Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de M. Julien Rencki, préalable à sa désignation en tant que directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO)              2

  Examen pour avis, par délégation, de l’article 22 du projet de loi, adopté par le Sénat, de programmation pour la refondation de Mayotte (n° 1470) (M. Charles de Courson, rapporteur pour avis)              15

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur l’impact et les évolutions possibles pour les dépenses fiscales en faveur du patrimoine de M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial de la mission Culture : Patrimoines              25

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur l’aide publique au financement de la décarbonation du site ArcelorMittal de Dunkerque de M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial des missions Investir pour la France de 2030 et Plan de relance              33

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information relatif à l’évaluation des résultats des centres éducatifs fermés de M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial de la mission Justice              43

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la réforme des bourses de MM. Charles Sitzenstuhl et Thomas Cazenave, rapporteurs spéciaux de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante              50

  Présence en réunion................................56


Mercredi
11 juin 2025

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 128

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission entend M. Julien Rencki, préalablement à sa désignation en tant que directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO)

M. le président Éric Coquerel. M. Julien Rencki exerce depuis 2016 les fonctions de directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO). Son audition par notre commission, préalable à sa reconduction dans ces fonctions pour une durée de trois ans, est prévue par l’article L. 421-2 du code des assurances tel qu’il a été modifié par la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, sur la proposition de notre collègue Daniel Labaronne.

Cette audition n’est pas suivie d’un vote, mais elle présente l’intérêt d’associer plus étroitement notre commission aux réflexions menées par le FGAO. Cet organisme a pour mission d’indemniser les victimes d’accidents de la circulation lorsque le responsable du sinistre n’était pas assuré ainsi que de prendre en charge les assurés victimes du retrait d’agrément de leur assureur. Il intervient également auprès des victimes d’accidents de chasse causés par des chasseurs non assurés ainsi que des propriétaires d’habitations endommagées par une activité minière.

M. Julien Rencki, directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO). J’ai l’honneur d’exercer les fonctions de directeur général du FGAO depuis 2016. Le Gouvernement a bien voulu proposer ma reconduction pour un nouveau mandat de trois ans, ce qui me conduit à me présenter devant vous aujourd’hui. Je me réjouis de cette occasion d’évoquer l’action et les grands enjeux du fonds et de répondre à vos questions.

Le directeur général du FGAO exerce en réalité une double fonction : non seulement il gère les missions propres du FGAO, dont la principale est l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des conducteurs non assurés ou en fuite, mais il est également chargé de mettre en œuvre, par délégation, les missions du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), créé en 1986 sous l’impulsion de Françoise Rudetzki, inlassable porte-parole des victimes d’attentats et elle-même victime, que j’ai eu la chance de côtoyer pendant six ans – elle a été membre du conseil d’administration du fonds depuis la création de celui-ci et jusqu’à son décès, en 2022. Je suis heureux de pouvoir évoquer sa mémoire devant vous aujourd’hui.

Il y a donc deux fonds, deux organismes de service public, qui disposent chacun de leur conseil d’administration et de leurs ressources propres, mais qui sont gérés de manière intégrée par la même équipe, placée sous l’autorité du même directeur général. Ce modèle original, qui existe depuis quarante ans, a fait la preuve de sa pertinence en conciliant la pluralité des gouvernances, qui permet la représentation de chacune des parties prenantes, et l’unité de la gestion, gage d’efficacité et de réactivité salué par la Cour des comptes.

Le FGAO et le FGTI, rassemblés pour plus de lisibilité sous la dénomination commune de « fonds de garantie des victimes », ont de nombreux points communs, à commencer par ce qui constitue leur raison d’être : l’indemnisation des victimes qui n’ont d’autre recours que la solidarité nationale face à la violence – terroriste, criminelle de droit commun ou routière – qui les a frappées. La prise en charge de leurs dommages, souvent graves, constitue le cœur des compétences et de l’engagement des 390 collaborateurs du fonds de garantie des victimes, rassemblés à Vincennes et à Marseille. Ainsi, en 2024, le fonds a pris en charge 110 000 victimes et versé 840 millions d’euros d’indemnités. Mais après avoir indemnisé une victime, il se retourne contre le responsable du crime ou de l’accident, lorsqu’il est connu, pour exercer, dans la limite de la solvabilité dudit responsable, un recours subrogatoire ; 125 millions d’euros ont ainsi été recouvrés l’année dernière.

J’en viens maintenant aux spécificités de chacun des deux fonds.

Le FGAO est administré par un conseil constitué de douze membres, dont sept sont désignés par le secteur de l’assurance et cinq sont des personnalités qualifiées nommées par l’État. Ce dernier est par ailleurs représenté par un commissaire du gouvernement, aux pouvoirs étendus.

La principale mission du FGAO est la prise en charge des victimes d’accidents de la route dont l’auteur n’est pas assuré ou a pris la fuite. Ainsi, 8 000 victimes de dommages corporels, dont les proches de 168 victimes décédées, ont été indemnisées l’année dernière.

Le phénomène de la conduite sans assurance est un fléau, tant pour les victimes que pour la collectivité des assurés, qui en supporte l’essentiel du coût à travers la contribution de 1,2 % sur les primes d’assurance de responsabilité civile automobile versée au FGAO, et pour les conducteurs eux-mêmes, souvent jeunes, qui ont fait preuve de négligence ou de légèreté en choisissant de ne pas s’assurer et doivent donc, en cas d’accident, rembourser au fonds de garantie des sommes parfois très élevées.

Si le nombre de victimes prises en charge tend à décroître depuis quelques années – ce qui est évidemment une bonne nouvelle –, le coût de la non-assurance, lui, continue de progresser. Dans ce contexte, le FGAO connaît une situation financière fragile, caractérisée par un déficit de fonds propres de l’ordre d’une centaine de millions d’euros. Le retour à l’équilibre suppose un renforcement des actions de lutte contre la non-assurance, grâce notamment à l’utilisation accrue du fichier des véhicules assurés (FVA).

Pour sa part, le FGTI est administré par un conseil de neuf membres, dont quatre représentants de l’État, trois représentants des victimes et un représentant du secteur de l’assurance. Il est présidé par une magistrate issue de la Cour de cassation.

Le FGTI a été très fortement mobilisé, depuis dix ans, dans le contexte de la vague d’attentats sans précédent qu’a connue notre pays. Depuis le début de l’année 2015, il a ainsi indemnisé 7 700 victimes au titre de 96 attentats ayant frappé la France ou des Français à l’étranger – attentats qui, au total, ont causé la mort de plus de 360 personnes. Le FGTI a notamment pris en charge près de 3 000 victimes des attentats du 13 novembre 2015, ainsi que 2 800 victimes de celui commis à Nice le 14 juillet 2016.

Confronté à un choc opérationnel majeur, comme l’ensemble des acteurs de l’aide aux victimes, le fonds s’est transformé en profondeur pour mieux répondre aux attentes des victimes. Cette transformation est le résultat d’un dialogue approfondi mené avec les associations de victimes, que j’ai d’ailleurs eu l’honneur de réunir hier pour faire un point sur nos actions, lesquelles visent trois grands objectifs.

Il s’agit tout d’abord de mieux accompagner les victimes, notamment sur le terrain. Ainsi, chaque victime dispose, au sein du fonds de garantie, d’un interlocuteur dédié et spécialement formé, dont elle connaît le nom et le numéro de téléphone. Dès que c’est possible, nos chargés d’indemnisation se déplacent sur le terrain. Au cours des sept dernières années, ils ont ainsi réalisé plus de 2 800 déplacements auprès des victimes. Présentes sur place dès la survenance de l’attentat, que ce soit en France – comme récemment à Arras ou à Mulhouse – ou à l’étranger, les équipes accompagnent les victimes tout au long du processus d’indemnisation.

Le deuxième objectif est de faciliter l’accès des victimes à leurs droits. Le droit français de l’indemnisation repose sur le principe de la réparation intégrale et individualisée – c’est-à-dire non forfaitaire – des préjudices. Très complet, il est aussi complexe : c’est pourquoi nous déployons de grands efforts d’information et de pédagogie pour permettre aux victimes d’exercer leurs droits dans les meilleures conditions.

Enfin, nous voulons apporter aux victimes des solutions concrètes afin de mieux répondre à leurs besoins. Une indemnisation purement financière ne répond en effet pas toujours à leurs attentes. De ce fait, le fonds leur propose désormais une réparation en nature, qui vise à rendre l’indemnisation plus effective. Parmi les services proposés, on peut notamment citer l’accompagnement au retour à l’emploi, le soutien scolaire – je pense aux nombreux mineurs victimes de l’attentat de Nice –, ou encore, pour les victimes en situation de handicap, la mise en relation avec un architecte spécialisé dans l’aménagement du domicile.

Depuis 2015, le FGTI a fait la preuve de sa capacité d’adaptation et de son efficacité au service des victimes. Saluée par la Cour des comptes, l’action du fonds est, dans l’ensemble, perçue positivement par les victimes, même si l’indemnisation ne sera, par définition, jamais à la hauteur des traumatismes subis.

J’en viens à la deuxième mission du FGTI, la prise en charge des victimes d’infractions de droit commun. Elle est régie par une procédure particulière, puisque les victimes doivent d’abord saisir une juridiction spécialisée, la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi), qui transmet ensuite la demande au FGTI pour instruction.

L’année dernière, 29 000 victimes ont été prises en charge au titre de cette procédure. Ce chiffre est en constante augmentation : entre 2019 et 2024, le nombre de victimes indemnisées a ainsi progressé de 28 %, sous l’effet de la hausse sensible du nombre de victimes de blessures volontaires et de violences sexuelles. Ces évolutions reflètent celles de l’activité judiciaire, mais avec quelques années de décalage, puisque la procédure Civi intervient généralement après la condamnation pénale.

Le FGTI est mobilisé, avec l’ensemble des acteurs de l’aide aux victimes, pour accompagner au mieux ces personnes et leur permettre de faire valoir leurs droits. J’ai à cet effet noué une collaboration étroite avec la fédération France Victimes et son réseau d’associations locales d’aide aux victimes, qui jouent un rôle très important. Même si l’indemnisation intervient souvent tardivement, pour les raisons de procédure que j’évoquais à l’instant, on peut se féliciter qu’elle s’inscrive, dans 85 % des cas, dans un cadre amiable.

La troisième mission du FGTI, créée en 2008, est l’aide au recouvrement des victimes d’infractions. Nous intervenons pour permettre aux victimes non éligibles à la procédure Civi de recouvrer, totalement ou partiellement, les dommages et intérêts que le juge pénal leur a alloués. En 2024, 60 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif.

Je souhaite appeler votre attention sur la situation financière très dégradée du FGTI. Au 31 décembre 2024, son déficit de fonds propres s’établissait à quelque 6 milliards d’euros : il ne dispose que d’environ 3 milliards d’euros d’actifs, mis en réserve, pour faire face aux 9 milliards d’euros de « provisions techniques » correspondant aux engagements envers les victimes au titre d’infractions déjà survenues. Si le FGTI ne connaît pas de difficultés de trésorerie à ce stade, il fait donc face à un problème de solvabilité à moyen terme.

Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave. Dans un référé adressé à l’État en novembre 2020, la Cour des comptes l’avait déjà jugée « particulièrement inquiétante ». Elle s’explique par un effet de ciseau structurel entre la croissance des dépenses d’indemnisation et celle, beaucoup moins rapide, des ressources. Ainsi, au cours des cinq dernières années, les dépenses d’indemnisation ont progressé en moyenne de 7,5 % par an quand les recettes n’ont augmenté que de 2,5 %.

La progression des dépenses s’explique par le dynamisme de l’indemnisation des victimes d’infractions de droit commun, qui représente 85 % de l’ensemble des indemnités versées en 2024. Cette hausse résulte de l’augmentation du nombre de victimes, mais aussi du montant moyen des indemnisations.

Face à cette progression spontanée des dépenses, les ressources ne suivent pas. Le financement du FGTI repose à 80 % sur la contribution forfaitaire prélevée sur les contrats d’assurance de dommages aux biens. Cette dernière a été portée, le 1er juillet 2024, à 6,50 euros, ce qui correspond au plafond légal – elle ne peut donc plus être relevée par le Gouvernement. Toutefois, cette hausse ne suffira pas à rééquilibrer le modèle financier. À moins d’envisager de réduire le périmètre d’intervention du FGTI, il me paraît donc nécessaire de réformer cette contribution afin de ne pas reporter la charge sur les générations futures et de garantir la pérennité financière du fonds. C’est un sujet majeur, sur lequel vous aurez certainement des questions.

Je conclurai mon propos en évoquant les priorités que je me fixe pour mon nouveau mandat, dans la continuité des précédents. Je suis convaincu que la transformation de l’action publique nécessite du temps.

Ma priorité est bien évidemment l’accompagnement des victimes. Le fonds de garantie s’est déjà beaucoup transformé, et l’action de ses collaborateurs est reconnue et saluée, mais il nous faut poursuivre dans cette voie en associant toujours plus les victimes elles-mêmes. L’objectif doit être de donner plus de sens à l’indemnisation, qui mobilise des ressources publiques importantes, en en faisant un véritable levier de reconstruction des victimes.

Ma deuxième priorité est de conforter l’outil précieux que constitue le fonds de garantie des victimes, que certains de nos voisins européens nous envient. Là aussi, il s’agit de poursuivre le travail de modernisation entrepris, notamment pour renforcer la résilience du fonds et sa capacité à faire face à des crises, notamment terroristes. Cela suppose aussi de continuer à veiller au bien-être des salariés du fonds, qui remplissent leur mission avec efficacité et dévouement, dans des conditions souvent difficiles. Je souhaite leur rendre hommage devant vous.

Le troisième enjeu fondamental, que je viens d’évoquer, est celui du modèle de financement du FGTI.

M. le président Éric Coquerel. Chers collègues, devant nous quitter bientôt en raison de certains engagements, M. Labaronne, auteur de la disposition en application de laquelle nous entendons maintenant M. Rencki, s’exprimera avant le rapporteur général et moi-même, et les orateurs des groupes.

M. Daniel Labaronne (EPR). Je souhaite souligner l’importance des missions confiées aux deux entités que vous dirigez, le FGAO et le FGTI. Ces deux fonds sont les garants d’un principe fondamental de notre République, en vertu duquel la solidarité nationale doit prendre le relais lorsque le droit commun ne suffit plus à protéger.

Le FGAO a versé des indemnités d’un montant élevé, souvent dans des situations de grande détresse, notamment lorsqu’un conducteur non assuré ou non identifié est impliqué dans un accident. Il est financé par une contribution assise sur les primes d’assurance automobile, mais sa situation financière appelle à la vigilance. Si sa trésorerie reste excédentaire à court terme, la Cour des comptes souligne une dégradation progressive de l’équilibre à moyen terme.

Le FGTI, quant à lui, indemnise les victimes d’attentats ou d’infractions pénales graves. Financé par une contribution de 6,50 euros par contrat d’assurance, il a permis de réagir à des crises majeures, mais, là aussi, nous pouvons nous interroger sur sa soutenabilité à moyen terme, surtout si l’intensité des événements ouvrant droit à indemnisation venait à augmenter.

À l’heure où les sinistres lourds se multiplient, qu’ils relèvent de l’incivilité routière ou de la menace terroriste, il me paraît essentiel de s’assurer que les modèles économiques de ces deux fonds restent viables et socialement justes. La question de l’évolution des contributions et de la mobilisation de nouveaux revenus, voire d’une meilleure articulation avec les assureurs privés, mérite d’être posée.

Quelles pistes envisagez-vous pour garantir à long terme la pérennité financière de ces deux piliers silencieux de notre solidarité nationale ? Comment entendez-vous renforcer la lisibilité, l’efficacité et la célérité des procédures d’indemnisation, qui sont autant de facteurs de dignité pour les victimes ?

M. Julien Rencki. Monsieur le député, je vous dois de me trouver devant votre commission aujourd’hui. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de présenter l’action du fonds de garantie.

La situation financière du FGAO est certes toujours déficitaire, puisque ses capitaux propres sont négatifs, mais elle a tendance à s’améliorer dans un contexte où le nombre de victimes d’accidents causés par des conducteurs non assurés est en diminution. Le FGTI connaît, quant à lui, une situation très gravement déséquilibrée ; pour ce qui le concerne, je ne vois pas de mécanisme spontané de redressement, d’où la nécessité de réformer la contribution.

La situation financière du FGAO est déterminée par l’évolution du phénomène de non-assurance. Celle-ci apparaît contrastée, selon les chiffres pris en compte. Si l’on en croit les données des forces de l’ordre, le nombre de délits pour conduite sans assurance progresse très fortement – il a doublé en cinq ans –, mais on peut penser que cela résulte avant tout de l’amélioration des contrôles et de la procédure de sanction, dont nous pouvons nous féliciter. D’une part, l’introduction d’une amende forfaitaire délictuelle a permis d’accélérer considérablement la sanction des conducteurs non assurés. D’autre part, le FVA, créé en 2019 avec le soutien du fonds de garantie, permet aux forces de l’ordre de contrôler automatiquement le respect de cette obligation en relevant la plaque d’immatriculation d’un véhicule – si ce dernier ne figure pas dans le fichier, il sera verbalisé. À mon sens, ces chiffres témoignent donc davantage d’une efficacité renforcée des contrôles que d’une explosion de la non-assurance, d’autant que le FGAO, qui ne connaît que les véhicules non assurés qui causent des accidents, perçoit une baisse de ce phénomène.

Ainsi, il n’y a pas d’explosion de la non-assurance en France : l’immense majorité de nos concitoyens sont heureusement assurés, et le FVA compte 57 millions de véhicules. Néanmoins, ce phénomène n’a pas disparu. Il prend même des formes nouvelles : ainsi, nous avons pris en charge, l’année dernière, près de 500 victimes de dommages corporels causés par des trottinettes électriques, alors que ces engins sont assujettis à l’obligation d’assurance.

S’agissant du modèle financier du FGAO, je pense non pas qu’il faille relever le montant des contributions qui l’alimentent, mais plutôt qu’il faut renforcer la politique de lutte contre la non-assurance, en exploitant peut-être encore davantage le FVA, notamment grâce à une plus grande automatisation des contrôles. Ces actions relèvent naturellement du Gouvernement, non du FGAO.

J’en reviens au FGTI, qui se trouve confronté, comme je le disais tout à l’heure, à une situation financière très déséquilibrée. Il est possible d’agir sur les ressources comme sur les dépenses.

Les ressources du FGTI sont au nombre de trois. Le fonds dispose d’abord de deux ressources propres. La première est le produit des recours exercés contre les responsables des dommages, qui représente à peu près 13 % de l’ensemble des ressources. Bien que nos équipes accomplissent au quotidien des efforts considérables afin que les responsables paient pour les dommages qu’ils ont causés, nous sommes évidemment tributaires de leur solvabilité, qui est souvent limitée. La seconde ressource propre est constituée par les produits financiers dégagés par les 3 milliards d’euros d’actifs que nous gérons, qui constituent 7 % des ressources totales. Ainsi, 80 % de nos ressources proviennent de la contribution de 6,50 euros due au titre de chaque contrat d’assurance.

Il convient d’envisager une réforme de cette contribution, qui est purement forfaitaire : son montant est identique quelle que soit la valeur du contrat – qu’il s’agisse de l’assurance multirisque habitation d’un pavillon ou de celle d’un château –, ce qui n’est pas très égalitaire, mais il s’agit là d’une considération politique sur laquelle je n’ai aucun jugement à porter. Par ailleurs, cette contribution n’est pas du tout dynamique : ainsi, sa valeur réelle s’est érodée au fil du temps. Peut-être faudrait-il la rendre proportionnelle, sur son assiette actuelle ou sur d’autres assiettes. Encore une fois, c’est à vous qu’il revient de mener cette réflexion.

Du côté des dépenses, l’ampleur de la solidarité nationale mise en œuvre à l’égard des victimes est un sujet très sensible politiquement. Il existe quelques pistes, notamment une proposition formulée par la Cour des comptes consistant à soumettre à une condition de ressources le service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction (Sarvi), dont bénéficient aujourd’hui 60 000 de nos compatriotes.

Soyez rassurés, le FGTI n’est pas confronté à des difficultés de trésorerie : il est tout à fait capable de financer les indemnisations qu’il faudra verser dans les prochaines années. Cependant, à terme, nous aurons un vrai problème de solvabilité.

M. le président Éric Coquerel. Vous venez de répondre à la question que je voulais poser sur le montant de la taxe attentat qui a été portée récemment à 6,50 euros, puisque vous avez appelé de vos vœux une réflexion à ce sujet.

Le baromètre de la non-assurance publié par le FGAO relève : « Sur 80 000 conducteurs impliqués dans un accident corporel ayant fait l’objet d’un procès-verbal des forces de l’ordre en 2022, près de 4 200 n’avaient pas d’assurance. Ce chiffre a de quoi alerter, puisqu’il progresse de plus de 50 % depuis 2017. » Comment l’expliquez-vous, et comment enrayer ce phénomène ?

Par ailleurs, vous avez noué de nombreux partenariats, notamment avec la délégation interministérielle à l’aide aux victimes, la délégation à la sécurité routière, le Centre national de ressources et de résilience, des associations, ou encore France Assureurs. Quels sont les partenariats dont le renforcement vous paraîtrait prioritaire, et pour quelles raisons ? Quels sont les partenariats nouveaux que vous souhaiteriez conclure au cours de votre nouveau mandat ?

M. Julien Rencki. Les chiffres du ministère de l’intérieur témoignent d’une forte hausse du nombre de conducteurs sanctionnés pour conduite en défaut d’assurance. Le quasi-doublement de la part des conducteurs non assurés impliqués dans des accidents corporels est particulièrement frappant. Encore une fois, cependant, je pense que cette évolution s’explique largement par l’amélioration des outils de contrôle et de la procédure de sanction, à savoir l’introduction de l’amende forfaitaire délictuelle en 2018 et la création du FVA.

La non-assurance n’en reste pas moins un fléau. Il est important de lutter contre ce phénomène, ce qui suppose d’en comprendre les causes – c’est ce que nous tentons de faire dans le baromètre que vous avez bien voulu citer – et de dresser le portrait-robot du non-assuré. Il s’agit d’un homme dans 80 % des cas, de moins de 30 ans dans 50 % des cas, souvent sans revenus ou avec des revenus faibles, et qui cumule les infractions routières dans 40 % des cas. Aussi les déterminants de la conduite sans assurance sont-ils de trois ordres.

Le premier déterminant est ce que j’appellerais la méconnaissance. Nos études montrent que les Français – en particulier les jeunes, qui sont les plus concernés par ce phénomène – savent qu’il existe une obligation d’assurance mais n’en connaissent pas exactement la portée. Ils n’ont pas en tête que l’obligation ne porte pas sur l’assurance en général, mais sur l’assurance de responsabilité civile, au titre des dommages qu’ils sont susceptibles de causer à des tiers. Il y a donc un véritable enjeu de pédagogie et d’information. Le fonds de garantie déploie de nombreux efforts, y compris sur le terrain, en lien avec les missions locales, pour informer les jeunes.

Le deuxième facteur d’explication relève de la délinquance routière. Il arrive que ceux qui roulent sans permis ou ne respectent pas le code de la route ne respectent pas non plus l’obligation d’assurance.

Le troisième déterminant est d’ordre économique. L’accès à la mobilité automobile représente un budget significatif, entre les leçons de conduite, le véhicule et le carburant. Dans ce contexte, certains jeunes, en particulier des primo-conducteurs, peuvent être tentés de faire l’impasse sur l’assurance, d’autant que le montant des primes est parfois très élevé, le risque que représente un primo-conducteur étant, du point de vue de l’assureur, plus élevé que pour un conducteur aguerri. Il convient donc de réfléchir à la façon de faciliter l’accès des jeunes à la mobilité automobile, et donc à l’assurance, notamment dans les zones rurales dépourvues de transports collectifs.

Effectivement, nous avons noué de nombreux partenariats, parce que notre action s’inscrit dans l’écosystème de la prise en charge des victimes. Il est important que tous les maillons de la chaîne travaillent main dans la main : nous y œuvrons quotidiennement. L’un des partenariats que je souhaite particulièrement renforcer est celui conclu avec la fédération France Victimes, laquelle est représentée dans chaque département par des associations locales d’aide aux victimes. Ces partenaires clés nous signalent les situations les plus sensibles et relaient nos messages de pédagogie et d’information sur l’accès aux droits des victimes.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Je m’interroge sur la nature juridique du FGTI, dont le code des assurances nous dit qu’il est « doté de la personnalité civile ». S’agit-il d’un fonds de droit public ou d’un fonds de droit privé ? Est-il doté de la personnalité morale ?

Par ailleurs, votre équipe est de nature hybride, si j’ose dire, puisqu’elle gère en même temps deux fonds différents. Ne faudrait-il pas les fusionner ?

Comme vous le dites vous-même, la situation financière du FGTI est catastrophique, bien qu’il n’y ait pas de problème de trésorerie – j’y reviendrai tout à l’heure. L’alimentation du fonds par une contribution plafonnée à 6,50 euros par contrat d’assurance de dommages aux biens, quel que soit le montant de ce dernier, ne peut que vous mettre en difficulté. Ce régime paraît d’autant plus étrange que le FGAO est, quant à lui, alimenté par une contribution de 1,2 % sur les primes d’assurance de responsabilité civile automobile. Ne faudrait-il pas tout simplement remplacer cette taxe forfaitaire par une taxe proportionnelle, comme vous l’avez vous-même suggéré tout à l’heure ? Dans cette hypothèse, de quel ordre serait cette taxe ?

Quelle est votre position sur le mode d’indemnisation ? Les victimes ont-elles le choix entre une indemnisation sous la forme d’une rente et une indemnisation sous la forme du versement d’un capital ou la décision revient-elle au fonds ?

Enfin, quelle est la proportion de véhicules non assurés ? Pour lutter contre ce phénomène, l’obligation de produire un certificat d’assurance lors de la vente d’un véhicule ne serait-elle pas une mesure de prévention efficace ?

M. Julien Rencki. Lors de la création du FGAO, en 1951, le législateur a précisé qu’il s’agissait d’une personne morale de droit privé ; son statut est donc clair. En ce qui concerne le FGTI, créé en 1986, il s’est contenté d’indiquer qu’il était doté de la personnalité civile, sans préciser si cette personne morale était de droit privé ou de droit public. Son intention était, semble-t-il, de le considérer comme relevant du droit privé, à l’instar du FGAO, auquel il était rattaché, mais, dans le silence de la loi, le Conseil d’État a été amené à estimer, dans un avis de 2019, qu’il s’agissait d’une personne morale de droit public. Le FGAO est donc de droit privé et le FGTI de droit public.

Le dispositif est, certes, un peu hétérodoxe, mais il fonctionne. Néanmoins, il serait souhaitable que le législateur clarifie le statut juridique du FGTI. Je signale, à ce propos, que le statut privé présente l’avantage d’offrir une très grande souplesse et de permettre une très grande réactivité. Ainsi, lors de l’attentat de Nice, survenu quelques jours après ma prise de fonctions, j’ai pu renforcer très rapidement les moyens nécessaires à la prise en charge des victimes grâce au statut privé du FGAO, lequel gère l’ensemble des moyens, notamment les salariés. L’État a engagé une réflexion sur la question du statut du FGTI, mais elle n’a pas encore abouti.

Quant à la fusion des deux fonds, je suis tenté de vous répondre qu’elle a déjà eu lieu puisqu’ils partagent l’ensemble des équipes et des moyens. Il convient, me semble-t-il, de maintenir les deux gouvernances distinctes, car il est important que chaque catégorie de victimes se sente représentée. Au demeurant, les supprimer pour leur substituer un seul conseil d’administration ne produirait aucune économie.

S’agissant de la situation financière, le cœur du problème réside dans le fait que la contribution qui finance le FGTI est forfaitaire. Ma recommandation – la décision appartenant au Parlement et au Gouvernement – serait d’adopter un mécanisme proportionnel, à l’instar de ce qui existe pour le FGAO. Je ne peux pas vous dire quel serait le taux de la contribution : cela appelle une réflexion, qui pourrait s’étendre à l’assiette.

Le mode d’indemnisation – rente ou capital – est très important car il y va de l’intérêt des victimes. La politique du fonds de garantie est de proposer, lorsque c’est possible, une indemnisation sous forme de rente, plus protectrice pour la victime, mais c’est à cette dernière – en pratique, souvent, à son conseil – qu’il appartient de choisir. En effet, lorsque nous versons en capital une indemnité de plusieurs millions d’euros à une très jeune victime lourdement handicapée, il nous arrive de constater, quelques années plus tard, que les parents ont fait construire une piscine ou acheté une voiture de luxe et que l’argent destiné à l’enfant ne lui a pas du tout profité. Par ailleurs, un versement en capital très significatif expose les personnes qui ne sont pas formées à gérer des sommes de cette importance à un risque de pertes. La rente, plus protectrice pour les victimes, est, certes, plus complexe à gérer, mais cela relève de notre mission de service public.

Enfin, le ministère de l’intérieur estime à 650 000 le nombre des véhicules non assurés, soit environ 1 % du parc automobile français. Notre pays doit encore progresser pour éradiquer la non-assurance. D’autres pays y sont parvenus. En Allemagne, par exemple, où le taux de non-assurance est de l’ordre de 0,1 %, la souscription préalable d’une assurance conditionne non seulement la vente, mais aussi l’immatriculation du véhicule.

M. le président Éric Coquerel. Cela va de pair avec le droit à la mobilité, notamment des primo-conducteurs.

M. Eddy Casterman (RN). Le FGAO, pilier de l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation provoqués par des délinquants de la route non assurés, permet d’appréhender un phénomène délictuel très inquiétant, à savoir l’augmentation continue du nombre de conducteurs non assurés, qui a quintuplé entre 2017 et 2023. Le montant des indemnités versées par le fonds est d’autant plus important que ces délinquants sont impliqués dans plus de 5 % des accidents de la route et que, selon l’Observatoire national de la sécurité routière, un automobiliste non assuré a quatre fois plus de risques de causer un accident mortel. Or ce sont les automobilistes qui en supportent le coût en devant s’acquitter, dans le cadre de leurs primes d’assurance, d’une contribution supplémentaire destinée à pallier les conséquences souvent dramatiques de l’irresponsabilité de ceux qui violent la loi.

Premièrement, comment expliquez-vous qu’entre 2022 et 2023, le montant des indemnités ait augmenté de près de 30 % alors que le nombre des victimes indemnisées baissait de 10 % au cours de la même période ? Cette dynamique s’est-elle confirmée en 2024 ?

Deuxièmement, avez-vous des données sur le taux de refus des dossiers après instruction et sur les raisons invoquées ? Le FGAO est-il l’objet de reproches similaires à ceux qui sont adressés au FGTI au sujet de l’accompagnement des victimes ?

Troisièmement, quelle part des indemnités versées par le FGAO les sommes réellement recouvrées auprès des conducteurs représentent-elles ?

Enfin, le modèle de financement des deux fonds est-il réellement consolidé ou doit-on s’attendre à une augmentation de la contribution financière liée aux primes d’assurance dans les années à venir ?

M. Julien Rencki. On observe bien une progression du nombre des délits de non-assurance routière, qui témoigne sans doute moins d’une explosion du phénomène que d’une amélioration des contrôles.

La baisse du nombre des victimes prises en charge par le FGAO est liée à la diminution, au cours des dernières années, du nombre des accidents de la route, parmi lesquels les accidents non assurés. Le montant des indemnités, quant à lui, progresse, en raison de ce que l’on appelle la dynamique de l’indemnisation du dommage corporel, laquelle est liée à l’allongement de l’espérance de vie, au coût des soins et à une jurisprudence plus protectrice pour les victimes.

La procédure est mise en œuvre dans des conditions assez satisfaisantes, comme en témoigne le taux d’accords amiables, qui est de l’ordre de 85 %. Il peut y avoir des refus car la loi dispose que l’intervention du FGAO est subsidiaire, de sorte qu’il lui appartient de vérifier, pour ménager la ressource publique, qu’un autre acteur n’est pas susceptible de prendre en charge le dommage – un assureur, par exemple.

Le recouvrement est bien entendu une mission fondamentale du fonds de garantie : les auteurs doivent payer pour les dommages qu’ils causent. Hélas, le FGAO se heurte à une solvabilité moyenne très faible. Ainsi, l’an dernier, nous avons recouvré environ 12 millions d’euros pour 123 millions d’euros versés au titre de l’indemnisation des victimes d’accidents non assurés. Il est difficile de définir un taux car les montants recouvrés en 2024 concernent en partie des accidents antérieurs, mais nous constatons qu’en dépit des efforts fournis, le recouvrement est difficile. À ce propos, je remercie votre commission d’avoir soutenu l’introduction, dans la loi de finances pour 2025, d’une mesure ouvrant l’accès du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) au FGAO, qui pourra ainsi agir plus efficacement.

Enfin, s’agissant du modèle de financement, l’enjeu est différent pour l’un et l’autre fonds : pour le FGAO, il est lié, plutôt qu’à un relèvement des contributions, au renforcement des contrôles grâce à l’accès au fichier des véhicules assurés ; pour le FGTI, il conviendrait de mener une réflexion sur la refonte de la contribution.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Estimez-vous que le niveau de l’indemnisation des victimes est satisfaisant au regard de la profitabilité des compagnies d’assurances ou faut-il renforcer la pression exercée sur ces dernières ?

En ce qui concerne les accidents de chasse, l’intervention du fonds se limite probablement à ceux qui ont été causés par des chasseurs sans permis puisqu’il me semble que le titulaire d’un permis de chasse est automatiquement assuré. Ces interventions sont-elles en augmentation ou en recul ?

M. Julien Rencki. Sur le premier point, vous me permettrez d’être prudent, car il ne s’agit pas du cœur de ma mission. En tout état de cause, la notion de profitabilité ne s’applique évidemment pas au fonds de garantie, qui est un service public.

Par ailleurs, nous intervenons en effet auprès des victimes d’accidents de chasse causés par des chasseurs non assurés – ainsi que par des animaux sauvages, du reste. Ces interventions sont résiduelles : elles se limitent à quelques cas par an.

M. Philippe Brun (SOC). J’ai trois questions brèves. Premièrement, quelle est l’appréhension du risque terroriste par le comité de pilotage ? Deuxièmement, qu’en est-il des victimes civiles de guerre ? Enfin, quel est l’impact de la hausse de la sinistralité sur votre politique d’investissement et quelle est l’évolution de cette dernière sur les marchés financiers ?

M. Julien Rencki. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur le risque terroriste. Sur ce point, je m’en remets aux déclarations du procureur national antiterroriste, qui confirme l’existence d’une menace élevée dans notre pays. Notre rôle est de nous tenir prêts en cas de survenance d’un attentat : nous devons être capables d’envoyer une équipe sur le terrain dans un délai très bref pour prendre contact avec les victimes et leurs proches et mobiliser les premières provisions, qui sont des acomptes sur l’indemnisation définitive.

Le statut de victime civile de guerre est attribué aux victimes d’attentats. Nous travaillons en lien étroit avec l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG), chargé de le mettre en œuvre.

Enfin, notre politique d’investissement porte sur 6 milliards d’euros d’actifs, répartis à parts égales entre le FGTI et le FGAO. Ces réserves ne sont pas destinées à l’indemnisation des victimes de demain ou d’après-demain ; elles doivent nous permettre de finaliser l’indemnisation versée au titre d’événements déjà survenus, car les rentes que nous avons commencé à verser en 2024 seront servies pendant des dizaines d’années.

En 2022, le Trésor a revu le cadre prudentiel dans lequel s’inscrit notre politique d’investissement, laquelle doit concilier les objectifs de sécurité et de rentabilité. En 2024, cette dernière a été très satisfaisante puisqu’elle s’est établie à environ 6 % en moyenne. Bien entendu, la rentabilité d’un portefeuille comme le nôtre s’évalue sur le temps long : depuis 2012, elle est, en moyenne annuelle, de 3,8 %. Ce bon résultat permet d’économiser de l’impôt.

M. Nicolas Ray (DR). Pourriez-vous nous rappeler le délai moyen qui s’écoule entre le dépôt du dossier et le versement de l’indemnisation ? Ce délai a-t-il évolué depuis votre prise de fonctions ?

Comment pouvons-nous faire évoluer la législation de manière à limiter l’insolvabilité des auteurs d’accidents ? Je pense aux règles qui s’appliquent en matière de prescription et d’insaisissabilité de certains actifs, par exemple.

Quel a été l’impact de l’abaissement à 17 ans de l’âge minimal auquel il est possible d’obtenir le permis de conduire ?

Enfin, la complexité de notre système d’indemnisation des victimes d’atteintes aux personnes, due à l’existence de différentes instances – la Civi (commission d’indemnisation des victimes d’infraction) et le Sarvi – retarde le versement des indemnités.

M. Julien Rencki. La loi dispose que l’indemnisation ne peut être finalisée qu’au moment de la consolidation, c’est-à-dire lorsque le médecin expert constate que l’état de santé de la victime ne peut plus se dégrader ni s’améliorer et qu’il est donc stabilisé, mais il ne s’agit pas d’attendre plusieurs années pour indemniser la victime. Nous lui versons donc, dès la survenance de l’événement, autant de provisions que nécessaire pour l’aider à faire face à ses besoins. Néanmoins, la finalisation complète de son indemnisation ne pourra intervenir qu’après la consolidation de son état de santé. Il est donc difficile de donner un délai moyen ; cela dépend de la situation de la victime. L’État nous fixe, notamment en matière d’offre et de versement de la première provision, des délais que nous nous efforçons de respecter, mais le temps de l’indemnisation est le temps du soin.

Par ailleurs, le dispositif vise précisément à éviter que la victime d’un accident, d’une infraction ou d’un attentat ne soit tributaire de la solvabilité de l’auteur. Par conséquent, nous l’indemnisons et mettons en œuvre la réparation intégrale, comme il se doit, avant de nous retourner contre l’auteur. Notre politique, en la matière, consiste à privilégier un règlement amiable. Nous y parvenons dans 90 % des cas, de sorte que nous ne recourons à une procédure judiciaire que dans les 10 % de cas restants, lorsque l’auteur est manifestement de mauvaise foi et ne veut pas s’acquitter de sa dette. À l’exception de l’accès au Ficoba, le fonds de garantie n’a pas de privilège exorbitant du droit commun en matière de recours ; il ne peut notamment pas émettre de titre exécutoire.

Cela me conduit à évoquer la complexité des dispositifs d’indemnisation. Le principal, la procédure Civi, ouvre droit à des niveaux d’indemnisation variables selon les situations, depuis l’indemnisation plafonnée jusqu’à la réparation intégrale dans les cas les plus graves. Quant à la procédure Sarvi, qui concerne la majorité des 60 000 victimes auprès desquelles nous intervenons, elle fonctionne globalement bien, puisque 70 % des personnes qui y ont recours vont être désintéressées intégralement, rapidement et gratuitement. À celles qui ont un mandat – c’est le cas lorsque le montant des créances qui leur sont dues est supérieur à 1 000 euros –, nous versons immédiatement une partie de la somme, le reste ne leur étant payé que si nous le recouvrons nous-mêmes auprès de l’auteur. Or, contrairement à ce que pensent un certain nombre de nos concitoyens, le mandat de recouvrement n’aboutit pas forcément. Nous faisons le maximum, grâce à des équipes très mobilisées, mais, après dix ans, nous recouvrons environ 30 % de l’ensemble des créances des victimes. C’est un beau résultat, mais je comprends qu’il soit un peu décevant pour certaines victimes. Il conviendrait de clarifier les choses à cet égard : l’aide au recouvrement n’est pas une garantie de recouvrement.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je me réjouis que, grâce à la modification, sur proposition de Daniel Labaronne, du code des assurances par la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, nous puissions vous auditionner pour la première fois alors que vous allez être reconduit, pour un quatrième mandat, à la direction générale du FGAO.

Ma question porte sur la prévention des risques. Quels sont vos projets pour réduire la conduite sans assurance au cours des trois prochaines années ?

M. Julien Rencki. Pour lutter contre la non-assurance, il convient d’actionner trois leviers : la prévention, la répression et le facteur économique.

La prévention est une des missions légales du FGAO. Nous y consacrons beaucoup d’énergie, d’abord pour faire connaître le phénomène. Ainsi, nous publions un baromètre de la non-assurance – le prochain devrait sortir incessamment – et réalisons des campagnes de communication, dont la dernière a pour slogan : « Rouler sans assurance, le pire des paris ». S’adressant en priorité aux jeunes, elle est diffusée sur les réseaux sociaux et établit un parallèle avec les paris sportifs. Il s’agit de convaincre les jeunes que renoncer à s’assurer en croyant qu’ils ne seront pas sanctionnés et ne provoqueront pas d’accidents est un pari très risqué. En effet, en cas de contrôle, ils se verront infliger une amende forfaitaire de 750 euros et, en cas d’accident, le FGAO leur réclamera des dizaines, des centaines, voire des millions d’euros. Nous menons également, en lien avec les missions locales, des actions de terrain dans des établissements de formation. Au-delà du FGAO, cet enjeu concerne un grand nombre d’acteurs de la société : pouvoirs publics, assureurs, parents, éducateurs… La prévention est importante, mais elle ne suffit pas.

C’est pourquoi le deuxième levier, la répression, me paraît essentiel. Nous disposons de tous les outils techniques pour la renforcer. Je pense notamment au fichier des véhicules assurés, qui pourrait – mais il ne m’appartient pas d’en décider – être utilisé de manière beaucoup plus automatisée.

Enfin, il me paraît nécessaire d’engager une réflexion sur la facilitation de l’accès des jeunes qui n’ont pas accès aux transports en commun à la mobilité routière, ce qui inclut l’assurance.

Mme Félicie Gérard (HOR). En 2023, plus de 26 000 victimes ont été prises en charge, pour la très grande majorité d’entre elles dans le cadre d’accidents de la circulation. Le nombre de celles qui ont subi des dommages corporels, qui s’établissait à environ 10 000, a baissé de 3,7 % par rapport à 2022. Quant au nombre de celles qui ont subi des dommages matériels, qui était de 15 000, il a diminué de 32 %. Pourtant, les indemnités versées ont augmenté de 23 % pour les dommages corporels et de 43 % pour les dommages matériels. Comment l’expliquez-vous ? Quelle est la trajectoire prévue pour les années à venir ?

Grâce à l’instauration de l’amende forfaitaire délictuelle, la non-assurance a tendance à diminuer. Comme Nicolas Ray, je souhaiterais savoir quelle évolution législative vous jugez nécessaire.

M. Julien Rencki. Vous l’avez bien résumé : on observe à la fois une baisse du nombre des victimes prises en charge et une hausse tendancielle de la charge des indemnisations. On constate, en France, une dynamique de l’indemnisation des dommages corporels, toujours plus protectrice. Il faut s’en réjouir, mais elle se traduit par une charge financière sans cesse croissante. Le nombre des préjudices pris en charge selon la nomenclature Dintilhac augmente, notamment pour les victimes d’attentats et d’infractions, puisque deux nouveaux préjudices – celui d’angoisse de mort imminente et celui d’attente et d’inquiétude – ont été reconnus. En outre, les quantums, c’est-à-dire les montants associés à chaque préjudice, ont également tendance à augmenter. À cela s’ajoutent la dynamique des frais de santé, l’allongement de l’espérance de vie et une jurisprudence qui tend à favoriser une indemnisation sans cesse plus complète. Cette dynamique est sensiblement supérieure au niveau de l’inflation annuelle.

Tant le FGAO que le FGTI y sont confrontés. Il faut préciser que les deux fonds n’interviennent pas dans le cadre d’une enveloppe limitée : ils indemnisent, sous le contrôle du juge judiciaire, les montants jugés légitimes. À ce stade, cette dynamique de dépense n’est pas encadrée sur le plan réglementaire ou législatif.

Mme Perrine Goulet (Dem). Une jeune femme de ma circonscription victime de violences conjugales s’est vue attribuer par le tribunal une indemnisation dont le montant est contesté par le fonds de garantie, qui demande de nouvelles expertises, si bien que le dossier traîne depuis quatre ans. Je souhaiterais donc savoir combien de décisions d’indemnisation vous contestez chaque année. Vous engagez-vous, lors de votre prochain mandat, à remettre moins souvent en cause les décisions judiciaires ? C’est un coup de massue pour les intéressés et une remise en cause de leur statut de victime.

M. Julien Rencki. La situation des victimes de violences conjugales est un enjeu majeur pour le fonds de garantie. Ainsi, notre politique d’investissement dite à impact a pour objectif de mettre à la disposition des femmes victimes de ces violences, qui doivent souvent être relogées en urgence, des appartements à loyer très modéré.

Ce que vous évoquez concerne l’articulation entre la procédure pénale et celle de la Civi, juridiction autonome sous l’autorité de laquelle est placé le fonds de garantie. La cohabitation de ces deux procédures est, je le sais, problématique pour les victimes. Ce constat appelle une réflexion, qui est du ressort du législateur, sur ce cadre, dans lequel se succèdent la procédure pénale et celle de la Civi – du moins dans la plupart des cas, car il arrive que des victimes soient prises en charge par le FGTI dans le cadre de la procédure Civi sans que l’auteur ait été condamné.

La Civi peut ordonner des expertises supplémentaires pour évaluer précisément le préjudice de la victime. C’est un moment souvent difficile pour cette dernière, surtout quand elle doit se soumettre à plusieurs expertises, mais il s’agit de déterminer le montant de l’indemnisation qui sera assumée par la collectivité au moyen du fonds de garantie. Dès lors qu’il s’agit d’argent public, une procédure spécifique est nécessaire. Je précise néanmoins que, dans 85 % des situations et 95 % des cas de violences sexuelles, l’indemnisation se fait à l’amiable, sans que la Civi ait à se prononcer sur le fond.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions avant votre reconduction au poste de directeur général du FGAO.


Puis la Commission examine pour avis, par délégation, l’article 22 du projet de loi, adopté par le Sénat, de programmation pour la refondation de Mayotte (n° 1470) (M. Charles de Courson, rapporteur pour avis)

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. Nous examinons l’article 22 du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, délégué au fond à la commission des finances, comme ce fut le cas lors de l’examen du texte au Sénat.

Avant de commencer, il faut rappeler le contexte. Le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a frappé l’archipel de Mayotte, causant des dégâts humains, matériels et environnementaux d’une ampleur inédite. Le rapport du Sénat l’a bien montré, il s’agit de la plus grave catastrophe naturelle que Mayotte ait connue. Quelques semaines plus tard, le 12 janvier, la tempête tropicale intense Dikeledi a aggravé la situation. Ce double coup du sort a profondément affecté l’existence quotidienne des Mahorais, dans un territoire souffrant déjà de nombreuses fragilités économiques et sociales.

Face à cette situation, l’État a élaboré le plan Mayotte debout, que le Premier ministre a présenté le 30 décembre. Le Parlement a ensuite adopté la loi d’urgence du 24 février 2025. Comme nous le savions tous, il ne s’agissait là que de premières réponses. La reconstruction de Mayotte demandera un effort de long terme.

Le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte doit répondre à cet impératif. Il actionne plusieurs leviers pour relancer l’économie mahoraise : l’un d’entre eux est de nature fiscale et fait l’objet de l’article 22.

Cet article vise à créer une nouvelle zone franche globale à Mayotte, par adaptation et extension du régime existant des zones franches d’activité nouvelle génération (Zfang). Dans ces zones, instaurées par la loi de finances pour 2019, les abattements de fiscalité ont vocation à stimuler l’investissement et l’activité dans des secteurs clés du développement outre-mer.

Le dispositif prévu par l’article 22 va beaucoup plus loin. Il élargit très significativement le champ d’application des abattements fiscaux à Mayotte. Les activités agricoles, industrielles, commerciales, artisanales ainsi que celles des professions libérales, qui étaient jusque-là partiellement ou totalement exclues, sont désormais pleinement éligibles. En outre, le taux d’abattement est porté de 80 à 100 % pour l’imposition des bénéfices des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) ainsi que pour la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour une durée de cinq ans.

Le coût de ce dispositif, évalué à 24 millions d’euros en année pleine à partir de 2026, me paraît parfaitement cohérent avec l’objectif poursuivi. L’enjeu est de redonner un souffle à l’économie locale, en permettant aux entreprises de se relever, d’investir, de recréer de l’activité et de l’emploi. C’est pourquoi je soutiens cet article.

Je souhaite néanmoins y apporter quelques modifications que je vous présenterai lors de l’examen des amendements. Il me paraît notamment essentiel d’inclure les activités de pêche dans le champ de la zone franche : le gouvernement m’a fait passer des messages contradictoires à ce sujet, donc je préfère déposer un amendement pour m’en assurer. Il faut également harmoniser la durée des dispositifs d’exonération : c’est pourquoi je proposerai de proroger, jusqu’au terme des autres abattements de la nouvelle zone franche, l’exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) en vigueur à Mayotte. Enfin, il est utile, conformément à la position traditionnelle de notre commission, que le gouvernement remette, au terme de l’application du dispositif, un rapport au Parlement, afin que les membres de celui-ci se prononcent de manière éclairée sur son éventuelle prorogation, suppression ou évolution.

Ainsi modifié, l’article 22 constituerait un levier proportionné, ciblé et utile à la relance économique de Mayotte. Je vous invite donc, mes chers collègues, à l’adopter.

Article 22

Amendement de suppression CF2 de Mme Nadège Abomangoli

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Je ne partage pas le point de vue du rapporteur pour avis. Tout le monde s’accordera pour reconnaître le caractère désastreux de la situation à Mayotte. Nous déposons un amendement de suppression de l’article 22, car celui-ci ne réglera rien, bien au contraire. Il vise à instaurer une zone franche globale, dans laquelle les exonérations fiscales seraient totales. Comme d’habitude, on procède à l’envers en choisissant d’accélérer la déréglementation.

Les zones franches n’apportent aucune solution, comme le montre l’exemple de la Seine-Saint-Denis. Ce département est truffé de zones franches, lesquelles n’ont entraîné ni création d’emplois ni baisse du chômage – c’est même plutôt l’inverse qui s’est produit. Le dispositif n’engendrera rien d’autre qu’une trappe à précarité et une augmentation de la pauvreté. Même l’Inspection générale des finances (IGF) soulignait, dans un rapport de 2020, que les exonérations fiscales et sociales zonées n’avaient pas démontré leur efficacité en matière de création d’entreprises et d’emplois.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons supprimer l’article.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. Je ne partage pas du tout votre analyse. Vous avez évoqué le rapport de l’IGF, mais celui-ci portait sur les zones situées dans l’Hexagone. Mayotte est une île isolée, donc les effets de substitution dénoncés par l’Inspection ne la toucheront pas.

Les Mahorais réclament l’élargissement de la zone franche ; d’ailleurs, le conseil départemental, saisi pour avis sur le projet de loi, s’est déclaré, le 10 avril, favorable à l’article 22.

Le coût du dispositif est limité : il est évalué à 24 millions alors que l’actuelle Zfang représentait une charge de 6 millions en 2024. Le surcoût, de 18 millions, se révèle donc tout à fait raisonnable.

M. Matthias Renault (RN). Nous voterons contre l’amendement de suppression car les zones franches sont un bon outil, peu onéreux, pour tenter de relancer l’investissement dans les collectivités d’outre-mer. Les grandes lois Pons, Girardin ou Perben avaient d’ailleurs libéré l’investissement, même si ce résultat s’était accompagné de certaines dérives, auxquelles le dispositif proposé n’est pas exposé.

Que le coût d’un instrument fiscal aussi puissant n’excède pas 18 millions montre la faiblesse de l’activité économique. Pour obtenir la confiance des investisseurs, il faut d’abord rétablir la sécurité dans l’île.

Sur les trente-quatre articles du projet de loi de programmation, un seul a été délégué à la commission des finances. Je m’étonne qu’aucun article ne prévoie, comme dans les lois de programmation sectorielles – relatives à la recherche, à l’intérieur, à la justice… –, de calendrier annuel d’utilisation des crédits. On annonce pompeusement une enveloppe de 4 milliards d’euros d’ici à 2031, mais il n’y a aucun article de programmation budgétaire faisant apparaître des autorisations d’engagement (AE) et des crédits de paiement (CP). Ces éléments sont relégués dans un rapport annexe et encore ne concernent-ils que les AE. Les engagements ne sont pas à la hauteur des annonces.

M. David Amiel (EPR). Le groupe Ensemble pour la République soutient l’article 22 et s’opposera donc à l’amendement.

Les critiques émises à l’encontre des zones franches dans l’Hexagone ne valent pas pour Mayotte. Tout d’abord, la gravité de la situation est extrême dans ce département – le plus pauvre de France –, qui a été ravagé par le cyclone Chido. L’enjeu est la survie de l’économie, des emplois et de la possibilité pour les Mahorais de rester vivre dans leur île. Nous n’avons pas le droit d’élaborer des demi-mesures. Il faut un choc de confiance pour recréer de l’activité économique dans cette île si durement touchée.

Ensuite, la situation de la Seine-Saint-Denis et celle de Mayotte ne sont absolument pas comparables. Les zones franches ont pour inconvénient d’attirer les emplois des zones limitrophes, ce qui neutralise l’objectif du dispositif. Cet écueil ne guette pas Mayotte, île située au milieu de l’océan Indien.

Enfin, le dispositif est borné dans le temps, à la différence des autres zones franches. Nous pourrons l’évaluer à la fin de son application. Il contribuera à la reconstruction de l’île, indispensable après les événements dramatiques qui l’ont frappée. Nous devons faire preuve de pragmatisme et écouter les besoins exprimés par nos collègues mahorais. Ces derniers, qui connaissent l’île comme personne, réclament l’instauration de ces dispositifs.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). L’article 22 instaure une zone franche globale au profit de Mayotte. Il s’agit d’une véritable mesure d’accompagnement. Dresser un constat de la situation, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Nous devons agir ! Cette mesure se déploiera au bénéfice de la population locale. Une dynamique de création d’emplois s’enclenchera dans les cinq prochaines années sans créer de trappe à précarité. La confiance des investisseurs est essentielle à l’activité économique, qui est elle-même indispensable à l’emploi.

La meilleure preuve de l’efficacité du dispositif dans certains territoires – peut-être pas en région parisienne, en effet – est apportée par l’ensemble des amendements déposés chaque année en commission des finances pour proroger des zones franches.

Pour aider Mayotte, le groupe Droite républicaine s’opposera à l’amendement de suppression.

M. Steevy Gustave (EcoS). Le groupe Écologiste et social soutient de nombreuses mesures en faveur des territoires d’outre-mer. Nous faisons partie de ceux qui ont vivement critiqué le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 lors de sa présentation en octobre 2024. Très insuffisants, les crédits de la mission Outre-mer ont heureusement été réévalués à hauteur de 3 milliards, même si cette rallonge reste trop limitée.

L’article 22 instaure une zone franche à Mayotte, que ses promoteurs présentent comme une mesure fiscale favorable au territoire. La perte de recettes annuelles pour l’État est évaluée à 18 millions. Il s’agit d’une disposition volatile dans le paysage des promesses budgétaires faites à Mayotte.

Le sujet dépasse largement l’île : dans son analyse de l’exécution budgétaire de 2024, la Cour des comptes souligne que le coût – croissant – des dispositifs fiscaux spécifiques aux territoires ultramarins dépasse désormais les crédits du ministère des outre-mer. Nous militons pour une amélioration de la coordination de l’ensemble des mesures, afin de maximiser les effets de chacune d’entre elles et d’accroître la transparence.

Nos positions, mesurées, visent à renforcer la dimension sociale et écologique des politiques déployées, sans renoncer à quelques principes fondamentaux, que le texte ne doit pas piétiner. Le mécanisme de zone franche repose sur la confiance accordée aux entreprises. Ce pari mérite d’être évalué avec rigueur, en ayant à l’esprit l’intérêt général. Telle est l’exigence que nous défendons ici.

Mme Sophie Mette (Dem). Le groupe Les Démocrates est défavorable à l’amendement de suppression de l’article 22 et soutient le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Nous considérons qu’il représente une réponse indispensable à la situation très spécifique de l’île. Nous appuyons les objectifs poursuivis par le texte : stimuler l’investissement privé, soutenir l’emploi et appuyer la refondation structurelle du territoire.

L’article 22, qui relève directement du champ de compétences de la commission des finances, est essentiel : il renforce et élargit, pour une durée de cinq ans, le dispositif de zone franche globale. Pendant cette période, le dispositif d’exonération fiscale zoné concernera presque l’intégralité des secteurs d’activité à Mayotte, tandis que les taux d’abattement seront portés à 100 % pour l’ensemble des impositions concernées.

Cette mesure représente un effort budgétaire de 18 millions en cinq ans. Elle pourrait jouer un rôle important dans la stimulation économique d’un territoire confronté à de nombreux défis. Toutefois, nous considérons qu’il est essentiel d’en assurer un suivi rigoureux. À ce titre, l’amendement CF10 du rapporteur pour avis, qui prévoit la remise d’un rapport d’évaluation d’ici à 2030, est bienvenu, dans la mesure où les dispositifs des zones franches sont peu évalués. Cela permettra de mesurer l’impact économique des exonérations et d’évaluer leur efficacité réelle en matière d’investissement, d’emploi et de développement du tissu économique local.

Dans cet esprit et en rappelant notre attachement à la maîtrise des comptes publics, nous voterons en faveur de l’adoption de l’article 22, en accordant une vigilance particulière à son déploiement et à son évaluation.

Mme Félicie Gérard (HOR). Notre commission est saisie du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte. Cette île, très vulnérable, est confrontée à des difficultés migratoires et sécuritaires comme aucun autre territoire de notre pays. Elle connaît également une situation économique et sociale marquée par une précarité tristement inédite. Le taux de chômage y atteint 30 % contre 7,4 % dans l’Hexagone et le niveau de vie médian des Mahorais est sept fois plus faible que dans l’ensemble du pays. À cela s’ajoute l’urgence de la reconstruction après le passage du cyclone Chido en décembre 2024, catastrophe naturelle la plus importante de notre histoire récente.

L’État a répondu à cette nouvelle urgence par des mesures fortes en février dernier. Nous devons maintenant adopter des dispositions structurelles pour reconstruire de manière pérenne. Tel est le sens de l’article 22, qui crée, pour cinq ans, une zone franche à Mayotte : le mécanisme repose sur un abattement de 100 % d’impôt sur le revenu (IR) et d’impôt sur les sociétés (IS) ainsi que de la base d’imposition de la TFPB. L’article apportera une respiration au monde économique mahorais et favorisera une reprise progressive et durable. Le groupe Horizons & indépendants soutiendra donc son adoption.

M. le président Éric Coquerel. Je suis opposé à cette zone franche.

Ce mécanisme vise à attirer une partie de l’activité économique dans une zone que l’on juge désavantagée par rapport aux territoires voisins. Je ne vois pas quelle activité pourra être transférée d’un pays voisin vers Mayotte, les territoires environnants étant loin d’être concurrentiels.

En outre, les zones franches, par exemple en Seine-Saint-Denis, présentent des avantages mais la population qui vit dans ces zones a les mêmes droits sociaux que le reste des Français métropolitains. Cette situation ne se retrouve évidemment pas à Mayotte. Un article du projet de loi prévoit une convergence progressive, mais les salaires et les prestations sociales ne sont pas les mêmes à Mayotte et dans l’Hexagone. Autrement dit, les entreprises bénéficieront d’avantages fiscaux alors que les habitants ne possèdent pas les mêmes avantages que leurs concitoyens métropolitains.

Surtout, le défaut principal du dispositif réside dans son indifférenciation : les entreprises, qu’elles soient en bonne ou en mauvaise santé, bénéficieront des avantages, car ceux-ci ne sont ni ciblés ni conditionnés.

Dans le même temps, nous ne pouvons que déplorer l’absence d’aides et de subventions, notamment en faveur des services publics dont les insuffisances constituent le problème criant de Mayotte. L’État devrait agir dans ce domaine, or il n’intervient qu’en créant une zone franche. Il reste à élaborer une proposition de loi qui viserait à permettre l’accès de tous aux services publics dans l’île et à affecter les crédits et les subventions à des projets de développement économique ciblés. Elle serait bien plus utile que la solution de facilité de la zone franche, laquelle n’a pas montré son efficacité dans les nombreux endroits où elle a été déployée, comme l’a montré le rapport de l’IGF.

Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de l’adoption de l’amendement de suppression.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’exonération fiscale augmentera les bénéfices des entreprises. Celles-ci pourront alors investir et créer des emplois. Sans bénéfices, il n’y a pas de créations d’emplois ; les entreprises déficitaires détruisent des emplois.

Il n’y a aucun lien entre le dispositif de l’article 22 et le régime social de nos compatriotes de Mayotte. Ce sont d’autres articles du projet de loi qui prévoient l’alignement progressif, selon des modalités restant à définir, du régime social mahorais sur celui de l’Hexagone. Un rapport est attendu sur les incidences de cette convergence : il faut veiller à éviter qu’un alignement trop rapide détruise l’économie locale.

Ce sont uniquement les PME qui bénéficieront du dispositif et non toutes les entreprises. Néanmoins, selon les informations que j’ai obtenues, seules huit sociétés seront exclues du champ du mécanisme : le tissu économique mahorais est presque exclusivement constitué de PME, il n’y a presque pas de grandes entreprises dans ce territoire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF8 de M. Charles de Courson

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’amendement vise à inclure dans les activités exonérées d’impôt sur les bénéfices celles concernant la pêche et l’aquaculture, secteurs économiques importants à Mayotte – les pêcheurs mahorais se sont regroupés dans deux coopératives. Il me semblait que la pêche était comprise dans les activités agricoles, mais comme les avis divergent en la matière, je préfère le préciser. Nous verrons ce que dira le gouvernement en séance publique.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Il me semble que la rédaction de l’article englobe déjà la pêche.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. C’est ce que je croyais, mais un débat s’est ouvert au sein des cabinets ministériels sur cette question, donc je préfère insérer cette précision dans le texte par précaution.

M. Matthias Renault (RN). Je suppose que l’amendement vise la pêche artisanale, mais des thoniers, évoluant au large de Mayotte et des îles Éparses, pourraient être exclus du dispositif comme les entreprises que vous avez mentionnées, monsieur le rapporteur pour avis. Qu’en est-il ?

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. D’après ce que l’on m’a indiqué, il n’y a pas d’entreprise de thoniers localisée à Mayotte. Des thoniers entrent dans les eaux territoriales de l’île, mais ils n’y sont pas immatriculés donc ils n’entrent pas dans le champ de l’article 22.

La commission adopte l’amendement CF8 (CL486).

Amendement CF3 de Mme Sandrine Nosbé

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Il s’agit d’un amendement de repli qui vise à supprimer l’exonération totale d’IR et d’IS. Les arguments sont les mêmes que ceux qui nous poussaient à défendre la suppression de l’article.

Le dispositif prévu n’est absolument pas différencié. Nous ne nous opposerions pas au déploiement d’un dispositif ciblé, mais, au lieu de planifier une aide à la population de Mayotte passant notamment par la reconstruction des services publics, vous accélérez, approfondissez et amplifiez la déréglementation par l’élargissement de la zone franche.

Vous nous avez objecté que Mayotte était une île – grande découverte ! –, mais je vous certifie que les résultats de la zone franche mahoraise seront identiques à ceux des dispositifs hexagonaux. Elle n’apportera aucune amélioration en matière de créations d’emplois, de baisse du chômage et de diminution de la pauvreté et de la précarité, car votre action ne comprend aucun volet d’aide directe aux services publics et à la population. Vous ne parviendrez qu’à aggraver les causes de la crise en rendant les conditions de vie plus difficiles et plus violentes. Vous apportez toujours les mêmes réponses défectueuses : nous en avons maintenant l’habitude.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’amendement vise à supprimer l’augmentation du taux d’exonération, actuellement fixé à 80 % et que l’article 22 prévoit de porter à 100 %. Adopter cet amendement signifierait le statu quo et le maintien de la Zfang actuelle. Poussez votre logique jusqu’à son terme et proposez de supprimer l’exonération de 80 % et la zone franche existante. L’article 22 ne crée pas la Zfang, il en étend le champ et augmente le taux d’exonération fiscale.

J’ai déposé un amendement visant à évaluer le nouveau dispositif au terme de la période de cinq ans : nous pourrons alors nous prononcer sur l’opportunité de sa prorogation. Avis défavorable.

M. le président Éric Coquerel. Vous avez raison de dire qu’une entreprise doit faire des bénéfices pour augmenter les salaires et embaucher, en revanche il arrive qu’une entreprise engrangeant des bénéfices ne fasse rien de tout cela : telle est l’une des conséquences de la politique de l’offre quand ses mesures ne sont pas conditionnées.

Vous pouvez aider une entreprise par des allégements de cotisations et d’impôts, mais s’il n’y a pas d’activité ni de marché dans son secteur, elle ne pourra pas se développer. La question de la consommation intérieure est donc prégnante. Pour y répondre, il faut, à Mayotte encore plus qu’ailleurs, augmenter les salaires.

Dans l’île, 65 % des produits alimentaires sont importés alors que Mayotte était exportatrice nette dans les années 1980. L’une des causes de ce retournement tient au fait que les normes européennes frappent principalement les productions vivrières exportatrices. Je ne pense pas que la zone franche apporte la moindre réponse à ce problème.

La Zfang est une solution de facilité qui ne permettra pas à l’économie mahoraise de redémarrer, comme nous le constaterons, à mon avis, dans quelques années.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Je partage le point de vue du rapporteur pour avis : le dispositif devra être évalué au terme de la période de cinq ans.

L’approche de la zone franche globale peut aider Mayotte à reconquérir sa sécurité et sa souveraineté alimentaires. Il faudra inciter les autorités locales à suivre ce chemin. Faisons confiance à l’économie et aux acteurs locaux pour reprendre en main leur destin. Il n’y a pas de raison que le territoire ne puisse pas recouvrer l’autonomie alimentaire dont il jouissait dans les années 1980. En ce sens, le dispositif de zone franche représente une opportunité. Je m’oppose donc évidemment à cet amendement.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Je ne partage pas du tout la vision de l’auteur de l’amendement, qui est aussi la vôtre, monsieur le président. Il faut créer un choc d’attractivité dans ces territoires. Cela inclut l’attractivité fiscale. Je rappelle que les dispositions de l’article ne concernent pas les particuliers, mais les entreprises, puisqu’elles incluent les bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices agricoles et l’impôt sur les sociétés. Le bénéfice ainsi dégagé par les entreprises sera réinvesti pour créer de la valeur ajoutée, donc du développement. Nous avons deux visions très différentes de l’économie : pour vous, l’État doit tout abonder ; pour nous, c’est le fait d’aider les entreprises à s’implanter sur le territoire qui permettra de relancer l’économie et de créer des emplois, dans un système vertueux.

M. le président Éric Coquerel. Créer une zone franche, c’est une aide de l’État. Chacun doit payer l’impôt ; toute exception à cette règle est une forme d’aide.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Les bénéfices distribués aux associés seront imposables.

M. le président Éric Coquerel. L’article propose une exonération d’impôt sur les sociétés pendant cinq ans.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). L’exonération d’impôt sur les sociétés s’applique aux entreprises ; les associés, eux, seront imposés sur les bénéfices distribués.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF12 de M. Steevy Gustave

M. Steevy Gustave (EcoS). L’amendement vise à exclure les grandes entreprises du régime fiscal spécifique à Mayotte prévu à l’article 22 afin de mieux cibler l’effort fiscal en direction de ceux qui en ont réellement besoin : les petites et moyennes entreprises.

Le groupe Écologiste et social s’oppose à ce que la relance de l’activité économique à Mayotte passe uniquement par la création d’une zone franche intensifiée. Certes, l’activité économique doit être soutenue après le passage du cyclone Chido ; cependant, il est nécessaire de réfléchir à la façon dont nous intervenons. Le gouvernement a estimé le coût annuel de ce cadeau fiscal à 18 millions d’euros. Nous devons être attentifs à la répartition de cette enveloppe. L’amendement vise à éviter un ruissellement trop théorique et inégal.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. Vous proposez d’exclure de la zone franche globale les entreprises qui remplissent deux des trois seuils suivants : un nombre de salariés supérieur à 250, un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros et un bilan supérieur à 20 millions d’euros.

L’amendement est partiellement satisfait par l’article 22 dans la mesure où seules les entreprises comptant moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires n’excède pas 50 millions d’euros peuvent bénéficier des exonérations liées à la zone franche. Ces plafonds, qui rendent de facto uniquement éligibles les microentreprises et les PME, correspondent aux seuils européens.

Il me semble préférable de conserver les valeurs applicables dans l’Union européenne pour ne pas complexifier inutilement la réglementation. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF4 de M. Aurélien Taché

M. Jérôme Legavre (LFI-NFP). Cet amendement de repli vise à supprimer l’exonération totale de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue dans cet article.

Je retiens des arguments que vous nous opposez systématiquement qu’en définitive, vous souhaitez étendre tout ce qui ne marche pas, c’est-à-dire la politique de l’offre, dont l’article se réclame ouvertement, malgré un bilan qui montre l’augmentation de la pauvreté et du chômage.

Pour déréglementer et instaurer des zones franches, il n’y a aucun problème ; en revanche, dès que l’on parle d’aligner les salaires et les prestations sociales sur l’Hexagone, il n’y a plus personne. Silence total.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. Vous proposez de supprimer la hausse de l’abattement de taxe foncière que l’article porte de 80 à 100 %. Ce n’est pas cohérent par rapport aux autres dispositions du texte : on ne peut pas proposer une exonération de 80 % pour tel impôt et de 100 % pour tel autre. Avis défavorable.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Le moment n’est pas propice à une discussion globale sur la politique de l’offre, mais ses résultats ne sont pas du tout ceux que vous décrivez : on observe bien une création d’emplois très élevée et une baisse du chômage depuis 2017 – même si, du fait de la crise internationale, on assiste désormais au tassement de cette dynamique.

Ce qui me surprend, c’est que vous n’acceptiez pas une politique de différenciation adaptée aux spécificités de Mayotte. Vous nous dites que les zones franches ne marchent pas en métropole mais, compte tenu de l’urgence à réindustrialiser l’île, nous ne pouvons pas nous priver de ce levier. C’est la même chose dans plusieurs départements d’outre-mer, où il n’y a pas de dynamique économique. À contexte spécifique, il faut une réponse spécifique.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF11 de M. Steevy Gustave

M. Steevy Gustave (EcoS). L’amendement appelle à un suivi rigoureux des dispositifs fiscaux et sociaux favorables à Mayotte pour garantir leur efficacité concrète. Comme le rappelle régulièrement la Cour des comptes, les dispositifs fiscaux en faveur des outre-mer sont nombreux et les dépenses fiscales y représentent le principal canal d’intervention publique – les crédits budgétaires de la mission Outre-mer en témoignent. Nous souhaitons un pilotage plus cohérent et plus transparent des dispositifs fiscaux qui soit fondé sur la concertation – j’insiste sur ce mot – locale et sur l’évaluation.

M. Charles de Courson (LIOT). L’amendement prévoit « une stratégie de soutien et de suivi à l’accès aux dispositifs fiscaux et sociaux généraux et spécifiques à Mayotte ». C’est une dénomination vague et peu compréhensible qui dépasse le cadre de l’article dont nous discutons ; d’autres articles du projet de loi portent sur des dispositifs sociaux. Mieux vaut évaluer chacun d’entre eux séparément. C’est l’objet de l’amendement CF 10, qui demande la remise d’un rapport sous quatre ans sur la base duquel nous déciderons de proroger, de modifier ou de supprimer ce dispositif fiscal. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF10 de M. Charles de Courson

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’amendement prévoit la remise au Parlement d’un rapport sur la nouvelle zone franche globale. Conformément aux dispositions figurant à l’article 7 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 20023 à 2027, il convient d’évaluer les dépenses fiscales attachées à ce dispositif pour s’assurer de leur efficacité, connaître leur coût et éclairer le débat parlementaire dans l’hypothèse d’une suppression, d’une évolution ou d’une prorogation ultérieure.

La commission adopte l’amendement CF10 (CL487).

Elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 22 modifié.

Après l’article 22

Amendement CF6 de Mme Estelle Youssouffa

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). L’amendement a pour objet de relever le plafond du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de 2,5 à 3,5 smic, ce qui permettrait à l’employeur d’augmenter le salaire de ses cadres sans perdre le bénéfice intégral du crédit d’impôt.

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’amendement vise à soutenir les entreprises mahoraises en rehaussant le plafond du bénéfice du CICE de 2,5 à 3,5 smic. Je comprends l’idée : du fait de la convergence sociale, les cotisations et contributions sociales seront progressivement augmentées à Mayotte. Toutefois, je rappelle que la hausse du smic sur place sera accompagnée du déploiement de l’ensemble des exonérations et allégements dont bénéficient les autres territoires ultramarins et qui – c’est une anomalie – n’existent pas encore sur l’île. En outre, alors qu’un chantier de convergence est à l’œuvre dans le projet de loi, il me paraît contre-intuitif de renforcer un dispositif dérogatoire – le CICE – à Mayotte. Enfin, l’article 22 prévoit des mesures dérogatoires du droit commun très avantageuses pour les entreprises mahoraises. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement CF7 de Mme Estelle Youssouffa

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. Avis défavorable, pour les mêmes raisons, sur cet amendement de repli.

L’amendement est retiré.

Article additionnel après l’article 22

Amendement CF9 de M. Charles de Courson

M. Charles de Courson, rapporteur pour avis. L’amendement a pour objet de prolonger de quatre ans l’exonération de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) applicable aux réceptions de déchets générés à Mayotte, jusqu’au 31 décembre 2030. Il s’agit d’une mesure de coordination fiscale visant à ce que la date de la fin de l’exonération de TGAP à Mayotte coïncide avec celle de la nouvelle zone franche globale. Cette mesure rendrait plus cohérentes les dépenses fiscales applicables à Mayotte. Enfin, il faut admettre que les déchets provoqués par le cyclone Chido ne seront pas tous traités à Mayotte d’ici au 31 décembre 2026, comme le prévoyait le texte que nous avions voté. La prorogation de l’exonération de TGAP doit permettre d’accompagner la reconstruction du département.

La commission adopte l’amendement CF9 (CL488).


La commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur l’impact et les évolutions possibles pour les dépenses fiscales en faveur du patrimoine de M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial de la mission Culture : Patrimoines

M. le président Éric Coquerel. Nous poursuivons cette réunion de commission avec l’examen de différents thèmes d’évaluation retenus par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du printemps de l’évaluation. Monsieur Philippe Lottiaux, vous êtes le rapporteur spécial « Patrimoines » de la mission Culture et vous avez choisi comme thème d’évaluation l’impact et les évolutions possibles pour les dépenses fiscales en faveur du patrimoine.

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial de la mission Culture : Patrimoines. Je souhaite tout d’abord expliciter la genèse du choix de ce thème. Je rapporte chaque année les crédits du patrimoine et un tableau contenu dans le projet annuel de performances porte sur les dépenses fiscales rattachées au patrimoine. Ces dépenses présentent une variété d’intitulés parfois ésotériques, avec des renseignements souvent lacunaires, ainsi qu’une signification et un champ d’application pas toujours évidents. En outre, parmi ces quatorze dépenses fiscales recensées, certaines ne couvrent que très partiellement le champ du patrimoine, tandis que d’autres dépenses favorables au patrimoine n’apparaissent pas dans ce périmètre. Ma démarche procède donc d’une volonté de meilleure compréhension pour permettre une explication plus claire et pertinente.

Ensuite, le concept même de dépense fiscale correspond plutôt à une moindre recette et supprimer une dépense fiscale revient à augmenter les impôts. De plus, cette dépense est souvent associée à un coût net pour l’État. Or, les dépenses fiscales en faveur du patrimoine culturel sont généralement source de recettes pour l’État. Elles incitent à l’engagement de travaux patrimoniaux, financés par des acteurs privés, qui augmentent ainsi les recettes fiscales de TVA ainsi que d’impôt sur les sociétés et sur le revenu.

En l’absence de ces dépenses, nous serions confrontés soit à la nécessité d’accroître les dépenses publiques pour l’entretien du patrimoine, soit à une dégradation du patrimoine privé, ce qui entraînerait une diminution de l’attractivité touristique de certains de nos territoires.

Ma méthodologie a consisté à conduire des entretiens avec les ministères concernés, à savoir les ministères de la culture et des finances, ainsi qu’avec de nombreux acteurs du patrimoine, fondations et associations. J’ai d’abord cherché à comprendre la raison d’être de ces quatorze dépenses fiscales du programme 175. Derrière leur apparente hétérogénéité, j’ai constaté qu’il s’agissait de dispositifs souvent anciens, qui avaient parfois évolué avec le temps, généralement bien conçus et répondant de manière équilibrée à des situations spécifiques. Certaines dépenses représentent moins de 5 millions d’euros et l’une d’entre elles n’a même pas été utilisée depuis 2017.

Ces dépenses poursuivent trois grands objectifs. Premièrement, elles permettent d’aider les propriétaires privés à entretenir et sauvegarder les monuments qu’ils détiennent. Il s’agit de l’objectif du nouveau dispositif Malraux de réduction d’impôt pour la restauration d’immeubles, de la déduction et de l’imputation sur le revenu global des charges ou déficits fonciers supportés par les propriétaires de monuments historiques ou de bâtiments labellisés par la Fondation du patrimoine, de la réduction d’impôt au titre de l’entretien et de la restauration du mobilier au sein de ces monuments, ainsi que de l’exonération dans certains cas des droits de mutation lors des dons et des successions.

Deuxièmement, ces dépenses visent à soutenir l’activité et les acquisitions d’œuvres d’art par les institutions culturelles, notamment par le dispositif des trésors nationaux ou l’exonération de certains droits de mutation ou de TVA.

Troisièmement, elles cherchent à accroître l’activité du marché de l’art en France, notamment par un taux de TVA réduit. Les discussions avec les experts confirment l’efficacité de cette mesure. Ce qui aurait pu constituer une baisse de recettes due à la diminution de la TVA s’est en réalité traduit par un effet de volume pour le marché de l’art français, ce qui n’a donc pas nécessairement amené une baisse des recettes fiscales.

L’ensemble de ces quatorze dépenses est analysé dans le rapport, mais celles-ci ne couvrent pas l’intégralité des efforts fiscaux de l’État en faveur du patrimoine, pour deux raisons principales. D’une part, certaines dépenses fiscales du programme 175 ne touchent que marginalement ou partiellement le patrimoine. Tout d’abord, l’exonération des droits de mutation à titre gratuit portant sur les legs d’assurance-vie aux associations constitue la plus importante dépense fiscale, soit environ 100 millions d’euros, c’est-à-dire plus du tiers de l’ensemble. En réalité, elle ne concerne qu’à hauteur de quelques pour cent les institutions patrimoniales et bénéficie majoritairement à d’autres structures associatives sans lien avec des actions patrimoniales. Cette dépense pourrait parfaitement être rattachée au programme 163 « Jeunesse et vie associative », qui inclut déjà les différents dons et libéralités.

Par ailleurs, le nouveau dispositif Malraux ne concerne pas exclusivement des monuments historiques. Les réductions peuvent s’appliquer à des immeubles situés dans certains sites patrimoniaux remarquables (SPR), y compris des immeubles sans caractère patrimonial propre. Des travaux sur des immeubles ordinaires peuvent ainsi bénéficier de cette mesure, uniquement en raison de leur localisation dans des zones classées comme sites patrimoniaux remarquables. De plus, ce dispositif s’étend également aux quartiers politiques de la ville dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPRU), pour des motifs sans rapport avec des considérations patrimoniales. Ainsi, le dispositif Malraux, qui figure au programme 175 pour un montant annuel de 40 à 45 millions d’euros, ne concerne que partiellement des travaux effectués sur des immeubles patrimoniaux à proprement parler.

D’autre part, d’importantes dépenses fiscales en faveur du patrimoine n’apparaissent pas dans ce programme 175. Il s’agit notamment du mécénat d’entreprise en faveur du patrimoine et des dons des particuliers aux associations patrimoniales. Ces dispositifs relèvent du programme 163, consacré à la générosité publique et au mécénat, et leur part spécifiquement patrimoniale demeure difficile à évaluer précisément. Les estimations actuelles, relativement approximatives, situent le mécénat patrimonial entre 40 et 70 millions d’euros. Quant aux dons, la part consacrée au patrimoine représenterait entre 5 et 10 % du total. Nous ne disposons pas d’évaluations fiables concernant la part du patrimoine dans la politique globale de mécénat ou dans l’ensemble des dons.

Face à ce constat, nous devons en priorité améliorer l’information disponible, souvent lacunaire. Des précisions supplémentaires s’avèrent nécessaires sur plusieurs aspects, et le ministère de la culture en a pris conscience. Des travaux sont d’ailleurs en cours pour enrichir et affiner l’information relative à ces différents dispositifs.

Sur d’autres sujets concernant les dépenses patrimoniales, nous constatons que l’information précise sur le montant de ces dépenses, leurs destinataires et bénéficiaires, nécessiterait la mise en place d’un dispositif excessivement complexe dans les renseignements fiscaux, ce qui n’apparaît pas pertinent. Il est inutile de complexifier à outrance des mécanismes pour des dépenses fiscales qui demeurent finalement relativement modestes.

Concernant le mécénat d’entreprise pour le patrimoine ou les dons en sa faveur, sans rattacher ces éléments au programme 175, puisqu’ils ne représentent qu’une faible partie et que le rattachement au programme 163 reste logique, nous pourrions améliorer sans grand coût significatif l’enquête de l’Admical sur le mécénat d’entreprise ainsi que celle des Apprentis d’Auteuil sur la générosité publique, en y ajoutant une rubrique spécifique qui permettrait d’obtenir une vision plus précise des financements en faveur du patrimoine.

Quant à l’évolution possible de ces dépenses fiscales, nous reconnaissons les vertus de la stabilité fiscale, particulièrement importante dans le temps long qui caractérise le patrimoine. Pour certaines dépenses fiscales que j’envisageais initialement de faire évoluer, force est de constater qu’elles résultent d’un compromis, d’un équilibre issu de discussions antérieures qu’il ne paraît pas nécessairement pertinent de remettre en question.

Par ailleurs, certaines évolutions séduisantes de prime abord s’avéreraient potentiellement coûteuses. L’exonération totale de charges fiscales et sociales du Loto du patrimoine, par exemple, représenterait 15 millions d’euros. Bien que cela n’entraîne pas de coût direct puisque compensé par l’État, le précédent ainsi créé poserait un problème. En effet, cette exonération devrait logiquement s’appliquer aux autres lotos, comme celui de la biodiversité, ce qui paraît assez risqué.

Nous avons également étudié l’exonération des droits de mutation pour les immeubles non seulement classés et inscrits, mais aussi labellisés par la Fondation du patrimoine. Compte tenu du nombre important de labels, cette mesure ajouterait une dépense potentielle difficilement maîtrisable, ce qui ne paraît pas opportun dans le contexte actuel.

Nous proposons néanmoins quelques évolutions qui nous paraissent pertinentes et dont le coût reste relativement restreint. Il est important de noter que nous parlons ici du coût brut, le coût net étant beaucoup plus limité. Ainsi, nous recommandons tout d’abord de rétablir un agrément sur certaines ventes à la découpe. Nous avons constaté que des ensembles patrimoniaux, comme Pontchartrain, avaient été en quelque sorte massacrés. Il apparaît donc nécessaire de réinstaurer un agrément conjoint du ministère de la culture et du ministère des finances qui avait été supprimé en 2017.

Le régime de l’ouverture au public, qui détermine certaines exonérations fiscales, doit également être revu. Un rapport de 2020 de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) propose des pistes d’évolution intéressantes. La notion d’ouverture au public mérite d’être assouplie et il est nécessaire de tenir compte des nouveaux usages et pratiques.

Il convient également de reconsidérer la durée d’exonération des droits de mutation pour les monuments historiques classés ou inscrits, actuellement accordée à vie, pour revenir à une durée de 22 ans qui, bien que substantielle, semble plus raisonnable.

Nous suggérons en outre de faire évoluer le régime du mécénat pour les dons de faibles montants en relevant le plafond de 20 000 à 30 000 euros et de 0,5 % à 1 % du chiffre d’affaires. De même, le taux du dispositif Malraux pourrait être uniformisé à 30 %, au lieu des 22 % et 30 % actuels, ce qui simplifierait le mécanisme.

L’extension de la réduction d’impôt pour faciliter le maintien des objets mobiliers au sein des monuments historiques constitue une autre proposition importante, ces objets faisant partie intégrante du patrimoine.

Enfin, même si cette mesure fera polémique, nous proposons d’exonérer totalement d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) les monuments historiques, qu’il s’agisse de résidences principales ou secondaires, sous condition d’ouverture au public.

M. Charles de Courson (LIOT). Je tiens d’abord à remercier notre rapporteur qui a entrepris de dresser une liste exhaustive des dépenses fiscales en matière de protection du patrimoine. Ce qui me frappe dans ces douze recommandations, c’est que, si certaines relèvent simplement de la clarification, d’autres s’avèrent potentiellement coûteuses. Notre rapporteur n’a d’ailleurs pas été en mesure de les évaluer.

Nous avons un problème de distinction entre biens professionnels et biens personnels, particulièrement concernant l’IFI. Lorsqu’une personne habite un lieu classé qu’elle ouvre aux visites, nous nous trouvons face à un mélange des genres problématique. Si la personne n’y réside pas, l’argument peut être défendable et l’administration fiscale considère qu’il s’agit alors d’un bien professionnel. En revanche, dans les cas d’usages mixtes, la situation devient nettement plus complexe.

La question des jardins pose également un problème. Actuellement, ils ne sont pas classés et ne bénéficient donc pas des dispositifs fiscaux applicables aux bâtiments. Il existe pourtant de magnifiques bâtiments classés accompagnés de superbes jardins, voire des jardins remarquables sans bâtiment associé. La question de leur classification se pose : qui se chargera-t-il de les classer ? Le contrôle par le ministère de la culture apparaît indispensable pour définir précisément ce qui constitue un bâtiment classé ou un jardin classé.

Concernant les ouvertures au public, les avantages fiscaux augmentent en fonction du degré d’ouverture. Votre proposition d’élargir la règle des 25 jours d’ouverture pour y inclure des activités commerciales me semble constituer un mélange des genres. Le Conseil constitutionnel a exigé, à raison, que les avantages fiscaux soient conditionnés à une contrepartie d’intérêt public. Votre proposition numéro 6 va donc, à mon sens, trop loin.

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Concernant l’inclusion dans les biens professionnels, je précise qu’il s’agit des cas où les biens ne constituent pas la résidence principale du propriétaire. L’exonération que nous proposons n’implique pas nécessairement l’inclusion dans la liste des biens professionnels.

Sur la question des jardins, notre proposition concerne spécifiquement les jardins rattachés à une demeure classée ou inscrite. Dans l’état actuel, ces jardins ne sont pas systématiquement inclus lors des transmissions, ce qui peut conduire à des démembrements préjudiciables, notamment lorsque ces espaces présentent une qualité particulière ou contribuent à l’équilibre économique de l’exploitation.

Quant aux ouvertures au public, j’ai exclu les activités purement commerciales, comme la location pour des mariages ou des séminaires. En revanche, certaines activités rémunérées, mais à dimension culturelle, pourraient légitimement être prises en compte, comme les concerts. Je n’ai pas inclus dans les propositions les évènements commerciaux purs. Les activités que j’évoque, même si elles sont un peu rémunératrices, participent activement à la découverte du lieu et s’inscrivent dans une démarche culturelle, comme un escape game.

M. Anthony Boulogne (RN). Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour ce travail et ce rapport qui offrent une vision complète des dépenses fiscales existantes en faveur du patrimoine. Selon les données du rapport d’information, sur plus de 45 000 monuments historiques présents sur notre territoire, près de la moitié, environ 46 % appartiennent à des propriétaires privés. Parmi ces monuments privés, seulement 1 500 sont ouverts au public. Nous disposons donc de marges de progression substantielles pour faciliter l’ouverture des monuments historiques aux visiteurs.

Actuellement, plusieurs dispositifs fiscaux bénéficient aux propriétaires privés de monuments historiques. Le Code général des impôts prévoit notamment, en son article 795 A, l’exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les biens immeubles historiques ouverts au public. Ces dernières années, diverses évolutions ont été opérées pour moderniser la notion fiscale d’ouverture au public. Un rapport conjoint de l’IGF et de l’Igac datant de 2020 proposait d’ailleurs la prise en compte de modalités particulières d’ouverture, adaptées aux nouvelles formes de visite.

Les attentes du public, particulièrement des jeunes générations, évoluent considérablement. Il est donc essentiel que le cadre légal du régime d’ouverture au public s’adapte à l’époque actuelle. J’aimerais connaître votre avis sur les pistes de modernisation de ce régime, qui constitue un chantier important pour mieux valoriser notre patrimoine historique français.

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Le rapport de 2020, sur lequel nous nous sommes également appuyés, a déjà conduit à certains assouplissements, notamment concernant la scission des horaires d’ouverture et le nombre de journées. Des réflexions se poursuivent actuellement entre le ministère de la culture et Bercy sur ce sujet.

Je considère que nous devons avoir une vision plus souple, sans pour autant prendre en compte tout et n’importe quoi. La mise à disposition d’un monument pour un séminaire ou un mariage contre rémunération ne peut pas être considérée comme une ouverture au public justifiant un avantage fiscal. En revanche, certains monuments pourraient être ouverts uniquement sur réservation en raison de leur configuration spécifique. D’autres, situés dans des secteurs touristiques comme le littoral, gagneraient à adapter leurs horaires d’ouverture en période estivale aux habitudes des visiteurs, qui ne fréquentent pas les lieux culturels aux heures habituelles parce qu’ils sont à la plage ou évitent les fortes chaleurs.

Certains monuments se prêtent quant à eux particulièrement à l’accueil de spectacles, concerts ou autres formes de découverte. De nouvelles tendances émergent et peuvent être particulièrement adaptées à certains sites, comme les escape games qui attirent un public jeune. Proposer à un adolescent la visite traditionnelle d’un château ne suscite pas nécessairement un enthousiasme débordant, alors qu’un escape game dans ce même lieu l’incitera à se renseigner sur l’histoire du monument.

Je suggère donc d’assouplir les critères d’ouverture au public et de laisser davantage d’appréciation aux directions régionales des affaires culturelles (Drac) sur le terrain. Face à la diversité des monuments, plutôt qu’une règle uniforme, il serait peut-être préférable d’établir un socle commun d’exigences et de permettre aux Drac d’examiner si la notion d’ouverture au public est correctement remplie au regard des spécificités du monument et de son territoire.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Nous nous battons depuis des années pour instaurer un crédit d’impôt en faveur des personnes résidant en Ehpad qui, lorsqu’elles quittent leur domicile où elles bénéficiaient d’un tel avantage, se retrouvent en établissement sans pouvoir en bénéficier. La réduction d’impôt, quant à elle, continue de s’appliquer pour les personnes les plus aisées. Cette situation est profondément injuste. Pourtant, pour des raisons purement financières, le gouvernement a systématiquement refusé l’amendement voté majoritairement en hémicycle lorsque nous votions encore le projet de loi de finances (PLF). Dès lors, créer de nouveaux crédits d’impôt pour le patrimoine, même si j’apprécie grandement ce domaine, sans avoir préalablement réglé la question du crédit d’impôt pour les personnes dépendantes en Ehpad, est pour moi totalement hors de question.

Au moment où l’État parle d’une TVA sociale qui n’a rien de social, je tiens à rappeler la mesure votée dans le PLF 2024 proposant une réduction uniforme de TVA applicable à toutes les importations d’œuvres d’art, occasionnelles ou non, à 5,5 %, qui est entrée en vigueur au 1er janvier 2025. Je serais particulièrement curieuse de savoir, à la fin de cette année, quels seront les réels bénéficiaires de cette mesure et son coût effectif pour le budget de l’État.

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Certaines recommandations séduisantes n’ont pas été retenues précisément parce que nous ne voulons pas augmenter significativement les coûts. Proposer des évolutions fiscales dans le domaine du patrimoine ne signifie nullement que je m’oppose aux crédits d’impôt pour les Ehpad que vous évoquez. Il s’agit de choix à effectuer en examinant systématiquement le coût net de chaque mesure.

Les crédits d’impôt dans le domaine patrimonial visent essentiellement à encourager la réalisation de travaux nécessaires, ce qui génère par ailleurs des recettes fiscales. Il ne s’agit pas d’avantages fiscaux accordés pour faire plaisir. Concernant l’entretien des monuments historiques, évitons toute caricature consistant à présenter leurs propriétaires comme des personnes systématiquement très fortunées. De nombreux passionnés consacrent une part importante, voire la totalité de leurs moyens à la préservation de ces biens. Une diminution de leur charge fiscale leur permettra d’investir davantage dans les travaux de restauration et d’entretien.

Quant à la mesure fiscale sur les importations d’œuvres d’art, d’après nos observations, la revitalisation et le renforcement du marché de l’art en France qui en résultent ne sont pas négligeables. Ces effets positifs pourraient compenser la baisse du taux de TVA à 5,5 %, bien qu’il soit encore trop tôt pour disposer de chiffres définitifs.

Mme Sophie Mette (Dem). Le rapport d’information sur les dépenses fiscales en faveur du patrimoine que nous examinons aujourd’hui aborde le sujet fondamental de la préservation et de la valorisation de notre patrimoine culturel commun. Le groupe Les Démocrates partage pleinement l’objectif de protéger notre patrimoine culturel qui participe à notre identité nationale, au dynamisme du secteur culturel et touristique et, par conséquent, à l’attractivité de notre territoire.

Nous ne pouvons que souscrire à vos recommandations visant à garantir une meilleure connaissance des dépenses fiscales en faveur du patrimoine, tant en termes d’effets que de coûts et d’identité des bénéficiaires. Je tiens à rappeler l’attachement de mon groupe à l’amélioration du suivi des dépenses fiscales, condition essentielle pour s’assurer du bon usage des deniers publics.

Par ailleurs, je souhaite vous interroger au sujet de la collecte nationale « Sauvons le patrimoine religieux de nos villages ». Vous indiquez dans votre rapport que le produit de cette collecte est inférieur aux attentes, avec 12,6 millions d’euros en 2024, alors que le montant attendu s’élevait à 200 millions d’euros sur quatre ans et devait permettre de soutenir près de 1 000 lieux de notre patrimoine religieux. Savez-vous combien de lieux de culte pourront finalement être soutenus grâce aux fonds d’ores et déjà collectés ? Dans vos échanges avec l’administration, celle-ci a-t-elle évoqué des pistes alternatives pour compenser le manque à gagner par rapport à l’objectif initial fixé par cette collecte ? Pensez-vous que la mesure prévue à l’article 9 de la loi de finances pour 2025 permettra en partie de rattraper le retard pris sur l’objectif ?

Enfin, vous proposez d’exonérer de l’IFI les monuments historiques affectés à la résidence principale, à condition qu’ils soient ouverts au public. Disposez-vous d’un chiffrage du coût budgétaire de cette mesure ?

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Concernant votre dernière question sur l’exonération d’IFI, je ne dispose pas de chiffrage précis. Je n’ai pas eu les moyens, dans le temps imparti, d’obtenir cette évaluation. Néanmoins, cette mesure ne concernerait pas des milliers de lieux et un ensemble de conditions cumulatives doit être réuni – ouverture au public, nature du monument, soumission à l’IFI, etc.

S’agissant de la collecte nationale, celle-ci constituait un complément qui s’inscrivait dans une démarche comparable à celle mise en œuvre pour Notre-Dame. Le chiffre avancé par la Fondation du patrimoine, puis repris par le président de la République, visait à encourager la générosité. La première année a révélé que les donateurs privilégient généralement des projets clairement identifiés. Ils préfèrent en effet contribuer à un monument précis plutôt qu’à une collecte globale. La Fondation du patrimoine a donc réorienté sa stratégie en incluant des monuments ciblés dans sa communication.

La collecte se poursuivant jusqu’à fin 2025, nous ne disposons pas encore du détail exhaustif des édifices qui bénéficieront de ces financements. Nous n’atteindrons certainement pas l’objectif initial, mais cette collecte constitue néanmoins un apport supplémentaire aux collectes habituelles de la Fondation du patrimoine. Cette expérience confirme l’attachement des Français à des projets identifiés.

Mme Félicie Gérard (HOR). Vous faites état d’une nécessité de soutenir l’entretien et la rénovation de notre patrimoine en analysant les différents dispositifs fiscaux existants. Ces dépenses sont utiles à notre pays et légitimes, même si la manière de financer peut évidemment être améliorée. Vous formulez plusieurs recommandations précises sur lesquelles nous aurons probablement l’occasion de débattre lors de l’examen du projet de loi de finances à venir.

La rénovation de notre patrimoine nécessite d’importants moyens financiers, mais également de la souplesse et une coordination efficace entre financements publics, efforts fiscaux et soutien privé. Au regard de la surconsommation budgétaire observée en 2024 et des fonds qu’il faudra mobiliser dans les années à venir, comment les outils fiscaux à notre disposition peuvent-ils contribuer à mobiliser le capital privé pour soutenir l’entretien de notre patrimoine ?

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Votre question mériterait un rapport à part entière tant le sujet est vaste. L’initiative privée intervient fortement dans la préservation du patrimoine, et ce de façon croissante. Nous observons une véritable prise de conscience et il convient de saluer l’action de personnalités comme Stéphane Bern, qui a contribué significativement à populariser le soutien au patrimoine.

Le ministère de la culture a en outre réussi à obtenir un amendement accordant des crédits supplémentaires pour le patrimoine dans le budget 2025, malgré un contexte budgétaire contraint. Néanmoins, nous constatons, comme l’a confirmé la ministre de la culture lors de l’examen de l’exécution budgétaire, que les financements publics ne pourront pas tout couvrir. J’insiste sur l’utilité des dépenses fiscales incitatives et sur la nécessité d’en améliorer certaines, particulièrement pour le mécénat d’entreprise et la générosité privée.

D’autres facteurs non budgétaires jouent également un rôle crucial, notamment l’accompagnement et l’expertise. Lorsqu’un maire ou un propriétaire se trouve isolé face à un projet de rénovation, il est en difficulté. En revanche, bénéficier d’une expertise pour guider les procédures et le montage des dossiers facilite considérablement la rénovation du patrimoine. Ce rôle d’accompagnement incombe aux associations et à certaines institutions publiques qui doivent poursuivre cette mission essentielle.

Il faudra certainement identifier de nouvelles sources de financement privé. Le ministère de la culture étudie plusieurs pistes, notamment l’instauration de droits d’entrée, par exemple à Notre-Dame. Face au mur d’investissements en matière de patrimoine – environ un quart de notre patrimoine se trouve en mauvais ou très mauvais état –, l’État ne pourra assumer seul cette charge.

Nous devons donc continuer à inciter le secteur privé et à soutenir les propriétaires, qui gèrent la majorité de nos monuments historiques. Pour assurer l’entretien et développer l’ouverture au public – seuls 1 500 monuments sont actuellement accessibles alors que ce nombre pourrait être bien supérieur –, il faut à la fois financer et accompagner, en s’appuyant davantage sur l’initiative privée et les fondations. Je constate à travers mes échanges avec de nombreux acteurs du patrimoine la création croissante d’associations et de fondations efficaces, comme SOS Calvaires, qui parviennent à fonctionner sans soutien public significatif.

M. le président Éric Coquerel. Bien que vous n’ayez pas remis en question le sujet des dépenses fiscales dans votre rapport, il me paraît nécessaire de disposer d’une estimation du cumul des niches fiscales et de leurs bénéficiaires, notamment en fonction de leur niveau d’imposition.

M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial. Le montant des dépenses fiscales du programme 175 est évalué à 292 millions d’euros pour 2024. En retranchant environ 120 millions, principalement 90 millions pour les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) et une partie du nouveau dispositif Malraux hors sites patrimoniaux, puis en ajoutant approximativement 150 millions d’euros de mécénat et de dons des particuliers, nous arrivons à un total d’environ 300 millions d’euros. Cette estimation nécessite un affinage, raison pour laquelle je propose d’améliorer l’évaluation patrimoniale concernant les dons et le mécénat avec une simple modification des questionnaires existants, sans coût supplémentaire, afin d’obtenir des données plus fiables.

Concernant les bénéficiaires, une typologie serait nécessaire. Bien qu’elle n’existe pas encore, elle serait relativement simple à établir pour les propriétaires de monuments publics et privés. Tous les propriétaires de monuments historiques ne sont pas des ultra-riches et nombreux sont ceux qui consacrent l’intégralité de leurs ressources à la préservation de ce patrimoine.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

La commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur l’aide publique au financement de la décarbonation du site ArcelorMittal de Dunkerque de M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial des missions Investir pour la France de 2030 et Plan de relance

M. le président Éric Coquerel. Je propose désormais de passer la parole à M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial des missions Investir pour la France de 2030 et Plan de relance, et qui a choisi comme thème d’évaluation l’aide publique au financement de la décarbonation du site ArcelorMittal de Dunkerque. J’ajoute que, dans le cadre des cartes blanches proposées aux rapporteurs – opportunité ouverte à chacun d’entre vous –, nous auditionnerons le 9 juillet le président d’ArcelorMittal France, puis vraisemblablement la semaine suivante, le secrétariat général pour l’investissement.

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial des missions Investir pour la France de 2030 et Plan de relance. Le 14 janvier 2024, l’Agence de la transition écologique (Ademe) et ArcelorMittal ont signé une convention visant à subventionner, à hauteur de 850 millions d’euros, un projet d’investissement total de 1,8 milliard d’euros pour la décarbonation du site de Dunkerque.

Ce projet présente une ambition considérable puisqu’il prévoit la suppression d’un des hauts fourneaux actuellement utilisés dans le cadre de la filière fonte, fortement émettrice de CO2. En remplacement, il intègre la construction d’une unité de réduction directe de minerai de fer (DRP) alimentant deux fours à arc électrique (EAF) pour la production d’acier. L’approvisionnement énergétique de ces équipements sera progressivement décarboné : dans un premier temps, le DRP fonctionnera au gaz naturel, puis celui-ci sera graduellement remplacé par de l’hydrogène.

À terme, ce projet permettra de réduire les émissions de CO2 du site de Dunkerque de 5,8 millions de tonnes, soit environ 80 % des émissions actuelles. Son importance environnementale est donc majeure, sachant que le site de Dunkerque constitue l’une des principales implantations d’ArcelorMittal France, premier émetteur de CO2 dans notre pays.

Le projet est également important sur le plan social. La réalisation de cet investissement conditionne la pérennité même du site. Les deux hauts fourneaux actuellement en service atteindront leur fin de vie à l’horizon 2030, ce qui nécessite d’anticiper dès maintenant les investissements garantissant le maintien de l’emploi et accompagnant la transition des métiers liée à l’évolution des savoir-faire. Cette préoccupation est d’autant plus pressante qu’ArcelorMittal emploie 3 611 salariés en CDI et CDD à Dunkerque, et qu’un plan de licenciement a été annoncé début 2025. Ce plan prévoit la délocalisation de fonctions support vers l’Inde ou la Pologne et vise également la production. Le site de Dunkerque est menacé par 295 suppressions de postes.

Cependant, ce projet, qui pourrait permettre d’assurer la survie du site, est actuellement à l’arrêt. En novembre 2024, ArcelorMittal a annoncé sa suspension dans l’attente de mesures européennes protégeant le marché de l’acier, actuellement en crise. À ce jour, aucune subvention prévue par la convention avec l’Ademe n’a été versée et aucun crédit de paiement n’a été décaissé. La durée de validité de la convention, initialement fixée au 31 décembre 2024 avec obligation de passer commande avant cette date, a dû être prorogée. Aucune commande n’a été lancée en raison du coût élevé de l’énergie et du gaz, conséquence directe de la guerre en Ukraine à la suite de l’agression russe.

Le secteur de la sidérurgie traverse aujourd’hui une grave crise sur l’ensemble du Vieux Continent. Il affronte simultanément une hausse des coûts de l’énergie, une baisse de la demande intérieure et une concurrence féroce des producteurs extraeuropéens non soumis aux mêmes contraintes sociales et environnementales. Le marché mondial de l’acier souffre de surcapacités de production, et les concurrents internationaux sont incités à vendre en Europe du fait de la fermeture du marché américain.

Face à cette situation, l’Union européenne a adopté des mesures pour protéger son marché et soutenir les acteurs engagés dans un processus de décarbonation, notamment dans le cadre du « Plan acier » présenté en mars dernier. Ces difficultés auraient eu un impact moindre si, durant les périodes fastes, ArcelorMittal avait investi suffisamment sur le site.

L’ensemble des syndicats que j’ai auditionnés et rencontrés à l’Assemblée nationale a unanimement souligné que le site de Dunkerque a souffert d’un sous-investissement, qui a également entraîné une multiplication des blessures et accidents du travail. Ce site manque cruellement d’attractivité pour les jeunes. Les conditions de travail se sont dégradées et l’insuffisance des investissements ainsi que les plans de licenciements laissent présager qu’ArcelorMittal cherche à se désengager du continent européen.

ArcelorMittal a néanmoins annoncé le 15 mai dernier qu’il envisageait un investissement de 1,2 milliard d’euros à Dunkerque pour la création d’un four à arc électrique, mais le compte n’y est pas. Si le projet de DRP est abandonné et qu’aucun investissement n’est réalisé sur les hauts fourneaux en activité, les pertes de capacités de production seront énormes. Actuellement, les capacités de production des hauts fourneaux s’élèvent à plus de 5 millions de tonnes de brames. Si ces installations sont supprimées et que seuls deux EAF sont construits, les capacités chuteront à environ 3,8 millions de tonnes.

En outre, l’abandon du DRP conduirait à alimenter l’EAF avec du minerai de fer pré-réduit importé, potentiellement produit avec du charbon. Dans cette hypothèse, il devient impossible de parler d’une véritable décarbonation du site. Nous assisterions non seulement à une réduction des capacités de production et de notre autosuffisance, mais également à une perte de savoir-faire. Ce choix stratégique rendrait la France encore plus dépendante des autres pays pour sa production d’acier. Or, sans acier français, de nombreuses filières stratégiques devront s’approvisionner à l’étranger, ce qui fera peser des risques majeurs de rupture d’approvisionnement et d’augmentation des coûts. La question de la souveraineté industrielle de la France est en jeu.

Les atermoiements d’ArcelorMittal et le flou qu’il entretient autour de leurs décisions d’investissement justifient une reprise en main par l’État. Dans ces conditions, une nationalisation temporaire d’ArcelorMittal France constitue la solution permettant de garantir l’avenir de la filière sidérurgique française et notre souveraineté industrielle. Cette mesure permettrait également d’assurer la transition écologique de la filière tout en préservant les emplois et en organisant un véritable plan de formation aux nouveaux métiers. Changer de type de fourneau implique l’acquisition de nouveaux savoir-faire et les anciens sidérurgistes ne pourront pas utiliser les mêmes méthodes et techniques sur des fourneaux électriques. Un plan de formation approfondi est donc indispensable pour s’orienter vers ces nouveaux métiers.

Cette nationalisation temporaire, proposée par la présidente de la commission des affaires économiques, Mme Aurélie Trouvé, a fait l’objet d’une proposition de loi déposée le 4 juin dernier. Elle permettrait également de contrôler l’utilisation des subventions. À ce jour, l’Ademe est contrôlée par le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et ces subventions n’ont pas encore été accordées, mais font l’objet de discussions depuis 2020. Nous nous trouvons aujourd’hui, en 2025, face à une situation où l’évaluation socio-économique du projet n’a pas encore fait l’objet de contre-expertise. Il est anormal que nous soyons placés devant le fait accompli et que nous assistions à l’arrêt du projet. La conditionnalité sociale et écologique de l’ensemble des aides accordées par l’État doit être instaurée. Les entreprises bénéficiant de ces aides doivent s’engager, au minimum, à maintenir l’emploi.

En tant que législateurs, nous recevrons le 9 juillet prochain le président d’ArcelorMittal France. Cette audition intervient à une échéance importante, à savoir la fin de la convention, dont la date butoir a été prorogée au 30 juin prochain. Si à cette date aucune commande de DRP fonctionnant au gaz naturel puis à l’hydrogène n’est passée, la convention sera abandonnée. Nous souhaitons donc interroger ArcelorMittal France pour savoir si un investissement sera réalisé uniquement par ses soins ou si une nouvelle convention avec l’État devra être élaborée.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’attirer notre attention sur cette question importante, particulièrement dans la perspective de notre audition prochaine avec ArcelorMittal. Pour rappel, une prolongation de six mois a été accordée pour la signature du contrat. Avec Charles de Courson et Aurélie Trouvé, nous nous sommes rendus à Bercy récemment pour examiner ce dossier en détail, et une seconde possibilité de report existe. Il faut bien comprendre que si, au plus tard début 2026, la commande des deux fours électriques n’est pas engagée, l’opération deviendra matériellement impossible, puisqu’il faut quatre années pour les réaliser avant l’échéance de 2030.

Dans cette hypothèse, nous pouvons craindre la fin de l’usine métallurgique ArcelorMittal à Dunkerque, du moins dans sa dimension souhaitée. S’il en est fini de cette usine, il en sera fini de la métallurgie dans ce pays, et peut-être même de l’industrie, car je ne conçois pas une industrie sans production d’acier.

Cette situation suscite une vive inquiétude, d’autant plus lorsque j’entends certains collègues vanter les succès de la politique de l’offre. En matière d’industrialisation, les résultats ne sont pas au rendez-vous, contrairement à ce que nous dit la propagande. Le nombre actuel d’emplois salariés privés dans l’industrie est inférieur à celui de 2017, proportionnellement, et les perspectives ne sont guère encourageantes. La CGT recense actuellement 300 plans de licenciements, dont beaucoup concernent des sites industriels.

Le Gouvernement a privilégié, pour l’entreprise Vancorex située sur la zone chimique de l’Isère – site absolument stratégique notamment pour le secteur nucléaire –, la reprise par un investisseur chinois qui prévoit de fermer trois ateliers sur quatre et qui, très probablement, partira dans quelques années en emportant les brevets. Cette option a été préférée à une nationalisation ou à la reprise proposée par les salariés. Cette situation m’inquiète profondément.

Le chef de l’État a déclaré il y a deux semaines que la nationalisation était exclue et que ce plan B n’existait pas. Parallèlement, ArcelorMittal développe des usines métallurgiques dans d’autres pays, qui concurrenceront inévitablement le site de Dunkerque. Si ArcelorMittal ne signe pas ce plan de décarbonation, ce qui signifierait en réalité un désinvestissement, avez-vous connaissance d’un plan B qui pourrait venir au secours de la métallurgie de ce pays ? J’adresserai également cette question aux représentants d’ArcelorMittal lors de leur audition.

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial . Lors de l’audition de M. Alain Le Grix de la Salle, le président d’ArcelorMittal France, j’ai posé une question sur les perspectives après l’échéance de la convention avec l’Ademe, et sur la possibilité pour le groupe d’investir différemment dans le changement des hauts-fourneaux. Les normes européennes imposent cette transition et la réponse a été particulièrement claire : le coût actuel du gaz ne permet pas à ArcelorMittal France d’engager le changement de DRP.

La convention d’investissement entre l’État et ArcelorMittal est conditionnée par l’acquisition d’un DRP, fonctionnant d’abord au gaz naturel puis à l’hydrogène. Ce passage est obligatoire et, selon les déclarations du président d’ArcelorMittal France, il existe cette incapacité, ce qui justifie pleinement l’audition que j’ai sollicitée.

Il me semble que le groupe cherche à disparaître du continent européen et a délibérément laissé le site se dégrader par un sous-investissement, comme en témoigne la multiplication des accidents de travail. Si vous visitez le site de Dunkerque, vous voyez que celui-ci est obsolète. L’investissement envisagé ne constituerait qu’un modeste rattrapage par rapport aux normes écologiques, même si la réduction de 80 % des émissions de CO2 représente un enjeu considérable.

L’état général du site suscite de sérieux doutes quant à la volonté réelle du groupe de maintenir sa présence et d’investir en Europe. ArcelorMittal a réalisé des investissements en Inde et au Brésil, notamment avec une usine construite en 2016. Le groupe a également proposé à ses salariés des relocalisations en Pologne et en Inde. Tous ces éléments laissent présager un désengagement progressif du continent européen.

M. Charles de Courson (LIOT). Avec Mme la présidente de la commission des affaires économiques, nous avons examiné cette convention ainsi que les documents préparatoires et les notes de suivi. Cette convention, portant sur des montants considérables, a été conclue entre l’Ademe et ArcelorMittal France en contrepartie de la création de fours électriques et d’une unité de traitement du minerai en amont. Elle a déjà fait l’objet d’une première prolongation jusqu’au 30 juin de cette année. Lors de notre récente audition, les dirigeants d’ArcelorMittal nous ont clairement indiqué qu’ils ne solliciteraient pas de prolongation supplémentaire, ce qui met un terme à ce dispositif. Leurs réflexions portent désormais sur l’éventuelle création d’un seul four électrique et des négociations s’engagent concernant les conditions dans lesquelles le Gouvernement français pourrait soutenir ce projet.

Ces mêmes dirigeants nous ont exposé que le problème fondamental de la sidérurgie européenne, au-delà du cas français, résidait dans l’effondrement de la consommation conjugué aux importations massives en provenance de Chine. Les aciers chinois représentent aujourd’hui 30 % du marché européen, ce qui accentue ainsi la chute de la production des aciéristes européens en l’absence de mesures de protection contre ce qui constitue manifestement du dumping. ArcelorMittal demande par conséquent l’instauration de quotas plafonnant à 15 % les importations d’acier chinois. La Commission européenne semblerait prête à réduire cette part de 30 % à 25 %, et nous pourrions aboutir à un compromis intermédiaire.

La deuxième condition relative à la sidérurgie électrique concerne l’approvisionnement en électricité, particulièrement son coût, ce qui implique des négociations avec EDF. Le précédent dirigeant d’EDF a été écarté pour diverses raisons, dont apparemment sa réticence à consentir des conditions d’approvisionnement favorables et des contrats à long terme pour les électro-intensifs. Selon les dirigeants d’ArcelorMittal, un accord semblerait désormais envisageable, notamment avec le nouveau président d’EDF qui s’est engagé en ce sens devant notre commission de la production lorsque nous l’avons interrogé sur ce point.

La situation demeure extrêmement préoccupante pour l’ensemble des sidérurgistes européens, dont les principaux acteurs sont allemands et français. Au Royaume-Uni, hors périmètre de l’Union européenne, nous assistons à une véritable catastrophe industrielle. British Steel est en dépôt de bilan et le gouvernement travailliste vient d’annoncer une nationalisation temporaire afin de préserver une partie de l’activité sidérurgique britannique. Sans mesures au niveau communautaire intégrées dans un plan global actuellement en négociation, tous nos débats s’avéreront vains et nous ferons face à des licenciements massifs. Je n’ai pas de question à poser, car le rapport a été élaboré à une période antérieure et beaucoup de choses ont évolué.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Nous examinons une enveloppe de 850 millions d’euros destinée à la décarbonation du site ArcelorMittal de Dunkerque. Ce montant, proche du milliard d’euros, représente une somme considérable. La question fondamentale consiste donc à déterminer si cette dépense était pertinente, adaptée et justifiée, et surtout comment ces fonds seront finalement utilisés compte tenu des évolutions récentes.

L’Ademe n’a réalisé aucune évaluation socio-économique préalablement à l’attribution de cette aide en 2023, alors que cette démarche est obligatoire depuis 2012. Ce manquement constitue une preuve supplémentaire du manque criant de gouvernance stratégique de l’État dans la conduite de sa politique industrielle que le Rassemblement national dénonce avec constance. Nous constatons une absence totale de prise en compte des facteurs économiques fondamentaux – les prix du gaz, de l’hydrogène, la compétitivité européenne, etc. –, ce qui a conduit ArcelorMittal à suspendre le projet.

Les questions relatives à la consommation d’eau et à la vétusté des installations n’ont pas davantage été intégrées dans l’évaluation du projet. Pourtant, les autorisations d’engagement ont été ouvertes en 2023, sans qu’aucun décaissement effectif n’ait eu lieu, ce qui correspond à une technique comptable permettant au ministre d’annoncer des financements qui ne seront jamais réellement décaissés.

La suite des évènements est connue : ArcelorMittal a suspendu le projet en novembre dernier avant d’annoncer sa reprise le mois dernier, mais sous une forme substantiellement différente. Selon les termes du contrat initial, la France n’est donc plus tenue d’engager ces 850 millions d’euros. En toute logique, ces fonds resteront à la disposition de l’Ademe pour des projets indéterminés. Or, la France ne dispose pas aujourd’hui des moyens suffisants pour laisser une telle somme à la disposition de l’Ademe. Au vu de la manière dont celle-ci n’a pas su gérer sérieusement cet énorme projet, le Rassemblement national a toutes les raisons de s’inquiéter de l’usage erratique de sommes aussi considérables.

Plus généralement, ces politiques industrielles sectorielles demeureront à fonds perdus tant que le Gouvernement ne mettra pas en œuvre la politique industrielle horizontale réclamée de longue date par le Rassemblement national, notamment par la réduction des impôts de production, la baisse des prix de l’énergie et la suppression des normes qui étouffent nos industriels.

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial. Le projet présente une ambition considérable avec une réduction annoncée de 80 % des émissions de CO2, ce qui est important tant pour les salariés du site que pour les habitants de Dunkerque, de Grande-Synthe et de toute la région. Nous savons pertinemment que l’activité sidérurgique et la proximité avec ces installations industrielles peuvent engendrer des maladies.

Concernant l’Ademe, j’avais adressé une question similaire au SGPI et, si la subvention n’est pas attribuée, les fonds seront soit réalloués à d’autres projets de décarbonation, soit reversés à l’État.

Je conteste néanmoins vos affirmations relatives aux normes. Le besoin de décarbonation est important et l’évaluation socio-économique, pourtant obligatoire, a tardé. Depuis l’annonce initiale de l’accord entre l’Ademe et ArcelorMittal en 2020, cinq années se sont écoulées et nous constatons malheureusement qu’à ce jour, le transfert de savoir-faire n’est même pas engagé en prévision d’une éventuelle transition vers le DRP et les fours à arc électrique.

Par ailleurs, l’installation d’un unique four à arc électrique se révélerait manifestement insuffisante au regard des 3 611 salariés actuellement employés à Dunkerque, ce qui laisserait présager d’importantes suppressions d’emplois. Tous les législateurs de l’Assemblée nationale doivent rester vigilants sur le sujet.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir choisi d’orienter votre rapport sur ce sujet fondamental tant sur le plan stratégique que sur celui de l’emploi. Je partage pleinement l’analyse du président concernant les enjeux auxquels notre pays est confronté, avec les suppressions d’emplois anticipées par les syndicats et d’autres acteurs, ainsi que la catastrophe industrielle qui se profile. Il était effectivement essentiel de concentrer notre attention sur ArcelorMittal aujourd’hui.

Je tiens toutefois à souligner, à l’attention des représentants du Rassemblement national, que ses membres semblent moins choqués lorsqu’il s’agit d’aides publiques versées sans contreparties aux grandes entreprises et qui procèdent néanmoins à des licenciements, telles que Michelin ou des acteurs de la grande distribution.

Je souhaite interroger le rapporteur concernant l’existence d’un plan alternatif, notamment l’hypothèse d’une nationalisation. Vous avez évoqué la proposition de loi déposée par Mme Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques. Avez-vous effectué une évaluation chiffrée de cette potentielle nationalisation des équipements français ?

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial. Un excellent rapport de l’Institut La Boétie estime à un milliard d’euros l’investissement nécessaire de l’État dans ArcelorMittal France pour garantir le maintien des emplois, préoccupation majeure des sidérurgistes dunkerquois. Un investissement de l’État d’un milliard permettrait non seulement de préserver l’emploi, mais également d’accomplir la transition écologique nécessaire pour les habitants de Dunkerque et de Grande-Synthe.

Mme Estelle Mercier (SOC). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour ce rapport qui s’inscrit parfaitement dans l’actualité, notamment au regard des travaux que nous menons à l’Assemblée nationale concernant ArcelorMittal, notamment à travers la commission d’enquête sur les plans de licenciements et les défaillances de l’État, où nous avons longuement évoqué ce dossier avec Benjamin Lucas. Vous décrivez en réalité une méthode de négociation déployée par Mittal avec la France et l’Europe pour obtenir des conditions qui lui seraient favorables. Concrètement, nous observons un schéma récurrent avec des engagements pris sur un plan, puis modifiés, suivis d’annonces de licenciements, ensuite retirées, et ainsi de suite. Ne sommes-nous pas face à une forme de chantage exercé par Mittal pour obtenir des conditions encore plus avantageuses, en mettant en jeu l’emploi sur l’ensemble du territoire français ? Près de 650 emplois sont aujourd’hui clairement voués à disparaître, puisqu’aucun retour en arrière n’a été effectué sur ce point.

Par ailleurs, ne devrions-nous pas nous interroger sur la réalité des crédits budgétés dans le cadre du plan France 2030 ? À l’écoute des industriels engagés dans des projets de décarbonation, il semblerait que l’État ne dispose pas actuellement des moyens nécessaires pour honorer ses engagements de subventions. Disposez-vous d’informations complémentaires concernant la réalité des subventions prévues, notamment celles de l’Ademe ou du plan France 2030 pour soutenir la décarbonation en France ?

Enfin, s’agissant de la décarbonation, il est certes pertinent de se concentrer sur un site comme celui d’Arcelor, mais ne convient-il pas d’aborder l’ensemble de l’écosystème, notamment les usines à chaud qui alimentent le site de Dunkerque ? Toute la filière métal mériterait d’être étudiée sous l’angle de la décarbonation, au-delà du seul projet d’ArcelorMittal. Cette dimension écosystémique a-t-elle été abordée lors de vos entretiens ?

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial. La France compte aujourd’hui 15 500 sidérurgistes sur l’ensemble de son territoire, au niveau d’ArclorMittal. Il y a une quizaine d’années, ArcelorMittal employait 20 000 salariés. Ce constat illustre parfaitement le déclin que traverse ce secteur en France et plus largement sur le continent. Lors de mon entretien avec M. Le Grix de la Salle, j’ai effectivement perçu cette forme de chantage sous-jacent, où l’on oublie que pendant soixante ans, le site de Dunkerque a permis de générer des bénéfices considérables à l’échelle européenne. On ne peut accepter cette comparaison systématique avec un site récent comme celui du Brésil datant de 2016 pour justifier qu’ArcelorMittal perd de l’argent en Europe et en France, mais réalise des profits grâce à ses implantations brésiliennes ou indiennes qui permettraient ensuite d’investir sur le continent européen.

Il me paraît essentiel de considérer l’historique complet des bénéfices réalisés, des dividendes versés aux actionnaires et du sous-investissement constaté durant ces soixante dernières années. Rien n’a été fait sur le site pendant les périodes fastes de l’acier. Cette prise de conscience aurait dû intervenir bien plus tôt.

Je confirme donc ce chantage et je crains qu’il soit mené à son terme, ce qui conduirait à un désengagement progressif sur l’ensemble du continent européen sans suppression de certaines normes. Cette évolution amènerait cependant à un nivellement par le bas, ce qui va à l’encontre des intérêts des travailleurs du site et des populations environnantes.

Concernant la décarbonation et la transition écologique, tout ce qui concerne l’environnement des hauts-fourneaux n’a pas fait l’objet d’études approfondies, pas plus que les nouveaux savoir-faire et métiers qui découleront de cette transition. Même si la convention était réalisée et les fourneaux remplacés, nous ferions face à une suppression d’emplois inévitable, car les fourneaux électriques nécessitent moins de personnel que les équipements actuels devenus obsolètes. Malheureusement, cette étude globale n’a pas été menée.

Mme Félicie Gérard (HOR). Le site ArcelorMittal de Dunkerque est un site majeur en France et en Europe pour ce grand groupe industriel de l’acier. En cohérence avec les objectifs gouvernementaux de soutien à la décarbonation de l’industrie, ArcelorMittal s’est engagé depuis plusieurs années dans un grand plan de décarbonation de ses activités, en visant une neutralité carbone à l’horizon 2050.

Il y a moins d’un mois, ArcelorMittal a annoncé un investissement massif de 1,2 milliard d’euros en complément des subventions de l’État afin d’assurer la décarbonation du site de Dunkerque. ArcelorMittal envisage de supprimer des postes dans notre pays, notamment à Dunkerque, mais cet investissement de 1,2 milliard d’euros démontre, me semble-t-il, que le groupe reste très attaché à son implantation en France.

ArcelorMittal subit actuellement de plein fouet les importations d’acier chinois, dont nous connaissons tous les effets économiques dévastateurs, de même que les menaces de taxes douanières américaines. Cela ne signifie pas pour autant que nous devions accorder un blanc-seing à ArcelorMittal. C’est pourquoi, plutôt que de présenter la nationalisation comme une solution miracle, nous devons travailler précisément sur les moyens d’accompagner la direction de l’entreprise et ses salariés durant cette période de fragilité économique.

En considérant notamment l’engagement récent de 1,2 milliard d’euros d’investissements annoncés par la direction d’ArcelorMittal, pourriez-vous nous indiquer si, au-delà de la nationalisation que vous défendez, votre rapport a permis d’explorer d’autres options pour soutenir le site de Dunkerque ?

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial. Concernant l’investissement de 1,2 milliard d’euros, c’est du conditionnel. Il s’agissait précisément de l’objet de ma discussion avec M. Le Grix de la Salle, où il évoque qu’ils « envisagent » de réaliser cet investissement, sans engagement ferme à ce stade. Même dans l’hypothèse où cette production serait maintenue avec un seul four à arc électrique, cela ne permettrait pas de préserver l’ensemble des emplois actuels.

De plus, il est techniquement impossible que le site de Dunkerque fonctionne avec seulement deux tonnes d’acier. Un four à arc électrique représente en effet une capacité de 1,9 million de tonnes. Nous sommes donc confrontés à une problématique complexe : non seulement la commande d’un four à arc électrique devrait nécessairement être suivie d’une seconde, mais tout cela reste conditionné par la décision de la Commission européenne, dont ArcelorMittal attend la validation pour procéder à cette commande.

Je ne suis pas convaincu que cet investissement justifie que nous accordions un blanc-seing à ArcelorMittal. C’est pourquoi j’ai sollicité une audition le 9 juillet prochain, après la fin de la convention, afin que l’ensemble des parlementaires, tous groupes confondus, puisse interroger la direction sur la situation actuelle. Nous risquons véritablement de perdre une composante essentielle de notre souveraineté industrielle et des milliers d’emplois, ce qui laisserait de nombreuses personnes désemparées. Elles le sont d’ailleurs déjà, car au fil des communications et communiqués de presse successifs, elles demeurent dans l’incertitude concernant l’évolution de leurs métiers dans les deux, trois ou cinq prochaines années.

En dehors de la nationalisation, je ne dispose actuellement pas d’alternative concrète à proposer. Mon rapport conclut sur cette recommandation d’une nationalisation temporaire. D’autres groupes politiques ont déposé d’autres propositions de loi ou développé d’autres réflexions, mais je considère qu’il faut s’orienter vers cette option, car c’est la démarche qui a été adoptée dans d’autres pays. J’espère que d’ici le 9 juillet, nous pourrons obtenir des réponses complémentaires à nos interrogations.

M. François Jolivet (HOR). Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour la qualité de vos travaux. Dans votre exposé des motifs, vous indiquez que le marché mondial de l’acier se trouve actuellement en surcapacité. Par conséquent, même si l’État décidait, dans des conditions à définir, de nationaliser ArcelorMittal, sans même évoquer le procès qui en découlerait, la France deviendrait propriétaire d’un équipement industriel opérant sur un marché déjà en surcapacité. Cette situation exigerait donc de trouver des clients prêts à acheter l’acier produit, même s’il est décarboné.

Je salue votre analyse, car vous posez correctement la problématique, mais vous n’allez pas jusqu’au bout du raisonnement. Ne devrions-nous pas plutôt envisager une véritable taxe carbone sur nos importations ? Ce serait peut-être la voie à privilégier. Cette taxe sur les importations contraindrait ceux qui nous exportent des produits fabriqués dans des conditions qui ne nous semblent pas convenables à payer le prix pour accéder à notre marché.

Je pense à l’exemple de la dernière grande nationalisation réalisée par l’État français, à savoir celle du secteur bancaire. Nous continuons aujourd’hui à rembourser les dettes liées à cette opération et les résultats n’ont pas été particulièrement probants.

Dans ma circonscription, une entreprise était la dernière en Europe à fabriquer des jantes de véhicules en aluminium et employait 400 salariés. Personne ne s’est alors inquiété de la nécessité de la nationaliser, bien que la région Centre soit dans une société la concernant et en soit devenue propriétaire. Cette intervention publique n’a pourtant pas empêché sa fermeture.

Je souhaite donc savoir si les voies et moyens ne devraient pas aller au-delà de vos propositions, qui se concentrent uniquement sur la préservation des savoir-faire et de l’emploi. Comment pouvons-nous maintenir des emplois dans un secteur en surcapacité ?

M. Carlos Martens Bilongo, rapporteur spécial.  Effectivement, nous constatons une diminution des commandes d’acier sur le Vieux Continent, mais également un déplacement de ces commandes vers des pays étrangers. Il existe actuellement deux catégories d’acier distinctes. Nous pouvons produire un acier vert, particulièrement adapté à l’industrie automobile, et parallèlement, nous trouvons sur le marché un acier importé de Chine, de Corée ou d’Inde qui n’est pas vert. Il nous appartient donc de favoriser les commandes d’acier conforme à nos exigences écologiques, car il s’agit fondamentalement de deux produits différents.

Nous devons instaurer des taxes douanières et kilométriques aux portes européennes pour nous éviter de subir les décisions de Donald Trump, qui a augmenté de 150 % les droits de douane sur l’acier, ce qui amène les industriels chinois à déverser leur production en Europe. Notre responsabilité consiste à sécuriser ce secteur et à empêcher la disparition d’un fleuron français, voire européen, et la perte de milliers d’emplois.

Cette nationalisation vise à préserver non seulement un savoir-faire qui doit être modernisé – cela impliquerait de nouveaux fourneaux et de nouvelles méthodes de travail pour les salariés, avec une réduction des charges –, mais aussi à maintenir les emplois existants. Comment expliquer à un sidérurgiste qui représente parfois la troisième génération familiale travaillant sur ce site depuis plus de cinquante ans, que tout va s’arrêter demain, dans trois jours, six mois ou un an ? Cette situation est extrêmement complexe et l’État doit s’impliquer dans cette volonté de préservation.

Concernant les coûts énergétiques, M. Le Grix de la Salle invoque la guerre en Ukraine et l’agression russe pour justifier l’absence d’investissement dans un DRP qui devrait d’abord fonctionner au gaz naturel avant de passer à l’hydrogène. Cette situation démontre notre perte de souveraineté nationale et nous devons reprendre le contrôle de ce dossier en envisageant, au moins temporairement, la nationalisation d’ArcelorMittal.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 

 


La commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information relatif à l’évaluation des résultats des centres éducatifs fermés de M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial de la mission Justice.

M. le président Éric Coquerel. J’invite M. Jean-Didier Berger à me rejoindre. Monsieur Berger, vous êtes le rapporteur spécial de la mission Justice et vous avez choisi comme thème d’évaluation les résultats des centres éducatifs fermés.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial de la mission Justice. L’année dernière, dans le cadre des auditions que j’ai menées pour préparer le rapport spécial sur les crédits de la justice, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Au cours de cet échange, j’ai découvert qu’il n’existait absolument aucun indicateur ni évaluation concernant les centres éducatifs fermés. Nous étions incapables de déterminer, sur cent jeunes passant par ces structures, combien récidivent, combien sont sauvés ou combien connaissent de nouvelles difficultés avec la justice. Ce constat m’a semblé suffisamment préoccupant pour mériter une investigation approfondie, d’où le choix de ce thème d’évaluation.

Les centres éducatifs fermés ont été créés par la loi Perben I en 2002. Depuis cette date, cinquante-six centres fonctionnent plus ou moins bien, sans qu’aucune évaluation n’ait été réalisée. Pourtant, en 2018, la décision a été prise de lancer la construction de vingt nouveaux établissements, dont cinq seulement sont aujourd’hui livrés, les autres restant en attente. Comment avons-nous pu estimer en 2018 que ce dispositif fonctionnait très bien alors qu’aucune évaluation n’était disponible, qu’aucun indicateur n’existait ? Comment avons-nous pu, dans ce contexte, engager de nouveaux moyens sur ce dispositif dans un contexte budgétaire contraint ?

Ces 56 centres accueillent des jeunes de 13 à 18 ans, majoritairement des garçons. Un tiers de ces structures est géré par le secteur public, les deux tiers restants relevant du secteur associatif. Seulement 1 % des jeunes suivis par la PJJ passent par ces centres, mais ils mobilisent 10 % du budget total de la PPJ. Finalement, nous parvenons à un coût total de près de 100 000 euros par jeune placé en centre éducatif fermé, un montant considérable. D’ailleurs, le passage d’un jeune en prison coûte cinq fois moins cher par jour qu’en centre éducatif fermé, ce qui devrait nous interpeller. Nous avons créé ces centres pour éviter l’incarcération, mais cette solution est considérablement plus onéreuse.

Un centre éducatif fermé dispose de douze places, dont seulement neuf sont occupées en moyenne. Pour gérer ces neuf places occupées, 26,5 équivalents temps plein sont mobilisés par établissement.

Les difficultés d’évaluation de ces dispositifs reposent sur un problème d’interopérabilité des systèmes d’information de la justice. Au-delà du déficit culturel d’évaluation au sein du ministère, nous faisons face à un obstacle technique majeur : trois logiciels distincts coexistent sans communiquer entre eux. Le logiciel Parcours assure le suivi des mineurs, Cassiopée celui des tribunaux et Genesis concerne les prisons. Notre public cible, âgé de treize à dix-huit ans, atteint rapidement  la majorité et les éventuels nouveaux faits commis sont ensuite évalués à travers d’autres logiciels.

Il m’a été indiqué que ces évaluations deviendront possibles grâce aux évolutions en cours. Dans quelques années, nous disposerions non seulement de chiffres fiables, mais également de données croisées avec les ministères de l’éducation nationale, des affaires sociales et de la santé, permettant d’identifier les actions préventives nécessaires. Pourtant, malgré cette absence d’évaluation actuelle, nous continuons d’allouer des moyens croissants aux centres éducatifs fermés. Le seul déploiement complet du logiciel Parcours nécessitera dix ans selon les estimations de 2022, ce qui repousse à 2032 notre capacité à obtenir une vision claire de la situation.

J’ai entrepris ces travaux avec une opinion initialement favorable aux centres éducatifs fermés. En tant qu’ancien maire, je constatais la problématique des jeunes mineurs appréhendés par la police, jugés par la justice, mais qui restent enfermés dans leur milieu, dans leur famille parfois, dans leur quartier, dans leur tour, dans leur cité, dans leur milieu scolaire et dans leur décrochage scolaire. Ces centres me paraissaient alors une solution adaptée avant de finir par mettre ces jeunes en prison, ce qui devient malheureusement le destin de nombre d’entre eux. Toutefois, après avoir examiné concrètement ces établissements ainsi qu’observé leur fonctionnement et notre incapacité à les évaluer, je termine ces travaux avec beaucoup de doutes sur la pertinence de ce dispositif.

Pour ce public, dont il est de notre devoir d’essayer de le sauver de la prison et de lui offrir une seconde chance, il est sans doute possible et certainement nécessaire d’explorer d’autres solutions que les centres éducatifs fermés, qui ne me semblent pas constituer la réponse appropriée. Après près d’un quart de siècle de fonctionnement avec ce dispositif, il est temps de l’évaluer rigoureusement et d’envisager une éventuelle réforme. Pourquoi, par exemple, maintenir une jauge fixée à douze places, dont neuf seulement sont occupées en moyenne ? Pourquoi ce nombre n’est-il pas plutôt fixé à quinze, dix, seize ou dix-huit places ? Avec 26,5 ETP pour neuf jeunes effectivement présents, nous pouvons nous interroger sur la capacité à réaliser des économies d’échelle. Certes, nous avons besoin de nombreux éducateurs jour et nuit, mais certaines fonctions comme la direction, la comptabilité ou la restauration pourraient éventuellement être optimisées, d’autant que ces centres sont généralement implantés sur des fonciers extrêmement importants et peu coûteux en zone rurale.

Je constate également un déficit de pilotage et d’évaluation, lié notamment aux difficultés de recrutement dans ce secteur. Sans attendre l’amélioration de nos capacités d’évaluation qui n’interviendra que dans plusieurs années, il est urgent de suspendre le déploiement de nouveaux centres éducatifs fermés et d’entamer une réflexion sur leur possible fermeture au profit d’autres dispositifs de gestion de ces publics.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie pour cette contribution particulièrement intéressante, qui propose une analyse concrète du coût et de l’utilité de centres présentés initialement comme la panacée. J’ai personnellement inauguré un centre éducatif fermé dans ma circonscription avec l’ancien ministre de la justice, Éric Dupont-Moretti, dans un contexte où ces structures étaient fortement valorisées. Cette question s’inscrit dans un débat plus large qui remet parfois en question la spécificité de la justice des mineurs. Certains évoquent même la suppression des peines de sursis, ce qui soulève la problématique de la solution par la prison, alors même que le ministre Gérald Darmanin reconnaissait récemment le caractère criminogène des prisons.

Vous mentionnez un coût de 100 000 euros par jeune, tandis que l’exécution du budget de la PJJ a diminué de 3,3 % entre 2023 et 2024, soit la baisse la plus importante dans le secteur de la justice. La PJJ ne se limite pas à l’aspect judiciaire, mais comporte également une dimension de protection.

Votre analyse laisse ouverte la question des alternatives. Envisagez-vous, parmi ces possibilités, la création de davantage de places en milieu ouvert, dispositif qui, je le pense, a démontré son efficacité, notamment en matière de prévention de la récidive comparativement à d’autres formes de mesures judiciaires ? Cette piste fait-elle partie de votre réflexion actuelle ou reste-t-elle au stade d’interrogation ?

M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial. J’estime que nous devons examiner cette question sans tabou, car nous abordons tous ces sujets avec nos sentiments, nos idées préconçues et nos expériences personnelles. Pourtant, l’analyse révèle souvent une réalité différente de nos perceptions initiales. J’ai la conviction qu’avec les ressources financières actuellement engagées, nous pourrions faire mieux.

Le placement en famille d’accueil constitue, à mon sens, une solution qui mériterait d’être encouragée. Cette option soulève cependant la question du contrôle : placer des jeunes dans un cadre familial exige que nous garantissions leur sécurité et que nous puissions évaluer à la fois la qualité de l’accueil et le chemin parcouru. Si nous ne parvenons pas déjà à évaluer correctement les centres gérés par l’État ou par le secteur associatif avec financement public, comment pourrions-nous assurer un meilleur suivi des placements familiaux, dont l’évaluation s’avère déjà particulièrement complexe ?

Je souhaite également avoir une pensée pour tous les jeunes qui font l’objet d’une mesure de placement décidée par le juge mais que nous ne parvenons pas à effectuer, situation qui concerne des centaines, voire des milliers d’enfants. Nous leur promettons protection après qu’ils ont eu le courage de signaler leurs difficultés, le juge prononce une mesure de placement, mais ces jeunes demeurent finalement dans la famille qui les a maltraités.

Les CEF représentent un coût total de 117 millions d’euros et les tableaux d’occupation que j’ai consultés révèlent, centre par centre et mois par mois, que certains établissements se trouvent systématiquement dans le rouge, accueillant par exemple moins de cinq jeunes sur les douze places disponibles. Comment pouvons-nous accepter la persistance de cette situation et le maintien des financements à des structures associatives qui ne respectent pas le cahier des charges pour lequel elles ont été sélectionnées ? L’administration continue de verser ces fonds de façon constante. On m’indique qu’une partie pourrait théoriquement être récupérée ultérieurement, mais dans les faits, cet argent n’est jamais réclamé.

Même en étant favorable au principe des centres éducatifs fermés, position que je pouvais partager initialement, force est de constater qu’un travail considérable s’impose pour réformer les processus de sélection et de financement. De même, j’ai tenté de comprendre les critères déterminant le caractère public ou associatif lors de l’ouverture d’un centre éducatif fermé. Cependant, personne n’a été en mesure de me fournir une réponse à cette question.

M. Charles de Courson (LIOT). J’ai lu avec un grand intérêt ce rapport qui soulève une question fondamentale : ces centres éducatifs fermés constituent-ils une bonne idée ? Cependant, la réponse ne figure pas dans le rapport et il semble exister un manque complet du point de vue de l’analyse de l’efficacité de ces centres éducatifs fermés. Que deviennent ces jeunes après leur passage dans ces structures ? Le rapporteur lui-même admet une certaine méconnaissance. Le premier centre éducatif fermé a été créé en 2002, soit il y a 22 ans. Nous devrions désormais disposer d’une étude sur le devenir de ces jeunes, ce qui permettrait une comparaison de leur situation avec celle de profils similaires suivis par d’autres dispositifs.

J’ai un centre éducatif fermé à Sainte-Ménehould dans la Marne et son implantation a suscité de vives résistances : dès qu’une commune était pressentie, nous faisions face à des levées de boucliers, les habitants craignant l’arrivée de délinquants susceptibles de s’échapper. Le maire de Sainte-Ménehould a finalement accepté ce projet. J’ai tenu à visiter personnellement l’établissement pour me forger une opinion et me suis entretenu avec les éducateurs et les jeunes. J’en suis ressorti perplexe alors même que l’idée de créer une structure alternative au milieu carcéral me paraît pertinente, car des jeunes de 17, 18 ou 20 ans incarcérés subissent l’influence néfaste d’autres détenus et ressortent souvent dans un état plus dégradé qu’au moment de leur incarcération.

Je considère que la principale recommandation découlant de ce rapport devrait être d’exiger du ministère de la justice un suivi rigoureux permettant d’évaluer si les jeunes sortant des centres éducatifs fermés présentent une meilleure situation que ceux issus d’autres structures, notamment carcérales. Si aucune différence positive n’est constatée, voire si les résultats sont inférieurs, la fermeture de ces centres s’imposerait.

Le second problème concerne les coûts et le dimensionnement de ces structures. Certes, dans ces structures fonctionnant 24 heures sur 24 et 365 jours par an, un poste équivaut à environ cinq personnes. En divisant ces 26 personnes par cinq, nous obtenons donc environ cinq postes en moyenne. Néanmoins, les coûts demeurent considérables.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial. L’absence d’évaluation constitue précisément le point de départ de notre réflexion. Nous disposons d’une étude ministérielle, non encore rendue publique, portant sur un échantillon de 275 jeunes, soit approximativement un quart des effectifs annuels. Les résultats de ce panel restreint révèlent que, six mois après leur sortie, deux tiers des jeunes concernés ont récidivé, en tout cas pour ceux dont l’acte délictueux a été constaté. Nous pouvons en effet supposer qu’une partie de ces jeunes échappe aux radars judiciaires. Parmi ces deux tiers, la moitié, soit un tiers de l’échantillon total, a été incarcérée ou placée à nouveau. Le constat d’une inefficacité du placement dans la majorité des cas doit impérativement nous interpeller.

M. Eddy Casterman (RN). Nous examinons le projet de rapport d’information relatif à l’évaluation des centres éducatifs fermés, l’un des maillons de la justice des mineurs, ou plutôt le canard boiteux de notre politique pénale et d’incarcération. La justice est souvent qualifiée de parent pauvre du pouvoir régalien, certains rappelant que sur 1 000 euros de dépenses publiques, seulement 7 euros sont alloués à l’institution judiciaire, tandis que d’autres déplorent le manque de juges, de greffiers, de places de prison et de surveillants pénitentiaires.

Une exception existe pourtant dans ce marasme budgétaire : le financement sans limites des centres éducatifs fermés. Ceux-ci ont coûté la bagatelle de 118 millions d’euros pour l’année 2024, pour une prise en charge de 1 590 mineurs condamnés à une peine supérieure ou égale à 3 ans. Ce dispositif présente un taux de vacance de 25 % et nécessite 26,5 équivalents temps plein pour encadrer 9 mineurs, soit l’équivalent de 3 agents par mineur. Pour résumer ce scandale, le coût d’un mineur placé en centre éducatif fermé avoisine 800 euros par jour, c’est-à-dire la bagatelle d’environ 96 000 euros pour un séjour de quatre mois. Ce montant s’avère cinq à six fois supérieur au coût moyen d’une incarcération dans un quartier pour mineurs.

Nous pouvons légitimement douter de l’efficacité de ce dispositif prétendument dédié à la réinsertion puisque plusieurs mois après leur sortie, près de deux tiers des mineurs récidivent. Ces centres devaient initialement constituer une alternative durable à l’emprisonnement dans les quartiers pour mineurs. Force est de constater l’échec manifeste de cette politique.

Monsieur le rapporteur, permettez-moi de soumettre à votre sagacité quelques propositions. Premièrement, il faudrait exiger des familles du mineur délinquant qu’elles contribuent financièrement à sa prise en charge en centre éducatif fermé. Deuxièmement, nous devrions viser immédiatement un taux d’occupation à 100 % des centres existants et évaluer sérieusement la pertinence de ce dispositif avant d’envisager toute ouverture supplémentaire. Troisièmement, il convient d’opérer une véritable révolution judiciaire et une refonte complète des moyens alloués à la justice des mineurs, en privilégiant le développement des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires spécialisés.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Je tiens à saluer notre collègue pour ce rapport sur les centres éducatifs fermés qui donne raison aux professionnels et à leurs syndicats, lesquels dénoncent ces structures depuis de nombreuses années. J’espère que l’année prochaine, vous examinerez également les quartiers pour mineurs dans les prisons afin de constater leur échec complet en matière de lutte contre la récidive.

Ces centres coûtent une fortune à l’État pour des résultats médiocres. Ils concernent très peu d’enfants, sont sous-occupés – remplis aux deux tiers seulement – et certains se trouvent dans un état déplorable, voire insalubre. D’autres structures ne parviennent ni à recruter ni à stabiliser leurs équipes. J’ai moi-même exercé mon droit de visite parlementaire récemment, accompagné d’une équipe de France 2, pour démontrer que sur une équipe éducative de trente personnes, seules trois étaient diplômées, ce qui est franchement scandaleux en termes d’encadrement. En résumé, c’est un fiasco qui dure depuis plus de vingt-cinq ans.

Pourquoi ce dispositif ne fonctionne-t-il pas ? Parce que ces centres sont un symbole brandi par le gouvernement, particulièrement en ce moment, participant à une surenchère répressive dans notre pays. Or, réprimer davantage n’a jamais permis d’enrayer les violences des mineurs, comme le démontrent les chiffres du ministère de l’intérieur. Plus nous incarcérons les mineurs, plus ils récidivent. La direction de la PJJ constate elle-même que près de la moitié des mineurs passés dans ces centres ont récidivé et finissent en prison pour mineurs. La répression n’apporte donc aucune protection et intervient généralement trop tard. Cette politique est condamnée à être perpétuellement en retard : en effet, elle est à la fois en retard pour intervenir auprès des familles en difficulté, en retard pour identifier les enfants en souffrance et en retard pour éviter les drames.

La répression incarne une politique du déni qui se revendique du réel pour mieux masquer la réalité. Les violences naissent bien avant le passage à l’acte. La répression constitue aussi une posture, un élément de langage, une politique jamais à l’heure qui sert à justifier de casser tout ce qu’il reste.

Je souhaite évoquer d’autres mécanismes dont nous disposons, comme la prévention spécialisée, le soutien à la parentalité, la protection de l’enfance, le travail social et les politiques de services publics – tous efficaces lorsqu’ils bénéficient des moyens nécessaires et accessibles car situés en première ligne. Nous n’apaiserons pas la société en y injectant davantage de peur, de punition et de répression.

Il est temps de redonner priorité à la prévention et à la protection. Je souhaiterais savoir si c’est bien ce que vous entendiez en évoquant des alternatives. Vous avez également dénoncé l’effondrement de la protection de l’enfance en mentionnant les placements non exécutés. Ces fonds devraient être réinvestis pour agir plus précocement, prévenir et protéger les enfants afin qu’ils ne soient pas entraînés vers la délinquance, les délits ou la criminalité.

Mme Perrine Goulet (Dem). Je tiens à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour votre rapport. Vous vous heurtez au même obstacle que nous rencontrons quotidiennement dans les politiques concernant l’enfance, à savoir le manque criant, voire l’absence totale de données. Cette carence affecte malheureusement l’ensemble des politiques de l’enfance.

Je relève toutefois un biais : vous avez traité exclusivement des centres éducatifs fermés, qui représentent 42 millions d’euros de budget, sans aborder ni les centres éducatifs renforcés ni les hébergements collectifs. Ces structures constituent pourtant l’ensemble de la filière de prise en charge avec hébergement des enfants délinquants. Une analyse globale du système aurait permis de formuler des propositions plus pertinentes et d’agir plus efficacement. En vous concentrant uniquement sur les centres éducatifs fermés, vous vous êtes privé de la possibilité de formuler des recommandations concrètes concernant l’ensemble de la filière, notamment au niveau de la PJJ. Je regrette cette approche et je crains que la fermeture des centres éducatifs fermés n’entraîne un recours accru à l’incarcération des mineurs.

En effet, comme l’a dit Mme Maximi, les quartiers pour mineurs en prison ne constituent absolument pas une solution adaptée. Ces centres éducatifs fermés offrent au moins une dimension éducative qui est absente en milieu carcéral et représentent un dernier rempart avant la prison. Il convient certainement de les réinterroger, mais examinons d’abord l’intégralité de la filière d’hébergement destinée à ces enfants. Certes, ils sont délinquants, mais il s’agit avant tout d’enfants victimes dans la plupart des cas. Vous mentionnez les familles d’accueil, mais j’ai personnellement constaté que les familles d’accueil de la PJJ sont parfois recrutées via des plateformes comme Leboncoin, ce que nous avons observé à plusieurs reprises. Quelle est alors la qualité de ces accueils ? Ces familles ne sont pas identiques à celles de la protection à l’enfance et nécessitent une formation spécifique adaptée au profil de ces enfants.

Votre dénonciation est légitime, mais il manque une vision globale permettant de repenser l’ensemble de la filière d’accompagnement de ces enfants délinquants qui, malgré tout, restent des enfants et doivent bénéficier d’une approche davantage éducative que répressive.

M. Jean-Didier Berger, rapporteur spécial. Je tiens d’abord à préciser que je ne prétends nullement, à travers ce rapport, révolutionner l’ensemble des politiques de la PJJ. Il me semblait néanmoins pertinent, en soulevant cette problématique de l’absence de données, de vérifier précisément quels étaient les tenants et les aboutissants de cette politique.

Concernant les chiffres, nous parlons bien d’un total de 117 millions d’euros pour l’ensemble des centres éducatifs fermés, dont une quarantaine de millions pour les centres en régie publique et le reste pour le secteur associatif. Nous examinons donc une seule et même politique publique.

La décision de placer un jeune en prison ou dans une solution pour prévenir la prison relève de l’appréciation du juge. Cette décision comporte à la fois une dimension préventive, qui vise à infléchir le parcours du jeune, et un impératif de protection de la société. Si le juge estime que seule l’incarcération peut préserver la société de la présence de ce jeune dans nos rues, nos parcs, nos collèges et nos établissements scolaires, il en décide ainsi après évaluation. Notre système judiciaire offre toutes les garanties pour que cette appréciation tienne compte aussi bien de la personnalité de l’accusé que des solutions alternatives envisageables.

Cependant, si notre objectif consiste à éviter l’incarcération, il nous incombe alors de mettre en place des dispositifs préventifs efficaces et de veiller à ce que les crédits que nous votons dans ce budget soient judicieusement répartis. Mon propos revient à constater qu’aujourd’hui, nous consacrons des sommes importantes à une politique que nous sommes incapables d’évaluer, que personne ne peut évaluer correctement, et qu’avant d’augmenter ces montants, voire d’envisager leur réduction, il est impératif d’obtenir des indicateurs fiables.

Dans l’intervalle, je soutiens évidemment l’amélioration du taux d’occupation de ces structures, ayant compris que leur sous-utilisation ne résulte pas d’une réticence des juges à y placer des mineurs. J’estime également que les différents centres, qu’ils relèvent de l’État ou principalement du secteur associatif, devraient être évalués dans l’attribution de leurs budgets annuels en fonction de leur capacité effective à remplir les établissements que nous finançons.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 

 


La commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur la réforme des bourses de MM. Charles Sitzenstuhl et Thomas Cazenave, rapporteurs spéciaux de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante.

Monsieur le président Éric Coquerel. Je donne maintenant la parole à MM. Charles Sitzenstuhl et Thomas Cazenave, rapporteurs spéciaux de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Vous avez choisi comme thème d’évaluation la réforme des bourses.

M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Le rapport que nous avons élaboré avec Thomas Cazenave dans le cadre du Printemps de l’évaluation traite des bourses sur critères sociaux de l’enseignement supérieur. La France compte près de 3 millions d’étudiants, mais ceux-ci constituent une population hétérogène. Certains bénéficient d’un soutien familial conséquent et ne rencontrent pas de difficultés financières particulières, tandis que d’autres font face à des obstacles significatifs pour financer leur parcours académique.

C’est précisément pour cette raison que l’État, en collaboration étroite avec le réseau des œuvres universitaires et scolaires, a instauré depuis longtemps des aides financières complémentaires au soutien familial. Ces dispositifs s’adressent aux étudiants confrontés à des difficultés matérielles ne leur permettant pas d’entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. Les bourses sur critères sociaux constituent le pilier central de cette action sociale, permettant à 677 000 étudiants en 2024 de poursuivre leur formation dans des conditions plus favorables.

Les crises successives des dernières années, d’abord sanitaire puis inflationniste, ont accentué la précarité étudiante, réalité dont nous sommes pleinement conscients. La pandémie a gravement affecté l’équilibre budgétaire des étudiants : 36 % de ceux qui exerçaient une activité rémunérée ont dû l’interrompre pendant la crise et 21 % ont été contraints de réduire leur activité. Le choc inflationniste a ensuite profondément impacté leurs ressources financières. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 30 % des jeunes de 18 à 24 ans se trouvent en situation de pauvreté monétaire. Ce chiffre masque d’importantes disparités, atteignant 40 % pour les décohabitants, contre 19 % pour ceux vivant au sein de leur famille. Par ailleurs, les étudiants précarisés cumulent fréquemment d’importantes vulnérabilités, qu’il s’agisse de problèmes de santé ou de ruptures familiales.

Cette précarité se manifeste également dans le ressenti des étudiants puisque, selon l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), 20 % d’entre eux déclaraient en 2023 connaître des difficultés financières telles qu’ils ne pouvaient subvenir correctement à leurs besoins, tandis que 26 % rapportaient vivre des fins de mois difficiles ou très difficiles. Face à cette réalité, les bourses sur critères sociaux jouent un rôle fondamental dans la réduction des inégalités et le soutien aux populations les plus vulnérables.

Les crédits du programme 231, qui assurent le financement des bourses sur critères sociaux, ont augmenté ces dernières années sous le double effet de l’évolution démographique et de l’indexation des bourses sur l’inflation durant la crise covid. Le coût budgétaire est ainsi passé de 2,04 milliards d’euros en 2017 à 2,17 milliards d’euros en 2022 avant la réforme, puis à 2,41 milliards d’euros annuels en 2024 après celle-ci.

Le dispositif des bourses sur critères sociaux comprend huit échelons, chacun correspondant à un montant annuel de bourse. Le calcul s’effectue sur la base des revenus N-2 des parents. Des points de charge déterminent le niveau de bourse selon différents critères, notamment l’éloignement géographique ou le nombre de frères et sœurs. Ces bourses sont accessibles aux étudiants inscrits dans une formation habilitée au sein d’un établissement d’enseignement public ou privé. Des droits connexes complètent ce dispositif, notamment le tarif social dans les restaurants universitaires, l’accès prioritaire aux logements du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) et l’exonération de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC).

Afin de renforcer ce système, une première étape paramétrique a permis d’améliorer les conditions d’études. Cette phase a conduit à une augmentation de 6 % des plafonds de ressources, ouvrant ainsi le droit aux bourses à 35 000 étudiants supplémentaires, ainsi qu’à une revalorisation de 37 euros mensuels du montant des bourses versées, quel que soit l’échelon concerné.

La première étape de la réforme menée par le gouvernement précédent constitue donc un succès, ayant permis à 140 000 étudiants boursiers d’accéder à un échelon supérieur et à 30 000 étudiants non boursiers de le devenir. D’un point de vue budgétaire, la réforme de 2023 s’est avérée moins coûteuse que prévu, puisqu’elle s’est finalement élevée à 400 millions d’euros contre 440 millions initialement anticipés.

Cependant, des imperfections persistent dans ce dispositif. Des effets de seuil demeurent problématiques, la pente des bourses reste trop forte, avec 30 % des boursiers qui stagnent à l’échelon 0 bis et perçoivent donc moins de 150 euros mensuels. Le système actuel se caractérise également par une complexité de pilotage. Enfin, les bourses d’enseignement supérieur constituent la seule aide sociale dépourvue de système de revalorisation, ce qui exclut progressivement un certain nombre de bénéficiaires potentiels.

Il apparaît donc nécessaire de lancer au plus vite la seconde phase structurelle de la réforme pour supprimer notamment les effets de seuil et d’éviction, pour adoucir la pente des aides, et pour réfléchir également à un système d’annualisation du versement des bourses ainsi qu’à une meilleure prise en compte des spécificités des primo-arrivants. Ces évolutions nécessiteront des efforts budgétaires que je laisse à Thomas Cazenave le soin de préciser.

M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial de la mission Recherche et enseignement supérieur : Enseignement supérieur et vie étudiante. Cette réforme nous semble absolument indispensable et peut être conduite à coûts nuls. La direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) évoque un coût de réforme oscillant entre 300 et 600 millions d’euros afin de limiter notamment les effets de bord et le nombre de perdants.

Pour engager cette réforme structurelle essentielle, deux pistes de financement nous paraissent envisageables. Nous proposons d’abord de supprimer la niche fiscale relative à la réduction d’impôts sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur. Je rappelle que son coût est estimé à 218 millions d’euros par la Cour des comptes. Le Conseil des prélèvements obligatoires a d’ailleurs souligné que cet avantage fiscal constituait un parfait exemple de dépense inefficace et inefficiente, ne faisant l’objet d’aucun pilotage en termes de ciblage ou d’évaluation.

Nous suggérons également de modifier le mode de calcul des aides personnalisées au logement (APL) pour les étudiants en prenant en compte les ressources parentales, afin de concentrer ces aides sur les étudiants issus de foyers modestes et de classe moyenne. Actuellement, 45 % des bénéficiaires d’APL étudiants se situent dans les dixièmes de niveau de vie parentale 8, 9 et 10, ce qui représente un coût budgétaire de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros.

Par ailleurs, la réforme structurelle vise à simplifier le parcours de l’étudiant pour réduire le non-recours aux droits. C’est dans cette optique que le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) a procédé au déploiement d’un nouveau système informatique le 12 mars dernier. Ce nouveau portail des demandes de bourse, plus ergonomique et plus simple tant pour les étudiants que pour les gestionnaires, permet d’assurer un meilleur pilotage du système et, surtout, de mettre en œuvre cette réforme structurelle.

L’articulation entre l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur doit faire l’objet d’une véritable refonte afin de simplifier au maximum la démarche des usagers. La plateforme Parcoursup nous apparaît comme l’instrument adéquat pour permettre aux étudiants de simuler en temps réel leurs droits à bourse selon les formations qu’ils demandent.

Nous préconisons également d’étendre à l’enseignement supérieur la mesure d’examen automatique des bourses dans l’enseignement scolaire mise en œuvre à la rentrée 2024. Concrètement, chaque étudiant boursier recevrait les informations actualisées des données fiscales connues et, en l’absence de changement de situation signalé, sa bourse serait maintenue sans aucune démarche supplémentaire l’année suivante.

Il nous paraît également nécessaire de lutter contre le non-recours en élargissant le périmètre des aides financières accessibles aux étudiants au sein du dossier social étudiant, notamment concernant le logement et les transports, conformément au principe du « dites-le nous une fois » qui nous tient particulièrement à cœur.

Enfin, si les Crous constituent déjà l’opérateur unique de gestion des aides pour le compte de trois ministères – l’enseignement supérieur, l’agriculture et la culture –, une différence de traitement persiste pour les boursiers des formations sanitaires et sociales, dont la gestion a été confiée par la loi aux régions. En application du principe d’égalité de traitement de tous les étudiants, quel que soit leur ministère de tutelle, mais également pour des raisons de mutualisation des coûts, les Crous devraient voir leur mission de gestion des aides sociales renforcée pour l’ensemble des ministères et organismes publics. Nous proposons ainsi de recentraliser vers les Crous la compétence de gestion des aides sociales des formations sanitaires et sociales.

M. le président Éric Coquerel. Si je devais tirer les conclusions de vos travaux, vous indiquez que le système des bourses est efficace, mais qu’une augmentation de leur montant s’avère nécessaire et que celle-ci devrait être financée par une hausse des impôts. Le constat est juste, mais les recommandations n’en tiennent pas totalement compte.

Le niveau des bourses est aujourd’hui manifestement insuffisant. Vous rappelez d’ailleurs que les comparaisons internationales montrent que le montant des aides financières en France est plus faible que la moyenne, en particulier pour les échelons les plus élevés qui accusent un écart de 120 euros par mois. Avec 633 euros par mois au maximum, il est difficile pour un étudiant d’assumer le coût de la vie étudiante qui avoisine les 1 000 euros. La conséquence est l’existence d’une précarité étudiante bien réelle. Je rappelle que 200 000 étudiants et étudiantes sont contraints de recourir aux distributions alimentaires régulièrement et qu’un tiers d’entre eux reconnaît avoir des fins de mois difficiles ou très difficiles.

Cette situation conduit certains étudiants à renoncer à leurs études ou à travailler pour les financer, compromettant ainsi leurs conditions d’apprentissage. 41 % des étudiants sont ainsi obligés de travailler parallèlement à leurs études. La politique actuelle ne semble pourtant pas tenir compte de ces difficultés puisque le budget du programme « vie étudiante », qui finance les bourses, a diminué de 4 % entre 2024 et 2025. Par ailleurs, la dernière étape de la réforme des bourses a été repoussée en raison d’un défaut de financement, comme vous l’avez souligné.

Même si vous écartez le revenu étudiant, vous évoquez certaines pistes bienvenues, comme revenir sur la décision de 2017 de désindexation des aides sociales étudiantes. Comme vous le notez, en l’absence d’indexation, le nombre de boursiers est d’ores et déjà revenu à son niveau antérieur à la réforme de 2023, soit 679 000 au 31 décembre 2024, exactement au même niveau qu’en décembre 2022. Les boursiers échelon 7 auront un manque à gagner de 34 euros à la fin de l’année 2025.

Par conséquent, pourquoi ne pas avoir recommandé une indexation automatique des bourses de l’enseignement supérieur ? Par ailleurs, alors que la réforme de 2023 s’est révélée finalement moins coûteuse – 440 millions d’euros contre une prévision de 500 millions d’euros –, n’aurait-il pas été souhaitable de distribuer ce reliquat aux boursiers ?

Alors que les effectifs dans les universités explosent, le nombre d’étudiants boursiers diminue depuis deux ans, sous l’effet de la forte hausse de l’apprentissage et des inscriptions dans des établissements privés pour suivre des formations non habilitées. Des mesures ne pourraient-elles pas être envisagées pour inverser cette tendance ?

Enfin, j’aborderai la question de l’annualisation des bourses pour prévoir 12 versements contre 10 aujourd’hui. Vous la recommandez uniquement pour certaines filières dont l’obligation de stage rend le cumul avec une activité rémunérée quasiment impossible. En d’autres termes, vous excluez de cette réforme ceux qui peuvent travailler. La logique ne serait-elle pas plutôt de proposer l’annualisation pour tous les étudiants boursiers afin justement de les décharger de cette obligation de travailler pour financer leurs études, et leur laisser la possibilité d’effectuer des stages valorisés dans leur parcours ?

M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial. Concernant l’annualisation pour tous les étudiants, je n’y suis pas défavorable par principe. Cette mesure nécessiterait certes un effort opérationnel important de la part des Crous et il faudrait s’assurer que cela bénéficie réellement à l’ensemble des étudiants.

En outre, le sujet des aides à l’apprentissage et des formations habilitées ou non se situe en dehors du périmètre de notre rapport.

Quant à l’indexation automatique des bourses, il s’agit effectivement d’un point à arbitrer par le gouvernement dans le cadre de la deuxième étape de la réforme. Nous avons néanmoins souligné dans notre rapport les problèmes posés par cette non-indexation, puisqu’elle conduit chaque année à exclure des étudiants du dispositif. Notre philosophie consiste à aider les étudiants qui en ont besoin et nous proposons pour cela des sources de financement, qui peuvent certes être débattues et ne font pas nécessairement l’unanimité. Cependant, dès lors que nous nous donnons les moyens budgétaires de financer une réforme, je considère que l’indexation s’impose logiquement.

M. Emeric Salmon (RN). Je souhaite attirer votre attention sur un angle trop souvent négligé dans notre système de bourses : celui des étudiants étrangers bénéficiant de bourses sur critères sociaux. Selon une note officielle du ministère de l’enseignement supérieur publiée en 2020, 5 % des boursiers sur critères sociaux en 2019-2020 étaient de nationalité étrangère. Aujourd’hui, un étudiant étranger boursier inscrit dans nos universités ne paie aucun frais de scolarité, bénéficie de l’exonération de la CVEC, qui coûte environ 100 euros par an pour chaque étudiant, perçoit une allocation mensuelle pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros par an et peut même accéder prioritairement à un logement en cité universitaire, le tout entièrement financé par le contribuable français.

Dans le même temps, le coût moyen pour l’État d’un étudiant dans l’enseignement supérieur public dépasse 11 000 euros par an. Ce coût est identique qu’il s’agisse d’un étudiant français ou étranger, boursier ou non. Mais lorsqu’il s’agit d’étudiants étrangers boursiers, nous avons affaire à un double soutien financier public : la gratuité de l’éducation et le versement d’une bourse.

Chers collègues, ce modèle n’est plus soutenable. La situation de nos finances publiques est alarmante et chacun ici connaît les efforts budgétaires considérables qui nous attendent. Il est de notre responsabilité de prioriser ces aides en faveur des étudiants français. Il ne s’agit pas d’opposer, mais de hiérarchiser. Dans un contexte où de nombreux jeunes Français peinent à boucler leur fin de mois, la priorité nationale, ou du moins européenne, doit s’appliquer.

Le Rassemblement national propose que les bourses sur critères sociaux soient réservées aux étudiants français ou européens et que les étudiants étrangers extracommunautaires ne puissent plus en bénéficier. À ce titre, pouvez-vous nous indiquer le coût total des financements publics dirigés vers les étudiants boursiers extracommunautaires ?

M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial. Permettez-moi d’abord de rappeler quelques ordres de grandeur importants. Le nombre d’étudiants étrangers bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux représente 7 % des étudiants boursiers. La proposition que vous formulez soulève de nombreuses oppositions de ma part pour diverses raisons. Mais si je m’en tiens au plan strictement budgétaire, le fait d’exclure les étudiants étrangers des bourses sur critères sociaux ne permettra en aucune manière d’améliorer significativement le quotidien des étudiants.

C’est précisément pour cette raison qu’avec mon collègue Charles Sitzenstuhl, nous proposons une réforme de plus grande ampleur qui s’appuie sur la remise en cause d’une niche fiscale inefficace et sur une révision des APL. Cette approche permettra de financer une véritable réforme structurelle bénéfique à tous.

Enfin, permettez-moi de souligner que les étudiants étrangers constituent une richesse pour l’université française et sa recherche. Je dois dire que vous abordez ce sujet par le petit bout de la lorgnette.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je souhaite poser trois questions précises au nom du rapporteur général. Premièrement, le surcoût de la réforme des bourses a été estimé à 500 millions d’euros par le rapporteur pour l’année 2024, alors que vous avez plutôt évoqué un montant de 350 ou 400 millions. Il convient donc de déterminer s’il faut sanctuariser un financement pluriannuel de cette réforme dans la trajectoire 2025-2027 pour garantir sa soutenabilité malgré les tensions budgétaires collectives.

Deuxièmement, s’agissant des moyens des Crous, nous constatons une certaine hétérogénéité par académie. Pourrait-on envisager de flécher une part des crédits de modernisation administrative vers les Crous pour accompagner la mise en œuvre de la réforme des bourses ?

Troisièmement, certaines régions et universités prennent des initiatives sur des dispositifs complémentaires aux bourses nationales. Ne faudrait-il pas créer un conseil des aides étudiantes au niveau régional pour coordonner l’État, les Crous, les universités et les collectivités dans un objectif de gouvernance mieux partagée ?

M. Thomas Cazenave, rapporteur spécial. La DGESIP estime le coût de la réforme entre 300 et 600 millions d’euros, selon les paramètres que nous retenons. Il s’agit de l’ordre de grandeur qui s’impose à nous et qu’il nous faut financer. Je partage votre analyse concernant la situation de nos finances publiques : nous devons pouvoir réaliser cette réforme à coût nul pour l’enseignement supérieur, ce pour quoi nous avançons deux propositions de financement pérennes et pluriannuelles. La première consiste en la suppression de la niche fiscale à hauteur de 218 millions d’euros ; la seconde vise le recentrage des APL dont les étudiants peuvent bénéficier actuellement, quel que soit le revenu de leurs parents, en intégrant le revenu du foyer dans le calcul des APL, ce qui permettra de générer entre 400 et 500 millions d’euros d’économies et ainsi financer complètement à l’euro près cette réforme.

M. Charles Sitzenstuhl, rapporteur spécial. Au travers des auditions que nous avons menées, nous n’avons pas reçu d’alerte particulière concernant le travail des Crous dans le cadre de cette réforme. Nous nous concentrons ici strictement sur la réforme des bourses étudiantes, et non sur la situation générale des Crous. Sur le nouveau système informatique, les retours du ministère indiquent que le processus avance correctement.

Concernant la visibilité des dispositifs d’aide et l’éventuelle création d’un conseil des étudiants au niveau régional, je considère que le Crous demeure l’institution clairement identifiée par les étudiants. Si nous devons faire converger des aides ou établir un inventaire exhaustif de toutes les aides disponibles, le Crous doit rester l’institution centralisatrice de ces informations. Dans l’esprit des étudiants, la répartition est très claire : pour les études, ils s’adressent à l’université ou à l’école qu’ils fréquentent ; pour tout ce qui concerne le logement, la restauration et les aides sociales, ils se tournent vers les Crous. La centralisation devrait donc s’opérer au niveau des Crous, si cette démarche s’avère nécessaire.

La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 11 juin 2025 à 9 heures

 

Présents. - M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Franck Allisio, M. David Amiel, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Philippe Brun, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Sébastien Delogu, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, Mme Perrine Goulet, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Jérôme Legavre, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl

 

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Michel Castellani, M. David Guiraud, M. Corentin Le Fur, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, M. Nicolas Sansu, M. Emmanuel Tjibaou

 

Assistaient également à la réunion. - M. Carlos Martens Bilongo, M. Steevy Gustave