Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, sur la conjoncture économique 2
– Présence en réunion...........................21
Mercredi
2 avril 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 097
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee, qui est auditionné afin d’évoquer des questions relatives à la conjoncture économique.
L’Insee a publié le 18 mars une note de conjoncture intitulée Désordre mondial et croissance en berne. Plus récemment, le jeudi 27 mars, l’Insee a publié les premiers résultats des comptes nationaux des administrations publiques pour 2024. Il y apparaît que le déficit public s’établit finalement à 169,6 milliards d'euros, soit 5,8 % du PIB, la dette publique augmentant pour sa part de 202,7 milliards, pour atteindre 113 % du PIB.
M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee. Merci, monsieur le président. Effectivement, notre dernière note de conjoncture, publiée le 18 mars, s’intitule Désordre mondial et croissance en berne. Je vais vous en présenter les points saillants, puis aborder les résultats des finances publiques notifiés à la commission à la fin mars 2025.
Le titre « Désordre mondial » prend tout son sens aujourd’hui, avec l’annonce, ce soir, de nouveaux droits de douane. La précédente note de l’Insee évoquait une croissance « suspendue à un regain de confiance », mettant l’accent sur l’incertitude domestique liée à l’absence de loi de finances. Si cette question a été résolue, c’est désormais le risque majeur d’une guerre commerciale qui pèse sur l’économie française, européenne et mondiale.
Lors de l’élaboration de ladite note, fin février-début mars, mes collègues – dont Clément Bortoli, chef de la division Synthèse conjoncturelle à l’Insee – ont formulé l’hypothèse que les États-Unis augmenteraient les droits de douane de leurs principaux partenaires commerciaux de 20 %. Nous anticipons un impact significatif sur le commerce mondial, de l’ordre de 4 % après prise en compte des effets d’itération.
À court terme, l’horizon de notre note de conjoncture se limitant aux deux premiers trimestres de l’année, l’effet n’est pas massif. Nous pourrions même observer des chiffres erratiques, notamment en raison de comportements de stockage préventifs face aux annonces de hausses de droits. Néanmoins, nous révisons à la baisse la croissance du commerce mondial de quelques dixièmes sur chacun des deux trimestres.
Notre note inclut une brève étude montrant que l’Allemagne et l’Italie sont plus exposées aux exportations vers les États-Unis que la France et l'Espagne. En effet, la France n'a pas d’excédent commercial net vis-à-vis des États-Unis.
Concernant l’impact déjà perceptible sur certains indicateurs américains, bien que nous ne disposions pas encore de chiffres concrets pour les premiers mois de l’année, les indicateurs de confiance des ménages fournis par le Conference Board et l’Université du Michigan affichent une nette tendance à la baisse depuis la fin 2024. La consommation en volume, qui s’accroît tendanciellement, marque également un recul en janvier 2025.
Dans la zone euro, nous observons toujours une dégradation continue du climat des affaires en Allemagne depuis 2022, conséquence de l’invasion de l’Ukraine et de la hausse des prix de l’énergie. Cet effet est particulièrement marqué en Allemagne en raison du poids de son industrie énergivore. L’impact est moins prononcé en France et en Italie, tandis que l’Espagne est relativement peu affectée. Elle continue même de croître, comme nous l’avons analysé dans une précédente note de conjoncture.
Cette tendance se reflète dans les indicateurs de production industrielle. L’Allemagne connaît une baisse continue depuis 2022, sans signe de redressement. La France et l’Espagne résistent mieux, tandis que l’Italie, malgré un climat des affaires plus favorable, souffre également au niveau de sa production manufacturière. Il est important de noter que l’Allemagne et l’Italie sont les plus exposées aux exportations vers les États-Unis.
Concernant la France, dont la croissance est en berne, notre prévision pour les deux premiers trimestres 2025 indique une croissance positive mais faible : de 0,1 % au premier trimestre 2025 et de 0,2 % au second trimestre 2025. En corrigeant l’effet des Jeux olympiques, nous observons des croissances comprises entre 0,1 % et 0,2 % par trimestre depuis le début de l'année 2024.
La croissance de 2024 s’établit à 1,1 %, conformément aux prévisions, mais avec une composition différente. L’acquis de croissance pour 2025, en supposant une croissance nulle aux troisième et quatrième trimestres, serait de 0,4 %. Nous avons révisé cet acquis à la baisse par rapport à notre précédente note de conjoncture qui l’anticipait à 0,5 % ou 0,6 %.
Le climat conjoncturel reste dégradé. Nos trois indicateurs phares – le climat des affaires, le climat de l’emploi et la confiance des ménages – demeurent en dessous de leur moyenne historique.
La confiance des ménages, qui s’était effondrée au printemps 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine, ne s’est rétablie que lentement et partiellement. Elle s’établit en deçà de 100 points, sa moyenne historique. Elle a de nouveau fléchi à la fin 2024 en raison des incertitudes politiques et budgétaires.
Le climat des affaires, élevé à la sortie de la crise sanitaire de 2020, s’est continuellement dégradé depuis, même si la tendance est moins marquée ces derniers mois. L’indicateur s’affiche également en deçà de la moyenne historique.
Le climat de l’emploi, qui avait montré une forte résilience, affiche désormais un climat en dessous de la moyenne historique, selon la perception des entreprises, dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment, des services, du commerce de détail et du commerce de gros. Bien que la situation ne soit pas catastrophique, elle mérite notre attention. Ce constat vaut également pour les sous-secteurs de l’industrie.
Il est intéressant de comparer cette situation à la période pré-Covid. Avant la pandémie, les indicateurs étaient relativement alignés, sans différences majeures de conjoncture entre les sous-secteurs. La crise sanitaire a provoqué une chute abyssale de ces indicateurs au printemps 2020. Depuis lors, nous observons une dynamique très différente et inédite. Actuellement, il semble y avoir une tendance à la resynchronisation, mais avec des niveaux qui restent inférieurs à la moyenne, ne laissant pas présager une reprise imminente.
Malgré l’état de ces indicateurs, une nouvelle encourageante concerne l’inflation. Notre dernière estimation pour le mois de mars la prévoit à 0,8 %. Nous prévoyons que l’indice des prix à la consommation (IPC) restera légèrement inférieur à 1 % dans les mois à venir, avec une projection à 1,1 % en juin. L’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) européen suit désormais une tendance similaire.
L'inflation actuelle est principalement liée aux prix des services. La composante liée à la hausse des prix alimentaires s’est estompée, ce qui ne signifie pas pour autant un retour des prix à leur niveau pré-inflation, mais plutôt une stabilisation de la hausse sur douze mois. Nous constatons également, depuis février et la baisse des prix de l’électricité, une contribution négative des prix de l’énergie en glissement annuel.
Le repli de l’inflation entraîne un impact sur le pouvoir d’achat, notamment celui des salariés. En glissement annuel, les salaires nominaux progressent d’environ 2 %. Cependant, en considérant le salaire réel, corrigé de l’inflation, nous avons observé des pertes importantes de pouvoir d’achat, atteignant jusqu’à 2,5 % en glissement annuel lorsque l’inflation était à son apogée.
Depuis quelques trimestres, la hausse des salaires dépasse celle de l’inflation. Avec une inflation autour de 1 % et des salaires progressant d’environ 2 %, nous constatons des gains de pouvoir d’achat de l’ordre de 1 % en rythme annuel. Néanmoins, cela ne compense que la moitié des pertes subies en 2022 et 2023, lorsque l’inflation était forte.
Concernant l’emploi, le climat actuel, fortement corrélé à l’évolution de l’emploi dans les secteurs marchands non agricoles, s’est dégradé. L’emploi, qui a connu une forte croissance post-Covid, montre désormais une tendance à la baisse. Au quatrième trimestre, l’emploi salarié était inférieur de 0,2 % à son niveau de l’année précédente. Cette situation est cohérente avec le climat d’emploi dégradé que nous observons.
Le phénomène de baisse de productivité observé depuis la crise du Covid commence à s’atténuer. Bien que nous n'ayons pas retrouvé les niveaux de productivité d’avant la pandémie, la légère croissance économique combinée à des baisses d’emplois entraîne un léger regain de productivité.
Notre prévision pour le taux de chômage anticipe une hausse lente. Il atteindrait 7,6 % au deuxième trimestre 2025.
En ce qui concerne le pouvoir d’achat global des ménages, nos données actuelles indiquent une forte hausse en 2024, d’environ 2,5 % en moyenne. Cette augmentation des revenus nominaux des ménages se décompose en plusieurs contributions : les revenus d’activité, les prestations sociales et les revenus du patrimoine. La contribution de ces derniers est positive depuis quatre ans.
La contribution des prestations sociales à la croissance du revenu a été aussi importante que celle des revenus d’activité en 2024. Cette situation est relativement rare en dehors de contextes exceptionnels, comme la crise du Covid en 2020. Notre projection pour 2025 reste positive, avec un acquis de croissance du pouvoir d’achat des ménages estimé à 0,9 %, avec une stabilité prévue pour les troisième et quatrième trimestres. Bien que positif, ce chiffre est légèrement inférieur aux prévisions établies à la mi-2024.
La consommation, malgré une croissance en 2024, n’a pas atteint les niveaux escomptés. Nous observons une évolution notable dans la structure de cette consommation, avec une prédominance des services. L’inflation de 2022-2023 a entraîné une contribution négative de la consommation alimentaire. Pour l’avenir, nous anticipons un léger rebond de la consommation globale, à compter de la mi-2025.
Le taux d’épargne des ménages, historiquement stable autour de 15 % durant la décennie précédant la crise du Covid-19, a connu des fluctuations importantes pendant la pandémie. Actuellement, il se maintient à un niveau élevé d’environ 18 %, soit deux à trois points au-dessus de l’équilibre pré-Covid. Nos prévisions indiquent une légère baisse de ce taux, ce qui, combiné aux gains modestes de pouvoir d’achat, devrait stimuler la consommation et soutenir l’activité pendant les deux trimestres à venir.
Ces prévisions sont néanmoins incertaines et nous nous attachons à comprendre le comportement des ménages. Nos analyses s’appuient sur diverses enquêtes mensuelles auprès de ceux-ci. Les résultats actuels révèlent une propension record à l’épargne, ce qui pourrait freiner la baisse du taux d’épargne. Cependant, nous observons également une légère amélioration de l’intention d’effectuer des achats importants, ce qui offre une perspective plus optimiste.
En ce qui concerne l’investissement des ménages, les indicateurs du secteur immobilier, tels que le nombre de logements mis en chantier et le nombre de permis de construire, demeurent à des niveaux très bas depuis 2023. Bien que la situation ne se dégrade plus, une reprise rapide de l’investissement dans le logement semble peu probable.
Par ailleurs, la situation financière des entreprises reste globalement satisfaisante. Le taux de marge du secteur marchand, hors activités financières et immobilières, se situe deux à trois points au-dessus du niveau de 2019. Toutefois, cette performance est largement influencée par les secteurs de l’énergie et du fret maritime, qui ont bénéficié de prix élevés. EDF a notamment enregistré un excédent brut d’exploitation conséquent en 2023 et 2024. En excluant ces secteurs, le taux de marge des entreprises est comparable à la tendance pré-Covid.
Malgré cette situation financière relativement favorable, les indicateurs d’investissement des entreprises sont mal orientés ou s’affichent à des niveaux très bas. Nous prévoyons donc une poursuite du recul de l’investissement des entreprises en 2025, après une baisse de 1,6 % en 2024 et de fortes hausses les années antérieures. À la mi-année 2025, l’acquis afférent s’afficherait à – 0,8 %.
Concernant le commerce extérieur, après de bonnes performances en 2023 et 2024, notamment grâce aux exportations d’énergie et de produits manufacturés, nous anticipons une stabilisation. Les incertitudes liées aux perspectives de guerre commerciale pèsent sur les prévisions.
En matière de finances publiques, les chiffres que je vais vous présenter sont désormais des estimations et non plus des prévisions. Ils ont été notifiés à la Commission européenne, laquelle communiquera dans trois semaines sur l’ensemble des agrégats de finances publiques de différents pays. Je ne m’attends pas à ce qu’elle émette des réserves concernant les comptes français de 2024.
Le déficit public pour 2024 s’établit à 5,8 % du PIB, un résultat légèrement meilleur que les 6,1 points initialement prévus. Cette amélioration s’explique par une exécution budgétaire de fin d’année plus favorable, des recettes de la sécurité sociale supérieures aux attentes et une modération des dépenses des collectivités locales au second semestre 2024.
La dette publique atteint 113 % du PIB, un niveau proche des prévisions antérieures. Le déficit public s’accroît ainsi de 0,4 point de PIB entre 2023 et 2024, résultat d’un effet de ciseaux : les recettes en parts de PIB diminuent de 0,2 point, tandis que les dépenses augmentent d’autant. Depuis 2021, malgré les crises successives, les dépenses publiques se maintiennent autour de 4 % du PIB, en euros courants.
Dans le même temps, les recettes ont été particulièrement affectées en 2024. Les trois principaux impôts de l’État – impôt sur les sociétés, TVA et impôt sur le revenu – stagnent en euros courants, ce qui implique une baisse en euros constants et en parts de PIB. Leurs évolutions respectives oscillent autour de 0 %, avec de légères variations positives ou négatives selon l’impôt considéré.
À long terme, les dépenses publiques, qu’on les considère avec ou sans crédits d’impôt et charges d’intérêt, ont atteint un pic en 2020 en raison de la crise sanitaire. Bien qu’en recul depuis, elles se stabilisent au niveau moyen des années 2010.
Concernant les prélèvements obligatoires, après une forte hausse entre 2011 et 2013, nous observons un retour au niveau de 2011, effaçant ainsi les augmentations d’impôts du début de la mandature de 2012. Cette baisse s’explique par les mesures prises, mais surtout par de moindres rentrées fiscales qu’anticipé, notamment pour la TVA et l’impôt sur les sociétés.
L’analyse des dépenses par sous-secteur révèle des évolutions notables. Les dépenses de l’État, autrefois prépondérantes, ont diminué en 2024 en part de PIB. Les dépenses de prestations sociales, quant à elles, suivent une tendance légèrement croissante, avec une augmentation significative en 2024. Les dépenses des collectivités locales affichent également une hausse, bien que moins prononcée. Les dépenses des organismes divers d’administration centrale (ODAC) restent relativement stables.
En chiffres absolus, la hausse des dépenses publiques atteint 63 milliards d’euros courants en 2025. Les prestations sociales représentent 39 milliards d’euros de cette augmentation, dont 25 milliards sont attribuables aux seules dépenses de retraite. Cette hausse s’explique notamment par la revalorisation des pensions d’environ 5 % au 1er janvier 2024, combinée à des effets de volume.
Enfin, la dette publique dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros, soit 113 points de PIB, et est principalement portée par l'État.
M. le président Éric Coquerel. Nous constatons que la dégradation du déficit en 2024 s’explique davantage par une baisse des recettes que par une hausse des dépenses. Le taux de prélèvements obligatoires diminue à 42,8 % du PIB, contre 43,2 % précédemment, tandis que le niveau des dépenses reste stable – autour de 57 % – depuis 2017, malgré l’augmentation des charges financières. Je note en outre que les dépenses publiques, hors crédits d’impôt et charges d’intérêts, diminuent en pourcentage du PIB, entre 2023 et 2024.
Compte tenu des nouvelles baisses de dépenses annoncées pour l’année prochaine et du manque à gagner de 5 milliards d’euros des recettes cette année, ne serait-il pas judicieux, pour redresser les comptes, d’envisager une augmentation des recettes qui ont diminué ces dernières années ?
Concernant les collectivités locales, votre première évaluation des comptes de 2024 indique une augmentation de leurs dépenses de 7,2 milliards d’euros, bien en deçà des 16 milliards initialement prévus en juillet dernier. Cette surestimation explique en partie pourquoi le déficit public de 2024 s’est avéré moins élevé qu’anticipé. L’exécutif avait intégré dans sa trajectoire de finances publiques l’hypothèse d’une diminution des dépenses locales de 0,5 % en volume, hypothèse jugée peu réaliste par la commission d’enquête.
À l’instar de 2023, la croissance de 2024 a été portée par le commerce extérieur et les dépenses publiques, notamment locales qui constituent 70 % des dépenses publiques. L’Insee a-t-il évalué la contribution des dépenses locales à la croissance en 2024 ? De plus, avez-vous estimé l’impact pour 2025 de l’effort demandé aux collectivités, évalué à plus de 7 milliards d’euros par l’AMF et à environ 2 milliards par le gouvernement ?
Vous notez une progression du pouvoir d’achat des ménages de 1,5 % en 2024, par rapport à 2023. Ces dernières années, les revenus – particulièrement salariaux – ont cependant augmenté moins vite que l’inflation, contrairement aux revenus du patrimoine. Les données de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) montrent une baisse du salaire mensuel de base corrigé de l’inflation de près de 3 %, entre 2017 et fin 2024. Cette hausse récente compense-t-elle la forte inflation passée ? Pourriez-vous préciser le gain de pouvoir d’achat entre 2019 et 2024, voire entre 2017 et 2024 ? Serait-il possible d’obtenir l’évolution du pouvoir d’achat par décile de revenus sur cette période pour identifier les gagnants et les éventuels perdants ?
Concernant le chômage, l’Insee prévoit une augmentation du taux à 7,6 % à la mi-2025. Avez-vous effectué des projections pour le second semestre 2025 ?
Par ailleurs, la dépense de consommation des administrations devrait augmenter de 0,2 % au deuxième trimestre 2025. La formation brute de capital fixe des administrations publiques croîtrait de 0,5 % au premier trimestre 2025 et 0,4 % au deuxième trimestre 2025, tandis que celle des entreprises non financières marquerait un recul de 0,4 %. Ces chiffres suggèrent-ils que la faible croissance observée au premier semestre 2025 est principalement soutenue par les dépenses de l’État et des ménages, plutôt que par le secteur privé ?
La courbe du salaire moyen par tête (SMPT) réel, corrigé du chômage partiel, amorce une baisse. Disposez-vous de projections pour son évolution future ?
Enfin, considérant l’annonce imminente de Donald Trump sur les droits de douane, l’Insee a-t-il élaboré des scénarios d’impact en cas d’intensification des tensions commerciales, au-delà des effets déjà anticipés ?
M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le directeur général, je souhaite soulever deux points majeurs. Tout d’abord, concernant la consommation des ménages, nous observons depuis trois ans un écart significatif entre les prévisions et les réalisations. Vos données montrent que la propension à épargner continue d’augmenter, contrairement aux prédictions de votre modèle keynésien, Mésange, qui anticipait une baisse. Ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux d’abandonner ce modèle, qui semble ne pas prendre en compte l’évolution du comportement des ménages, marqué par un manque de confiance et une appréhension face à l’avenir ? Cette situation explique en grande partie les écarts importants constatés sur les recettes de TVA.
Ma seconde interrogation porte sur la contribution du commerce extérieur à la croissance française. En 2023 et 2024, plus des trois quarts de la faible croissance française étaient attribuables au commerce extérieur, principalement en raison d’une stagnation des importations et d’une légère augmentation des exportations dans un contexte de ralentissement. Compte tenu de la conjoncture, estimez-vous que cette contribution pourrait devenir nulle, voire négative en 2025 ?
M. Jean-Luc Tavernier. Je répondrai d’abord aux questions de monsieur le président. Nos prévisions s'arrêtent au premier semestre 2025, conformément à nos méthodes qui se fondent sur les enquêtes disponibles. Les perspectives pour le second semestre seront abordées dans la note de conjoncture de juin 2025.
La contribution de la dépense publique a en effet été significative en 2024. La dépense de consommation des administrations a augmenté de 2 points de PIB, incluant les dépenses individualisables comme la santé et les dépenses collectives telles que les consommations intermédiaires des collectivités locales. La formation brute de capital fixe des administrations publiques a progressé de 3,2 % en 2024, après une hausse de 7,1 % en 2023. Ces chiffres élevés confirment la forte contribution de la dépense publique à la croissance de la demande en 2024, compensant partiellement la faiblesse de la consommation des ménages.
Pour 2025, nous anticipons un ralentissement des dépenses publiques. La croissance dépendra alors de la capacité d’autres secteurs à prendre le relais. Dans le contexte actuel, nous n’attendons pas de forte reprise de l’investissement des entreprises ni de l’investissement des ménages dans le logement.
Concernant les exportations, contrairement aux années précédentes où elles ont bénéficié d’un effet de rattrapage dans les secteurs de l’énergie et de l’aéronautique, nous prévoyons une contribution neutre, voire légèrement négative du commerce extérieur en 2025.
Néanmoins, certains facteurs restent positifs. Les dépenses de santé continuent de progresser et l’investissement des communes devrait rester dynamique en cette année préélectorale. La dépense publique ne disparaîtra pas en 2025, mais son rôle de soutien à la croissance sera moins marqué. La consommation représente le principal candidat au soutien de la croissance.
Il n’y a pas eu d’année de baisse de pouvoir d’achat du revenu, même si la perception peut être différente. Les prestations sociales restent dynamiques en euros courants et, malgré la perte de pouvoir d’achat des salaires individuels, les créations d’emplois ont contribué positivement à la masse salariale totale.
Quant à l’évolution des salaires réels, nous estimons qu’en cumul sur 2024 et 2025, ils auraient regagné un peu plus de la moitié des pertes subies en 2022 et 2023 : 1,4 % de regain de pouvoir d’achat pour le SMPT, contre 2,8 % de pertes. Il convient de tenir compte de la dynamique de l’emploi, qui a été très positive pendant plusieurs années, pour apprécier l’évolution de l’ensemble des revenus salariaux.
L’Insee ne dispose pas de données décomposées en déciles. Nous gardons cependant à l’esprit que le salaire minimum est indexé sur l’inflation. Il n’y a pas eu de perte de pouvoir d’achat des plus bas salaires, par construction. En revanche, les cadres ont perdu davantage de pouvoir d’achat que les ouvriers, dont le salaire est plus influencé par la hausse du Smic.
Les collectivités locales contribuent à ce tableau d’ensemble, leurs dépenses étant intégrées dans celles des administrations, tant en consommation qu’en investissement. Nous anticipons un ralentissement de ces dépenses, bien que moins marqué que prévu dans les projections de la loi de finances. Une fois encore, pour atteindre une croissance comparable à celle de 2023 et 2024, autour de 1 %, il sera nécessaire qu’un autre poste prenne le relais.
Concernant la propension à épargner et le taux d’épargne, la question ne relève pas tant du modèle Mésange que de la difficulté générale à expliquer la hausse du taux d’épargne depuis la période pré-Covid. Nous avons comparé ce phénomène avec d’autres pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, qui connaissent également une augmentation de l’épargne. Parmi les facteurs explicatifs communs, on trouve l’inflation, qui a clairement impacté la consommation dans des secteurs comme l’alimentation et l’énergie. De plus, nous observons des changements de comportements, notamment chez les jeunes et les citadins, qui manifestent moins d’intérêt pour l’acquisition automobile.
Il serait prématuré d’affirmer que le taux d’épargne ne reviendra jamais à 15 %. Les déterminants classiques de l’arbitrage consommation-épargne, tels que la progression du revenu ou les anticipations fiscales, restent pertinents. Nous constatons que les ménages ont été particulièrement sensibles à la hausse de l’inflation, mais n’ont pas nécessairement perçu dans les mêmes proportions l’évolution de leurs revenus en euros courants. Cependant, les enquêtes récentes montrent une prise de conscience du ralentissement de l’inflation, ce qui pourrait influencer positivement les comportements de consommation à l’avenir.
Néanmoins, à ce stade, la baisse du taux d’épargne n’est pas suffisamment marquée pour compenser entièrement les freins à la croissance, tels que le ralentissement de la dépense publique ou des exportations.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Permettez-moi de commenter vos derniers propos, monsieur le directeur général. Les ménages ont tendance à gérer leurs finances avec prudence, économisant lorsque l’avenir est incertain. Je me demande parfois pourquoi l’État n’adopterait pas une approche similaire.
J’en viens à mes questions. Le gouvernement, dans le dernier projet de loi de finances de 2025, prévoyait une croissance du PIB de 0,9 %, tandis que la Banque de France l’estimait à 0,7 %. Vous venez d’évoquer une croissance de 0,1 % pour le premier trimestre 2025 et un acquis de croissance pour la fin juin 2024 qui me semble très optimiste.
François Ecalle estime qu’une croissance inférieure de 0,2 point se traduit nécessairement par un déficit dégradé d’environ 0,1 point de PIB, soit 3 milliards d’euros. Dans ce contexte, la prévision gouvernementale de 0,9 % de croissance en 2025 vous paraît-elle encore réaliste ? Quelles conditions seraient nécessaires pour y parvenir ?
Ma seconde question porte sur le déficit public. Comment pourrait-il se maintenir à 5,4 %, comme prévu dans la loi de finances, sans l’adoption immédiate de mesures correctrices significatives ? Cette projection me semble excessivement optimiste.
M. Jean-Luc Tavernier. Vos questions portent sur des sujets qui dépassent les attributions du directeur général de l’Insee. Je ne peux ni éluder complètement votre question ni vous satisfaire entièrement dans ma réponse. Il est essentiel que je préserve ma position dans le cadre de ces auditions.
L’acquis de croissance pour 2025 s’élève à 0,4 %. Initialement, le gouvernement avait établi une prévision de croissance à 0,9 %, alignée sur celle de la Banque de France. Cette dernière a depuis révisé son estimation à 0,7 %. Pour atteindre ce chiffre, il faudrait observer une amélioration au deuxième trimestre, suivi d’une croissance de 0,4 % pour chacun des troisième et quatrième trimestres. En revanche, si la croissance se maintient à 0,2 % pour ces deux derniers trimestres, nous nous situerions entre 0,5 % et 0,6 % de croissance. Bien que cela représente une baisse par rapport aux 0,9 % initialement prévus, l’écart n’est pas considérable.
Il est important de rappeler la règle communément admise : avec un taux de prélèvements obligatoires de 50 %, une baisse de 2 % de la croissance entraîne une diminution d’un dixième des recettes. Cependant, d’autres facteurs influencent les finances publiques. La désinflation, par exemple, s’est révélée plus rapide et importante que prévu ces dernières années, ce qui affecte les recettes de fiscalité indirecte. Il convient donc de ne pas se focaliser uniquement sur la croissance, les cotisations sociales étant davantage liées à l’évolution des salaires.
Je m’abstiendrai de fournir des prévisions précises sur le déficit public de 2025. Néanmoins, le résultat de 5,8 % de déficit public en 2024, meilleur que les 6 % ou 6,1 % anticipés, constitue une base solide. Ce résultat n'est pas dû à des facteurs exceptionnels qui disparaîtraient en 2025, ce qui rend l’objectif de 5,4 % de déficit public en 2025 plus accessible. Rappelons que nous avons connu une augmentation de 63 milliards d'euros des dépenses publiques entre 2020 et 2024, ce qui laisse une marge pour ralentir cette progression.
M. le président Éric Coquerel. Le budget économique d’hiver, largement commenté dans la presse, envisage une possible baisse de 5 milliards d'euros des recettes. Cette prévision intègre déjà, en réalité, les ajustements liés à la croissance.
M. Daniel Labaronne (EPR). Merci, monsieur le directeur général, pour votre exposé et votre note de conjoncture intitulée Désordre mondial et croissance en berne. Vous y soulignez la détérioration de l’environnement international. Quel sera selon vous l’impact de cette dégradation sur les importations et exportations françaises, et par conséquent, sur le PIB effectif de l’économie française ?
S’agissant des conséquences des mesures de redressement des finances publiques sur la croissance, vous identifiez deux effets. Le premier est lié aux nouvelles recettes, comme l’augmentation de la fiscalité des entreprises qui pourrait affecter leur épargne et donc leur investissement. Le second concerne les dépenses, calculé comme l’écart entre la croissance des dépenses et la croissance potentielle.
C’est précisément sur cette croissance potentielle que je souhaite vous interroger. Son calcul est crucial pour déterminer le solde structurel, un point que vous abordez à plusieurs reprises dans votre note. Avez-vous une estimation du PIB potentiel de l’économie française, compte tenu de notre taux de chômage, de notre taux d’utilisation des capacités de production et de l’évolution de la productivité globale des facteurs de production ? Pouvez-vous évaluer l’écart entre le PIB potentiel et le PIB effectif ?
Enfin, j’aimerais connaître votre avis sur la méthode de calcul de la croissance potentielle. Celle-ci repose actuellement sur l’estimation d’une fonction de production à deux facteurs – le travail et le capital – omettant paradoxalement un troisième facteur essentiel : l’énergie. Ne serait-il pas temps de revoir notre approche d’évaluation de la croissance potentielle, qui détermine de nombreux indicateurs, notamment le solde structurel ?
M. Jean-Luc Tavernier. Notre note de conjoncture prend en compte une hypothèse de 20 % d’augmentation des droits de douane aux États-Unis, ce qui entraînerait un impact de 4 % sur le commerce mondial, après ajustements.
Cependant, nous ne sommes pas spécialistes de ce type de situations, que nous n’avons pas rencontrées depuis longtemps. La littérature sur le sujet est abondante et les chiffres varient considérablement. En France, nous avons la chance d’avoir le Cepii, un organisme particulièrement compétent sur ces questions.
Néanmoins, nous n’avons pas encore élaboré de prévisions alternatives pour un scénario plus pessimiste en matière de hausse des droits de douane ni pris en compte les éventuelles réactions des partenaires des États-Unis. À court terme, c’est surtout l’incertitude générée qui importe.
Nous avons consacré un éclairage dans notre note de conjoncture de mars à une réévaluation de nos méthodes de calcul de la croissance potentielle et de l’output gap. Cette question a été moins discutée ces dernières années en raison des perturbations liées au Covid, mais elle reste cruciale pour déterminer si nous sommes plutôt en contrainte d’offre ou de demande. Selon nos estimations actuelles, cet output gap – ou écart d’activité – est proche de zéro.
Nos enquêtes de conjoncture montrent qu’après des décennies de situation keynésienne où les entreprises manquaient surtout de demande, nous avons connu une période, notamment en 2018-2019 et à la sortie du Covid, où les problèmes d’offre (recrutement, approvisionnement) étaient prédominants. Actuellement, dans l’industrie, nous observons un équilibre entre les entreprises déclarant des difficultés d’offre et celles confrontées à des problèmes de demande.
Ce constat est cohérent avec un scénario de croissance potentielle d’environ 1 %. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux gains de productivité, élément central de cette analyse. Dans un billet de blog publié en juillet dernier, nous avons examiné la baisse de productivité par rapport à la période pré-Covid, ses causes possibles et ses implications futures. Notre meilleure prévision est un retour à un gain de productivité par tête de 0,7 %, similaire à la tendance observée en 2010. Ce chiffre, bien que ralenti par rapport aux Trente Glorieuses, combiné à une légère augmentation de la population active, aboutit à une croissance potentielle d’environ 1 %.
Quant à l’écart de production, nos estimations le situent autour de zéro, avec une méthode indiquant + 0,2 % pour début 2025, ce qui n’est pas significativement différent de zéro.
Concernant votre question méthodologique sur l’inclusion de l’énergie comme troisième facteur de production, c’est un débat qui remonte aux années 1970-1980 et qui émerge de nouveau. Bien que l’idée mérite d’être explorée, elle complexifie l’analyse en raison de la volatilité des prix de l’énergie. Cet axe de recherche serait certainement intéressant à développer.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je souhaite revenir sur les choix budgétaires du gouvernement pour 2025, que mon collègue Aurélien Le Coq qualifiait récemment de désastreux. Aux 30 milliards d’euros de coupes franches des dépenses publiques, clouant un peu plus le cercueil de nos services publics, s’ajoutent désormais 9 milliards de nouveaux gels de crédits. Cette pratique d’austérité discrète semble devenir une habitude pour ce gouvernement.
En à peine deux mois, nous assistons donc à une diminution de 40 milliards d’euros des moyens publics, ce qui équivaut à une fois et demie le budget du ministère de l’intérieur ou neuf fois celui de la culture.
Nous nous interrogeons sur les effets récessifs de ces politiques et leurs conséquences néfastes sur les recettes futures, créant un cercle vicieux que le gouvernement semble ignorer. Cette spirale se traduit par une réduction des dépenses, un affaiblissement des services publics, une baisse de la consommation et de la production, entraînant une diminution des recettes, et ainsi de suite.
Le gouverneur de la Banque de France affirmait récemment ne pas être « un anti-keynésien primaire » et que si la France avait un ratio dette/PIB de 62 % comme l’Allemagne, il serait le « premier à préconiser un effort massif de relance ». Notre ratio actuel s’élève à 113 %, ce qui peut sembler élevé, mais reste faible comparé à l’endettement privé qui représentait 280 % du PIB en 2021.
Existe-t-il un seuil critique mystère de dette sur PIB au-delà duquel notre économie et l’État seraient mécaniquement menacés, rendant toute politique de relance inopérante ? Sur quels travaux économiques une telle affirmation pourrait-elle s’appuyer ? Enfin, pensez-vous que notre pays et nos services publics peuvent supporter de nouveaux gels de crédits ? Quelles en seraient les répercussions sur la conjoncture économique ?
M. Jean-Luc Tavernier. Il n’existe pas de seuil critique tel que vous le décrivez, ce qui rend votre deuxième question caduque. Certes, la littérature économique a parfois évoqué un seuil de 90 %, notamment dans les travaux de Reinhart et Rogoff, mais il n’y a pas d'effets mécaniques ni de réactions automatiques des prêteurs. Il est impossible d’affirmer qu’à partir d’un certain niveau, une crise financière est inévitable.
Cependant, nous pouvons constater que plus un pays s’écarte des tendances observées chez ses pairs, tant en niveau qu’en évolution de sa dette, plus les marchés scrutent attentivement ses actions. Nous nous situons à mon sens à un niveau dangereux. Les évolutions de spread que nous avons connues, sans être alarmantes, constituent un signal à prendre au sérieux.
Il n’existe pas de seuil au-delà duquel les problèmes surviennent mécaniquement, mais il faut garder à l’esprit que la croissance de la dette a ses limites. À un moment donné, les prêteurs deviennent beaucoup plus vigilants. Ces comportements ne sont en revanche pas linéaires. Il est crucial d’avoir un plan de contingence pour réagir rapidement si nécessaire.
En tant que responsable du programme 220, je peux témoigner que sa part dans le PIB a diminué d’un tiers en vingt ans. Il est clair que continuer à réduire les dépenses de fonctionnement des services de l’État n’est pas une solution viable. La tension budgétaire semble très focalisée sur certains secteurs. Les dépenses qui augmentent tendanciellement ne sont pas celles de l’État. Les dépassements budgétaires observés en 2024 ne concernaient pas non plus l’État. Il est nécessaire que cette tension soit répartie de manière plus équilibrée.
M. le président Éric Coquerel. Votre intervention rappelle opportunément que les dépenses publiques constituent également des recettes.
Mme Sophie Pantel (SOC). Monsieur le directeur général, je tiens à vous remercier pour votre note de conjoncture. Les perspectives économiques pour 2025 confirment largement nos inquiétudes. Nous avons déjà évoqué les tensions commerciales, les difficultés à atteindre ne serait-ce que 0,4 % de croissance en milieu d’année et les marges d’action réduites face aux risques d’effets récessifs.
Concernant les ménages et la stagnation de la consommation, couplée à l’augmentation du taux d’épargne, nous aimerions connaître vos projections en matière de consommation des ménages à court, moyen et long termes. Dans ce contexte particulièrement contraint, nous estimons qu’un plan de relance axé sur le soutien à notre industrie et à la transition écologique pourrait être la solution pour redynamiser notre économie. Disposez-vous d’éléments de comparaison avec d’autres pays de l’OCDE à ce sujet ? Je n’ose vous demander votre opinion personnelle, sachant que vous me répondrez probablement que ce n’est pas votre rôle.
M. Jean-Luc Tavernier. Nous navons pas spécifiquement étudié des plans de relance. Il est important de noter qu’il y a autant d’entreprises dans l’industrie qui sont contraintes par l’offre que par la demande, un phénomène qui n’est pas propre à la France. Bien qu’il soit crucial de prêter attention aux questions de demande, il est tout aussi important de se pencher sur les problématiques d’offre et de comprendre pourquoi les gains de productivité se sont ralentis au fil des décennies, voire se sont effacés ces dernières années. Relancer l’économie sans augmenter l’offre en parallèle ne conduirait qu’à de l’inflation, sans réelle augmentation de l’activité.
Concernant l’arbitrage entre consommation et épargne, il est clair que la consommation ne dépendra pas principalement de l’évolution du pouvoir d’achat. Celui-ci a augmenté, comme en témoignent les 25 milliards d’euros de hausse des retraites en 2024. Ce qu’il nous faut vraiment comprendre, c’est l’élévation du taux d’épargne. Est-elle généralisée ? Ces analyses nécessitent des travaux approfondis et de longue durée, car nous disposons principalement d’indicateurs macroéconomiques.
Dans les manuels d’économie, on parle souvent d’un cycle de vie où les retraités auraient tendance à désépargner. Cependant, cette théorie n’est peut-être pas vérifiée dans la réalité. Il est possible que le taux d’épargne des retraités soit en fait plus élevé que celui des actifs. Ce sont des aspects que nous devons étudier plus en détail.
Actuellement, je ne peux pas vous donner de réponses précises. Nous avons des pistes, notamment grâce à un éclairage que nous avons apporté dans la note de conjoncture de décembre. En comparant avec d’autres pays, nous constatons que ce phénomène n’est pas propre à la France. Nous observons des questions liées à la perception de la situation économique et, pour ceux qui en ont les moyens, des changements de comportement vers plus de sobriété. Bien sûr, pour ceux qui font face à des contraintes de liquidité, la question ne se pose pas de la même manière.
Je peux néanmoins affirmer que la question de la consommation relève aujourd’hui davantage de la confiance et de l’évolution du taux d’épargne que d’un manque de pouvoir d’achat qui, en moyenne, ne fait pas défaut.
M. Nicolas Ray (DR). Merci, monsieur le directeur général, pour la complétude de la note de conjoncture présentée. Vous soulignez le rôle crucial de la consommation dans la croissance, mais comme vous l’avez mentionné, il n’y a pas de consommation sans confiance. Or cette confiance est actuellement ébranlée par un contexte d’incertitude, l’instabilité politique en France, les sanctions internationales et le poids de la dette publique. Les Français sont conscients qu’il faudra un jour rembourser cette dette.
Quels sont, selon vous, les outils à disposition de l’État pour stimuler la consommation dans un tel contexte ? Concernant l’autre pilier de la croissance qu’est l’investissement, comment anticipez-vous son évolution dans les mois à venir ?
Enfin, en lien avec les travaux de la commission d’enquête et compte tenu des erreurs de prévision de recettes constatées ces dernières années, certains de mes collègues proposent de retirer le monopole de prévision budgétaire à Bercy pour renforcer les prérogatives du Haut Conseil des finances publiques. Quelle est votre position sur cette proposition visant à obtenir des prévisions plus objectives et réalistes au regard du contexte actuel ?
M. Jean-Luc Tavernier. Concernant votre première question sur l’évolution du taux d’épargne, nous en avons déjà largement discuté. Il est essentiel de comprendre les facteurs en jeu. Je réitère qu’il s’agit de la perception de l’inflation, de comportements de sobriété, d’un problème de confiance générale et du fait que les revenus du patrimoine, moins épargnés, ont été plus dynamiques ces dernières années – une tendance qui devrait s’inverser mécaniquement.
Je ne sais pas comment contrer ce que j’appelle un « biais cognitif ». Ce terme n’est pas péjoratif, mais il reflète notre tendance à retenir plus facilement l’augmentation des prix que celle de nos revenus. Toute initiative visant à apporter de l’information claire sur ces aspects serait bénéfique, bien que ce ne soit pas le seul facteur en jeu. La confiance dans l’avenir dépend de nombreux éléments que vous connaissez bien.
S’agissant de l’investissement des entreprises, malgré une situation financière globalement stable – bien que gonflée artificiellement dans certains secteurs comme l’énergie et les services de transport –, nous anticipons une légère baisse en 2025, comparable à celle enregistrée en 2024. Dans le contexte d’incertitude actuel, nous ne voyons pas d’éléments particulièrement positifs qui pourraient inverser cette tendance.
Quant à votre dernière question sur les erreurs de prévision des finances publiques, j’ai eu l’occasion d’exposer mon point de vue devant votre commission d’enquête en janvier dernier. J’ai également participé au comité réuni par Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, puis par Éric Lombard et Amélie de Montchalin, aux côtés de collègues de l’OFCE, de l’Institut des politiques publiques, de la Banque de France, etc. Nous avons formulé plusieurs propositions qui sont publiques.
Ma position n’a pas changé depuis lors. En tant que membre du Haut Conseil des finances publiques, je suis conscient de la complexité de la situation. Pour les prévisions macroéconomiques, nous disposons d’une multitude de sources : le gouvernement, la Banque de France, l’OFCE, les organisations internationales, les banques, etc. Cette diversité permet d’établir un consensus, même si cela n’empêche pas des erreurs collectives sur certains points, comme l’explication du surcroît des prélèvements obligatoires.
En matière de finances publiques, la situation est différente. Les prévisions détaillées, notamment sur l’impôt sur les sociétés, la TVA ou l’impôt sur le revenu, sont principalement réalisées à Bercy. À l’exception d’un chercheur à l’Institut des politiques publiques, peu d’organismes extérieurs s’y consacrent. Il faut comprendre que ces travaux de prévision spécifiques à la France n’attirent pas l’attention des revues académiques internationales, ce qui limite l’intérêt des laboratoires de recherche.
Je pense qu’il est crucial d’encourager davantage de travaux de prévision, notamment sur les recettes, dans des instituts comme l’OFCE ou l’Institut des politiques publiques. Cela nécessite d’accroître et de diversifier le capital humain dans ce domaine, plutôt que de simplement déplacer les experts de Bercy vers d’autres institutions comme la Cour des comptes.
La prévision de l’impôt sur les sociétés, par exemple, est particulièrement complexe. Elle ne se limite pas à la prévision de l’excédent brut d'exploitation, mais implique la prise en compte de nombreux facteurs tels que les bénéfices fiscaux, les questions de déficit reportable et les comportements spécifiques des grandes entreprises.
Avec Nicolas Véron, nous avions proposé dans un rapport au gouvernement la fusion du Cepii et de l’OFCE, ainsi qu’un financement socle pour des organismes comme l’Institut des politiques publiques, avec un cahier des charges incluant la contribution régulière à la prévision des finances publiques – au moyen de deux ou trois articles annuels, par exemple.
En résumé, je préconise non pas de déplacer le capital humain existant, mais de l’accroître et de le diversifier pour améliorer la qualité et la fiabilité des prévisions économiques et budgétaires.
Mme Éva Sas (EcoS). Je vous remercie, monsieur Tavernier, pour votre présentation. Ma première question concerne le pouvoir d’achat. Selon la Dares, entre décembre 2023 et décembre 2024, le salaire de base a progressé de 2,8 %, alors que l’inflation n’a atteint que 1,2 %. Ces chiffres, qui corroborent vos données, sont encourageants. Cependant, il convient de rappeler que cette amélioration fait suite à une baisse significative du pouvoir d’achat durant sept trimestres consécutifs, de la mi-2021 à la mi-2023.
De plus, vous anticipez une hausse des salaires de seulement 0,5 % au premier trimestre 2025, un rythme nettement inférieur aux années précédentes. Cette prévision semble se confirmer sur le terrain, avec seulement 47 % des directeurs de ressources humaines envisageant des augmentations individuelles en 2025, contre 62 % en 2024. Ces chiffres révèlent un refus persistant de revaloriser les salaires.
Vous avez indiqué que les salariés n’avaient récupéré que la moitié du pouvoir d’achat perdu jusqu'à présent. Quelles perspectives envisagez-vous pour 2025, compte tenu du ralentissement inquiétant de la progression des salaires ? Pourriez-vous également préciser ce que vous avez mentionné concernant la contribution des prestations sociales à ces gains de pouvoir d’achat ?
Ma seconde question porte sur l’impact de la régression des politiques climatiques sur les perspectives économiques. Le dernier rapport du Boston Consulting Group indique que 5 % à 25 % des bénéfices des entreprises d’ici 2050 sont menacés par les risques matériels du changement climatique. Les entreprises les moins préparées à l’évolution des politiques climatiques pourraient être particulièrement pénalisées. Sans action décisive, le PIB mondial pourrait perdre jusqu’à 22 % de sa valeur d’ici 2100, comparé à un scénario où des mesures efficaces seraient mises en place pour contrer le changement climatique.
Quel est votre avis sur l’impact du recul des politiques climatiques au niveau international, notamment aux États-Unis, sur les perspectives économiques à moyen terme ?
M. Jean-Luc Tavernier. Concernant l’évolution du pouvoir d'achat, nous estimons qu’à la mi-2024, nous aurons récupéré la moitié des pertes subies lors des trimestres précédents. Notre prévision indique un ralentissement des salaires nominaux et même un léger ralentissement des salaires de base, ce qui semble cohérent avec les informations fournies par les directeurs des ressources humaines. Nous prévoyons que les gains de pouvoir d’achat se poursuivront, mais à un rythme plus modéré. Il est difficile de déterminer précisément quand les pertes de pouvoir d’achat de 2023 seront entièrement compensées, mais cela ne se produira probablement pas avant la fin de l’année 2025.
Quant à l’impact du recul des politiques climatiques sur les perspectives économiques, nous n’avons pas mené d’études approfondies sur ce sujet spécifique. Nous avons réalisé des travaux intéressants sur l’environnement et la valeur du carbone, mais nous n’avons pas encore analysé en détail les dommages potentiels à moyen terme causés par les changements climatiques. Il serait pertinent de produire une étude approfondie sur ce sujet dans les années à venir.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Je souhaite revenir sur trois points essentiels, monsieur le directeur général. Premièrement, concernant votre analyse du 18 mars sur les effets de la loi de finances 2025 sur la croissance, vous abordez l’impact de l’autorisation donnée aux conseils départementaux d’augmenter le taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) jusqu’à 5 %. Vous indiquez que cela pourrait affecter l’investissement des ménages dans les services et entraîner des répercussions sur leur épargne financière. Pouvez-vous préciser si cette mesure serait réellement bénéfique pour les départements en termes de recettes fiscales ? Ne risque-t-elle pas d’entraîner un impact négatif sur le marché du logement, comme ce fut le cas lors de la précédente augmentation des DMTO en 2014 ?
Deuxièmement, la loi de finances pour 2025 a introduit la possibilité pour les régions d’instaurer un versement mobilité plafonné à 0,15 % des salaires, pour les entreprises d’au moins onze salariés. Avez-vous évalué l’impact de cette nouvelle mesure fiscale sur l’activité économique ?
Enfin, vous estimez que la croissance au premier semestre 2025 serait d’environ 0,4 %. Pour atteindre les prévisions sur lesquelles repose la loi de finances, une croissance de 1,5 % à 1,6 % serait nécessaire. Vous soulignez que ces prévisions restent entourées de nombreuses incertitudes. Un nouvel abaissement du principal taux directeur de la BCE d’ici l’été prochain, ainsi qu’une augmentation des investissements publics et privés – dans le domaine de la défense, par exemple – pourraient-ils contribuer à dynamiser la croissance économique de notre pays au second semestre ?
M. Jean-Luc Tavernier. À propos de votre deuxième question, nous n’avons pas analysé le versement mobilité. Pour la première question, nous avons uniquement examiné l’effet mécanique et comptable de l’augmentation des DMTO, sans prendre position sur la mesure votée. Je tiens cependant à souligner que notre pays fait face à un problème de mobilité. Bien que je comprenne les difficultés de financement des départements, il serait simpliste de toujours chercher à résoudre leurs problèmes budgétaires en augmentant les DMTO. Cela risquerait d’accentuer les blocages existants sur le marché immobilier.
Votre dernière question permet d’évoquer certains facteurs potentiellement favorables à la demande et aux entreprises. La baisse des taux d’intérêt, même si les scénarios actuels sont incertains, pourrait être bénéfique pour les entreprises, bien que cet effet ne se manifeste probablement pas dans l’immédiat compte tenu du climat d’incertitude actuel. L’augmentation des dépenses de défense, non seulement en France mais dans l’ensemble de l’Union européenne, pourrait également soutenir l’activité économique, à condition qu’elle profite substantiellement aux entreprises européennes. Cependant, cet impact se fera vraisemblablement sentir au-delà de l’horizon temporel que nous examinons actuellement.
M. François Jolivet (HOR). Je souhaite aborder la question de la production de logements dans notre pays, notamment dans le secteur de la construction qui connaît actuellement un effondrement. Dans un contexte où l’investissement privé diminue, l’emploi industriel marque un recul et la demande intérieure peine à redémarrer, ne devrions-nous pas envisager une relance de la construction comme levier de croissance ? J’aimerais connaître votre évaluation du poids du secteur du logement et de la construction dans l’économie française, notamment en termes de contribution à la croissance, à l’emploi et aux recettes fiscales. À titre d’exemple, un logement au prix moyen en France, soit environ 240 000 euros, génère 40 000 euros de TVA. Ces éléments ne plaident-ils pas en faveur d’une reconsidération de la construction comme facteur de croissance et d’amélioration du pouvoir d’achat ?
M. Jean-Luc Tavernier. L’existence d’un problème de logement est indéniable. La difficulté réside dans la manière de le résoudre, car il s’agit à la fois de problèmes d’offre et de demande. Il est nécessaire de mobiliser des ressources, mais aussi de s’assurer que le logement reste abordable. Nous devons concilier la légitimité de certaines normes avec leur impact sur les coûts. Le défi consiste à trouver des solutions pour les zones tendues tout en tenant compte de ces différents aspects.
M. Michel Castellani (LIOT). La conjoncture se caractérise par une inflation probablement deux fois supérieure à la croissance, ce qui n’est pas de bon augure. Nous observons une dette publique à 113 % du PIB, une formation brute de capital fixe à – 1,5 % et un déficit global des échanges extérieurs. Face à ce constat, quelle est la marge de manœuvre réelle de la puissance publique ?
En second lieu, pourriez-vous nous éclairer davantage sur la dépense publique ? En particulier, comment expliquer l’écart d'environ 15 points de PIB entre les prélèvements obligatoires (42,8 % du PIB) et la dépense publique (57,1 % du PIB) ? Nous constatons également un écart de 6 points de PIB entre les recettes et les dépenses publiques.
Enfin, comment les incertitudes liées à la guerre en Ukraine, aux perspectives de l’économie mondiale et à l’instabilité politique affectent-elles la confiance, l’évolution prévisible des taux d'intérêt et in fine la croissance ?
M. Jean-Luc Tavernier. Je souhaite apporter deux éléments importants. Premièrement, dans la conjoncture, le scénario normal implique une reprise de la consommation. Notre marge de manœuvre réside donc dans ce surcroît de consommation, sujet que nous avons déjà largement abordé. Cette marge n’est pas aisément identifiable ailleurs et il serait inopportun d’encourager l’investissement dans un contexte d’incertitudes aussi marquées.
Deuxièmement, je tiens à souligner que, bien que nous ne vous ayons pas présenté toutes les courbes, il existe des recettes publiques hors prélèvements obligatoires. Si les prélèvements obligatoires ont effectivement diminué de 0,4 point de PIB entre 2023 et 2024, les autres recettes ont légèrement progressé. Globalement, nous nous retrouvons dans une situation comparable à celle des années 2011-2012 pour l’ensemble de ces indicateurs.
M. Gérault Verny (UDR). Je vous remercie pour cet exposé éclairant, monsieur le directeur général. J’aimerais aborder des questions d’ordre plus macroéconomique. Tout d’abord, selon votre expérience et vos travaux, existe-t-il une corrélation entre la dépense publique, la dette publique et la croissance ? Ensuite, un niveau d’imposition et de fiscalité excessif entrave-t-il la croissance ? Enfin, considérez-vous que la précarité des emplois créés ces huit dernières années, majoritairement peu qualifiés, faiblement rémunérés et à faible valeur ajoutée, constitue également un frein à la croissance ?
M. Jean-Luc Tavernier. Je vais répondre à vos deux premières questions, bien que je ne dispose pas de travaux spécifiques de l’Insee pour étayer mes propos. Je ne pense pas qu’il existe un modèle démontrant qu’un niveau plus élevé de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires soit intrinsèquement plus ou moins favorable à la croissance. Une société manquant de secteur public générera des inégalités préjudiciables à la croissance, tandis qu’un excès de secteur public pourrait réduire les incitations au travail. L’essentiel réside dans le consensus social. Si les citoyens perçoivent que leurs contributions financent des services de qualité et équitablement distribués, l’acceptation du prélèvement est facilitée.
C’est pourquoi j’ai œuvré pour développer le concept de « redistribution élargie », désormais intégré à nos comptes nationaux augmentés, afin de démontrer que nous ne payons pas toujours pour les autres. J’ai été frappé par les sondages révélant que 70 à 80 % des Français estiment contribuer plus qu’ils ne bénéficient de la sphère publique. Il est crucial de rectifier cette perception en prenant en compte l’éducation, la santé, et d’autres services publics, pour montrer que la majorité bénéficie en réalité davantage de la sphère publique qu’elle ne le croit. Sans cette compréhension, la cohésion sociale est menacée.
M. Gérault Verny (UDR). Vous m’orientez vers un terrain idéologique et politique, alors que je vous interroge sur des données chiffrées. En examinant le classement des vingt premiers pays par niveau de dépense publique et leur croissance, on constate une corrélation inverse : plus la dépense publique est élevée, plus la dette publique l’est également et plus la croissance moyenne sur les dix dernières années est faible. Ce sont des chiffres que j’attendais dans votre réponse.
M. Jean-Luc Tavernier. Vous faites référence à des études que je n’ai pas à l'esprit, car à ma connaissance, aucune règle absolue n’a été établie en la matière. Je suis convaincu que la qualité des institutions, du dialogue social et politique, ainsi que la confiance des citoyens, sont des facteurs bien plus déterminants que des règles mécaniques. Néanmoins, un endettement excessif peut en effet entraîner une hausse des taux d’intérêt et une crise de confiance financière, comme je l’ai déjà mentionné.
Concernant votre deuxième point, j’en conteste les prémisses. La création d’emplois a été significative et nos enquêtes sur l’emploi ne montrent pas de dégradation de sa qualité. La proportion de CDD par rapport aux CDI, de temps partiel par rapport au temps plein, ou encore le sous-emploi, n’a pas augmenté. Ces indicateurs sont restés relativement stables. Si nous avons créé de nombreux emplois peu qualifiés depuis plusieurs décennies, c’est en partie parce que le coût du travail au niveau du Smic constituait auparavant une barrière à l’emploi des moins qualifiés. En réduisant le taux de chômage de plus de 10 % à 7 %, nous avons permis aux moins qualifiés d’accéder à l’emploi grâce à un coût du travail au Smic devenu plus abordable pour les entreprises. Je ne pense pas qu’il y ait eu un effet de précarisation, réelle ou perçue, sur l’activité économique ces dernières années. En tout cas, l’Insee n’a rien publié allant dans ce sens.
M. le président Éric Coquerel. À mon sens, la création de 700 000 autoentrepreneurs ne correspond pas nécessairement à des emplois stables.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Monsieur le directeur général, peut-on estimer qu’une partie du gain de pouvoir d’achat que vous avez décrit provient de l’écart entre l’indexation automatique des retraites, de certaines prestations et du Smic, basée sur des estimations d’inflation, et l’inflation réellement constatée, qui s’avère inférieure ?
Ma seconde question concerne l’élasticité entre le niveau de recettes des collectivités et leur niveau d’investissement. Si nous étions amenés à freiner la dynamique des recettes des collectivités, cela aurait-il un impact sur leurs investissements, ou, compte tenu de leur trésorerie et de leur faible niveau d’endettement, l’impact serait-il secondaire ?
M. Jean-Luc Tavernier. À propos des prestations, la forte contribution des prestations au pouvoir d’achat en 2024 s’explique en partie, mais pas uniquement, par le fait que les indexations de janvier pour les pensions et d’avril pour de nombreuses autres allocations étaient basées sur l’inflation de 2023. En 2024, nous observons par conséquent une augmentation significative du pouvoir d’achat des retraités, car les pensions ont été revalorisées selon l’inflation de 2023 dans un contexte où l’inflation de 2024 s’avère plus faible. Cela se traduit par un gain de pouvoir d’achat d’environ 3 % pour toutes ces allocations indexées a posteriori en 2024 sur une inflation passée, conformément aux dispositions légales.
Quant à votre seconde question, je ne peux pas répondre de manière catégorique. Nous avons été surpris en 2024 que les dépenses des collectivités locales aient augmenté un peu plus que leurs recettes. Cela a été possible grâce à une situation financière favorable héritée du passé. L’effet n’est pas probablement mécanique, mais nous n’avons pas approfondi cette question, donc je ne m’avancerai pas davantage sur ce point.
M. Christian Girard (RN). Je souhaite attirer votre attention, monsieur le directeur général, sur les récents indicateurs économiques préoccupants. L’Insee rapporte un recul de 0,1 % de la consommation des ménages, principalement dû à une baisse des dépenses alimentaires. De plus, les prévisions de croissance pour 2025 ont été revues à la baisse, avec un acquis de seulement 0,4 % à la mi-année. Dans le même temps, la situation de l’emploi continue de se dégrader, avec 50 000 suppressions de postes au premier trimestre.
Face à ces constats, quelle est votre évaluation de la résilience de l’économie française dans le contexte actuel, marqué notamment par la baisse des prix de l’énergie et les tensions internationales ? Quels leviers envisagez-vous pour soutenir la croissance tout en limitant les impacts sociaux du ralentissement économique ?
M. Jean-Luc Tavernier. Votre question soulève des enjeux complexes. Vous avez effectivement cité des indicateurs globalement défavorables. Cependant, concernant la consommation, le début d’année n’est pas aussi négatif qu’il y paraît. Il faut noter que la baisse de la consommation alimentaire inclut le tabac, dont la diminution représente en réalité un aspect positif pour la santé publique. Nous maintenons notre prévision d’une légère hausse de la consommation en début d’année.
L’enjeu principal réside, selon moi, dans la stimulation et le regain de la confiance. Il est crucial de faire prendre conscience que la situation du pouvoir d’achat n’est pas uniformément dégradée et que nous disposons d’une trajectoire viable pour les finances publiques. Ces éléments devraient contribuer à raviver la confiance et, par conséquent, à relancer la consommation.
Dans le contexte d’incertitude actuel, je ne préconise pas tant une politique d’encouragement à l’investissement. Néanmoins, cela n’exclut pas la mise en œuvre de politiques industrielles ciblées, notamment dans le domaine de la défense. Il est également primordial d’offrir aux entreprises une visibilité sur l’évolution future des coûts énergétiques, cet aspect étant déterminant pour leur compétitivité. Les entreprises ont un besoin impératif de prévisibilité concernant leurs dépenses énergétiques.
M. le président Éric Coquerel. Merci, monsieur le directeur général, pour cet exposé et ces réponses très précises.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 2 avril 2025 à 9 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Jean-Pierre Bataille, Mme Anne Bergantz, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Laure Miller, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Corentin Le Fur, Mme Marianne Maximi, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, M. Emmanuel Tjibaou