Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 Examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête concernant l’organisation des élections en France (n° 490) (M. Emmanuel Duplessy, rapporteur)                            2

 Examen de la proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol (n° 360) (Mme Sarah Legrain, rapporteure)                            6

 Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (n° 550) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure)                            31

 

 

 


Mercredi
20 novembre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 18

session ordinaire de 2024 - 2025

Présidence
de Mme Agnès Firmin Le Bodo, viceprésidente


  1 

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de Mme Agnès Firmin Le Bodo, vice-présidente.

La Commission examine la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête concernant l’organisation des élections en France (n° 490) (M. Emmanuel Duplessy, rapporteur).

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Mes chers collègues, nous examinons la recevabilité de la proposition de résolution de M. Antoine Léaument et de plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France, déposée le 25 octobre 2024 et pour laquelle la présidente du groupe LFI-NFP a décidé de faire usage de son droit de tirage.

En application de l’article 140, alinéa 2, du règlement de l’Assemblée, la commission se prononce uniquement sur la recevabilité de la proposition de résolution et non sur son opportunité. Par ailleurs, notre décision s’imposera puisqu’il n’est pas prévu d’examen en séance. Nous avons désigné M. Emmanuel Duplessy rapporteur sur la recevabilité.

M. Emmanuel Duplessy, rapporteur. Nous sommes donc réunis pour examiner la recevabilité de cette proposition de résolution. Comme le prévoit l’article 141 de notre règlement, si nous la déclarons recevable, la conférence des présidents prendra simplement acte de la création de la commission d’enquête ; il n’y aura pas d’examen en séance publique.

Les trois conditions de recevabilité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont définies par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Pour être recevable, la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête doit d’abord « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ».

Ensuite, elle doit définir un champ d’investigations qui n’interfère pas avec celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés dans les douze derniers mois.

Selon le dernier critère de recevabilité, elle ne doit pas contrevenir à l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête portant sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires.

À mon sens, la présente proposition de résolution remplit l’ensemble de ces critères et peut donc être considérée comme recevable.

Le premier critère de recevabilité est pleinement satisfait. L’article unique détaille des dysfonctionnements intervenus lors de certaines élections. La commission d’enquête pourra ainsi examiner des faits précis, qu’il s’agisse de problèmes d’inscription sur les listes électorales ou de difficultés d’ordre matériel intervenues lors de certains scrutins ou campagnes électorales. À cet égard, l’exposé des motifs fournit des exemples précis, qu’il s’agisse des difficultés rencontrées lors de la distribution des plis électoraux pendant les élections départementales et régionales de 2021 ou du manque de panneaux d’affichage de la propagande électorale dans certaines communes lors des élections européennes et législatives de 2024.

De même, le second critère de recevabilité – l’absence de travaux conduits sur un sujet identique dans les douze derniers mois – est rempli.

Quant au dernier critère, l’absence d’empiétement sur des actions judiciaires en cours, il est également satisfait, comme l’a confirmé le garde des sceaux dans un courrier du 15 novembre dernier.

La proposition de résolution étant selon moi conforme aux exigences de recevabilité, je propose donc que notre commission la déclare recevable.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Monique Griseti (RN). Le groupe Rassemblement national ne relève pas de motif d’irrecevabilité. L’objet de cette commission d’enquête est précisément défini, puisque cinq missions lui sont attribuées, relatives aux inscriptions sur les listes électorales, à la propagande électorale, aux dysfonctionnements dans les bureaux de vote et systèmes de vote électronique, et aux sondages électoraux. Ces différents points ne font pas l’objet de procédures judiciaires en cours. En conséquence, la recevabilité de cette proposition de résolution ne présente pas de difficultés.

La création de cette commission d’enquête est également opportune sur le fond. Le taux de participation des inscrits aux élections législatives a nettement augmenté en 2024 par rapport à 2022, mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg : plus d’un tiers des inscrits ne se sont pas présentés dans les isoloirs. L’exposé des motifs souligne ainsi, à raison, que le taux de participation est affecté par divers facteurs qui entachent l’élan démocratique de notre pays. Il paraît nécessaire de mieux les identifier pour mieux les contrer. L’éloignement géographique ne doit pas être un motif de refus d’aller aux urnes. L’administration ne doit pas être un frein à l’exercice du droit de vote, mais au contraire l’accompagner.

Il est également indispensable de travailler sur la transparence et l’accès à l’information, en prenant en considération le travail de l’ensemble des acteurs, publics ou privés. Il convient de s’interroger sur la nécessité d’une meilleure information des électeurs, sur la facilitation des démarches d’inscription sur les listes électorales et sur les cas de radiation ou tout simplement de non-inscription.

Je tiens à appeler l’attention de la future commission d’enquête sur deux points. Le premier est l’accessibilité des bureaux de vote : il serait normal qu’ils ouvrent et ferment à la même heure dans la même circonscription, et que cette accessibilité ne devienne pas un outil de manipulation électorale. À Marseille, nous subissons une véritable désorganisation avec, en 2021, la fermeture pure et simple de plusieurs bureaux de vote, parfois toute la matinée, faute de personnel. Les citoyens doivent pouvoir se fier à la démocratie et se sentir tous traités de la même manière dans l’exercice de leur droit de vote.

Par ailleurs, s’agissant du contrôle du matériel électoral, il est parfaitement anormal que l’ensemble des bulletins ne soient pas disposés dès l’ouverture des bureaux de vote, que certains manquent ou que d’autres disparaissent entre leur livraison et l’ouverture des bureaux. Cela est insupportable pour notre démocratie. De telles pratiques, erreurs et manipulations de suffrages sont lourdes de conséquences et suscitent la défiance des Français. J’espère que ces sujets seront traités avec une attention particulière.

Je regrette enfin que le sujet du financement des campagnes électorales soit laissé de côté alors qu’il s’agit d’un enjeu crucial dans le processus démocratique, tant sous l’angle de la transparence que de l’indépendance vis-à-vis d’intérêts extérieurs. Il faut permettre davantage d’équité entre les partis, certains rencontrant des difficultés à se financer sur le territoire. La feuille de route de cette commission d’enquête gagnerait ainsi à être complétée par un bilan sur les difficultés en matière de financement des campagnes et les solutions à y apporter ; à cet égard, le projet de la banque de la démocratie, un temps évoqué, a malheureusement été laissé de côté depuis 2017.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Les membres du groupe EPR ne voient pas d’inconvénients à voter pour cette proposition de résolution. Au préalable, ils souhaitent saluer l’ensemble de nos collectivités, en particulier les mairies, ainsi que les élus, agents municipaux, agents publics et bénévoles – on les oublie trop souvent – qui permettent l’organisation et la bonne tenue de ces scrutins.

J’aurai deux remarques.

Sur le fond, si je ne doute pas que votre intention soit d’améliorer les choses, certains points gagneraient à être évoqués : l’accès au financement des campagnes ; la formation des mandataires financiers et l’accès à un expert-comptable pour l’établissement des comptes de campagne ; le contrôle des moyens susceptibles d’être utilisés par des collectivités, des entreprises ou des associations pour appuyer des candidatures ; ou surtout la dégradation volontaire et systémique de l’affichage officiel, véritable fléau démocratique, notamment pour les candidats qui ont le moins de moyens.

Je rappelle que, depuis la loi de du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique, il est formellement interdit pour une personne morale, à l’exception des partis ou groupements politiques, de financer la campagne électorale d’un candidat, de lui concéder des dons sous quelque forme que ce soit ou de lui fournir des biens, services ou autres avantages directs ou indirects.

Par ailleurs, du point de vue de la temporalité, il serait souhaitable que la commission d’enquête ne s’achève pas avant la fin de l’étude, par le Conseil constitutionnel, des recours en cours sur quatre-vingt-une circonscriptions, des dossiers et des comptes de campagne. Il est en effet fréquent que le Conseil constitutionnel ou la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques émettent des recommandations et propositions d’améliorations à l’issue de leurs travaux, sous forme de dispositions à caractère législatif ou réglementaire. Nous gagnerions à en débattre.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je prends bonne note des éléments déjà évoqués. Le premier axe de travail de cette commission d’enquête concernera la tenue effective des élections – les bureaux de vote ; le fonctionnement du vote électronique, notamment pour les Français de l’étranger ; la durée pendant laquelle sont ouverts ces bureaux ; le regroupement anarchique de certains bureaux.

Elle vise aussi à étudier l’inscription sur les listes électorales, qui est un impensé de notre système : 2,9 millions de personnes, n’étant pas inscrites, sont privées de la possibilité de participer aux élections ; les mal-inscrits – les personnes qui ne sont pas inscrites au bon endroit – rencontrent des difficultés pour se rendre aux urnes. Ainsi, pour un étudiant disposant de très faibles revenus, le coût du déplacement pour se rendre aux urnes dans la ville où il est inscrit peut s’avérer trop élevé : s’il n’a pas pris ses dispositions à temps pour faire une procuration, il ne pourra pas voter. Il s’agit d’un problème démocratique, car les mal-inscrits sont souvent les personnes les moins dotées financièrement et les plus jeunes, ce qui n’est pas sans effet sur les résultats électoraux.

J’ai bien noté vos suggestions sur le financement des campagnes électorales. Nous avons toutefois souhaité limiter le champ de notre commission d’enquête aux éléments que j’ai cités ainsi qu’à la question des sondages. En six mois, cela représente déjà beaucoup de travail. Restons concentrés sur ces sujets afin que nos travaux soient pertinents et utiles à la représentation nationale, et que nous puissions le cas échéant faire des propositions d’ici aux prochaines élections, quelles qu’elles soient.

Dans la majeure partie des pays, l’inscription sur les listes électorales est automatique, la France et les États-Unis faisant figure d’exception – deux pays qui connaissent beaucoup d’abstention, ce que les chercheurs, notamment Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, expliquent en grande partie par la mal-inscription.

Bien qu’opposés à la Constitution de la Ve République, nous acceptons certains de ses articles, comme le troisième, selon lequel la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Encore faut-il que le système électoral fonctionne de manière correcte, pour que les représentants correspondent aux attentes du peuple français.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe socialiste est bien sûr favorable à cette demande de création de commission d’enquête. L’organisation des élections est le fait des communes et de leurs élus et, pour les petites communes, les choses sont souvent compliquées. Alors que se tient le congrès des maires, je souhaite rendre hommage à tous les élus bénévoles pour leur engagement : sans eux, les élections, quelles qu’elles soient, ne pourraient pas avoir lieu en France. J’ajoute que la question des sondages me paraît également essentielle.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous soutiendrons la création de cette commission d’enquête.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Le groupe Horizons et indépendants ne s’opposera pas non plus à la création de cette commission d’enquête.

M. Emmanuel Duplessy, rapporteur. Je me joins aux remerciements faits aux services municipaux pour l’organisation des différents scrutins, ainsi qu’aux citoyens bénévoles, qui contribuent largement à la tenue des bureaux de vote. L’information selon laquelle chaque citoyen peut participer à l’organisation des scrutins est d’ailleurs trop peu connue, alors qu’il s’agit d’une bonne manière de voir comment fonctionne concrètement la démocratie dans nos territoires. Ce sont les citoyens qui, au moment du dépouillement, garantissent le bon fonctionnement des élections : leur engagement bénévole est déterminant.

Je reviens sur la question des angles de travail : son objet une fois déterminé – en l’occurrence il est large, et bien défini – la commission sera libre de son organisation et pourra tirer plus ou moins les fils de chaque sujet. Je pense en particulier à la question de la dégradation des panneaux électoraux, susceptible d’être rattachée à celle de leur accessibilité. Si vous avez des problématiques particulières à faire valoir, je vous invite donc à rejoindre cette commission et à y participer activement.

La commission déclare recevable la proposition de résolution.

 

*

*     *

Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol (n° 360) (Mme Sarah Legrain, rapporteure).

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous examinons la proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des infractions d’agression sexuelle et de viol, inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée le 28 novembre prochain par le groupe LFI-NFP dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire. Cette proposition de loi a été déposée le 15 octobre 2024 par Mme Legrain, notre rapporteure, et plusieurs de ses collègues.

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Merci de m’accueillir au sein de votre commission pour discuter de ce texte qui vise à intégrer la notion de consentement dans la définition pénale des agressions sexuelles et du viol.

La notion de consentement se retrouve fréquemment à la une des journaux. Elle est au cœur des débats qui animent notre société depuis la vague MeToo qui, depuis déjà sept ans, n’en finit pas de déferler. La levée du huis clos du procès des viols de Mazan, comme dans le procès d’Aix-en-Provence, rendu public par Gisèle Halimi en 1978, jette une lumière crue sur le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles et sur ce qu’endurent leurs victimes, parfois jusque dans les tribunaux.

Sans préjuger des conclusions de la justice, sans m’attarder sur l’accumulation inédite d’éléments matériels dans cette affaire, je relève un étonnement de l’opinion publique, mise face à la procédure judiciaire. Le consentement est partout – dans les questions des magistrats et des avocats, dans les paroles des mis en cause – mais il ne figure pas dans la loi. Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Dès lors, qui peut se prévaloir du consentement et le définir ? Qui peut le présumer ? Ne serait-ce pas mieux, plus clair, plus sûr, de l’inscrire et de le définir ? Dans un récent sondage, 81 % des Français et Françaises tranchent la question, en se disant favorables à l’inscription de cette notion dans la loi.

Ma proposition de loi a été déposée bien avant ce procès puisqu’elle date du mois de février dernier, au moment où l’Union européenne renonçait à fixer une définition commune du viol dans la directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. L’objectif était d’harmoniser le droit sur ce sujet dans les vingt-sept États membres.

Si l’Europe a renoncé à cette définition, c’est parce que la France, main dans la main avec la Hongrie, a fait blocage sur la notion de consentement. Malgré les nombreuses voix qui se sont fait entendre pour avancer sur ce sujet, malgré la position commune d’un grand nombre d’ONG européennes et d’associations françaises, malgré les tribunes des députés européens membres de la majorité présidentielle et des députées européennes rapporteures de la directive, rien n’y a fait : les négociations ont été bloquées sur ce point, alors même que la France a ratifié la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dans laquelle figure la notion de consentement.

L’ancien garde des sceaux ayant expliqué que le problème venait de notre propre définition législative de ce crime, il m’a semblé fondamental que le législateur se saisisse de ce sujet. Si nous disposions déjà, au Sénat, d’une proposition de loi de la sénatrice Mélanie Vogel, aucun texte n’existait à l’Assemblée nationale : j’ai donc déposé le mien. Depuis, il y a eu une dissolution et un changement de gouvernement et le nouveau garde des sceaux, Didier Migaud, s’est, lui, prononcé en faveur de l’inscription du consentement dans la définition pénale du viol.

Depuis le début de l’année, le débat n’a fait qu’enfler. Le groupe La France insoumise a donc choisi de l’inscrire dans sa niche parlementaire. Je précise que ma démarche n’a pas vocation à effacer les travaux transpartisans menés par Véronique Riotton et Marie‑Charlotte Garin, depuis décembre 2023, au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – dont je suis vice-présidente. Ce texte sera au contraire l’occasion d’entamer la discussion parlementaire sur ce sujet, de poser pour la première fois la question à l’Assemblée nationale.

Après presque un an de travaux transpartisans, il n’y a toujours pas de texte. Il est légitime de chercher la meilleure écriture possible et je ne mets aucunement en doute la volonté de mes collègues d’aboutir à la rédaction d’une proposition de loi, mais je m’interroge sur la capacité du gouvernement à durer suffisamment longtemps pour en voir le dépôt. Qui sera le garde des sceaux en 2025 ? Quelle garantie avons-nous sur la mise à l’ordre du jour de ce sujet et sur le contenu exact du texte proposé ? Face à ces incertitudes, il est de la responsabilité du Parlement de se saisir de l’occasion donnée par le ministre pour ouvrir le débat sur le sujet.

Je précise d’ailleurs qu’il ne s’agit que d’une première proposition de rédaction, qui n’a pas la prétention d’être parfaite. Grâce aux dix-huit auditions que j’ai menées – avec quarante-neuf personnes entendues en un peu moins de dix jours – je suis aujourd’hui en mesure de vous proposer une meilleure formulation et je reste ouverte à toute proposition d’amélioration, notamment de la part de Véronique Riotton et de Marie-Charlotte Garin, dont l’expertise sera précieuse. La navette parlementaire est un long chemin et le texte peut évoluer, mais ne nous privons pas d’une occasion d’envoyer un message clair à la société.

Quelques précisions donc sur cette rédaction.

J’avais conçu ce texte en reprenant les termes utilisés en droit international, notamment par la convention d’Istanbul. Plusieurs juristes et magistrats auditionnés ont toutefois attiré mon attention sur le fait que certains de ces termes n’étaient pas classiquement employés en droit pénal français et pourraient prêter à confusion. Trois points en particulier me semblent devoir être corrigés ; ils feront l’objet de deux amendements de rédaction globale.

Premièrement, l’organisation des deux articles me semble pouvoir gagner en clarté et en précision. J’ai donc réorganisé les éléments en trois alinéas. Le premier définit la qualification pénale du viol ou de l’agression sexuelle en lien avec la notion de consentement. Le deuxième précise les principales caractéristiques du consentement. Le troisième exclut les cas où il ne peut y avoir de consentement en reprenant clairement les quatre éléments de la définition actuelle – violence, contrainte, menace, surprise. Cela permet de sécuriser ces quatre éléments, que d’aucuns trouvaient fragilisés par la rédaction initiale.

Deuxièmement, ma rédaction écrasait le renvoi aux dispositions spécifiques aux mineurs, ce qui n’était pas mon intention et doit, bien évidemment, être rectifié.

Troisièmement, je proposerai une clarification de la phrase portant sur l’expression du consentement et les circonstances environnantes. Cette phrase reprenait directement les termes de la convention d’Istanbul, mais comporte des ambigüités. Elle doit donc être reformulée, en conservant toutefois la précision selon laquelle l’appréciation du consentement doit toujours se faire au regard des circonstances environnantes.

J’espère que ces précisions rédactionnelles vous rassureront quant aux éventuels écueils de ma proposition initiale. J’en viens aux intentions qui la guident.

Le premier objectif est bien sûr de clarifier la définition pénale des agressions sexuelles et du viol en sortant le consentement de l’implicite. Puisqu’il est omniprésent sans être inscrit dans la loi, nous devons l’expliciter en le définissant. Cela n’aurait rien d’une révolution : la notion de consentement existe déjà dans le code pénal, ce qui rassurera peut‑être certains d’entre vous. Plusieurs infractions sont déjà caractérisées par l’absence de consentement, comme les atteintes à la vie privée. Dès lors, il n’y a pas de raison de renoncer à le faire pour les infractions d’agression sexuelle et de viol.

Inscrire la notion de consentement dans la loi n’aurait, par ailleurs, rien de surprenant : elle est omniprésente en pratique, dans le traitement des affaires de violences sexistes et sexuelles et dans la jurisprudence. Sans vouloir citer toutes nos auditions, je prendrai deux exemples. Ainsi, M. Frédéric Macé, président de l’Association française des magistrats instructeurs, a été catégorique : on trouve le consentement dans tous les interrogatoires menés par les juges d’instruction, et aucune ordonnance de non-lieu ou de renvoi ne se passe de cette notion. M. Éric Tuffery, procureur général près la cour d’appel de Pau et représentant de la Conférence nationale des procureurs généraux, nous a dit aussi que même si le consentement n’était inscrit nulle part dans le code pénal, il était au cœur du travail de l’enquêteur, du magistrat du siège et du magistrat du parquet. Tous les magistrats auditionnés trouvent une certaine logique à l’inscription du consentement dans le code pénal.

Bien des juristes, magistrats, avocats ou membres d’associations féministes que j’ai auditionnés estiment, en revanche, qu’inscrire la notion de consentement sans la définir serait inefficace et potentiellement dangereux. Notre objectif doit être de mieux protéger, de garantir un traitement plus stable, plus homogène et plus sécurisant et de couvrir tous les cas possibles de viol et d’agression sexuelle.

Le deuxième objectif donc, qui n’est pas des moindres, est d’améliorer le traitement judiciaire des violences sexuelles. Il faut que l’inscription du consentement dans la loi pallie les insuffisances et les imprécisions des quatre critères actuellement retenus. Cela permettra également de s’attaquer aux biais sexistes qui peuvent perdurer.

Il faut achever d’envoyer aux oubliettes le vieux stéréotype selon lequel le violeur est un inconnu dans une rue sombre, parfois armé, qui doit faire usage de la violence physique pour parvenir à violer. Ce stéréotype s’accompagne d’un autre, celui de la bonne victime – celle qui a pu dire non, résister, se débattre et au sujet de laquelle l’auteur des faits ne peut pas pointer un comportement, sur le moment ou antérieurement, dont on pourrait induire un quelconque consentement.

Il faut prendre acte de l’évolution des connaissances en matière de violences sexuelles. Ces dernières provoquent des effets tels que la sidération, la dissociation et l’amnésie traumatique. Elles sont commises par des proches. Sur les 217 000 femmes victimes de viol, tentative de viol ou agression par an, 50 % – voire neuf victimes sur dix dans certaines études –connaissaient leur agresseur – très souvent le conjoint ou l’ex-conjoint. Il est difficile de disposer de chiffres précis et vérifiés, mais toutes les personnes auditionnées s’accordent sur le caractère massif de ce contentieux et des classements sans suite, en général au motif que l’infraction est insuffisamment caractérisée. Des juristes, avocats, magistrats et membres d’associations telle que Choisir la cause des femmes, fondée par Gisèle Halimi, ou l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail) mettent en avant des cas dans lesquels l’arrêt des investigations semble lié à l’impossibilité de prouver qu’un des quatre critères est en jeu, alors que l’absence de consentement et la conscience de celle-ci chez l’auteur des faits auraient pu faire l’objet d’investigations, voire être démontrées.

Cette proposition de loi améliorera le traitement des violences en définissant clairement le consentement et en précisant que le caractère libre et éclairé de celui-ci s’apprécie au regard des circonstances, c’est-à-dire de tout ce qui peut entraver le consentement ou son expression. Ce texte permettra de s’assurer qu’aucun cas dans lequel une personne n’est pas consentante ne peut échapper à la justice. En l’état du droit, en effet, si l’absence de consentement est prouvée mais que la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ne l’est pas, on ne peut pas condamner une personne pour agression ou pour viol.

La proposition de loi clarifiera aussi le fait que les investigations doivent conduire à interroger le mis en cause sur ce qu’il a fait pour s’assurer du consentement de la victime. Au lieu de demander à celle-ci ce qu’elle a fait pour que l’auteur croie qu’elle était consentante, interrogeons-le sur ce qu’il a fait, lui, pour s’assurer qu’elle l’était.

Cela m’amène au troisième objectif, d’ordre plus symbolique. Sortir de l’implicite, c’est aussi en finir avec une sorte de présomption de consentement. Le moment est venu d’envoyer un signal clair à la société pour dire que le cœur de la notion d’agression sexuelle et de viol est le consentement. La loi doit permettre de comprendre que nos corps, singulièrement nos corps de femmes, ne sont pas à la libre disposition d’autrui et qu’il faut s’enquérir du consentement de son ou de sa partenaire. Il est temps de ne plus présumer le consentement en l’absence des quatre critères actuels, de ne plus invoquer des zones grises – le couple, les soirées alcoolisées, les expériences de jeunesse – dans des cas où, en réalité, il s’agit précisément de non-consentement et donc d’agression sexuelle ou de viol.

Nous honorerons ainsi nos engagements internationaux, notamment la convention d’Istanbul. Le rapport du Grevio (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) a pointé le fait que la France n’avait pas jugé bon de changer la définition inscrite dans sa législation. Par ailleurs, notre pays pourrait être prochainement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme à la suite de huit requêtes de victimes qui considèrent que le droit international n’a pas été respecté au cours des procédures judiciaires les concernant. Quand on se targue de faire de la diplomatie féministe, on devrait se montrer exemplaire !

S’agissant des violences sexuelles, la France paraît encore à la traîne. Prendre en compte le consentement est une façon d’envoyer un signal positif. À quelques jours du 25 novembre, journée internationale de la lutte contre les violences faites aux femmes, affirmons que la France doit passer de la culture du viol à celle du consentement. Cela impliquera beaucoup d’autres choses, car le débat de ce matin ne doit pas occulter les autres mesures nécessaires pour réduire les agressions sexuelles et mieux les prendre en charge : renforcer les moyens donnés à la police judiciaire et à la justice pour les investigations, les formations et la prise en charge des victimes, et, du côté de la prévention, assurer l’éducation à la sexualité, en respectant la loi du 4 juillet 2001.

Défendre ce texte ne revient pas à occulter tous ces combats – vous savez que j’y participe – ni à prétendre que tout sera différent du jour au lendemain. Cette proposition de loi n’est pas une baguette magique, mais elle peut servir d’étincelle qui éclaire le chemin vers un changement de société auquel nous devons aspirer.

Mme la présidente Agnès Firmin Le Bodo. Nous en venons aux orateurs des groupes.

Mme Sophie Blanc (RN). La proposition de loi de La France insoumise visant à intégrer la notion de consentement dans la définition légale du viol soulève des questions fondamentales sur la manière dont notre société entend lutter contre les violences sexuelles. Cependant, loin de constituer un progrès, elle risque d’être contre-productive, voire d’introduire des dérives dangereuses dans notre droit pénal.

En centrant la définition du viol sur la notion de consentement, la proposition de loi modifie radicalement la focale de l’enquête judiciaire. Pouvoir qualifier un acte d’agression sexuelle ou de viol même en l’absence de violence, de menace, de contrainte ou de surprise signifie que l’absence d’une adhésion pleine et antérieure à l’acte sexuel suffirait à établir l’infraction. En pratique, cela ferait de tout partenaire un potentiel délinquant sexuel exposé à de lourdes peines.

Une telle redéfinition, loin de simplifier les procédures judiciaires, poserait des problèmes de preuve quasi insolubles. Faudrait-il systématiquement documenter le consentement par des preuves explicites – notes audio ou vidéo, déclaration écrite préalable ? Même ainsi, l’accusé pourrait toujours être sommé de démontrer que le consentement était maintenu tout au long de l’acte, ce qui ouvrirait la voie à une insécurité juridique sans précédent. La réforme proposée déplace dangereusement l’attention du comportement criminel de l’agresseur vers la victime. Chaque geste, mot ou silence de sa part serait analysé pour déterminer si elle a réellement consenti, ce qui instaurerait un climat de suspicion. Porter plainte ouvrirait ainsi un parcours d’obstacles psychologiques et juridiques insurmontable.

La France dispose déjà d’un cadre législatif qui fait partie des plus sévères en Europe pour les violences sexuelles. Les crimes de viol sont punis de quinze ans de réclusion criminelle, peine susceptible d’être alourdie jusqu’à la perpétuité par le jeu de nombreuses circonstances aggravantes. Ce cadre est centré sur les actes de l’agresseur et non sur ceux de la victime. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé récemment que le consentement ne pouvait être déduit d’un état de sidération ou d’une incapacité à réagir.

L’expérience des pays ayant introduit la notion de consentement explicite dans leur législation est édifiante. En Espagne, la loi Sólo sí es sí, supposée renforcer la lutte contre les violences sexuelles, a permis à des condamnés de voir leur peine réduite ou annulée en raison de lacunes juridiques. En Suède, l’augmentation des condamnations pour viol s’explique surtout par une extension de la définition légale des agressions et non par l’intégration de la notion de consentement. Le viol est un acte de prédation, pas un malentendu. La justice pénale doit rester centrée sur la responsabilité de l’agresseur.

La proposition de loi de La France insoumise paraît davantage relever de l’idéologie, comme les auditions l’ont confirmé, que de la recherche de solutions efficaces pour protéger les victimes. Le Rassemblement national, qui vise ce dernier objectif, propose de réécrire le texte. Nos deux amendements visent ainsi à clarifier la définition de l’agression sexuelle et du viol en intégrant la jurisprudence, qui admet que ces infractions sont constituées lorsque l’acte sexuel est commis sur une personne hors d’état de donner son consentement. Cette précision est essentielle pour couvrir les situations dans lesquelles la victime se trouve inconsciente, sous l’effet de l’alcool, de la drogue ou de médicaments, ou encore en état de sidération.

Nous devons rester fermes sur un principe fondamental : le seul responsable du viol, c’est le violeur. Rejetons cette proposition de loi, en l’état juridiquement et opérationnellement bancale, qui engorgerait à coup sûr les tribunaux sans assurer une meilleure protection des personnes victimes d’agression sexuelle ou de viol.

Mme Véronique Riotton (EPR). La délégation aux droits des femmes travaille depuis le mois de décembre 2023 sur la définition pénale du viol, dans le cadre d’une mission d’information que je conduis avec Marie-Charlotte Garin. Nous avons œuvré avec beaucoup d’humilité sur ce sujet délicat. J’ai en revanche relevé, madame la rapporteure, une profusion de « je » dans votre présentation et un ton totalement dépourvu d’humilité.

Nous nous sommes demandé au départ s’il fallait ou non intégrer la notion de consentement dans la définition pénale, mais sans nous arrêter à cette seule notion : notre mission d’information porte sur l’ensemble des éléments constituant la définition pénale du viol. Les statistiques sont éloquentes. Sur la période 2011-2018, selon le ministère de l’intérieur, le nombre moyen de victimes de violences sexuelles parmi les 18-75 ans est de 230 000 par an. Dans trois cas sur quatre, elles ne portent pas plainte dans un commissariat et près de 70 % des plaintes déposées font l’objet d’un classement sans suite. Pour le dire simplement, la justice ne s’occupe aujourd’hui que du sommet de l’iceberg. De plus, les cas de vulnérabilité, d’emprise et de sidération sont mal pris en compte – je ne développerai pas – et ne permettent pas d’engager des poursuites. Cette situation nourrit un sentiment d’impunité, et les victimes se sentent légitimement abandonnées.

Deuxième constat, le droit actuel échoue à assurer ses trois fonctions, répressive, protectrice et expressive, tandis que nous devons nous mettre en conformité avec nos engagements internationaux, notamment la convention d’Istanbul. Tout cela nous amène à penser que nous devons effectivement modifier le droit pénal. La rédaction à retenir fait néanmoins débat et nous nous attachons à écouter les besoins de chacun, magistrats, avocats ou associations de victimes. Il faut éviter de remettre en cause les quatre éléments retenus actuellement, d’inverser la charge de la preuve ou de fragiliser les victimes, tout en veillant à respecter la présomption d’innocence.

Des collectifs d’experts et des associations féministes travaillent sur le sujet : les consultations ne sont pas terminées. Cette proposition de loi est donc perçue par l’ensemble des acteurs comme témoignant d’un mépris pour leur travail collectif, qu’elle met en péril pour des fins individuelles et de communication. Tous ces « je » que nous avons tous entendus dans votre propos liminaire sont contraires au travail transpartisan que nous menons avec responsabilité et rigueur, comme l’impose une telle question. Le groupe EPR ne pourra pas voter ce texte en l’état.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Consentement et non-consentement ont toujours été au cœur du débat public, politique et juridique, concernant les violences sexuelles. Lors des débats parlementaires qui ont conduit à la loi du 23 décembre 1980, la députée Florence d’Harcourt, qui avait elle-même déposé une proposition de loi en la matière, estimait que « l’essentiel dans le crime de viol réside moins dans la réalité de l’acte sexuel que dans le viol du consentement de la victime ».

En février 2020, l’association NousToutes a mené auprès de 100 000 personnes, dont 96 600 femmes, une enquête sur le consentement dans les rapports sexuels : neuf femmes sur dix ont déclaré avoir fait l’expérience d’une pression en vue d’un rapport sexuel ; pour une femme sur six, l’entrée dans la sexualité s’est faite par un rapport non consenti ni désiré ; 64 % ont déjà demandé à arrêter un rapport sexuel en cours et pour 38 % d’entre elles le rapport s’est néanmoins poursuivi ; deux femmes sur trois ont déclaré avoir fait l’expérience d’actes sexuels non consentis, avec ou sans pénétration. Les réponses ont également montré que les femmes qui commencent leur vie sexuelle par un rapport non désiré ni consenti sont bien plus souvent confrontées à des violences sexuelles par la suite.

Récurrente dans le débat public, la question du consentement est également centrale en matière juridique. L’incrimination de viol fait du défaut de consentement le pivot de l’infraction. Cette problématique est omniprésente tout au long de la procédure, de l’enquête au procès en passant par l’instruction. Pourtant la notion est elle-même absente de la définition pénale. L’article 222-23 du code pénal dispose ainsi que « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Faute de rapporter la preuve de la violence, contrainte, menace ou surprise, le viol n’est donc pas constitué. Or, comme le montrent les avis de classement sans suite et la jurisprudence de la Cour de cassation, ces quatre éléments ne couvrent pas toute la palette du non-consentement sexuel. En l’absence de définition légale, la Cour s’interdit d’harmoniser la jurisprudence des différentes juridictions, d’où une disparité dans la justice rendue, ce qui est incompatible avec nos principes républicains.

Il y a environ 80 000 crimes et délits à caractère sexuel, commis hors du cadre familial, enregistrés par an en France. Mais seule une victime sur douze porte plainte, les deux tiers des plaintes sont classés sans suite et l’on dénombre autour de 1 500 condamnations. Pour nombre d’associations et de professionnels du droit, l’impact de la définition du viol sur le traitement judiciaire n’est pas étranger à ce hiatus. Pour que le consentement devienne la norme, il faut que son absence soit consacrée comme un élément constitutif des infractions sexuelles.

Cela ne conduira à aucun renversement de la charge de la preuve : il appartiendra toujours à l’instruction et à l’accusation de présenter les charges qui font que selon elles la personne mise en cause ne s’est pas assurée du consentement, l’a obtenu dans un contexte où il ne peut être tenu pour valable ou a fait usage de violence, menace, contrainte ou surprise. On assistera, en revanche, à un déplacement du centre de gravité de l’enquête, qui s’intéressera primordialement à la personne mise en cause pour déterminer si, et comment, elle s’est assurée du consentement. Nous mettrons aussi la France en conformité avec ses engagements internationaux, notamment ceux de la convention d’Istanbul, et avec les recommandations du comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.

Enfin, cette proposition de loi s’inscrit, selon nous, dans un ensemble de mesures nécessaires pour apporter une réponse globale et cohérente aux violences sexuelles. Des associations et des organisations syndicales de juristes et de défenseurs des droits humains ont élaboré plus de 130 propositions. Je n’en citerai que deux : un investissement annuel de 2,6 milliards d’euros contre ces violences et une action renforcée en matière d’éducation et de prévention, notamment pour rendre effectives les trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle prévues à l’école.

« Le combat des femmes, disait Gisèle Halimi, c’est changer la société, changer la mentalité, changer les rapports. » Cette proposition de loi aspire modestement à y contribuer. C’est pour cette raison que nous l’avons inscrite dans notre niche parlementaire et que nous vous appelons à la voter avec nous.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). C’est un sujet important que nous examinons ce matin. Voilà plusieurs mois qu’un débat anime notre société, et les citoyens et les proches qui nous exhortent à engager une modification de la loi ne manquent pas. Invoquer le fait qu’on n’a pas consenti, pour que soit reconnu le viol qu’on a subi, tombe sous le coup du bon sens. C’est simple et évident, au moins en apparence. Mais même si la tentation est grande de transformer en loi pénale un débat de société, les principes de notre droit, les conséquences ou au contraire l’absence de conséquences d’une telle modification doivent nous conduire à nous interroger.

S’agissant de la méthode, le choix a été fait d’inscrire ce texte dans une niche à un instant particulier du travail parlementaire. Le débat sur le consentement n’est pas nouveau dans cette assemblée : avant la dissolution, la délégation aux droits des femmes, dont je salue la présidente Mme Riotton, avait lancé une mission d’information qui a conduit de nombreuses auditions mais n’a pu finaliser ses travaux. La délégation, reconstituée il y a peu et dont je suis membre, a choisi de relancer sa mission d’information afin de proposer une analyse objective et détachée du débat public. L’accélération du calendrier qu’a déclenchée cette proposition de loi met à mal la démarche de la délégation aux droits des femmes, qui est l’espace légitime pour la préparation d’un texte d’une telle portée.

Sur le fond, malgré le calendrier imposé dans le cadre de votre niche, vous êtes parvenue à conduire de nombreuses auditions. Qu’elles soient favorables ou non à l’introduction de la notion de consentement dans la loi, les personnes entendues ont toutes relevé la complexité de la chose. Elles ont souligné la nécessité de prendre le temps de soupeser chaque mot, tant les conséquences pour les victimes et les auteurs des faits pourraient être sérieuses.

Chers collègues, soyons bien conscients qu’il ne s’agit de rien moins que de l’écriture de la loi pénale. L’affaire n’est pas mince. Bien que le droit civil donne une définition du consentement, son insertion dans notre droit pénal apparaît plus complexe : elle ne pourrait se résumer à une simple transposition.

Madame la rapporteure, vous avez déposé hier deux amendements qui proposent une nouvelle rédaction des articles 222-22 et 222-23 du code pénal. Qu’en pensent les experts, magistrats, avocats et procureurs ? Quel sera leur impact ? D’autant que nous avons quelques interrogations sur la justesse de vos formulations. Des effets de bord qui n’ont pas pu être estimés précisément ont été évoqués lors des auditions, mais le plus flou est probablement l’effet concret qu’aurait une nouvelle rédaction pour les victimes. Je rappelle que seulement 1 % des plaintes pour agression sexuelle ou viol aboutissent à la condamnation de l’auteur des faits : si une réforme du code pénal devait avoir lieu, il nous semble que son principal objectif devrait être une meilleure reconnaissance des victimes – et que sinon, cette évolution n’aurait pas de sens.

Le procès des viols de Mazan a remis au cœur du débat public la notion de consentement et il nous appartient d’apporter une réponse politique à cette question. Ce serait une erreur de considérer que la seule introduction de la notion de consentement dans la loi pénale permettrait de régler l’ensemble des problèmes qui se posent. Seule une loi-cadre ambitieuse, assortie de moyens financiers et humains, serait à même d’atteindre l’objectif qui nous rassemble toutes et tous aujourd’hui, à savoir l’amélioration de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes.

Le groupe Socialistes et apparentés appelle donc à la prudence. Parce qu’il nous paraît plus pertinent de nous appuyer sur des travaux de fond tels que ceux engagés par la délégation aux droits des femmes, nous nous abstiendrons sur ce texte qui en l’état ne nous semble faire l’objet d’un consensus ni au sein des organisations féministes, ni au sein des professionnels de la justice.

Mme Émilie Bonnivard (DR). En matière d’agressions sexuelles ou de viols, l’enquête porte jusqu’à présent sur l’auteur de l’infraction : c’est bien son comportement à lui qui sera jugé. Par ailleurs, la jurisprudence a précisé et très fortement élargi les éléments caractérisant l’agression. La surprise, par exemple, peut être l’effet de traitements médicamenteux, d’un endormissement ou d’une ivresse. La menace, par ailleurs, n’est pas forcément physique : il peut s’agir d’une menace morale d’un supérieur hiérarchique ou d’un chantage affectif.

Votre texte produirait un basculement qui nous inquiète : désormais, l’enquête porterait d’une certaine manière sur la victime et son non-consentement. Vous avez répondu à cela dans votre propos liminaire, mais pas dans le texte. C’est l’auteur des faits qui devrait démontrer qu’il s’est assuré du consentement et nous passerions donc à une présomption de non-consentement. Cela nous ferait entrer dans un champ d’incertitude. Il faudrait que le consentement soit exprimé explicitement, préalablement et autrement que de manière orale – ce qui ouvre la question des modalités de son expression. Votre texte nous paraît donc très risqué, plus que la jurisprudence actuelle.

Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Partout dans notre pays, peu importe l’âge, le lieu ou la classe sociale, les femmes sont violées. Partout dans notre pays, l’impunité et la culture du viol dominent. Mais, depuis MeToo, quelque chose a changé : la force des voix rassemblées qui ont hurlé « moi aussi » – moi aussi j’ai été harcelée, moi aussi j’ai été agressée, moi aussi j’ai été violée – a bouleversé notre société. Et pourtant rien n’a changé, ou si peu, dans notre droit.

Alors que nous enseignons à la génération qui vient que céder n’est pas consentir, que le corps des femmes leur appartient, qu’elles peuvent dire non, qu’elles ne doivent pas subir, réaffirmer dans la loi que la frontière entre le viol et un acte sexuel est le consentement bouleversera le patriarcat et reprendra l’arme dans la main des agresseurs qui, dans tous les tribunaux de notre pays, ont détourné la notion de consentement. Il est dès lors nécessaire de le définir clairement, en reprenant le meilleur de la jurisprudence pour couvrir les cas qui échappent à la définition actuelle.

Néanmoins, nous le disons avec humilité, introduire dans la définition pénale du viol la notion de consentement n’est qu’une pierre retirée du mur de l’impunité dans notre société. Il faudra, bien entendu, mener une réforme d’ampleur. Nous attendons toujours une réelle mise en œuvre de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles : les beaux discours sur la grande cause du quinquennat ne peuvent nous faire oublier l’absence de moyens dédiés à la question de la protection des femmes dans notre pays.

Il reste dans cette assemblée, et c’est heureux, une dernière citadelle du travail transpartisan : la délégation aux droits des femmes. Nous y avons lancé fin 2023, avec la présidente Véronique Riotton, une mission d’information sur la notion de consentement et la définition du viol dans le code pénal. Le travail de plusieurs mois que nous avons mené, et la centaine de personnes que nous avons auditionnées – magistrats, avocats, membres des forces de l’ordre et d’associations, victimes – nous ont convaincues de la nécessité de changer la loi, toutefois avec prudence.

Bien qu’il ait le mérite d’ouvrir un débat fondamental, le texte qui nous est présenté n’est pas suffisamment abouti pour que nous puissions l’adopter. Nous sommes persuadés qu’une telle réforme ne pourra marquer durablement notre droit que si elle se fait dans un esprit transpartisan. L’adoption prématurée d’un texte, sans dialogue préalable, risquerait d’affaiblir notre projet et de nous priver d’une avancée juridique et sociétale majeure. Le groupe Écologiste salue l’intention qui a inspiré la proposition de loi, mais ne peut la soutenir en l’état. Nous appelons à poursuivre le travail engagé par la délégation aux droits des femmes et à mener une réforme ambitieuse et concertée, qui tienne compte des réalités vécues par les victimes tout en respectant nos principes fondamentaux.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Alors que le procès de Mazan se poursuit, nous partageons tous le constat à l’origine de cette proposition de loi : alors que moins de 1 % des plaintes pour violences sexuelles aboutissent à une condamnation, il est impératif de repenser notre approche. Les chiffres sont là et malgré une augmentation du nombre de plaintes, le taux de condamnation reste désespérément bas.

Avant toute éventuelle modification des dispositions du code pénal, la première des réponses à apporter est la sensibilisation, qui constitue un levier d’action important dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, grande cause du premier quinquennat. De nombreux plans d’action ont été mis en œuvre, à l’image du plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche.

L’augmentation des crédits du ministère de la justice concourt aussi à l’amélioration de la réponse pénale apportée aux victimes. La hausse a été de 48 % depuis 2017 et cette trajectoire budgétaire devrait a priori se poursuivre jusqu’en 2027.

La généralisation des cours criminelles départementales permet également depuis 2023, même si certains parmi nous ne l’ont pas soutenue, d’améliorer le traitement des crimes les plus graves. Face à l’engorgement des cours d’assises, le recours à la pratique de la correctionnalisation a augmenté – on requalifie un crime en délit pour accélérer le jugement, devant un tribunal correctionnel. Les affaires de viol sont ainsi régulièrement requalifiées en agressions sexuelles. L’objectif de la création des cours criminelles départementales est précisément d’éviter la correctionnalisation, qui minimise la gravité du viol, en permettant de juger ce crime devant les juridictions adéquates, c’est-à-dire criminelles.

Par ailleurs, une modification aussi importante que l’ajout du consentement dans la définition pénale devrait être effectuée avec prudence, en raison du principe d’interprétation stricte de la loi pénale. En vertu de l’article 111-4 du code pénal, le juge ne peut ni modifier le sens d’une disposition ni en étendre le domaine d’application ; il doit en respecter le sens exact. Toute modification doit donc être soupesée avec sagesse. Puisqu’il n’y a pas de décrets d’application, la loi pénale doit être suffisamment précise pour éviter d’éventuels effets contre‑productifs, voire néfastes. Le cas de l’Espagne en est une parfaite illustration : la loi qui a placé la notion de consentement explicite au cœur de la définition des délits sexuels a eu des effets pervers, parmi lesquels l’abaissement des peines pour certains condamnés et la libération de plusieurs autres.

Si le groupe Les Démocrates partage le constat donc – la nécessité de revoir le cadre pénal pour améliorer la définition des agressions sexuelles –, il considère que la méthode proposée n’est pas adaptée. Dans l’intérêt de toutes les victimes, femmes ou hommes, la réforme doit s’inscrire dans une démarche réfléchie, concertée, partagée, à l’instar du travail transpartisan mené au sein de la délégation aux droits des femmes.

En outre, compte tenu des enjeux juridiques, l’avis du Conseil d’État semble plus que nécessaire. Le choix d’une proposition de loi n’est à cet égard pas satisfaisant. Un projet de loi serait un véhicule législatif plus adapté.

Le groupe Les Démocrates appelle donc à un travail approfondi, rigoureux et transpartisan sur ce sujet crucial, doublé d’une meilleure écriture législative. Il ne votera donc pas la proposition de loi en l’état.

Mme Martine Froger (LIOT). Je salue votre démarche, madame la rapporteure, ainsi que le travail mené par la délégation aux droits des femmes.

Il est grand temps que notre assemblée se saisisse de la définition pénale du viol. On peut considérer qu’une niche n’est pas le lieu idoine mais depuis son opposition à la directive européenne sur les violences faites aux femmes qui devait consacrer la notion de consentement, le gouvernement n’a fait aucune proposition.

Pourtant, qui peut croire ici que notre système pénal défend efficacement les femmes victimes d’agressions sexuelles ? Combien de temps faudra-t-il, combien de victimes laissées de côté, avant que notre parlement ne se décide à légiférer ?

Inévitablement, votre texte suscite des débats. Certains vont jusqu’à alerter contre le piège du consentement. Mais notre droit est pavé de consentements ! Celui-ci est requis constamment : pour contracter, pour utiliser nos données personnelles, pour diffuser notre image. Bref, le consentement est partout, sauf dans la définition des agressions sexuelles. C’est tout de même choquant.

Si notre droit protégeait efficacement les victimes, je n’y trouverais rien à redire, mais ce n’est pas le cas. Le constat est clair : la définition pénale du viol n’est pas favorable aux victimes, comme en témoigne le taux de 94 % de classements sans suite. Certains magistrats évoquent même une présomption de consentement tacite. Certes, cette présomption peut être renversée mais il incombe alors à la victime de prouver l’existence de l’un des quatre éléments constitutifs – violence, contrainte, menace ou surprise. Ce chemin probatoire est long, difficile et injuste.

Votre texte propose d’introduire la notion de consentement volontaire. Si cette nouvelle définition va indéniablement dans le bon sens, elle reste largement perfectible – c’était tout l’objet de vos auditions. Le travail sera long. Il a fallu des années à certains États comme le Canada et la Belgique pour essayer de trouver une définition équilibrée. À mon sens, il faut parler de consentement libre et éclairé pour ôter tout doute.

L’adoption d’une loi-cadre transpartisane permettrait à notre droit d’être vecteur de justice pour les femmes. Bien entendu, ce ne serait qu’un premier pas puisqu’il ne suffira pas à lui seul à aider les femmes à parler, à éviter les classements sans suite et à obtenir une condamnation ferme. Cette première étape doit s’accompagner d’un changement profond des pratiques pour que l’ensemble du système judiciaire soit enfin du côté des victimes.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Madame la rapporteure, je partage votre constat et vos intentions. En revanche, je suis en désaccord sur le chemin.

Aux professionnels du « backlash » et aux réactionnaires, à ceux qui théorisent l’inégalité naturelle entre les hommes et les femmes, je tiens néanmoins à dire que ce désaccord ne nous détournera pas de notre combat commun pour mettre fin aux violences envers les femmes. Il est une illustration du débat qui agite les féministes et qui est loin d’être achevé.

Le viol est la manifestation la plus crue de la domination. Il est une violence, parfois même une torture, une violation du droit à l’intégrité physique et du droit à la dignité. Sa pénalisation, qui est un combat féministe de longue date, porté par des militantes infatigables et déterminées, a constitué une avancée majeure.

Mais tous les chiffres montrent que les condamnations pour viol demeurent rares et que le taux de classement sans suite est très élevé – 94 % selon une étude de l’Institut des politiques publiques. La faible pénalisation du viol en France est une réalité. Nous partageons donc le constat que le traitement judiciaire des violences sexuelles en France est désastreux.

Nous sommes néanmoins plus réservés sur la proposition d’intégrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. D’abord, le consentement est une notion floue juridiquement – elle l’est d’ailleurs également dans la bataille d’idées : pour ma part, je préfère, à l’image de Geneviève Fraisse, parler d’accord ou d’envie plutôt que de consentement.

L’inscription du consentement dans notre droit peut présenter un danger pour les droits des victimes. Dans la proposition de loi, le terme n’est jamais défini et les adjectifs qui le qualifient s’avèrent insuffisants. Le consentement est avant tout une notion de droit civil qui suppose une relation d’égalité entre les particuliers. Or, le viol est une violence fondée sur une relation de domination.

Par ailleurs, dans le code pénal, la définition des infractions est fondée sur le comportement de l’auteur et non pas sur celui de la victime. Le terme de consentement fait de la notion d’accord, de volonté de la victime un élément central de ce qui est alors défini comme un rapport sexuel non consenti et non comme une violence. Dans la caractérisation actuelle, la menace, la surprise, la violence et la contrainte sont des termes qui renvoient à l’idée de viol et de domination ; ce n’est pas le cas du consentement.

Le risque est donc grand de voir l’enquête et la procédure judiciaire se concentrer sur les comportements de la victime. C’est déjà bien trop souvent le cas, ce qui plaide d’ailleurs pour une loi-cadre visant à lutter plus efficacement contre la culture du viol plutôt que pour une modification du texte qui caractérise le viol.

Il y a également un risque de renforcer la stratégie des agresseurs qui prétendent qu’ils se sont assurés d’un consentement. Ils se sont déjà presque approprié le terme ! Pour la philosophe Manon Garcia, « si l’on définit légalement le viol par le non-consentement, on considère que c’est le comportement de la victime qui fait le viol, et non celui du violeur ».

Second argument pour justifier nos réserves, il existe une riche jurisprudence sur le sujet, mais qui doit encore pouvoir évoluer pour être plus efficace contre la culture du viol. Or ce n’est pas en la circonscrivant que l’on permettra aux juges de l’améliorer.

Nous voterons contre ce texte en l’état.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). L’exposé des motifs de cette proposition de loi, écrit en langage inclusif, est particulièrement désagréable à lire. Outre cette déconstruction de notre langue, la France insoumise propose une déconstruction de notre droit à la faveur d’une approche caricaturale visant à modifier les équilibres fondamentaux de notre système juridique.

L’introduction de la notion de consentement donné volontairement aura pour effet de renverser la charge de la preuve, le présumé innocent ayant alors la responsabilité de prouver l’absence de viol ou d’agression sexuelle. Cette disposition instaure une présomption de culpabilité contraire à nos principes fondamentaux, au premier rang desquels la présomption d’innocence. Par ailleurs, le concept même de consentement donné volontairement manque de précision juridique. Faudra-t-il le formaliser, et dans quelles conditions ?

L’effet risque d’être l’inverse de ce qui est recherché : la défense attaquera systématiquement le comportement de la victime, chaque geste ou parole devenant sujet à interprétation. Plutôt que de les protéger, elle pourrait fragiliser celles et ceux que nous voulons défendre.

En outre, le texte fait l’impasse sur les vraies problématiques : un peu moins de 1 % des plaintes aboutissent à une condamnation pénale et les peines prononcées sont en moyenne d’un peu moins de trente mois d’emprisonnement, pour un crime passible de quinze ans de réclusion. Ces chiffres illustrent le laxisme judiciaire que vous refusez d’affronter.

Le groupe UDR votera contre la proposition de loi. Nous soutiendrons toutefois les amendements constructifs du Rassemblement national visant à reprendre les évolutions jurisprudentielles en matière de viol et d’agression sexuelle. Nous devons renforcer notre système sans pour autant sacrifier nos principes ni nos valeurs.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Je prends la parole pour exprimer la position du groupe Horizons et apparentés.

Le traitement judiciaire des affaires de viol et des autres agressions sexuelles est un sujet éminemment difficile et pourtant majeur pour la société. En France, le nombre de victimes de viols ou tentatives de viol en 2023 est estimé autour de 230 000. Le nombre de victimes déclarées aux services de sécurité est bien inférieur. Le nombre de déclarations augmente toutefois chaque année de manière significative, de 13 % par an en moyenne entre 2016 et 2021. Tant la libération de la parole que la mobilisation accrue des pouvoirs publics encouragent les victimes, qui se sentent davantage soutenues par la société dans son ensemble, à s’exprimer.

Des lois structurantes ont aussi amélioré le traitement judiciaire des viols et autres agressions sexuelles, à l’instar de la loi du 3 août 2018 qui a inclus dans la définition du viol l’acte de pénétration sexuelle imposé à la victime par et sur l’auteur.

Le chemin qui reste à faire est néanmoins très long. Les associations, les magistrats, les avocats et le législateur doivent se concerter pour poursuivre le débat engagé autour d’un sujet resté trop longtemps dans l’ombre. Ce débat, dont la société dans son ensemble devra être partie prenante, portera sur les moyens de renforcer la sensibilisation à la notion de consentement et de continuer à accompagner les victimes pour que leur parole soit davantage entendue. Il abordera également le cadre juridique dans lequel la justice doit traiter des violations ultimes de l’intimité des victimes.

Dans ce contexte, il est sain que naisse un débat juridique autour de la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles, que le législateur des années 1990 a orientée autour d’éléments matériels. Les négociations européennes sur la directive sur les violences et le procès de Mazan ont ouvert une fenêtre d’opportunité pour cela. Mais chaque mot à inscrire dans notre code pénal doit être pesé. Les conséquences de toute modification sont majeures, qu’il s’agisse de la sécurité juridique pour les personnes mises en cause et les victimes ou d’un éventuel renversement de la charge de la preuve.

Notre groupe examinera avec attention les conclusions de la mission d’information relative à la définition pénale du viol menée par Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, qui devraient être rendues d’ici à la fin de l’année. L’éventuelle inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi annexée au rapport nous octroiera un temps approprié pour débattre de ces sujets sensibles et complexes.

Le groupe Horizons et indépendants ne votera pas la présente proposition de loi, en raison du manque de temps imparti dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire ainsi que de la rédaction elle-même, dont les auditions ont démontré le manque de précision et la caractère dangereux tant pour la personne mise en cause que pour la victime. Sur un sujet aussi difficile, il me semble nécessaire, et les prises de parole ce matin l’ont montré, de prendre du temps et de privilégier une démarche transpartisane. C’est le meilleur moyen d’avancer – ce que tout le monde souhaite.

Les orateurs des groupes s’étant exprimés, nous en venons aux questions des autres députés.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Je partage le constat, et les objectifs : renforcer la définition du viol par l’introduction de la notion de consentement tout en conservant les quatre critères coercitifs et en respectant les grands principes de droit.

Les différentes interventions ont montré une certaine tension, compréhensible dès lors que vos travaux, madame la rapporteure, viennent percuter la démarche transpartisane de la délégation aux droits des femmes. Je formule le vœu que tous nos travaux, qui nous occuperont un certain temps, contribuent à renforcer la protection des victimes – nous le leur devons – et à construire une société davantage égalitaire – dans laquelle les comportements des hommes évoluent, dans laquelle on fait attention à l’envie et à l’absence d’envie de son partenaire, quelle que soit la nature de la relation.

Je regrette que vous n’ayez pas expliqué la position de la France sur la directive européenne, position de principe selon laquelle l’Union européenne n’a pas à s’occuper de la matière pénale.

Second regret, vous n’avez pas retracé les évolutions de l’exécutif. Au lendemain de la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le président de la République a souhaité que la notion de consentement soit introduite dans la définition du viol. Le Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, s’y est engagé de même que son successeur, Michel Barnier et les gardes des sceaux. Le travail transpartisan de Véronique Riotton et Marie‑Charlotte Garin n’est sans doute pas étranger à ces inflexions de l’exécutif.

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Les interventions ont d’abord montré que le constat et les objectifs sont largement partagés. On ne peut pas se satisfaire du traitement des violences sexuelles en France.

Vous avez aussi été nombreux à souligner qu’il y a bien d’autres combats à mener pour sortir de la culture du viol, notamment en matière d’éducation à la sexualité, de prévention, d’accompagnement des victimes. La délégation aux droits des femmes est un espace précieux pour cela. J’en suis vice-présidente, je participe à ses travaux, j’y ai proposé des textes à vocation transpartisane. Je le répète, il ne s’agit pas de percuter ses réflexions mais de profiter de l’occasion d’une journée de niche pour faire avancer le travail alors qu’un texte commence à se faire attendre.

Je ne conteste pas la nécessité de prendre le temps et de parfaire le travail déjà mené, mais le processus législatif nous en donne l’occasion. Il y a quelque chose d’utopique à attendre un texte totalement consensuel pour l’inscrire à l’ordre du jour puisque ce sont aussi les débats parlementaires, en plus des auditions, qui permettent de l’enrichir et de parvenir à un consensus. L’inscription dans la Constitution de la liberté à recourir à l’IVG, qui fait le bonheur de nombreux groupes, a ainsi nécessité plusieurs textes et plusieurs versions.

Nous avons aujourd’hui l’occasion d’adopter le principe selon lequel l’introduction de la notion de consentement doit s’accompagner d’une définition qui en garantisse la sécurité juridique. Le processus parlementaire a toute sa place en l’espèce et il serait dommage qu’un projet de loi y mette fin, d’autant que d’après les échos que j’en ai, le projet de la Chancellerie pourrait ne pas donner satisfaction : le consentement pourrait être inscrit dans le code pénal sans être défini et en altérant les quatre critères actuels.

Madame Blanc, je suis surprise car votre intervention me semble contradictoire avec l’amendement que vous avez déposé. Celui-ci introduit aussi la notion de consentement dans la définition pénale du viol, même si la manière est différente, alors que vous avez dit que cela constituerait un renversement total du droit. Par ailleurs, et c’est un point de désaccord majeur entre nous, vous semblez vous satisfaire du traitement actuel. Vous affirmez que le viol est sévèrement puni. Or, si la sévérité des peines n’appelle pas de commentaire, le nombre de classements sans suite et de condamnations pose en revanche problème – vous êtes la seule à ne pas l’avoir relevé. Le chiffre de 1 % de viols condamnés, que nombre d’entre vous ont cité avec moins de précaution que moi, est édifiant.

Vous mettez en avant le danger pour la victime de voir son consentement scruté. Mais actuellement, l’absence de définition du consentement mais aussi de directives pour que soient examinées en premier lieu les stratégies de l’agresseur plutôt que le comportement de la victime sont des obstacles au dépôt de plainte et plus généralement au traitement des dossiers.

Vous avez mentionné les exemples espagnols et suédois. Je pourrais évoquer ceux de la Belgique et du Canada. Il faut se méfier des comparaisons. En Espagne, les conséquences malheureuses que vous êtes nombreux à avoir évoquées ne sont pas liées au consentement mais aux peines. En Suède, la création d’une autre infraction faisant intervenir le caractère involontaire est à l’origine des difficultés rencontrées. Il me semble en tout cas insultant à l’égard des très nombreux pays ayant choisi d’inscrire le consentement dans leur droit de penser qu’ils font fi de la présomption d’innocence.

Je regrette que vous n’ayez pas assisté aux auditions. Vous auriez pu entendre certains magistrats dire que le texte correspondait à leur pratique et apportait une clarification bienvenue.

Madame Riotton, l’emploi du « je » peut marquer un manque d’humilité mais c’est également le cas du « nous » parfois. Il ne me semblerait pas correct de prétendre parler au nom de toutes les personnes que j’ai auditionnées. Puisque j’ai voulu que les auditions soient ouvertes à la délégation aux droits des femmes, vous avez pu constater que les retours des magistrats et des juristes étaient tantôt positifs et tantôt négatifs, ce qui m’a conduite d’ailleurs à modifier la rédaction. Je n’utilise pas le « nous » car je ne souhaite pas parler à la place des uns et des autres, mais je redis qu’il n’y a pas de contradiction entre cette proposition de loi et le travail transpartisan de la délégation. La volonté est d’avancer pour acter le principe du consentement. L’esprit transpartisan ne peut pas être réservé aux groupes de travail, il s’exprime aussi dans le travail législatif. Je note que nous nous rejoignons sur les difficultés auxquelles nous sommes confrontées.

Madame Thiébault-Martinez, vous avez mis en garde contre le risque de transposer un débat de société en droit pénal. Or, en matière de violences faites aux femmes, c’est bien la société et le mouvement féministe, parfois avec de grands procès publics, qui ont été les catalyseurs des évolutions législatives.

Il ne s’agit pas de légiférer dans l’urgence. D’ailleurs, tout le monde a reconnu que le consentement fait l’objet d’une réflexion de longue date au sein de l’Assemblée. J’ai recueilli les avis de juristes favorables ou non à l’inscription du consentement, et j’ai tenu compte de leurs remarques.

Nous partageons l’objectif d’une meilleure reconnaissance des victimes – et je réponds là à Mme Faucillon également : le fait d’introduire le consentement, quelles que soient les réserves que le mot peut inspirer, est aussi une manière de remettre la victime au centre de la procédure. Denis Salas estime qu’au-delà de la place limitée que leur accorde le droit pénal, les victimes demandent à être considérées et à être reconnues comme sujets, dans la logique de l’émancipation féministe.

Madame Bonnivard, vous me faites dire des choses que je ne dis pas : à aucun moment, il n’est écrit qu’il appartient à l’auteur de démontrer qu’il s’est assuré du consentement ; il n’y a pas d’inversion de la charge de la preuve, il appartient toujours au ministère public de l’apporter et d’enquêter sur les comportements et l’intentionnalité. Votre inquiétude n’est pas justifiée. Dans les autres cas où le consentement est requis, par exemple en matière d’atteinte à la vie privée, l’auteur n’a pas à apporter de preuve.

Vous relayez des arguments qui ont été largement battus en brèche s’agissant du contrat. Si le consentement peut être retiré à tout moment, c’est bien que tout contrat en amont n’aurait aucune valeur. Le sujet, c’est celui de la communication entre les partenaires. On ne peut pas déduire le consentement de l’absence de résistance ou de l’inertie d’un partenaire. Cela me semble plus intuitif, plus facile à comprendre que l’idée d’un contrat.

Pour répondre à Marie-Charlotte Garin, avec qui je partage nombre de combats, je reprends à mon compte l’image de la citadelle que représente la délégation aux droits des femmes. On sait que les combats féministes se gagnent aussi par la mobilisation de la société, laquelle peut exprimer un sentiment d’urgence à l’égard d’un sujet. Il y a urgence à y répondre, sans pour autant se priver du temps nécessaire pour traiter ledit sujet.

Mesdames les rapporteures de la mission d’information, je vous ai auditionnées et je vous ai soumis mes amendements pour recueillir votre avis. Je conçois que vous vouliez travailler dans un autre cadre, mais vous ne pouvez pas me reprocher une rédaction non aboutie sans m’avoir fait part de vos remarques sur celle qui est proposée.

Madame Lingemann, vous parlez de respecter le travail parlementaire et vous avez raison. Étant un groupe d’opposition, nous n’avons pas des milliers de possibilités pour faire inscrire un texte à l’ordre du jour – nous sommes tous au fait des âpres négociations en cours pour obtenir une fenêtre pendant l’une des fameuses semaines transpartisanes de l’Assemblée : il n’est pas si simple d’y faire inscrire un texte. Parfois, il faut qu’un sujet soit amené par le Parlement. Le ministre nous ouvre la voie en se déclarant favorable, mais il n’y a aucun projet de loi sur la table : il faut donc avancer.

Quant à l’absence d’avis du Conseil d’État, à ce compte, aucun groupe d’opposition ne pourrait jamais faire quelque proposition que ce soit, puisque nous n’avons pas la possibilité de le saisir. D’ailleurs, la discussion à venir sur la proposition de loi de Gabriel Attal remettant en cause l’excuse de minorité – ce qui est tout de même un bouleversement de la justice pénale des mineurs –  n’a pas fait l’objet d’un tel avis. L’argument ne serait-il pas à géométrie variable ? Naturellement, l’avis du Conseil d’État sur un texte ultérieur pourrait être utile, mais il ne saurait être obligatoire.

Madame Froger, nous avons bien des vues en commun. J’ai aimé votre formule selon laquelle notre droit est pavé de consentements. On nous dit beaucoup que le fait que le consentement soit partout sans être défini peut être dangereux. Vous avez déposé un sous‑amendement qui va dans le sens de la loi belge en précisant tous les cas dans lesquels le consentement ne peut être présumé. C’est très intéressant, même s’il faut trouver des formulations globales pour couvrir un maximum de cas sans tomber dans une énumération exhaustive. Je me réjouis en tout cas de ce premier élément transpartisan dans le cadre de notre niche.

Madame Faucillon, je vous ai déjà en partie répondu. La notion de consentement est floue socialement, mais elle l’est moins juridiquement. La question de l’envie, du désir, est fondamentale dans les débats féministes actuels mais il serait très dangereux de vouloir mettre le désir dans le code pénal – personne, je crois, ne le souhaite.

Ce dont nous avons besoin – et c’est une revendication de notre camp, notamment du Collectif féministe contre le viol, dont vous vous inspirez –, c’est une ligne de démarcation claire : la violence et la sexualité, ce n’est pas la même chose. Le viol n’est pas le sexe. C’est la distinction que nous devons enseigner à notre jeunesse : quand il n’y a pas consentement, on est dans la violence, la domination, la prise de possession d’autrui, l’entrave à sa liberté ; on n’est plus dans la sexualité.

Nous l’avons vu lors des auditions, le contentieux devient massif dans le cadre marital – où le consentement était autrefois présumé du fait du contrat de mariage – et dans celui des relations entre jeunes. J’essaie d’éviter de citer des cas, car je sais que c’est douloureux à entendre, mais il arrive que des jeunes gens disent qu’ils ont voulu s’assurer du consentement par une pénétration digitale ! Il est donc nécessaire de dire qu’il faut s’assurer du consentement avant tout acte sexuel. Il s’agit en fait de tracer la limite en matière pénale : là, il s’agit de liberté sexuelle ; là, de crime.

Cela va aussi dans le sens de l’émancipation. Je rappelle qu’au tout début, le viol était une atteinte à l’honneur de celui qui possède la femme : son mari, son père. Au tout début, ce crime était considéré comme une façon de s’en prendre aux hommes par l’intermédiaire des femmes, qui sont leurs objets. Inscrire positivement et nettement le consentement dans la loi, c’est considérer la femme comme sujet, et comme sujet de la volonté.

J’en viens aux stratégies de l’agresseur, et j’espère être claire. L’une d’entre elles consiste en effet à obtenir – à arracher – le consentement de la victime, d’où l’importance de dire qu’il n’y a pas consentement quand il y a eu violence, contrainte, menace, surprise ou tout autre acte qui contrevient au consentement. Une autre stratégie consiste à ne pas s’assurer du consentement, à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’espace pour celui-ci. Il faut se réapproprier cette notion ; la loi ne doit pas laisser les agresseurs définir le consentement – « elle n’a pas résisté, donc elle était consentante ». Mais n’oublions pas que, dans certains cas, le fait d’y aller sans demander est aussi une stratégie. Et, dans ces situations, il ne faut pas que l’on puisse opposer à la victime tout ce qu’elle a fait qui a pu laisser croire qu’elle était consentante. J’ai un certain nombre d’exemples de jugements selon lesquels madame n’était peut-être pas consentante, mais monsieur n’a pas pu le savoir parce qu’il a interprété des signes. Il faut donc que monsieur soit tenu de s’assurer du consentement, de se donner les moyens de savoir. C’est ce que fait le droit canadien en parlant de « prendre des mesures raisonnables » pour le vérifier. C’est dans cette perspective que je me situe.

L’oratrice du groupe UDR a parlé de déconstruction de la langue et du droit. Il se trouve que je connais bien l’écriture inclusive : sachez que Racine employait une langue inclusive et qu’il y a eu un mouvement, à l’ère classique, pour masculiniser la langue. De même qu’il y a toujours eu une place pour le féminin dans la langue, de même le consentement est déjà là, partout, et il s’agit de le clarifier : je ne déconstruis pas plus le droit que la langue.

Madame la présidente, je crois avoir répondu à l’essentiel des propos que vous avez tenus au nom du groupe Horizons. En ce qui concerne le fait de prendre le temps, je répète que la navette parlementaire le permettra. Quant à l’idée que la rédaction du texte serait imprécise et dangereuse, je propose par voie d’amendement une reformulation issue des alertes que l’on m’a adressées et que j’ai soumise à la direction des affaires criminelles et des grâces, laquelle m’a dit qu’elle n’y voyait pas d’inconvénient ni de risque d’insécurité quant aux quatre critères actuels du viol.

Monsieur Gouffier Valente, je suis d’accord avec l’idée que nous allons dans le sens de l’histoire. Vous avez évoqué les évolutions de l’exécutif, mais, encore une fois, combien de temps le gouvernement va-t-il durer, et pour combien de temps encore sommes-nous sous l’actuelle présidence ? Il faut avancer maintenant.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Dans l’examen des articles, je vous informe que des demandes de vote par scrutin ont été déposées pour l’amendement CL12, l’article 1er et l’ensemble de la proposition de loi.

Article 1er (art. 222-22 du code pénal) : Insertion de la notion de consentement dans la définition pénale de l’agression sexuelle

Amendement CL12 de Mme Sarah Legrain et sous-amendement CL19 de Mme Martine Froger ; amendement CL3 de Mme Sophie Blanc (discussion commune)

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Il s’agit de ma fameuse proposition de rédaction globale. Elle résulte des nombreuses auditions que j’ai menées, qui m’ont permis d’identifier plusieurs problèmes de rédaction. Vous le voyez, j’ai joué la carte de l’honnêteté et de l’humilité : ma réflexion évolue et je vous soumets ma proposition de modification.

Aux termes de cet amendement, l’article 1er procéderait selon trois alinéas pour modifier l’article 222-22 du code pénal, car c’est la façon la plus claire de faire selon beaucoup de magistrats et de juristes.

Le premier alinéa ressemble beaucoup à la rédaction actuelle. Il définit l’agression sexuelle et le viol en fonction du défaut de consentement de la personne victime. J’ai choisi de modifier la formule « sans consentement donné volontairement » car ce dernier terme, issu de la convention d’Istanbul, risquait dans notre droit de laisser penser qu’il existerait des consentements involontaires, ce qui aurait eu des implications que je veux éviter. Je propose donc « sans le consentement de la victime ».

Le deuxième alinéa apporte des éléments de précision sur ce qu’est et ce que n’est pas le consentement.

Il doit être libre, ce qui veut dire qu’il est donné sans contrainte, violence, menace ou tout autre moyen de forcer quelqu’un à accepter quelque chose. Au fond, c’est une explicitation du principe auquel se réfèrent les quatre critères actuels.

Il doit être éclairé, c’est-à-dire donné en toute connaissance de cause, sans dissimulation – ce qui peut renvoyer au critère de surprise. D’autres droits mentionnent la ruse – c’est le cas du droit belge – ou le stratagème.

Il est spécifique. Cette expression est peut-être moins connue. Elle signifie que donner son accord à un acte sexuel un jour ne vaut pas pour tous les autres actes, tous les autres jours, et que le consentement doit être présent tout au long de l’acte sexuel. C’est le contraire du contrat. S’il n’y a plus consentement, il faut s’arrêter.

Pour apprécier si le consentement est bien libre, éclairé et spécifique, le juge doit évaluer dans quelles circonstances il a été donné. Beaucoup de personnes auditionnées m’ont dit que c’était ce qui est fait lors des enquêtes. Les circonstances environnantes sont mises en avant par les associations et par la convention d’Istanbul. Le travail du juge permet ainsi de montrer, le cas échéant, qu’il y a eu une exploitation de relations inégalitaires ou de rapports de domination. Il est important de le vérifier et de sécuriser cette démarche en l’explicitant dans la loi.

Le deuxième alinéa comporte enfin deux précisions tout aussi essentielles : le consentement peut être retiré à tout moment – ce qui va avec sa spécificité – et ne peut être déduit de l’absence de résistance de la victime – ce qui permet d’inclure dans le texte l’idée que céder n’est pas consentir, et de sanctuariser la jurisprudence.

À propos du rôle de la jurisprudence, il est plus sécurisant de faire « monter » cette dernière dans le code. Ainsi, on ne sait pas encore si l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 septembre dernier, souvent mentionné à propos de l’état de sidération, sera un arrêt d’espèce ou de principe. Il s’agissait d’un oncle qui avait réveillé sa nièce par des attouchements et des actes sexuels ; la victime était donc d’abord endormie, puis en état de sidération. L’oncle l’a décrite dans des messages comme une « poupée de chiffon ». L’arrêt concernant ce cas précis pourrait donc ne pas couvrir tous les cas de sidération, d’où l’importance d’y veiller dans la loi.

Le troisième alinéa reprend les éléments actuels de la caractérisation matérielle du viol et de l’agression sexuelle : violence, contrainte, menace ou surprise. Précieux pour démontrer le non-consentement, ils sont connus et utilisés par les juges et devaient absolument être mieux sécurisés dans le texte.

Mme Martine Froger (LIOT). Mon sous-amendement complète cette réécriture. Il intègre des précisions sur les cas dans lesquels il ne peut y avoir de consentement en raison de l’abus par l’auteur de certains facteurs de vulnérabilité de la victime. Ces précisions inscrivent clairement dans notre droit pénal les évolutions jurisprudentielles, dont la plus récente, celle du 11 septembre dernier, marque la reconnaissance par la Cour de cassation de l’état de sidération.

Mme Sophie Blanc (RN). Notre amendement de réécriture de l’article repose sur trois principes fondamentaux : la clarté, la justice et la responsabilité.

Notre droit pénal est robuste, mais il doit évoluer pour mieux protéger les victimes. Il s’agit surtout de consacrer une solution déjà admise par la jurisprudence. Nous proposons d’inscrire clairement dans le code pénal que tout acte sexuel commis sur une personne incapable de donner son consentement constitue un viol ou une agression sexuelle.

La réécriture proposée par le groupe LFI ne modifie en rien le fond de la proposition de loi, qui reste centrée sur une incrimination fondée sur la notion de consentement. Bien qu’un peu moins confuse que la version initiale, elle continue ainsi de fragiliser la position des victimes.

Il n’y a aucune contradiction de ma part, madame la rapporteure. L’enquête doit rester centrée sur le comportement de l’agresseur, contrairement à ce que vous proposez. Votre approche introduit un déséquilibre juridique qui pourrait affaiblir la protection des victimes. Notre amendement, lui, est clair, précis et véritablement protecteur. Il clarifie le droit existant en y intégrant des éléments reconnus par la jurisprudence. Il offre une réponse cohérente et adaptée sans compromettre les fondements de notre droit.

Mme Delphine Lingemann (Dem). Madame la rapporteure, la Présidente Yaël Braun-Pivet est favorable à la possibilité de saisir le Conseil d’État d’une proposition de loi transpartisane issue de la délégation aux droits des femmes.

Vous affirmez vouloir sanctuariser la jurisprudence dans le droit, mais encore faut‑il que cette jurisprudence soit constante. Or, les circonstances de l’agression peuvent varier.

En ce qui concerne votre amendement, je m’interroge sur le terme « spécifique ». Le droit de la santé ne mentionne pas le caractère spécifique du consentement, qui doit seulement être libre et éclairé – on l’a vu à propos du texte sur la fin de vie. Il n’y a qu’en droit de la protection des données que la notion de consentement spécifique existe. Elle désigne alors le consentement à un certain traitement des données : c’est très particulier. L’ajout de cette notion soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Selon vous, quelles seraient les implications d’une telle définition pour les magistrats et les enquêteurs ?

Mme Colette Capdevielle (SOC). Si nous sommes tous d’accord avec vous, madame la rapporteure, en ce qui concerne l’absolue nécessité de protéger les victimes d’infractions sexuelles et de leur rendre justice, la rédaction de l’amendement confirme le côté bancal de la proposition de loi. On ne bricole jamais le code pénal ; il ne faut y toucher que d’une main tremblante, selon la formule reprise par bien des auteurs.

La rédaction de l’amendement pose encore plus de difficultés que le texte initial. Je vous assure que les textes actuels couvrent la sidération, la dissociation, la contrainte implicite, les rapports de pouvoir ou la dépendance économique. Hier, en Dordogne, un sexologue a été condamné pour viol par surprise à douze ans de réclusion criminelle, après une première condamnation par contumace à six ans ; les patientes étaient endormies par hypnose et le consentement était au cœur des débats. Les auteurs invoquent toujours l’absence de contrainte, mais là, la cour d’assises a bien condamné.

Vous pourrez réécrire le texte tant que vous voudrez, mais plus vous ajouterez de termes, plus vous créerez des difficultés et de la jurisprudence.

Les vrais problèmes sont le délai entre la date des faits et celle de la dénonciation et de la plainte, le manque de formation professionnelle de celles et ceux qui reçoivent les plaintes, et la conduite des enquêtes – dans ce domaine, elles sont toujours bon marché, sans recueil de téléphonie ni examens médicaux d’expertise, avec peu de témoins entendus.

Cela a été dit, il y a beaucoup à faire. On parle plus de Gisèle Pelicot que des accusés. La solution n’est pas de changer le code pénal, mais de lutter contre la culture du viol. Cela nécessitera un vrai travail transpartisan.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). La réécriture proposée est le produit des auditions, mais aussi de l’ensemble des travaux menés sur le sujet, y compris à l’étranger, de la Suède à l’Espagne en passant par la Belgique, dont le droit présente des similitudes avec le nôtre et est précurseur en la matière. On nous reproche de la précipitation, mais nous nous appuyons sur des années de travaux.

Notre démarche n’est pas non plus inédite dans notre propre histoire pénale s’agissant de ces questions. Ainsi, la loi de 1980 n’a pas été adoptée du jour au lendemain : il y avait eu, en 1978 et 1979, plusieurs propositions de loi sur le sujet que les rapporteurs du texte de 1980 ont intégrées à leurs travaux, comme le montre le dossier législatif de la loi sur le site du Sénat. Ce sont différentes initiatives parlementaires qui ont permis d’aboutir.

Enfin, la navette parlementaire sera l’occasion d’affiner le texte et de le rendre encore plus transpartisan.

L’amendement permet de répondre à presque toutes les critiques ou inquiétudes qui se sont exprimées pendant le débat.

Mme Caroline Yadan (EPR). Nous voulons tous que les victimes de viol soient reconnues dans leur statut de victimes. Mais nous faisons du droit, et l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Si nous sommes plusieurs à le dire, c’est peut-être que c’est vrai : la rédaction qui nous est ici proposée pose difficulté, surtout le terme « spécifique ». Pour l’avocate que je suis, ce mot laisse entendre que la licéité d’un acte reposerait uniquement sur un consentement réitéré de la personne visée, ce qui constitue en soi une innovation dans notre droit pénal.

Outre le risque de contractualisation des rapports sexuels, cette rédaction risque de faire peser sur la victime la charge de la preuve du consentement : à elle de prouver que son consentement a été spécifique et qu’il l’a été de manière réitérée.

En outre, le texte ainsi rédigé reviendrait à abolir la présomption d’innocence, l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’État de droit. En effet, par définition, toute relation sexuelle serait présumée être un viol, sauf preuve de consentement.

Je ne doute pas de votre volonté de bien faire mais, pour ces raisons, je m’interroge vraiment sur cette rédaction.

M. Stéphane Mazars (EPR). Bien évidemment, je partage moi aussi l’objectif visé et j’attends avec beaucoup d’impatience la fin des très sérieux travaux de la délégation aux droits des femmes.

Dans votre définition, madame la rapporteure, je ne vois que des sujets potentiels de discussion et de contestation. Comment gérez-vous la rétractation et le débat à son propos ? À quel moment peut-elle intervenir – pendant, après, quelques jours après – et sous quelle forme ? Et le repentir vis-à-vis de la rétractation ? Qu’en est-il de la capacité à agir ? La personne avait-elle vraiment la capacité de donner son consentement ? Comment celui-ci a-t-il été recueilli ? Et les vices du consentement, qui ouvrent un champ jurisprudentiel riche en difficultés ?

Ensuite, cette rédaction nous ferait basculer vers une contractualisation des rapports sexuels et vers un système accusatoire et non plus inquisitoire : ce ne sera pas au ministère public – plutôt qu’à la victime, comme on l’a entendu – d’apporter la preuve que le viol a été commis, mais ce sera à celui qui est pointé du doigt de démontrer qu’il n’a pas commis de viol, parce qu’il sera en mesure de prouver que le consentement a bien été recueilli. Et là, on basculera d’une justice de genre, qui n’est sûrement pas satisfaisante, à une justice de classe, car il sera particulièrement difficile à des gens démunis de prouver, contre le ministère public, que, bien qu’on les pointe du doigt, cela ne s’est pas passé comme ça.

Faute de visibilité quant aux conséquences que pourrait avoir votre proposition, restons prudents et attendons, je le répète, la conclusion des travaux de la délégation.

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Puisque le mot « spécifique », que l’on trouve beaucoup dans les textes internationaux, est sujet à débat, je n’ai pas objection à ce que vous sous-amendiez mon amendement pour l’en supprimer si vous le souhaitez.

En ce qui concerne la rétractation, on pourrait aussi préciser par sous-amendement que le consentement peut être retiré à tout moment au cours de l’acte. La rétractation n’est jamais a posteriori ; il n’y en a aucun exemple dans le droit.

J’entends deux objections contradictoires, et parfois de la part des mêmes personnes : ma proposition serait extrêmement dangereuse parce que ce serait à la victime d’apporter la preuve de son non consentement, et parce que ce serait à la personne mise en cause d’apporter la preuve du consentement de la victime ! En réalité, comme pour tout notre droit, il faut se situer au bon endroit : c’est au ministère public d’apporter la preuve, et l’instruction devra se tourner vers les actes de la personne mise en cause, comme c’est déjà prévu dans le code pénal.

Sur le sous-amendement, il me semblait que la formulation « circonstances environnantes » était assez large, mais la proposition de Mme Froger va dans le bon sens en intégrant au texte des éléments qui relèvent de la jurisprudence de la Cour de cassation. Même constante, celle-ci, je le répète, demeure moins sécurisante que le code – notamment dans les cas de sidération, différents du cas d’une personne endormie, pour lequel le viol par surprise peut être retenu. Avis favorable.

Quant à l’amendement CL3, j’y suis défavorable. Votre rédaction est très restrictive. Il me semblait pourtant qu’un consensus se dégageait pour introduire la notion de consentement dans la loi.

La commission rejette le sous-amendement CL19.

Mme la présidente Agnès Firmin-Le Bodo. J’ai reçu une demande de scrutin de députés représentant au moins 10 % de la commission sur l’amendement CL12 en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Manuel Bompard, M. Jean-François Coulomme, M. Sébastien Delogu, M. Emmanuel Fernandes, Mme Martine Froger, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, Mme Danièle Obono, M. François Piquemal et M. Thomas Portes.

Votent contre :

Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Monique Griseti, M. David Guerin, Mme Delphine Lingemann, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Stéphane Mazars, Mme Laure Miller, M. Jean Moulliere, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Antoine Villedieu et Mme Caroline Yadan.

S’abstiennent :

Mme Danielle Brulebois, M. Vincent Caure, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente et Mme Sandra Regol.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 38

Nombre de suffrages exprimés : 31

Majorité absolue : 16

Pour l’adoption de l’amendement : 10

Contre l’adoption de l’amendement : 21

Abstention : 7

La commission rejette donc l’amendement.

Elle rejette l’amendement CL3.

La commission adopte successivement l’amendement CL14 tendant à corriger une erreur matérielle et les amendements rédactionnels CL15 et CL16 de Mme Sarah Legrain, rapporteure.

Mme la présidente Agnès Firmin-Le Bodo. J’ai également reçu une demande de scrutin sur l’article 1er en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Manuel Bompard, M. Jean-François Coulomme, M. Sébastien Delogu, M. Emmanuel Fernandes, Mme Martine Froger, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, Mme Danièle Obono, M. François Piquemal et M. Thomas Portes.

Votent contre :

Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Monique Griseti, M. David Guerin, Mme Delphine Lingemann, M. Olivier Marleix, Mme Laure Miller, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Antoine Villedieu et Mme Caroline Yadan.

S’abstiennent :

Mme Danielle Brulebois, M. Vincent Caure, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Gouffier Valente et Mme Sandra Regol.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 35

Nombre de suffrages exprimés : 28

Majorité absolue : 15

Pour l’adoption : 10

Contre l’adoption : 18

Abstention : 7

La commission rejette donc l’article 1er.

Article 2 (art. 222-23 du code pénal) : Insertion de la notion de consentement dans la définition pénale du viol

Amendement CL13 de Mme Sarah Legrain et sous-amendement CL18 de Mme Martine Froger ; amendement CL4 de Mme Sophie Blanc (discussion commune)

Mme Sarah Legrain, rapporteure. La philosophie est la même que pour l’article 1er.

Mme Sophie Blanc (RN). Cet article illustre un acharnement purement idéologique. La rédaction du groupe LFI-NFP est si confuse qu’elle en devient incompréhensible. Le droit ne peut pas se permettre une telle approximation.

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Avis favorable au sous-amendement, défavorable à l’amendement de Mme Blanc.

Mme Caroline Yadan (EPR). L’amendement de la rapporteure ne fait que reprendre les vices du consentement déjà clairement prévus dans le droit.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Le débat parlementaire est lancé ; si nous voulons qu’il avance, ne nous encombrons pas de mauvais arguments. Il n’est pas vrai que le droit actuel couvre toutes les situations, la Cour de cassation le montre bien en cassant certaines décisions – quand on arrive jusqu’à elle, ce qui n’est pas facile. L’existence même d’une vaste jurisprudence montre que la définition légale ne répond pas à toutes les questions. Quand des dossiers sont classés sans suite parce que des faits ne sont pas suffisamment caractérisés, c’est bien la définition de l’infraction qui pose problème. C’est quelque chose que pointent des magistrats, des juristes, des professeurs de droit, des associations de victimes – par exemple l’AVFT.

Bien sûr, ce n’est qu’un élément d’un ensemble plus vaste, et c’est pourquoi nous sommes favorables à une loi globale. Mais cette dimension du consentement doit évoluer, et j’espère que nous empruntons aujourd’hui un chemin en ce sens.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je soutiens l’amendement CL4, qui, en citant « l’incapacité de donner son consentement », couvre des situations qui ne le sont pas aujourd’hui, comme précisément les états de sidération.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). La rédaction proposée par la rapporteure, surtout modifiée par le sous-amendement, est au contraire bien plus large que celle de cet amendement CL4. Elle permet de couvrir tous les aspects de la question centrale de cette proposition de loi, à savoir celle des situations où l’on est incapable de donner son consentement.

M. Paul Christophle (SOC). Vous nous mettez vraiment dans une situation embêtante, madame la rapporteure. Vous avez déposé des amendements à votre propre texte hier soir, en reconnaissant vous-même qu’ils proposent des modifications substantielles. Ce matin, vous vous dites prête à supprimer l’adjectif « spécifique » qui figure dans cette nouvelle rédaction, si nous pensons que c’est mieux. Je ne suis ni magistrat, ni avocat, et je suis très mal à l’aise à l’idée de modifier un texte aussi important dans une telle situation d’incertitude. Je voudrais vous entendre affirmer que vous savez ce que vous faites !

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Les amendements ont été formellement déposés hier soir mais je les ai transmis plus tôt aux rapporteures de la mission transpartisane afin de recueillir leur avis. Les groupes n’ont donc pas été pris par surprise.

Ce que vous décrivez, c’est le processus parlementaire : en cours de route, on vérifie les points d’accord, de désaccord, ou de doute ! Il me semble indispensable d’inscrire la notion de consentement dans la caractérisation pénale du viol et de la définir. En revanche, plusieurs intervenants ont douté de l’intérêt de l’adjectif « spécifique ». Faut-il alors le conserver ? Nous n’en sommes qu’au stade de la commission ; nous avons encore le temps de débattre et de nous convaincre les uns les autres, ne serait-ce que d’ici au passage en séance publique, la semaine prochaine. Je suis tout à fait ouverte à la discussion. Ne faisons pas semblant de croire qu’un texte adopté à l’Assemblée nationale s’applique immédiatement, en oubliant la navette parlementaire. Certes, un texte transpartisan est en préparation, et il sera peut-être meilleur que le mien : je le soutiendrai alors sans hésiter. Mais en attendant, nous pouvons acter des points d’accord. Si j’accepte de retirer « spécifique », même si je pense qu’il se justifie ici, ce n’est pas par légèreté mais parce que je comprends que ce terme n’est pas assez clair pour certains et que je préfère chercher le consensus. J’essaye d’être constructive : vous ne pouvez pas me reprocher à la fois de ne pas participer à un travail transpartisan et d’accepter des remarques qui me sont faites.

La commission rejette successivement le sous-amendement et les amendements.

Amendement CL17 de Mme Sarah Legrain

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Tous les termes peuvent être sujets à discussion : « libre », « éclairé », « spécifique »…

La jurisprudence donne des éléments d’appréciation. L’intégration dans le code pénal de notions déjà utilisées par les enquêteurs et les magistrats va dans le bon sens.

La loi belge, par exemple, dresse une liste de caractéristiques, plus longue que la nôtre, et intègre par exemple la notion de consentement parmi les éléments qui servent à caractériser un viol. L’évaluation de la loi semble montrer que c’est plutôt positif.

J’entends que certains s’opposent à l’introduction dans le code pénal de la notion de consentement. Ayons sur ce point un débat de fond, juridique et philosophique, mais évitons les arguties.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Comparaison n’est pas raison, notamment entre des droits inquisitoires et accusatoires, par exemple.

Dans la plupart des pays qui ont introduit la notion de consentement, le nombre de plaintes qui entraînent des condamnations n’a pas augmenté ; la parole des victimes n’a finalement pas été mieux prise en compte. Inversement, la plupart des affaires qui arrivent aux assises donnent lieu à une condamnation.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). L’exemple de la Suède peut donner l’illusion que l’inscription dans la loi de la nécessité du consentement pourrait tout changer. Mais lorsque ce pays a introduit cette notion, il a aussi élargi les cas qui permettent la reconnaissance du crime de viol. Si vous comparez ce qui se passait avant et après la loi, vous comparez des choux et des carottes : on ne peut pas dire, en l’occurrence, que l’introduction du consentement dans la loi ait permis une meilleure reconnaissance du crime de viol.

Mme Sarah Legrain, rapporteure. Je rappelle qu’il s’agit ici d’un amendement rédactionnel… Mais je suis ravie que le débat ait lieu.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL11 de Mme Sarah Legrain, rapporteure.

Elle rejette l’article 2.

Après l’article 2

Les amendements CL6 de M. Vincent Caure, CL8 de Mme Laure Miller et CL10 de M. Guillaume Gouffier Valente sont retirés.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

 

*

*     *

 

Puis, la Commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (n° 550) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure).

L’amendement n° 2 a été repoussé.

*

*     *

 

La séance est levée à 12 heures.

————


 

Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Marie-José Allemand, M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, M. Manuel Bompard, Mme Émilie Bonnivard, Mme Blandine Brocard, Mme Danielle Brulebois, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Sébastien Delogu, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Emmanuel Fernandes, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Martine Froger, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, Mme Monique Griseti, M. David Guerin, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Eliane Kremer, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, Mme Sarah Legrain, Mme Pauline Levasseur, Mme Delphine Lingemann, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. François Piquemal, M. Thomas Portes, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Roger Vicot, M. Antoine Villedieu, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Caroline Yadan

Excusés. - Mme Aurore Bergé, M. Florent Boudié, M. André Chassaigne, Mme Edwige Diaz, M. Moerani Frébault, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Roland Lescure, Mme Naïma Moutchou, M. Michaël Taverne, M. Jiovanny William

Assistait également à la réunion. - Mme Véronique Riotton