Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition de Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers, sur la présentation du rapport public annuel de l’Autorité              2

  Présence en réunion................................24


Mercredi
25 juin 2025

Séance de 9 heures 

Compte rendu n° 131

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


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La Commission entend Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers, sur la présentation du rapport public annuel de l’Autorité

M. le président Éric Coquerel. Chers collègues, nous entendons ce matin Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui vient nous présenter le rapport public annuel de cette autorité indépendante, selon l’usage.

Nous devions à l’origine entendre la présidente mercredi 28 mai mais un malencontreux contretemps de santé a conduit à différer cette audition. Je me réjouis qu’elle puisse se tenir aujourd’hui. Entre-temps, outre le rapport de l’AMF, les rapports du médiateur de l’AMF et du pôle commun assurance banque épargne de l’AMF et de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) ont également été publiés, ce qui enrichit les éléments de réflexion.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’Autorité des marchés financiers. Je vous remercie d’avoir accepté de reporter cette audition et de me permettre d’honorer ce rendez-vous annuel essentiel pour l’Autorité des marchés financiers, qui est l’occasion pour moi de vous présenter notre activité et les principaux enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je suis accompagnée du secrétaire général de l’AMF, Sébastien Raspiller, qui pourra également répondre à vos questions.

J’aimerais rappeler quelques éléments clés sur l’AMF. L’Autorité, qui compte 516 collaborateurs, supervise la plus grande place financière de l’Union européenne, soit près de 700 sociétés de gestion, plus de 13 000 OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), pour un encours de plus de 2 milliards d’euros, 110 prestataires de services sur actifs numériques – les fameux Psan, qui sont nos nouvelles entités régulées – ainsi qu’un certain nombre d’entreprises d’investissement.

En 2024, elle a délivré 272 visas sur des opérations financières. Nous avons visé 14 introductions en Bourse, ce qui est peu – il y a eu, parallèlement, 39 retraits de la cote – et nous avons traité près de 13 400 réclamations de particuliers ainsi que 2 000 dossiers de médiation. L’AMF a ouvert 30 enquêtes et 56 contrôles. Notre commission des sanctions a pris 12 décisions de sanction ; 12 accords de composition administrative, qui sont des transactions, ont été publiés. Les sanctions prononcées se sont chiffrées à environ 29 millions d’euros.

Le budget de l’AMF s’élève à 126 millions d’euros en 2025. Une part importante de ses ressources, soit 156 millions d’euros en cumulé, a été reversée au budget de l’État depuis 2014, date de l’instauration du plafond de recettes. En effet, je le rappelle, nous sommes financés intégralement par des contributions prélevées sur la place financière. L’AMF ne bénéficie d’aucune subvention budgétaire. Je me permets également de rappeler, en cette période de préparation du budget, que, sur la période 2016-2024, le budget annuel des régulateurs de marché a crû de 7 % par an en moyenne en Europe, tandis que celui de l’AMF a augmenté de 3 %, soit le taux le plus bas de l’Union européenne, que nous partageons avec la Roumanie.

Nous sommes principalement mobilisés sur trois grands enjeux : au niveau international, les travaux sur la stabilité financière et donc la prévention des crises financières ; à l’échelon européen, le projet d’union de l’épargne et de l’investissement, qui vise à mieux financer l’économie européenne et à offrir des opportunités plus adaptées aux investisseurs européens ; sur le plan national, l’adaptation de notre action de protection des investisseurs à un contexte qui se renouvelle très rapidement, ainsi que la poursuite du soutien à l’innovation et à la finance durable et la lutte contre l’insécurité financière. Cette dernière affecte les investisseurs par le biais des arnaques – qui est un phénomène massif – mais également les marchés financiers au travers de réseaux d’initiés internationaux. L’AMF doit, en conséquence, disposer de pouvoirs juridiques renforcés pour mieux lutter contre cette criminalité financière. Premier enjeu, donc : la stabilité financière, la prévention des crises financières.

Sur le plan conjoncturel, je ne vous apprendrai rien, les tensions géopolitiques ont créé depuis quelques mois des tensions sur les marchés financiers. Face à des pics importants de volatilité, les infrastructures de marché et les acteurs financiers ont montré une grande résilience. Il n’y a pas eu de crise. On a observé des réactions normales face à des chocs venus principalement du commerce international. On peut saluer la résilience technique des marchés financiers qui ont soutenu ces chocs sans difficulté.

Cela étant, au-delà de ces éléments conjoncturels, la vigilance reste de mise, notamment face à des vulnérabilités structurelles qui restent présentes. Les régulateurs financiers sont très investis dans les travaux internationaux relatifs à la stabilité financière, principalement au sein du Conseil de stabilité financière (CSF) et, pour ce qui nous concerne, dans le cadre de l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui regroupe les régulateurs de marché. Ces derniers jouent en effet un rôle croissant en matière de stabilité financière du fait du développement de la finance non bancaire. On estime que la finance non bancaire représente peu ou prou, en volume, la moitié de la finance mondiale. Tout n’est pas de notre ressort – une partie de la finance n’est pas régulée – mais la finance de marché s’est beaucoup développée au cours des dernières années.

Il est important que les régulateurs financiers français portent la voix de la France dans ces débats. La France est écoutée car nous sommes un grand pays financier. Nous avons une forte tradition en matière de régulation financière et sommes un régulateur important et respecté sur ces questions essentielles pour la stabilité financière mais aussi pour la vie quotidienne de nos concitoyens. L’AMF copréside ainsi le groupe en charge de la stabilité financière au sein de l’OICV avec le régulateur financier britannique.

C’est aussi un sujet important au niveau national. Nous nous préparons, conjointement avec l’ACPR, à mener, sur le territoire français, le premier stress test sur le système financier dans son ensemble – ce sera une dimension essentielle de notre activité en 2025. Nous avons examiné cette question au niveau international et allons à présent mettre en œuvre ce dispositif à l’échelon français.

Le deuxième grand chantier sur lequel nous sommes mobilisés est la mise en œuvre de l’union de l’épargne et de l’investissement, qui est le nouveau nom de l’union des marchés de capitaux. M. Daniel Labaronne et Mme Sylvie Josserand m’ont auditionnée récemment à ce sujet dans le cadre de la mission d’information qu’ils conduisent sur cette thématique. C’est, à mes yeux, le projet le plus important de notre génération en matière financière : c’est l’équivalent de ce que fut en son temps la création de la monnaie unique. Mettre fin à la fragmentation des marchés financiers européens et permettre leur développement est en effet une nécessité pour que le moteur de la finance européenne fonctionne plus efficacement et pour permettre à l’Europe de financer ses choix politiques et maintenir son autonomie stratégique.

Le diagnostic est connu : le récent rapport de Mario Draghi a estimé à environ 800 milliards d’euros supplémentaires par an les besoins de financement de l’économie européenne pour financer sa transition digitale et énergétique. S’y ajoutent maintenant, pour des raisons évidentes, les besoins de financement de la défense européenne, ce qui implique de trouver au total près de 1 000 milliards d’euros supplémentaires par an. La bonne nouvelle est que cela ne paraît pas impossible puisque l’Europe dispose d’une épargne abondante et de circuits et d’acteurs financiers puissants – la finance étant l’un des domaines où l’Europe a ses acteurs et ses circuits propres. Le défi consiste à mieux allouer cette épargne. Il n’est pas hors de portée puisque les besoins de financement que j’ai évoqués représentent moins de 3 % de l’épargne européenne, laquelle s’élève à 35 000 milliards d’euros, dont 20 % au moins, soit 7 000 milliards, sont investis dans des économies hors d’Europe.

Pour faire aboutir le projet d’union des marchés de capitaux, trois grandes priorités doivent être retenues : la mobilisation de l’épargne européenne, la mise en place d’une véritable supervision européenne des marchés de capitaux et la relance de la titrisation. J’insisterai seulement sur le premier pilier, celui de la mobilisation de l’épargne européenne, car c’est l’investisseur européen qui sera, au côté des grands investisseurs institutionnels, la clé de la réussite de ce projet existentiel pour l’Europe. Son intérêt est a priori convergent avec celui de l’économie, puisqu’il doit mieux investir pour mieux préparer les grandes étapes de sa vie, ce qui implique des investissements plus longs et un accès raisonné aux rendements intéressants sur le long terme fournis par les marchés de capitaux.

À cet égard, le récent rapport d’information de MM. Jean-Philippe Tanguy et François Jolivet sur la rémunération de l’épargne populaire et des classes moyennes montre que cette épargne se concentre, en France, sur des produits d’épargne réglementés et d’assurance vie, peu rémunérateurs, notamment en raison d’une insuffisante culture financière des ménages français. Une meilleure allocation de l’épargne est donc souhaitable. Cela concerne en particulier les femmes, qui épargnent beaucoup mais investissent moins : il est temps de se pencher sur ce déficit d’investissement qui leur nuit et qui nuit à l’économie. C’est un message que j’ai souhaité faire passer, en octobre 2024, lors des cinquièmes rencontres de l’égalité économique et professionnelle de l’Assemblée nationale, auxquelles j’ai participé à l’invitation de Mme Marie-Pierre Rixain. Je rappelle également que l’AMF vient de se voir confier par la loi Ddadue (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne) du 30 avril 2025 la mise en œuvre de la directive européenne « Women on Boards ». Nous serons donc aux avant-postes sur les chantiers de l’égalité professionnelle.

La mobilisation de l’épargne européenne pourra notamment passer par la mise en place de labels qui désignent les produits financiers les plus adaptés au bon financement de l’économie européenne. C’est l’un des objectifs de la création récente, annoncée à Paris, du label européen Finance Europe, qui regroupe sept pays de l’Union européenne, dont la France.

Au sein de cette nouvelle Europe financière, la place de Paris a tous les atouts pour assumer un rôle de premier plan. Elle doit, en tant que première place financière européenne, jouer un rôle d’entraînement pour permettre à la finance européenne de se développer et de mieux répondre aux besoins de financement de l’économie européenne. C’est la raison pour laquelle l’AMF avait soutenu et accompagné les efforts de compétitivité portés par la loi du 13 juin 2024 sur l’attractivité de la France – nous avions eu l’occasion d’échanger à ce sujet.

Il ne s’agit évidemment pas de s’engager dans une course au moins-disant réglementaire. Cela n’a jamais été le cas en France et ce n’est d’ailleurs ni la demande des acteurs financiers français, qui connaissent l’importance d’une bonne régulation pour leur développement, ni celle des acteurs financiers internationaux qui choisissent la place de Paris. Ils font au contraire le pari gagnant d’une régulation exigeante et compétente, qui est l’un des atouts majeurs de notre place financière et la mission centrale de l’Autorité des marchés financiers.

Face à la bataille mondiale pour les capitaux, l’heure de la simplification est par ailleurs venue. Elle ne sera pas aisée car il faut continuer à réguler et à protéger tout en simplifiant les contraintes et les normes que nous avons développées notamment en Europe. C’est la raison pour laquelle l’AMF a soutenu la décision de simplifier le cadre réglementaire fixé par la directive sur le reporting de durabilité – CSRD – sans pour autant, évidemment, renoncer à la mettre en œuvre, puisque nous faisons partie des pays qui ont transposé cette directive et que nous nous sommes mis en situation de revoir le reporting de durabilité des grandes entreprises cotées. Néanmoins, il nous paraît évident qu’il faut maintenir les objectifs et cette réglementation, mais également en simplifier la mise en œuvre. Cela devra aussi être le cas pour le parcours client de l’investisseur, qui est bien protégé en Europe, mais peut-être au prix de règles devenues un peu trop lourdes. Nous avons engagé des travaux, au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou Esma) pour essayer d’identifier des marges de simplification aussi pour l’investisseur. C’est une demande importante qui ressort des consultations que nous réalisons au sein de l’Esma.

L’innovation est également au cœur du dynamisme de la finance et fait partie de l’ADN de l’AMF. Nous devons accompagner son développement grâce à un cadre sécurisé tout en permettant l’expérimentation. En matière de cryptoactifs, nous sommes entrés dans l’ère du règlement européen Mica (Markets in crypto Assets) qui est en vigueur depuis la fin de l’année dernière. Nous essayons d’accompagner, sur le chemin de cette transition, les acteurs que nous avions déjà enregistrés ou agréés au niveau national dans le cadre de la loi Pacte (relative à la croissance et la transformation des entreprises). L’application du règlement Mica soulève plusieurs questions importantes qui devront trouver – rapidement, je l’espère – des réponses à l’échelon européen : je pense, en particulier, à l’architecture de supervision des grandes plateformes transfrontalières agréées dans l’Union mais aussi à l’encadrement d’un certain nombre de mesures, notamment les dispositifs de cybersécurité au sujet desquels le Parlement français avait été précurseur en imposant des audits. Nous espérons que cela sera aussi intégré rapidement dans la loi européenne.

À cet égard, nous suivons également de très près le projet de loi sur la résilience des infrastructures critiques et le renforcement de la cybersécurité, s’agissant notamment de la mise en œuvre du règlement européen sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier (Dora), qui est l’un des trois textes importants que nous avons à appliquer cette année – avec Mica et la directive CSRD – et qui fait de nous le superviseur de la résilience opérationnelle, notamment en matière de cybersécurité des acteurs financiers dont nous assurons la supervision.

J’aimerais insister sur la question clé de la protection des investisseurs, qui est notre priorité, tant à l’échelon européen qu’au niveau français. Marqué par le succès des fonds indiciels – ETF –, des actions fractionnées, des produits structurés, des cryptoactifs et, peut-être bientôt, des actifs tokénisés, le paysage de l’épargne est en pleine révolution. L’intelligence artificielle bouleverse les pratiques, amenant comme toute innovation son lot d’opportunités, sans aucun doute remarquables, mais aussi de risques nouveaux que les régulateurs doivent comprendre, anticiper et réguler lorsque c’est nécessaire. En effet, la confiance des investisseurs est indispensable, pour eux au premier chef, mais également pour le bon fonctionnement des marchés.

Face à la recrudescence de la délinquance financière et notamment des arnaques, l’AMF renforce son action. C’est l’un des objectifs des modifications législatives que nous proposons et que nous avons eu l’occasion de présenter à certains députés ici présents. Je rappelle un chiffre qui doit tous nous interpeller : 15 % des Français estiment avoir été victimes d’une arnaque financière ; le chiffre atteint 35 % chez les moins de 35 ans. C’est donc un phénomène de société massif ; en outre, lorsque les gens se font effectivement arnaquer, le montant moyen de leurs pertes observé par l’AMF atteint le chiffre – considérable – de 29 500 euros. Nous ne pouvons évidemment pas admettre une telle situation. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes d’ores et déjà mis en situation de coopérer de façon beaucoup plus étroite avec la justice, qui est compétente en matière d’escroquerie, mais aussi avec la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et avec nos collègues de l’ACPR pour mieux identifier et prévenir ces phénomènes, grâce à la communication financière. La meilleure des sauvegardes étant la prévention, les investisseurs doivent être avertis des risques.

Au-delà, nous souhaitons aussi disposer de quelques moyens juridiques supplémentaires, qui nous seraient également utiles, si le Parlement voulait bien nous les accorder, pour mieux lutter contre un autre phénomène grave : l’expansion de réseaux internationaux qui se livrent au blanchiment de capitaux, sans doute issus de la criminalité organisée, voire du narcotrafic, au moyen de délits d’initiés sur les marchés de capitaux. L’AMF coopère aujourd’hui plus étroitement que jamais avec l’ensemble des acteurs financiers, et notamment, dans ce domaine, avec le parquet national financier (PNF). Nous utilisons à plein les mécanismes de coopération internationale qui existent au sein de nos instances internationales pour travailler avec les autres grands régulateurs de marché, notamment nos homologues américains et britanniques, qui constatent les mêmes phénomènes sur leur marché.

Nous avons également besoin d’outils juridiques renouvelés, comme je l’ai indiqué, pour renforcer l’efficacité et l’efficience de notre action répressive face à ces menaces avérées et redoutables et pour mieux lutter contre l’insécurité financière. Je renouvelle mon appel à ce que les textes que nous avons élaborés à cette fin depuis près de deux ans puissent trouver un véhicule législatif. Pour accomplir l’ensemble de ces missions, l’AMF doit disposer des moyens nécessaires, non seulement juridiques mais aussi, évidemment, budgétaires. À cet égard, je souhaite remercier le Parlement, qui nous a soutenus en nous accordant, dans le cadre de la loi de finances pour 2025, des moyens budgétaires et surtout humains supplémentaires. Il est important de poursuivre ce travail. Nous avons besoin d’une visibilité pluriannuelle pour continuer à remettre à niveau nos moyens, assumer nos nouvelles missions et faire face aux phénomènes que j’ai évoqués.

Évidemment, nous ne faisons pas que demander des moyens supplémentaires : nous nous mettons aussi en situation d’accomplir des efforts, comme le montre l’action que nous menons depuis le début de mon mandat. La Cour des comptes, dans un rapport publié début 2024, a tracé la voie pour nous permettre d’améliorer notre gestion interne et d’exploiter des gisements d’économie. Nous l’avons fait et nous continuerons évidemment à le faire. Nous voulons également poursuivre notre modernisation. L’un de nos grands objectifs, en 2025, est de définir notre feuille de route sur l’intelligence artificielle pour mieux utiliser cet outil, qui peut nous permettre, dans le cadre de nos fonctions de régulateur, d’être plus efficaces et plus efficients.

Mesdames et messieurs les députés, vous pouvez compter sur notre pleine mobilisation pour contribuer aux chantiers financiers fondamentaux qui nous mobilisent et dans le cadre desquels la voix de la France mérite d’être portée haut et fort.

Je vous indique également que nous souhaitons organiser de nouveau cette année, comme nous l’avions déjà fait, un temps d’échange avec les équipes de l’AMF pour les membres de la commission des finances.

M. le président Éric Coquerel. J’accepte volontiers cette dernière proposition. Les échanges que nous avions eus lors de la précédente rencontre avaient été très intéressants.

Vous avez déclaré que l’intelligence artificielle faisait partie, de manière croissante, des sujets qui vous occupent. Pouvez-vous nous indiquer de quelle manière ? Plus généralement, quelles possibilités concrètes l’intelligence artificielle vous paraît-elle ouvrir, pour le régulateur, le monde de la finance, l’épargnant et l’investisseur ? L’essor de l’intelligence artificielle vous paraît-il appeler, au cours des prochaines années, une action du régulateur, voire du législateur ? Pour l’heure, l’évocation des promesses ou du potentiel de l’intelligence artificielle conserve encore souvent un caractère abstrait.

Aux États-Unis, le président Trump semble vouloir remettre en cause l’indépendance des agences et des régulateurs. Quelles relations l’AMF entretient-elle avec la Securities and Exchange Commission (SEC), son homologue américaine ? Dans quelles mesures ces relations sont-elles affectées – ou susceptibles de l’être – par le contexte actuel et l’avènement d’une nouvelle administration ?

Votre rapport indique, page 16, que « l’AMF a préparé une série de dispositions législatives de nature à renforcer l’efficacité et l’efficience de son action répressive, notamment en vue de mieux lutter contre les réseaux d’initiés et les abus de marché, parfois adossés à l’activité de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme, au crime organisé et au trafic de stupéfiants ».

Au regard des mesures que vous avez présentées, visant notamment à répondre aux besoins d’outils juridiques renouvelés, avez-vous senti une oreille attentive du gouvernement ? Avez-vous le sentiment qu’un texte en ce sens pourrait être inscrit à l’ordre du jour du Parlement ? À défaut, cela pourrait faire l’objet, me semble-t-il, d’une excellente proposition de loi transpartisane que nous pourrions proposer lors d’une semaine de l’Assemblée. Un tel texte recueillerait en effet certainement l’aval de différents groupes.

L’AMF a clos l’exercice 2024 avec un déficit net de 3,83 millions d’euros contre 0,22 million d’euros en 2023, malgré la diminution du reversement au budget général. Aux termes du budget rectifié pour l’année 2025, le résultat de l’exercice 2025 devrait accuser un déficit encore plus creusé, de 5,06 milliards d’euros. N’y a-t-il pas là matière à inquiétude ?

Le pôle commun assurance banque épargne de l’AMF et de l’ACPR a publié son rapport commun le 16 juin dernier. Parmi les faits relevés, certains peuvent paraître particulièrement préoccupants : on peut citer, notamment, les arnaques aux actifs numériques, les fausses offres de prêts immobiliers et de rachats de crédit, la multiplication des cas d’usurpation d’identité ou encore les pratiques publicitaires trompeuses. Vous dites que vous collaborez avec la justice et l’ACPR mais que des moyens juridiques supplémentaires seraient nécessaires. De quels moyens s’agit-il ? L’outil pénal est-il suffisamment mobilisé ? Les moyens de sanction des régulateurs sont-ils suffisants ? Le quantum de certaines peines devrait-il être alourdi ?

La commercialisation auprès d’une clientèle de particuliers de produits structurés, pourtant réputés pour leur complexité, est en forte croissance : elle a atteint 42 milliards d’euros en 2023, dont 80 % en assurance vie. Comment expliquez-vous cette évolution ? Le rapport du pôle commun indique que cette commercialisation « vise, pour près de la moitié des produits commercialisés, une clientèle d’investisseurs particuliers avertis ». On peut en déduire qu’elle vise, pour plus de la moitié, des clients qui ne sont pas des investisseurs avertis. N’est-ce pas préoccupant ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Nous traitons la question de l’intelligence artificielle à trois niveaux. Le premier est celui de la stabilité financière, que nous examinons de manière approfondie avec nos collègues au sein du groupe sur la stabilité financière de l’OICV. Ce groupe a commencé à se pencher sur les usages et les impacts potentiels de l’intelligence artificielle depuis un peu plus de deux ans. Nous avons considéré qu’à ce stade, il n’y avait pas de menace particulière sur la stabilité financière mais c’est une question sur laquelle nous revenons très régulièrement. Nous organisons à la rentrée, à Paris, une réunion de ce groupe, qui consacrera de nouveau une partie de ses travaux au suivi des développements de l’intelligence artificielle et au risque qu’ils peuvent faire peser sur la stabilité financière des institutions et, plus globalement, du système. Il existe notamment un risque que les institutions financières recourent à des dispositifs d’intelligence artificielle sans en maîtriser complètement les impacts. Ils assument une obligation en la matière, comme à chaque fois qu’ils délèguent des fonctions à l’extérieur. Nous veillons à ce que soit aussi le cas dans ce domaine.

Par ailleurs, nous nous sommes mobilisés au niveau européen afin que l’Autorité européenne des marchés financiers publie des recommandations aux investisseurs qui font appel à des acteurs financiers utilisant l’intelligence artificielle.

Enfin, nous examinons, dans le cadre d’échanges internationaux et européens, les possibilités que cette dernière offre au régulateur d’améliorer sa propre action. Si le dispositif de surveillance des marchés de l’AMF utilise déjà l’intelligence artificielle, nous étudions la manière dont nous pourrions recourir à la nouvelle génération de l’intelligence artificielle. Grâce à un financement de la direction générale de l’appui à la réforme structurelle de la Commission européenne, nous travaillons à l’élaboration d’une feuille de route afin de nous organiser de manière efficace en matière de gouvernance et de choix des projets.

Nous nous heurtons, en la matière, à deux limites. La première tient à la sensibilité et à la confidentialité des données que nous utilisons. L’obligation qui nous est faite de stocker celles-ci sur le territoire français et de nous assurer qu’elles ne peuvent pas être compromises d’une manière ou d’une autre nous impose de recourir à des dispositifs de stockage labellisés SecNumCloud, c’est-à-dire certifiés par l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information), ce qui a un coût. L’autre limite est d’ordre budgétaire. Aussi le secrétaire général de l’AMF, qui pilote ce dossier, est-il amené à arbitrer entre les très nombreux projets de nos collaborateurs, désireux d’utiliser l’intelligence artificielle pour mieux accomplir leurs missions.

Notre relation avec les États-Unis est tout à fait fondamentale. Les deux régulateurs américains – la SEC (Securities and Exchange Commission) et la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), compétente en matière de régulation des produits dérivés – sont des interlocuteurs essentiels parce que le marché financier américain est le plus important du monde et qu’y apparaissent souvent les innovations financières. Ainsi, la finance privée et les ETF (Exchange Traded Fund) sont des tendances nées aux États-Unis, où elles se développent de manière beaucoup plus marquée qu’ailleurs. Il est donc fondamental que nous ayons avec nos homologues américains des échanges sur ces innovations comme sur la défense de l’intégrité financière de nos marchés. De fait, les réseaux d’initiés internationaux agissent sur différents marchés, en particulier sur les plus importants d’entre eux : les marchés américain et britannique. Nous sommes, avec la SEC et la FCA (Financial Conduct Authority), l’instance de régulation britannique, les principaux utilisateurs du Multilateral Memorandum of Understanding, qui nous permet d’établir une coopération fluide et renforcée avec nos homologues.

Nous veillons donc à maintenir de bonnes relations avec les autorités américaines. À ce stade, nous n’avons aucune inquiétude particulière. Au printemps dernier, nous nous sommes réunis, pour la troisième fois, dans les locaux de la SEC, à Washington, où nous avons été très bien accueillis ; nous ne percevons aucun signe d’un désengagement de nos homologues américains des coopérations que je viens d’évoquer.

En ce qui concerne les modifications législatives envisagées, nous souhaitons, par exemple, disposer d’un fondement législatif très solide qui nous permette de réaliser du web scraping, lequel consiste dans la collecte massive de données sur les réseaux sociaux. Nos enquêteurs et les personnes chargées de la veille sur les réseaux sociaux doivent également pouvoir utiliser une identité d’emprunt lorsqu’ils s’inscrivent sur un site internet pour évaluer le caractère frauduleux d’une proposition.

Par ailleurs, pour réprimer les escroqueries et les principaux abus de marchés, notamment les grands délits d’initiés, nous avons besoin de coopérer étroitement avec la justice. Nous avons donc considérablement renforcé nos liens avec le parquet national financier, mais nous souhaitons que l’AMF puisse être désignée, sur commission rogatoire du juge d’instruction, service instructeur d’une enquête. Nous avons décidé de franchir ce pas, car la situation est telle qu’il est nécessaire de mettre pleinement nos compétences à la disposition des enquêtes de la justice. Nous souhaitons également disposer d’un outil, que l’Autorité de la concurrence utilise avec efficacité : la clémence, qui consiste à demander à certains membres d’un réseau, moyennant un allégement des sanctions qu’ils encourent, de collaborer avec nous pour nous aider à identifier l’ensemble du réseau.

Enfin, nous proposons que nos injonctions puissent être assorties d’une astreinte financière, car, faute d’un tel outil, nous ne pouvons user de notre pouvoir d’injonction, qui a l’immense mérite d’être public, qu’avec parcimonie, lorsque nous sommes à peu près certains qu’il sera suivi d’effets.

Nous avons présenté une vingtaine de propositions de modification législative, validées par notre collège, au ministère des finances, à la Chancellerie et au ministère de l’intérieur. Tout le monde perçoit l’intérêt qu’elles présentent pour mieux lutter contre les escroqueries, les arnaques, et les réseaux d’initiés, qui sont, pour certains, très liés aux problématiques de blanchiment. Je crois donc que le gouvernement soutiendrait une proposition de loi qui reprendrait ces mesures.

En ce qui concerne le budget de l’AMF, nous avons enregistré, l’an dernier, un déficit comptable d’environ 3 millions d’euros, essentiellement dû à un changement de méthode comptable qui consiste à mieux classer nos dépenses informatiques, car notre pratique d’immobilisation était un peu trop importante. Cependant, nous sommes très attentifs à notre pilotage budgétaire, qui est pour nous essentiel. Comme nous y a fortement incités la Cour des comptes et comme je m’y étais engagée, nous veillons à respecter une stricte égalité entre nos dépenses et nos recettes. Estimant que nous ne pouvons plus solliciter des réserves qui ont, au demeurant, été largement épuisées à la fin de l’année 2022, nous nous astreignons à une discipline budgétaire très stricte, qui se traduit notamment par l’engagement que nous avons pris de maintenir, au cours des prochaines années, le même budget informatique. C’est une contrainte importante, car non seulement nous devons entretenir le niveau de notre outil mais aussi développer le recours à l’intelligence artificielle.

S’agissant des travaux du pôle commun, le premier enseignement du rapport publié cette année est l’explosion du nombre des arnaques, que nos collègues de l’ACPR ont également constatée. Cette évolution est due en partie aux nouvelles possibilités qu’offrent le numérique et l’intelligence artificielle, notamment en matière d’usurpation d’identité. Lors d’une conférence de presse organisée avec le parquet de Paris, l’ACPR et la DGCCRF, nous avons illustré l’ampleur des difficultés auxquelles les investisseurs peuvent être confrontés en procédant en direct, à l’aide de l’intelligence artificielle, à une usurpation d’identité en clonant l’apparence physique et la voix de l’adjoint de Mme la procureure générale.

Nous avons donc entièrement revu nos actions de communication préventive auprès des investisseurs, notamment pour nous adresser plus efficacement aux plus jeunes d’entre eux. Ainsi, nous sommes présents sur TikTok, pour que ces derniers adoptent les réflexes fondamentaux, notamment celui de ne pas prendre une décision dans l’urgence et de vérifier que le prestataire ne se trouve pas sur les listes noires de l’AMF. Nous avons également conclu un partenariat avec Jamy Épicurieux, qui a, sur YouTube, une audience plus importante que celle de l’AMF. Nous nous efforçons donc de nous adapter, tant en matière répressive qu’en matière de stratégie d’éducation financière et de coopération avec les autres autorités compétentes.

En ce qui concerne l’outil pénal, je ne peux pas me prononcer sur les sanctions judiciaires. Si le parquet national financier s’est saisi des dossiers de réseaux d’initiés plutôt que notre commission des sanctions, c’est parce qu’il dispose de moyens d’investigation qu’en tant qu’autorité administrative, nous n’avons pas. Si la justice dispose de l’expertise suffisante – c’est l’objet de la mise à disposition de nos enquêteurs –, elle pourra mieux mobiliser ses moyens dans l’intérêt collectif.

Les sanctions sont-elles suffisantes ? Nous ne pouvons pas sanctionner directement les escroqueries : la justice et la DGCCRF sont compétentes dans ce domaine. C’est donc leurs représentants qu’il faudrait interroger à ce sujet.

Enfin, le pôle commun a identifié, dans son rapport, une nouvelle montée en puissance de l’offre de produits structurés. Celle-ci ne se traduit pas par des problématiques importantes pour les particuliers, mais c’est un domaine que nous avons placé sous surveillance. Ainsi, trois commissions consultatives de l’AMF ont décidé d’approfondir les travaux portant sur cette question, d’abord pour s’assurer que les investissements sont bien compris. Ces produits présentent l’intérêt de combiner un bon rendement et une garantie en capital, mais encore faut-il que cette garantie soit suffisante et que l’investisseur comprenne dans quels cas elle intervient. En outre, comme souvent, la transparence n’est pas toujours assurée concernant les frais associés à ces produits.

M. le président Éric Coquerel. En ce qui concerne les modifications législatives souhaitées par l’AMF, je suis prêt à étudier avec vous la manière dont nous pourrions les transcrire dans une proposition de loi qui pourrait être examinée dans le cadre de l’ordre du jour réservé aux textes transpartisans.

M. Charles de Courson, rapporteur général. La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui modifie notamment l’article 324-1-1 du code pénal, dispose que, dans la lutte contre le blanchiment, « toute opération effectuée au moyen d’un cryptoactif comportant une fonction d’anonymisation est présumée être le produit direct d’un crime ou d’un délit ». Cette disposition permettra-t-elle de lutter efficacement contre le blanchiment ? Pourrait-elle nuire à la place de Paris ?

Ma deuxième question a trait aux prestataires de services et d’actifs numériques, les Psan, et le régime spécifique qui s’applique à leurs activités. La France souhaite soutenir le développement de ces acteurs au sein de la place de Paris tout en maintenant des critères aussi stricts que possible pour protéger les épargnants et prévenir tout risque de fraude. Comment évaluez-vous le cadre réglementaire actuel des Psan ? Le régime français demeure-t-il précurseur ?

L’AMF a procédé à huit radiations entre septembre 2022 et décembre 2024, la plupart étant dues à une cessation d’activités ou à une décision relative à l’agrément Mica – du nom du règlement du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de cryptoactifs. Pouvez-vous nous rappeler ce qui a amené l’AMF à sanctionner les Psan au motif « du non-respect de l’exigence de l’enregistrement » ?

Enfin, le dépositaire central transmet au Trésor le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF). Ainsi, c’est Euroclear, une société anonyme dont le siège est situé à Bruxelles, qui assure le recouvrement effectif de cette taxe. Or, depuis le règlement européen du 15 mai 2014 relatif aux marchés d’instruments financiers, dit Mifir, les comptables publics pourraient s’appuyer sur le registre du reporting direct des transactions (RDT) tenu par l’AMF pour suivre de manière exhaustive les transactions financières et ainsi recentraliser le recouvrement de cet impôt. Que pensez-vous de cette proposition ? L’AMF a-t-elle déjà participé au contrôle d’Euroclear au titre de son activité de recouvrement ? Selon vous, le protocole régissant les relations entre l’État et cette société, qui n’a jamais été révisé depuis 2012, doit-il l’être, comme le suggérait la Cour des comptes dès 2017 ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Je rappelle que certaines des propositions de l’AMF avaient été reprises dans des amendements au projet de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, amendements qui ont, hélas, étaient considérés comme des cavaliers législatifs. De fait, certains de nos constats ont un lien direct avec la lutte contre le narcotrafic ; ils portent davantage, du reste, sur le blanchiment de l’argent des réseaux d’initiés que sur les cryptoactifs. Néanmoins, Tracfin notamment considère que ces derniers, plus spécifiquement lorsqu’ils sont anonymes, sont un possible vecteur de blanchiment. D’où, sans doute, la disposition que vous avez citée.

Celle-ci peut-elle nuire à l’attractivité de la place de Paris ? Non, car cette attractivité n’a jamais été fondée sur une forme de laxisme et l’acceptation de circuits permissifs. Cela ne signifie pas que notre lutte contre le blanchiment est efficace à 100 %, mais nous n’avons jamais cherché à attirer des acteurs qui feraient de ce type de circuits opaques un argument commercial. Du reste, cela n’a pas empêché la place de se développer.

S’agissant des Psan, le cadre réglementaire français – issu de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, et consolidé par le Parlement, qui a souhaité créer, en 2023, un régime d’enregistrement renforcé – est en cours d’extinction. En effet, la grosse centaine d’acteurs enregistrés ou agréés dans le cadre du régime national ont dix-huit mois, à compter de l’entrée en vigueur du règlement Mica, fin décembre dernier, pour soit disparaître, soit obtenir un agrément Mica, en France ou dans un autre pays de l’Union européenne.

Le dispositif français a été très utile. D’une part, il a permis au régulateur de développer une compétence dans ce domaine, si bien que nous sommes plutôt en avance sur beaucoup de nos collègues, qui découvrent ce nouvel univers de réglementation. D’autre part, il a permis la création, sur le territoire français, d’un petit écosystème de prestataires qui ont fait le choix de la réglementation. Dès lors que ce secteur connaît un succès considérable auprès des investisseurs – 10 % des Français et 56 % des investisseurs de moins de 35 ans détiennent des cryptoactifs –, il était légitime de tenter d’inscrire ses acteurs dans une logique de réglementation. Parmi ceux qui ont fait ce choix, certains seront en mesure de continuer à se développer dans le cadre du règlement européen Mica.

Ce nouveau régime comporte en effet des exigences élevées qui correspondent au niveau le plus élevé de la réglementation française, à savoir l’agrément – l’enregistrement simple n’existe plus dans ce cadre.

Il est néanmoins perfectible, sous deux aspects. D’abord, le règlement prévoit la délivrance d’un passeport sans pour autant confier la supervision du secteur à l’AEMF, qui a un simple rôle de coordination. Ainsi, des investisseurs français peuvent investir auprès de prestataires agréés dans d’autres pays que la France. Or nous ne sommes pas certains que les différentes pratiques de supervision en Europe soient convergentes et que le niveau d’exigence soit homogène. Nous appelons donc de nos vœux une réforme urgente du règlement afin de confier la supervision du secteur à l’AEMF.

Deuxième sujet sur lequel nous souhaiterions que la loi européenne reprenne des dispositions adoptées par le Parlement français, en l’occurrence dans le cadre d’une loi Daddue en 2023 : l’exigence d’un audit de cybersécurité par des prestataires de services certifiés par les équivalents de l’Anssi dans les différents pays de l’Union européenne.

Le régime est certes perfectible mais il fait de l’Europe un précurseur en matière de régulation des cryptos pour laquelle il serait bienvenu de reconnaître à l’Esma une compétence directe.

M. Sébastien Raspiller, secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers. L’AMF n’est pas compétente en matière de taxe sur les transactions financières (TTF). À ma connaissance, le dépositaire concerné par l’accord avec l’administration fiscale – Euroclear France – est une entité française – il s’agit d’une filiale du groupe Euroclear, qui a succédé à la Sicovam (Société interprofessionnelle pour la compensation des valeurs mobilières) dans les années 1990.

L’AMF est chargé de la supervision d’Euroclear conjointement avec l’ACPR et la Banque de France, comme elle le fait pour Euronext et la chambre de compensation LCH SA, mais c’est la Banque de France qui est le chef de file. Je ne suis donc pas en mesure de vous répondre sur l’existence d’un éventuel contrôle.

Dans le cas d’Euroclear France, qui ne relève pas de la compétence de l’AMF, la loi impose que le transfert de propriété – la TTF porte sur des actions, donc des titres de propriété en capital d’une entreprise – soit inscrit dans le registre du dépositaire central. C’est cette information qui fait foi pour assurer le transfert ; c’est le fait générateur de la TTF.

Le registre des transactions est un outil fondamental pour assurer la surveillance, notamment pour détecter des abus de marché, délits d’initiés ou autres. Il est alimenté par les intermédiaires français – ils en ont l’obligation – et parfois par des intermédiaires étrangers avec lesquels nous avons noué des accords – depuis un an, c’est le cas avec les autorités britanniques. Mais si des flux passent par des intermédiaires étrangers, notamment américains, nous n’avons pas accès à leurs données. La TTF ayant une dimension extraterritoriale, elle peut être collectée auprès d’intermédiaires situés à l’étranger. Nous collaborons avec l’administration fiscale, de manière satisfaisante, me semble-t-il, mais nous n’avons pas été sollicités par la DGFIP sur ce dossier. Le registre des transactions étant moins complet que celui du dépositaire central, il constitue une source d’information inadaptée à l’enjeu fiscal de la TTF.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Dans un contexte de concurrence accrue entre les grandes places financières européennes, notamment Francfort, Amsterdam, Milan et Londres, l’attractivité de la place de Paris dépend de notre capacité à offrir un cadre réglementaire lisible, stable et équitable.

Soucieux d’encourager cette attractivité, le Rassemblement national considère que la surtransposition du droit européen est un frein que nous ne pouvons plus nous permettre, pour les marchés financiers comme pour tout le reste. De nombreux rapports ont mis en évidence cette tendance bien française.

Je citerai à cet égard le règlement « prospectus » ou SFDR (règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers) : dans le premier cas, la France impose des normes supplémentaires, dans le second, des normes plus sévères – il faut le faire !

L’AMF a la responsabilité de veiller à une transposition fidèle et proportionnée des textes européens. Dotée d’une légitimité technique forte, elle joue un rôle d’alerte auprès des pouvoirs publics que le Rassemblement national l’encourage à exercer pleinement, et ce d’autant plus qu’en matière financière, le droit est un outil de compétitivité. La stabilité et la prévisibilité réglementaires font partie des critères premiers de localisation des sièges des fonds et des services d’investissement.

Quelles actions concrètes l’AMF a-t-elle menées en 2024 et 2025 pour éviter ou corriger une surtransposition dans des textes récents ? Avez-vous recensé les cas de surtransposition encore en vigueur ? Avez-vous engagé un dialogue avec Bercy, le Parlement ou les autorités européennes sur ce sujet ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Vous avez parfaitement raison, la concurrence entre les places financières, européennes et extra-européennes, est forte. Nous en avons pleinement conscience et c’est la raison pour laquelle l’attractivité de la place de Paris figure parmi les grandes orientations stratégiques de l’AMF pour la période 2023-2027. La localisation des circuits financiers et des centres de décision en matière financière est tout à fait essentielle pour pouvoir bien financer l’économie.

L’une des conditions de l’attractivité est un cadre réglementaire lisible et stable. En cas de transposition, il ne faut pas se priver de la possibilité d’ajuster le cadre lorsque cela est nécessaire. En revanche, la surtransposition est clairement un frein.

L’AMF a d’ailleurs pris l’engagement, dans son plan stratégique, de ne plus s’autoriser à surtransposer les textes européens. Nous l’avons écrit et nous le faisons, à cette petite exception près : lorsque nous avons le sentiment que des raisons impérieuses de protection des investisseurs particuliers, laquelle est notre mission première, le justifient.

La décision de mettre fin à la surtranposition a eu des conséquences importantes : s’agissant du règlement « prospectus » de 2024, l’AMF a supprimé une spécificité française : l’obligation – la possibilité demeure – de réserver une tranche aux particuliers lors des introductions en Bourse. C’est sans doute cette évolution du règlement général de l’AMF, validée par le ministre, qui a rendu possibles les deux plus belles introductions en Bourse de l’été 2024 – Planisware et Exosens. En raison de la volatilité sur les marchés, les candidats à l’introduction en Bourse ne voulaient pas prendre le risque de laisser l’offre ouverte pendant toute une semaine, ce qui est vraiment le minimum lorsqu’il y a une tranche pour les investisseurs particuliers. Si nous n’avions pas pris cette décision, ces introductions en Bourse, qui représentent de belles opportunités pour les investisseurs français, n’auraient pas eu lieu à Paris.

De la même manière, s’agissant des fonds européens d’investissement de long terme, qu’on appelle LTIF dans notre jargon, nous nous sommes engagés à appliquer le droit européen, et rien que le droit européen. Cela n’a pas été simple car les standards européens qui ont été retenus ne sont pas aussi prescriptifs que nous l’aurions souhaité. La France se classe aujourd’hui deuxième, derrière le Luxembourg, pour la création de ces nouvelles catégories de fonds européens et nous en sommes très satisfaits.

Nous avons fait la même chose en matière de finance durable. Lorsque l’Esma a défini des lignes directrices sur la dénomination des fonds éligibles, ses choix nous paraissaient moins clairs que la doctrine de l’AMF qui préexistait – j’avais d’ailleurs voté contre au conseil des gouverneurs de l’Esma, ce qui est assez rare. Mais une fois que la nouvelle réglementation a été adoptée, nous y avons adapté notre doctrine.

Nous nous astreignons donc à ne pas surtransposer, y compris lorsque nous n’obtenons pas gain de cause dans les discussions européennes. C’est parfois un peu douloureux mais c’est absolument nécessaire compte tenu de la forte concurrence entre les places financières.

Nous l’avons constaté pour la nouvelle réglementation européenne – le Listing Act –, qui comporte des évolutions très substantielles notamment sur les droits de vote multiples et libéralise très fortement les augmentations de capital, les transpositions en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas sont des outils de compétitivité assez forts.

Nous ne sommes pas trop inquiets parce que des efforts considérables ont été accomplis pour renforcer l’attractivité de la place de Paris depuis une bonne quinzaine d’années et, notamment après le Brexit, faciliter l’implantation d’acteurs étrangers. Nous disposons d’atouts considérables, qui sont reconnus. D’abord, l’effet de masse : nous sommes la première place financière de l’Union européenne et de loin, ce qui a permis de développer l’écosystème financier. Nombre d’acteurs financiers, nationaux mais aussi internationaux, ont fait le choix de s’installer à Paris ou de s’y développer – parfois le siège est à Francfort pour être près de la BCE (Banque centrale européenne) donc du régulateur européen, mais les équipes sont plutôt à Paris. La qualité des formations françaises dans les domaines de la finance, de l’ingénierie, etc. est reconnue. Malgré ces atouts, nous devons rester très vigilants parce que l’attractivité est une lutte de tous les instants et nos concurrents ne restent pas inactifs.

M. Daniel Labaronne (EPR). Je vous remercie pour vos réponses très complètes ainsi que l’engagement constant de l’AMF en faveur d’une régulation protectrice des marchés financiers. Votre action est essentielle pour renforcer la confiance des épargnants et soutenir le financement de notre économie.

Mes questions concernent l’Union pour l’épargne et l’investissement (UEI). Comment l’AMF entend-elle favoriser une meilleure orientation de l’épargne des ménages français vers le financement des entreprises, notamment les PME et les ETI dans le cadre de l’UEI ? Avez-vous identifié des freins réglementaires ou fiscaux, qui limitent la transformation de l’épargne longue en capital public et si oui, que recommandez-vous pour les lever dans une logique d’harmonisation européenne ? L’UEI suppose un approfondissement des marchés uniques des capitaux. Quel regard porte l’AMF sur l’équilibre entre protection des épargnants et simplification des règles d’accès au financement pour les entreprises dans un contexte de concurrence entre places financières européennes et d’incertitude géopolitique sur les marchés financiers ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. L’orientation de l’épargne est l’un des grands enjeux de l’UEI. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet, né sous le nom d’union des marchés de capitaux, a été rebaptisé Union pour l’épargne et l’investissement. Nous avons organisé très récemment un colloque de notre conseil scientifique sur ce thème en présence d’Enrico Letta et de Christian Noyer.

Il n’est pas si facile de mieux orienter l’épargne. Sachant que c’est l’investisseur qui choisit, il faut créer les conditions pour qu’il ait suffisamment envie et confiance pour investir à plus long terme. On le sait, il faut transformer une partie de l’épargne à très court terme en épargne à plus long terme et plus investie notamment dans les fonds propres des entreprises pour répondre à l’un des besoins de financement qui ont été identifiés.

Pour y parvenir, il faut actionner plusieurs leviers. Je pense d’abord au label Finance Europe, dont la création, par sept pays menés par l’Espagne et désireux d’agir sans devoir attendre une modification de la législation européenne, a été annoncée récemment à Paris. Ces pays se sont engagés à favoriser des produits qui seraient investis à 70 % dans les entreprises européennes et à les faire bénéficier d’un traitement fiscal favorable. Ce sont souvent des produits existants chez nous – l’épargne salariale, excellent produit d’investissement à long terme, le PEA, etc.

Ensuite, la fiscalité joue évidemment un rôle important dans l’orientation de l’épargne. De même, tout ce qui peut favoriser la confiance des investisseurs – la transparence, des frais justifiés, un conseil de bonne qualité et donné dans l’intérêt de l’investisseur – est bienvenu.

Enfin, j’ajouterais la simplification du parcours de l’investisseur, sur laquelle l’Esma a commencé à travailler. Au cours des dernières années, on a cherché principalement à informer l’investisseur et à s’assurer que ses choix étaient avisés et réfléchis. Il ne faut pas renoncer à cette approche, qui est pertinente, mais il faut sans doute simplifier le parcours de l’investisseur. Celui-ci est aujourd’hui submergé par une documentation très volumineuse, pas toujours d’une grande lisibilité ni d’un grand intérêt, et soumis à d’innombrables questions pour investir dans une action alors qu’il lui faut trente secondes pour investir dans des cryptos sur internet. Je ne dis pas que c’est la solution – pour un investissement à long terme, ce qui n’est pas le cas avec les cryptos, il faut réfléchir –, mais il y a sans doute de la marge pour une simplification. Je ne peux pas vous en dire plus à ce stade car le travail vient de commencer.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Le monde de la finance compte beaucoup d’amis sur les bancs de notre assemblée, mais il a, à coup sûr, un ennemi : les classes populaires et les plus vulnérables. L’AMF le mentionne dans son rapport annuel 2024 : 3,2 % de la population a déjà été victime d’une arnaque à l’investissement, soit trois fois plus qu’en 2021. Ce sont 1,5 million de Français qui ont subi les arnaques, d’un montant de 29 500 euros en moyenne selon le rapport. Au total, 15 % d’entre eux déclarent avoir été victimes de ces arnaques.

Ma question est simple : que fait l’Autorité des marchés financiers ? Certaines de vos déclarations sur le sujet s’apparentent à des incantations : il faut engager un dialogue ferme et constructif pour que les plateformes soient plus vigilantes, dites-vous. Mais je vous avoue notre scepticisme sur l’efficacité d’un tel dialogue, sur ce sujet comme sur d’autres, avec des grandes entreprises et des multinationales. Plusieurs ministres s’y sont essayés et les résultats ont rarement été au rendez-vous.

Vous êtes le gendarme des marchés financiers ; vous avez le pouvoir de contrôler, de sanctionner ; vous avez le devoir de protéger les plus faibles. Alors que les arnaques et les fraudes explosent, en 2024, seules vingt-quatre enquêtes ont été menées à leur terme par l’AMF et seules douze sanctions ont été prises pour un montant de 26,5 millions d’euros, contre cinquante enquêtes et 100 millions d’euros de sanctions en 2022. Vous dites que le nombre de fraudes a été multiplié par trois, mais celui des enquêtes a été divisé par deux et celui des sanctions par quatre. Comment l’expliquez-vous et comment y remédier ? L’Autorité des marchés financiers manque-t-elle de moyens ? De quels outils juridiques a-t-elle éventuellement besoin ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. L’explosion des arnaques financières est une préoccupation majeure pour nous, mais nous ne sommes pas à même de sanctionner les escroqueries. Il appartient à la justice, et dans un certain nombre de cas à la DGCCRF, de le faire.

Nous pouvons sanctionner les acteurs financiers régulés qui ne respectent pas leurs obligations ou les engagements qu’ils prennent – mauvaise application de la réglementation, abus de marché. Mais ce n’est pas le cas pour les arnaques classiques – usurpation d’identité ou site frauduleux. Lorsque nous identifions des sites frauduleux, nous demandons à la justice leur fermeture – nous l’avons obtenue pour plusieurs centaines de sites au cours des dernières années simplement. Mais soyons francs, c’est un peu le tonneau des Danaïdes : lorsque la justice décide de fermer un site – elle est très diligente dans ce domaine –, celui-ci rouvre sous un autre nom.

Pour agir plus efficacement dans ce domaine, il faudrait une meilleure coopération des hébergeurs et des plateformes internet sur lesquels se trouvent ces sites. Nous n’avons pas affaire à des acteurs faciles et nous sommes dépourvus de pouvoir direct à leur égard. Ce ne sont pas des petites sociétés de gestion sur lesquelles nos pouvoirs de sanction et de coercition sont forts. L’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a commencé à engager un dialogue avec les plateformes cette année. Un courrier leur a été adressé pour les inviter à une réunion, qui s’est tenue à Dublin il y a quelques mois, pour essayer d’obtenir une meilleure coopération de leur part pour faire fermer les sites frauduleux, qui représentent l’arnaque la plus commune.

Les 3,2 % que vous mentionnez correspondent à des gens qui ont vraiment été victimes d’arnaques – ils ont envoyé de l’argent quelque part et n’ont plus de nouvelles du prestataire, donc de très faibles chances de récupérer leur argent – tandis que les 15 % renvoient au sentiment d’escroquerie.

Une meilleure coopération des plateformes est indispensable – plusieurs accords ont déjà été signés avec Google. L’Esma a désormais pris le relais de l’OICV dans cette tâche.

Pourquoi le nombre d’enquêtes a-t-il diminué en 2024 ? Je laisserai le secrétaire général répondre puisque c’est à lui que la loi confie le pouvoir d’ouvrir des enquêtes. Mais la première cause tient à ce que, depuis quelques années, les enquêtes sont de plus en plus complexes et nécessitent beaucoup de coopération internationale. La lutte contre les réseaux d’initiés est devenue pour nous une priorité, je l’ai dit, mais elle donne lieu à des enquêtes longues, au cours desquelles il faut solliciter nos homologues étrangers pour identifier les auteurs et les modalités d’action.

M. Sébastien Raspiller. Vous faites référence à l’année 2022, qui est un point haut, sans doute lié à un rattrapage post-covid. Pendant la crise sanitaire, les dossiers qui avaient été repérés par nos services ne pouvaient pas être formellement ouverts puisque certains moyens d’enquête n’étaient pas disponibles, tels que les visites domiciliaires, du fait des restrictions. À l’inverse, 2024 est un point bas. En 2025, j’ai déjà ouvert davantage d’enquêtes que l’année précédente. La tendance sur deux à trois ans est à une stabilité, si ce n’est mieux.

La durée des enquêtes est de deux à trois ans en moyenne. Nous sommes sélectifs dans les enquêtes, car, pour répondre à votre question, nous avons besoin de moyens humains, c’est-à-dire de temps d’enquêteur. À cet égard, il est à noter qu’une part plus importante du temps d’enquêteur est consacré à des dossiers qui sont in fine traités par le parquet national financier, donc n’apparaissent pas dans nos statistiques. Ainsi l’essentiel des dossiers de réseau d’initiés sont-ils transférés à un moment au PNF, qui nous demande de poursuivre certaines investigations ou certains actes.

Enfin, il est devenu exceptionnel qu’un dossier d’enquête ne requiert pas au moins un acte de coopération internationale. En la matière, nous disposons avec le multilateral memorandum of understanding de l’OICV, qui regroupe plus de 130 pays, d’un instrument très puissant. Toutefois, le délai pour obtenir une réponse peut parfois aller jusqu’à six mois après de multiples relances. L’activité de coopération internationale augmente et occupe davantage les enquêteurs.

L’année dernière, l’Autorité européenne des marchés financiers a publié pour la première fois un rapport comparant les sanctions au sein des vingt-sept pays de l’Union européenne. La France occupe la première place en matière de niveau cumulé de sanctions infligées, assez loin devant le deuxième. Le rapport sur l’année 2024 n’a pas encore été publié, mais le résultat sera identique. Le chiffre que vous avez cité représente un point haut : il doit inclure la sanction contre la société H2O, que le Conseil d'État vient de confirmer.

De plus en plus de décisions de l’AMF font l’objet de recours, ce qui retarde le prononcé de la sanction définitive. Cette activité, qui correspond à un droit incontestable des justiciables, occupe l’Autorité, laquelle doit produire des éléments pour ces procédures.

M. Nicolas Ray (DR). Je tiens à saluer à mon tour l’action de l’AMF, dont le rôle est central dans la régulation du marché financier français. Les missions de l’Autorité ont été élargies depuis sa création il y a vingt ans.

La vulnérabilité des marchés dans le contexte actuel d’incertitude politique et géopolitique renforce le besoin d’une autorité indépendante : comptez-vous modifier ou renforcer la régulation et, si oui, dans quelle mesure ?

Il y a quelques mois, le président de la République a annoncé qu’une partie de l’épargne des Français serait orientée vers les industries de défense. Nous avons écarté l’idée d’un livret réglementé, mais subsiste le projet d’un fonds d’investissement BPIFrance Défense. Or ce produit n’est toujours pas commercialisé, puisque l’AMF n’a pas délivré son agrément. Le délai est assez long : où en est-on ? Ne faudrait-il pas accélérer la délivrance de cet agrément, quitte à lever certaines prudences de la procédure ?

Le développement des cryptomonnaies est très rapide : la régulation actuelle est-elle suffisante ? Pour limiter les risques liés aux cryptomonnaies, préconisez-vous des modifications des législations européenne et nationale ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Les marchés financiers ont été confrontés à de nombreuses incertitudes provenant de l’économie réelle, notamment l’annonce par les États-Unis d’imposition de droits de douane considérables. La volatilité des marchés a fortement augmenté – les volumes de transactions ont doublé par rapport au précédent pic d’activité –, mais ils ont tenu. Il n’y a pas eu d’incident ni de rupture dans le fonctionnement des marchés ; ces derniers ont réagi normalement à des décisions suscitant l’inquiétude. Dès que ces décisions ont été suspendues, la volatilité a cessé et les transactions sont revenues à un niveau normal – la forte baisse des cours enregistrée au début du mois d’avril a été en partie effacée. Nous surveillons la situation en permanence.

La résilience technique des opérateurs et des infrastructures de marché s’est révélée élevée, grâce, probablement, au renforcement opportun de la réglementation après la crise financière. Les infrastructures sont désormais capables de faire face à des pics de volatilité importants. Dans ce contexte, il est essentiel que les régulateurs de marché continuent de surveiller étroitement les acteurs, afin que les investissements nécessaires à la résilience ne cessent pas. Ceux-ci doivent porter sur les aspects techniques – les circuits informatiques doivent fonctionner efficacement –, mais également sur les capacités à répondre à de forts appels de marge – situation que l’on rencontre souvent en cas de forte volatilité et qui exige une grande solidité de la part des acteurs financiers. Le renforcement de la réglementation et la surveillance continue des régulateurs de marché jouent un grand rôle en la matière. Nous tentons de limiter les vulnérabilités structurelles de la finance non bancaire, afin que les marchés soient résilients face aux nouveaux développements de la finance privée.

Nous regardons de très près le sujet du financement de l’industrie de défense. Lors de la réunion tenue à Bercy il y a quelques semaines sur la base industrielle et technologique de défense (BITD), j’ai annoncé que l’AMF avait élaboré une procédure accélérée d’agrément des fonds intervenant dans le domaine de la défense. Nous avons agréé quatre fonds de ce type et nous attendons le dossier de BPIFrance : nous appliquerons cette procédure accélérée dès qu’il aura été déposé. Nous n’allons pas accorder l’agrément à n’importe quelle structure afin de protéger les investisseurs, mais je ne doute pas que BPIFrance nous présentera un bon dossier.

Quelques améliorations de la régulation des cryptomonnaies sont souhaitables, mais le règlement Mica constitue la régulation des cryptoactifs la plus avancée du monde.

Mme Eva Sas (EcoS). Comme le rapporteur général l’a rappelé, la collecte de la taxe sur les transactions financières (TTF) a été confiée à un acteur privé, Euroclear France. Cette délégation, qui se comprenait à l’époque, fait aujourd’hui l’objet de vives critiques de la Cour des comptes et de plusieurs ONG comme Oxfam, ONE ou Global Citizen. Elles ont dénoncé les graves failles du système de recouvrement actuel, entaché de conflits d’intérêts et d’une totale opacité, rendus possibles par l’insuffisance du contrôle des autorités publiques. Environ un quart des transactions potentiellement taxables échapperaient à la TTF. Ce mode de recouvrement profite à Euroclear France, qui percevait 4,2 millions d’intérêts par an grâce au décalage entre la collecte de la taxe et son reversement à l’État. Les écologistes soutiennent le transfert de la collecte de la TTF à la direction générale des finances publiques (DGFIP), laquelle pourra s’appuyer sur les registres de reporting direct des transactions détenus par l’AMF. Nous souhaitons également rétablir l’affectation du produit de la TTF à la solidarité internationale, à travers l’Agence française de développement (AFD), et ainsi revenir sur la décision malheureuse du gouvernement, inscrite dans la loi de finances pour 2025.

Si la sortie progressive des énergies fossiles est indispensable pour respecter l’accord de Paris, force est de constater que ces actifs continuent d’attirer des investissements massifs, notamment par le biais de produits financiers présentés comme durables. L’AMF a mis en lumière, dans ses synthèses publiées en juin 2023 et juin 2024, de nombreuses lacunes dans les pratiques de finance durable, notamment à travers les contrôles spot portant sur le respect des engagements extra-financiers des sociétés de gestion. Face à l’urgence climatique, des mesures de contrôle rigoureuses et des sanctions dissuasives sont nécessaires : comment l’AMF entend-elle intensifier sa lutte contre l’écoblanchiment ? Envisagez-vous de suivre l’exemple de vos homologues américains ou allemands, qui ont déjà pris des sanctions se chiffrant en millions d’euros pour punir des pratiques trompeuses en matière de finance durable ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Sur la TTF, je me permets de renvoyer aux réponses apportées par le secrétaire général. L’AMF n’est pas compétente pour le contrôle d’Euroclear France. Les données dont nous disposons sont lacunaires et ne permettraient pas à l’administration fiscale d’effectuer le recouvrement. Seul le dépositaire central possède tous les éléments nécessaires.

L’AMF est très mobilisée sur la finance durable, puisque celle-ci est l’une de ses six grandes priorités stratégiques. L’Autorité conduit une action résolue de lutte contre l’écoblanchiment. Cette pratique peut donner lieu à des sanctions. L’AMF a déjà conclu une composition administrative, transaction qui s’apparente à une sanction : nous avions constaté que les pratiques d’une société de gestion en matière de respect des engagements pris vis-à-vis des investisseurs sur la durabilité des actifs vendus n’étaient pas conformes et ne garantissaient pas le caractère durable des actifs.

Nous effectuons de nombreux contrôles dans ce domaine. Au moment de l’agrément des produits, nous examinons de manière très approfondie les processus internes de la société afin de vérifier si celle-ci peut s’assurer de la durabilité des actifs sélectionnés. Nous tentons également d’obtenir une modification de la réglementation européenne, car le règlement actuel, portant sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR), n’est pas totalement adapté. La Commission européenne a annoncé qu’elle allait le réviser : il prévoit des niveaux de transparence différents selon le niveau de durabilité affiché, mais il a davantage été utilisé pour caractériser les fonds. L’AMF a publié des préconisations, transmises à la Commission européenne. L’objectif est de parvenir à dresser des catégories beaucoup plus claires afin d’offrir plus de transparence aux investisseurs.

Nous avons effectué l’année dernière un contrôle spot sur le recueil des préférences de durabilité des investisseurs. Nous ne nous attendions pas à d’excellents résultats, car la réglementation de l’Esma venait d’entrer en vigueur : le degré de préparation des acteurs, notamment des conseillers sur le terrain, ne pouvait pas être optimal, mais nous voulions envoyer un signal. En effet, les contrôles spot permettent de connaître les pratiques de marché, mais ils ne débouchent pas sur des sanctions. Lorsque le secrétaire général déclenchera des contrôles pouvant donner lieu à des sanctions, nous pourrons comparer les résultats avec ceux relevés lors du contrôle spot : si aucun progrès n’est enregistré, nous n’excluons pas de sanctionner.

Les engagements extra-financiers concernent les entreprises financières et les sociétés cotées. Ils sont régis par la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), transposée en France. La situation est quelque peu particulière, car la directive commence à s’appliquer au moment où est lancé le processus de sa révision. Nous sommes particulièrement inquiets de l’inégalité de traitement à l’intérieur de l’UE, parce que sept pays, dont l’Allemagne, n’ont pas transposé cette norme. Nous enclenchons les premiers contrôles des déclarations de performance extra-financière (DPEF), mais cette procédure n’est pas ouverte dans certains pays, dont certains sont importants. Voilà pourquoi nous nous sommes opposés, sans succès, à l’adoption par l’Esma de standards techniques sur les moyens du contrôle.

Nos premiers contrôles des rapports de durabilité suscitent des dialogues assez musclés avec certains émetteurs. Cette partie non publique de l’action de l’AMF est presque la plus importante. Nous nous sommes fixé comme objectif de revoir 20 % de ces acteurs cette année. L’examen des DPEF est l’occasion d’envoyer des signaux en pointant les aspects positifs et négatifs. Nous attendons enfin de connaître les contours de la directive omnibus.

M. Emmanuel Mandon (Dem). La présentation du rapport annuel de l’AMF devant la commission des finances est une bonne occasion pour saluer l’action de l’Autorité et faire le point sur l’évolution de ses missions.

Chacun d’entre nous est concerné par l’éducation financière, mais sans doute convient-il d’accorder une attention particulière à certains publics vulnérables, notamment les jeunes, qui forment la cible privilégiée des arnaques financières dans le contexte d’innovation numérique et de développement de l’intelligence artificielle. Vous l’avez rappelé, les études montrent que les femmes économisent plus mais investissent moins que les hommes. De nombreux épargnants placent leur argent dans des produits peu rémunérateurs et ne servent ainsi pas au mieux leurs intérêts. Ce sujet me semble d’autant plus central que la France est un pays d’épargnants : je n’entrerai pas dans le débat de savoir si les Français thésaurisent ou épargnent, mais l’abondance d’épargne est un atout à condition de la mobiliser sur les marchés.

La réorientation de l’épargne des ménages vers les placements longs reste un défi important pour le financement des entreprises et de la transition écologique. Pour ce faire, la stabilité juridique et fiscale est nécessaire tout comme la prise de conscience par les épargnants de leur rôle d’agents économiques et le soutien de la finance durable pour orienter l’épargne vers des fonds responsables et labellisés ainsi que vers des produits financiers bénéficiant d’un régime fiscal incitatif.

La confiance des citoyens dans les opérateurs et le marché est primordiale. Le rôle de régulateur de l’AMF est, à ce titre, déterminant. Comment développer la culture financière ? Comment l’AMF peut-elle contribuer à atteindre cet objectif stratégique ?

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Nous avons eu l’occasion d’aborder le sujet de l’allocation de l’épargne à travers le projet européen d’union de l’épargne et des investissements. Les premières initiatives, non législatives, ont abouti à l’engagement, pris par sept pays dont la France, de favoriser les produits d’épargne répondant aux objectifs de financement de long terme des entreprises.

La question de l’éducation financière est centrale : les épargnants doivent prendre conscience que la question du rendement de leur épargne est importante. Il ne suffit pas d’avoir une épargne de précaution placée sur un compte bancaire ou dans un produit à court terme rapportant peu d’argent, il faut, de manière raisonnée bien entendu, diversifier les placements de son épargne. Toute l’épargne ne doit pas être bloquée dans des produits à long terme car on peut avoir besoin de liquidités pour faire face à certains besoins, mais il n’en reste pas moins que la réorientation d’une partie de l’épargne européenne et française vers des produits de long terme finançant les entreprises est primordiale. Ce sont les investisseurs qui décideront, donc la confiance sera essentielle. Dans cette optique, les régulateurs de marché doivent pleinement s’assurer que les acteurs financiers sont totalement loyaux envers les épargnants. La nature des produits et le montant des frais doivent être transparents. En outre, il faut que le conseil soit de qualité pour bien accompagner nos concitoyens dans leurs projets d’épargne.

Nous avons demandé à l’OCDE de réaliser une grande étude, financée par la Commission européenne, pour mieux comprendre les nouveaux investisseurs, à savoir ce public de 1,2 million de Français qui a commencé à investir après la crise du covid et qui est constitué de gens plus jeunes que les investisseurs traditionnels. Ils s’informent davantage sur les réseaux sociaux, auprès d’influenceurs, etc. Nous avons modifié en conséquence notre stratégie de communication, afin de nous adresser à eux grâce à des codes des jeux vidéo – je vous engage à regarder notre campagne « Les mystères d’Investipolis », que nous avons publiée sur TikTok et Instagram.

Nous ne négligeons pas pour autant les autres publics vulnérables : avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, nous examinons, au sein du pôle commun, le traitement par les acteurs financiers des personnes vulnérables, notamment nos concitoyens les plus âgés. Nous vérifions que le conseil et les produits financiers sont adaptés à ce public.

L’abondance de l’épargne constitue bien entendu un atout. Sans nous lancer dans des évaluations macroéconomiques du niveau optimal de l’épargne et de l’investissement, nous savons que l’épargne, très abondante en Europe, est trop placée dans des produits à court terme, lesquels ne permettent ni aux épargnants ni aux acteurs financiers de se projeter dans des investissements de long terme. Il faut donc réorienter une partie du flux d’épargne vers des produits de plus long terme : là se trouve tout l’enjeu des labels et des travaux conduits à Bruxelles sur l’amélioration de l’allocation de l’épargne. Les sept pays qui se sont réunis au sein du label « Finance Europe » se sont engagés à accorder le meilleur traitement fiscal aux produits d’épargne longue investis dans les entreprises européennes.

Toutes les composantes de l’écosystème doivent fonctionner ensemble. L’éducation financière constitue la meilleure prévention contre les arnaques et l’aide la plus efficace à la bonne utilisation de l’épargne : l’intérêt de l’épargnant rejoint ici celui de l’économie. Cette éducation doit commencer dès le plus jeune âge : la Banque de France est l’opérateur national de la stratégie d’éducation financière. L’AMF y contribue, à travers un partenariat avec l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP). Dans les propositions législatives que nous formulerons, nous reviendrons peut-être sur la question du financement de cet acteur très important de l’éducation financière, lequel travaille étroitement avec le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Tous les acteurs, dont l’AMF, doivent adapter en permanence la stratégie d’éducation financière aux évolutions de la vie quotidienne de nos concitoyens : par exemple, les jeunes accordent davantage d’importance aux avis des influenceurs qu’à ceux des conseillers financiers classiques.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Nous entendons des plaidoyers de plus en plus enthousiastes pour l’union des marchés de capitaux, qui n’est rien d’autre que le transfert intégral à l’Union européenne de la réglementation financière. Une telle évolution se traduirait par la suppression des règles édictées par les États membres. Les avantages ne cessent d’être mis en lumière, mais une telle union ne présenterait-elle pas également des risques ? Avons-nous bien mesuré celui de la contagion d’une crise bancaire ? Il ne serait pas opportun qu’un État membre ayant édicté des règles financières plus strictes et plus protectrices de l’épargne doive les abandonner.

Vous avez évoqué incidemment dans votre propos liminaire la question de la titrisation. Cet instrument est à l’origine de très nombreuses crises, notamment celle du système bancaire en 2007 et 2008. On met désormais en avant l’existence d’une titrisation simple, transparente et standardisée (STS) ; pourtant, le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) a déclaré, comme l’avait fait Paul Krugman, que, même avec le STS, la titrisation restait un véhicule de contagion potentielle. Quel est votre avis sur la question ?

Les réserves mondiales en euros ne dépassent pas celles des anciennes monnaies nationales cumulées, même après la baisse récente des réserves en dollars. Même si cette question ne se situe pas au cœur de vos attributions, je me demandais si une experte comme vous pouvait expliquer cette absence de succès.

Mme Marie-Anne Barbat-Layani. Cela fait assez longtemps que l’essentiel des règles est édicté à l’échelle européenne. Il me semble qu’environ 80 % des textes que nous appliquons sont d’origine européenne. Une part très importante de l’activité de l’Autorité consiste à travailler au sein de l’Esma sur les sujets relatifs aux directives concernant les marchés d’instruments financiers de niveau 2 et 3 : ce n’était pas le cas au moment de la création de l’AMF il y a vingt ans ni même il y a dix ans. L’Autorité interagit également avec la Commission européenne pour apporter son expertise et s’assurer que les textes européens protègent les investisseurs et les marchés. La réglementation, avant même toute union des marchés de capitaux, est déjà très largement européenne. Elle est d’ailleurs plutôt bonne : le règlement Mica, par exemple, fait de l’UE un espace précurseur en matière de cryptoactifs, même si la France avait pris les devants.

La supervision des marchés de capitaux est moins avancée. L’union pour l’épargne et l’investissement, anciennement nommée « union des marchés de capitaux », a d’ailleurs pour projet d’avancer dans ce domaine. Après la crise bancaire, l’UE a créé le système européen de supervision financière (SESF), situé à Francfort et adossé à la BCE, mais celui-ci ne couvre que les banques : il coordonne tous les superviseurs nationaux et donne des délégations. En matière de supervision des marchés et de l’industrie de la gestion, très peu de pouvoirs sont confiés à l’autorité européenne. Cela constitue un problème, parce qu’il n’y a pas de supervision consolidée de certains acteurs transfrontaliers. Bien sûr, il existe des collèges de superviseurs : ainsi, sept superviseurs se réunissent fréquemment pour coordonner la supervision d’Euronext, mais l’absence d’un pouvoir de décision, que seul le superviseur européen pourrait détenir, est un problème. En effet, la dilution des responsabilités et l’absence de supervision sur base consolidée des grandes infrastructures de marché et des grands acteurs de gestion d’actifs – contrairement à ce qui existe en matière bancaire – sont des faiblesses. J’appelle donc de mes vœux le renforcement considérable du rôle du superviseur européen dans les marchés de capitaux, sur le modèle du secteur bancaire. Cela nécessiterait une véritable révolution de la culture de l’Esma, car l’Autorité agit beaucoup dans le domaine de la réglementation et très peu dans celui de la supervision. Elle devra donc apprendre un nouveau rôle, tâche pour laquelle les régulateurs nationaux comme l’AMF pourront apporter leur concours.

Le système actuel n’est pas optimal en matière de prévention des risques chez les grands acteurs et il ne l’est pas plus dans la protection des investisseurs. En effet, des produits agréés peuvent bénéficier du passeport européen alors que les pratiques d’agrément divergent entre les superviseurs. Le service de recueil des plaintes des épargnants de l’AMF, qui est un capteur très important des problèmes de marché, consacre une part disproportionnée de son activité au traitement de plaintes liées à des acteurs ou des produits ayant obtenu leur licence ou leur agrément dans un autre pays de l’UE.

La communauté des régulateurs des marchés européens surveille la titrisation. L’Esma a publié un rapport sur la relance de l’union des marchés de capitaux dans lequel elle indique que l’UE n’autorisera pas les titrisations de même nature que celles ayant créé les problèmes qui ont mené à la crise financière – ces instruments n’ont plus cours même aux États-Unis. Ce ne sont d’ailleurs pas les titrisations européennes qui sont à l’origine de la grande crise financière de 2008. En revanche, certains éléments de la réglementation européenne ont bloqué le développement de ce marché, lequel est important pour améliorer le financement de l’économie et développer les marchés de capitaux. Nous serons attentifs à la qualité des sous-jacents. En Europe, la politique d’octroi de crédits aux PME et aux particuliers est beaucoup plus saine que celle conduite aux États-Unis avant la crise financière. Même si la réglementation européenne est allégée sur certains aspects où elle est allée trop loin, elle restera très protectrice. Nous soutenons le projet d’union pour l’épargne et l’investissement.

Sur les résultats de l’euro, le gouverneur de la Banque de France est plus compétent que moi, mais je tiens à dire que la monnaie unique nous a protégés contre les tempêtes sur les marchés financiers et contre les crises nées de décisions politiques : au Royaume-Uni, Mme Liz Truss, alors première ministre, avait présenté un projet de budget perçu comme non viable, qu’elle a dû retirer au bout de trois ou quatre jours. L’euro nous protège et nous donne une marge de manœuvre pour prendre des décisions. Le projet d’union pour l’épargne et l’investissement est le complément de l’euro pour mettre la puissance des marchés de capitaux au service de l’économie européenne, comme l’a fait l’euro en matière monétaire.

M. le président Éric Coquerel. Merci madame la présidente.

 

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 25 juin 2025 à 9 heures

Présents. - M. Jean-Pierre Bataille, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. David Guiraud, M. Pierre Henriet, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Thierry Liger, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Yaël Ménaché, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Éric Woerth

Excusés. - M. Charles Alloncle, M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M.Damien Maudet, Mme Marianne Maximi, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, M. Charles Rodwell, M. Emmanuel Tjibaou

Assistaient également à la réunion. - Mme Dieynaba Diop, M. Emmanuel Mandon