5 % des dépenses. Comme les minutes de l’époque en témoignent, j’ai indiqué aux ministres présents que c’était totalement irréaliste au vu de l’évolution des charges.
La masse salariale, notamment, avait déjà progressé de 4,8 % – la hausse s’établit désormais à environ 5 % –, sans que cette augmentation puisse être imputée aux collectivités territoriales, puisqu’elle était liée, à 90 %, à la hausse du point d’indice, à la réforme de la catégorie C, à la prime de pouvoir d’achat et au Rifseep (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel). Dans ces conditions, nous savions dès le départ que la baisse de 0,5 % qui nous était demandée ne serait pas tenable.
J’ajoute que l’impact de l’inflation sur les prix de l’énergie se faisait encore durement sentir et que le montant des achats de biens et de services avait augmenté de plus de 12 %, quand celui des AIS (allocations individuelles de solidarité) versées par les départements enregistrait une hausse de 8,7 %. Les taux d’emprunt avaient eux aussi beaucoup augmenté, si bien que la charge de la dette s’était accrue de 16 %. Tous ces facteurs étaient totalement indépendants des décisions des collectivités territoriales.
L’objectif n’était donc aucunement atteignable. Nous en avons été informés à la fin de la deuxième séance du Haut Conseil des finances publiques locales, mais il n’y a jamais eu de dialogue avec les collectivités territoriales ou de délibération sur ce point.
M. le président Éric Coquerel. Ayant moi-même assisté à cette réunion, je confirme votre intervention.
J’ai aussi interrogé Mme Raquin, lors de son audition, sur le dérapage de 16 milliards évoqué par Bruno Le Maire et Thomas Cazenave en septembre dernier. Elle a expliqué que si une tendance s’était dégagée de l’analyse des dépenses des collectivités, ce montant résultait d’une extrapolation contestable sur le plan méthodologique. Mme Raquin indiquait d’ailleurs, dans un courrier du 24 septembre adressé Catherine Vautrin, alors ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, qu’au regard de la fragilité de la prévision des recettes et des dépenses d’investissement, « il [était] difficile de tenir les collectivités responsables d’une dégradation générale du solde public ».
Les ministres, avant de présenter ce chiffre, vous ont-ils soumis la méthodologie retenue ?
M. André Laignel. Non. Nous avons découvert cette annonce dans la presse. Je vous avais d’ailleurs fait part de ma grande surprise en octobre dernier et lancé un avis de recherche au sujet de ces 16 milliards. Ce montant était une fable construite sur l’hypothèse d’une baisse de 0,5 % qui n’avait strictement aucune chance de se réaliser compte tenu du contexte de l’époque.
M. le président Éric Coquerel. Le gouvernement envisageait une baisse des dépenses des collectivités en volume, qui ne s’est évidemment pas produite. Il a donc communiqué sur une dynamique des dépenses plus forte que prévu, alors que celle-ci, vous l’avez dit, était en partie due à des décisions ne relevant pas des élus locaux, comme la hausse de la valeur du point d’indice, les mesures pour les bas salaires, la prime de pouvoir d’achat ou encore la revalorisation de la garantie individuelle du pouvoir d’achat. Connaissez-vous la part de l’augmentation s’expliquant par des dépenses imposées aux collectivités ?
M. André Laignel. Pour certaines catégories de dépenses, oui ; pour d’autres, c’est plus complexe. S’agissant de la masse salariale, 90 % de l’augmentation relève soit de décisions prises par d’autres soit d’évolutions tenant au statut de la fonction publique territoriale et non à je ne sais quelle dérive soudaine en matière d’embauches. Je rappelle que, pour beaucoup de collectivités, la masse salariale représente pas loin de la moitié des dépenses de fonctionnement – c’est une moyenne, les petites communes rurales ont moins de masse salariale. Pour ce qui est des achats de biens et de services, qui représentent aussi une part importante des budgets, la hausse de 12,7 % incluait l’inflation de l’époque, notamment en matière d’énergie. Dans ma modeste communauté de communes, par exemple, le prix de l’électricité avait augmenté de 340 % au 1er janvier 2023. Vous conviendrez que les collectivités ont peu de marges de manœuvre face à des situations de ce type. Près des trois quarts de l’augmentation des dépenses des collectivités – qui ont progressé d’environ 5 % – étaient le résultat de facteurs externes à ces dernières.
M. le président Éric Coquerel. S’agissant des investissements nécessaires à la bifurcation écologique, de l’aveu même du Trésor, « la trajectoire des finances publiques s’appu[yait] sur une chronique d’investissements locaux ne tenant pas explicitement compte de ces enjeux ». Pensez-vous que le gouvernement a omis ces dépenses parce qu’elles auraient rendu sa trajectoire des finances publiques inatteignable ?
M. André Laignel. Elle l’était même sans cette omission.
Il nous était instamment demandé de flécher nos investissements en faveur des budgets verts, des économies d’énergie, de la biodiversité, etc. C’était même imposé par certains critères, depuis 2023, me semble-t-il, non pas uniquement dans le cadre du fonds Vert mais aussi de la DETR, par exemple. Une telle évolution est parfaitement justifiée du point de vue de l’équilibre écologique de notre planète, et ne pas en tenir compte dans les attendus de la trajectoire financière me paraît être une erreur fondamentale.
M. le président Éric Coquerel. Le Haut Conseil des finances publiques locales s’est réuni pour la première fois le 22 septembre 2023. Les participants ont indiqué refuser le retour de mesures contraignantes comme celles prévues dans les contrats de Cahors. Je crois comprendre que les ministres de l’économie et des finances réfléchissent à réintroduire des dispositifs de ce type. Leur maintien aurait-il permis de mieux maîtriser le dérapage des finances publiques locales évoqué par l’exécutif ? Je me fais l’avocat du diable.
M. André Laignel. Il est toujours difficile de savoir ce qui se serait produit si les circonstances avaient été différentes. Je crois néanmoins que cela n’aurait nullement suffi. Un nombre relativement restreint de collectivités territoriales étaient concernées et certaines d’entre elles avaient refusé de signer ces contrats, que j’avais qualifiés à l’époque de léonins parce qu’ils étaient à sens unique, au profit de l’État. De plus en plus de collectivités qui s’étaient initialement engagées de bonne foi n’étaient absolument pas disposées à renouveler ces contrats. Leur maintien aurait été, à mon sens, un immense échec.
M. le président Éric Coquerel. Les auditions ont montré que les recettes de TVA et de DMTO (droits de mutation à titre onéreux) se sont révélées inférieures aux prévisions. Alors que leurs dépenses sont de plus en plus contraintes, les collectivités risquent par conséquent de manquer de moyens pour financer leurs charges. Cette situation n’a-t-elle pas été aggravée par les suppressions d’impôts locaux et par l’affectation croissante, à titre de compensation, de fractions d’impôts nationaux, notamment la TVA, qui a accru l’exposition des collectivités aux aléas macroéconomiques, particulièrement en 2023 et en 2024 ? À force de supprimer des impôts locaux, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 n’ont-ils pas contribué à produire le besoin de financement mis en avant par les ministres ?
M. André Laignel. Bien sûr que si. La suppression des impôts locaux a été une erreur non seulement pour l’État – qui s’est privé de 50 milliards d’euros de recettes alors qu’il cherche désespérément les dizaines de milliards qui lui manquent –, mais aussi pour l’avenir des collectivités territoriales à qui on avait expliqué que tout se ferait à l’euro près mais qu’on laisse dans le brouillard le plus épais. Voilà dix-huit mois que je demande des chiffres au sujet de la CVAE qui sont parfaitement connus, puisqu’elle est encaissée par l’État à la fin de chaque année : il y a une volonté avérée de dissimulation. Puisque nous connaissons, de notre côté, les sommes reversées aux collectivités territoriales, ces chiffres nous permettraient de démontrer que cela ne correspond pas à ce que l’État encaisse.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je ne comprends pas : connaissez-vous ces chiffres, ou non ? S’ils sont connus, pourquoi les demander ?
M. André Laignel. L’État a perçu la CVAE en 2023 – comme en 2024, d’ailleurs. J’ai demandé, en début d’année 2024, combien il avait recouvré. Ce n’est pas compliqué, mais on ne m’a jamais répondu. En revanche, nous savons quelle compensation nous avons reçue. Je demande simplement à pouvoir comparer les montants que l’État a encaissés, et qu’il s’était engagé à reverser aux collectivités, avec ceux qui ont effectivement été alloués. Si je me trompe, qu’on m’en fasse la démonstration, mais voilà dix-huit mois que je demande, pour le Comité des finances locales, ces éléments tout à fait décisifs.
S’agissant des recettes de TVA reversées aux collectivités pour compenser les suppressions d’impôts, la loi de finances pour 2025 répond malheureusement à la question, puisque l’actualisation prévue a été remise en cause. La parole de l’État n’a donc probablement pas été tenue pour ce qui est de la CVAE – mais je suis prêt à battre ma coulpe si l’on me prouve que je me trompe – et ne l’a à coup sûr pas été en 2025 pour la TVA.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous dites à la fois que les objectifs du gouvernement étaient impossibles à tenir et qu’il n’y a pas d’écart par rapport à la prévision. Contestez-vous le chiffre du directeur général du Trésor, qui évoque une différence de 13 milliards d’euros entre la dépense locale effective et ce qui était prévu dans la loi de finances pour 2024 puis dans la loi de finances pour 2025 ? Ce chiffre est corroboré par une note Trésor-Eco de janvier 2025, qui précise que l’écart atteindrait 8 milliards pour les dépenses de fonctionnement et 5,4 milliards pour l’investissement. Je le dis sans qualifier la dépense supplémentaire, qui est certainement tout à fait légitime, au moins s’agissant de l’investissement.
M. André Laignel. L’État fonde son calcul sur une baisse de 0,5 % qui n’a jamais été actée par les collectivités territoriales. On ne peut pas parler de dérapage par rapport à une norme fixée de manière extérieure, sans être soumise aux collectivités territoriales. Il n’y a donc eu aucun dérapage. En outre, amalgamer l’évolution des dépenses de fonctionnement et celle des dépenses d’investissement est une hérésie.
Les dépenses de fonctionnement répondent aux impératifs que j’ai évoqués. Quand on les examine chapitre par chapitre, on ne constate aucune évolution exagérée. L’évolution de la masse salariale, cumulée à l’inflation, a frappé de plein fouet les collectivités territoriales. Les écarts par rapport aux pronostics s’expliquent assez facilement en matière de fonctionnement.
En matière d’investissement, je n’ai jamais entendu parler d’une norme visant à fixer une évolution. Ce serait d’ailleurs une aberration absolue, y compris pour l’économie nationale, qui a besoin des investissements des collectivités territoriales. Qu’elles aient augmenté leurs investissements de 5 milliards d’euros malgré les difficultés du moment devrait être porté à leur crédit, d’autant qu’elles l’ont fait en adoptant des budgets à l’équilibre et en n’accroissant que modérément leur emprunt – qu’elles payent elles-mêmes et qui n’alourdit donc pas le déficit de l’État, même s’il peut être inclus dans les comptes européens.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous considérez donc que ce sont les prévisions du gouvernement qui étaient erronées.
N’y a-t-il pas, dans le ressaut des investissements par rapport aux prévisions, un effet du décalage de l’habituel cycle électoral, en raison de la crise sanitaire ? Les collectivités territoriales n’ont-elles pas, par un effet de rattrapage assez légitime, décalé leurs investissements en fin de cycle ?
M. André Laignel. Je n’ai jamais eu connaissance d’une prévision concernant l’évolution de l’investissement : la seule prévision était celle de 0,5 % que j’ai évoquée. On devrait se réjouir que les collectivités territoriales continuent à moderniser le territoire et à répondre aux attentes de nos concitoyens.
Il y a eu effectivement un décalage dans le cycle du mandat puisque l’année 2020 a été quasiment neutralisée par la covid, de même que 2021 et la première partie de 2022. Depuis le début du mandat actuel, on ne constate aucune évolution en matière d’investissement par rapport au mandat précédent, mais 2025 permettra peut-être d’aller plus loin. En tout cas, il n’y a eu aucun dérapage dans ce domaine.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous dites qu’il n’y a pas eu de concertation. Pourtant, Élisabeth Borne, à qui nous avons posé la question, a indiqué que les chiffres figurant, notamment, dans le programme de stabilité pour 2024 avaient fait l’objet d’une concertation avec le gouvernement. Le contestez-vous ? Par ailleurs, pourriez-vous nous dire quelles ont été en valeur les recettes supplémentaires dont les collectivités territoriales ont bénéficié en 2023 et 2024 ? Ou bien leurs recettes étaient-elles inférieures ?
M. André Laignel. Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à votre quiz – je me souviens que je suis devant une commission d’enquête. N’ayant pas les chiffres précis sous les yeux, je vous renvoie à une publication, reconnue par tous, de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales – que je préside – qui porte sur les comptes des collectivités territoriales. Le dernier rapport sur cette question a été publié en juillet 2024.
Je ne sais pas ce que Mme Borne a dit devant votre commission, mais je suis sûr qu’elle est toujours de bonne foi, je le dis sincèrement. Nous avons été informés. Il n’y a pas eu de concertation. Lorsqu’on nous dit : ce sera – 0,5 %, j’entends mais cela ne signifie pas que j’acquiesce.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Lorsque le gouvernement vous demande de diminuer les dépenses de 0,5 %, vous contestez le chiffre, mais n’entretenez-vous pas un dialogue avec l’exécutif pour atteindre l’objectif de réduction globale des dépenses publiques, toutes administrations publiques confondues ?
M. André Laignel. Nous sommes toujours ouverts au dialogue pour trouver les mesures les plus efficaces pour la nation et les collectivités territoriales mais, en l’occurrence, on ne nous a pas proposé de dialoguer : on nous a annoncé le chiffre, point. Pourtant, nous avions réclamé un dialogue et nous l’espérions. Nous souhaitions expliquer pourquoi les chiffres avancés par le gouvernement n’avaient aucune chance d’être atteints – ce à quoi je m’étais employé devant le Haut Conseil des finances publiques locales – à moins de fermer des services à tour de bras. Pour ma part, je souhaiterais que l’on aille un peu au-delà du dialogue et que l’on négocie, à charge ensuite pour le Parlement de décider, souverainement, de valider ou non les termes de l’accord – à l’instar de ce qui a lieu pour les accords de branche ou d’autres accords dans le domaine social.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Un certain nombre de dépenses sont à la main des collectivités : je pense en particulier à la masse salariale. Considérez-vous qu’elle a eu un impact majeur sur l’écart par rapport à la prévision en matière de fonctionnement ?
M. André Laignel. Il me semblait avoir expliqué que c’était l’un des sujets sur lesquels nous avions le moins la main. L’année 2023 a été marquée par l’augmentation du point d’indice, qui n’a été ni négociée ni décidée avec les collectivités territoriales, par des mesures liées à l’inflation et par l’instauration du Rifseep, lequel entraîne automatiquement une évolution de la masse salariale. Par voie de conséquence, 90 % de l’évolution de la masse salariale est due à des mesures – que l’on peut par ailleurs approuver – qui n’ont pas été décidées par les collectivités territoriales. L’évolution a été moindre en 2024 car il y a eu moins de bouleversements législatifs concernant la masse salariale.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Considérez-vous que l’évolution de la dépense locale dont nous sommes désormais comptables, soit un dépassement de 13,4 milliards d’euros par rapport à la trajectoire, était inéluctable ? N’y avait-il aucune marge de manœuvre possible compte tenu des choix que le gouvernement avait imposés aux collectivités locales ?
M. André Laignel. Ne caricaturons pas : il y a toujours des marges de manœuvre. Cela étant, une grande part de l’évolution n’est pas déterminée par les collectivités territoriales, bien que ces dernières bénéficient selon la Constitution, paraît-il, du principe de libre administration. La hausse a probablement été de l’ordre de 2,5 % dans des domaines relevant de leurs choix propres. Cette augmentation est-elle aberrante alors que nos concitoyens nous adressent, localement, un nombre croissant de demandes ? Nous aurions peut-être pu nous limiter à 2 au lieu de 2,5 % mais rappelons que nous avons subi deux ans et demi très difficiles pour nos concitoyens, nos collaborateurs et nos collectivités. La moindre des choses était d’avoir un effet de rattrapage. Celui que l’on a connu était particulièrement modeste.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Cette audition permet de recadrer quelque peu le débat général. Au cours des auditions que nous avons menées, les collectivités ont souvent été pointées du doigt – notamment par les premiers ministres et les ministres qui se sont succédé – au sujet de la dégradation de nos finances publiques et de l’écart de prévision. Je n’ai jamais très bien compris ce procès. Pouvez-vous revenir sur cette question ?
Pour avoir présidé pendant neuf ans un département, je suis bien placé pour savoir que les collectivités ont l’obligation de voter des budgets à l’équilibre. Elles dégagent une capacité d’autofinancement qui se traduit par une épargne nette ; face à cela, elles ont un besoin de financement. La comptabilité publique européenne considère ce besoin de financement comme un déficit public qui, en réalité, n’existe pas, puisque le besoin de financement est couvert par l’épargne nette et l’emprunt. On peut créer une dette mais pas un déficit : il ne peut y avoir d’excédent des dépenses par rapport aux recettes pour la simple raison que c’est interdit. Vous paraît-il nécessaire de faire évoluer ces règles comptables, qui alourdissent artificiellement les comptes ? Comment pourrait-on corriger la situation ? Cela pourrait donner lieu à une proposition de notre commission.
M. André Laignel. Nos budgets sont effectivement votés à l’équilibre. Nous dégageons, au minimum, un autofinancement brut – et souvent, heureusement, un autofinancement net – qui permet de couvrir la charge de la dette. Les derniers chiffres, issus de la Situation mensuelle comptable des collectivités territoriales de février 2025, indiquent toutefois une baisse considérable de l’autofinancement, brut comme net, en 2024, qui affecte l’ensemble des strates de collectivités. Les départements sont les plus touchés, devant les régions et le bloc communal.
Je ne parle jamais de déficit des collectivités territoriales mais de besoin de financement, et je rappelle systématiquement que nous nous le payons nous-mêmes. Le mode de calcul est en effet vicié : cela mériterait d’être revu.
Je voudrais rappeler quelques chiffres, car nous sommes las d’entendre parler des dérapages des collectivités territoriales et de constater qu’elles sont pointées du doigt en permanence. Les dépenses des collectivités locales françaises sont parmi les moins élevées en Europe : elles représentent 19 % des dépenses publiques contre une moyenne européenne de 31 %. Le déficit public est nourri par le déficit de fonctionnement du budget de l’État : sur les 6,1 points de déficit de 2024, 5 points relèvent de l’État. On ne constate pas davantage un quelconque dérapage des collectivités en matière de besoin de financement, lequel n’a jamais dépassé 0,7 % du PIB depuis 1994. La dette des collectivités reste inférieure à 9 % du PIB depuis 1995. Ces constats dans la durée démontrent que les collectivités n’ont connu aucune dérive.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Quel regard portez-vous sur le montant global des transferts et sur leur évolution ? On observe de plus en plus de transferts de l’État vers les collectivités locales, qui, pour la majeure partie d’entre eux, ont pour objet de compenser la suppression ou la diminution des impôts locaux – taxe professionnelle ou, plus récemment, CVAE et taxe d’habitation. Il faut distinguer ces derniers transferts de ceux qui correspondent, notamment, au versement de la DGF. Quelles mesures proposeriez-vous pour réformer ces transferts qui, selon moi, reposent sur une base qui dérive dangereusement ?
M. André Laignel. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’État a pris en charge, en théorie, plus de 50 milliards d’euros : je dis en théorie car nous demandons à vérifier la réalité de la compensation. Aucune ressource nouvelle n’a compensé l’impact pour le budget de l’État. Cela contribue à expliquer que le coût net de l’opération pour lui – étant précisé, toutefois, qu’il existe plusieurs modes de calcul – atteint un montant considérable, compris entre 36 et 40 milliards d’euros, qui affecte son déficit. J’ai dit à quel point tout cela était une erreur à la fois pour l’État et pour les collectivités.
Il existe des transferts d’une autre nature, correspondant à l’évolution des normes. D’après les chiffres du CNEN (Conseil national d’évaluation des normes), qui ont été validés par l’État – puisqu’ils sont établis sur la base des fiches financières fournies par ce dernier –, 2,5 milliards d’euros ont été transférés aux collectivités territoriales en 2022 et, à nouveau, 1,8 milliard – de mémoire – en 2023. Autrement dit, les collectivités ont subi des transferts de charges liées à l’adoption de normes pour un total de plus de 4 milliards au cours de ces deux années.
Aux effets de l’inflation et des changements législatifs s’ajoutent les transferts insidieux de compétences, qui ne sont pas nécessairement pris en compte dans les calculs. Ainsi, la police municipale n’entre pas, en principe, dans le champ des compétences des collectivités territoriales, ce qui ne les empêche pas d’être très actives dans ce domaine. L’Observatoire des finances et de la gestion publique locales a chiffré à 2 milliards d’euros, hors caméras et matériels, la charge qui en résulte pour les collectivités.
De même, nous intervenons de manière croissante dans le domaine de la santé, bien que nous n’ayons aucune compétence en cette matière, si ce n’est, évidemment, en application de la clause de compétence générale. Comment pourrions-nous nous désintéresser des questions de santé dans nos territoires ? De plus en plus de collectivités – cela concerne tant les régions que les départements et les communes – participent à la prise en charge de la politique de santé au moyen de dispositifs très variés, tels que les maisons de santé.
Je pourrais vous citer bien d’autres domaines dans lesquels les collectivités territoriales sont de plus en plus présentes, soit à la demande de l’État – sans que cela ne soit acté dans une fiche financière –, soit simplement parce qu’elles doivent pallier une défaillance.
M. Éric Ciotti, rapporteur. En votre qualité de président du Comité des finances locales, avez-vous été consulté sur l’augmentation de 0,5 % des DMTO consentie par l’État aux départements ? Ils ont été autorisés à augmenter la fiscalité locale, geste très généreux qui relève, selon moi, d’une grande hypocrisie.
M. André Laignel. Non, mais certains diraient que nous n’avons pas à l’être puisque c’est une décision parlementaire. Si l’on entretenait un véritable dialogue, cela aurait pu être le cas. Les départements avaient formulé une demande, mais la décision n’a pas fait l’objet d’une négociation, et ce qui leur a été accordé n’est pas du tout à la hauteur de leurs attentes. Les départements connaissent actuellement une situation très problématique. Lors de la réunion de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales que je présidais ce matin, le président de la commission des finances de Départements de France, Jean-Léonce Dupont, a indiqué que quatorze départements étaient dans le rouge en 2024 et qu’ils devraient être plus de trente dans ce cas en 2025 – leur nombre devrait probablement être compris entre quarante et cinquante. L’essentiel des préoccupations provient, d’une part, des AIS qui évoluent spontanément à la hausse, compte tenu du nombre croissant de familles en difficulté dans nos communes et nos départements et, d’autre part, de la baisse de plus de 30 % en deux ans des DMTO, qui constituaient une ressource majeure. La question est de savoir si l’on peut accorder aux départements des ressources aléatoires – les recettes des DMTO étant en dents de scie – pour faire face à des dépenses en augmentation.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Dans ce contexte difficile, marqué notamment par une crise très forte de l’immobilier, qui pèse sur les DMTO perçus par les départements et les communes et crée une tension sur les dépenses, comment voyez-vous évoluer les dépenses du bloc communal et intercommunal, notamment en matière d’investissement ?
M. André Laignel. Selon la DGFIP (direction générale des finances publiques), entre le 31 janvier 2024 et le 31 janvier 2025, l’épargne brute de l’ensemble des collectivités territoriales – qui permet de couvrir les dépenses obligatoires, parmi lesquelles le remboursement du capital emprunté – a connu une baisse de 8,2 %. L’épargne nette – qui est à mes yeux plus significative dans la mesure où c’est elle qui nous permet d’agir – a accusé, quant à elle, une diminution de 14,6 %. Sur la même période, la trésorerie est en baisse de 12,6 % : autrement dit, on puise dans les réserves – c’est leur but. Cela témoigne de l’effet qu’ont produit en 2024 des évolutions telles que les suppressions d’impôts et les non-compensations, que j’ai évoquées antérieurement. Ces mesures devraient avoir un impact bien supérieur cette année.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Avez-vous été consultés sur la hausse des dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales retenue dans le cadre de la préparation du PLF (projet de loi de finances) pour 2023 puis du PLF pour 2024 ?
M. André Laignel. Nous en avons été informés mais nous n’avons pas été consultés.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Après l’abandon des contrats de Cahors, avez-vous été associés aux travaux visant à instituer un système de régulation des finances locales tant dans le budget 2023 que dans le budget 2024 ?
M. André Laignel. Non.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Que pensez-vous de la surévaluation des recettes, notamment de DMTO, de TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) et en matière de foncier bâti, dans les PLF pour 2023 et 2024 ?
M. André Laignel. Il y a eu une erreur d’appréciation manifeste. La crise immobilière avait déjà commencé. On n’a pas prolongé la courbe qui s’amorçait en 2023.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je rappelle qu’on a maintenu en 2024 les prévisions de DMTO au niveau de celles de 2023, alors qu’on dispose, pour cet impôt, de remontées mensuelles, avec un décalage d’à peine un mois. Cela ne vous a pas questionnés ?
M. André Laignel. Cela a fait plus que nous questionner : nous avons marqué notre étonnement devant le Comité des finances locales. Les représentants de Départements de France – je pense en particulier à Jean-Léonce Dupont – ont fait remarquer que cela n’avait aucun sens, que l’on ne voyait aucune reprise de l’immobilier pour 2024 sur le terrain et que le maintien des chiffres de 2023 conduisait manifestement à une impasse.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Pensez-vous que le Dilico pourrait freiner les dépenses locales de fonctionnement en 2025 ?
M. André Laignel. On peut toujours le craindre ou l’espérer, selon la philosophie que l’on adopte. Personnellement, je ne pense pas que cela se produise – s’agissant, en tout cas, du bloc communal. En effet, nous sommes en année préélectorale, nous avons souvent des « coups partis » et la baisse de nos moyens conduira probablement un certain nombre de collectivités à recourir à l’emprunt pour tenir les engagements qu’elles avaient pris à l’égard de leurs concitoyens dans le cadre des projets communaux.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Comme tous les élus locaux, vous dénoncez la perte d’autonomie fiscale des collectivités. Ce problème existe depuis de nombreuses années mais s’est accéléré. Comment pourrait-on rétablir l’autonomie fiscale locale ?
M. André Laignel. Voilà plus de vingt ans que je combats toutes les suppressions d’impôts, car c’est une erreur financière pour l’État et les collectivités, mais aussi une erreur démocratique, car cela a coupé le lien entre les citoyens – et ensuite les entreprises – et les collectivités territoriales. Cette erreur a été commise de manière continue. Il est très difficile de reconstituer ce qui a été détruit, mais il faudra revenir à une participation de l’ensemble de nos concitoyens. La position de l’AMF est claire : nous sommes favorables à une contribution territoriale universelle. Celle-ci peut très bien ne pas se traduire par un accroissement de l’impôt pour les citoyens, puisqu’elle peut être compensée par des dégrèvements d’une autre nature. Je n’entrerai pas dans le détail ; des cabinets ont travaillé sur le sujet. Il est important de retisser le lien entre les citoyens et les collectivités, tant pour les premiers que pour les élus car, dès lors que ces derniers ne décident plus de l’évolution des dépenses et des choix fiscaux, une déresponsabilisation s’installe, ce qui n’est pas sain pour la vie démocratique.
M. Anthony Boulogne (RN). La France n’a pas connu de budget en équilibre depuis cinquante ans. Elle a multiplié les emprunts pour assurer ses dépenses courantes et a enchaîné les déficits. Les deux dernières années ont été marquées par une dégradation plus qu’inquiétante des finances publiques, qui est allée au-delà des prévisions gouvernementales, déjà très pessimistes. L’ensemble des administrations publiques – État, sécurité sociale et collectivités locales – sont concernées par ce dérapage. La dégradation des comptes publics locaux en 2023 et en 2024 semble s’expliquer en partie par des prévisions de croissance trop optimistes de l’État, qui ont faussé le montant attendu des recettes fiscales des collectivités. Confirmez-vous cette analyse ?
Les grosses collectivités disposent-elles d’une expertise locale pour s’assurer de la fiabilité des prévisions de l’État ? Mettez-vous parfois en doute ces prévisions lorsqu’elles s’écartent à l’excès des chiffres de l’année précédente et ne correspondent pas à la réalité économique constatée sur le terrain ?
Les quelques collectivités qui disposent encore de ressources propres ne devraient-elles pas prévoir des marges de manœuvre budgétaires en cas d’erreur dans les prévisions gouvernementales ?
En votre qualité d’élu local, connaissez-vous précisément le montant des recettes versées par l’État, notamment de la DGF, avant l’élaboration du budget ?
M. André Laignel. C’est lors du vote du budget que nous apprenons le chiffre exact. Nous avons toutefois connaissance des chiffres des années précédentes. Nous effectuons des calculs dans le cadre du Comité des finances locales : au-delà du chiffre brut, il faut tenir compte des prélèvements sur la DGF, qui peuvent faire varier le montant d’une année sur l’autre. C’est lors de la délibération du Comité des finances locales que nous connaissons le chiffre net.
Il est arrivé par le passé que les prévisions soient justes mais au cours des deux ou trois dernières années l’AMF a affirmé très clairement – comme l’attestent nos nombreux communiqués – que les prévisions étaient irréalistes – s’agissant, par exemple, de la baisse de 0,5 % des dépenses en 2024, qui ne pouvait en aucun cas être tenue. Le Comité des finances locales, dont les membres sont élus par les collectivités territoriales et que Charles de Courson connaît bien pour y avoir siégé pendant des années, produit également des analyses acérées.
Lors du dernier scrutin, il y a environ un an, plus de 60 % des maires et des présidents d’intercommunalités – et une proportion encore supérieure des présidents des conseils départementaux et régionaux – ont participé à l’élection des membres du Comité des finances locales, alors même qu’il n’y avait qu’une liste. C’est dire l’importance qu’attachent les élus locaux à cette instance et sa légitimité – il en est de même pour le CNEN.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). La Cour des comptes a évoqué un « emballement des dépenses locales » dans son rapport de février. Les dépenses ont en effet augmenté de près de 7 % en 2023 et devraient croître de plus de 5 % en 2024 – les chiffres définitifs ne sont pas encore connus. Cela représente une hausse de 2,5 à 3 points en volume. L’augmentation des dépenses locales est supérieure de 5 points à celle des dépenses de l’État. Comment expliquez-vous cette évolution alors que vous subissez le même niveau d’inflation et le même accroissement du point d’indice que dans les autres fonctions publiques ?
M. André Laignel. Que la Cour des comptes le dise n’en fait pas une vérité révélée. David Lisnard, président de l’AMF, et moi-même avons cosigné une réponse pour contester ces analyses ; pour nous, elles ne sont pas fondées. Je pourrai vous faire parvenir ce courrier, qui n’a rien d’extraordinaire : les associations d’élus sont consultées et nous répondons par écrit. Nous réfutons tout emballement. L’évolution réelle des dépenses des collectivités territoriales est beaucoup moins forte qu’annoncé : entre janvier 2024 et janvier 2025, les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 4,4 % – nous sommes très loin des chiffres que vous venez de citer.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je vous laisse contester les chiffres de la Cour des comptes. Toutefois, vous n’avez pas répondu à ma question. En 2023 et en 2024, les dépenses en volume des collectivités territoriales ont augmenté de 2,5 points. La hausse est très supérieure à l’inflation et plus élevée, de 5 points, que pour les dépenses de l’État. Comment expliquez-vous ces écarts ?
M. André Laignel. Je ne referai pas la démonstration de l’incidence des charges imposées et de la conjoncture à laquelle nous avons dû faire face. Je le répète, les chiffres que vous mentionnez sont erronés. J’ai devant moi la situation mensuelle comptable des collectivités locales au 31 janvier 2025, fournie par la DGFIP : je n’invente aucun chiffre. Les dépenses réelles de fonctionnement ont augmenté de 4,4 %. C’est très loin de ce que vous évoquez.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). C’est 2,5 points de plus que l’inflation et 5 points de plus que les dépenses de l’État : vous ne répondez pas sur l’écart.
Entre 2012 et 2020, les recettes de DMTO ont pratiquement doublé. Le Comité des finances locales (CFL), que vous présidez depuis très longtemps, a pour responsabilité d’en mettre une partie en réserve. Ces dernières années, les mises en réserve ont été extrêmement faibles. Avec le recul, ne pensez-vous pas qu’il aurait fallu les augmenter, pour aider les départements à franchir une étape très difficile ? Le CFL n’a-t-il pas sous-estimé le besoin de péréquation ?
M. André Laignel. Comme Départements de France, nous en avons débattu – nous le faisons chaque année, avec tous les partenaires concernés. Le Comité des finances locales a adopté les propositions faites à l’unanimité. Avec le recul, on peut toujours considérer qu’il aurait fallu mettre plus en réserve, mais qui aurait pu dire il y a quatre ans que les recettes de DMTO s’écrouleraient aussi vite ?
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je sors de mon rôle pour compléter la réponse précédente. En 2019, le département des Alpes-Maritimes a perçu 527 millions d’euros au titre des DMTO ; en 2024, 530 millions. Sur la période de référence que vous citez, le chiffre est donc stable. Le département a contribué à la péréquation, horizontale et verticale, à hauteur de 64 millions en 2019 et de 100 millions en 2024 – s’agissant des recettes de DMTO, les Alpes-Maritimes sont le deuxième département, après Paris. Ainsi, la péréquation a augmenté de 50 % ! Elle a bien été mise en œuvre.
M. André Laignel. Monsieur Cazeneuve, vous comparez l’évolution des dépenses des collectivités et celle des dépenses de l’État. Or nous finançons intégralement nos dépenses, ce qui n’est pas le cas de l’État.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Vous avez traité de fable l’extrapolation effectuée à partir des chiffres de fin juillet. Toujours selon la situation mensuelle comptable des collectivités locales, les dépenses de fonctionnement avaient, à cette date, augmenté de 7 %, et les dépenses d’investissement de 14 %. Comme pour les dépenses de l’État – c’est le travail du budget –, une extrapolation a été faite en année complète, d’où le chiffre de 16 milliards d’euros. La bonne nouvelle, c’est qu’on n’a pas constaté 16 milliards – le chiffre est plus près de 10 milliards. L’augmentation des dépenses a donc ralenti au second semestre. Comment l’expliquez-vous ?
M. André Laignel. Je ne peux pas expliquer ce que nous ne maîtrisons pas. Par ailleurs, extrapolation n’est pas raison – on le constate assez facilement en l’occurrence. Les membres du CFL ont quasi unanimement contesté les chiffres avancés au sujet du « dérapage » – terme très excessif. Nos informations venaient du terrain, non de comptes abstraits faits par certaines administrations, et elles ne nous donnaient absolument pas les mêmes indications. Selon moi, les remontées de terrain étaient plus fiables que les extrapolations qu’on nous a présentées. D’ailleurs, la suite l’a prouvé.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Vous contestiez l’effort de 0,5 point en volume pour 2024 et vous dites que vous avez été mis devant le fait accompli – je veux bien vous croire sur cette question. Lors du débat budgétaire, je ne me souviens pas que vous ayez sollicité les parlementaires à ce sujet. Avez-vous informé les membres de mon groupe ou le rapporteur général de l’époque que vous n’étiez pas à l’aise avec ce chiffre ?
M. André Laignel. Je ne sais pas ce qu’est être à l’aise avec une baisse de 0,5 point ! J’ai contesté ce chiffre dès la première minute ; je ne voyais pas la nécessité d’aller au-delà de la protestation déjà exprimée, notamment dans le cadre du Haut Conseil des finances publiques locales. Plusieurs membres du gouvernement étaient présents ainsi que le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et le premier président de la Cour des comptes. Dès le départ, j’ai dit que rien de tout cela n’avait de sens, que cet objectif était inatteignable. Je n’ai pas à en dire plus. J’ai toujours été à l’aise avec mon analyse de la réalité financière des collectivités.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Vous auriez pu en faire part aux parlementaires, qui auraient apprécié votre sollicitation.
Vous avez dit sous serment que vous n’aviez pas la main sur la masse salariale. Heureusement, les collectivités territoriales ont une part de responsabilité dans ce domaine. Vous avez également dit, ce qui me gêne plus, que l’encadrement des dépenses des collectivités n’avait fait l’objet d’aucune concertation depuis la fin des contrats de Cahors. J’en suis témoin, les membres du gouvernement et les associations d’élus ont très longuement discuté de ce qui devait ou non figurer dans la loi de programmation des finances publiques – on s’en souvient ici. Pourriez-vous clarifier ce point ?
M. André Laignel. De nombreuses rencontres ont eu lieu. On nous a informés mais, sur ce sujet, jamais les discussions n’ont atteint le stade de la négociation. Nous dire que ce sera tant, sans modification possible, ce n’est pas organiser une concertation.
Je n’ai jamais dit que nous n’avions aucunement la main sur la masse salariale ; j’ai dit que pour 90 % des évolutions financières en la matière les décisions initiales ne relevaient pas de nous. J’ai dressé la liste de tous les éléments ne dépendant pas de décisions locales qui ont eu un impact sur l’évolution de la masse salariale en 2023. J’ai même précisé que j’approuvais certaines des décisions prises sans nous, comme l’augmentation du point d’indice. Il était nécessaire de revaloriser la fonction publique territoriale, mais nous n’avons pas décidé l’augmentation et nous n’avons pas négocié son taux.
M. le président Éric Coquerel. Le projet de loi de programmation des finances publiques et le PLF pour 2024 ont été adoptés par 49.3, sans débat sur tous les points à l’Assemblée nationale. Il n’y avait pas de majorité pour voter ces textes : beaucoup de groupes contestaient les chiffres avancés, notamment les économies attendues s’agissant des collectivités. Il suffit de lire le compte rendu : on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas des contestations à l’époque.
Pour ce qui est de l’estimation de 16 milliards d’euros, pensez-vous que les collectivités ont freiné leurs dépenses ou que les prévisions étaient exagérées ?
M. André Laignel. Je considère que les prévisions ont été exagérées. J’irai plus loin : je pense que cette préparation d’artillerie, en quelque sorte, visait à justifier la baisse des moyens alloués aux collectivités territoriales.
M. le président Éric Coquerel. Mme Raquin a souligné que la méthodologie était contestable. Vous nous avez dit qu’elle ne vous avait pas été présentée. Avez-vous par la suite tenté d’en prendre connaissance et de la comprendre ?
M. André Laignel. Oui, j’en ai d’ailleurs parlé à l’époque avec le rapporteur général du budget, Charles de Courson. Bien entendu, nous avons investigué. M. de Courson m’a transmis des documents. Il existe un biais : les calculs ont été effectués à partir de l’évolution des dépenses jusqu’en juillet, moment où elles atteignent un pic. Toute extrapolation à partir de ce résultat sera fausse, ce que l’administration sait parfaitement.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans sa note de juillet, à partir de laquelle on a extrapolé abusivement, la DGFIP soulignait qu’il ne fallait pas procéder ainsi car le taux obtenu ne serait certainement pas celui qui serait constaté a posteriori pour l’année.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Les documents stratégiques peuvent fausser les prévisions en matière de déficit public. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, la loi de programmation des finances publiques vise à donner une vision pluriannuelle des dépenses et des recettes des administrations publiques – l’État et ses opérateurs, les collectivités territoriales, les administrations de sécurité sociale. Cette loi de programmation permet également à l’État de présenter nos orientations à la Commission européenne ; la trajectoire est ensuite actualisée dans le programme de stabilité. Ces deux documents sont les seuls à offrir une vision prospective consolidée du déficit. Or la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et le programme de stabilité d’avril 2024 présentent des défauts qui sont peut-être à même d’expliquer les erreurs de prévision constatées.
D’abord, ils ne comportent pas de prévision par catégorie d’acteurs. Ensuite, ils ne proposent pas de traduction opérationnelle, ce qui d’ailleurs serait compliqué – 42 000 acteurs sont concernés. Enfin, ils ne prennent pas en considération les éléments exogènes. Je pense par exemple au rapport de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), qui évalue ce qu’il faudrait financer au niveau des collectivités locales pour assurer la transition énergétique et pour faire face au changement climatique. À aucun moment de l’élaboration de ces trajectoires pluriannuelles, l’avis des collectivités n’est obligatoire. Devrait-il l’être ?
M. André Laignel. Le rappel est utile. Aucune consultation n’est obligatoire, et il n’y a pas forcément de consultation facultative. Le financement des collectivités locales constitue un des trois éléments majeurs des lois de programmation : elles devraient être obligatoirement consultées – ce serait la moindre des choses. Un tel changement représenterait un progrès majeur. Nous pourrions en amont exprimer nos objections, présenter nos calculs et nos remontées de terrain, que Bercy ne peut pas toujours prendre en considération – ses agents sont brillantissimes, mais intégrer des données dans des tableaux ne revient pas à les vivre sur le terrain. L’AMF dispose pour s’informer d’un réseau de plus de 30 000 maires : notre degré d’implication et notre analyse sont en grande partie liés à notre capacité à faire remonter l’information.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Merci pour votre analyse ; vos réponses sont toujours très cohérentes. Votre discours est celui d’un décentralisateur mais, dans ce pays, ce n’est pas aussi simple.
Les prévisions de recettes doivent être les plus précises possible, en particulier pour celles affectées aux collectivités territoriales. À l’automne 2024, lors des auditions que j’ai menées en tant que rapporteur spécial, des représentants des collectivités locales ont déploré la probable surestimation des recettes de TVA pour 2025. Il m’a été indiqué que certaines collectivités se seraient assuré le concours d’ingénieurs en sciences des données, afin de disposer de leurs propres estimations. Avez-vous connaissance de telles initiatives ?
M. André Laignel. Je n’en ai pas une connaissance précise : on m’a fait part d’informations du même ordre. Je ne dispose pas de données mais étant donné le niveau de compétences que vous évoquez, il ne peut s’agir que d’un petit nombre de collectivités, qui ont les moyens. Je ne peux exclure que de très grandes collectivités aient leurs propres moyens d’analyse. C’est vraisemblablement le cas de grandes villes dotées d’un appareil administratif du plus haut niveau.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Il est apparu au cours de nos auditions qu’une externalisation des travaux techniques de prévision à moyen terme menés par Bercy était envisagée. En tant que président du Comité des finances locales, qu’en pensez-vous ? Les collectivités territoriales y seraient-elles favorables ? Comment pourraient-elles y participer ?
M. André Laignel. Sur le principe, je vois mal comment on pourrait ne pas être favorable à une évolution propre à améliorer la connaissance des données et des problèmes. Quelle pourrait être notre implication ? Les collectivités ont peu de moyens d’analyse à l’échelle nationale. Le CNEN ne s’occupe que des normes. L’Observatoire des finances et de la gestion publique locales, que je préside, a un personnel très restreint – j’ai quatre collaborateurs. Nous faisons des analyses ciblées, par exemple sur le coût des bibliothèques et des médiathèques dans l’ensemble des collectivités territoriales ou sur le coût des polices municipales, afin d’objectiver certaines questions, mais nous sommes limités à quelques études par an. Pour aller plus loin, il faudrait beaucoup plus de collaborateurs.
M. Emmanuel Mandon (Dem). À la suite de la crise sanitaire, de nombreux États voisins, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont également surestimé la croissance des recettes fiscales, de TVA en particulier. Leurs collectivités territoriales ont-elles été pour cette raison contraintes de relever les mêmes défis que les nôtres ?
M. André Laignel. Très honnêtement, je ne suis pas capable de vous répondre.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Monsieur le président, M. Laignel est-il auditionné en tant que président du Comité des finances locales ou en tant que représentant de l’Association des maires de France ?
M. le président Éric Coquerel. Nous avons sollicité l’AMF. M. Lisnard n’étant pas disponible, il nous a proposé d’entendre M. Laignel.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Entendrons-nous M. Lisnard ?
M. le président Éric Coquerel. Non, il ne viendra pas, il a été remplacé par M. Laignel. En raison des délais, une audition n’était possible que s’il se faisait remplacer. C’est lui qui a choisi de se faire remplacer.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). C’est surprenant.
M. le président Éric Coquerel. Qu’entendez-vous par là ?
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). C’est surprenant dans le cadre d’une commission d’enquête. Certes, c’est très bien que M. Laignel soit là, mais j’ai été surpris que le président de l’AMF ne l’accompagne pas.
M. le président Éric Coquerel. Il ne pouvait pas venir aux dates que nous lui proposions. Il ne le pouvait qu’à des dates trop tardives eu égard à l’obligation de remettre le rapport en avril. C’est pourquoi il a choisi de se faire représenter.
M. André Laignel. Si vous le permettez, j’ajoute que je tiens tous mes propos au nom de l’AMF. Dans ces domaines, David Lisnard et moi parlons d’une seule voix.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Vous n’êtes pas le seul à toujours comparer les dépenses de l’État et celles des collectivités pour dire qu’on ne peut rien vous reprocher, puisque vos budgets sont à l’équilibre. Néanmoins, on oublie toujours de dire que les collectivités et l’État n’ont pas les mêmes responsabilités – vous le savez, vous avez été membre du gouvernement. L’État est chargé de la dissuasion nucléaire, de la protection du pays, de la sécurité, de la protection sociale, des retraites, de l’éducation nationale, et cetera, et cetera. Pour moi, un tel argument est avancé pour qu’on ne débatte pas du sujet, ni du rôle des collectivités locales dans la situation des finances publiques. D’autres arguments sont recevables, mais celui qui consiste à dire que les collectivités sont irréprochables et, en gros, que si l’État était géré comme les collectivités, il n’y aurait pas de problème de dette ni de déficit, ne l’est pas.
M. André Laignel. Je ne crois pas avoir attaqué l’État de quelque façon que ce soit. Il fait face à ses propres contingences, que je mesure parfaitement – vous l’avez souligné, j’ai été membre du gouvernement. Je ne compare absolument pas les finances des collectivités avec celles de l’État, lequel ne fait pas nécessairement preuve de la même prévention – c’était plutôt mon propos. Nous n’avons jamais eu la prétention d’être irréprochables. Rien dans ce que j’ai dit ne vous permet de l’affirmer.
Nul ne peut douter que sur 44 000 entités, certaines présentent des problèmes, mais nous considérons que globalement les collectivités territoriales gèrent sérieusement leurs affaires, quelles que soient leurs couleurs – l’AMF et le CFL représentent l’ensemble des familles politiques. J’ai évoqué les comparaisons européennes en ce qui concerne le coût des collectivités, ainsi que l’évolution, depuis 1994, de leurs dépenses et des déficits en pourcentage du PIB. On constate, et les chiffres sont ceux de l’État, que les niveaux sont stables depuis plus de vingt ans.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Même si vous n’en approuvez pas tous les éléments, il ressort du rapport sur les finances locales que la Cour des comptes a publié en 2024 que l’emploi public local a explosé, ce que nous pouvons constater dans nos circonscriptions, et que de trop nombreuses collectivités n’appliquent toujours pas le temps de travail légal. Tout cela a sur les finances publiques des conséquences négatives. Certaines collectivités ne devraient-elles pas balayer devant leur porte ? N’ont-elles pas fait preuve d’un peu trop de largesse, ces vingt dernières années, dans leur gestion des ressources humaines ?
M. André Laignel. Je n’ai pas ce sentiment. Je ne crois pas que les fonctionnaires territoriaux soient des privilégiés, ni qu’ils aient bénéficié de largesses.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Je n’ai pas dit cela.
M. André Laignel. Vous avez employé le terme « largesse », dont on pourrait inférer que la politique de gestion du personnel des collectivités serait débridée et que les agents auraient bénéficié d’avantages hors du commun, ce qui n’est évidemment pas le cas. Telle ou telle collectivité a pu décider de mener une politique que je ne me permettrais pas de juger mais que vous pourriez considérer, de votre côté, trop large. Nationalement et globalement, ce n’est pas le cas. L’immense majorité applique la loi relative au temps de travail. C’est ce que je fais dans ma propre communauté de communes – je suis républicain.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Sitzenstuhl, j’ajoute que j’ai reçu de M. Lisnard une lettre dans laquelle il demandait officiellement à être remplacé pour cette audition et que j’ai à ce sujet consulté les deux rapporteurs.
M. Fabien Di Filippo (DR). Quand on évoque les problèmes de prévision ou les « dérapages », on occulte souvent les détails.
Nous nous intéressons aux écarts entre les prévisions et l’exécution en 2023 et 2024. En 2023, les effets de l’inflation énergétique étaient encore très sensibles. Quel en a été l’impact ? Un collègue a évoqué l’inflation, mais en oubliant que l’énergie pèse bien plus dans le budget d’une commune que dans celui d’un ménage. Quand le prix de l’énergie augmente de 200 ou 300 %, le budget s’en ressent fortement.
Ma deuxième question porte sur les arrêts maladie et plus particulièrement les mi-temps thérapeutiques. Jusqu’en 2020 les conditions pour bénéficier de ces derniers étaient relativement strictes. Le gouvernement a ensuite décidé qu’un simple passage chez le médecin traitant et un document Cerfa suffiraient. Dans une commune que je connais bien, neuf agents sont concernés. Or, pendant un an, la commune paie l’intégralité du salaire. Cela peut représenter 135 000 euros, soit environ 1 % du budget de fonctionnement. Avez-vous un avis sur ce point ?
Une part significative des collectivités ne peut plus s’assurer. Pour celles qui le peuvent encore, les franchises sont de plus en plus élevées. Les autres doivent prendre en charge le risque elles-mêmes.
Ces différents éléments, mis bout à bout, représentent des centaines de milliers d’euros, y compris pour des villes moyennes. Il faudrait compenser d’une manière ou d’une autre, mais on n’y arrive peut-être plus.
M. André Laignel. Nous avons lancé – au sein de l’Association des maires de France – un travail important sur les assurances. Je suis conscient que je mets tantôt cette casquette tantôt celle du Comité des finances locales, mais je n’ai pas le sentiment de trahir l’une ou l’autre entité en évoquant mes deux rôles.
Alain Chrétien, membre du bureau de l’AMF, a présenté un rapport sur l’assurabilité des biens des collectivités locales dans lequel il formule, avec son corapporteur, des propositions. Par ailleurs, le gouvernement devrait publier prochainement des préconisations – nous en avons parlé ce matin dans le cadre de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales.
Nous rencontrons trois problèmes majeurs. Le premier est le refus des assurances. Certaines collectivités se trouvent aujourd’hui sans assurance, soit pour une partie de la couverture nécessaire, soit pour la totalité. C’est de plus en plus fréquent. Le deuxième problème est le montant des franchises : il peut être tel qu’il n’y a strictement aucun intérêt à souscrire un contrat. Le troisième problème est la multiplication par deux, par trois, voire plus, des primes par rapport à ce qui était payé antérieurement. Ces trois problèmes sont très préoccupants. Je suis actuellement en négociation pour une assurance sur les biens de la communauté de communes que je préside et je ne sais pas encore si je l’obtiendrai.
Nous cherchons des solutions avec le gouvernement. Les procédures existantes doivent être renforcées pour que nous ayons droit à des assurances. Ensuite, il faudra sans doute mettre en place des commissions d’arbitrage afin que tout se déroule dans des conditions acceptables.
Je me permets de rappeler que ce ne sont pas les maires qui décident en matière d’arrêts maladie, mais les médecins, car on fait parfois peser sur les maires la responsabilité de l’absentéisme. Nous sommes amenés à constater l’absentéisme à la suite d’arrêts maladie qui sont sans doute prescrits par les médecins à juste titre dans 99,9 % des cas – il y a éventuellement, ici ou là, un peu de laxisme.
Concernant l’inflation énergétique, certains contrats ont été conclus au cours des années dont nous parlons – 2021, 2022 et 2023 –, parfois pour une période de trois ans. Ma commune, par exemple, a eu la malchance de devoir renégocier avant le 1er janvier 2023 et s’est donc retrouvée avec une augmentation de 340 %. Dans ces conditions, comment voulez-vous absorber une baisse des dépenses de 0,5 % ?
M. le président Éric Coquerel. Le Haut Conseil des finances publiques locales, dont on peut dire que le rôle est en quelque sorte de suivre un peu plus attentivement les dépenses, s’est réuni deux fois et il n’y aura pas de troisième fois, si je ne me trompe pas. Considérez-vous que c’est un échec ?
M. André Laignel. Oui, c’est un échec.
Pour une fois, j’avais été consulté – cela arrive. Bruno Le Maire m’a appelé personnellement pour me dire : « Tu es président du Comité des finances locales. Je voudrais mettre en place un organisme, mais n’y vois pas un doublon. Ce serait un lieu où l’on pourrait éventuellement dialoguer ». Je lui ai ensuite demandé s’il était possible d’aller au-delà, jusqu’à une négociation, et il m’a dit oui. Je lui ai alors répondu que, dans ces conditions, j’étais tout à fait d’accord en tant que président du CFL et que je ne doutais pas que l’Association des maires de France serait représentée, ce qui a été le cas lors des deux sessions.
Monsieur le président, vous avez participé aux réunions : vous avez pu constater qu’à aucun moment une négociation ne s’est engagée, malheureusement. Le Haut Conseil des finances publiques locales aurait pu être un bon outil s’il avait été un lieu non seulement de concertation, mais aussi de négociation sur l’objet des efforts demandés, sur leur volume et sur des garanties face aux injonctions permanentes de l’État à notre égard.
Nous sommes tous républicains et polis, nous pouvons tous dialoguer en permanence, mais il faut aller plus loin en recherchant les voies d’un accord, comme cela se fait dans de grands pays qui nous entourent. Je pense notamment à l’Allemagne, où le Bundesrat s’occupe de ces questions et où rien ne se fait au sujet des collectivités sans qu’il y ait d’abord une négociation. Celle-ci est plus que jamais nécessaire dans notre pays.
M. le président Éric Coquerel. Le débat sur la responsabilité des collectivités dans l’augmentation imprévue des déficits exerce sur elles une pression pour l’avenir.
J’ai eu un peu de mal à rassembler les chiffres – il faut notamment regarder la formation brute de capital fixe des administrations publiques locales – mais, grossièrement, la part des entreprises dans l’investissement total a baissé de 2 points entre 2017 et 2023 alors que la part de l’investissement public a augmenté. Elle est passée de 15 % à 18,5 % grâce aux collectivités locales, qui représentent environ 41 % de l’investissement financé. Par ailleurs, à peu près toutes les études montrent que, pour espérer respecter les accords sur le climat, il faudrait 23 milliards d’euros d’investissements supplémentaires de la part des collectivités d’ici à 2030.
N’y a-t-il pas une contradiction entre l’importance du rôle des collectivités en matière d’investissement et des objectifs qui leur sont fixés en ce qui concerne la transition écologique et le fait que, dans le même temps, l’État compte sur elles pour réduire les déficits ?
M. André Laignel. C’est manifestement contradictoire. On nous demande d’investir de plus en plus et quand nous investissons on nous le reproche – nous l’avons encore entendu tout à l’heure.
On ne peut répondre aux besoins, en particulier en matière de transition écologique, que si les collectivités territoriales participent pleinement. Qui peut croire que la seule action de l’État permettra d’assurer les évolutions indispensables ? Je pense notamment à l’eau et l’assainissement, qui font partie des grands enjeux pour notre civilisation – la question de l’eau est mondiale –, mais c’est vrai plus généralement pour tout ce qui concerne le verdissement.
On nous demande de faire plus. La loi de finances pour 2025 a ainsi renforcé le fléchage vers des investissements dans la transition écologique, pour la DETR, la DSIL et le peu qu’il reste du fonds Vert, mais on accroît nos obligations tout en réduisant nos moyens d’investissement. La dotation du fonds Vert a diminué de 1,35 milliard d’euros. Or, pour avoir une idée de la réalité des investissements réalisés dans les collectivités, il faut multiplier par trois ou quatre, selon les domaines, le montant des subventions de l’État. Cela signifie que la suppression de 1,35 milliard d’euros de crédits représente au moins 5 milliards d’euros d’investissement en moins. Il faudrait au contraire, je l’ai dit, faire plus afin de répondre aux nécessités de notre temps.
M. le président Éric Coquerel. Il me reste à vous remercier.
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Information relative à la commission
La commission a désigné M. Daniel Labaronne, rapporteur sur la proposition de loi contre les fraudes aux moyens de paiement scripturaux (n° 884).
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 11 mars 2025 à 16 heures
Présents. - M. Anthony Boulogne, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Benjamin Dirx, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, M. Mathieu Lefèvre, M. Thierry Liger, M. Emmanuel Mandon, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, M. Jacques Oberti, Mme Christine Pirès Beaune, M. Charles Sitzenstuhl, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Thomas Cazenave, M. Philippe Lottiaux, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Eva Sas, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, Mme Justine Gruet